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Les fils de concierges peuvent-ils devenir juges en Egypte ?

dimanche 17 mai 2015 à 15:05
The social pyramid of ancient Egypt, the higher you went the more important you became and the more your living standards improved. Even in ancient Egypt, upward mobility was possible

La pyramide sociale dans l’Égypte ancienne. Plus les gens s'élevaient dans la hiérarchie, plus ils devenaient importants et voyaient leur niveau de vie augmenter. Même à cette époque, la mobilité sociale était possible.

Le fils d'un concierge peut-il devenir juge? Pas en Égypte, selon le ministre de la Justice Mahfoodh Saber, poussé vers la sortie après la levée de bouclier suscitée par ses propos dans les médias sociaux.

Le 11 mai, Saber a déclaré lors d'un entretien télévisé [en arabe]:

Le travail de juge nécessite d'être issu d'un milieu en adéquation avec un tel rôle, sauf le respect que j'ai pour les concierges et tous ceux qui se trouvent en-dessous ou au-dessus [dans l'échelle sociale]. Le milieu d'origine d'un juge doit être convenable. Je ne suis pas en train de dire qu'il doit être élevé mais il ne devrait pas être défavorisé. Nous remercions tous les concierges qui ont permis à leurs fils de recevoir une instruction, mais attribuer à quelqu'un de ce milieu une position de juge le fera beaucoup souffrir, de dépression et autres problèmes. Cela le mettra dans l'incapacité de continuer.

Même en Égypte ancienne, la mobilité sociale était possible. Les fils de paysans étaient envoyés en apprentissage auprès d'artisans et ils s'élevaient dans la société. Le fait qu'aujourd'hui encore, les questions de classe soient présentes en Égypte et que la mobilité sociale soit impossible en a choqué plus d'un. L'ex-ministre semble vouloir dire  que même si quelqu'un travaille dur et réussit bien dans ses études, il ne sera pas capable de gagner de quoi améliorer son statut social.

A titre d'exemple, la profession de médecin est considérée comme très bien payée dans une grande partie du monde. Cependant, le docteur égyptien Riham Abdelstar note que, dans son pays, les internes gagnent autour de 20 dollars US par mois [N.d.T environ 17,50€] :

Après toutes ces années d'études et de formation, je serai interne dans un an et demi, je gagnerai 150 livres égyptiennes [20$] par mois et paierai 5 livres par jour pour le transport.

Les propos tenus par le ministre ont incité un certain nombre d'Égyptiens à s'exprimer sur la montée des inégalités et de la discrimination de classe dans le pays. Kareem Samy écrit sur Twitter:

Les exemples de réussite de fils de concierges et autres que nous entendions régulièrement sont en train de disparaître. Pour information, notre communauté se transforme sous l'effet du traditionalisme et de la bourgeoisie.

Les réactions provoquées par les déclarations du ministre l'ont forcé à démissionner. Cela n'a pas empêché le débat autour des classes sociales de devenir le sujet le plus discuté dans les médias sociaux égyptiens. Le dessinateur Islam Jawish a raillé l'incident avec ce croquis:

- C'est vrai, un fils de concierge ne peut pas devenir ministre. – Pourquoi? A cause du prestige? -Non, parce qu'il est propre.

Toutefois, la démission de Mahfoodh Saber ne signifie pas la fin des discriminations pour les Égyptiens. Bassel Khaled pose très bien le problème:

Bon maintenant [après la démission du ministre], un fils de concierge peut-il devenir juge?

Un autre utilisateur de Twitter a souligné le caractère illégal du discours du ministre en vertu de la Constitution égyptienne:

Le ministre de la Justice ne sait pas qu'il vient de commettre un crime puni par la loi.

[traduction de l'encadré:Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Ils sont égaux en droits, libertés et devoirs, sans discrimination basée sur leur religion, croyances, sexe, origine, race, couleur, langue, handicap, classe sociale, affiliation politique, origine géographique ou toute autre raison.

La discrimination et l'incitation à la haine sont des crimes punis par la loi.

