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Vous croyez maîtriser les casse-langues ? Esssayez en lezghien!

dimanche 6 août 2017 à 13:12

Capture d'écran de la vidéo sur les vire-langues en lezghien de Jeyhun Amirkhanov sur YouTube.

Le lezghien est une langue du Caucase qui revendique quelque 800.000 locuteurs dans le monde. Cette langue est bien assise dans sa région d'origine des deux côtés de la frontière entre l'Azerbaïdjan et la république russe du Daghestan, où elle jouit d'un statut officiel. L'Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) ne l'en a pas moins classée langue “en danger”, car peu parlée par les enfants en-dehors de la famille, ce qui compromet sa transmission aux générations futures.

Un homme est parti pour changer cela. Jeyhun Amirkhanov, un Azerbaïdjanais de langue maternelle lezghienne, utilise YouTube, Twitter et Facebook pour faire la promotion de sa région, de sa culture, et de sa langue. Il explique à Rising Voices les motivations de son action en ligne :

La perte d'une langue, c'est la perte de toute une culture, d'un mode de pensée. C'est ce qui arrive avec la plupart des langues en péril, pas seulement chez nous. […] Je fais cela parce que je veux que notre peuple soit plus conscient de sa Iangue, de sa culture et de son histoire.

Sur sa chaîne YouTube, il partage des vidéos de chansons de la région et des images de paysages du Caucase. Il a aussi réalisé une poignée de vidéos sur la langue elle-même.

La vidéo ci-après est une liste de six virelangues (ou encore casse-langues) en lezghien. Peut-être faudrait-il plutôt les appeler “casse-gorges”, puisque Piotr Kozłowski, un apprenant de la langue lezghienne et créateur du site web dédié au lezghien, a confié qu'essayer de les prononcer donne la sensation que cela pourrait “gravement endommager votre gorge” :

L'absence d'enseignement en bonne et due forme, et de soutien officiel, font qu'il est difficile pour les gens de parler leur langue sans fautes, et avec ses 54 consonnes différentes, le lezghien peut s'avérer un défi pour les oreilles non entraînées. Dans une vidéo plus récente, Amirkhanov donne une brève leçon sur les consonnes éjectives :

Heureusement, il n'est pas seul dans ses efforts pour sauver cette langue. Une autre chaîne YouTube se propose d'enseigner le lezghien aux enfants. Ainsi, même si les gamins aux racines lezghiennes vivent loin de leur village natal, ils gardent une chance d'apprendre un peu de leur langue maternelle (ou paternelle).

Que disent les résultats des élections locales de la participation politique des femmes en Iran ?

samedi 5 août 2017 à 22:29

Les femmes participent iaux conseils municipaux en Iran. Arrêt sur image d'une vidéo de Nabz Iran.

Une version de cet article a été originellement publiée sur le site Nabz Iran.

Les Iraniens se sont déplacés aux urnes le 19 mai afin de voter pour les élections présidentielle et locales. Des 287.425 candidats inscrits pour participer aux élections locales, 17.885 étaient des femmes, représentant ainsi 6,3 % de l'ensemble. La réélection à la présidence du modéré Hassan Rouhani, à côté du nombre de candidates femmes enregistrées, ainsi que le nombre d'élues, laissent espérer un Iran où la voix des femmes comptera tant au niveau local que national.

Les résultats en nombre de femmes élues à travers le pays ont été variables ; cependant, il y eu une diminution de 34 % du nombre de femmes élues aux conseils locaux comparé à 2013. A noter que si ce nombre diminue dans 16 chefs-lieux de province, 3 chefs-lieux sont restés inchangés et 11, dont la ville de Téhéran, ont vu augmenter le nombre de femmes en poste.

Parmi les endroits qui ont vu une augmentation, 415 femmes ont été élues dans la province iranienne de Sistan-Baloutchistan dans le sud-est, une province marquée par le sous-développement, la pauvreté et le taux d’analphabétisme chez les filles le plus élevé d'Iran.

