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L'Ukraine sous-traite sa police à des entreprises privées peu soucieuses du respect des droits de la personne

jeudi 25 octobre 2018 à 09:52

 

La sûreté municipale d'Odessa démantèle une clôture décorative sur le terrain de la maison d'hôtes “Dom Pavlovyh”. Photo : Konstontin Puzilovskiy, via Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0.

Les incidents impliquant les agents de sécurité municipaux en Ukraine s'accumulent et les citoyens sont de plus en plus nombreux à réclamer leur retrait pur et simple.

Après la révolution d'Euromaïdan en 2014, l'Ukraine a supprimé sa police nationale et a voulu créer un nouveau service de maintien de l'ordre, qui est resté sur le papier. Alors que le processus s'enlisait, les administrations locales se sont mises à sous-traiter leur police à des entreprises privées de sécurité, pour ce qu'on appelle communément des “sécurités municipales”.

Techniquement, ce ne sont pas des polices publiques. Leurs mandats ne reposent que sur des contrats signés entre elles et la ville — très variables d'une ville à l'autre — avec des mécanismes de contrôle pratiquement inexistants. La loi qui devrait réguler ces contrats est en instance de vote par le parlement national depuis 2015.

Quelques personnalités politiques ont qualifié ces ‘sécurités’ de “formations [totalement] illégales”, et les militants ukrainiens en parlent couramment comme d’ “armées privées” qui opèrent au bénéfice de certaines autorités locales.

La question a été en pleine lumière en juillet, quand les agents de sécurité municipaux d'Odessa se sont lancés dans une série d'opérations de démantèlement sur des propriétés privées en l'absence d'ordres de justice. Le 10 juillet, ils ont démoli le parc aquatique Luzanovka et la maison d'hôtes Dom Pavlovyh, où deux entrepreneurs de bâtiment ont été blessés. Au total, les deux opérations ont eu pour conséquences plus de 22.000 dollars US de dégâts matériels.

Le 13 juillet, les agents de sécurité municipaux ont attaqué les journalistes en train de couvrir une de ces opérations de démantèlement — sur le parking d'un cabinet juridique du nom de Redut — à coups de matraques et de lacrymogènes. Le reporter Miroslav Bekchiv, du journal Obshestvennyi Priboi, a été mis de force dans une voiture et conduit dans un commissariat, où il a été sévèrement battu. Il a ensuite été amené à l'hôpital, où les médecins ont indiqué qu'il avait subi un traumatisme crânien, avec des signes de suffocation et des brûlures aux yeux.

Olga Panchenko à la réunion de l'OSCE sur la Mise en œuvre de la dimension humaine, le 17 septembre à Varsovie

Le cas de Bekchiv a été transmis à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et a été cité lors d'une réunion du 17 septembre du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de celle-ci. L'avocate de Redut's attorney, Olga Panchenko, a déclaré :

In the context of the topic of the fundamental freedoms and the right to the freedom of movement, I and many of my colleagues-attorneys are particularly concerned about the following: an establishment of private armed and subordinate units in Ukraine by local municipal authorities, so-called the “municipal guards”, which according to numerous facts, infringe not only citizens’ freedom of movement, but also other fundamental human freedoms, as provided in the Declaration of Human Rights, including article 29, paragraph 2.

Dans le contexte du thème des libertés fondamentales et du droit à la liberté de mouvement, moi-même et beaucoup de mes collègues avocats sommes particulièrement préoccupés par ceci : l’institutionnalisation en Ukraine d'unités privées armées et subordonnées par des autorités municipales, soi-disant “Sécurités municipales”, qui, selon de nombreux faits, enfreignent non seulement la liberté de déplacement des citoyens, mais aussi d'autres libertés fondamentales des personnes, telles que définies par le Déclaration des droits de l'Homme, dont l'article 29, paragraphe 2.

Le bureau du procureur du district Primorsky d'Odessa a ouvert une enquête à l'encontre de cinq agents de la sécurité municipale sous le chef d’ “organisation et exécution d'actes criminels contre des représentants des médias et des civils”, parmi lequels Viktor Nikolaevich Bondarchuk, l'individu qui a agressé Bekchiv le 13 juillet.

Le ministère de l'Intérieur a ouvert une enquête à l'encontre de la sécurité municipale d'Odessa. Le Ministère a l'autorité pour révoquer les autorisations des entreprises privées. En arriver là établirait un précédent fort pour les autres gardes du même type dans les autres villes ukrainiennes.

