PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

En Inde, les électeurs ne se laissent pas décourager par les lacunes sur les listes électorales ou les violences

vendredi 19 avril 2019 à 11:26

La participation plus élevée donne de l'ampleur aux élections

Une machine de vote électronique utilisée pour les élections générales indiennes de 2019 – En regard de chaque nom de candidat et symbole de parti sur la machine, se trouve un bouton bleu. Arrêt sur image de la vidéo sur YouTube de LatestLY.

Le 14 avril 2019, la plus grande démocratie du monde a commencé à voter pour l'élection aux sièges de la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement de l'Inde. Ce scrutin est crucial puisqu'il déterminera l'identité du parti de gouvernement, et au final le choix du Premier ministre de l'Inde.

Les 36 Etats et territoires variés qui forment l'Union indienne sont invités à voter en plusieurs phases, chacun ayant droit à un nombre différent de sièges en fonction de leur taille. Ceux qui ont voté dans cette première phase étaient les circonscriptions de la Lok Sabha de l'Andhra Pradesh avec 25 sièges, du Telangana avec 17, et de l'Uttarakhand avec 5. L'Arunachal Pradesh, le Jammu-et-Cachemire et le Meghalaya sont aussi entrés dans cette première phase des élections, avec deux sièges de représentants soumis au vote pour chacun. Enfin, le Manipur, le Mizoram, le Nagaland, le Sikkim, le Tripura, le Chhattisgarh, Andaman-et-Nicobar et Lakshadweep ont voté chacun pour un siège, tandis que sept sièges étaient attribués au Maharashtra. Au total, 91 circonscriptions faisaient partie de cette première phase.

Lire : Tout ce qu'il faut savoir sur les élections générales de 2019 en Inde [EN]

Au premier jour de l'élection, la participation est apparue élevée dans certains Etats, avec le Tripura du Nord-Est enregistrant la participation la plus forte, de 81,8 % pour sa circonscription unique. Le Jammu-et-Cachemire a enregistré une participation de 54,4 % pour ses deux circonscriptions, le taux a été de 50 % au Bihar en quatre circonsciptions, de 57,8 % dans l'Uttarakhand, de 60% au Telangana et de 66 % dans l'Andhra Pradesh. l'Etat-clé de l'Uttar Pradesh avec la plus grande circonscription a enregistré une participation de 64 %.

Température : 4°C. Et voyez l'énorme participation dans cette zone de haute altitude du 21-Gnathang Machong,  Sikkim oriental. Bravo !!

La commission électorale a déclaré qu'à part quelques incidents, le vote s'est déroulé dans le calme. Il y a eu toutefois quelques incidents qui ont entravé le droit de vote des citoyens.

L'Andhra Pradesh a signalé un affrontement violent et des défaillances de machines à voter électroniques qui ont empêché le processus électoral en entier et fait deux morts et 4 blessés.

Affrontement violent dans la circonscription de Kurnool, Allagadda. Il semble que TDP et YSRCP ne disputent pas une élection mais du prestige et une bataille d'agir ou périr dans les élections 2019 de l'Andhra Pradesh

Les deux princiaux partis politiques qui se sont affrontés dans l'Andhra Pradesh étaient le parti Telugu Desam et le parti du Congrès YSR. Le vote a pris une tournure violente quand le YSRC a accusé le TDPde truquer les machines à voter. Alors que de nombreux votants signalaient des machines défectueuses, les deux partis ont commencé à s'en rejeter mutuellement la faute. L'escalade a déclenché des affrontements qui ont été observés dans les villages de Kotha Veerapuram et T Sadum. A Veerapuram, la police a dû charger aux lathi pour disperser la foule, tandis que des renforts ont été amenés pour contrôler la situation. L'affrontement s'est terminé tragiquement : les dirigeants politiques locaux Chinta Bhaskar Reddy du TDP et K Pulla Reddy du YSRC ont succombé à leurs graves blessures. D'après un reportage du New Indian express, un site d'informations en ligne, un employé du YSRC est également mort dans le village de T Sadume.

L'Andhra Pradesh n'a pas été le seul Etat à connaître des perturbations. Des engins explosifs improvisés ont explosé dans le district de Gadchiroli du Maharashtra. La zone a un passé de heurts naxalistes et deux de ces dispositifs ont explosé, l'un le mercredi veille du vote, et l'autre le jour du scrutin. Celui de la veille du vote a détonné pendant une visite d'officiels au bureau de vote sous la protection de la Force de réserve centrale de police (CRPF).

Le bataillon du CRPF de retour du bureau de vote essuie des tirs à Gadchiroli dans le Maharashtra, la troupe riposte

Un Jawan du CRPF a subi des blessures selon des informations. Le jour du scrutin, un autre engin a explosé à 150 mètres du bureau de vote où les gens faisaient la queue. Aucune victime n'a été signalée.