À Afzalabad, un village du district de Khash, l'ensemble des 10 candidats sur les bulletins de vote étaient des femmes. Si la rumeur disait que la participation des femmes au Sistan-Baloutchistan était le résultat des taux élevés de toxicomanie et d'emprisonnement des hommes dans la province (conduisant à un manque de candidats masculins qualifiés), la participation des femmes dans la province a été davantage le résultat des actions de la société civile et du gouvernement local pour encourager une plus grande représentation politique des femmes.

A Téhéran, six femmes – Shahrbanoo Amani Anganeh, Bahareh Arvin, Zahra Sadrazam Nouri, Nahid Khodakarami, Zahra Nejadbahram et Elham Fakharinejad – ont été élues, doublant ainsi par rapport aux tours précédents le nombre de conseillers féminins présents au Conseil de Téhéran.
Les campagnes politiques menées par les candidates portaient leur attention sur nombre de problèmes tels que la participation citoyenne des femmes, les droits civiques, l’emploi, l’éducation, la santé, la sécurité et la protection sociale. Nejadbahram a concentré sa campagne à Téhéran sur le combat contre les discriminations sexistes et la création d’espaces publics sûrs pour les femmes. Elham Fakharinejad, elle aussi membre élue du Conseil de Téhéran, a mis l’accent sur la santé psychique des citoyens ainsi que sur les problèmes de santé et de protection sociale. Roghieh Gazmeh, membre du Conseil du village de Seymoun, un petit quartier à la périphérie de Eslamshahr, et mère de sept enfants, s’est quant à elle consacrée à l’emploi et a promis de créer plus d’opportunités pour les femmes au foyer de son village.
Plus de femmes se sont inscrites dans les villages (11 142) que dans les villes (6 743), sans doute parce que le pouvoir décisionnel y est plus facile d’accès. Les six provinces suivantes ont recensé le plus grand nombre de candidates enregistrées : Kerman : 1 840 ; Sistan et Baluchestan : 1 397 ; Téhéran : 1 337 ; Fars : 1 189; Khorasan Razavi : 1 116 ; et Mazandaran : 1 005. Plus de 100 femmes se sont inscrites pour devenir candidates à l’élection présidentielle, mais aucune n’a passé le processus de validation sous la direction du Conseil iranien des Gardiens.
Dans les mois qui précédèrent les élections, la perspective d’avoir plus de femmes présentes dans la vie politique iranienne fit le tour des Iraniens et des partisans d'une plus grande participation féminine à la vie politique. Les élections locales ont offert l’opportunité de placer plus de femmes dans des rôles décisionnaires, incitant les femmes à intervenir directement au sujet des lois et des règles qui les concernent, elles et leurs familles et collectivités.

Le 6 mai, des porte-paroles du mouvement iranien des femmes ont tenu une table ronde sur le rôle des femmes dans les élections. Dans une déclaration finale écrite adressée au futur président iranien, le groupe a souligné l'importance de la participation des femmes dans la politique et le rôle que les dirigeantes politiques peuvent avoir en attirant l'attention sur des questions comme la sécurité publique des femmes, le harcèlement sexuel, la santé féminine, la protection sociale et le problème des sans-abri. Elles ont aussi souligné la nécessité de mettre en place un quota réservant au moins 30 pour cent des postes ministériels aux femmes.

Une féministe de premier plan a noté dans la déclaration que les élections tant présidentielle que locales sont cruciales ; le résultat de l'élection présidentielle impacterait au niveau national le changement en cours en faveur des droits des femmes, tandis que les élections locales offriraient une opportunité de favoriser davantage la participation publique des femmes dans tous les conseils municipaux urbains et ruraux.

Les questions abordées dans les campagnes menées par les candidates ont démontré que la participation politique des femmes peut bénéficier à tous les citoyens grâce à la priorité donnée aux politiques dans le domaine de ‘qualité de la vie’. Les femmes pourront-elles tirer parti de leurs succès à ce jour ? Cela dépendra en grande partie des actions en cours des défenseures des droits des femmes pour encourager une participation accrue, ainsi que de la capacité des élues à affirmer leur place dans les conseils, et de la création de nouvelles opportunités pour que les femmes jouent un rôle actif et constructif dans la vie publique.