L’État prendra les mesures nécessaires pour éliminer toute forme de discrimination, et la législation prévoira la création d'une commission indépendante à cet effet.]

La polémique a même soulevé les sarcasmes des diplomates. L'ambassadeur britannique en Égypte John Casson a tweeté:

Voulez-vous travailler à l'ambassade britannique? Nous accueillons tout le monde y compris les fils de concierge.

Le tweet de l'ambassadeur a provoqué des réactions mitigées entre ceux qui voulaient l'expulser du pays et ceux qui ont salué son sens de l'humour.

Ce n'est pas la première fois que le sujet fait l'objet d'un débat en Égypte. Le président de la cour de cassation Ahmed Ali Abdulrahman avait déjà tenu les mêmes propos par le passé.

Le fait que, contrairement à des incidents précédents, celui-ci ne passe pas est peut-être un signe de l'ampleur que prennent les médias sociaux qui permettent aux gens d'avoir plus facilement accès à l'information et d'interagir avec les médias. Cela ne remplace évidemment pas le manque de contrôle parlementaire causé par le report des élections. Cependant, le fait que des personnes de différents groupes débattent du rôle de la ségrégation sociale dans la structure étatique est encourageante.

Là d'où je viens [N.d.T l'auteur de l'article est bahreïnien], de telles choses passent presque inaperçues quand elles se produisent et n'ont aucune répercussion comme l'observe Abu Omar Al Shafee du Bahreïn sur Twitter:

Les nouvelles nominations aux postes de procureur au Bahreïn ont été attribuées aux fils de députés, aux anciens députés et aux dirigeants en place… De quelle discrimination parlez-vous?

Global Voices partenaire du site d'information thaïlandais Prachatai

samedi 16 mai 2015 à 23:35
prachatai

Image de la page Facebook de Prachatai

Prachatai est un nouveau partenaire de Golbal Voices qui diffuse une information indépendante. C'est un journal thaïlandais en ligne à but non lucratif.

Prachatai a été créé en 2004 par des journalistes confirmés et des directeurs d'ONG pour proposer une information alternative sur l'actualité thaïlandaise. Au cours des dix dernières années, Prachatai s'est particulièrement intéressé aux problèmes liés aux droits humains et aux revendications portées par les mouvements et organisations de la société civile.

Prachatai, qui signifie ‘Peuple libre’ en thaï, a régulièrement soutenu la protection de la liberté d'expression en Thaïlande. En 2011, son directeur a été arrêté à l'aéroport de Bangkok pour avoir laissé publier sur le site des commentaires ‘offensants’ par des lecteurs anonymes.

Prachatai a bravé les autorités en s'opposant à la loi martiale, déclarée par l'armée il y a un an. Le coup d'état a imposé des restrictions sévères sur les médias, mais Pratchatai poursuit sa mission d'information au monde sur la situation en Thaïlande et sur les efforts des citoyens thaïlandais pour restaurer la démocratie dans le pays.

Grâce à ce partenariat, Global Voices s'efforcera de relayer l'information et les analyses que la presse traditionnelle thaïlandaise est dans l'incapacité de fournir en raison des réglementations de plus en plus contraignantes imposées aux médias par le gouvernement soutenu par les militaires. Nous continuerons à faire entendre la voix des anti-coup d'état et autres points de vue, réprimée, réduite au silence et déformée par la censure.

“Je ne suis pas un fraudeur”, la campagne pour changer une définition du dictionnaire espagnol

samedi 16 mai 2015 à 22:21
Captura de video de Youtube

Capture d'écran de la vidéo sur YouTube

Le 8 avril, à l'occasion de la Journée internationale du Peuple Rom, les organisations regroupées dans le Conseil du Peuple Rom ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux demandant à l'Académie royale espagnole de changer la définition du mot gitano (gitan en espagnol) dans son dictionnaire.

L'objectif de la campagne, qui utilise les mots-dièses #YoNoSoyTrapacero et #YoNoSoyTrapacera (Je ne suis pas un fraudeur – Je ne suis pas une fraudeuse), est de sensibiliser à la discrimination contre les Roms. La vidéo de la campagne est largement partagée sur les réseaux sociaux.

