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WhatsApp, Line et Tango menacés en Iran – le président et la justice s'opposent

jeudi 5 février 2015 à 04:21

Le futur des services de messagerie instantanée Whatsapp, Line et Tango est incertain depuis une décision de la justice iranienne de filtrer l'utilisation de ces trois applications. Le ministère de la Culture et de l'Education Islamique refuse pour l'instant de commenter la décision rendue le 7 janvier.

Selon les communiqués de l'agence de presse gouvernementale iranienne [lien actuellement non accessible], le jugement était supposé entrer en application à compter du 7 janvier. En Iran, le système judiciaire est indépendant des services du président, et il est placé sous la seule supervision du Guide Suprême, l'Ayatollah Khomenei.

Le 17 janvier, dans une déclaration publique, le ministre de la Culture Ali Jannati a refusé de révéler si le gouvernement avait effectivement mis en place l’interdiction d’utilisation des trois applications concernées – il a toutefois confirmé que ces services étaient alors toujours accessibles aux internautes iraniens. Ali Jannati a également rappelé la position du président Hassan Rouhani, expliquant que les Iraniens devaient avoir un accès libre aux applications de messagerie instantanée, surtout au vu de de leur popularité.

Whatsapp, Line et Tango représentent pour les Iraniens des moyens peu coûteux de contourner [EN] les services de téléphone et de messages, contrôlés par l'Etat, et sont une connexion à la fois entre Iraniens et avec le reste du monde.

Le procureur de Téhéran Abbas Jafari Dolatabadi a reconnu que le filtrage de ces applications était une source de désaccord entre le gouvernement et la justice, tout en confirmant que la police appliquera la décision quoi qu'il arrive. Selon l'agence Mehr News [farsi], les ordres d’exécution ont été transmis par les tribunaux au ministère des Technologies de l'Information et de la Communication, mais les fonctionnaires du ministère ont suspendu l'application de ces ordres jusqu’à ce que le gouvernement et la justice parviennent à un accord.

“Nous devons utiliser un système de filtrage intelligent pour débarrasser ces applications de leurs contenus illégaux, mais leur blocage total serait mauvais” a déclaré Ali Jannati, selon l'agence de presse Fars [farsi].

Les débats sur le filtrage intelligent [anglais] sont récurrents. Cependant, étant donné les obstacles techniques à la mise en place de ce filtrage selon le contenu des messages échangés, il est peu probable qu'une telle approche résoudra le conflit entre les différentes bureaucraties du pays. Malgré le blocage de services comme YouTube, Twitter, et Facebook en Iran, de nombreux Iraniens évitent la censure au moyens de serveurs proxy et d'autre outils de contournement.

Un premier ministre de choc pour ébranler le vieil ordre politique de la Grèce

mercredi 4 février 2015 à 21:00
Caption: "Political analysts highlight the danger of a possible attack of Godzilla in Athens, if SYRIZA wins the elections" Meme tweeted by @kgougakis

Texte : “Les analystes politiques alertent sur le risque d'une possible attaque de Godzilla à Athènes si Syriza remporte les élections” Mème tweeté par @kgougakis

La twittosphère grecque en surchauffe depuis un mois, est carrément en feu depuis le 25 janvier, jour des élections législatives en Grèce qui ont pavé la voie à l'audacieux nouveau premier ministre quadragénaire Alexis Tsipras. 

Le premier geste historique de Tsipras, qui se dit athée, a été d'esquiver poliment le traditionnel serment religieux d'intronisation devant l'Archevêque. Il est aussi devenu le plus jeune premier ministre de l'histoire grecque depuis 1865.

Et ce n'est pas tout. Pour la première fois depuis 40 ans, les deux principaux partis politiques de Grèce, PASOK et Nouvelle Démocratie ne sont pas dans le nouveau gouvernement, et de nombreuses anciennes dynasties politiques de la Grèce moderne ont finalement disparu du parlement.

De nombreux Grecs quadragénaires se réveilleront demain pour la première fois de leur vie dans une Grèce sans PASOK ni ND au gouvernement

Les origines

Tout a commencé avec l'incapacité sans précédent du parlement précédent à réunir suffisamment de voix pour élire un nouveau président-chef de l'Etat, dont le rôle est surtout honorifique, ce qui a déclenché des élections législatives anticipées. L'opposition a accusé le gouvernement de semer la peur pour obtenir le soutien au vote présidentiel et éviter des élections, avec la mise en garde de l'ex-Premier Ministre Antonis Samaras que “le pays risquait un retour catastrophique aux profondeurs de la crise de la dette si le gouvernement tombait” et proclamait que “le refus de s'accorder sur le choix présidential [était] du chantage politique”. Le gouvernement et ses alliés des médias traditionnels n'ont cessé de jouer la peur d'une “fin du monde” si SYRIZA arrivait au pouvoir, comme le supposait cet article d'un portail d'actualités à grande diffusion en décembre 2014 :

Και όλα δείχνουν ότι θα πορευτούν με ασκήσεις πολιτικής τρομοκρατίας, του τύπου κι επιπέδου, «ο ΣΥΡΙΖΑ θα μας οδηγήσει στη χρεοκοπία», «ο ΣΥΡΙΖΑ θα μας βγάλει απ’ το ευρώ», «με το ΣΥΡΙΖΑ θα αδειάσουν τα ΑΤΜ», «θα μας τινάξουν στον αέρα» και τα λοιπά, συναφή και λίγο-πολύ γνωστά!

Tout montre que [le gouvernement] se livrera à des activités de terrorisme politique, comme “Syriza nous mènera à la banqueroute”, “Syriza nous fera sortir de l'Euro”, “les distributeurs de billets seront vides si Syriza l'emporte”, “ils vont nous anéantir” etc. – exactement tout pareil et déjà vu avant !

Après les élections générales, le parti Syriza n'a obtenu que 149 des 151 sièges nécessaires pour la majorité absolue au parlement, et M. Tsipras a donc accepté de partager le pouvoir avec le parti populiste de droite les Grecs Indépendants (qui n'ont rassemblé que 4,74 % des voix). Les observateurs sont dans l'expectative sur la coopération des deux partis : à part leur opposition à la troïka, leurs programmes n'ont rien en commun. 