 

Venezuela : l'horreur juste derrière la porte

samedi 5 août 2017 à 20:36

Illustration de Leonardo González. Avec son autorisation.

Il est tôt quand la première détonation retentit. Il est un peu plus de dix heures du matin quand la Garde nationale lance la première grenade lacrymogène dans la rue où je vis. 

Je me penche par la fenêtre et j’aperçois la spirale blanche de la fumée épaisse qui s’en échappe rapidement. Au coin de la rue, une poignée de manifestants est couchée au sol alors qu’un autre groupe crie et s’enfuit dans la direction opposée au vacarme de l’explosion. 

— Ils ont commencé tôt ! — me crie ma voisine la plus proche depuis sa fenêtre  — Je ne sais pas ce qui se passe !

Je regarde le petit groupe qui court dans la rue. Les militaires en casques et gilets les poursuivent, leur arme réglementaire à la main. Les visages disparaissent dans les nuages opaques de gaz toxique. Je commence à ressentir des démangeaisons, j’ai la gorge irritée. Je m’empresse de fermer la fenêtre. Une nouvelle détonation retentit si proche qu’elle ébranle les vitres. Quand je regarde vers le balcon de ma voisine, je n’arrive pas à le distinguer. Le nuage de fumée blanche et toxique avance aussi vite que dans un cauchemar, recouvre tout, contamine chaque fente, chaque recoin possible. 

Je ne comprends toujours pas le motif de l’attaque. Existe-t-il une justification quelconque à sa puissance disproportionnée ?  Cette simple pensée m’emplit d’amertume. Il n’y en a pas, bien sûr ! La manifestation remontait la rue en agitant des drapeaux et des banderoles. Une foule considérable. La violence l’a stoppée net, lui a révélé ses limites, la puissance de l’agression et de la répression. 

Une autre explosion. Cette fois, je n’arrive pas à savoir d’où ça vient ni de quoi il s’agit. Une bonbonne de gaz ? Je reste debout dans mon studio et je regarde par la vitre la ville convertie en une tache floue, qui palpite dans une lueur jaune et ocre de plus en plus dense. La peur me traverse comme un frisson, une secousse glacée qui me fait reculer, les yeux écarquillés. Deux ou trois détonations succèdent aussitôt à la première. Toute la rue se remplit de fumée brune. 

Je me précipite pour camoufler maladroitement les fenêtres. Un morceau de papier journal. Sur l’autre, juste de l’adhésif. Personne n’est préparé à cette peur, à cette sensation d’impuissance, à l’horreur d’être otage de la violence dans sa propre maison. Quand je commence à tousser, à moitié asphyxiée et toute tremblante, tout devient irréel, difficile à assimiler. Je me précipite à l’intérieur de mon appartement, piégée malgré moi au milieu de la fumée toxique. 

La première fois que j’ai manifesté contre le gouvernement de Hugo Chávez, j’avais tout juste dix-huit ans. Je suis descendue dans la rue avec une banderole et la conviction absolue que le jeu en valait la chandelle, que cela avait un sens, que j’exprimais très exactement et fidèlement mon opinion. Accroupie dans ma chambre en essayant de respirer malgré la puanteur et les démangeaisons insupportables, je me souviens de cette première fois. L’étrange courage qui me remplissait en parcourant les rues et les avenues la tête haute, avec la sensation sans équivoque que le pays dépendait de mes efforts. Cette image simple et brisée, cette notion de quelque chose de perdu et d’irrécupérable m’ont fait pleurer. 