Après une série d'incidents violents, les citoyens s'inquiètent de la possession d'équipements de niveau militaire par la sécurité municipale d'Odessa. Images d'une vidéo YouTube de Nikolaï Sikorski.

Selon The Babel, la Sécurité d'Odessa compte actuellement 300 salariés. elle posséderait aussi des équipements militaires lourds, comme on le voit sur une vidéo qui a circulé sur les médias sociaux. Cette vidéo montre un transport de troupes blindé BRDM-2 stationné dans la cour du service des gardes municipaux d'Odessa.

Selon un article publié par The Babel le 5 octobre, le chargé de presse du vice-maire Kotlyar a déclaré que le véhicule en question était “en maintenance de longue durée”, mais n'a pas pu clarifier à qui il appartenait.

Mais un autre article de Unsolved Crimes (‘Crimes non élucidés), un magazine d'enquêtes en ligne, a divulgué une vidéo d'une discussion publique à propos de ce véhicule sur Facebook, dans laquelle le chef du GUNDP (Entreprise publique de recherche unitaire) d'Odessa, Dmitri Golovine, dit que, à sa connaissance, le blindé “appartient au vice-maire de la ville – Andrei Kotlyar” (à la minute 7:48).

Une militante pachtoune des droits de l'homme arrêtée à l'aéroport d'Islamabad, puis relâchée sous la pression des médias sociaux

mercredi 24 octobre 2018 à 20:16

Gulalai Ismail parlant à TEDxExeter 2017 au Exeter Northcott Theatre à Exeter, Royaume-Uni, le vendredi 21 avril 2017. Photo sur Flickr de Matt Round pour Marr Round Photography. CC BY NC ND 2.0

La militante des droits de l'homme pachtoune et fondatrice du réseau Seeds of Peace (‘graines de paix’), Gulalai Ismail, a été arrêtée à l'aéroport d'Islamabad le 12 octobre, en débarquant d'un vol en provenance de Londres.

À son arrivée, elle a été arrêtée par la Federal Investigation Agency (FIA) et interrogée pendant huit heures. Elle a été informée que son nom figure sur la liste de contrôle des sorties, qui l’empêche de voyager à l’étranger.

Elle a été libérée [en] le même jour, à la suite d'une immense pression exercée sur les médias sociaux par les partis progressistes, les collectifs féministes et d'autres groupes.

Les Pachtounes sont un groupe ethnique minoritaire qui vit principalement au Pakistan et en Afghanistan. La discrimination et la violence sont des menaces constantes pour les Pachtounes, dont un demi-million a été déplacé à l'intérieur du pays en raison du conflit entre l'armée et le groupe militant taliban. En 2016, les Pachtounes ont reçu l'autorisation de rentrer chez eux dans les zones tribales pakistanaises sous administration fédérale, mais des mines antipersonnel installées dans cette zone [en] empêchent un grand nombre d'entre eux de rentrer chez eux en toute sécurité.

Le Mouvement (de Protection) Pashtoun Tahafuz, (acronyme angalais PTM), est devenu un point de ralliement pour des milliers de personnes qui dénoncent ces injustices. Gulalai est un membre actif du mouvement.

Pour en savoir plus : The Pashtun Long March Asks for Justice After Years of Ethnic Targeting [en]

Gulalai était l'une des 19 personnes citées dans une plainte contre la police pour avoir organisé et pris la parole lors d'un rassemblement du PTM dans la ville de Swabi, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, au nord-ouest du Pakistan, le 12 juillet. Les charges retenues contre les militants du mouvement PTM sont notamment les suivantes : « rassemblement illégal », « punition pour émeute » et « punition pour contrainte injustifiée ».

Rafiullah Kakar, consultant en politique publique pachtoune, a tweeté :

Bien que Gulalai ait été relâchée, neuf militants sont toujours en état d'arrestation pour avoir aidé à organiser un rassemblement de PTM à Swabi.
L'un d'entre eux est Faiz Mohd Kaka. Il a 85 ans et est l’un des rares membres vivants du Khudai Khidmatgar Tehreek. Quelle honte !
[Note : Khudai Khidmatgar Tehreek signifie littéralement « mouvement des serviteurs de Dieu ». Il s'agissait d'un mouvement non violent pachtoune uni contre l'empire britannique, des Pachtounes de la province frontalière du Nord-Ouest (Khyber Pakhtunkhwa) de l'Inde britannique (actuellement au Pakistan).]