Il faut préciser cependant que, dans la définition apparaissant dans le Dictionnaire de l'Académie royale espagnole, le mot “trapacero” ne figure pas, cependant la quatrième définition indique “qui escroque ou agit par tromperie”, comme le relève @MonicaEHM :

La campagne “Je ne suis pas un fraudeur” est une bonne idée mais vous pouriez me dire où ce terme est utilisé dans le dictionnaire de l'académie royale espagnole ?

Je ne suis pas un fraudeur – je ne suis pas une fraudeuse

Ça vaut la peine d'écouter ces enfants. Je ne suis pas un tricheur. Non à la discrimination, même dans la langue.

10 ans après le massacre d'Andijan, le témoignage d'un Ouzbek sur la situation des opposants

samedi 16 mai 2015 à 15:14
The town of Andijan in Uzbekistan.  Photo from www.panoramio.com. Licensed to reuse.

La ville d'Andijan en Ouzbékistan. Photo de www.panoramio.com. Reproduction autorisée.

Le 13 mai marque les 10 ans du massacre par le gouvernement ouzbek de centaines de civils qui s'étaient réunis sur la place centrale d'une ville de province dans un acte de résistance spontané contre un régime brutal et corrompu.

Au lendemain du massacre, le gouvernement ouzbek a qualifié le groupe de protestataires d”extrémistes islamiques’, dénomination qui s'applique depuis à toute personne qui ne correspond pas à la vision étroite que se fait l’État du citoyen idéal.

Bien que le sujet de cet article, Akram Rustamov, n'ait pas été ce jour-là parmi ceux qui se trouvaient dans la ville d'Andijan, son histoire donne un aperçu édifiant du climat de peur et de paranoïa engendré par le gouvernement — y compris à des milliers de kilomètres de ses frontières — au nom du contre-terrorisme.

L'article qui suit a été écrit par Sonum Sumaria, cinéaste indépendante de la compagnie Guerrera Films. Il est paru sur EurasiaNet.org le 11 mai.

J'ai rencontré Akram Rustamov par hasard alors que je faisais des recherches pour un article sur les souffrances endurées par les émigrants d'Asie centrale à Moscou, où des millions d'entre eux occupent les emplois les plus dégradants.

Le jeune homme de 25 ans est confronté à de lourdes accusations chez lui en Ouzbékistan.

Ses accusateurs lui reprochent de recruter pour le “Mouvement Islamique du Turkestan” (des experts de cette région pensent que le groupe est une invention de la police secrète ouzbèke), d'appeler au jihad en Ouzbékistan et de vouloir rejoindre un camp d'entraînement terroriste en Syrie.

Selon des groupes de défense des droits de l'Homme, l'Ouzbékistan utilise depuis des années de fausses accusations de terrorisme pour emprisonner les contestataires comme des milliers d'autres, essentiellement des musulmans pacifiques. Le régime d'Islam Karimov a recours aux arrestations et aux procès à huit clos dans le but de perpétuer la peur et de légitimer son exercice autoritaire du pouvoir dans le pays et à l'étranger. L'essor de l’État Islamique en Syrie et en Irak n'est qu'un prétexte de plus.

Bahrom Hamroev, militant à Memorial, une des principales organisations de défense des droits de l'Homme en Russie, considère les accusations qui pèsent sur Akram comme “fabriquées et falsifiées.”

Le jeune ouzbek m'a demandé de filmer son histoire. Il était prêt à tout pour prouver son innocence.

En passant du temps avec des Ouzbeks à Moscou,  je me suis rapidement aperçue que beaucoup vivaient dans la peur de quelque chose infiniment pire que les gangs de nationalistes russes ou les patrons véreux sur lesquels j'étais partie enquêter.

Lorsqu'un ami d'Akram – un gars corpulent et sûr de lui que j'appellerai Ahmed – nous a entendu émettre des hypothèses concernant la responsabilité du régime de Karimov dans les bombardements de Tachkent en 1999, il a été pris de panique. Si quelqu'un l'apprenait, a-t-il déclaré, on l'enfermerait immédiatement. Ahmed et un autre de ses amis confronté aux mêmes accusations qu'Akram sont si effrayés qu'ils ont cessé de rendre au travail par crainte d'être enlevés par les services de sécurité ouzbeks qui opèrent à Moscou.

