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Dijaawa Wotunnöi, un court-métrage d'animation qui aide à revitaliser la langue yekuana

samedi 2 mars 2019 à 21:52

Capture d'écran du film d'animation sur YouTube.

Dijaawa Wotunnöi est un mythe ancestral des Yecuana, un peuple autochtone qui vit au Venezuela et au Brésil. Ce mythe est raconté dans un court-métrage d'animation de Saúl Kuyujani López.

Le film est entièrement interprété en yekuana et sous-titré en espagnol. Plusieurs Yecuanas ont participé au projet en tant que traducteurs et chercheurs. Ils ont également offert leur voix aux personnages du film. L'auteur de cette histoire faisait également partie de l'équipe de production.

Le mythe explique comment le peuple Yecuana est issu des descendants de chauves-souris. Une partie de l'explication réside dans l'histoire de la vie de Kawashidi, un Yecuana dont la femme a été tuée par un mauvais esprit qui ensuite le défie et teste son intelligence.

Saúl Kuyujani López a reconstitué le mythe comme on le raconté dans la communauté de Santa Maria de Erebato, située sur les rives du fleuve Caura (Alto Caura) dans l'État de Bolivar, au Venezuela.

Selon le recensement effectué au Venezuela en 2011, il y a 7997 Yecuanas vivant dans les États de l'Amazonas et de Bolivar. En 2000, le recensement brésilien a enregistré environ 430 Yecuanas vivant dans le pays.

L'Atlas interactif UNESCO des langues en danger dans le monde classe le yekuana comme une langue vulnérable. Les professeurs de yekuana racontent que la plupart des parents n'estiment pas important de transmettre leur langue aux futures générations. Beaucoup emmènent leurs enfants dans les villes afin qu'ils puissent apprendre à bien parler l'espagnol. Par conséquent, les enfants perdent la langue de leur famille.

C'est pourquoi l'adaptation animée de Dijaawa Wotunnöi vise à préserver les aspects oraux du yekuana grâce au format audiovisuel.

Le film était produit par le studio Creaser Creative et soutenu par l’organisation autochtone du Bassin du Cayu Kuyujani et le Forum Humboldt. La première projection a eu lieu au Forum Humboldt à Berlin (Allemagne) en juillet 2017.

Le court-métrage a été sélectionné dans le programme officiel du 13ème Festival international du film et de la communication des autochtones / peuples autochtones (FICMAYAB), qui s'est tenu au Guatemala en octobre 2018. La grande première nationale a eu lieu au Festival du film autochtone du Venezuela, en novembre 2018.

Un an sans Internet: les Tchadiens privés d'accès depuis mars 2018

samedi 2 mars 2019 à 14:11

censure internet au Tchad

Un poster qui urge le Gouvernement Tchadien de rétablir l'accès à internet pour ses citoyens. Poster publié sur le blog d'Africtivistes avec leur permission

Depuis bientôt un an, les Tchadiens sont privés d'Internet. Pourtant l'accès à l'Internet est bien reconnu comme un droit humain par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies depuis le 1er juillet 2016. Les raisons évoquées pour cette restriction à l'accès à l'Internet restent mystérieuses. Des fournisseurs d'accès expliquent que la perturbation générale du service Internet est due à des problèmes techniques. Mais des organisations tels qu’ Internet sans Frontières affirment que les autorités ont ordonné aux compagnies de téléphonie mobile d'interrompre l'accès à l'Internet. L'objectif semble être une volonté d'utiliser cette censure comme un outil pour museler la libre expression des citoyens et la libre circulation de l’information au Tchad.

De surcroît, le nombre de citoyens ayant accès à l'Internet est le plus faible d'Afrique. En effet, si le reste de l’Afrique compte 37.4 % de connectés par rapport à la la population africaine totale, au Tchad le taux de pénétration d'Internet n'est que de  5%.

Dans un billet au titre éloquent, “Le monde est un village dont les Tchadiens sont exclus”, Pablo Michelot, éditeur en chef du site L'Encre Noir traitant de l’actualité dans le milieu de la communauté noire écrit:

Depuis près d’un an maintenant, les réseaux sociaux sont verrouillés dans la République du Tchad suite à une recommandation du pays d’Afrique centrale de reconduire le Président Idriss Déby au-delà de 2030. Selon le dirigeant du pays en 2016 “le Tchad ne peut pas se concentrer sur un système qu’un changement de pouvoir mettrait en difficulté.”

