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‘On ne peut pas être en même temps un libérateur et un voleur’ : une vidéo montre des militaires russes corrigeant des soldats syriens pillards

vendredi 15 juin 2018 à 13:04

Arrêt sur image de la vidéo largement partagée montrant des militaires russes corriger des  soldats du régime syrien. Source: chaîne YouTube de Al Aan TV.

Une vidéo montrant des militaires russes donner une leçon à des soldats du régime syrien pris en plein pillage à Babila, une agglomération au sud de Damas, est devenue virale mi-mai 2018, quelques jours à peine après la reprise de la ville par les forces pro-régime aux factions de l'Armée syrienne libre (ASL).

Dans une scène d'humiliation publique, les soldats étaient filmés couchés face contre le sol dans la rue, à côtés d'immeubles rasés, fusils pointés sur leurs têtes. Selon la presse, les soldats sur la vidéo ont été ensuite arrêtés, au milieu d'avertissements russes qu'un châtiment plus sévère suivrait de futurs éventuels pillages .

La vidéo devient virale. Des soldats russes dans un bourg de la campagne de Damas ont attrapé des soldats syriens (de l'armée d'Assad) en train de piller des maisons. Les Russes ont arrêté les soldats syriens, les ont obligés à se coucher au sol sur le ventre sous les applaudissements des spectateurs.

Pillages généralisés

Les scènes de pillage ne se sont pas limitées à Babila.

Mi-avril, l'armée syrienne, avec l'aide de forces russes et de milices palestiniennes, a débuté une offensive pour prendre le contrôle du camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk à Damas, et de la zone adjacente de al-Hajar al-Aswad, à ce moment aux mains de l'EI et du Front al-Nosra.

Après un mois de batailles, l'armée syrienne déclarait Damas et ses alentours “entièrement sûrs” après avoir contraint les combattants de l'EI à fuir leur dernier bastion à proximité de la capitale.

Suivant cette victoire, il y a eu de multiples informations que les forces affiliées au pouvoir du président Bachar al-Assad se sont livrées à une orgie de pillages. Les médias sociaux ont débordé de photos et de vidéos montrant les soldats ployant sous les réfrigérateurs, les lave-linge et le mobilier.

Selon les informations, les soldats de la vidéo ont été arrêtés après coup, au milieu d'avertissements russes d'une punition plus rigoureuse s'ils récidivaient.

Appelée en syrien populaire “taafish”, la pratique du pillage des biens appartenant aux habitants de zones conquises a prospéré dans les années récentes. Les meubles sont habituellement vendus sur des marchés de receleurs, où des gens cherchant à récupérer ce qu'ils ont perdu se trouvent obligés de racheter leurs propres possessions à des prix plus élevés.

Dans certaines zones ces marchés ont des connotations confessionnelles, comme à Homs, qui a connu quelques-unes des répressions les plus brutales par le pouvoir, et où un des marchés était appelé le “Souk al-Sunna” (le marché des Sunnites), une allusion crue à la religion des habitants dont les biens avaient été pillés.

Les habitants du sud de Damas ont raconté comment, après la fin des opérations militaires, ils ont vu leurs biens volés en plein jour. Des signalements n'émanant pas seulement de partisans de l'opposition, mais aussi de la population pro-gouvernement.

Une vidéo mise en ligne sur YouTube montre un journaliste affilié à Liwa al-Quds, une milice palestinienne pro-gouvernement qui a participé aux combats du sud de Damas aux côtés du régime, engagé dans une vive altercation avec des éléments armés liés au régime syrien qu'il a surpris en train de piller sa propre maison dans le camp de Yarmouk.

Il a même été signalé des miliciens Shabiha affiliés au régime tuant deux enfants qui protestaient contre les pillages.

Certains des pillards invoquent les difficultés économiques, considèrent cela largement comme une récompense légitime de leur activité au combat, ou trouvent une justification dans les bas salaires que leur paie le régime.

‘Qui commande ?’