A Hyderabad, la capitale de l'Etat sud-central du Telangana, de nombreux électeurs ont été refusés dans les bureaux de vote car leurs noms étaient introuvables sur la liste électorale. Ces électeurs se sont sentis frustrés de l'exercice de leur droit de vote et sont repartis bredouilles. Parmi eux se trouvaient des dirigeants du monde des affaires comme Shobana Kamineni, vice-présidente d'Apollo Hospital, et RC Bhargava président de Maruti Suzuki.

Ma maman Shobana Kamineni n'a pas pu voter aujourd'hui. Elle a vérifié il y a 10 jours et son nom était sur la liste ! A présent il a disparu ! Elle paye des impôts ! Elle ne compte pas ? Elle n'est pas considérée comme une citoyenne indienne ?

Arvind Kejriwal, le Ministre en chef de Delhi, a tweeté :

Des électeurs radiés à grande échelle

Ces incidents mis à part, la participation électorale paraît avoir donné son ampleur à la consultation. Le Bengale occidental a aussi rapporté  le taux de participation le plus élevé avec 81 %. L'Andhra Pradesh a prolongé jusque tard l'ouverture des bureaux de vote à cause des machines électroniques défaillantes qui ralentissaient les opérations. Dans toutes les circonscriptions, plus de 50 % des électeurs en règle ont voté. Les citoyens ont pris part à diverses initiatives pour encourager à voter. Certains l'ont fait sur Twitter.

En tant qu'Indiens, ce n'est pas seulement notre droit mais aussi notre devoir de donner notre vox aux bons représentants pour conduire la plus grande démocratie du monde. Si vous ne l'avez pas encore fait, votez maintenant !

Cher Narendra Modi, J'ai usé de mon droit démocratique de participer à cette fête de la démocratie. Vous nous avez appelé à voter Kar, c'est ce que nous venons de faire.

Dans l'Etat du Tamil Nadu, les gens ont même formé une chaîne humaine pour encourager plus d'électeurs à aller voter.

Tamil Nadu : Plus de 3.000 personnes forment une chaîne humaine au pont marin de Pamban à Rameswaram pour étendre la sensibilisation électorale jusqu'à 100 % de participation dans la circonscription de Ramanathapuram de la Lok Sabha.

La phase suivante de l'élection commence le 18 avril, et sera suivie de plusieurs autres à partir des 23 et 29 avril, 6, 12 et 19 mai, avant que l'Inde sache qui sera choisi Premier ministre. Le comptage des voix est attendu pour le 23 mai.

Au Liban, au cœur de la campagne pour stopper un projet de barrage financé par la Banque mondiale

jeudi 18 avril 2019 à 10:54

Les contestataires refusent de se taire devant les risques multiples.

Les forces armées pénètrent dans la vallée de Bisri pour contrer les manifestants le 24 mars 2019. Photo de “Save the Bisri Valley”. Utilisation autorisée.

Un groupe de militants et de contestataires se définissant eux-mêmes comme la campagne Save the Bisri Valley [sauvez la vallée de Bisri] s'organise et fait front à la construction d'un barrage dans la vallée de Bisri au Liban. Le barrage de Bisri est un projet principalement financé par un prêt de la Banque mondiale.

Le groupe a récemment interrompu une conférence donnée par le vice-président de la Banque mondiale à l'université américaine de Beyrouth.

إحتجاج خلال محاضرة نائب رئيس البنك الدولي

طلاب الجامعة الأمريكية في بيروت وبعض الناشطين والأهالي يحتجّون على مشروع سد بسري خلال محاضرة لنائب رئيس البنك الدولي.
#أنقذوا_مرج_بسري

Posted by ‎Save the Bisri Valley أنقذوا مرج بسري‎ on Wednesday, 27 March 2019

“Vous et votre projet n'êtes pas les bienvenus ici,” a déclaré une militante au vice-président en anglais. Elle a alors continué en arabe :

You come to us and patronize us and say that you explained [the dam] to the Lebanese people [but] there are numerous campaigns against the Bisri dam. It is you who are closing your ears and it is you who don't want to hear the people. Your papers and studies were all opposed by other papers and studies. But you don't want to hear anyone. This is your choice because you want to apply your private project. We are against your project, and against everything the World Bank is doing in Lebanon!