Je ne suis PAS contente de la décision de SYRIZA de former une coalition avec les Grecs Indépendants. Ce sont des dingues racistes, homophobes et antisémites.

Dans un billet intitulé “La Grèce s'éveille à un monde nouveau”, le blogueur Teacherdude résume éloquemment l'aliance entre Syriza et les Grecs Indépendants :

Le choix des Grecs Indépendants a surpris maints observateurs, surtout ceux à l'étranger qui trouvent difficile à concevoir un partenariat entre des partis socialiste radical et  nationaliste conservateur. Pourtant ceci constitue pour Syriza le moins mauvais choix vu les options disponibles. Le candidat partenaire de coalition le plus évident aurait été le Parti Communiste Grec (KKE) mais quiconque même vaguement au fait de la politique grecque connaît l'impossibilité d'une telle alliance car le KKE n'est prêt à aucun compromis sur ses principes de gauche comportant la sortie de l'Union Européenne, de l'euro et de l'OTAN.

Au final ce sont donc les Grecs Indépendants, souvent dépeints comme un rassemblement de théoriciens du complot d'extrême-droite et de racistes à la limite de l'illégalité [...] qui ont fait l'affaire [...]. Il n'empêche que le parti dirigé par Panos Kammenos a affirmé à maintes reprises et sans ambigüité son opposition aux mesures d'austérité imposées par la troïka, et sa participation [au gouvernement] rassurera peut-être les Grecs plus conservateurs que des questions comme la défense et l'ordre ne seront pas seulement décidées par une bande de “radicaux déchaînés”. [...]

Tsipras homme de tous les records

Pour revenir au côté non-conformiste du nouveau premier ministre grec, cet article liste les nombreux “records de Tsipras” :

1. Plus jeune premier ministre (40 ans). [correctif : de la Grèce moderne]
2. Premier premier ministre né après le “Metapolitefsi” [la transition démocratique de 1974]
3. Premier premier ministre grec athée
4. Premier premier ministre grec non marié ; il vit en union libre.
5. Premier premier ministre grec à n'avoir pas fait baptiser ses enfants : il a choisi une cérémonie républicaine. 
6. Premier premier ministre grec à avoir prêté un serment civil au lieu du traditionnel serment religieux.
7. Premier premier ministre grec sans cravate à sa prestation de serment.
8. Premier premier ministre grec originaire de la classe moyenne et non des “familles politiques” traditionnelles.

En Grèce, où l'Eglise et l'Etat vont toujours la main dans la main, “chaque haut-responsable, depuis les dictateurs de droite jusqu'aux socialistes, endosse sa fonction avec un rituel impliquant bibles, croix et même souvent eau bénite”. Mais cette fois, Alexis Tsipras a poliment informé l'Archevêque qu'il se passerait de ses services et qu'un clerc subalterne serait invité pour ceux désireux de prêter un serment religieux. Pareille innovation ne pouvait passer inaperçue dans la twittosphère grecque :

Huit membres du nouveau gouvernement (presque tous des Grecs Indépendants) optent pour le serment religieux à la cérémonie

Un gouvernement grec prêter un serment politique c'est aussi rare à voir qu'un ours blanc sur l'Acropole

C'est sans précédent, pas de prêtres. On dira ce qu'on voudra de Tsipras, mais il n'y a pas de prêtres !!!

Le premier communiqué de presse officiel de parti d'opposition de Nouvelle Démocratie a simplement consisté en sa réprobation du serment séculier du nouveau gouvernement :

Un très mauvais départ pour M. Tsipras.

Il exhibe son ignorance d'une longue tradition de la nation hellénique, dont le cours est entrelacé avec le christianisme orthodoxe.

Les premiers pas de Tsipras premier ministre

Après son investiture, M. Tsipras s'est rendu au Mémorial de la Résistance nationale à Kessariani pour un hommage aux Grecs tués par l'Allemagne et ses alliés pendant la deuxième guerre mondiale :

Souvenir éternel à vous, frères, tombés dans votre combat de l'honnêteté

Il l'a fait la veille du 70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, le camp de concentration nazi allemand :

[La chancelière allemande Angela] Merkel, qui célébrera aujourd'hui le 70ème anniversaire d'Auscwitz, appréciera sûrement la commémoration par Tsipras des combattants anti-nazis grecs 

Des internautes n'ont pas bien accueilli les hardiesses de Tsipras :

Serment civil, dépôt d'une couronne au mémorial du sacrifice des combattants de la Résistance grecque. Ce n'est pas un Premier Ministre grec.

Autre tradition politique en Grèce, l'accueil du nouveau premier ministre par son prédécesseur à la Maison Maximos, siège officiel de l'Etat. Mais le premier ministre sortant Antonis Samaras a brillé par son absence à la cérémonie, s'attirant la sévère critique des conservateurs eux-mêmes, comme l'ex-porte-parole du gouvernement, Evangelos Antonaros :

Ceci est une attitude problématique, qui expose le parti en entier. La grandeur dans la défaite est la différence capitale qui définit un grand chef. 

Le pire premier ministre depuis la transition démocratique termine son mandat selon sa nature : avec mesquinerie. 

Antonis s'en va…

Une page Facebook très lue de citations et mèmes grecs partage cette image :

“Premier parti [Syriza] : indignation. Deuxième parti [Nouvelle Démocratie] : avantages et aisance. Troisième parti [Aube Dorée] : inculture. Les trois caractéristiques des Grecs. Source: page Facebook “Frappe Ministry”

Sans oublier la voyante troisième place d'Aube Dorée au Parlement grec. Le parti compte dix-sept élus. 

Aube Dorée a obtenu ~38.000 voix et un siège de moins qu'en 2012. C'est un bon début, même s'il arrive 3e aux élections 2015.

“40-50 % de la police d'Athènes a voté pour Aube Dorée” (selon le journal to Vima) un des plus gros défis de Tsipras

Où vont les médias citoyens, et autres réflexions après le Sommet Global Voices à Cebu, aux Philippines

mercredi 4 février 2015 à 18:37
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Des membres de la communauté Global Voices venant de 60 pays, photographiés aux Philippines depuis un drone. Image reproduite avec l'aimable autorisation de @ka_bino et PR Works.

