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Dans les coulisses du boom de la littérature en ligne chinoise

vendredi 22 décembre 2017 à 21:07

Photographie du domaine public via Pixabay.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en chinois.

En Chine, le marché du livre électronique explose. D’après les estimations officielles, en juin 2017, environ 90 % des 353 millions de lecteurs utilisaient leurs téléphones portables pour accéder à la littérature sur Internet. Grâce à la popularité de cette dernière, de nouveaux auteurs peuvent présenter leur travail à un public grandissant. Mais pour certains auteurs et lecteurs, ce nouveau modèle d'édition crée des effets secondaires inattendus et négatifs.

L'un des principaux indicateurs de l'explosion du lectorat sur Internet est l'augmentation soudaine du cours de China Literature, la plus importante plate-forme de littérature en ligne de Chine et une filiale du géant des télécommunications Tencent. Le cours de l'action de China Literature est monté en flèche à la bourse de Hong Kong après son introduction en novembre 2017.

Avec 9,6 millions de titres créés par 6,4 millions d'écrivains pour une moyenne mensuelle de 192 millions de lecteurs, la société maîtrise environ 70 % du marché de la littérature sur Internet en Chine. Ses genres de prédilection sont la fantasy, les intrigues de palais, l'exploration de ruines, les conspirations et les romans d'amour.

Elle tire ses revenus des paiements des lecteurs mais aussi des droits sur les œuvres les plus populaires, comme “La légende de la concubine Zhen Huan”, “Le secret du pilleur de tombe” et “Le voyage de Fleur”, qui ont été adaptées à la télévision.

China Literature affirme que le marché de la littérature en ligne chinois est devenu l'une des quatre sources de revenus culturels les plus importantes au monde, après les films de Hollywood, les mangas japonais et les séries télévisées coréennes. Cette rhétorique fait du business de la littérature sur Internet un projet national qui démontre le pouvoir commercial de la Chine.

Frénésie autour de la propriété intellectuelle

Les droits d'un roman populaire sur Internet peuvent être vendus pour des millions de yuans, car un grand nombre de fans de fiction garantit la popularité d'une adaptation à la télévision ou au cinéma. En fait, ces dernières années en Chine, les marchés de la télévision et de la vidéo ont été dominés par les adaptations de romans en ligne.

Ainsi, “Le voyage de Fleur” [en], un roman mêlant fantasy et arts martiaux publié sur le site de littérature Jinjiang Wenxue City en 2009, est devenu l'une des œuvres les plus populaires du pays et a ensuite été publié en livre “traditionnel”. Dans ce récit, un dieu et une déesse sont destinés à se tuer, mais ils tombent ensuite amoureux dans l’au-delà. Il est devenu une franchise incluant un jeu vidéo, un film et une série télévisée : celle-ci a été la première fiction en Chine à dépasser les 20 milliards de vues sur Internet.

Ce modèle d'édition exploite-t-il les auteurs ?

Sur China Literature, les auteurs populaires doivent signer un contrat dont les termes en matière de droits d'auteur avantagent la société et reçoivent un guide “d'auto-censure” à suivre.

Les auteurs sous contrat sont payés au mot, suivant un système pyramidal hautement abusif car le taux alloué à un auteur dépend de sa popularité. En 2016, China Literature a rémunéré ses 5,3 millions d'auteurs environ 1 milliard de yuans (soit environ 130 millions d'euros), mais seulement une centaine d'entre eux ont gagné plus d'un million de yuans. La rémunération moyenne est restée en-dessous de 200 yuans (25 euros).

En même temps, ce système n'encourage pas un travail de qualité car les auteurs ont tendance à produire un grand volume de mots pour augmenter leurs revenus. Ainsi, un roman en ligne typique contient environ un million de caractères chinois. Les auteurs de China Literature, eux, ont publié un stupéfiant volume de 41,4 milliards de mots en 2016.

L'écriture est également devenue interactive et soumise à la pression des opinions des lecteurs, qui dictent ainsi le processus créatif. Pour gagner des lecteurs, de nombreux auteurs doivent inventer des intrigues étranges et produire quelques milliers de mots chaque jour, sous peine de voir leur public annuler ses abonnements. Certains suspendent leurs publications car ils sont incapables de poursuivre leur intrigue initiale ou parce qu'ils ne supportent plus la pression.

Un auteur a ainsi exprimé son anxiété sur Twitter :

Je ne suis pas aussi capable que d'autres auteurs de littérature sur Internet. Ils peuvent écrire jusqu’à 10.000 ou même 20.000 mots par jour alors que je ne peux en écrire que 4.000 ou 5.000. Comment devrais-je me punir ?