Dix jours après avoir filmé Akram, il m'a appelée et m'a dit qu'il allait retourner en Ouzbékistan. Je l'ai supplié de n'en rien faire mais il m'a affirmé qu'il n'avait pas le choix. Il avait reçu des coups de fil menaçants du Service de Sécurité National Ouzbek (SNB) et, le 24 avril, il est parti.

D'après sa famille et ses amis, à peine Akram était-il arrivé en Ouzbékistan que le SNB l'a immédiatement arrêté. Personne n'a été autorisé à lui rendre visite. Ses proches redoutent qu'il n'ait été torturé et qu'ils ne puissent plus jamais le revoir.

A Memorial, Hamroev pense qu'Akram s'est vu promettre la liberté, promettre qu'il serait lavé de tout soupçon. Selon lui, c'est la seule manière d'expliquer qu'il soit parti de son plein gré. Hamroev pense également qu'on a forcé Akram à faire un choix, du genre: retourne dans ton pays ou ta situation sera bien pire.

L'Iran teste un système de censure “intelligente” sur Instagram

samedi 16 mai 2015 à 15:07
Censored and accessible pages on Instagram. Images mixed by Mahsa Alimardani.

Pages censurées et accessibles sur Intragram. Montage image par Mahsa Alimardani.

Cette recherche a été conduite et rapportée par Mahsa Alimardani et Frederic Jacobs. Ellery Roberts Biddle a aidé à rédiger ce rapport.

L'Iran est largement connu pour sa censure de divers sites et de réseaux sociaux, mais cette année, le pays va réorganise son filtrage des réseaux sociaux avec une nouvelle approche technique appelée filtrage “intelligent”. Sa cible : Instagram. Pourquoi Instagram ? Parce que c'est techniquement possible sur ce réseau social.

Depuis le mouvement de protestation de 2009, le gouvernement iranien voit Internet comme un espace qui peut faire vaciller la sécurité nationale. Suite à l'agitation de 2009, qui était née avec l'aide des technologies de communication comme Facebook, des blogs actifs, et des webTV de candidats de l'opposition comme Mehdi Karroubi et Mir Hossein Mousavi, le gouvernement avait décidé de centraliser de manière radicale l'Internet, avec pour conséquence des fermetures de sites et des censures sur beaucoup de sites, dont Facebook et Twitter. Les statistiques du gouvernement iranien montrent que 70% de la jeunesse iranienne [français], tranche d'âge majoritaire dans le pays, contournent ces filtres avec des outils adaptés.

Coincées par leur politique de censure qui est à la fois massive et inefficace, les autorités iraniennes essayent maintenant de reprendre le contrôle d'Internet avec la mise en place d'un filtrage “intelligent”, une technique qui consiste à trier le contenu d'une plateforme de réseau social, sans appliquer un blocage sur la totalité du site web. Ce premier exemple de filtrage intelligent sur les réseaux sociaux a récemment été mis en place sur l'application Instagram.

Pour cette recherche à petite échelle, nous avons étudié les aspects techniques de ce processus du mieux que nous pouvions, observant les techniques mises en place par les censeurs iraniens pour bloquer des pages individuelles et des types particuliers de contenu sur la plateforme. Nous avons aussi essayé de déterminer à quels endroits du réseau iranien ce filtrage avait lieu. Enfin, nous avons comparé le blocage des pages sur Instagram avec les sites associés sur Internet, pour mieux comprendre comment le gouvernement perçoit les menaces sur les différents supports qu'offre Internet.