J'ai passé la semaine dernière à Cebu, deuxième ville des Phillipines, avec trois cent blogueurs, journalistes, activistes, chercheurs venant de plus de soixante pays. L'occasion qui nous a réunis était le Sommet Global Voices des médias citoyens, une conférence qui se déroule tous les deux ans pour faire le point sur la situation des médias citoyens, de l'expression en ligne, du journalisme et du cyber activisme. Ce sommet a coïncidé avec le dixième anniversaire de Global Voices, le site de médias citoyens et la communauté que Rebecca MacKinnon et moi-même avons aidé à fonder fin 2004.

Nous avons déjà organisé six de ces conférences. Ce sont toujours une parfaite excuse pour réunir les équipes de la communauté Global Voices pour préparer l'avenir, former, et conforter notre solidarité. Plus de 800 personnes, entre équipe de direction, auteurs et traducteurs bénévoles, sont derrière Global Voices et comme nous n'avons pas de siège, de bureaux ou de présence physique hors du monde virtuel, la conférence permet une ‘physicalité’ et une présence qui nous manquent cruellement le reste du temps dans la plupart de nos interactions. Depuis que les Sommets GV ont commencé comme prétexte pour nous réunir et tenir nos réunions internes, c'est toujours une fête merveilleuse, une réunion de famille, mais il n'a pas toujours été l'événement le plus soigneusement programmé  (Je suis autorisé à le dire, car j'ai participé à la programmation de certaines de ces conférences.)

L'édition de cette année a renouvelé les attentes que l'on peut avoir pour un Sommet des médias citoyens. Ce furent deux jours remplis à craquer de tables rondes, ateliers, et débats, pour parler de certains des aspects les plus intéressants ou problématiques auxquels font face l'expression en ligne et l'activisme : les menaces contre l'Internet libre, les médias sociaux et les mouvements de contestation, le ‘trolling’ et les abus en ligne, la censure intermédiaire…je me suis retrouvé en train de bloguer et tweeter avec frénésie pour tenter de résumer les conversations que j'écoutais, lors des tables rondes et dans les couloirs, pour m'imprégner autant qu'il est possible de nouvelles, informations, et perspectives exprimées par des amis venus du monde entier.  

Les éditeurs et auteurs de Global Voices vont travailler leurs notes prises durant les sessions pour publier leurs compte-rendus au cours des prochains jours sur le site, mais j'ai décidé d'utiliser les heures passées dans des avions, depuis Cebu l'ile tropicale jusqu'aux neiges de la Côte Est des Etats-Unis, pour restituer certains points saillants des conversations avec la communauté Global Voices, ainsi qu'avez les formidables net-citoyens philippins qui nous ont accueillis, nous et nos invités du monde entier. 

Les médias sociaux s'orientent vers des canaux fermés et privés 

Le projet de Global Voices à ses débuts agrégeait des posts de blogs du monde entier, et les organisait quand cela était possible en articles organisés sur un sujet, pour illustrer un aspect de la conversation sur les médias sociaux dans un pays ou une région du monde. Au fil du temps, nous avons commencé à proposer la perspective des médias citoyens sur les actualités de dernière heure, à travers les écrits des citoyens qui écrivaient sur les blogs, sur Twitter, produisaient des vidéos ou publiaient des posts publics sur Facebook.  

Je commence à me demander si nous allons pouvoir travailler encore longtemps de cette façon par le futur. Les médias sociaux sont de plus en plus privés, ou deviennent semi-publics, ce qui soulève une question intéressante sur comment nous pouvons utiliser ces contenus à des fins journalistiques. Par exemple, en Chine, beaucoup de discussions politiques ont quitté Weibo (qui est de facto une entreprise d'état) quand la société a commencé à contrôler l'identité des utilisateurs. Les débats ont migré sur la messagerie instantanée pour mobiles WeChat, où les conversations de groupes, qui réunissent parfois des centaines de milliers de membres, rappellent les listes de diffusion d'autrefois (Listserv) ou les bulletins pour messages (BBM).

Est-il éthique et juste de trouver matière à des article dans ces espaces semi-publics ? Il n'existe probablement pas de réponse toute faite.  Elle doit être examinée au cas par cas. Si la réponse est qu'on peut publier un article relatant une discussion sur les réseaux à la seule condition que tous les abonnés du fil de discussions l'autorisent, cela va rendre notre travail très difficile, et nous allons perdre en partie la capacité de rapporter des conversations importantes qui n'ont pas encore atteint les médias traditionnels. Si nous ne réfléchissons pas soigneusement à ces questions, nous allons dresser contre nous les personnes mêmes dont nous cherchons à amplifier les voix. 

Que les conversations qui ont lieu dans ces espaces soient définies comme expression publique ou privée est extrêmement important pour le journalisme, car des échanges toujours plus nombreux passent de l'espace des médias sociaux, explicitement publics, à ces espaces complexes et semi-publics. 

La plateforme compte 

De nombreuses conversations avec des activistes laissent penser que le volet organisation de l'activisme est passé d'outils  aux publications visibles par tous les yeux, comme Twitter et Facebook, à des outils en général privés, comme WhatsApp. Quand des contestataires commencent à planifier un mouvement social, par exemple sur WhatsApp, l'architecture et les politiques de cette plateforme prennent une importance primordiale. Les designers de WhatsApp n'ont probablement pas anticipé que leur application serait utilisée pour coordonner des mouvements révolutionnaires. Une fois l'outil utilisé dans ce but, dans des environnement répressifs, cela soulève des questions : la plateforme prend-elle suffisamment à coeur de protéger ses utilisateurs ? Une solution est de conseiller aux activistes d'utiliser des plateformes plus sécurisées, comme TextSecure. Mais comme je le dis depuis longtemps, cependant,  la plus grande partie de l'activisme se déroule sur les plateformes les plus accessibles, il n'est donc pas simple de faire décrocher les activistes de WhatsApp. C'est pour cette raison que la campagne réussie de Moxie Marlinspike pour demander à  WhatsApp d'utiliser le cryptage d'un bout à l'autre des communications transitant sur leur réseau est exceptionnellement importante.