Une enquête menée par Hu Run Net sur les 85 meilleurs écrivains sur Internet a permis de résumer un certain nombre de caractéristiques que ces auteurs chinois semblent partager :

1. Ils ont 37 ans en moyenne ;
2. Le plus jeune du top 50 n'a que 26 ans ;
3. 65 % des 85 meilleurs écrivains sont des hommes et 35 % des femmes ;
4. En moyenne, chaque écrivain produit 5.000 mots chaque jour, bien que certains peuvent atteindre presque 20.000. La plupart d'entre eux passent plus de 8h à écrire.

Sur Twitter, l'auteure de littérature en ligne @Yolanda_23333 explique que la situation de monopole nuit à la littérature elle-même :

Maintenant, le domaine de la littérature en ligne est hautement monopolisé et tout devient difficile. Le travail est répétitif, il y a trop de plagiat, des problèmes qui continuent de surgir. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir continuer (mon travail) mais je ferai ce que je pourrai pour écrire du mieux possible et éviter tous les tabous. Aujourd'hui j'ai décidé de supprimer mon texte “Sur le point de partir” et de le ré-écrire sous une forme plus longue. J'ai ajouté de nombreuses intrigues secondaires pour enrichir l'originale. Pas certaine que les lecteurs acceptent les changements. Je ne fais que suivre mon cœur.

Le monopole de la littérature sur Internet restreint également le choix des lecteurs. L'un d'entre eux s'en est plaint sur Weibo :

刚刚试图看哈《霍乱时期的爱情》,换了七八个小说阅读器搜了半天都没搜到,很失望,现在的小说阅读器充斥着网络文学,垃圾文学。没有多少能够滋润人们心灵的经典文学,失望,失望,好失望 ​

J'ai essayé de trouver le roman L'Amour aux temps du choléra. J'ai fouillé dans 7 ou 8 applications de lecture mais je n'ai pas réussi à le trouver. Je suis tellement déçu. Maintenant toutes les applications de lecture de romans sont pleine de littérature en ligne, de mauvaise littérature. Il n'y a aucun classique qui puisse enrichir l'esprit des gens. Tellement décevant…

La femme la plus riche d'Afrique limogée de la compagnie pétrolière nationale angolaise

vendredi 22 décembre 2017 à 19:16

Isabel dos Santos, fille de l'ancien président angolais José Eduardo dos Santos. Photo: Youtube, Góis Souza.

Sauf indication contraire tous les liens renvoient vers des pages en portugais.

Depuis son élection en août 2017 [fr] le Président angolais João Lourenço a pris des mesures qui ont surpris la nation. En plus de changer de chef du renseignement militaire, il a également limogé [fr] Isabel dos Santos, fille de l'ex-président José Eduardo dos Santos, de la présidence du Conseil de la compagnie pétrolière nationale Sonangol.

En décembre 2016, Lourenço a remplacé [fr] José Eduardo dos Santos à la tête du parti au pouvoir, le MPLA, et a assumé la présidence du pays après l'obtention de la majorité parlementaire lors des élections d'août.

José Eduardo était au pouvoir depuis plus de 35 ans [fr], une présidence marquée par des violations des droits humains et des restrictions à la liberté d'expression, les journalistes et les dissidents étant souvent visés. Après avoir quitté la présidence, José Eduardo continue d'être leader du MPLA et, après les dernières élections, il a rejoint le Conseil de la République, un organe consultatif du président dont les membres jouissent de l'immunité juridique, ce qui amène plusieurs observateurs à conclure qu'il continue de régner en coulisses.

Cependant, ces suppositions sont maintenant remises en doute à la lumière des récentes décisions de Lourenço, qui semble tenter de consolider son autorité sur le parti.

Carlos Saturnino a été nommé pour remplacer Isabel dos Santos. Saturnino a présidé le conseil de la Sonangol avant d'être révoqué et remplacé par Isabel dos Santos en juin 2016, sur les ordres de son père. En plus d'Isabel dos Santos, toute l'équipe du conseil d'administration de l'entreprise a été licenciée par Lourenço.

Est-ce la fin d'une époque?

En 2013, Isabel dos Santos a été identifiée par le magazine Forbes comme la femme la plus riche d'Afrique [en] estimant sa fortune personnelle à environ 4,5 milliards de dollars américains. Actuellement, elle est la plus grande actionnaire d'Unitel, le principal opérateur de téléphonie mobile du pays, et de la chaîne de télévision locale Zap. Elle est également impliquée dans NOS, un géant des télécommunications au Portugal, et a des investissements dans des banques internationales.