Gulalai a publié une déclaration audio via WhatsApp expliquant qu'elle avait été arrêtée pour avoir « fait entendre la voix des droits civiques et de la consolidation de la paix » et pour avoir « participé au Jalsa (rassemblement) du PTM à Swabi (sa ville natale) ».

Dans son discours, elle dit :

This is an example of how the state is shrinking space for civil society organizations. Space is shrinking and closing out spaces for civic voices, voices who are raising for peace. We are speaking for peace-building…This is not an attack on Gulalai Ismail or PTM. This is an attack on civic freedoms. This is an attack on our liberty to speak out. This is an attack on our freedom of speech.”

C’est un exemple de la manière dont l’État réduit l’espace réservé aux organisations de la société civile. L'espace est en train de rétrécir et d'exclure les espaces pour les voix civiques, des voix qui s'élèvent pour la paix. Nous parlons pour la construction de la paix… Ce n'est pas une attaque contre Gulalai Ismail ou le PTM. C'est une atteinte aux libertés civiques. C'est une attaque contre notre liberté de prendre la parole. C'est une atteinte à notre liberté d'expression.

La nouvelle de l'arrestation de Gulalai s'est répandue comme une traînée de poudre sur les médias sociaux. Il y a eu des tweets et des messages de solidarité de groupes progressistes dans le pays et à l'étranger.

@Gulalai_Ismail libérée après une enquête de la FIA pendant environ 8 heures. Après sa libération, lors d'une interview à @24NewsHD.

Our friends and colleagues from Women Democratic Front, Awami Workers Party and PTM had a campaign for my release on social media. Because it was brutal to confiscate a citizen's passport for raising her voice for rights. But today is the day that shows it's a day of people's power — the youth and workers built pressure…that the (authorities) can't detain their workers… they built it through social media and also by coming to the FIA office.

Nos amis et collègues du Front démocratique des femmes, du Parti des travailleurs Awami et du PTM ont fait campagne pour ma libération sur les médias sociaux. Parce qu'il était brutal de confisquer le passeport d'une citoyenne pour avoir fait entendre ses droits. Mais aujourd’huimontre que c’est un jour du pouvoir du peuple – les jeunes et les travailleurs ont créé une pression… que les autorités ne peuvent pas retenir leurs travailleurs… ils l’ont construite à travers les médias sociaux et en se rendant au bureau de la FIA.

Tooba Syed, chargée de cours en études sur la problématique des genres et secrétaire à l'information du Front démocratique des Femmes, a tweeté :

Gulalai a été relâchée. Félicitations à tous

Alors qu'elle se trouvait toujours à l'aéroport, Amnesty International a publié une déclaration dans laquelle elle indiquait que le Pakistan devait libérer immédiatement et sans condition Gulalai Ismail.

Au lieu d'essayer de faire taire les défenseurs des droits de l'homme, le nouveau gouvernement doit œuvrer à la création d'un environnement sûr et propice pour ceux qui font entendre la voix de la justice», a déclaré Rabia Mehmood, chercheuse à Amnesty International pour l'Asie du Sud.

Le Women Democratic Forum, un groupe politique féministe de gauche basé au Pakistan, a également lancé un message de solidarité avec Gulalai.

Nous condamnons fermement la détention par la FIA de @Gulalai_Ismail, membre du WDF KP et activiste féministe connue. Nous avons des informations selon lesquelles elle aurait été livrée à la police de Swabi au cours du jalsa FIR du PTM de Swabi. Nous demandons la libération immédiate de Gulalai.

Bushra Gohar, ancienne députée à l'Assemblée Nationale et vice-président du parti national Awami a tweeté :

Choquée d'apprendre que Gulalai Ismail a été arrêtée par le Gouvernement Fantoche pour avoir élevé la voix pour les Pashtounes. Condamne fermement l'acte lâche et demande une libération immédiate. Les militants des Droits de l'homme font face à de graves menaces au Pakistan.