Les plateformes sont importantes pour une autre raison également. Elles contrôlent quel type d'expression est possible. Le livre de Rebecca MacKinnon, “Consent of the Networked”, a été un texte fondateur pour que nous puissions comprendre les problèmes de la censure intermédiaire, et elle a dirigée une session sur son nouveau projet, Ranking Digital Rights (Classifier les droits numériques). Jillian C. York, de l'EFF, a expliqué pourquoi elle voit dans les politiques de modération des réseaux sociaux un contrôle fonctionnel du type d'expression autorisée, par exemple sur Facebook. Jill s'inquiète aujourd'hui plus du contrôle exercé par les entreprises sur la liberté d'expression que des contrôles des gouvernements, citant des occasions où Facebook a supprimé des commentaires pro-Palestiniens qui avaient été incorrectement signalés aux modérateurs comme ‘apologie du terrorisme', alors que le réseau autorise par ailleurs des commentaires pro-Israël bien plus violents. Le simple fait que Facebook ait supprimé le groupe Facebook “We Are Khaled Said” – avant de le saluer pour avoir contribué à organiser les manifestations de la place Tahrir – montre que Facebook se méprend souvent sur les questions de libre expression, avec des conséquences potentiellement graves.  

Pour certains membres de Global Voices, ne pas supprimer les incitations à la haine publiées sur ces plateformes est aussi perturbant que la possibilité d'une censure des réseaux eux-mêmes. Thant Sin du Myanmar a décrit la férocité des fils de conversations en birman sur Facebook. Les menaces de violences contre des communautés religieuses, comme la minorité musulmane des Rohingya, sont fréquentes, à un point alarmant. Quand Thant a travaillé avec d'autres utilisateurs de Facebook en birman pour repérer et signaler ces conversations, ils ont échoué, pour la bonne et simple raison que les modérateurs de Facebook ne comprenaient pas le birman.  

Quand j'ai tweeté ceci, Elissa Shevinsky – PDG de Glimpse, une start-up de messagerie instantanée pour mobiles – m'a demandé pourquoi Facebook n'embauchait pas tout simplement des locuteurs de langue birmane pour régler ce problème. La réponse est simple, et triste : l'équipe de modération contre les abus, dans n'importe quelle société de médias sociaux, est considérée comme un centre de coût, et, inévitablement, elle a peu de budget. Facebook et les autres réseaux s'appuient sur la fonctionnalité ‘Signaler’ et les signalements des internautes pour identifier des contenus à examiner de plus près ou à supprimer. Kate Crawford et Tarleton Gillespie ont publié un essai superbe, intitulé  “What is a Flag For?”  (A quoi sert un drapeau), qui s'intéresse aux limites du signalement en ligne, et à la forme de contrôle et de jauge de la liberté d'expression en ligne qu'il prend. (C'est une lecture indispensable pour toutes les personnes intéressées par ce sujet). Quand des contenus ‘signalés’ sont dans une langue autre que l'anglais, Facebook a deux alternatives, toutes deux mauvaises : ils peuvent laisser les choses en l'état (en ignorant donc les incitations à la haine), ou bien bloquer ces contenus (et censurer potentiellement une expression politique). Facebook ne devrait peut-être pas s'installer dans des marchés où il ne peut surveiller de façon adéquate les contenus…mais il est difficile de demander à une société de développer des mécanismes robustes contre les abus dans une langue avant qu'il n'ait des utilisateurs parlant cette langue. 

Jillian et ses collègues, chez OnlineCensorship.org, sont actuellement en train d'étudier les contenus bloqués par Facebook et d'autres réseaux, pour tenter de cartographier l'espace concédé à l'expression en ligne. Je suis fasciné par cette idée, et je me demande si la méthode utilisée par Crawford et Gillespie pour leurs travaux (signaler volontairement des contenus aux modérateurs, pour voir comment les plateformes réagissent) pourrait fonctionner également pour Jillian (peut-être que publier encore plus de propos offensants, pour voir comment les plateformes répondent, ne sera pas un bénéfique net pour notre monde, mais il y a sans doute assez de colère et de haine en ligne pour que simplement les documenter sérieusement soit suffisant.)

Des images, pas des mots 

Je suis un type qui aime les mots, comme tous ceux qui sont arrivés jusqu'à ce point de mon post l'auront compris. Mais l'une des importantes leçons que je ramène de cette conférence est le pouvoir et la proéminence des images comme forme de discours politique. Georgia Popplewell a organisé une session importante, intitulée  “The Revolution Will Be Illustrated” (la révolution sera illustrée). Treize membres de notre communauté ont présenté le travail de caricaturistes, illustrateurs et dessinateurs de leur pays. 

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Beaucoup de ces artistes sont des caricaturistes, comme Crisis Valero d'Espagne ou le caricaturiste mexicano-américain Lalo Alcaraz. Certains sont des graphistes, comme l'activiste philippin Pixel Offensive, ou Kevin Rothrock, qui fait partie de Global Voices. Pixel Offensive produit des graphismes simples et qui attirent l'oeil, en utilisant des photos de politiciens philippins recontextualisées, légendées, et plus généralement ‘re-mixed'. Le travail de PXO a un code couleurs reconnaissable, jaune et noir, les couleurs du gouvernement Aquino. C'est un détournement visuel de la marque présidentielle. Les productions de PXO ne sont pas aussi artistiquement sophistiquées que celles d'un artiste comme Alcaraz, mais cela pourrait aussi faire partie du message : l'activisme visuel devrait être accessible à tous ceux qui veulent dire quelque chose. 

Kevin Rothrock a visiblement compris ce message. Kevin Rothrock est le co-editeur de notre édition sur la Russie, RuNet Echo, une rubrique de Global Voices qui publie souvent des opinions controversées et qui s'intéresse au web en langue russe. Kevin Rothrock adore créer des problèmes en ligne et défier les trolls qui réagissent à ses articles. Ses posts pour Global Voices sont habituellement illustrés de photo-montages, où l'on peut voir Vladimir Poutine ‘remixé’  sous toutes les formes imaginables de mèmes Internet. Tous ces photo-montages ne me plaisent pas, mais certains sont hilarants, et il est facile d'imaginer qu'ils puissent devenir viraux en ligne. 

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Image mixée par Kevin Rothrock.