Les détonations deviennent plus fréquentes, plus proches. Je les écoute en essayant de garder mon calme. Après le vacarme de la rue, des insultes et des hurlements furieux, un lourd silence impressionnant s’installe. Le gaz commence à se disperser et  les démangeaisons s’atténuent. Mais je reste accroupie, les mains tellement collées au sol qu’une douleur palpitante et blanche me monte dans les jointures et le poignet. Je n’arrête pas de penser à ceux qui courent pour fuir. À ceux qui hurlent de terreur, asphyxiés et écrasés par le raz-de-marée de la violence, ravagés par le pouvoir déguisé de la dépression. Chaque explosion, sourde, courte et sèche semble tracer le chemin d’une nouvelle douleur, d’une porte ouverte sur le désastre. La peur devient plus dure à supporter, à contrôler.

J’essaie de travailler malgré les détonations. Plus de trois heures se sont écoulées et on entend encore la violence comme un écho interminable. La rue est vide et je n’arrive pas à comprendre pourquoi les tirs continuent. Le cliquetis sinistre des grenades s’entend comme un pilonnage impossible, monstrueux. Le métal se confond avec le claquement sec de l’explosion. Tout n’est que fumée blanche, la puanteur insupportable de la violence qui avance dans la rue sans s’arrêter, qui inonde tout, qui recouvre partout la violence, sauvage et agressive. 

Quelqu’un est en train de crier, me dis-je tout en essayant de me concentrer sur ce que je fais. Tu l’entends ? Quelqu’un est en train de crier. Quelqu’un hurle à pleins poumons, d’un effroi si proche et reconnaissable que j’éprouve comme une secousse. Je ne peux pas continuer à garder mon calme. Je m’approche de la fenêtre, j’ouvre les persiennes. La fumée de nouveau, fétide et vorace, dissimulant ce que si passe au-delà. Mais je continue d’entendre le cri, tellement clair. Et soudain, c’est plus qu’un hurlement. Ce sont des mots d’ordre, des insultes. C’est toute la cacophonie de la rébellion, de la peur et de l’angoisse. Les détonations à nouveau. Et tout se mélange en un tourbillon acide, brumeux, affreux. Les silhouettes des gardes en uniforme apparaissent au travers des ombres. Et aussi celles des manifestants qui résistent, qui se cachent. 

Un garde en uniforme émerge de la pénombre artificielle. Il marche dans la rue, son arme à l’épaule. Il s’arrête, regarde autour de lui. Il se penche. C’est à cet instant que j’ai entendu l’explosion et que j’ai compris ce qui se passait. Le bruit a fait trembler les vitres et m’a fait reculer. Ils tirent sur mon immeuble. Et je me le dis à voix haute, comme s’il s’agissait de me convaincre que tout ce qui arrive est réel. C’est en train d’arriver. La violence est ici, absolue et inéluctable.  

Je cours vers le couloir, et, juste à ce moment-là, une autre détonation assourdissante. On les entend de plus en plus près. Sans échappatoire, je reste paralysée. Je ferme les yeux, comme si je pouvais m’enfuir par la simple force de mon imagination. Je reste debout, en tentant de contenir mes pleurs et de respirer alors que les détonations continuent. Encore et encore. Une spirale sans fin. Une série douloureuse et indiscernable. La violence est là, me répété-je. Et, soudain, le gaz lacrymogène est partout. Une grande brume toxique m’encercle. 

Je n’arrive pas à respirer et la peau me brûle. Je repars en courant, mais il n’y a nulle part où fuir. Nulle part où je puisse me réfugier, où je puisse me sentir en sécurité. Alors, j’ai cru que j’allais mourir, seule. La gorge serrée, le nez en feu à cause de l’odeur, les poumons luttant pour prendre une bouffée d’air. Cette pensée me terrorise, me force à courir encore. Je me heurte aux meubles invisibles, aux murs qui ne devraient pas se trouver là. Quand j’ouvre la porte, je veux crier, mais je n’y arrive pas.  

Ça fait presque neuf heures que la répression a commencé. L’après-midi touche à sa fin, l’odeur fétide des lacrymogènes est partout, inonde tout.  On entend encore les détonations. Un écho sourd, parfois lointain, parfois proche. Une combinaison constante et incompressible. Et je reste là, tremblante de peur, démunie et craintive face à la répression qui cogne sans arrêt comme une pluie lente, interminable. Je ne cesse de me demander quand je me suis transformée en cette victime qui cause sa propre perte. Quand je suis devenue ennemie du pouvoir. Peut-être n’y a-t-il pas de réponse à ces questions, et ça me terrifie encore plus. 