Vous venez, vous nous prenez de haut et dites que vous avez expliqué [le barrage] aux Libanais [mais] de nombreuses campagnes existent contre le barrage de Bisri. C'est vous qui faites la sourde oreille et c'est vous qui ne voulez pas entendre les gens. Vos articles et vos études ont tous été battus en brèche par d'autres articles et d'autres études. Mais nous ne voulez entendre personne. C'est votre choix car vous souhaitez mettre en œuvre votre projet privé. Nous sommes contre votre projet, et contre tout ce que la Banque mondiale fait au Liban !

Roland Nassour, coordinateur et coorganisateur de la campagne Save the Bisri Valley, affirme que le but de la démarche est de “contester la politique de l'eau malavisée et destructrice de la Banque mondiale au Liban.”

Selon lui, la construction du barrage n'a pas encore démarré mais devrait débuter d'ici quelques mois.

“La plupart des terres ont fait l'objet d'une expropriation et le maître d’œuvre se prépare à commencer le travail sur le site parallèlement aux fouilles archéologiques,” continue Roland Nassour.

Le barrage constitue une menace à différents niveaux

La campagne, qui communique essentiellement via sa page Facebook, s'oppose au barrage pour plusieurs raisons.

D'après la campagne, le barrage fait peser un danger sur l'environnement, la santé publique, le patrimoine historique et culturel et l'agriculture. Le barrage va également appauvrir les habitants de la région qui dépendent des terres fertiles de la vallée et les forcer à déménager. Il va créer un mur entre les habitants de la zone à cause du lac artificiel qui sera construit entre eux.

En outre, le prêt accordé par la Banque mondiale va aggraver la dette publique du Liban. Selon le Fonds monétaire international, le pays a l'un des ratios dette publique/produit intérieur brut les plus élevés au monde (157,8%).

De même, le groupe soutient que le barrage sera sous la menace de cyanobactéries qui infectent déjà le lac Qaraoun dans la vallée de Bekaa dans l'est du Liban. Faire se mélanger l'eau de la vallée de Bisri et l'eau du barrage de Qaraoun, qui devrait aussi être envoyée dans le Grand Beyrouth, va polluer l'eau et mettre en péril son utilisation comme source d'approvisionnement.

Le 1er avril, la campagne a publié une chanson avec la même mélodie que l'hymne de la résistance italienne “Bella Ciao”. Un grand nombre de personnes ont chanté contre le barrage de Bisri. Un enfant a chanté au début de la chanson : “Nous voulons la nature, nous ne voulons pas la vendre, nous voulons des fleurs, nous voulons des oiseaux, nous voulons des jardins et des champs.”

بدنا محمية طبيعية

ما بدنا سد بمرج بسري ♪♫
بدنا محمية طبيعية ♫♪
#أنقذوا_مرج_بسري

Posted by ‎Save the Bisri Valley أنقذوا مرج بسري‎ on Monday, 1 April 2019

Roland Riachi, chercheur en gestion des ressources naturelles, économie de l'alimentation, politiques de l'eau et justice social et environnementale à l'université américaine de Beyrouth, a déclaré lors un entretien avec le groupe militant libanais Megaphone que le barrage ne pourrait même pas être rempli en raison de la nature poreuse des roches de la région.

مقابلة مع رولان الرياشي

هل السدود حلّ مناسب لأزمة المياه؟

Posted by ‎Megaphone – ميغافون‎ on Tuesday, 12 March 2019

Il a ajouté que la Banque mondiale avait par le passé financé des barrages qui avaient périclité et a également dit que les géologues pensaient que le projet déstabiliserait la région et pourrait provoquer des tremblements de terre. Selon un article écrit par le Dr. V.P. Jauhari :

The most widely accepted explanation of how dams cause earthquakes is related to the extra water pressure created in the micro-cracks and fissures in the ground under and near a reservoir.

L'explication la plus couramment acceptée quant au fait que les barrages provoquent des tremblements de terre est liée à la surpression de l'eau créée par les microfissures dans le sol en-dessous et à côté d'un réservoir.

Mégalomanie, pouvoir et corruption

Interrogé sur la raison pour laquelle le gouvernement persistait dans le projet de barrage, Roland Riachi a répondu que les barrages bénéficiaient à la classe dirigeante libanaise et faisaient office de symboles du pouvoir, comparant la mégalomanie des officiels libanais à celles de leurs homologues sous Mussolini et Franco.

Le 24 mars, une marche d'opposition au projet de barrage dans la vallée de Bisri a été accueillie par des véhicules militarisés des forces de sécurité intérieures libanaises. Roland Nassour assure que les forces armées n'étaient pas là pour protéger le projet lui-même,

…but rather to protect the politicians’ interests that lie behind this dam. Evidence of corruption and conflict of interests has been presented to the relevant authorities but no action has been taken until now.