En Angola, nombreux sont ceux qui spéculent sur la signification du limogeage d'Isabel dos Santos. Rafael Marques, journaliste et activiste local très estimé, pense que sa carrière professionnelle est terminée sans Sonangol :

A Isabel dos Santos, agora sem a Sonangol, está acabada, porque todos os portugueses que a apoiavam e que faziam as suas relações públicas, e inclusivamente a imprensa, surgiam em função do poder que ela derivava do seu pai. Sem isto a Isabel não vai conseguir manter os seus negócios, porque são negócios que foram sempre mamar do Estado e que não obedecem a critérios de boa gestão. São negócios que se tornaram sorvedores dos fundos públicos em Angola.

Isabel dos Santos, maintenant sans Sonangol, est finie parce que tous les Portugais qui la soutenaient et conduisaient ses relations publiques, y compris la presse, étaient là à cause du pouvoir qu'elle tirait de son père. Sans cela, Isabel ne pourra pas maintenir ses affaires, car ce sont des entreprises qui ont toujours été soignées par l'État et qui ne respectaient pas les normes de bonne gouvernance. Ce sont des entreprises qui sont devenues dépendantes des fonds publics angolais.

Viana TV a demandé à des Angolais leur avis sur l'affaire. Pour Cristina Correia, c'est un jour véritablement historique :

Mais uma data inesquecível para os Angolanos, 11 de Novembro dia da independência, 15/de Novembro adeus a família Dos Santos. Ficará na História.

Encore une date inoubliable pour les Angolais, le 11 novembre le jour de l'indépendance, le 15 novembre, adieu à la famille Dos Santos. Il restera dans l'histoire.

Pour Leonel Mateus, l'affaire n'est rien d'autre qu'une persécution politique :

Só isso não basta, estas exonerações até parece perseguição as pessoas. Se estão a ser exoneradas por algum acto ilícito também devem responder julgamento.

Cela seul ne suffit pas, ces licenciements semblent même être de la persécution personnelle. S'ils sont licenciés pour un acte illégal, ils doivent également répondre devant un tribunal

Il y a ceux qui ne voient aucun changement réel si une responsabilité concrète n'est pas recherchée :

Isso não muda em nada a minha vida e nem mudou em nada as condições do país…Esse Jlo (João Lourenço) só está preocupado em exonerar e responsabilizar que é bom nada…tudo treta.

Cela ne change rien dans ma vie ni dans la situation du pays … Ce Jlo (João Lourenço) ne s'occupe que de licencier et de blâmer, ce qui n'est pas bon du tout … ce n'est qu'un truc.

Pedro Emanuel Ferreira s'est dissocié des approbations sur le licenciement d'Isabel dos Santos et a déclaré qu'il y avait des raisons d'être fier de la fille de l'ancien président :

Falaram tanto, porque fez bem de sair a Isabel, agora vão ler o trabalho que ela fez durante o pouco tempo como PCA da SONANGOL.
Angolano às vezes ri, festeja, atira pedra, sem saber realmente o que está a passar lá dentro.

Para mim, o que me importa não é se a Isabel e filha do Ex-presidente se está a trabalhar deixa trabalhar, quantos entraram e desfalcar, que ninguém abriu a boca, por ela ser quem é Uma Exoneração parece um festival da paz todo mundo ri.
Então ela por si própria mostrou trabalho, através dos números.

Ils parlent tellement, parce que c'était bon de faire partir Isabel, maintenant ils vont regarder le travail qu'elle a fait pendant son peu de temps de PDG de SONANGOL. Les Angolais tantôt rient, tantôt fêtent ou jettent des pierres, sans vraiment savoir ce qui se passe à l'intérieur.

Pour moi, ce qui est important, ce n'est pas qu'Isabel, la fille de l'ex-président t, combien sont venus et ont détourné des fonds, sans que personne n'ouvre la bouche à cause de ce qu'ils sont. Un renvoi limogeage semble être une fête de la paix, tout le monde rit.
Elle, cependant, elle a eu des résultats, selon les chiffres.