J'ai beaucoup apprécié, dans l'intervention de Kevin Rothrock, qu'il encourage les blogueurs et auteurs présents dans le public à adopter ses techniques simples de photo-montages pour illustrer leur propre travail, et qu'il leur offre des conseil  (détourner des logos marche bien, car ils sont créés pour avoir un impact dans de nombreux contextes différents, et Vladimir Poutine torse nu, à dos de cheval, rend n'importe quel contexte bien plus drôle). Exactement comme les activistes ont appris à s'exprimer en déclarations courtes, facilement ‘tweetables', pour que leur message se répande en ligne, le temps est peut-être venu pour les activistes et journalistes d'apprendre à faire des mèmes visuels pouvant se répandre vite sur le Web, dans l'espoir de toucher une audience plus large.  

De la représentation des “révolutions” 

Dans le sillage des mouvements Occupy, Indignados, Gezi, et autres grands soulèvements populaires, il est raisonnable de se demander si ces mouvements de protestation ne sont pas plus efficaces pour exprimer la contestation qu'ils ne le sont pour amener des changements fondamentaux de pouvoir. En écoutant les intervenants parler des manifestations au Mexique, en Syrie, en Ukraine et à Hong Kong, j'ai repensé à l'idée de Zeynep Tufekçi : que les outils numériques avaient facilité la démarche de descendre protester dans la rue, mais qu'ils pourraient aussi avoir rendu les groupes constitués par le biais de ces outils plus faibles, et plus friables. Parce qu'il est plus aisé de faire descendre 50 000 personnes dans la rue, les organisateurs ont beaucoup moins de travail à faire en amont, mais il finissent par exercer moins d'influence et par avoir moins de capital social auprès des manifestants que ce n'était le cas autrefois. Quand la manifestation s'achève et que le temps arrive de tenter d'influencer la gouvernance, ces mouvements ont du mal à s'imposer auprès des pouvoirs.

L'un des messages importants que je retiens de la conférence est l'idée que les mouvements de contestation sont de plus en plus absorbés par leur propre représentation par les médias. Tetyana Bohdanova, auteur pour Global Voices en Ukraine, a expliqué que les manifestants de  Euromaidan ont été toujours plus médusés par la couverture des médias de leur mouvement. Des journalistes crédules ont adopté des discours simplistes. Nous avons tendance a penser que les manifestants sont à l'origine des messages courts, simples, voire de propagande, pour motiver leurs partisans. Mais Tetyana dit au contraire que les manifestants d'Euromaidan ont souvent été dans la position étrange de devoir se battre pour imposer subtilités et nuances, pour expliquer le concept de “révolution de la dignité” à la presse, qui ne souhaitait voir dans les manifestations qu'un affrontement entre la Russie et l'Union Européenne. 

Ma consoeur Sasha Costanza-Chock avance que ‘la stratégie média’ devient une composante fondamentale des mouvements de protestation. Les histoires entendues lors de ce Sommet des médias citoyens semblent conforter cet avis. De l'Ukraine à Gaza, les activistes tweetent en anglais, pour influencer la  couverture mondiale de leurs mouvements. Voir les médias sociaux comme des cannaux de mobilisation (la représentation désormais classique de la technologie dans les manifestations) ne nous donne qu'une image partielle. Pour les activistes et les manifestants, les médias sont au moins aussi importants une fois que les gens sont descendus dans la rue, pour rapporter ce qui se déroule, pour avoir les preuves permettant de dénoncer les abus et pour représenter leur mouvement auprès de l'opinion publique internationale.  

Les catastrophes naturelles sont des moteurs pour l'utilisation des réseaux sociaux 

Une moyenne de vingt typhons frappent les Philippines chaque année, mais des événements climatiques exceptionnels tels que le typhon Haiyan s'y sont produit. Il a fait  6300 victimes. Isolde Amante et d'autres chercheurs philippins ont expliqué que les médias sociaux sont devenus une source vitale d’information durant ces crises, que les journaux eux-mêmes sont susceptibles d'être informés de ces catastrophes par les médias sociaux, plutôt que par la radio et d'autres médias de masse. 

Nous avons lu et entendu beaucoup de reportages qui illustrent le pouvoir des médias sociaux en cas de crise :  la plateforme Ushahidi a été utilisée pour participer aux opérations de secours après le seisme de Haiti, par exemple. Mais ces compte-rendus décrivent en général la contribution des médias sociaux à l'information comme un épiphénomène. Les conversations que j'ai eues aux Philippine me font penser que nous devrions nous attendre à ce que les réseaux sociaux occupent un rôle de média leader en cas de catastrophe, et, c'est très probable, pour la coordination des secours. 

“Les médias sociaux, c'est prendre parti”

Cette citation est tirée de l'essai à paraitre de Phil Howard, ‘Pax Technica”. Elle m'a semblée très éloquente pour définir les conversations que nous avons eues durant la conférence Global Voices. Nous avons toujours considéré que Global Voices était un projet journalistique. Nous demandons aux auteurs de rendre compte des débats qui ont lieu dans leurs blogosphères respectives d'une façon équilibrée et juste, même si nous rejetons les notions classiques d'objectivité journalistique. Mais il est également clair que beaucoup des personnes impliquées dans Global Voices sont des avocats passionnés de différentes causes : pour la liberté d'expression en ligne, pour que leur pays soit représenté d'une façon différente dans les médias étrangers, pour des causes politiques. 

Global Voices devient de plus en plus une plateforme de ‘”journalisme de cause', dans le sens le plus noble du terme.  Elle combat en grande partie pour des changements dans le monde et présente les personnes qui se battent pour que ces changements se produisent. La description de Phil, celle des médias sociaux comme ‘l'acte de prendre parti', me semble juste. Ce ‘parti’ n'est pas explicitement politique. Les gens utilisant les médias sociaux en cas de catastrophe naturelle prennent parti pour le bénéfice des victimes. Mais la frontière entre demander à des amis ou à ses followers de prêter attention à vous, et essayer de convertir cette attention en changement, est floue, et la plupart des initiatives qui marchent sur les médias sociaux adopte une position de plaidoyer. 