… mais plutôt pour défendre les intérêts des responsables politiques qui sont à l'origine de ce barrage. Des preuves de corruption et de conflits d'intérêt ont été présentés aux autorités compétentes mais aucune mesure n'a encore été prise.

Mégaphone confisqué

Tarek Serhan, militant et opposant du mouvement You Stink [vous puez], une association écologiste et de défense des droits humains au Liban, s'est vu confisquer son mégaphone lorsqu'il a protesté seul devant le siège de la Banque mondiale dans le centre de Beyrouth.

Il a confié à Global Voices qu'il avait décidé de protester seul en voyant les images des véhicules armés au barrage de Bisri. Il a accusé l’État de choisir “des solutions de facilité” qui ne constituaient rien de plus que des affaires lucratives. Tarek Serhan l'affirme : “Aucune solution sérieuse prenant en considération la santé des citoyens et l'environnement n'est envisagée.”

Après avoir parlé dans son mégaphone pendant presque une heure, il a été menotté par la police et emmené dans un commissariat. On l'a selon lui accusé de troubles à l'ordre public. Les forces de sécurité intérieures lui ont demandé de jurer qu'il ne manifesterait plus mais Tarek Serhan a refusé de signer. Son mégaphone ne lui a pas été restitué.

Quant à Roland Nassour, le coordinateur de la campagne Save the Bisri Valley, il a annoncé que la campagne prenait de l'ampleur et finirait par l'emporter, ajoutant :

The Lebanese are more and more aware of the project's catastrophic impacts.

Les Libanais sont de plus en plus conscients des conséquences désastreuses du projet.

Effluves de révolution : Le remix d'une légendaire étiquette de parfum au Soudan

mercredi 17 avril 2019 à 23:04

Les effluves de Bint El Sudan traversent 100 ans de changements

L'étiquette du parfum Bint El Sudan remixée pour montrer l'image iconique d'Alaa Salah, une manifestante de 22 ans qui a braqué l'attention modiale sur la révolution au Soudan. Image de l'artiste Amado Alfadni, utilisée avec son autorisation.

Le soulèvement au Soudan était en gestation depuis des mois déjà quand l'image iconique d'Alaa Salah, 22 ans, chantant des poèmes et des mots d'ordre de résistance debout sur le toit d'une voiture à Khartoum, la capitale, est devenue virale, attirant l'attention mondiale sur la révolution. Alaa Salah a été comparée à une Statue de la Liberté du Soudan, la Reine de Nubie.

Je vous remercie tous du fond du cœur. La lutte pour un Soudan démocratique et prospère continue. Nous ne nous courberons pas devant Al-Bachir, le dictateur tyran !

La photo originale d'Alaa Salah, prise par une étudiante soudanaise, Lana Haroun, a inspiré les artistes à travers le monde pour exalter la jeune femme comme un symbole de la révolution. L'artiste Amado Alfadni, né et grandi au Caire en Égypte, avec des racines soudanaises, a saisi l'occasion pour remixer l'image avec la classique étiquette de parfum “Bint El Sudan” ou “Fille du Soudan”.

Créé dans les années 1920 par WJ Bush à Londres, ce parfum à succès a été surnommé le “Chanel No. 5 de l'Afrique” et est largement porté par les femmes de tout le Soudan et l'Afrique de l'Est. L'omniprésente fragrance non alcoolisée — une composition musquée de jasmin, lilas et lys — a d'abord été vendue, non pas dans des boutiques exclusives mais sur les marchés, pour finir par devenir une partie essentielle des rites des mariages et circoncisions, un produit de base dans la vie des Soudanaises. La fragrance évoque des notions de féminité, de puissance et de séduction. On lui reconnaît aussi des propriétés magiques et médicinales découlant des antiques traditions à base d'aromates et de plantes.

Alfadni explique : “Bint El Sudan était le parfum de ma mère, et a ainsi été une partie de l'identité de Soudanais que je me suis construite”.

L'étiquette originelle du parfum Bint El Sudan arbore une photo attribuée à Eric Burgess, le premier à proposer l'idée de créer un parfum à son employeur, la société basée à Londres WJ Bush & Co. dans les années 1920. Photo communiquée par l'artiste Amado Alfadni, utilisée avec son autorisation.

L'étiquette originelle du parfum montrait la photographie d'une jeune Soudanaise aux seins nus, vêtue d'une jupe soudanaise traditionnelle en poils d'éléphant et arborant des bijoux de mariage aux chevilles et poignets. L'auteur de la photo est Eric Burgess, un représentant commercial de WJ Bush au Soudan.

Pendant des décennies, l'image de cette jeune femme a voyagé de Khartoum, au Soudan, à Kano, au Nigeria, quand les commerçants, à ce que l'on dit, ont commencé à utiliser l'enivrant parfum comme monnaie d'échange.