Un fait curieux est qu'Isabel dos Santos a lancé une marque de bière quelques jours plus tard en Angola, ce qui a conduit certains à penser que c'était une façon de détourner l'attention de son limogeage. Ceci a incité Yuri Aiss à commenter :

Um dos métodos mais rápido para destruir a sociedade Angolana, ela até já conhece o ponto fraco dos Angolanos

L'une des méthodes les plus rapides pour détruire la société angolaise, elle connaît déjà le point faible des Angolais

Pour leur part, les partis d’ opposition ont déclaré que ce renvoi était une bonne décision et qu'il était accueilli favorablement :

A UNITA, maior partido da oposição, considera a exoneração de Isabel dos Santos do cargo de presidente do Conselho de Administração da Sonangol “normal” e a CASA-CE, a segunda mais importante força política da oposição no Parlamento, aponta a decisão do Presidente da República como “bem-vinda”.

L'UNITA, le plus grand parti d'opposition, considère le licenciement d'Isabel dos Santos du poste de président du Conseil d'administration de la Sonangol comme “normal” et la CASA-CE, la deuxième force d'opposition politique au parlement, a qualifié la décision du Président de la République de “bienvenue”.

#TogoDebout: Les démonstrations populaires contre le Président Gnassingbé persistent depuis plusieurs mois dans l'indifférence du monde extérieur

vendredi 22 décembre 2017 à 14:42

Capture d'écran de la vidéo de #TogoDebout de Bill Emile Davolk sur YouTube

Après les grandes manifestations contre le président Faure Gnassingbé d’août et de septembre, des milliers de Togolais ont une nouvelle fois manifesté dans la rue suite à l’appel d’une coalition de quatorze partis d’opposition.  Faure Gnassingbé est au pouvoir au Togo depuis 2005. Il succède à son père Gnassingbé Eyadema qui a été président de 1967 à 2005. Le régime de Gnassingbé Eyadéma avait été mis à l'index par les organisations de défense des droits de l’homme pour avoir exécuté des centaines de personnes et jeté leur corps à la mer après la proclamation des résultats de l'élection de 1998.

La montée des tensions au Togo remonte à la mi-août lorsqu'une nouvelle coalition de militants de l'opposition a déclaré une action de protestation nationale conjointe. Les manifestations exigeaient l'imposition de limites aux mandats à la présidence et de facto, une fin de la «dynastie Gnassingbé». Ces événements ont rapidement submergé la police qui, avec les milices pro-gouvernementales, ont utilisé des méthodes violentes pour disperser les manifestants causant la mort de plusieurs manifestants, notamment à Sokodé.

De nombreux activistes Togolais essayent d'alerter la communauté internationale sur la situation au Togo. Ainsi Farida Nabourema, activiste Togolaise des droits de l'homme publie de nombreux updates sur la situation au Togo comme celles-ci:

Pour mieux comprendre le contexte de cette crise persistante au Togo, nous avons interviewé Sylvio Combey (SC), journaliste togolais et Yawa Degboe (YD), togolaise anciennement analyste des médias,  sur la situation au pays:

Global Voices (GV): Les manifestations au Togo ont commencé depuis août 2017. A votre avis, quelles sont les causes profondes de cette colère?

Yawa Degboe (YD): Les trois pays limitrophes du Togo (le Ghana, le Bénin, et le Burkina Faso) ont tous connu des transitions politiques ces dernières années. Le vent a tourné dans la région et pourtant il n'a pas encore soufflé au Togo. Ceux ne sont pourtant pas les tentatives qui ont manquées. De nombreuses personnes sont mortes au cours des années pour défendre des idéaux démocratiques et exiger l'alternance du pouvoir mais rien n'y fait. Je pense sincèrement que la décision de la Cour Suprême du Kenya au mois d’août dernier de demander un second vote présidentiel pour des raisons d'irrégularités dans le processus électoral a donné un nouveau souffle et de l'espoir au mouvement actuel au Togo. L'accumulation du pouvoir au sein d'une même famille politique a des impacts énormes et dévastateurs en terme de partage des richesses entre les habitants. D’après moi, ceux sont là les raisons profondes de la colère de la population togolaise.

Sylvio Combey (SC):En réalité, les manifestations n'ont pas commencé en août 2017 mais bien avant. Par contre, elle se sont amplifiées et pris une tournure imposante en août avec l'appel lancé par le Parti National Panafricain Les causes profondes sont liés à des problématiques de gouvernance. Le Togo est gouverné par une seule famille depuis 1967. Feu Gnassingbé Eyadema a fait 38 ans au pouvoir et on fils a fait maintenant 12 ans au pouvoir. Cela obligerait le président actuel a quitté le pouvoir. C'est aujourd'hui le point d'achoppement principal.