Pour moi, les Sommets de Global Voices sont toujours des moments de joie, une occasion de revoir de vieux amis, et de rencontrer de nouveaux amis. Ce Sommet nous a aussi procuré de formidables sujets de réflexion, et je suis impatient de poursuivre nos conversations avec la communauté Global Voices au cours des deux prochaines années, en attendant de nous revoir à nouveau. 

Ce post a d'abord été publié sur le blog de Ethan Z.

Ethan Zuckerman a cofondé Global Voices en 2004, alors qu'il était chercheur invité du Centre Berkman à l'université de Harvard. Il dirige actuellement le Center for Civic Media du MIT, et enseigne au Media Lab du MIT. En 2013, le premier livre de  Ethan “Rewire: Digital Cosmopolitans in the Age of Connection” a été publié. 

La page facebook “A la découverte de Rangoon” raconte l'histoire personnelle de chaque birman

mercredi 4 février 2015 à 12:36
rangoon seamstress

“Je couds des morceaux de tissus pour vivre pendant que mon mari gagne sa vie comme conducteur de cyclo-pousse. Je gagne 2000 kyatts par jour, à ramasser des vieux vêtements, les racomoder et les vendre sur le marché. Nous avons trois enfants et faisons le maximum pour les élever. Mais vous savez, 2000 kyatts par jour cela ne suffit pas pour faire vivre une personne, contrairement à ce que prétendent ces crétins de politiciens.” Photo autorisée de la page Facebook de “A la découverte de Rangoon”.

 

Un groupe d'adolescents du Myanmar a créé une page Facebook appelée “A la découverte de Rangoon “, qui donne un autre regard sur la vie ordinaire des habitants de Yangon, l'ancienne capitale du Myanmar.

A l'époque où le Myanmar s'appelait la Birmanie, Yangon était Rangoon. Créé par Thaw Htet et Zwe Paing Htet, “A la découverte de Rangoon” cherche à “raconter une histoire personnelle des birmans, à chacun leur tour”, en téléchargeant des photos d'habitants de Yangon et en donnant un rapide descriptif de leur vie.

Interrogés par Global Voices sur ce qui les a incité à lancer ce projet en ligne, les deux jeunes habitants de Yangon ont répondu qu'ils souhaitaient que les lecteurs aient une meilleure approche de la vie des birmans ordinaires. Ils ajoutent:

Nous voulons donner la parole aux plus pauvres et à ceux qui luttent pour survivre.

Il y a sans doute des étrangers qui pensent que la situation au Myanmar s'est bien améliorée. Mais ce dont ils ne se rendent pas compte, c'est que les conditions de vie sont parfois devenues beaucoup plus difficiles.

Certaines photos sont devenues virales au Myanmar comme la photo ci-dessous qui montre un conducteur de cyclo-pousse (véhicule à trois roues):

rangoon brothers

Photo autorisée de la page Facebook “A la découverte de Rangoon”.

La photo est accompagnée d'une note du jeune homme photographié:

J'ai un frère jumeau qui me ressemble mais qui est très intelligent. J'ai passé trois fois l'examen de fin de 9ème année et je l'ai raté, j'ai donc décidé de subvenir à mes besoins en travaillant comme conducteur de cyclo-pousse. Pendant que je travaillais dur, mon frère a poursuivi ses études. Il a obtenu 4 prix aux examens de sortie de 11ème.

Grâce à “A la découverte de Rangoon”, Thaw Htet espère lutter contre les a priori qui veulent qu'un conducteur de cyclo-pousse soit paresseux, alors qu'au contraire la plupart travaillent dur pour nourrir leur famille.

Ci-dessous d'autres photos d'habitants de Yangon dont les histoires ont été partagées sur la page Facebook:

rangoon womanPhoto autorisée de la page Facebook “A la découverte de Rangoon”.

Je suis divorcée et ce n'est pas la chose à faire dans ce pays. Même si je gagne assez d'argent pour subvenir à mes besoins, les gens me critiquent et m'appellent parfois ‘mote-soe-ma', une terme péjoratif qui signifie chasseresse. C'est comme s'ils pensaient que les femmes ne peuvent pas choisir.

rangoon father and son

Photo autorisée de la page Facebook “A la découverte de Rangoon”.

Quel est le meilleur moment passé avec votre fils? Je n'ai pas de meilleur moment, chaque instant est une bénédiction.

rangoon street vendor

Photo autorisée de la page Facebook de “A la découverte de Rangoon”.

Je suis content quand il y a beaucoup de clients, sinon mon patron me réprimande si je ne vends pas assez. Je viens d'une petite ville de la région de Magwe et je suis venu à Yangon pour travailler. Je suis loin de mes parents que j'aide à vivre avec l'argent que je gagne en vendant ces beignets.

rangoon rope vendor

Photo autorisée de la page Facebook “A la découverte de Rangoon”.

Cela fait 30 ans que je transporte des cordages. J'ai vu le Myanmar changer et voici ce que j'en pense. L'éducation est vitale. Vous les jeunes vous avez la chance de pouvoir apprendre. Travaillez dur maintenant pour ne pas avoir à souffrir dans l'avenir. Ne faites pas cette erreur fatale.

rangoon washer

Photo autorisée de la page Facebook de “A la découverte de Rangoon”.

Je lave les serviettes et les nappes des restaurants. Je pense que les seuls jobs que je puisse avoir ce sont ceux dont personne ne veut.

rangoon trishaw driver

Photo autorisée de la page Facebook de “A la découverte de Rangoon”.

Quel a été le moment le plus heureux de votre vie?

Quand ma femme a eu un enfant.

Quel a été le moment le plus triste de votre vie?

Quand cet enfant est mort.

Comment #Euromaïdan et le conflit avec la Russie ont changé l'Internet ukrainien

mercredi 4 février 2015 à 00:23
Киев, Украина. 6 декабря 2014 года — батальон прибыл, чтобы почтить память убитых во время столкновений с полицией. На тротуаре из масляных ламп выложен герб Украины. Жители Киева приветствуют 12-й батальон территориальной обороны «Киев», вернувшийся из зоны боёв с пророссийскими сепаратистами в Донбассе. Солдаты и жители отдают дань памяти погибшим. Фото Стаса Козлюка, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. Le 6 décembre 2014, un bataillon honore le souvenir des manifestants tués lors des affrontements avec la police à Kiev. Sur le trottoir, des dizaines de bougies dessinent le drapeau ukrainien. Les habitants de la capitale ukrainienne saluent le 12e bataillon de défense territoriale “Kiev”, de retour des zones de combat contre les séparatistes pro-russes du Donbass. Soldats et habitants rendent hommage à la mémoire des défunts. Photo Stas Kozliouk, © Demotix 2014.