Tandis que dans les autres pays du continent, le nombre d'utilisateurs des réseaux sociaux augmente, au Tchad de janvier 2018 à janvier 2019, il a chuté de 150 000 utilisateurs, soit une baisse de 54%.

En réalité, ce sont surtout les militants des droits humains qui sont exposés à la répression. L'organisation non-gouvernementale Frontline Defenders rappelle:

 There is a systematic ban on protests conducted by those whom the government sees as critical of any of its policies. Civil society actors and trade unionists holding unauthorized protests have repeatedly been the subject of police brutality.

…There is frequent interference with the work of journalists, especially those reporting or commenting on human rights issues. Freedom of expression is curtailed and on several occasions in the past five years, .. amidst tense political moments

Les manifestations organisées par ceux que le gouvernement considère comme critiques vis-à-vis de ses politiques sont systématiquement interdites. Les acteurs de la société civile et les syndicalistes qui organisent des manifestations non autorisées ont à plusieurs reprises fait l'objet de brutalités policières.

[…] Les journalistes, notamment ceux qui couvrent ou commentent des questions relatives aux droits humains, sont fréquemment victimes d'interférences. La liberté d'expression est restreinte, à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, dans des moments politiques tendus

Le 19 janvier 2019, Internet sans frontières a lancé une campagne mondiale avec le tweetup #Maalla_Gatetou (NDLR: pourquoi vous avez coupé, en arabe tchadien) exprimer le ras-le-bol citoyen envers la censure des réseaux sociaux. Ce tweetup s'est accompagné de marches organisées à Paris et à N’Djaména. Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, Responsable de l'Afrique Centrale pour Internet Sans Frontières explique l'objectif de la campagne:

La cyberbrutalité et le verrouillage de l’espace numérique par les autorités tchadiennes démontrent clairement la montée des pratiques autoritaires sur l'Internet. Si rien n’est fait, les bienfaits d’Internet pour le progrès démocratique dans le monde, notamment en Afrique, seront réduits à néant

Les internautes ont aussi utilisé Twitter pour exprimer leur mécontentement. Voici quelques tweets sur la campagne #Malla-Guatétou:

Les observateurs africains opinent aussi sur le sort du Tchad. Basé en Algérie, Yacine Babouche a écrit sur son blog tsa-algerie.com:

Le sujet est important et va au delà du Tchad. De Nombreux Etats africains ont désormais systématiquement recours à cette forme de censure. L'histoire d'Internet a montré que l'Afrique est un laboratoire des pires pratiques lorsqu'il s'agit de violer les libertés chèrement acquises.
Ne pas laisser passer au Tchad, c'est ne pas laisser passer ailleurs.

Il faut aussi rappeler que les prix de la connexion à l'Internet sont parmi les plus élevés, pouvant atteindre vingt fois ceux des pays environnants.

L'ONG Internet sans frontières a initié l’#Acte2 de la campagne Internationale contre la censure des réseaux sociaux au Tchad le 19 février 2019. À cet effet l'ONG a publié sur Facebook cet appel de Bintou Da, créatrice de valeurs au féminin:

<script async="1" defer="1" src="https://connect.facebook.net/nl_NL/sdk.js#xfbml=1&version=v3.2">

Campagne Internationale contre la censure des réseaux sociaux au #Tchad: Mobilisation pour L' #Acte2 du 19 février 2019.La créatrice et militante senegalaise Bintou DATT lance un appel à la jeunesse Tchadienne #Maalla_Gatétou

Geplaatst door Internet Sans Frontières op Zaterdag 2 februari 2019

Au Brésil, 30 millions de personnes vivent dans des “déserts médiatiques”

vendredi 1 mars 2019 à 17:13

Près de 30 millions de Brésiliens n'ont pas accès à la presse locale | Image: Magno Borges/Agência Mural

[Tous les liens sont portugais]

Ce post est publié dans le cadre d’un partenariat entre Global Voices et Agência Mural. Il a été écrit par Lucas Landin, Micaela Santos et Paulo Talarico. 