L'InfoBus donne aux migrants qui errent à Calais accès au wifi et à l'information

samedi 5 août 2017 à 14:08
InfoBus

Un jeune garçon d'Erythrée se connecte à WhatsApp. Photo : Refugee Info Bus sur Medium, reproduite avec l'autorisation d'InfoBus Calais

Neuf mois après le démantèlement de la « jungle », plusieurs centaines de migrants continuent à vivre à Calais dans des conditions déplorables, cherchant désespérément à passer en Angleterre, notamment dissimulés, à l'aide de passeurs, dans les camions empruntant le tunnel sous la Manche. Ils affrontent la dissuasion des barrières et barbelés, la lourde présence policière qui les surveille ou les harcèle selon les moments, l'absence criante de lieux de vie et d'hygiène. Un rapport de Human Rights Watch, constitué à partir de témoignages de migrants victimes des fréquents abus, et repris et commenté par les médias, a sévèrement condamné l'attitude de la police française, particulière à Calais.

La politique migratoire du nouveau président Emmanuel Macron a encore besoin d’être éclaircie dans ses dispositions concrètes. Le Premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, ont affiché leur fermeté, tandis que le Président joue plutôt la carte de « l'humanité ». Sur le terrain, les distributions de nourriture et vêtements, exclusivement assurées par les ONG et associations, se font dans un cadre limitatif au mieux, répressif au pire, alors que la préfecture leur accorde des délais pour la mise aux normes des cuisines collectives.

Un an après notre premier séjour auprès de Help Refugees à Calais, nous sommes revenues rejoindre les bénévoles dans le vaste entrepôt de l'organisation, cette fois dans la « cuisine communautaire » qui prépare chaque jour quelque 2.500 repas, avant de les distribuer, pour part sur le lieu unique assigné par les autorités, pour part en maraudes.

Chaque jour, un fourgon hérissé d'une grande antenne et couvert d'affiches d'information, appelé InfoBus, passait la matinée dans la cour à refaire le plein d'électricité pour les batteries placées à l'arrière au milieu des matériels électroniques. Loan Torondel, son coordinateur, a bien voulu répondre à nos questions.

Loan Torondel. Photo Marie Bohner

Global Voices (GV) : Peux-tu présenter rapidement l'InfoBus ?

Loan Torondel (LT) : Ce projet a été d'abord lancé par l’association Refugee Info Bus, déjà présente ici du temps de la Jungle, avec un véhicule qui venait apporter l’information et du wifi, et après le démantèlement, ils sont allés en Grèce sur l’île de Chios. Le projet a été relancé tout récemment à Calais par l'Auberge des Migrants qui le gère à présent. Nous sommes trois à le faire fonctionner.

GV : Quelle est ta formation ?

LT : J’ai beaucoup appris sur le tas, mais j’ai suivi des formations sur les actions juridiques, la protection de l’enfance, les droits humains etc. Je vais reprendre des études plus poussées dans ce domaine.

GV : Est-ce que vous travaillez avec des avocats, localement ?

LT : Oui. Les réseaux associatifs de Calais ont récemment attaqué l'État en justice, sur les conditions de vie et le non-respect des droits des migrants ici. L'audience en appel est demain [28 juillet] [le Conseil d'Etat a confirmé le jugement de première instance donnant tort à l'État].

Affiche placardée sur l'InfoBus. Photo Marie Bohner

GV : Comment fonctionne l'InfoBus ?

LT : On va sur les différents lieux de distribution, pour apporter le wifi, la recharge de portables, de l’info sur leurs droits et la procédure d'asile en France. D'où les affiches collées sur le van.

Pour la communication des associations nous collectons aussi de l’information, ce qu’on voit, ce que les réfugiés nous racontent sur ce qui se passe la nuit.

GV : Vous travaillez avec des interprètes ?