Contrairement à ce qui se raconte, nous avons trouvé très peu de figures politiques ou d'activistes dont les pages étaient bloquées. La page d'individus comme Kambiz Hosseini, bien connu pour ses talk-shows satiriques Parazit et Poletik, visibles uniquement sur les chaines satellites illégales ou sur des plateformes interdites dans le pays comme youtube.com ou radiofarda.com, sont accessibles sur Instagram. D'autres pages politiques comme celle de la Maison blanche, ou celle appartenant au dissident emprisonné Hossein Ronaghi [anglais], sont elles aussi visibles sur Instagram, tandis que celles d'autres célébrités comme Justin Bieber ou Kim Kardashian ne le sont pas. Cela suggère que les autorités iraniennes ne considèrent pas Instagram comme une plateforme politique pour les dissidents.

Imprisoned activist Hossein Ronaghi's Instagram page is accessible, while his website is filtered. Screenshot of his Instagram page.

La page Instagram de l'activiste politique emprisonné Hossein Ronaghi est accessible, alors que son site est victime du filtrage d'Internet. Capture d'écran de sa page Instagram.

Qu'est ce que le filtrage “intelligent”, exactement ?

L'Iran expérimente une nouvelle manière de contrôler Internet : les autorités s'infiltrent elle-mêmes dans les réseaux sociaux pour surveiller plus efficacement et censurer le contenu page par page, plutôt qu'à grande échelle. Le cas d'Instagram illustre très bien cette manœuvre : c'est la première (et la seule, à notre connaissance) application du filtrage intelligent des réseaux sociaux en Iran. En décembre, 2014, le ministre des Technologies d'information et de communication Mahmoud Vaezi [farsi] a déclaré que le filtrage intelligent était dans sa phase d'expérimentation, et qu'il bloquait pour l'instant les contenus immoraux et criminels. La police d'Internet d'Iran, Gerdab, a néanmoins constaté [farsi] que ce filtrage intelligent ne marchait pas sur les sites qui utilisaient un protocole SSL. En d'autres termes, ce filtrage ne marche que si les utilisateurs accèdent à un site à travers HTTP – s'ils utilisent HTTPS, un protocole qui crypte les données qui circulent sur le réseau, le système ne peut pas voir ce qui est envoyé, et ne peut donc pas identifier le contenu problématique.

Le gouvernement a indiqué vouloir construire une infrastructure d'Internet national plus solide et utiliser des technologies sophistiquées pour la surveillance et la censure en ligne. Un exemple de cette volonté est le projet Ankaboot, un logiciel qui est une sorte d'”araignée” qui indexe les pages, utilisé pour surveiller et collecter des informations qui circulent sur le web. Des outils comme Ankaboot suggèrent que les autorités sont résignées à l'idée que les utilisateurs iraniens d'Internet continuent à se connecter sur des sites américains avec des outils de contournement, même lorsque des alternatives locales sont disponibles.

En annonçant [anglais] le lancement d’Ankaboot, les Gardiens de la Révolution ont expliqué que le programme identifierait des activités qui poussaient à la “corruption” et incitaient à vivre à l'occidentale. Les officiels ont déclaré que l'outil s'appliquerait à Instagram, Viber et WhatsApp, applications dans lesquelles certaines sources affirment que les “likes” seraient surveillés pour identifier des potentiels hors-la-loi. Cela indique un souhait général de garder ces plateformes accessibles pour les iraniens, tout en contrôlant la manière dont elles sont utilisées.

La recherche

Nous avons conçu un programme pour faciliter la détection de comptes Instagram filtrés, en se basant sur une liste de comptes que nous savions déjà être filtrés. Nous avons testé un échantillon de 15.238 comptes, un nombre assez réduit mais qui peut tout de même nous apprendre des choses. Toutes les mesures présentées ici ont été collectées mi avril, les résultats pourront donc varier en fonction de la période et de la localisation géographique.

Nous avons construit notre échantillon à partir de ces pages que nous savions bloquées, incluant celles du chanteur américain @justinbieber,  de @khatamifans et @therichkidsoftehran, ainsi que quelques pages de l'élite iranienne, non bloquées mais très populaires. Sur les 15.238 pages testées, un total de 983 pages étaient bloquées. Pour comprendre le type de contenu que les censeurs iraniens visent sur l'application Instagram, nous avons pris un échantillon de 78 pages bloquées et de 55 non bloquées. Ensuite, nous avons catégorisé et recoupé cette liste avec des sites internet appartenant aux mêmes utilisateurs.