Le 1er décembre, une pluie torrentielle s’est abattue dès l’aube, inondant plusieurs quartiers de Franco da Rocha, au nord de la région métropolitaine de São Paulo. Les rues étaient ainsi bloquées, les commerces fermés et les bus ont dû emprunter un autre trajet pour circuler en ville.

« Il était difficile de connaître l’état du réseau de transport public lorsque la ville était inondée », relate Amanda Ferreira, une étudiante de 20 ans. « Le seul moyen d’obtenir des informations était de se renseigner auprès des personnes piégées par les inondations et de celles qui rentraient chez elles ».

La difficulté d’accès à l’information s’explique aisément. Franco da Rocha ne possède actuellement que deux moyens de communication et s’inscrit comme un « quasi-désert médiatique », comme l’indique le dernier Atlas de l’Information, qui évalue le nombre de médias présents dans les villes brésiliennes depuis 2017.

Cette année, outre le fait de constater que 30 millions de Brésiliens ne bénéficient pas d’une presse locale, l’étude réalisée par Projor (Institut pour le Développement du Journalisme) s’est penchée sur les villes peu couvertes par les médias : les « quasi-déserts médiatiques ».

« Je découvre ce qui se passe à Franco da Rocha sur les réseaux sociaux et, parfois, sur la page Facebook de la mairie. Et comme beaucoup d’informations circulent grâce au bouche à oreille, nous ne savons jamais si elles sont fiables ou non », explique Amanda.

« Nous voyons, par exemple, que le site de la mairie ou la page d’un(e) maire sur un réseau social constitue la principale source d’information pour se renseigner sur un lieu donné. Et ça, ce n’est pas du journalisme », note Angela Pimenta, présidente de Projor. « Le risque majeur pour ces villes est que les informations fournies ne respectent pas de protocole journalistique, ne s’ouvrent pas à la contradiction, ou puissent être totalement fausses, incomplètes, ou biaisées, ce qui s’apparente à de la désinformation ».

DES DÉSERTS MÉDIATIQUES OU PRESQUE

Plus d’un million de personnes, dans la région métropolitaine de São Paulo, sont susceptibles de ne pas disposer d’un média d’information couvrant leur municipalité. Au moins 10 villes comptent deux moyens de communication (portail Internet, radio ou TV) qui couvrent la vie municipale.

Trois villes ne possèdent aucun média local : Vargem Grande Paulista (50 000 habitants), au sud-ouest de la région, Pirapora do Bom Jesus (18 000) à l’ouest et Biritiba Mirim, commune de 31 000 habitants située dans la région d’Alto Tietê.

Dans la région de Biritiba, à l’est de São Paulo, la menace d’un « désert médiatique » existe, bien qu’elle ne soit pas encore d’actualité. « Nous recevons suffisamment d’informations de la part du groupe de la ville sur WhatsApp. Comme la ville ne possède aucun journal, j’achète le Diário de Mogi », commente Maria Aparecida Nunes, 73 ans, qui vit depuis au moins 30 ans à Biritiba.

Aux abords de la ville, Ferraz de Vasconcelos, autre cité de 188 000 habitants, se retrouve dans la même situation : elle ne détient que deux journaux.

L’alternative à cette pénurie de médias réside donc dans les réseaux sociaux. « Nous avons l’habitude de suivre les comptes des journaux de la région [établis dans d’autres villes] et ceux de Ferraz, ainsi que la TV Cenário. Je suis également ceux des conseillers municipaux », dit Renan Santos, 20 ans et étudiant.

« Les seules informations que je lis concernant Ferraz sont sur Facebook. Je m’informe habituellement sur le compte ‘Salve Ferraz’ », indique Juan Pedro Morales, 26 ans et analyste informatique.

Les inégalités, qui affectent également la communication, sont au cœur du problème. La région de São Paulo recense plus de 1000 médias d’information. Toutefois, 76% d’entre eux sont basés dans la capitale. Dans les 38 villes restantes, le taux de médias locaux ne s’élève qu’à 24%. Ces municipalités concentrent néanmoins 40% de la population.

En comparaison, São Paulo possède un ratio de sept médias pour 100 000 habitants. A Franco da Rocha, c’est un média pour 100 000.