Après la libération de Gulalai, Rabia Mehmood, chercheuse à Amnesty International pour l'Asie du Sud, a tweeté :

Soulagée de savoir que @Gulalai_Ismail est relâchée sous caution dans l'affaire PTM Swabi Jalsa. Mais son nom figure toujours sur la liste de contrôle des sorties et son passeport reste confisqué par la FIA. Les autorités pakistanaises doivent mettre fin à cette intimidation continue de militants des droits de l'homme.

Gulalai dit qu'elle fera une demande à la Haute Cour pour que son nom soit retiré de la liste de contrôle des sorties et pour récupérer ses documents de voyage.

Júlia Lopes de Almeida, auteur à succès du XIXe siècle, mais absente de l’Académie Brésilienne des Lettres

mercredi 24 octobre 2018 à 10:21

Júlia Lopes de Almeida, la première écrivaine du Brésil, participa à la création de l’ABL mais ne put prétendre à un siège parce qu’elle était une femme | Image : Reprodução/Fundação Biblioteca Nacional

Dans le Brésil de la seconde moitié du XIXe siècle, Júlia Lopes de Almeida [fr] faisait figure d’exception : une femme écrivain qui vivait de sa plume. Mère de famille, mariée au poète portugais Filinto de Almeida, elle fut l’une des premières romancières du Brésil. En tant qu’intellectuelle qui défendait l’abolitionnisme, assumait des positions féministes et avait beaucoup de succès auprès du grand public, elle participa à la création de l’Académie Brésilienne des Lettres (ABL). Tout cela pour voir son nom rejeté, quand il s’est agi d’intégrer l’Institution, du simple fait d’être une femme.

L’histoire de la plus grande absence des 121 ans de l’ABL fut découverte, par hasard, au cours d’une recherche menée en 2015. Au milieu de son doctorat en Études brésiliennes à l’Université de São Paulo (USP), Michele Fanini a retrouvé, oubliés dans une archive, 12 textes signés de Júlia. Elle raconte que, même si le nom de l’écrivaine figurait dans l’une des premières listes des fondateurs de l’Académie, il a été ensuite effacé de l’Histoire :

Júlia Lopes de Almeida foi o primeiro e mais emblemático vazio institucional produzido pela barreira de gênero.

Júlia Lopes de Almeida fut le premier et le plus emblématique vide institutionnel créé à cause de la barrière du genre.

Dans un mémoire consacré à la traduction des œuvres de Júlia en espagnol, la journaliste équatorienne Sabrina Duque remarque que le style de l’auteur mélangeait « des mots d’origine africaine, des termes en français, les usages de la société carioca d’alors, des noms de lieux mentionnés rapidement, des paroles de chansons populaires » :

Júlia Valentina da Silveira Lopes de Almeida (1862-1934) foi uma mulher pouco comum no seu tempo. Trata-se de uma das raras literatas brasileiras do século XIX e esteve entre os escritores, de qualquer gênero, mais conhecidos e lidos de sua época, tanto no Brasil quanto em Portugal.

Júlia Valentina da Silveira Lopes de Almeida (1862-1934) fut une femme peu commune de son temps. On parle de l’une des rares auteurs littéraires brésiliennes du XIXe siècle qui fut, parmi les écrivains tous genres confondus, la plus connue et la plus lue de son époque, aussi bien au Brésil qu’au Portugal.

Sabrina raconte qu’à l’époque de la création de l’ABL, Júlia possédait déjà « une œuvre respectable », elle collectionnait les critiques positives et pouvait compter sur les faveurs du public. Pourtant, sa candidature ne reçut le soutien que de quatre personnes.

Os demais homens de letras opuseram-se à ideia, pois aceitar Júlia Lopes de Almeida seria abrir as portas da Academia para as mulheres, consideradas o “segundo sexo”, seres inferiores aos homens, em uma época em que o papel feminino restringia-se ao estereótipo da mãe abnegada e da boa dona de casa.

Les autres hommes de Lettres s’opposèrent à cette idée, en vertu du principe qu’accepter Júlia Lopes de Almeida reviendrait à ouvrir les portes de l’Académie aux femmes, alors considérées comme le « deuxième sexe » et comme des êtres inférieurs aux hommes, à une époque où le rôle féminin se limitait au stéréotype de la mère dévouée et de la bonne maîtresse de maison.

Qui était Júlia Lopes de Almeida ?