GV: La crise dure depuis quelques mois. Comment cette situation est-elle vécu par les Togolais ? Il-y-a-t-il eu des représailles des forces de l'ordre ? Et il y a -til une crainte que les mainfestations dégénèrent ?

YD: Il y a des scènes de violences dans les rues par des milices, des soldats aux ordres de je-ne-sais-qui. Beaucoup d'information circulent sur WhatsApp ou les réseaux sociaux. On peut y voir des gens blessés, morts, des milices poursuivant des manifestants dans les rues. Mais a l'heure des ” Fake News” et de la désinformation, je prend tout cela avec autant de recul que possible. La diaspora reçoit des informations par les quelques médias qui relaient les nouvelles africaines ou les proches. Chacun doit faire le tri et identifier quelles sources d'information sont fiables.  Ce que je sais, c'est que à l'heure actuelle, des togolais souffrent dans l’indifférence générale et que cela fait trop longtemps que ça dure.

SC: Cela fait des années que la situation au pays est difficile à digérer pour les Togolais. Les manifestations du 19/08 ont été réprimées avec force provoquant de nombreux blessés. De plus, de nombreux manifestants ont été emprisonnés et n'ont été relâchés qu'après plusieurs efforts de médiations de la société civile et des ambassades. En novembre 2017, des milices que le gouvernement appelle des comités d'auto-défense ont été mandaté pour mener les représailles contre les manifestants. La montée des violences a été évoqué par le gouvernement pour suspendre le droit de manifester mais cela a amplifié la colère de l'opposition. Il a fallu une médiation intense grâce au Ghana, à la Guinée et d'autres ambassades pour que les manifestations puissent reprendre et éviter un autre déferlement de violence.

GV: Il y a-t-il eu un impact économique ou social sur le fonctionnement du pays ?

YD: Compte tenu de la situation économique du pays, les personnes qui manifestent sont majoritairement dans l’économie informelle, sans emploi,ou étudiants. Un salarié ne prendra pas la journée ou quelque heures pour aller manifester car il n'est pas garanti que le poste qui lui permet de nourrir sa famille et de subvenir a ses besoins l'attendra encore a son retour. Donc les entreprises tournent, certaines choses sont faites mais l’économie tourne au ralenti.

SC: La crise actuelle a eu une forte incidence économique et sociale. La circulation est forcément ralentie lors des manifestations ce qui a un impact sur les activités des taxis, transports et le commerce en général. Les commerçants dans les centre-villes subissent aussi un ralentissement de leurs activités.

GV: La constitution prévoit-elle une décision sur les candidats pour les élections prochaines ?

SC: Il n'existe pas de limitations dans la constitution en vigueur. La constitution a été modifiée à plusieurs reprises. Celle qui a été voté par la majorité des Togolais en 1992 a été amendée par une assemblée nationale favorable au président en 2002. Les manifestants veulent revenir à celle de 1992 qui stipule que nul ne peut faire plus de 2 mandats.

YD: Sincèrement, je ne sais plus ce que prevoit la constitution. Elle a ete changee, malmenee ou reinterprete tellement de fois que je ne m'y fis plus. Le peuple togolais doit créer ses propres règles.

GV: Selon vous, quelles sont les issues possibles à cette crise ?

YD:  Il y a 2 scénarios possibles: le status quo ou le changement.
En 2005, lors de la mort du Président Gnassingbe Eyadema, le père du president actuel, il y a eu de nombreuses manifestations menées par les Togolais à travers le monde pour exiger un changement politique. Rien n'y a fait. Le status quo a gagné et le fils a succédé au père. Apres la chute de l'ancien président Blaise Compaoré au Burkina Faso, j'ai eu la chance d'avoir un entretien avec l'Ambassadeur Charles R. Stith qui dirigeait l'ancien Centre d'Etudes des Présidences Africaines à Boston University. Lorsque je lui est posé des questions sur les transitions politiques en Afrique de l'Ouest, il a dit ” le pouvoir est une séductrice et une fois qu'elle vous embrasse, il est difficile de tourner la tète.  Il est très difficile de rester au pouvoir plus de 8 à 10 ans et encore avoir quelque chose à contribuer”. Le status quo est très tentant mais nous sommes a un point ou le Togo a besoin de changement. Le changement peut prendre plusieurs formes. Les différentes transitions politiques au Ghana, Benin, Burkina Faso, Kenya ou plus récemment au Zimbabwe nous montre plusieurs modèles. C'est au pouvoir en place de décider quelle voie il décide d'emprunter.