Notre recherche a montré que le contenu Instagram était filtré avec Deep Packet Inspection [français] sur le serveur principal du site d'Instagram, qui héberge et envoie des contenus pour l'application mobile d'Instagram. Ce filtre sélectif est possible car les données envoyées ne sont pas cryptées entre les serveurs d'Instagram et l'application mobile. Sans cryptage, les autorités peuvent aisément voir les données qui circulent sur le réseau, et censurent celles qu'elles considèrent non conformes.

Quand nous avons essayé d'accéder à un compte bloqué par l'application Instagram, il nous a été renvoyé un message d'erreur de chargement. Nous nous sommes trouvés face à la fameuse page M5-8 [anglais], que les iraniens rencontrent chaque fois qu'ils essayent d'accéder à un site web censuré. Il semble que les comptes soient bloqués sur un unique identifiant qui n'est pas le nom de l'utilisateur du compte. Les tests prouvent qu'en changeant le nom d'utilisateur, on ne contourne pas le blocage. Même quand des comptes ont été supprimés du site, l'URL conduit toujours à la page M5-8. Cependant nous n'avons rien trouvé qui nous permette de prouver que le filtrage du contenu Instagram se fasse par mots clés ou par hashtag.

Nous avons transmis ce que nous avions trouvé à l'équipe sécurité de Facebook, qui est maintenant en charge d'Instagram. Quelques jours après notre rapport, Instagram a publié une mise à jour de l'application permettant de charger les profils utilisateurs, les timelines et le contenu via HTTPS, y compris dans l'application mobile.

Ce qui est bloqué sur Instagram: la mode, le commerce, Justin Bieber

46 des 78 pages bloquées appartiennent à des magazines de mode, des mannequins, des photographes, et autres structures ou personnes liées à l'industrie de la mode. Les pages de Vogue et VICE font partie des comptes bloqués. Tandis que le site web de Vogue est aussi bloqué en Iran, le site de VICE, i-d.vice.com, semble en revanche être accessible là-bas. Nous avons trouvé cette même incohérence entre la page Instagram officielle et le site web sur plusieurs marques de designers.

On peut accéder à des sites comme Burberry, Gucci, et Jimmy Choo, mais leurs comptes Instagram sont, eux, bloqués. La raison pour laquelle certaines marques de créateurs sont bloquées tandis que d'autres sont accessibles n'est pas très claire, mais un premier coup d’œil aux posts partagés sur les pages de mode de Chanel et Michael Kors montrent qu'elles sont plus conservatrices que d'autres marques. Nous étions plus perplexes en découvrant que les filtres autorisaient l'accès à la page Calvin Klein [anglais]. La marque est connue pour ses mannequins qui posent en sous vêtement, découvrant largement la peau – y compris Justin Bieber, dont la page Instagram est bloquée en Iran.

Iran's filtering system does not block content from the Instagram pages for Calvin Klein, a label notorious for its skin-bearing models. Screenshot of Calvin Klein's official Instagram page.

Le système de filtrage iranien ne bloque pas le contenu de la page Instagram de Calvin Klein, une marque connue pour ses modèles dont on voit largement la peau. Capture d'écran de la page officielle de Calvin Klein.

Les stars occidentales sont aussi une cible. Les pages appartenant à des célébrités comme Madonna, Rihanna, Beyonce, Jennifer Lopez, Kim Kardashian et d'autres membres de la famille Kardashian sont bloquées.

Le point commun entre les pages des célébrités et celles des magazines de mode semble l'accent mis sur les femmes, qu'on voit souvent habillées de façon provocante. L'exception ici est Justin Bieber, la seule célébrité masculine que le filtre bloque. Les célébrités ayant des comptes Instagram bloqués ont aussi leurs sites web bloqués, hormis quelques cas comme celui de la joueuse de tennis Serena Williams.