Júlia Lopes de Almeida, date inconnue | Image : Arquivo Nacional/Domínio Público

Júlia naquit à Rio de Janeiro en 1862. La même année, le Brésil rompait ses relations diplomatiques avec le Royaume-Uni en raison de la Question Christie [fr]. Cette tension prenait de l’ampleur notamment parce que le Brésil insistait pour maintenir la traite des esclaves africains. Fille d’immigrés portugais, Júlia, comme l’écrit l’auteur Luiz Ruffato, « a reçu une éducation sophistiquée et libérale, à contre-courant des standards féminins de l’époque ».

Sur encouragement de son père, elle publia vers 20 ans ses premières chroniques dans un journal de Campinas, commune de l’État de São Paulo. Quand sa famille emménagea à Lisbonne, où elle rencontra son futur mari, elle continua d’écrire et de publier dans des journaux et almanachs et termina son premier livre : le recueil de contes Traços e iluminuras. Quelques années plus tard, alors qu’elle vivait à Rio de Janeiro, elle transforma sa maison en un point de rencontres entre artistes, intellectuels et journalistes.

Ruffato écrit aussi dans un autre texte :

Tivesse Júlia Lopes de Almeida (1862-1934) se limitado a colaborar em jornais e revistas, sempre defendendo a importância da educação das crianças e a valorização do papel da mulher na sociedade, já lhe caberia o honroso lugar de uma das mais importantes vozes feministas brasileiras. Mas Júlia fez mais: escreveu romances refinados, onde descreve com elegância e precisão as encruzilhadas da mulher na sociedade de fins do Século 19 e princípios do século 20, não se esquivando de enfrentar temas complexos e polêmicos para a época.

Si Júlia Lopes de Almeida (1862-1934) s’était simplement bornée à collaborer à des journaux et revues, tout en défendant l’importance de l’éducation des enfants et la valorisation du rôle des femmes dans la société, elle occuperait déjà la place honorable de l’une des voix féministes brésiliennes les plus importantes. Mais Júlia a fait bien plus : elle a écrit des romans raffinés, où elle décrit avec élégance et précision la position à la croisée des chemins de la femme dans la société de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, en ne se dérobant pas devant l’évocation de thèmes complexes et polémiques pour l’époque.

Júlia mourut à Rio, à 72 ans, victime de la malaria. Avant le diagnostic cependant, elle fit le tour du monde passant par l’Europe, le sud du Brésil, Buenos Aires et l’Afrique.

L’histoire se répète

Le 30 août 2018, l’histoire de Júlia – et de tant d’autres femmes écrivains – s’est répétée. Tout comme l’unique femme fondatrice de l’ABL fut dès le départ empêchée d’y accéder, la possibilité pour que la première femme afro-brésilienne occupe un siège d’immortelle fut elle aussi ignorée. Malgré la campagne la plus populaire jamais menée à l’Académie, Conceição Evaristo [fr] n’a reçu qu’une voix. C’est le cinéaste Cacá Diegues qui a été élu avec 22 voix. Le second finaliste, Pedro Corrêa do Lago, en a reçu 11.

Fondée le 20 juillet 1897, l’ABL aura mis huit décennies pour attribuer un siège à une femme. En 1977, l’écrivaine Rachel de Queiroz [fr] devient la première immortelle brésilienne. Dans les décennies qui suivirent, sept femmes intégrèrent l’Académie : Dinah Silveira de Queiroz (1980), Lygia Fagundes Telles (1985), Nélida Piñon (1989), Zélia Gattai (2001), Ana Maria Machado (2003), Cleonice Berardinelli (2009) et Rosiska Darcy (2013). Puis, plus aucune autre.

Certaines oeuvres de Júlia sont disponibles dans le Domínio Público et sur le site Literatura Digital de l’Université Fédérale de Santa Catarina (UFSC).

Pas de honte à avoir: une initiative en ligne au Kazakhstan pour aider les jeunes à prendre soin de leur santé sexuelle

lundi 22 octobre 2018 à 23:12

Toutes les illustrations sont reproduites avec l’autorisation de Daria Sazianovitch et UyatEmes.kz.

Quand l'«agaï » est entré dans la classe pleine de garçons de terminale, il s'est sans doute demandé comment il allait faire pour remplir la délicate mission que lui avait confiée le directeur.

Cet agaï — ainsi désigne-t-on les enseignants masculins dans les écoles du Kazakhstan où l’enseignement se fait en langue kazakhe — était professeur de gym et remplaçait la directrice pour un cours de valéologie ou «sciences de la santé», la matière qu'elle enseignait habituellement.