LT : On communique avec 2 ou 3 migrants qu’on connaît bien et qui ont un très bon anglais, ils nous servent d’interprètes. Pour les articles, on en trouve en pachtoune, en tigrigna et en amharique. On leur traduit aussi les articles de la presse française ou anglaise. Les informations très spécifiques aux droits sont dures à trouver sur Internet, on essaie donc de les leur fournir, de traduire, d’expliquer. Pour les questions juridiques personnelles, on les oriente vers des avocats.

GV : Quelques chiffres ?

LT : Une centaine de personnes viennent voir l'InfoBus à chaque passage. On peut connecter jusqu’à 70 personnes sur le réseau wifi. Ce sont plusieurs dizaines de gigas utilisés pour les migrants chaque mois.

Affiche placardée sur l'InfoBus. Photo Marie Bohner

GV : Quelles sont les demandes les plus surprenantes que tu as eues dans l’InfoBus ?

LT : Ils sont vraiment intéressés par ce que disent sur eux les gens, les médias… Ils ont beaucoup de mal à comprendre pourquoi il y a ici tant de violence envers les migrants, et c’est difficile de leur expliquer. Ils ont l’impression que tout le monde s’en fout ici, alors qu’il y a quand même beaucoup d’articles, les gens en parlent, se préoccupent d’eux.

GV : Est-ce qu’il y a beaucoup de femmes qui viennent à l’InfoBus ?

LT : Il y en a quelques-unes ; 4 ou 5 hier. Mais il n'y a plus de structures spécifiques pour elles à Calais.

GV : Rencontrez-vous d’autres difficultés dans l’exercice de votre activité ?

LT : Le bon côté, c'est qu'on a peu de problèmes avec la police. Ils s’en prennent aux distributions de vêtements et de nourriture, mais ne comprennent pas vraiment ce que fait l’InfoBus, donc ils nous laissent tranquilles.

On va sur les lieux de distribution, où il n'y a pas d’électricité, pas d’eau. C’est difficile de trouver des lieux avec une bonne couverture réseau, et un accès à l’électricité.

Affiche placardée sur l'InfoBus. Photo Marie Bohner

GV : De quoi auriez-vous besoin ?

LT : Il nous faut des fonds pour payer nos factures de FAI : la connexion de 70 personnes à la fois, tous les jours, ce sont beaucoup de données utilisées. On peut nous faire des dons sur le site de l’Auberge des Migrants.

On a besoin de dons de matériels technologiques, chargeurs, portables, cartes SIM…

Quand les mineurs n’ont plus d’argent et plus de moyen de communiquer, en termes de sécurité c’est grave, ils n’ont pas de moyen de prévenir les secours ou de nous appeler s’ils ont un problème. Ils sont dehors, ils dorment dans les bois, du coup les portables sont plus rapidement abîmés, de même quand ils essaient de monter sur les camions pour passer en Angleterre. On essaie donc de leur donner des portables en priorité.

GV : Est-ce que vous recherchez des volontaires à profils spécifiques pour l’InfoBus ?

LT : Toute personne ayant des compétences techniques assez poussées en informatique, en électronique, peut nous aider. Et aussi des personnes ayant des connaissances médicales, pour faire des premiers soins. Les migrants se blessent très facilement vu la dureté de leurs conditions de vie.

GV : En conclusion, quel message voudriez-vous faire passer aux lecteurs ?

LT : Beaucoup de gens n’ont pas conscience de ce qui se passe ici, puisqu'il n’y a plus de jungle, plus de bidonville, et c’est bien. Mais il y a toujours 700 personnes ! Les migrants sont partout et nulle part, dans les rues, dans les bois, ils n’ont pas de lieux de vie. Leurs conditions d’hygiène sont effroyables, des cas de « pieds de tranchées » ont été constatés, des ulcères nécrosés apparus pendant la 1ère guerre mondiale.

La meilleure manière de résumer la situation, c’est de dire « avant c’était pire, maintenant c’est encore pire ».