Il y a vingt ans, dit Alfadni, le régime islamique soudanais a remplacé l'image originelle de la jeune fille seins nus par celle d'une autre enveloppée d'une burka noire plus alignée sur les valeurs islamiques.

Omar al-Bachir a régné trente ans (1989-2019) sur le Soudan, et a introduit en 1991 des réformes du code pénal basées sur des interprétations rigoureuses de la charia (loi islamique). Les réformes de Bachir ont relégué les femmes dans un statut de mineures juridiques, et restreint leur liberté de mouvement en appliquant des “lois de moralité” strictes ainsi que la séparation des sexes dans les espaces publics. Des femmes ont subi flagellation et lapidation pour avoir enfreint ces lois. 

Les flacons de parfums modestes Bint El Sudan sont apparus il y a 20 ans, sous stricte interprétations de la loi islamique. Photo : Amado Alfadni, utilisée avec son autorisation.

“Ce qu'elle porte, c'était vraiment la façon de se vêtir des femmes de ma ville natale dans le nord du Soudan”, décrit Alfadni dans un entretien sur Facebook Messenger. “Comme chez les Nubiens d’Égypte, je suis aussi Nubien”, précise-t-il.

La formule unique de Bint El Sudan n'a guère bougé en un siècle, mais l'habillement de la jeune femme sur l'étiquette a évolué avec le temps en reflétant les débats tenaces sur la modestie féminine.

Bush Boake Allen, l'entreprise qui fabrique les divers produits de la ligne Bint El Sudan depuis 1966, a redessiné l'étiquette avec une jeune femme qui rappelle la jeune mariée soudanaise traditionnelle, mais drapée de rouge pour couvrir sa poitrine, une menue modification pour satisfaire des marchés plus pudiques, selon les lieux où sont vendus les produits Bint El Sudan.

La crème hydratante Bint El Sudan montre la jeune Soudanaise, mais ici sa poitrine est couverte par une étoffe rouge. Photo via Instagram par genaropiano.

Les femmes sont en première ligne des protestations qui ont démarré en décembre 2018 contre le prix du pain et se sont développées en manifestations de grande ampleur défiant l'oppression des femmes dans les espaces privé et public, entre autres griefs.

Les manifestations ont fini par réclamer la démission de Bachir, lui-même recherché pour son rôle dans de multiples accusations de crimes contre l'humanité. 

Longtemps avant que les femmes du Soudan soient dans les rues pour chasser Bachir du pouvoir, elles étaient dans les rues pour manifester contre la police des mœurs, contre les flagellations en public, contre la condamnation à mort de Noura Hussein, 19 ans, qui a tué son mari violeur qu'elle a été forcée d'épouser. [Sur le dessin, critiqué par ce tweet : à gauche : “Mener une révolution” contre (à droite) “Télécharger une résolution”]

Le 11 avril, après que les manifestants ont entouré le siège des services de sécurité à Khartoum, Bachir a été arrêté par l'armée, dans ce qui a été qualifié de putsch militaire – qui n'a duré qu'un jour. Le général Ibn Auf, le ministre soudanais de la Défense, a requis un état d'urgence de trois mois et un gouvernement de transition de deux ans dirigé par l'armée, avant de renoncer à le diriger sous l'insistance des contestataires pour un gouvernement dirigé par des civils.

Paradoxalement, la fragrance épicée et sucrée de Bint El Sudan est aujourd'hui fabriquée dans une petite usine de Kano, dans le nord du Nigeria, — une région terrorisée par Boko Haram, un groupe insurgé extrémiste aligné sur l'EI. L'usine étroitement sécurisée produit environ sept millions de flacons de 12 millilitres par an, au moins 80 pour cent de la demande mondiale.

Pendant que l'image d'Alaa Salah a placé dans l'attention mondiale la lutte du Soudan pour changer de régime — et inspiré des artistes comme Alfadni et d'autres encore à faire d'elle une icône révolutionnaire — féministes et militantes mettent en garde contre les dangers à faire porter à une unique personne le poids de la révolution, rappelant que beaucoup de femmes anonymes l'ont précédée et qu'Alaa Salah elle-même reçoit des menaces de mort.

Quant à Alfadni, il dit que sa décision de remixer la célèbre étiquette de parfum avec l'image de Salah se voulait un défi aux notions de l'identité soudanaise : “J'essaie de représenter une image du Soudan loin de la colère et de l'extrémisme”.

Une lithographie de l'étiquette du parfum Bint El Sudan par l'artiste Amado Alfadni, 2011, photo de l'artiste, utilisée avec son autorisation. L'oeuvre fait partie du projet d'Alfadni d'explorer l'histoire et la signification de Bint El Sudan tant comme parfum que comme partie de la culture et de l'histoire du Soudan.