« Les gens prennent connaissance de ce qui se passe grâce aux commentaires des utilisateurs », affirme Márcia Pereira Cardoso, 40 ans, qui vit à Franco. « J’utilise Facebook ou WhatsApp, car je n’ai aucun autre moyen de communication. Ce serait bien d’avoir un journal à la radio ou à la télévision qui parle de la ville », dit-elle.

« Je ne lis jamais le journal car j’y découvre des informations dont j’ai eu connaissance par des proches. Quand un événement, généralement malheureux, se produit, la nouvelle se répand rapidement », souligne Gustavo Correa da Silva, un électricien de 22 ans.

« Cela signifie que la population n’a pas accès au droit à l’information », résume Ângela. Qui indique que l’enquête cherchait à donner un aperçu de la situation dans le pays, afin de pouvoir réfléchir à des solutions pour stimuler la création de projets de journalisme local.

L’enquête relève ainsi une corrélation entre l’absence d’informations et de services publics de qualité dans certaines villes, et pointe du doigt une question de rentabilité.

« Nous constatons clairement un lien entre la présence de la presse et l’IDH (Indice de Développement Humain). Les personnes qui éprouvent le plus de difficultés à être informées sont aussi celles qui souffrent du manque d’installations sanitaires, de médicaments, de l’accès à une éducation de qualité, et qui subissent également les ravages de la pollution ».

Le tabou des violences sexuelles intrafamiliales en Arménie

vendredi 1 mars 2019 à 16:41

 

L'association Coalition pour stopper les violences faites aux femmes a organisé une manifestation sous le slogan “Arrêtons de fermer les yeux sur la violence” à Erevan, le 25 novembre 2016. (Photo réalisée par Photolur)

Le texte qui suit est une adaptation d'un article écrit par Armine Avetisyan, initialement publié sur notre site partenaire OC Media.

Armine (nom d'emprunt) s'est mariée deux fois. Son premier mariage n'a duré que quelques jours parce qu'elle a découvert que son mari et la belle-mère de son mari entretenaient une relation intime et se servaient du mariage comme couverture.

Cinq ans plus tard, elle rencontre un autre homme et part en Russie avec lui. Elle ne disposait pas de permis de séjour et devait donc rester à la maison. Quand il rentrait du travail le soir, il cherchait toujours une raison pour se disputer avec elle et lui donner des coups.

“Il m'a frappée avec une chaise, avec de la vaisselle. Il a déchiré mes vêtements, m'a encore frappée et m'a obligée à coucher avec lui. Un jour, je me suis même évanouie à cause de la douleur, et il m'a alors balancé de l'eau au visage”, raconte-t-elle.

Pendant sa grossesse, la vie d'Armine a connu un certain retour au calme. Cependant, après la naissance de son enfant, le niveau de violence s'est encore aggravé. Lorsque son mari voulait avoir des rapports sexuels avec elle, elle lui demandait d'utiliser un préservatif. Mais cela le mettait encore plus en colère, et il refusait systématiquement. Armine est tombée enceinte quatre fois et a avorté à chaque fois. Elle n'avait pas d'argent pour acheter un moyen de contraception et c'est son mari qui lui procurait les médicaments nécessaires pour avorter.

“Un jour, une personne de notre entourage est venue nous rendre visite. Je lui ai tout raconté et cette personne m'a alors aidée à m'échapper. À la nuit tombée, j'ai fui la maison avec mon bébé, je me suis précipitée à l'aéroport et je me suis envolée pour l'Arménie”, confie-t-elle.

L'humiliation et le silence

Le viol conjugal et les violences sexuelles touchent de nombreuses femmes en Arménie. Alors que les modifications apportées à la loi étaient censées améliorer la situation, de nombreuses militantes affirment que le problème de la violence sexuelle demeure grave et que les femmes qui en sont victimes ne bénéficient que de très peu de protection.

Comme beaucoup de victimes de violences sexuelles, Armine n'est pas allée porter plainte à la police, car elle sait que cela aurait été inutile. Elle craint également que son mari aurait alors chercher à se venger.