De tout récents reportages vidéos sur les opérations policières nocturnes et les conditions de survie des migrants à Calais sont visibles sur le site de Taranis News.

La nouvelle vague de musiciens indépendants qui chantent en arabe marocain

samedi 5 août 2017 à 11:33

Le groupe de rock Indie The Psychoacoustics lors d'un de leurs concerts à Casablanca. Source : page Facebook de the Psychoacoustics. Avec autorisation.

Depuis quelques années, un nombre grandissant de groupes de rock indie se sont mis à écrire leurs chansons en darija, l'arabe dialectal parlé dans les conversations quotidiennes au Maroc.

Il en résulte une musique inspirée autant par l'art contemporain que par le patrimoine local. A la différence de la musique moderne marocaine dominante, sous pression pour se conformer à des standards définis, l'art indépendant en darija repousse les limites, utilise l'argot et les obscénités, touche à des thèmes hautement polémiques, et expérimente avec des styles variés.

La scène musicale alternative au Maroc est apparue au début des années 2000, et a reçu le nom de Nayda (un néologisme signifiant “réveil”, utilisé comme adjectif pour qualifier une ambiance festive). Sa principale vitrine était alors le Festival du Boulevard des Jeunes Musiciens. Après sa première édition en 1999, un concours de rappeurs, DJ et groupes locaux, ce festival a voulu installer une scène underground et la présenter au public et aux grands médias.

Les spectacles de cette première génération étaient limités et écrits presque exclusivement en anglais et français. Amine Hamma, co-auteur du livre “Jil L'Klam: Poètes Urbains” et ex-guitariste de Haoussa et Betweenatna, en donne à Global Voices une explication partielle :

Le mouvement lui-même est inspiré des idoles. Il a commencé dans les années 1990 quand les télés comme MTV, MCM et VIVA sont devenues accessibles. De cette manière, ce n'est pas que la musique qui a été diffusée, mais toute la culture. Et quand on parle de rock, la plupart des influences étaient anglophones.

A l'époque, le dialecte darija était emblématique des formes musicales traditionnelles comme le Malhoun (ou “poème mélodique”), lui-même inspiré par la musique arabo-andalouse – rien de très attrayant pour les jeunes, friands de musique et de culture pop étrangère.

Aurora se produit au Hardzazat Hardcore Fest. Source : page Facebook d'Aurora. Avec autorisation.

Le statut du darija au Maroc n'a pas aidé non plus. Comme l'explique à Global Voices Khalil Bahhaj, créateur du projet musical The Missing String [‘La corde manquante’], et chanteur principal des Riot Stones :

Il y a une idée communément partagée que le darija n'est pas compatible avec les genres musicaux où ce dernier est vu par beaucoup comme une langue associée au manque d'instruction, et où l'acquisition de certaines langues étrangères apporte un plus.

Mais les choses ont commencé à bouger. Pour certains musiciens, la musique n'a pas de langue officielle, et donc quand les paroles sont écrites en anglais, cela la rend accessible à un auditoire mondial. Mais d'autres pensent que la seule manière d'élargir leur notoriété locale est de s'appuyer sur leur langue maternelle.

C'est ainsi qu'une nouvelle vague d'artistes indépendants a fini par surgir au Maroc, des groupes sous influence de la musique électronique, du métal et du punk, avec des paroles en darija. Aujourd'hui, les lieux et opportunités de se faire connaître sont multipliés pour ces artistes.

“Il nous a fallu du temps pour trouver une identité dans le riche environnement culturel qui est le nôtre, et ce n'est que récemment que nous y sommes parvenus”, dit Zouheir Mejd, le chanteur principal de Wana Mali (précédemment Aurora).

Un succès d'importance pour le dialecte, dit Dominique Caubet, professeur émérite d'arabe maghrébin à l'Institut national des Langues et civilisations orientales de Paris (INALCO) et co-auteur de Jil L’klam : “L'utilisation revendiquée du darija par les artistes de la nouvelle scène a été très importante pour la valorisation de cette langue dans la société civile marocaine depuis une décennie”.