La mission qui lui avait été confiée consistait à s'entretenir avec des élèves de 16, 17 ans des manières de se protéger lors de relations avec les filles. Aucune des ses formations antérieures ne l'avait préparé à cela.

«Аbaï bolindar!» commença l’agaï — ce qui en langue kazakhe signifie «soyez prudents».

Ce cours informel a rencontré un chœur de rires étouffés, qui se sont transformés on ne sait comment en débriefing du match de foot que la plupart des élèves avaient regardé la veille. Parler de foot était plus facile et pour l’agaï, et pour les élèves, si bien que la mission a été vite abandonnée.

Ce fut la première et dernière expérience d'éducation sexuelle de mon cousin, qui a terminé il y a un an sa scolarité dans une ville riche et industrialisée du nord du Kazakhstan. Le sexe n'est pas considéré comme un sujet de cours approprié dans cette ancienne république soviétique, où les habitants sont en majorité musulmans.

Pourtant, selon une étude nationale menée par l'Agence des Nations unies pour la population (UNFPA), «64,6% des 15-19 ans ont leur première expérience sexuelle pendant leurs années de scolarité, et 13,6%, avant leur 15e anniversaire. Dans ce pays de 18 millions d'habitants, les sources d'information locales font état de 6.000 à 10.000 naissances chaque année chez des mères adolescentes — et ces chiffres n'incluent pas les naissances non enregistrées par l’État, ni les grossesses interrompues par un avortement, légal ou non.

Plus que de la simple honte

Même si le sexe avant le mariage est répandu au Kazakhstan, il est sévèrement stigmatisé. Conséquence, les suites des grossesses non désirées peuvent s'avérer catastrophiques. Les informations parlent régulièrement des jeunes mères abandonnant leur nouveau-né sur le bord de la route, dans une benne à ordures ou dans les toilettes publiques. Beaucoup de ces enfants naissent sans assistance médicale, car les mineurs ne peuvent accéder légalement aux services médicaux qu'accompagnés d'un parent.

Nos propres recherches ont montré que уят, «uyat», le mot kazakhe utilisé pour décrire une grande honte, est l'une des principales raisons pour lesquelles la littérature en matière de santé sexuelle manque tellement dans notre pays. C'est un uyat pour les parents de parler sexe et contraception avec leurs enfants. Mais la majorité d'entre eux ne veulent pas que ces entretiens aient lieu dans les écoles, parce qu'ils trouvent que c'est trop tôt pour leurs enfants. Et quand l’éducation sexuelle franchit les portes de l'école, elle incombe à des profs comme l’agaï de mon cousin, qui ne veulent rien avoir à faire avec.

Le kazakhe et le russe sont les deux principales langues parlées au Kazakhstan, et même si le conservatisme de la société est fort dans tout le pays, il l'est davantage dans les milieux kazakhophones.

A la question «Qui doit s'occuper de l’éducation sexuelle?», une majorité de 15-30 ans kazakhophones interrogés [en] dans le cadre de notre étude répondent «les parents». Au contraire, une majorité de russophones répond que la responsabilité en incombe à l'école. Sur un échantillon de 57 personnes, seul 1 kazakhophone et 7 russophones ont mentionné qu'ils avaient un jour eu une conversation à ce sujet avec l'un de leurs parents.

Bien que les jeunes gens s'accordent le plus souvent sur la nécessité d'être mieux informés sur la santé sexuelle et reproductive, ils ont honte de poser des questions à cause du tabou qui entoure ces thèmes.

De plus en plus d’«uyatmen»

L'uyat, c'est un ensemble de notions qui régissent de manière informelle la vie des citoyens kazakhes.

Ces derniers temps, il s'est retrouvé au centre de l'attention publique en tant qu'outil de domination des hommes sur les femmes, qu'ils exposent à la honte publique quand elles ne correspondant pas aux schémas conventionnels sur l'apparence des femmes kazakhes, leur façon de se vêtir et de se comporter, et même ceux qu'elles doivent fréquenter et épouser.

Un célèbre caricaturiste kazakhe a imaginé un mot pour ces hommes-là : uyatmen. Les uyatmen recourent souvent à la violence comme tactique d'intimidation, pour obliger les autres à suivre leur exemple. En mars dernier, en pleine rue à Almaty, la principale ville du Kazakhstan, un homme qui s'autoproclamait «police morale» a frappé des prostituées kazakhes avec un fouet.