Global Voices devient la source principale du concours mondial de traduction en République tchèque

mercredi 17 avril 2019 à 14:14

Strč prst skrz krk. Non, ce n'est pas une coquille causée par un chat marchant sur le clavier—mais bien une véritable phrase tchèque qui signifie « enfonce ton doigt dans ta gorge ». Il ne s'agit peut-être pas de la phrase la plus utile, mais ce virelangue est souvent cité comme un exemple de la quasi « impossibilité » d'apprendre cette langue slave archaïque parlée par 10 millions de personnes en Europe centrale.

Le son ř, qui existe seulement en tchèque, ajoute un obstacle supplémentaire à la difficulté de maîtriser la langue.

Pourtant un nombre croissant d'étrangers ignorent les avertissements et s'adaptent courageusement à la structure grammaticale kafkaïenne. Ils tordent ainsi leurs langues pour articuler le son « ř » impossible à prononcer. Si certains le font par amour de la littérature tchèque, la plupart le font pour accéder au marché du travail tchèque. Car la République tchèque connaît actuellement l'un des taux de chômage le plus bas d'Europe.

Par conséquent, le gouvernement tchèque a créé plusieurs initiatives au cours des dernières années pour enseigner le tchèque comme langue étrangère. C'est dans ce contexte que deux institutions se sont réunies pour lancer un concours de traduction annuel pour les étudiants étrangers en langue tchèque. Depuis 2015, l’Institut pour les études linguistiques et préparatoires (ÚJOP) [en anglais], de l’Université Charles de Prague (l'une des plus anciennes universités d'Europe continentale), et la Direction générale de la traduction de la Commission européenne (DGT) [en anglais] organisent une conférence internationale qui comprend un concours de traduction. Pour leur édition 2019, ils ont choisi d'utiliser Global Voices comme source de leurs textes à traduire.

Comme l'explique Jan Faber, agent de terrain à la DGT à Prague, et lui-même un traducteur d'anglais et de polonais :

« Le concours constitue un vrai défi particulier pour les organisateurs. Cette année, nous avons des participants de Chine, de France, de Slovénie, de Pologne, de Russie et d'Italie, et nous devons identifier un texte de longueur, de style et de difficulté similaires. Pour l'édition de cette année, nous avons décidé de sélectionner un article publié dans Global Voices dans la plupart des langues susmentionnées. Global Voices est tout simplement parfait, car il fournit des articles sur des sujets intéressants et d'actualité publiés en plusieurs versions linguistiques. En outre ils sont traduits par des locuteurs natifs dans un langage contemporain et un style accessible ».

GV souhaite bonne chance à tous les participants et a hâte d'interviewer les heureux gagnants en avril.

‘J'ai inventé Ie terme Afro-tchèque’ : Entretien avec l'auteur tchéco-nigérian Obonete Ubam

mardi 16 avril 2019 à 20:19

“Allé en Afrique pour l'européaniser, je suis revenu africanisé”

Obonete Ubam (au centre) lors de la présentation publique de son livre “Sedm let v Africe,” (“Sept ans en Afrique”) dans une grande librairie de Prague, République tchèque. Photo : Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

L'ex-militant tchéco-nigérian Obonete Ubam est aussi un auteur qui vient de publier un nouveau livre, “Sedm let v Africe,” ou “Sept ans en Afrique”, le récit de ses années passées au Nigeria.

Ubam est né d'une mère tchèque et d'un père nigérian, et a vécu jusqu'à ses quinze ans avec sa mère à Bruntál, une ville provinciale de ce qui était alors la Tchécoslovaquie, où il était le seul enfant métis. Ses parents s'étaient rencontrés alors qu'ile étaient étudiants étrangers dans la Kiev soviétique. Après avoir terminé leurs études, sa mère était rentrée en Tchécoslovaquie et son père au Nigeria.

Ubam passa une demi-année à Lagos dans une école militaire, et était perçu au Nigeria comme un oyibo : un étranger ou métis. Il a aussi été le premier soldat afro-tchèque à servir dans l'armée tchèque et a présidé pendant quelques années la Ligue des minorités ethniques.

A 28 ans, Ubam perdit son père et eut la responsabilité en tant que fils aîné de devenir le chef de sa famille et de continuer l'entreprise paternelle. Ce qu'il fit pendant sept ans, et, dans son livre, il relate comment il a découvert et assumé son héritage nigérian, pour devenir finalement un chef dans son groupe ethnique natal Anaang.