L'ironie que beaucoup ont trouvée dans l'incident des soldats russes administrant une correction aux soldats syriens surpris à piller a eu plusieurs niveaux. En premier lieu, il a déclenché des comparaisons sarcastiques avec les scènes d'avilissement et de torture prodiguées par les forces du régime aux militants de l'opposition.

Certains ont pointé sur les médias sociaux une ressemblance saisissante entre cette vidéo et une autre, célèbre, où l'on voyait des agents des forces de sécurité bourrer de coups de pied et humilier des détenus à al-Bayda dans la ville côtière de Baniyas aux premiers jours de la révolution en avril 2011. Toutefois, certain comptes pro-régime ont rejeté la vidéo de 2011 comme une manipulation, les images étant d'après eux celles de combattants peshmergas kurdes et non de soldats syriens.

Les échanges en ligne autour de la récente vidéo font aussi valoir son aspect humiliant pour le pouvoir syrien, puisqu'elle met en lumière le poids croissant de la Russie en Syrie, à peu près trois ans après son intervention militaire pour soutenir Assad.

La police militaire russe au sud de Damas arrête des éléments des forces du régime sous des charges de pillage de maisons. Qui est-ce qui commande ?

Deuxième ironie, la Russie semble se donner le rôle de protecteur de ceux-là mêmes que ses forces ont soit tués, soit estropiés, soit rendus sans-abri après un mois de frappes aériennes contre les zones tenues par l'opposition dans le sud de Damas.

Maintenant que la poussière des batailles est retombée à Damas et ses environs, l'inquiétude est grande en ce qui concerne le retour à l'ordre dans la future Syrie. En cause, la prolifération des milices et la propagation incontrôlée des armes entre les mains des factions militaires non-étatiques, y compris russes et iraniennes. Au lendemain de sa victoire militaire, le régime a paru incapable de ou peu disposé à freiner le pillage généralisé.

Maram, une étudiante en littérature anglaise de Yarmouk, a dit à Global Voices :

They claim to be liberating us from terrorists but are looting our belongings and no one can stop them. You cannot be a liberator and a thief at the same time. This is the law of the jungle. I wonder what future awaits us.

Ils prétendent nous libérer des terroristes mais ils pillent nos possessions et personne ne peut les en empêcher. On ne peut pas être en même temps un libérateur et un voleur. C'est la loi de la jungle. Je me demande quel avenir nous attend.

Et Maram de citer la fameuse phrase de George Orwell dans son célèbre roman “1984”, qui, dit-elle, englobe tout l'avenir de la Syrie comme elle le voit :  “Si vous voulez une image du futur, imaginez une botte écrasant un visage humain… pour l'éternité.”

Un groupe musical parodique iranien chante une chanson d'amour pour Telegram interdit

jeudi 14 juin 2018 à 20:08

“Lovers of Telegram” est une chanson parodique d'amour pour Telegram, après que des millions d'Iraniens ont été interdits d'accès par le gouvernement.

Le groupe musical iranien DasandazBand a récemment vu sa chanson d'amour parodique sur le filtrage de Telegram devenir virale sur les médias sociaux.

Pensez au groupe américain Lonely Island, mais grandi en République Islamique d'Iran et traitant de questions iraniennes, et vous aurez une idée des musiciens humoristes à l'origine de DasandazBand. Au lieu de matériau explicite tel que “I Just Had Sex” ou “The Creep,” cette troupe musicale aborde des sujets controversés tels que voyager avec des groupes d'amis qui incluent des hommes et des femmes dans “Quand vous avez des amis qui sont partants pour un voyage, mais nulle part où aller.”

Un autre titre est « L'état des Iraniens qui sortent d'Iran pendant cinq jours », qui plaisante à propos de tout le faux luxe que ces Iraniens affichent sur leurs comptes de médias sociaux en plus de leur sentiment décalé d'être non-iraniens.