Les adolescentes qui se retrouvent enceintes et, d'une façon générale, les jeunes sont stigmatisés s'ils ont une vie sexuelle. Si dans les faits, c'est le cas de 65% des jeunes, mais s'ils sont obligés de se débrouiller tout seuls pour ce qui concerne l'éducation sexuelle, qu'est-ce que cela dit de la société kazakhe ?

Fermer les yeux sur un problème ne le règle pas. Une méta-analyse [en] de 89 programmes d'éducation sexuelle aux États-Unis a montré qu'une approche restrictive encourageant à s'abstenir de tout contact sexuel ne fonctionne pas non plus. Non seulement elle fait exploser la population des orphelinats, mais l'analphabétisme en matière de santé sexuelle mène à des avortements chez les adolescentes, est la cause d'une mauvaise santé reproductive, de mariages précoces, et restreint les perspectives économiques et les possibilités de formation des jeunes parents. Pourtant, dans l’ensemble, le gouvernement kazakhe et la société civile ont choisi d'ignorer le problème.

 

Voilà pourquoi j'ai lancé une plateforme en ligne en direction de la jeunesse, UyatEmes.kz. L'intitulé du site web signifie «Sans honte» ou «Il n'y pas de honte»; on peut y trouver de brefs articles sur des thématiques telles que puberté, harcèlement, relations, sexe, contraception, etc.

UyatEmes.kz propose aux jeunes gens un espace où ils peuvent poser anonymement à nos consultants des questions, même très personnelles, sur la santé sexuelle et reproductive. Ainsi, ils peuvent partager leur expérience et lire les récits d'auteurs adultes sur de difficiles expériences vécues à l'adolescence.

Cette plateforme ne s'adresse pas seulement aux jeunes, mais aussi aux parents. Elle existe en kazakh et en russe, ce qui a son importance car il n'existe pratiquement pas de ressources en langue kazakhe sur la santé sexuelle.

UyatEmes.kz est un «work in progress». Je prévois d'y ajouter par la suite un jeu interactif qui montrera aux jeunes comment prendre une décision, par exemple en cas de harcèlement sexuel ou de pressions par la famille.

Le principal message que je souhaite transmettre via UyatEmes.kz, c'est que la santé sexuelle et reproductive n'est pas un sujet honteux, et qu'avoir des connaissances à ce propos est un droit pour chacun.

Une fois la plateforme en ligne, on pouvait s'attendre à ce que quelques uyatmen se manifestent sans tarder. Dans la section des commentaires de mon interview sur YouTube, ils discutent de la façon dont une femme comme moi doit mourir et envisagent concrètement la manière dont cela doit se passer. Une fois remise du choc, je me suis persuadée que mon projet ne serait pas si nécessaire si tout le monde au Kazakhstan s'accordait sur le fait que la jeunesse kazakhe a besoin d'une large information sur la santé sexuelle et reproductive.

En fin de compte, si l’agaï de mon cousin n'avait pas eu peur de parler ouvertement avec les élèves, ces garçons auraient sans doute trouvé l'audace de lui poser des questions qu'ils ne pouvaient poser à personne d'autre. Si le gouvernement et la société avaient pris des mesures actives pour sensibiliser la jeunesse à des pratiques sexuelles sûres, de nombreuses jeunes femmes ne seraient pas contraintes d'abandonner leur bébé sur le bord des routes. Si chacun de nous prenait l'engagement de parfaire ses connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive et d'ouvrir la discussion à ce sujet en famille, peut-être que les jeunes nous feraient un peu plus confiance et nous feraient part de leurs problèmes.

Aucune plateforme en ligne ne peut résoudre tous ces problèmes à elle seule. Mais si  UyatEmes.kz peut aider en serait-ce qu'un garçon ou une fille à avoir un avenir meilleur, je me dirai que tout ceci n'aura pas été vain.

Karlygash Kabatova, créatrice et directrice de  UyatEmes.kz.

Un caricaturiste chinois envoie à Google, pour son retour en Chine, des casquettes ‘Rendre sa grandeur à la Muraille’

lundi 22 octobre 2018 à 22:23

‘Rendre sa grandeur à la Muraille’ dessin du caricaturiste chinois Badiucao.