La République tchèque, en particulier hors de Prague, reste une société majoritairement blanche, avec très peu de minorités ethniques à part les Roms et les Vietnamiens, qui vivent souvent au quotidien le racisme et les discriminations. Si certains partis politiques ont un programme ouvertement anti-musulmans et anti-réfugiés, la question de la race est rarement abordée dans l'espace public.

Après sept années au Nigeria, Ubam a déménagé en Espagne pour y trouver plus de soleil, et aussi parce qu'il avait l'impression de mieux pouvoir s'y fondre qu'en République tchèque.

Le livre d'Ubam a créé une sensation médiatique en République tchèque, avec des interviews par les grandes stations de radio et de télévision.

Filip Noubel, le directeur de publication de Global Voices, s'est entretenu avec Ubam à Prague à propos de la publication de son livre.

Obonete Ubam pendant l'entretien à Prague. Photo : Filip Noubel, utilisée avec autorisation

Filip Noubel (FN) : Vous évoquez souvent dans votre livre et vos interviews l'écart énorme entre les cultures et mentalités tchèques et nigérianes. L'identité est-elle une question importante pour vous ? Sa signification a-t-elle changé avec les années ?

Obonete Ubam (OU): Identity was the basic thing because I was growing in a little mountainous town on the then Czechoslovak-Polish border. There were a few mixed-race kids in the county, but back then, we didn’t know each other, and it would have been five such kids in a population of 70,000. I grew up in a very Czech environment and faced some problems. Because when you go out, the world lets you know that you are visually different. When you go back home, your family is composed of people for whom you are also visually different. That leaves you alone, with nothing to relate to. And there comes a moment when you realize you are missing something.

I have lived in the Czech Republic, in Nigeria, now I live in Spain. In every part of the world, you have a different social status, and you need to adjust your behavior. That process changes you. In the end, I developed a different identity for every place where I live. Of course, those identities overlap at a certain point, and that’s where I am really me: I am not the writer from the Czech Republic, I am not the chief from Nigeria, I am not the cool guy from Spain, I am just me.

Obonete Ubam (OU) : L'identité était l'élément de base, parce que j'ai grandi dans une petite ville de montagne à la frontière d'alors entre la Tchécoslovaquie et la Pologne. Il y avait quelques enfants métis dans le département, mais à l'époque, nous ne nous connaissions pas, et ça faisait peut-être cinq gamins sur une population de 70.000 personnes. J'ai grandi dans un environnement très tchèque, et ai connu quelques problèmes. Parce que lorsque vous allez dehors, le monde vous fait savoir que vous êtes visuellement différent. Quand vous rentrez à la maison, votre famille est composée de personnes pour lesquelles vous êtes aussi visuellement différent. Ça vous laisse seul, sans rien à quoi vous relier. Et il arrive un moment où vous comprenez qu'il vous manque quelque chose.

J'ai vécu en République tchèque, au Nigeria, et maintenant en Espagne. Dans chaque partie du monde vous avez un statut social différent, et vous devez ajuster votre comportement. Ce processus vous change. Ça vous laisse seul. Au final, j'ai développé une identité différente pour chaque endroit où je vis. Bien sûr, ces identités se recouvrent à un certain point, et c'est là que je suis vraiment moi : je ne suis pas l'écrivain de la République tchèque, je ne suis pas le chef du Nigeria, je ne suis pas le mec cool d'Espagne, je suis seulement moi.

FN : Quelle est votre expérience du racisme ? Pensez-vous que les attitudes changent, et si oui, dans quelle direction ?

OU: I actually invented the term of Afroczech — because it defines people like me most precisely. Back in 2000, I founded the League of Ethnic Minorities and invented that word. In the late 1990s, the Czech Republic was proudly accepted to NATO and preparing to join the EU. A number of social issues started to be debated, including racism. (…) With a few friends, we created a [digital] info system about ethnic minorities, then expanded our work to launch nationwide media campaigns. Our biggest contribution was to say publicly that being Czech doesn’t equal being white.

On the issue of race, the Czech Republic is actually going backwards. The rhetoric used by certain Czech politicians now would have been unthinkable just ten years ago. … Certain politicians are channeling the frustration of people towards discrimination and attacks. I witnessed that in the late 1990s with the emergence of an extreme-right movement. Roma people died as a result. I attended their funerals, and that’s why we created the League. I then personally received death threats on my phone. Now we are getting back to that, and it’s scary.

OU : J'ai en fait inventé le terme “Afro-tchèque” parce qu'il définit le plus précisément les gens comme moi. En 2000, j'ai fondé la Ligue des minorités ethniques et inventé ce mot. A la fin des années 1990, la République tchèque était fière de son intégration dans l'OTAN et se préparait à adhérer à l'UE. Un certain nombre de questions sociales commençaient à être débattues, dont le racisme. (…) Avec quelques amis, nous avons créé un système (numérique) d'information sur les minorités ethniques, puis avons étendu notre travail pour lancer des campagnes médiatiques au niveau national. Notre plus grande contribution a été de dire qu'être Tchèque n'équivalait pas à être blanc.