Quand vous avez des amis qui sont partants pour un voyage, mais nulle part où aller 🤦😂

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Sponsor : Otaghak

L'état de nombreux Iraniens quand ils quittent le pays pendant cinq jours. 😂

Le clip vidéo de DasandazBand qui est devenu viral, néanmoins, parlait de la décision du gouvernement de censurer une plate-forme utilisée par presque tous les internautes iraniens : le service de messagerie Telegram. L'Iran comptait plus de 40 millions d'utilisateurs [en] de l'application qui l'utilisaient à des fins diverses : les affaires, le divertissement, la communication avec les amis et la famille, les informations, les études à l'université, le travail et la politique.

Le 30 avril 2018, le pouvoir judiciaire iranien a ordonné [en] de bloquer Telegram pour des raisons de sécurité nationale, une décision qui semble avoir été motivée par le rôle apparent de la plate-forme lors des manifestations de janvier 2018. Telegram n'a pas délocalisé ses serveurs en Iran conformément à la loi iranienne – c'est-à-dire rendant potentiellement accessibles aux autorités les données de ses utilisateurs iraniens – et refuse de collaborer avec les autorités iraniennes pour réglementer le contenu de la plateforme.

Le groupe a diffusé la vidéo sur leur chaîne Telegram le 8 mai, quelques jours après. DasandazBand est basé en Iran et maintient une chaîne sur l'hébergeur de vidéos iranien Aparat (YouTube est bloqué en Iran), une plateforme qui respecte les directives morales et politiques de la République islamique et censure ainsi le contenu. Il est à noter, par conséquent, que DasandazBand n'a pas diffusé son clip Telegram sur Aparat, mais uniquement sur ses comptes Twitter et Telegram – deux plates-formes désormais bloquées en Iran.

💔 Les amoureux de Telegram 😂😭@durov@telegram #filter #Telegram #filtering_Telegram 

Les paroles se moquent du filtrage de Telegram par le pouvoir et de sa tentative pour amener les Iraniens à utiliser la plate-forme Soroush développée par l'administration :

One day you came along and asked me to stay with you, and you promised you'll stay forever too. Now you're not around for me to tell you this, that someone wants to take your place with the name of Soroush.

They say he has everything you have and you'll not be missed that much but everyday I think of you and the walls that separate us, oh Telegram.

Just when I was relying on you, you were suddenly blocked and gone and all I have left is this VPN, that's the only bridge between you and I.

I remember all our groups and memories, what am I going to do with your stickers?

You were with me through all these years, now how can I install Soroush while you still linger?

Un jour tu es venu et m'as demandé de rester avec toi, et tu as aussi promis que tu resterais toujours aussi. Maintenant tu n'es pas là pour que je te dise que quelqu'un veut prendre ta place et qui s'appelle Soroush.

Ils disent qu'il a tout ce que tu as et que tu ne me manqueras pas beaucoup, mais tous les jours je pense à toi et aux murs qui nous séparent, oh Telegram.

Juste quand je comptais sur toi, tu as soudainement été bloqué et es parti et tout ce qui me reste est ce VPN, c'est le seul pont entre toi et moi.

Je me souviens de tous nos groupes et souvenirs, qu'est-ce que je vais faire avec tes autocollants ?

Tu étais avec moi pendant toutes ces années, maintenant comment est-ce que je peux installer Soroush alors que tu t'attardes ?

Sur Telegram, la petite audience de DasandazBand, qui ne compte que quelques milliers de personnes, a vu la vidéo recevoir plus de 40 000 vues et être largement partagée et discutée sur Twitter.

Les mesures effectuées par l’University of Tehran's Social Labs et le Google App store en Iran ont toutes deux indiqué que malgré la censure de Telegram, les Iraniens trouvent de plus en plus d'outils de contournement efficaces pour accéder à l'application. Alors que l'utilisation de Telegram a baissé quand il a été filtré pour la première fois le 30 avril, les dernières semaines ont montré que l'usage en Iran revenait lentement aux niveaux antérieurs.