Armine ajoute : “Les gens me diraient : ‘comment se fait-il que vous ne soyez arrivée à vivre avec aucun des deux hommes ? Vous êtes coupable. Votre comportement est immoral’”.

Selon les données fournies à OC Media par la police arménienne, il n'y aurait eu que 112 cas de violences sexuelles perpétrées à l'encontre des femmes en 2016, et le nombre officiel tombe à 94 en 2017.

Mais cela ne traduit pas nécessairement une diminution des violences sexuelles. Zara Hovhannisyan, militante de l'association Coalition pour stopper les violences faites aux femmes [qui lutte contre les violences faites aux femmes] affirme que la réticence des femmes à porter plainte auprès des services de police s'explique par leur peur de l'humiliation du fait de ces violences sexuelles subies, un sujet tabou en Arménie.

“Je n'ai pas suivi les traditions arméniennes”

La relation idyllique de Lilit et son mari a perduré jusqu'à la naissance de leur premier enfant.

“Mon mari m'aimait comme un fou, il exauçait tous mes souhaits à chaque instant. Je ne savais pas ce que signifiait le mot “non”. Et pendant ma grossesse, il me traitait comme une reine. Bref, ma vie ressemblait à un conte de fées. Puis, ce conte s'est transformé en enfer”, dit Lilit (nom d'emprunt).

Suite à la naissance de son bébé, dit-elle, son mari a changé. Quelques jours après l'accouchement, alors que Lilit allaitait, son mari s'est approché d'elle, a mis le bébé sur le lit et ils ont eu un rapport sexuel passionné. Cette scène s'est répétée à plusieurs reprises. Au début, c'était agréable pour Lilit.

“Peu de temps après, cependant, j'ai remarqué des changements dans son comportement : il me forçait à faire des choses au lit qui m'étaient désagréables et douloureuses, et si jamais je résistais, alors il m'attachait.”

Ces violences sexuelles ont perduré pendant environ six mois. Elle n'a rien dit à sa famille, car elle était gênée de parler de ses problèmes intimes.

Au début, elle voulait préserver leur relation familiale, et elle a donc demandé à son mari d'aller consulter un sexologue et un psychologue. Mais il a refusé.

“Je suis en vie aujourd'hui car je n'ai pas suivi la tradition arménienne, que je n'ai pas eu peur de porter l'étiquette de “femme divorcée” et que j'ai osé demander le divorce. Je n'ai pas signalé les faits à la police. À cette époque, je ne voulais pas que les gens connaissent mon histoire de vie”, raconte Lilit.

Autonome du point de vue financier, Lilit a pu partir avec son bébé et louer une maison. Selon elle, son ex-mari a tenté de restaurer leur relation à plusieurs reprises. Lilit pense que son mari est accro à la violence sexuelle et est d'ailleurs convaincue qu'il viole également sa femme actuelle.

“Je la connaissais de vue”, explique Lilit. “C'était une jolie fille aux formes généreuses qui venait de la campagne. Après leur mariage, je l'ai croisée quelques fois dans la rue. Elle est devenue terriblement maigre, elle marche avec le dos voûté et son cou est toujours couvert. Quand j'étais mariée, mon cou aussi était toujours couvert, parce qu'il l'avait attrapé et serré fort avec ses gros doigts – pour m'étrangler.”

Il m'avait dit : “je rêve de coucher avec un cadavre.”

Faire avancer la législation sur la violence domestique

En septembre 2017, le Ministère de la Justice a présenté un projet de loi sur “la prévention de la violence domestique et la protection des victimes de violence domestique”, en vue de son examen. La loi devait servir de base juridique pour la prévention de la violence domestique, la protection des victimes de violences domestiques et l'accès à la justice, puisqu'aucun de ces points n'était alors réglementé par la législation en vigueur.

Mais tout le monde n'était pas en faveur de cette loi. Plusieurs députés et personnalités politiques et publiques ont décidé de s'opposer à ce projet. Certains ont même affirmé que la loi était “imposée par l'Union européenne” à l'Arménie et qu'elle “visait à détruire des familles et à arracher les enfants à leurs parents”.

Après une période de débats intenses, une nouvelle version a été adoptée en décembre 2017, intitulée “Prévention de la violence domestique, protection des personnes victimes de violence dans la famille et rétablissement de la solidarité au sein de la famille”.