[Billet d'origine publié en anglais le 9 janvier 2015] Si pour de nombreux pays européens, l'année 2014 n'a pas été simple, aucun d'entre eux ne peut comparer les difficultés vécues durant l'année écoulée avec celles qu'a connues l'Ukraine.
Ce qui avait commencé comme une série de manifestations pacifiques contre une décision du gouvernement qui déplaisait à de nombreux Ukrainiens s'est transformé en conflit armé international contre l'ex-allié russe, un conflit qui n'a pas fini d'affecter l'Europe et le reste du monde.
Sur Internet, images et récits sur l'Ukraine et le conflit en Crimée ont ému des millions de personnes à travers le monde. Global Voices a voulu savoir comment, sur une année, ce conflit avait modifié l'usage d'Internet en Ukraine.

1. #Еuromaïdan
#Еuromaïdan [#Евромайдан en caractères cyrilliques] désigne le soulèvement populaire et citoyen contre le régime de Ianoukovitch. En ligne ou non, il est l'événement principal de 2013 – et s'est poursuivi en 2014. Еuromaïdan commence par une série de manifestations pacifiques contre la décision surprise du gouvernement fédéral de pas ratifier l'accord d'association avec l'Union européenne, pour au contraire se rapprocher de la Russie ; il dégénère peu à peu en soulèvement de tout un peuple – qui devait se conclure par la fusillade tragique de manifestants à Kiev, la fuite de Ianoukovitch, des élections présidentielles et législatives anticipées, et une complète réorientation géopolitique de l'Ukraine vers l'Occident.

Même s’il ne faut pas surestimer [en anglais] le rôle des réseaux sociaux durant la révolution ukrainienne d'Euromaïdan, il reste que les technologies du Web et des réseaux sociaux ont eu une grande influence [en anglais] sur les événements. En effet, on peut considérer que l'étincelle qui a allumé le feu est un post sur Facebook signé d'un célèbre journaliste. Aux débuts de l'Euromaïdan, Facebook sert aux manifestants à s'organiser, et Twitter et Youtube à communiquer entre eux et avec le monde extérieur. Par la suite, le mouvement Euromaïdan perdure et prend une dimension internet très puissante : c'est sur Internet que les activistes partagent l'information, débattent des réformes et s'organisent pour continuer à faire pression sur le nouveau gouvernement ukrainien.

Киев, Украина. 23 декабря 2014. Парламент в Киеве стал сценой, на которой активисты оглашали требования по бюджету на 2015 год, который должны были принять депутаты. Протестующие вышли против сокращение социальных расходов, приватизации государственной собственности и банковской тирании. Фото Назара Фурика, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. 23 décembre 2014. Le parlement de Kiev devient la chambre d'écho des revendications des manifestants au sujet du budget 2015 que doivent adopter les députés. Les manifestants se prononcent contre la suppression des dépenses sociales, la privatisation des biens de l'Etat et la tyrannie des banques. Photo Nazar Fourik, © Demotix 2014.

2. Une révolution en direct
En 2013-2014, la consultation d'Internet en direct est un outil clé pour qui veut suivre à distance les manifestations d'Euromaïdan. Des contributions d'abord individuelles qui fin 2013 constituent des flux, puis des dizaines de canaux en ligne assurant une retransmission directe des événements [en anglais] depuis les principaux lieux de protestation en Ukraine.

Après la chute du gouverbement Ianoukovitch, fin février 2014, les Ukrainiens continuent à retransmettre en direct aussi bien les rencontres clés avec les manifestants que des débats publics sur l'avenir de l'Ukraine.

Aujourd'hui le projet indépendant et financé en grande partie par du crowdfunding [en anglais] de «télévision en ligne» « Hromadske.TV», après avoir bénéficié d'un intérêt resté très vif pour l'Euromaïdan, s'est installé en première ligne sur les réseaux sociaux. La principale chaîne de télé nationale du pays a ainsi plusieurs fois utilisé les contenus de HromadskeTV.

3. Un nouveau gouvernement sur Facebook
Au printemps 2014, les violences qui ont lieu avant la chute de Ianoukovitch écornent sérieusement la confiance des Ukrainiens envers leurs institutions, spécialement la police. C'est dans cet contexte que Facebook devient une plateforme cruciale pour débattre des événements politiques en cours en Ukraine. En effet, certaines figures clés du gouvernement provisoire se mettent à l'utiliser comme un canal de liaison direct avec la société.

Un exemple : le nouveau ministre des Affaires étrangères Arsène Avakov est connu pour publier chaque jour le rapport de son activité sur Facebook. Durant la période troublée qui suit l'annexion de la Crimée et la poursuite des combats dans le Donbass, où les combattants pro-Russes se battent contre les régiments ukrainiens, les billets réguliers d'Avakov sur son blog connaissent un grand succès, car ils répondent bien aux exigences d'une plus grande transparence (non sans, évidemment, que quelques commentateurs se demandent s'il est bien nécessaire qu'un ministre passe autant de temps sur Internet).

Киев, Украина. 2 декабря 2014 года. Депутаты 8-го созыва собрались для объявления состава нового правительства. После открытия заседания спикер Владимир Гройсман приостановил заседание для проведения консультаций. Вскоре Рада утвердила новое правительство. Фото Олега Переверзева, © Demotix 2014.

Kiev, Ukraine. 2 décembre 2014. Les députés de la 8e législature sont réunis pour proclamer la composition du nouveau gouvernement. Après l'ouverture de la séance, le rapporteur Vladimir Groisman la suspend pour consultation. Puis la Rada approuve le nouveau gouvernement. Photo Oleg Pereverzev, © Demotix 2014.