Madagascar: qui sont les principaux candidats à l'élection présidentielle ?

jeudi 14 juin 2018 à 17:10

Elections à Madagascar via infographie par Madatsara

[Cet article a été écrit par Andry R. Razafimbahoaka, auteur invité. L'article a ensuite été edité par Global Voices pour ajout de précisions et de contexte]

Les Malgaches devront se rendre aux urnes pour élire un président avant la prochaine saison humide, soit fin octobre 2018 au plus tard. Une décision prise par la Haute Cour constitutionnelle (HCC) afin de mettre fin à l’incertitude politique et la contestation populaire. Mais le passé des principaux candidats présidentiels n’est pas rassurant.

La Haute Cour Constitutionnelle (HCC) de Madagascar a décidé, le 18 avril, d’ordonner la formation d’un nouveau gouvernement de consensus. Celui-ci est entré en fonction le 12 juin et a pour mission de faire sortir le pays de la crise politique actuelle. Hery Rajaonarimampianina a nommé Christian Ntsay, un haut fonctionnaire de l’OIT, à la tête du gouvernement. Désormais, parmi les 30 ministres, 6 sont issus de l'opposition.

Le président Rajaonarimampianina sera contraint, deux mois avant la date du premier tour, de démissionner, comme le prévoit la Constitution malgache. S’il ne s’est pas encore déclaré, il y a de fortes chances pour que Hery Rajaonarimampianina soit candidat face à deux autres anciens présidents ayant tous les deux un passé plutôt controversé.

Madagascar, un pays secoué par les crises

« Douloureuses et constantes, les crises malgaches constituent un rappel permanent de l’instabilité de ce pays », souligne Andriamanambe Raoto, rédacteur en chef du magazine Politikà. Pour ce fin connaisseur de l’histoire de l’île, tous les cycles de croissance et développement ont été interrompus par les crises politiques successives.

A chaque fois que Madagascar a connu une ébauche de décollage, celle-ci s’est soldée au bout de quelques années par une crise politique majeure qui a remis en question la dynamique positive amorcée.

déplore-t-il.

Depuis le 21 avril 2018, des opposants au président Hery Rajaonarimampianina manifestent contre la nouvelle loi électorale qu’ils jugent défavorable à Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, deux anciens présidents et principaux candidats à la prochaine élection. En effet, l’article 6 interdit à toute personne condamnée pour un crime ou un délit de se présenter.

Mais la principale préoccupation de la population reste la pauvreté qui s’aggrave selon Mireille Razafindrakoto, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Si Hery Rajaonarimamapianina a réussi à rétablir les aides de la communauté internationale, il n’est cependant pas parvenu à endiguer la crise. Faut-il, dès lors, lui confier un autre mandat ou jouer la carte de l’alternance ?

L'ancien président Marc Ravalomanana 

Après avoir dénoncé la fraude orchestrée par Didier Ratsiraka (président de 1975 à 1993, puis de 1997 à 2002), Marc Ravalomanana est devenu président en 2002 à l'issu du premier tour du scrutin et ce contre l’avis de la communauté internationale.

En 2008, contre l’avis d'une partie importante de la population, Marc Ravalomanana explore la possibilité de louer 1,3 million d’hectares de terre sur 90 ans à l’entreprise sud-coréenne Daewoo Logistics. En 2009,  le pays est aussi touché de plein fouet par la crise financière mondiale. Les mouvements de protestation dans la rue pendant plusieurs mois aboutissent  le 17 mars à sa démission et son exil en Afrique du Sud.

Andry Rajoelina, le « président de la transition »

Le même jour, l’armée remet le pouvoir à Andry Rajoelina, maire d’Antananarivo de 2007 à 2009. Mais il sera obligé de former un gouvrnement de coalition avec les partisans des anciens présidents qu'étaient Marc Ravalomanana, Didier Ratsiraka et Albert Zafy. Ayant reçu le pouvoir des militaires, Andry Rajoelina est sommé par la communauté internationale de quitter la présidence et d'organiser des élections, ce qu’il ne fera qu’en 2013. Pendant son mandat de 4 ans, la pauvreté a alors augmenté de façon alarmante avec une croissance économique nulle voire négative.