Une poignée d'autres pages bloquées mettent en avant des femmes habillées de manière provocante comme @boobs_n_vodka, et des pages privées en farsi comme @khoshtipmr, qui peut se traduire par “beaux garçons”, qui montre des hommes iraniens issus de différentes parties de l'Iran, parfois torses nus. La description de cette page dit : “Les lois de la République Islamique d'Iran imposent un blocage des commentaires politiques. Nous ne postons pas de photos sans hijab [voile islamique].” La page n'a pas été mise à jour depuis décembre 2014. Peut-être un bon indicateur de la date à laquelle elle a été bloquée.

The Instagram page for @khoshtipmr is now blocked, and has a disclaimer in the bio that says ""

La page Instagram de @khoshtipmr (ou “beaux garçons”) est maintenant bloquée, et sa description dit: “Les lois de la République Islamique imposent un blocage des commentaires politique. Nous ne postons pas de photo sans hijab”.

D'autres pages bloquées sont celles de célébrités iraniennes qui vivent en exil, comme le rappeur Shahin Najafi et l'actrice Golshifteh Farahani. Leurs sites Internet sont aussi bloqués. Nous pouvons supposer que ces pages sont visées car ils ont tous deux pris des positions contre un grand nombre de normes politiques et sociales en Iran.

Dans cet échantillon, nous avons aussi découvert quatre comptes bloqués qui faisaient du commerce en Iran via leur page Instagram, donnant un contact e-mail direct ou un téléphone pour les iraniens qui auraient voulu acheter la marchandise proposée. Par exemple, @tehranmedia vendait des coques de téléphone portable, disponibles via un numéro Viber. Le compte est en farsi, avec 61.000 abonnés et de 300 à 400 likes par post.

Les pages @khatamifans et @therichkidsoftehran étaient déjà des pages connues pour être censurées sur Instagram. The Rich Kids of Tehran [Jeunesse dorée de Téhéran] a été censurée en Octobre 2014, et le site conservateur weblognews.ir [anglais] avait expliqué qu'il avait été bloqué à cause de son contenu “vulgaire”. Le compte de Mohammad Khatami, lui, est bloqué depuis Février 2015, date où la justice a annoncé que toute mention du très populaire ancien Président serait supprimée des médias iraniens. Le blocage de son compte Instagram a été rapporté pour la première fois par les utilisateurs de Twitter le 5 avril. Encore une fois, au vu des décisions que les autorités ont prises contre Mohammad Khatami et The Rich Kids of Tehran, nous pensons que ces comptes sont eux aussi sous un filtrage intelligent.

Les pages Instagram de l'activiste emprisonné Hossein Ronaghi, la Maison Blanche, la BBC iranienne, le journal Kaleme, journal affilié à la Révolution Verte, la chaine américaine conservative Fox News et Global Voices sont tous accessibles, bien que leurs sites soient bloqués en Iran. A souligner que nous avons découvert pour la première fois en avril de cette année que la version HTTP de Global Voices était bloquée en Iran.

Il y a aussi quelques exemple de blocages de personnages politiques ou d'activistes. Quelqu'un comme Kambiz Hosseini, connu pour ses talk-shows Parazit et Poletik qui sont regardés sur les satellites illégaux ou sur des plateformes bloquées dans le pays comme youtube.com ou radiofarda.com, sont accessibles sur Instagram.

BBC Persian, well known for its censored webpage often provides news updates on its Instagram. This page is not blocked.

La BBC iranienne, bien connue pour sa page internet censurée, publie souvent ses nouvelles informations sur Instagram. Son compte Instagram n'est pas bloqué.

Toutes ces trouvailles montrent une incohérence générale dans la politique iranienne de filtrage. Tandis que de nombreux personnages publics et entreprises ont leurs comptes Instagram bloqués, les pages web associées sont quand même accessibles. Peut-être est-ce dû à la mise en valeur des images sur Instagram, tandis que les sites mettent plutôt l'accent sur les textes et autres contenus. Mais en général, la population que l'on trouve sur Instagram est une population jeune, et c'est peut-être la raison pour laquelle les autorités iraniennes se soucient autant de ce qu'ils pourraient voir sur Instagram, et la propagation potentielle d'idées allant contre la morale et les normes de la société.