Mais Avakov n'est pas seul sur Internet. Quelques autres acteurs importants du gouvernement se sont joints à un débat public sur la Toile — être présents sur les réseaux sociaux est devenu une nouvelle nécessité pour les figures politiques ukrainiennes de haut rang. Quelques organes moins en vue se font aussi une place sur Internet. Par exemple, la ville occupée de Lvov incite [en anglais] sa police à venir sur Facebook, de façon à rendre les forces de l'ordre plus accessibles aux simples citoyens.

4. Une guerre de l'information en ligne entre Russie et Ukraine
Sur fond d'annexion de la Crimée par la Russie et de soutien russe aux rebelles qui combattent maintenant à Donetsk et Lougansk, il est de plus en plus difficile d'accéder à des informations fiables au sujet de l'Ukraine de l'Est. Le plus souvent, les seuls témoignages de première main sur l'actualité brûlante dans les régions prises dans le conflit sont fournis par les réseaux sociaux.

Surtout, les internautes auront été les premiers à remarquer les déclarations de soldats [russes] qui ont publié des selfies géolocalisés en Ukraine [en anglais], bien que le Kremlin continue à nier activement y avoir envoyé des troupes. Ces événements conduisent à la création de projets spéciaux de reportages citoyens collectifs sur les mouvements de miliciens et de militaires russes en Ukraine [en anglais, russe et ukrainien].

Les réseaux sociaux ont aussi mené l'enquête sur le crash du vol MH17, abattu sur une partie du territoire ukrainien contrôlée par les séparatistes, produisant d'importants témoignages sur ce qui semble être la main du Kremlin [en anglais] derrière cette attaque, et que les médias officiels nient tout à fait maladroitement.

Les observateurs notent aussi l'augmentation des campagnes de désinformation menées par des trolls rémunérés par le Kremlin [en anglais], qui ont pour mission de discréditer des données factuelles et de répandre la désinformation pour justifier l'action de la Russie en Crimée et dans l'est ukrainien [en anglais]. En réponse sont lancées des initiatives de fact-checking  indépendantes pour démonter les mensonges des médias et lutter contre la propagande russe dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux.

5. Les soldats sur les réseaux sociaux
Au printemps 2014, les groupes de combattants soutenus par la Russie à Donetsk et Lougansk prennent le contrôle de parties significatives de ces villes, déclenchant un conflit armé avec le nouveau gouvernement ukrainien.

L'extrême faiblesse de l'armée ukrainienne par rapport aux forces russes, la possibilité que les troubles séparatistes s'étendent à d'autres régions, et aussi la menace d'une invasion militaire à grande échelle venant de la Russie, tous ces facteurs conduisent à la création de bataillons de volontaires composés de civils et de sursitaires. Les troupes d'autodéfense de Maïdan et les soldats de l'armée régulière se battent dans ce qui est la première guerre de l'histoire post-soviétique en Ukraine. Comme les séparatistes, les combattants ukrainiens partagent largement cette expérience sur les réseaux sociaux… 

Certains décrivent les difficiles conditions de la guerre, souvent avec une pointe d'humour, alors que d'autres donnent à leurs lecteurs des informations sur les derniers  événements sur le front, souvent en questionnant les besoins de l'armée.

Волноваха, Украина. 28 декабря 2014 года. Соладт сидит в SUV в на контролируемой армии территории. Всего несколько километров — и начинается территория, удерживаемая пророссийскими сепаратистами. Украинские военные патрулируют и проводят обзор ситуации рядом с пограничными зонами, которые контролировались сепаратистами, рядом с городом Волновахой в 50 километрах от Донецка. Фото Александра Ратушняка, © Demotix 2014.

Volnovakha, Ukraine. 28 décembre 2014. Un soldat dans un véhicule militaire sur un territoire contrôlé par l'armée. Quelques kilomètres le séparent du territoire contrôlé par les séparatistes russes. Les soldats ukrainiens patrouillent et dressent l'état des lieux des zones frontalières investies par les séparatistes, près de la ville de Volnovakha, à 50 kilomètes de Donetsk. Photo Alexandre Ratouchniak, © Demotix 2014.

Ces récits sur les réseaux sociaux ont joué un grand rôle pour attirer l'attention sur la situation désespérée de l'armée, et fait pression sur le gouvernement quant à la nécessité d'un contingent de renforts.

Par exemple, pendant  les combats à Ilovaïsk [en anglais] — alors les plus terribles de tout le conflit — les membres des bataillons volontaires et ceux qui les commandaient se sont adressés aux médias sociaux [en anglais] en contournant le gouvernement de Kiev, démentant carrément certaines déclarations publiques selon lesquelles la ville avait été reprise. Les combattants communiquaient sur leurs pertes réelles lors des batailles et leurs besoins de renforts. Des actes qui, en définitive, ont poussé le gouvernement à ouvrir une enquête sur le commandement des combats, et conduit au limogeage du ministre provisoire de la Défense, Valéri Gueleteï.

6. Une armée financée par crowdfunding
Quand la Russie a annexé l'Ukraine, les Ukrainiens ont soudain ouvert les yeux sur les faiblesses de leur armée. Depuis, les forces armées ukrainiennes — à la tête desquelles le ministre de la Défense lui-même —  ont régulièrement sollicité [en anglais] des dons du public, pour financer l'effort de guerre à Donetsk et Lougansk.

La majeure partie de ces contributions sont le fait de civils constituées en groupes Facebook, d'initiatives privées en ligne et de particuliers, dont les posts sur les réseaux sociaux demandent à leurs lecteurs de contribuer au financement de l'armée, réussissant parfois à collecter plus de 850 000 dollars.

Quelques initiatives bénévoles remarquables sont issues de ce mouvement, et le président Porochenko a distingué les fondateurs de ces organisations, en invitant même les figures clés à devenir ses conseillers et à prendre part à la réforme du ministère de la Défense.

7. Les technologies Internet pour débattre des réformes
En 2014, les réseaux et médias sociaux sont aussi le lieu où se poursuit le débat sur la refondation politique et sociétale de l'Ukraine. Après les dernières élections législatives fin 2014, nombre de nouveaux députés et fonctionnaires se tournent vers Facebook et d'autres plateformes pour réunir les propositions des citoyens et leur faire connaître leurs actions. En décembre, les activistes lancent même une nouvelle plateforme Internet [en ukrainien] où seront débattus publiquement les projets de loi du parlement.