Rajoelina souhaite sans doute prendre sa revanche sur cette décision en se présentant aux élections cette année. Il faudra alors qu’il arrive à se distancier de Maminiaina Ravatomanga, un riche homme d’affaires malgache et ancien allié du président, aujourd’hui accusé de blanchiment en bande organisée et de fraudes fiscales.

Dans ce contexte, le prochain scrutin présidentiel risque d’être un nouvel épisode houleux de la vie politique malgache.

A Brasilia, des milliers d'Indiens du Brésil “en marche” contre le gouvernement Temer

mercredi 13 juin 2018 à 22:34

Du 23 au 27 avril 2018, plus de trois mille leaders indiens venus de toutes les régions du Brésil se sont rassemblés dans la capitale. Photo : 350.org, CC BY-NC-SA 2.0.

Cet article de Nathália Clark pour 350.org [fr] (une organisation dont l'objectif est de créer un “mouvement populaire mondial pour le climat”), est reproduit ici dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices. 350.org a participé à la Mobilisation indigène nationale du Brésil. 

Le campement sent la fumée et le roucou [fr], une plante dont on se sert pour les peintures corporelles. Une énergie rebelle émane de la foule. On peut entendre les cantiques, les mantras rituels et les pleurs cérémoniels.

L'endroit résonne des voix de plus de 3 000 Indiens de quelque cent communautés différentes venus de tous les coins du Brésil assister à l'édition 2018 de la Mobilisation indigène nationale, qui s'est tenue du 23 au 27 avril à Brasilia, la capitale du pays.

La manifestation, aussi appelée “Campement Terre libre”, est organisée chaque année par la Coordination des peuples indigènes du Brésil (APIB). Cette année, c'était la quinzième édition.

Le dernier recensement démographique brésilien dénombre 305 communautés indigènes dans le pays qui parlent 274 langues différentes. Ensemble, elles totalisent 897 000 personnes, ce qui représente à peu près 0,47 % de la population totale du pays, estimée à environ 200 millions de personnes.

La plupart des indigènes sont disséminés dans des milliers de villages du nord au sud du territoire national, situés sur les 715 Territoires Indigènes actuellement régularisés et formellement reconnus par le Gouvernement fédéral. Mais plus de 800 dossiers de territoires indigènes attendent encore leur régularisation.

Le “décret de génocide” et autres coups bas

Le mouvement a subi une série de revers politiques qui lui ont insufflé un nouvel élan bien avant la mobilisation de cette année.

Le Congrès national brésilien, dominé par une majorité qui soutient actuellement le lobby de l'industrie alimentaire, veut approuver une sorte de “paquet électoral” qui déposséderait les peuples indigènes de leurs droits garantis par la Constitution de 1988 et par le droit international, comme la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail [fr].

Face aux complexités de la situation politique actuelle au Brésil, s'inscrivant dans le contexte de la présidence controversée de Michel Temer, les représentants du secteur agroalimentaire ont encore gagné du terrain. Ils ont réussi à prendre pied et à gravir de nouveaux échelons au sein du gouvernement.

Peu de temps avant que le Campement Terre libre n'ait lieu, le président avait cédé aux pressions du bloc des ruralistes et poussé à la démission le président de la Fondation nationale de l'Indien (FUNAI) [fr], aussitôt remplacé par une personne plus proche du secteur agricole.

La réticence du gouvernement à accorder une reconnaissance officielle des frontières des territoires indigènes et les poursuites judiciaires infligées aux dirigeants des mouvements sont les sujets de préoccupation et de griefs les plus importants de ce rassemblement à Brasilia.