La version originelle de cet article a été écrite par Holmes Chan et publiée sur Hong Kong Free Press (HKFP) le 19 octobre 2018. La présente republication repose sur un accord de partenariat.

Le dessinateur politique chinois Badiucao a envoyé un lot de casquettes de baseball rouges avec l'inscription “Rendre sa grandeur à la muraille” au siège de Google en Chine, pour protester contre les projets hésitants de la firme d'introduire dans ce pays un moteur de recherche censuré.

Badiucao, un artiste et militant né en Chine et vivant à l'étranger, a déclaré à HKFP avoir envoyé une douzaine de casquettes rouges à des employés de Google pris au hasard. Il en a aussi placé une autre douzaine sur des sculptures autour du siège étasunien de Google, et a envoyé un autre colis de 50 casquettes à la boutique des visiteurs de Google.

Badiucao a fait savoir que les casquettes étaient une riposte au retour potentiel en Chine du géant du moteur de recherche :

“Je veux que [Google] sache que collaborer avec la censure chinoise est une erreur. C'est aussi honteux que le mur de Trump, seulement cette fois c'est un mur internet invisible — la grande muraille pare-feu.”

Google avait quitté le marché chinois en 2010, invoquant des préoccupations pour les droits humains. Mais depuis août 2018, des fuites de documents internes, des enregistrements audio,et des sources internes à la firme indiquent que Google se prépare à lancer un moteur de recherche sur mesure pour la Chine. Sous le nom de code “Dragonfly” (libellule), ce moteur de recherche identifierait et censurerait de façon automatique des sites web comme Facebook, Twitter, Wikipédia, la BBC, Global Voices et de nombreux autres actuellement bloqués en Chine, et retirerait les résultats de recherche considérés comme sensibles par les fonctionnaires du gouvernement.

Le PDG de Google Sundar Pichai a déclaré le 16 octobre qu'il était “important d'explorer” la possibilité de faire fonctionner un moteur de recherche en Chine. Jusque là, malgré de multiples fuites, aucun dirigeant de Google n'avait confirmé l'existence du projet. Pichai a indiqué que le projet était en mesure de servir plus de 99 % des requêtes de recherches tout en restant conforme aux lois chinoises sur la censure.

La casquette rouge “Rendre sa grandeur à la Muraille”

L'artiste a ainsi commenté les projets de la firme :

When Google left the Chinese market years ago, a lot people [applauded] its principle of defending free speech. But now, with the Dragonfly program and its CEO defending the program, it only left deep disappointment and fear of the consequences of this super [corporation’s] submission to a brutal regime.

Quand Google a quitté le marché chinois il y a des années de cela, beaucoup de gens [ont applaudi] son principe de défendre la liberté d'expression. Mais à présent, le programme Dragonfly, et sa défense par le PDG, ne laisse rien d'autre qu'une profonde déception et la crainte des conséquences qu'aura la soumission de cette méga [entreprise] à un régime brutal.

Badiucao a d'abord créé les casquettes comme élément d'un dessin, avec le porteur de la casquette ressemblant distinctement à Sundar Pichai. Il a par la suite fait réaliser matériellement des casquettes. Il dit qu'il a aussi tenter d'interroger des employés de Google sur le projet, mais la plupart ont refusé de s'exprimer et n'ont pas accepté les casquettes. Il dit toutefois avoir parlé à quelques employés chinois chez Google, qui semblaient approuver le moteur de recherche censuré. Il ajoute :

I hope [Pichai] will receive the message. If Google wants to help China or Chinese people, it should help us to fight and defeat the censorship system instead of becoming a part of it.

J'espère que [Pichai] recevra le message. Si Google veut être utile à la Chine ou aux Chinois, il doit nous aider à combattre et défaire le système de la censure au lieu d'en devenir une partie.

Quant au message sur sa casquette, Badiucao dit qu'il s'est décidé pour “Rendre sa grandeur à la Muraille” à cause de la double référence, au système de censure de la Chine surnommé la grande muraille pare-feu et au slogan de Trump (Make America Great again, Rendre sa grandeur à l'Amérique).

For me the Trump cap is the crown of shame… Giving something similar to Google is the best ironic thing I can do in the USA.

Pour moi la casquette de Trump est la couronne de la honte… Donner quelque chose de similaire à Google est ce que je peux faire de plus ironique aux USA.

HKFP a sollicité Google pour des commentaires.