SC: Il faut aller au dialogue mais un vrai dialogue constructif. Plusieurs tentatives de dialogues ont abouti à rien auparavant car aucun accord n’ a été respecté. Il faudra aboutir à un accord signé par tous les partis et une recommandation gouvernementale pour l'implémentation de ces accords.

GV: Il y a -t-il un aspect méconnu du grand public sur la situation au Togo que tu aimerais que les gens hors du Togo connaissent pour comprendre la situation ?

YD: Des gens meurent et souffrent et cela dure non pas depuis le mois d’août mais depuis des années. Quand je rentre au pays, je peux voir de mes propres yeux la dégradation de la situation économique de la population et la concentration de la richesse dans les mains de quelques uns. Je n'ai pas besoin de statistiques économiques pour le constater. Et cela fait mal, parce que sur le papier, le Togo a tous les atouts pour prospérer. C'est un pays avec des richesses considérables sur seulement 57,000 km2 et 7.6 millions d'habitants. A l’époque de mes parents, le Togo était connu comme “la Suisse de l'Afrique”. Ma génération n'a jamais connu cette époque. Malgré tout, la population togolaise est assez résiliente et religieuse dans son ensemble. Une phrase ironique a circule ces dernières semaines après la chute du Mugabe au Zimbabwe: ” On prie pour le Togo, et Dieu répond au Zimbabwe.”

Pakistan : A l'approche de Noël, un attentat-suicide à la porte d'une église fait neuf morts et de nombreux blessés à Quetta

jeudi 21 décembre 2017 à 14:36

Manifestation de la minorité chrétienne du Pakistan contre un attentat visant des correligionnaires à Lahore en 2013. Photo Rajput Yasir. Copyright Demotix (10/3/2013)

Dimanche 17 décembre 2017, une bombe a explosé aux portes de l'église méthodiste Bethel Memorial à Quetta, au Pakistan. L'attentat a eu lieu pendant que les fidèles assistaient au service, et a fait neuf morts et une cinquantaine de blessés.

Selon les articles de la presse, un des deux attaquants qui tentaient d'entrer par la grande porte a été abattu par la police avant de pouvoir pénétrer dans l'édifice. Deux autres assaillants qui tentaient d'entrer par la porte arrière sont toujours recherchés. L'attentat a eu lieu à une semaine de Noël, et a secoué la communauté chrétienne au Pakistan. L’État islamique a revendiqué la responsabilité de l'attentat.

Condamnations de l'attentat et expressions de solidarité avec les familles des victimes se sont multipliées sur les médias sociaux. Sur Twitter, l'internaute Dua Fatima Khan a condamné l'attaque :

Je condamne vigoureusement l'attentat terroriste de Quetta. Mes pensées sont avec les familles des décédés et mes prières avec les blessés.

Le journaliste Mehr Tarar a tweeté :

Prières et condoléances du fond du cœur aux familles de tous ceux qui ont été tués dans l'attaque d'une église à Quetta.

En réaction à ces attentats terroristes, les gens ont une fois de plus exprimé leur soutien à la mise en œuvre du Plan National d'Action (NAP), proposé en 2015 pour combattre le terrorisme. Ce plan a été déclenché après la tragédie de l’École militaire de Peshawar, Pakistan, où 149 personnes, pour la plupart des enfants, ont été massacrées.

Lire aussi : Un mois après, les Pakistanais promettent de ne jamais oublier le massacre de l'école de Peshawar

Le cinéaste Rehan Khan critiqué le gouvernement sur Twitter :

Nouvel attentat. Nouvelle série de condamnations. Aucune trace du Plan National d'Action. #Quetta
Pas d'accalmie du terrorisme.
Sincères condoléances à ceux qui ont perdu leurs proches.

L'acteur Hamza Ali Abbassi a appelé le gouvernement à agir :

#Quetta Les ennemis du Pakistan et de l'humanité attaquent tout ce qu'ils peuvent, écoles, marchés, hôtels, mosquées, sanctuaires et églises ! Prières pour les défunts. Ma seule question au gouvernement est : les forces de l'ordre ne peuvent pas à elles seules éliminer le terrorisme. QUAND ALLEZ-VOUS APPLIQUER LE PLAN NATIONAL D'ACTION ?