Kretã Kaingang, dirigeant indigène du Paraná et coordinateur du programme indigène de 350.org au Brésil, fait part des menaces qu'il a reçues : “J'ai été détenu pendant un certain temps, accusé de délits qui n'ont jamais été avérés et un juge m'a interdit de m'approcher de la terre où je suis né. Pendant quatre ans, je n'ai pas pu me rendre sur le lieu où est enterré mon cordon ombilical”, raconte-t-il.

En septembre 2017, le procureur général a émis un décret qui établit que seuls les indigènes qui occupaient leur territoire au moment de la promulgation de la Constitution de 1988 obtiendraient la reconnaissance de leur droit à la terre.

Ce décret est connu sous le nom de “la thèse du seuil temporel” et parfois aussi du “décret de génocide“, et il a reçu l'aval du président Michel Temer. S'il devenait une loi, il réduirait considérablement les chances d'obtenir la reconnaissance de nouveaux territoires indigènes.

“Nous n'avons qu'un seul objectif : mener à bien le processus de démarcation de nos terres”

La nuit tombe sur les leaders indigènes montant la garde devant le bâtiment du gouvernement fédéral. Aussitôt, la foule allume des bougies et met fin à ses activités pour écouter la complainte d'une des femmes indigènes. En signe de deuil.

Le lendemain, l'esplanade des ministères, l'axe principal où se regroupent tous les bâtiments gouvernementaux, s'est de nouveau remplie de manifestants en marche vers le Congrès national.

Tout en peintures et ornements, dansant et chantant leurs cris de guerre, les indigènes des communautés kaingang, guaraní, guaraní-kaiowá, guaraní-mbya, xucuru, pataxó, munduruku, awá-auajá, guajajara, marubo, xerente, xavante, kayapó, tenetehara, tembé, tucano, krahô, kanela et bien d'autres encore, défilent pour demander que le processus de démarcation de leurs terres soit mené à son terme et pour exiger le respect de leurs droits, garantis par la Constitution de 1988.

Les dirigeants indigènes brandissent des pancartes adressées aux autorités : “Démarcation, tout de suite !, ” Non à la fracturation hydraulique sur nos terres !” et “Les Guaranis résistent”. D'autres pancartes évoquent le démantèlement des territoires, la destruction des rivières et des ressources naturelles due au gigantisme des projets d'infrastructure et d'énergie.

“Nous n'avons qu'un seul objectif : mener à bien le processus de démarcation de nos terres. Un grand nombre de nos familles n'ont pas pu être présentes, c'est pourquoi nous sommes venus représenter nos communautés”, déclare Kretã Kaingang.

Pendant la manifestation, les rues ont été peintes en rouge, pour symboliser le sang du peuple indigène versé lors des actes de répression et de violence que beaucoup considèrent comme la suite du génocide historique perpétré à leur encontre à l'époque coloniale.

“La trace de ‘sang’ que nous laissons représente la violence et les attaques infligées par l'État aux peuples aborigènes de ce pays. De nombreuses invasions, menaces et assassinats ont eu lieu au Brésil, sans parler du cruel processus de criminalisation de nos leaders. Toutefois, malgré cette conjoncture problématique, nous continuerons à résister et à nous battre comme nous l'ont enseigné nos ancêtres guerriers”, explique le chef Marcos Xukuru de Pernambouc.

Joênia Wapichana, la première femme avocate indigène à avoir saisi la Cour Suprême, résume les enjeux : “Le fait que l'exécutif compte utiliser les instruments juridiques pour restreindre le droit à la démarcation met en danger la survie des peuples indigènes, dont la subsistance dépend entièrement de la terre et de tout ce qu'elle leur octroie”.

“La démarcation de nos terres est synonyme de préservation. Nous avons reçu des plaintes d'apparentés de toutes les régions au sujet d'invasions de bûcherons, de prospecteurs, d'accapareurs et d'entreprises d'État. Ce que nous voulons, c'est assurer notre mode de vie aux générations futures. Nous luttons à la fois pour nous-mêmes, peuples indigènes, et pour la société brésilienne tout entière”, déclare Tupã Guarani Mbya, du territoire indigène de Tenondé Porã, à São Paulo.