Tout ceci suggère que les autorités iraniennes ne voient pas Instagram comme une plateforme pour les dissidents politiques. Elles sont plutôt inquiètes des images immorales et nuisibles, des représentations provocantes des femmes principalement, mais aussi parfois des hommes

Réduire le “nuisible” tout en préservant des bénéfices

Il y a eu énormément de discussions concernant la politique de filtrage de ces réseaux sociaux populaires. Le journal en ligne Young Journalists Club [Club des jeunes journalistes, farsi], affilié a la télévision gérée par l'état iranien, a cité dans un article des experts locaux qui suggèrent que le filtrage intelligent est nécessaire pour censurer Internet de manière plus efficace, étant donné qu'un filtrage général a conduit les iranien à utiliser des outils de contournement en masse. La logique générale, ici, selon Hamed Alvandi, l'un des experts cités, est de “traquer tout ce qui est anti-islamique, immoral et contre le gouvernement.” En effet, le but est de créer une technologie qui scannerait le web et censurerait ces pages individuelles. Mais il semble que ces annonces ne tiennent pas vraiment compte de l'infrastructure technique que nécessiterait un tel filtrage.

Le concept de filtrage intelligent est apparu pour la première fois pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, quand une page Facebook a été créée pour le Guide Suprême Ali Khamenei en 2012. Cela a conduit beaucoup de gens à se demander si les autorités n'étaient pas en train de repenser leur politique en terme du filtrage de Facebook et Twitter. Par la suite, des radicaux d'Iran, comme le chef de la Police Esmail Ahmadi Moghadam, ont défendu la notion de filtrage dans le contrôle des réseaux sociaux [farsi], plutôt que de les censurer totalement. De cette manière, comme il l'a souligné, tout “le contenu nuisible dans les réseaux sociaux pourra être évité, et en même temps, les gens pourront bénéficier de tout ce qui est utile à voir sur ces réseaux.”

L'administration actuelle a fait beaucoup de promesses et de déclarations à propos de l'ouverture d'Internet. L'administration d'Hassan Rouhani a réussi à empêcher la mise en oeuvre de décisions prises par les instances les plus radicales du gouvernement [français], y compris des décisions judiciaires, qui devaient bloquer des applications mobiles populaires comme WhatsApp, Line et Tango.

Avec le protocole HTTPS, le filtrage intelligent ne va pas durer

Avec l'adoption du protocole HTTPS par Instagram dans ses mises à jour les plus récentes, nous pensons que les technologies employées par le filtrage intelligent vont devenir obsolètes. Actuellement, il ne reste que quelques possibilités de filtrage, comme le filtrage basé sur des images (plutôt que par utilisateur), étant donné que les images sont envoyées par HTTP par le réseau d'Instagram. Cela devrait permettre d'éviter qu'une image nuisible soit publiée sur le compte d'un utilisateur, tout en laissant disponibles le nombre d’abonnés, la biographie, les “like” et les commentaires des images, tous envoyés via HTTPS. Mais quand Instagram aura basculé toutes ses activités sur HTTPS, les options de l'Iran seront beaucoup plus limitées. Cela les forcera a choisir entre bloquer totalement l'application, ou laisser faire.

Mahsa Alimardani est experte du filtrage d'Internet en Iran et chercheuse à l'Université d'Amsterdam. Elle est aussi l'éditrice de Global Voices pour la partie iranienne. Frederic Jacobs est un expert en sécurité et un développeur à Open Whisper Systems.

Dans les jours qui viennent, nous publierons un rapport plus étendu sur nos recherches et les procédures techniques que nous avons utilisé pour obtenir ces données. Vous pouvez déjà jeter un œil à quelques uns de nos documents ci dessous. Une question ? Contactez-nous sur Twitter :  @maasalan et@FredericJacobs.

Sur notre échantillon

This is a sample of some of our findings.

Extrait de notre échantillon. La liste complète sera publiée bientôt.

Définition des catégories de comptes

The categorization used to parcel through our blocked content.

Nous avons créé 14 catégories de contenu bloqué.