Ghassan El Hakim, metteur en scène, comédien, musicien et fervent promoteur du darija, croit que celui-ci est plus proche de l'identité marocaine que l'arabe, et donc plus accessible aux publics locaux :

L'arabe, comme le français, est une langue d'occupation, à la différence du darija qui emprunte à différentes langues. [Le darija] est une langue d'adaptation. Au début des années 2000, l'arabe classique était associé à l'idée d'art ‘noble’. Pour moi, le théâtre, ou l'art en général, était impossible si on ne peut communiquer avec le public. En cela, l'arabe ne se différenciait pas du français.

A beaucoup de Marocains, cette nouvelle génération rappelle la génération Ghiwane des années 70 et 80, dont les pionniers ont été des groupes comme Nass El Ghiwane, Jil Jilala et Lemchaheb.

A l'époque, le darija littéraire, le darija utilisé pour écrire les poèmes Malhoun, était encore présent. Jusqu'à l'indépendance du Maroc en 1956, c'était la “langue” parlée dans tout le Maroc. Il n'est plus parlé aujourd'hui que par une poignée d'anciens natifs de la ville de Fès. Caubet explique que “la génération actuelle ne baigne pas dans la même atmosphère que la génération Ghiwane. [La génération actuelle] s'est emparée du darija de son temps, et a commencé à travailler la langue pour son processus créateur”.

‘La scène alternative grandit, à bas bruit’

L'usage du darija ne se limite pas au rock, ni même à la musique : du rap à la fusion, du théâtre aux arts visuels, d'autres formes artistiques ont commencé à s'appuyer elles aussi sur le patrimoine local.

Les arts indépendants ou alternatifs au Maroc se distinguent par leur diversité, comparés au courant général.

“La scène alternative incarne la liberté des genres musicaux ; la liberté d'explorer et créer de nouveaux genres”, dit Aaron Moniz, membre fondateur des groupes métal Into The Evernight et Struggle Session. “Leurs chansons transmettent souvent des messages de liberté, d'égalité, le point de vue des opprimés et le Maroc réel et toujours changeant”.

Et Ghassan El Hakim d'ajouter : “L'objectif de l'art alternatif est de créer le débat. Le terme ‘alternatif’ est porteur en lui-même d'une position quelque peu politique. Pas exactement l'adhésion à un parti, mais avoir quelque chose de clair à transmettre, et le défendre”.

Un des principaux problèmes auxquels se heurte l'art alternatif au Maroc est celui de l'information. Amplify.ma est l'un des sites web qui s'efforcent d'informer sur la scène rock depuis ses débuts. Son créateur, Reda Hmidi, a dit à Global Voices que “le premier défi qui attend les jeunes musiciens est d'enregistrer un album avec une bonne qualité audio, beaucoup de jeunes musiciens ne peuvent pas se le payer”.

L'autre défi est le financement. “La scène alternative grandit, mais à bas bruit”, dit Amine Nawny, concepteur-rédacteur du magazine TLBB et comédien dans la troupe théâtrale JAA. “Il y a plus d'artistes indépendants, mais avec la probabilité de disparaître par manque de soutien financier”.

Arrêt sur image du documentaire ‘Shakespeare à Casablanca’. La troupe théâtrale JAA joue ‘Le Songe d'une nuit d'été’ de Shakespeare en darija. Image publiée avec autorisation.

Même s'il y a des revers, certains pensent que la scène alternative est aujourd'hui dans sa période la plus faste.

“En comparaison avec le passé, l'art indépendant est aujourd'hui mieux ancré dans la société”, dit Marouane Youssoufi, membre du Collectif Hardzazat. “Il est même devenu plus visible dans les médias. Il a désormais son public et ses artistes devenus conscients de leur impact social et culturel”.

Une appréciation qui n'est pas unanime.

“La scène underground avance et recule. La courbe n'est pas stable”, dit Sami Allam, chanteur principal de Soundtrip. “Parfois elle se porte bien, parfois non. Aujourd'hui, je suis convaincu qu'elle se porte bien”.