Pour le chef Juárez Munduruku, les peuples indigènes sont comme les arbres. “C'est la même vie qui coule dans les arbres et en nous. Si on les assassine, ils meurent et jamais ne renaissent. Quand un bûcheron tue un ‘cacique’, c'est la fin de l'histoire”.

Il ajoute que sur le Rio Tapajós en Amazonie, où se trouve son territoire, sont actuellement prévues 43 grosses centrales hydroélectriques qui vont endiguer le cours d'un des plus grands fleuves du pays, un lieu sacré pour son peuple. Deux de ces projets sont déjà en cours de réalisation avec, en outre, un projet d'implanter 30 ports pour transporter du soja de monoculture, mais aussi, du minerai et du bois issu de coupes illégales.

Netizen Report : Une loi sur la cybercriminalité menace la liberté d'expression en Égypte

mercredi 13 juin 2018 à 18:35

Des soldats se tiennent sur un camion militaire sur la place Tahrir, au Caire, en janvier 2011. Photo de Ramy Raoof sur Flickr (CC BY 2.0)

Le Netizen Report de Global Voices Advox offre un aperçu des défis, des victoires et des tendances émergentes en matière de droits numériques à travers le monde

Le 5 juin 2018, le parlement égyptien a approuvé une loi sur la cybercriminalité visant à encadrer les pratiques en termes de censure des contenus en ligne, de confidentialité des données, de piratage, de fraude, et à réguler les messages dont les autorités craignent qu'ils propagent « des idéologies terroristes et extrémistes ».

La loi accorde aux autorités judiciaires le droit d’ « ordonner la censure de sites » chaque fois qu'un site héberge du contenu qui « représente une menace à la sécurité nationale ou compromet la sécurité nationale ou l'économie nationale ».

La loi renforce également les bases légales permettant aux autorités de s'en prendre aux voix dissidentes ou aux critiques politiques. Si le gouvernement égyptien est déjà connu pour censurer des sites et des plateformes sous le prétexte de la sécurité nationale, il n'existait jusqu'alors aucune loi en place relative à ces pratiques.

Rien qu'au mois de mai 2018, les autorités ont arrêté sous des prétextes similaires de nombreux blogueurs et activistes connus sur les réseaux sociaux.

Le 23 mai, la police égyptienne a effectué un raid au domicile du journaliste et blogueur Wael Abbas et a procédé à son arrestation. Le lieu de sa détention n'a toujours pas été divulgué mais les autorités ont confisqué son ordinateur personnel, des téléphones et des livres, selon un communiqué publié par le Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI). L'organisation a condamné l'arrestation et l'a qualifiée de « kidnapping », les autorités étant entrées de force chez Wael Abbas, avant de le bâillonner et de l'arrêter alors qu'il était en pyjama.

Wael Abbas a à peine eu le temps de publier un court statut sur son compte Facebook avertissant : « Je suis en train d'être arrêté », mais aucun communiqué officiel relatif à l'incident n'a encore été publié par les autorités égyptiennes. Un journaliste égyptien, connu pour être proche du pouvoir, a accusé le blogueur d'avoir publié des « fausses nouvelles » sur les opérations militaires de l’Égypte dans la région du Sinaï.

A peine quelques jours plus tôt, un autre blogueur, l'activiste des droits humains et avocat spécialiste du droit du travail Haitham Mohamedein, a lui aussi été emmené par les autorités égyptiennes. Il a été accusé d'une série de délits, dont « utilisation d'Internet pour inciter à s'opposer à l'État » et « incitation à la contestation ». Il a été placé en détention durant 15 jours, le temps que les autorités enquêtent sur ses activités.

Shadi Abou Zeid, l'ancien producteur d'un programme satirique populaire dont la vedette était une marionnette à la langue bien pendue nommée Abla Fahita, a également été arrêté pour avoir « propagé sur Facebook de fausses informations sur la situation économique et politique du pays avec l'intention de discréditer l’État égyptien ». Il est actuellement détenu pour 15 jours en attendant que des charges formelles soient formulées contre lui.