Le journaliste indépendant Syed Hussain a tweeté une photo de clercs de toutes confessions montrant leur solidarité avec la communauté chrétienne :

Les chrétiens et les chefs religieux des autres confessions participent à un service pour les victimes d'un attentat-suicide dans la cathédrale du Sacré-Coeur à Quetta

La protection des minorités au Pakistan

Les chrétiens comptent pour environ 1,6 pour cent des 200 millions de Pakistanais, et subissent les discriminations depuis de nombreuses années. Un des attentats les plus meurtriers du Pendjab a eu lieu à Lahore à Pâques en 2016 et a provoqué la mort de plus de 70 personnes, dont de nombreux enfants.

L'imam Tawhidi a tweeté :

Je me suis réveillé sur les images de jeunes enfants tués à Quetta pour la seule raison qu'ils sont chrétiens. Le ciblage des chrétiens au moment de Noël n'a rien de neuf, et pourtant le gouvernement islamique du Pakistan n'a aucun plan réaliste de sécurité et de protection pour les minorités religieuses.

Le journaliste et militant Musharraf Zaidi a tweeté :

Septembre 2013, église de Tous les Saints à Peshawar
Mars 2015, église de Youhanabad à Lahore
Mars 2016, Samedi saint au parc Gulshan Iqbal à Lahore
Aujourd'hui, Quetta…
Que quelqu'un m'explique comment nous protégeons nos frères et sœurs chrétiens…

La persécution des minorités religieuses n'est pas une nouveauté au Pakistan : depuis 2015, plus de 200 personnes ont été tuées et plus de 300 blessées dans de tels attentats.

Dernièrement, la discrimination contre les minorités est aussi apparue dans la sphère gouvernementale. Un militaire à la retraite, le capitaine Muhammad Safdar Awan, actuellement député à l'Assemblée Nationale, a demandé que le Département de Physique de l'Université Quaid-e-Azam, qui porte le nom du Prix Nobel Adbus Salam, soit renommé. Comme le Dr. Salam [décédé en 1996] appartenait à la minorité musulmane de l'Ahmadisme, cette requête de changement d'appellation a été ressenti par certains un acte de discrimination contre cette communauté.

Pour les minorités au Pakistan, l'attentat de Quetta est un nouveau rappel : tant que la haine et l'intolérance religieuse ne seront pas prises à bras-le-corps, elles ne pourront pas pratiquer leur droit fondamental à la liberté religieuse sans crainte de le payer de leur vie.

Incertitude politique en Éthiopie alors que les manifestations s'étendent

jeudi 21 décembre 2017 à 13:30
 Des étudiants à Nekemte, une ville de l'ouest de l'Ethiopie, en deuil pour les personnes tuées à Chelenko, photo utilisée avec permission

Des étudiants à Nekemte, une ville de l'ouest de l’Éthiopie, en deuil des personnes tuées à Chelenko, photo utilisée avec permission

Au moins 15 personnes ont été tuées le 11 décembre 2017, lorsque des membres des Forces de défense éthiopiennes ont tiré sur des manifestants pacifiques. La manifestation était motivée par l'assassinat d'un citoyen par des membres des forces de sécurité de la région somali en Éthiopie, dernier chapitre d'un conflit frontalier [fr] de longue date entre les deux plus grands États fédérés éthiopiens: Oromia et Somali à l'est du pays.

Selon les rapports des autorités locales, une personne est décédée après avoir été transférée à l'hôpital après la charge policière, et plus de 12 ont été blessées dans les violences qui ont débuté à Chelenko, une ville de l'est de l'Oromia :

Comme des journalistes ont réussi à obtenir plus de détails, cette information de la BBC en Afaan Oromoo indique que cinq personnes de la même famille étaient parmi les victimes de Chelenko à Hararghe, Est de la région Oromia, qui ont été abattues lundi par les forces de défense nationales.

Des récits sur les médias sociaux ont révélé que des membres des Forces de défense éthiopiennes ont tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques. Le gouvernement éthiopien a publié une déclaration tardive sur l'incident, mais dans un geste inhabituel, le parti qui gouverne l’État d'Oromia – l'Organisation démocratique du peuple oromo (OPDO), membre de la coalition gouvernementale éthiopienne, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF)- a publié une vibrante déclaration accusant les membres des Forces de défense éthiopiennes de violer la Constitution éthiopienne, et promettant d'enquêter sur le meurtre de manifestants pacifiques :

Dans un communiqué de presse unique, le bureau régional de communication d'Oromia fustige le Premier ministre Hailemariam et les forces de défense pour avoir causé le massacre de Chelenqo. Le bureau a appelé les forces de sécurité de la région d'Oromia à se préparer à tout type de sacrifice.