Les militantes de l'association Coalition pour stopper les violences faites aux femmes affirment que les modifications de l'intitulé de la loi ainsi que certains des concepts qu'on retrouve dans le texte posent problème. Ces derniers rappellent que le terme “violence domestique” a été supprimé à la fois du nom de la loi et de son texte, et remplacé par le terme “violence dans la famille” qui, selon eux, est plus ambigu d'un point de vue juridique.

Dans la loi adoptée, l'expression “causer des douleurs physiques” a été supprimée et remplacée par “causer intentionnellement des souffrances physiques”. Le terme “souffrance physique” n'est pas défini dans le Code pénal arménien.

Par conséquent, “si une femme a été victime de violence, a été blessée physiquement, mais que les traces de l'agression ou les blessures sur le corps ne sont pas apparentes, cela n'est plus considéré comme une infraction punissable”, a confié Hovhannisyan, membre de l'association Coalition pour stopper les violences faites aux femmes à OC Media.

“¡Vivas nos queremos!” Les femmes mexicaines manifestent contre l'insécurité dans les lieux publics

vendredi 1 mars 2019 à 13:03

Rassemblement sur la place du Zócalo pendant la marche du 2 février à Mexico. Photographie de Jer Clark. Avec son autorisation.

Les slogans #VivasNosQueremos ((Vivantes nous nous voulons !), #NiUnaMás (Pas une de plus), #NoEstamosSolas (Nous ne sommes pas seules) ont une fois de plus investi la rue et les réseaux sociaux au Mexique pour dénoncer les chiffres alarmants des violences faites aux femmes dans le pays où, d'après la Commission nationale des droits de l'homme, près de neuf femmes ont été assassinées chaque jour en 2018.

Samedi 2 février 2019, à Mexico, près de quatre mille personnes se sont rassemblées au Monument a la Madre (Monument en hommage à la mère) et ont marché jusqu'au Zócalo en réclamant la fin des féminicides et que des mesures soient mises en place pour assurer la sécurité des femmes dans les transports en commun.

Cette manifestation a eu lieu après qu'une enquête du journal El País ait révélé que 153 personnes, en majorité des femmes, avaient été enlevées dans le métro de Mexico au cours des quatre dernières années.

Jer Clarke, membre du réseau Global Voices, était présent et a partagé cette vidéo:

La nuit précédente, une grande “balade à vélo pour la vie et la liberté des femmes” avait été organisée à Mexico et dans 13 autres villes du pays. De nombreuses femmes ont participé au rassemblement et l'ont suivi sur #LaNocheEsNuestra (la nuit nous appartient) et #LaCalleEsNuestra (la rue nous appartient).

L'objectif était de lutter contre les violences qui chassent les femmes de l'espace public et d'exiger que celui-ci leur soit rendu. Sur l'affiche du rassemblement on pouvait lire :

¡Nos sumamos a la demanda nacional! Retomamos las calles, los espacios, las noches; para recordarnos y recordarles que podemos.

Nous nous joignons à la demande nationale ! Reprenons les rues, les espaces, les nuits. Pour nous rappeler et leur rappeler que nous le pouvons.

Dans un tweet de Ruido en la Red on peut voir quelques images du rassemblement :

Balade cycliste à la Diane Chasseresse pour protester contre les actes de violence qui ont eu lieu ces derniers jours contre des femmes.

Une nouvelle marche du “Mouvement contre l'insécurité” est prévue le 8 mars prochain, pour la journée internationale des femmes.

“Aujourd'hui, c'est à moi que c'est arrivé”

Une forte augmentation des actes de violence contre les femmes dans les transports en commun a été observée depuis janvier 2019, quand de nombreux témoignages de tentatives d'enlèvements de jeunes filles dans le métro de la capitale ont été recueillis sur les réseaux sociaux.

Les témoignages rendent compte des différentes façons dont les femmes sont agressées et enlevées, en grande partie à cause de l'indifférence des passants. Dans l'un de ces témoignages publics, Eunice Alonso décrit son expérience :

Pues ahora me tocó a mi.