Une Nigériane perd son emploi à cause de tweets critiques

Une femme au Nigeria, employée au bureau de l'amnistie présidentielle, a perdu son emploi après avoir critiqué sur Twitter le vice-président Yemi Osinbajo et la femme du président Muhammadu Buhari, Aisha. Le bureau a qualifié ses tweets de « menace à la sécurité nationale » et l'a licenciée en accord avec le règlement régissant le service public qui considère « les fausses allégations à l'encontre de membres du gouvernement » comme une faute grave.

Un avocat azerbaïdjanais des droits humains  enlevé et détenu

L'avocat des droits humains azerbaïdjanais Emin Aslan a été enlevé par des hommes en civil quelques jours à peine après son retour dans son pays d'origine. Il se trouvait depuis quelques années aux États-Unis, où il a décroché un diplôme de droit. Au même moment, son compte Facebook — qui n'était plus actif depuis des mois — a soudainement été réactivé. Son téléphone semble également avoir été utilisé, alors qu'Emin Aslan ne s'en est pas servi depuis son retour en Azerbaïdjan. Plus de 24h après son enlèvement, les autorités ont reconnu détenir l'avocat, qui doit être gardé en détention administrative durant 30 jours pour avoir « désobéi à la police ».

Facebook partage vos données pour créer des « expériences Facebook »

Un article du New York Times révèle que Facebook a conclu des accords de partage de données avec des constructeurs de smartphones, parmi lesquels Apple, Amazon, Microsoft et Samsung, fournissant aux entreprises un accès privilégié aux données personnelles des utilisateurs et de leurs amis sans leur consentement explicite. Certains des partenaires de Facebook peuvent ainsi accéder à des informations relatives à la situation amoureuse de l'utilisateur, à ses opinions religieuses et politiques ou aux événements auxquels il compte assister, entre autres. Dans un communiqué en réaction à l'article, Facebook a assuré que les interfaces de programmation développées par l'entreprise pour les constructeurs étaient nécessaires à la création d’ « expériences de type Facebook » sur leurs smartphones, et que les partenaires avaient signé des accords les empêchant d'exploiter les données pour d'autres desseins.

« Nous ne sommes pas au courant d'éventuels abus de la part de ces entreprises » a déclaré Facebook, tout en ajoutant qu'il réduisait progressivement leur accès et avait déjà mis un terme à 22 de ses partenariats. L'article du New York Times soulève de nouvelles interrogations sur l'engagement de Facebook en matière de protection des données personnelles, au lendemain du scandale Cambridge Analytica au printemps dernier. L'entreprise de data-mining avait alors utilisé des données issues de Facebook au-delà des cadres fixés par l'accord initial entre les deux compagnies.

Google annule son programme d'analyse d'images capturées par drone après une vague de protestation de ses employés

Google a annoncé qu'il ne reconduirait pas le contrat du Projet Maven, un programme controversé visant à développer une intelligence artificielle pour le Pentagone américain capable d'analyser des images enregistrées à l'aide de drones. Des milliers d'employés de Google avaient signé une pétition demandant à l'entreprise de renoncer au projet, et plusieurs dizaine d'entre eux ont démissionné en signe de protestation.

La société civile demande au G20 une déclaration sur l'avenir numérique

Une coalition de membres de la société civile travaillant à l'intersection des droits humains et de la technologie a adressé une lettre ouverte aux gouvernements participant au sommet du G20 en Argentine leur demandant de s'assurer que « la société numérique en mutation soutienne un écosystème web sain et remette l'humain au centre des préoccupations ». Les signataires ont évoqué en particulier l'importance d'un accès significatif aux technologies de l'information et de la communication, des droits à la vie privée et à la protection des données, de la liberté d'expression, de la sécurité numérique et du renforcement de la concurrence dans le domaine des services numériques.

 

 

 

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