Certains observateurs estiment que la déclaration est purement symbolique. D'autres y voient un signal de la lutte pour le pouvoir au sein de la coalition gouvernementale multiethnique, l'EPRDF, qui comprend quatre partis ethniques : le Front de libération du peuple tigréen (TPLF), l'Organisation démocratique du peuple oromo (OPDO), l'Amhara Mouvement Démocratique National (ANDM) et le Mouvement Démocratique Populaire du Sud Éthiopien (SEPDM) :

La coalition fictive du TPLF EPRDF en désarroi — l'OPDO a quitté la réunion du CC, et l'ANDM a également suivi aujourd'hui. Cette machination du TPLF est certainement à bout de souffle. Le TPLF doit partir ! Le pays a besoin d'une transition ordonnée avant qu'il ne soit trop tard.

La lutte de pouvoir entre les quatre partis gouvernementaux de l'EPRDF couve depuis l'été dernier. La dispute entre l'Organisation démocratique du peuple oromo (OPDO) et le Front de libération du peuple tigréen (TPLF) a été révélée lorsque Abdula, le président du Parlement éthiopien et membre éminent de l'OPDO, a démissionné [fr] de son poste en octobre :

L'apartheid du TPLF comme propagandiste du régime reformule la définition anglaise d'une “grande minorité”. Pour paraphraser un fameux dicton, “deux choses sont infinies : l'univers et la stupidité du TPLF; et je ne suis pas sûr pour l'univers”.

Le pouvoir est fortement concentré entre les membres du TPLF. Cependant, il y a une certaine crainte que si l'OPDO continue dans cette voie, il cherchera à se défendre en utilisant des armes, ce qui pourrait plonger l'Éthiopie dans une guerre civile qui fera que le conflit actuel semblera juste du rififi :

Les dirigeants du TPLF qui gouvernent l’Éthiopie devraient sérieusement envisager de demander une médiation du gouvernement américain pour organiser une conférence entre tous les partis pour définir un nouveau cadre démocratique – avant que la loi et l'ordre ne s'effondrent complètement.

Malgré le fait que les Oromo et les Somalis qui vivent le long de la frontière, s'étendant sur 1 000 km, entre les États de ces deux ethnies entretiennent des liens familiaux, religieux et culturels étroits, les tensions y sont fortes. Une répression brutale de la communauté oromo vivant dans la région somalienne d'Éthiopie a déclenché une catastrophe humanitaire massive dans l'est de l'Éthiopie. À ce jour, environ 50 000 Oromos ont fui [fr] vers la ville historique d'Harar depuis le mois d'août dernier.

Des manifestations ont également fait rage ailleurs en Éthiopie. Un affrontement entre les supporters de deux clubs de football des États du nord de l'Éthiopie, Amhara et Tigray, a entraîné la mort d'un fan de Tigray, ce qui a provoqué des épisodes de violence dans trois universités des États d'Amhara, d'Oromia et du Tigray. La semaine dernière a vu une nuit particulièrement violente à l'université d'Adigrat (située dans la région de Tigray), où un étudiant de la région d'Amhara a été tué. Des images horribles de la victime sont ensuite devenues virales sur les médias sociaux :

Incertitude politique en Éthiopie alors que de nouvelles manifestations d'Oromos se sont propagées en réponse aux massacres de civils soutenus par l'État en Oromia et aux affrontements entre étudiants dans certaines parties de l'État d'Amhara.

Dans ce qui semble être des représailles, deux étudiants du Tigré auraient été tués à l'université de Welega, située dans la région d'Oromia. Le nombre d'incidents et de blessés, comme celui des personnes impliquées et le caractère ethnique du conflit des derniers jours, ont soulevé la perspective d'une violence encore plus grande en Éthiopie, selon les analystes. Le gouvernement éthiopien qualifie à contrecœur les troubles récents de conflits ethniques, mais il pointe aussi du doigt les activistes et les médias sociaux de la diaspora. Cependant, les groupes d'opposition soutiennent que les politiciens tigréens ont provoqué la violence comme un outil de maintien du statu quo :

Commentant les récents affrontements dans les campus universitaires, il a dit qu'ils étaient différents des revendications précédentes des étudiants qui ont été traitées par le gouvernement. Les récents affrontements ont pris une nette dynamique ethnique et ont abouti aux meurtres d'étudiants, a ajouté le Dr Negeri.

Le 13 décembre, les services Internet mobiles et les services de médias sociaux ont été coupés dans la plupart des régions du pays pour tenter d'éviter l'aggravation de la crise.