Sur la question de la race, la République régresse en réalité. Le discours utilisé aujourd'hui par certains politiciens tchèques aurait été impensable il y a quelques années… Certains politiciens canalisent les frustrations des gens vers la discriminations et les agressions. J'ai vu cela à la fin des années 1990 avec l'émergence d'un mouvement d'extrême-droite. Des Roms en sont morts. J'ai assisté à leurs enterrements, et c'est pour cela que nous avons créé la Ligue. J'ai alors personnellement reçu des menaces de mort sur mon téléphone. Nous y revenons à présent, et c'est effrayant.

FN : Alors que la République tchèque devient une société plus multiculturelle, voyez-vous l'émergence d'une communauté et/ou identité afro-tchèque ? Depuis la publication de votre livre, vous êtes devenu un symbole de cette identité mixte. Quels sont vos espoirs pour cette communauté ?

OU: There are probably several hundred, perhaps thousands of Afroczechs, but we are not recognized as an ethnic minority. The majority of Afroczechs I know consider themselves Czechs, and that’s it. There has been no attempt to set a group, establish a census. There is indeed a sense of ‘us’ but not of community. In fact, there are so few of us that we all know each other. Considering how few Afroczechs there are, it is amazing to see what they have been able to accomplish. Yet, there is clearly a glass ceiling: I can’t imagine an Afroczech president, for example.

OU : Il y a probablement plusieurs centaines, peut-être des milliers d'Afro-tchèques, nais nous ne sommes pas reconnus comme une minorité ethnique. La majorité des Afro-tchèques que je connais se considèrent comme des Tchèques, un point c'est tout. Il n'y a pas eu d'essai de constituer un groupe, de faire un recensement. Il y a certes un sens du “nous” mais pas d'une communauté. En fait, nous sommes si peu nombreux que nous nous connaissons tous. Considérant le peu d'Afro-tchèques existants, ce qu'ils ont été capables d'accomplir est formidable. Pourtant, il y a clairement un plafond de verre : je ne peux pas imaginer un Afro-tchèque président, par exemple.

FN : Dans votre livre, vous racontez comment, à l'âge de 28, votre vie a soudain changé quand vous avez pris soin de votre famille paternelle dans votre rôle d’akpan — ou fils aîné — et que vous avez assumé votre héritage nigérian et Anaang. Qu'est-ce qui a motivé un tel engagement ?

Le livre récemment paru d'Obonete Ubam raconte les sept années qu'il a passées au Nigeria. Photo : Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

OU: Suddenly, my father was no longer, and as per the tradition, as the eldest son, I was supposed to take over this role. Of course, no one believed I would do it — drop my life my Prague, and go the other way — when so many Africans try to move to Europe.

…It was rough, and yet the best thing that happened in my life. I discovered who I was and was able to help my family overcome tough situations. Initially, I had planned to stay one or two years at most in Nigeria, but I realized I was still needed; I couldn’t leave until it was over. … I rebuilt my personality: I went to Africa to Europeanize it and came back Africanized.

…I hope this book can change people’s mind about migrants from sub-Saharan Africa: The media often shows migrants who are well dressed-up, with iPhones, allegedly coming “to invade our culture”.

When people read my book, they should be able to understand why they leave.

OU : Soudain, mon père n'était plus, et selon la tradition, en tant que fils aîné, j'étais supposé reprendre ce rôle. Bien sûr, personne ne croyait que je le ferais : laisser tomber ma vie à Prague, et prendre la direction inverse – alors que tant d'Africains essaient de venir en Europe.

…C'était dur, et pourtant c'est ce qui m'est arrivé de mieux dans ma vie. J'ai découvert qui j'étais et j'ai été capable d'aider ma famille à surmonter des situations difficiles. Au départ, j'avais prévu de rester un ou deux ans au plus au Nigeria, mais j'ai réalisé qu'on avait encore besoin de moi ; je ne pouvais pas partir avant que ce soit fini… J'ai rebâti ma personnalité : je suis allé en Afrique pour l'européaniser, et je suis revenu africanisé.

…J'espère que ce livre pourra changer la mentalité des gens sur les migrants d'Afrique subsaharienne : les médias montrent souvent des migrants bien habillés, avec des iPhones, soi-disant “envahir notre culture”.

En lisant mon livre, les gens devraient pouvoir comprendre pourquoi ils quittent [leur pays].