Hace un rato me encontraba en la estación del metro Boulevard puerto aéreo, estaba esperando a que llegara el metro y un joven de entre 20 y 25 años se me acercó muchísimo y sentí que recargó algo en mi costilla […] al principio creí que me iba a asaltar, pero me dijo: “vas a salir conmigo y verás una camioneta blanca, te as a subir y si alguien te dice algo dices que es tu uber”…me quedé paralizada y comenzó a darme un ataque de ansiedad por lo que empecé a llorar, y una señora (a la que no tuve oportunidad de preguntarle su nombre) me dijo: ¿estás bien?, no pude contestarle y se dio cuenta de lo que estaba pasando que empezó a gritar: “fuego, fuego”. Y la gente empezó a vernos y un policía se acercó; fue así como el joven me soltó y se dio a la fuga.

Aujourd'hui, c'est à moi que c'est arrivé. Je me trouvais à la station de métro Boulevard puerto aéreo, j'attendais mon train, et un jeune entre 20 et 25 ans s'est approché de moi et m'a collé quelque chose dans le dos  […] Au début, j'ai cru qu'il voulait me voler, mais il a dit : “Tu vas sortir avec moi et tu verras une camionnette blanche. Tu montes dedans et si quelqu'un te pose une question, tu dis que c'est ton uber” … J'étais paralysée et j'ai commencé à faire une crise d'angoisse et je me suis mise à pleurer. Alors une dame (dont je ne sais même pas le nom) m'a dit : Tu vas bien ? Je n'ai même pas pu lui répondre et elle s'est rendu compte de ce qui se passait et elle a commencé à crier : “Au feu, au feu !” Et les gens ont commencé à nous regarder et un policier s'est approché. Alors le jeune m'a lâchée et s'est enfui.

C'est précisément pour éviter que ce genre d'incidents passent inaperçus que plusieurs militants et collectifs ont lancé des opérations pour identifier la problématique, donner des conseils d'autodéfense et de sécurité. Une des stratégies recommandée est d'utiliser des mots clé comme “feu” ou “tremblement de terre” pour demander de l'aide, comme l'a fait la personne qui a aidé Alonso en criant ” Au feu !” plutôt que de s'opposer directement à l'agresseur, ce qui pourrait déclencher une réaction violente.

Un groupe de militants féministes, membres du projet de journalisme de données Serendipia DATA, a créé une base de données collaborative pour cartographier les lieux et les circonstances de chacun des cas enregistrés.

Des militants ont répertorié 210 témoignages de tentatives d'enlèvement de femmes sur #CdMx et #EdoMex. Tu peux les retrouver sur cette carte

Les témoignages ont été recueillis à l'aide d'un formulaire où figurent la date, l'heure et les détails de l'incident.

Une opération similaire a été lancée par la chaîne de télévision en ligne RompeViento, sur la base des données collectées individuellement par une utilisatrice de Facebook. 

MISE A JOUR !!! Un formulaire est en ligne pour que les victimes nous aident à cartographier ces événements de façon efficace.

Propositions

Le gouvernement de la ville de Mexico a réagi face à la vague de dénonciations sur les réseaux sociaux et s'est entretenu avec des victimes, leurs familles et des organisations de la société civile (dont Serendipia DATA) afin d'élaborer un plan pour combattre la violence et l'insécurité.

Les autorités ont proposé des mesures telle que l'implantation d'unités mobiles destinées à recueillir les témoignages des victimes des agressions, l'amélioration de l'éclairage public aux abords des stations de métro et le renforcement de la surveillance.

Cependant, ces mesures sont jugées insuffisantes.

Dans un pays où plus de 90% des délits ne font l'objet d'aucune dénonciation par manque de confiance dans les autorités, faciliter les moyens de signaler ces délits est important, mais pas suffisant. De nombreuses victimes ont peur des représailles ou alors refusent de déposer parce qu'ils savent que leurs déclarations n'aboutiront pas.

Rassemblement du 2 février à Mexico. Les manifestants sur la photo évoquent les victimes de violences faites aux femmes. Photographie de Jer Clarke. Avec son autorisation.

Il faut signaler que la pression exercée par les citoyens a produit des résultats. Les plaintes officielles ont explosé et ont permis la création d'un profil type des victimes d'agressions dans les transports en commun.