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Playing For Change milite à travers le monde pour la paix et l’intégration par la musique

dimanche 24 juillet 2016 à 16:52
Cuatro miembros de la Red de Escuelas de Música de Medellín tocan parte de "La Tierra del Olvido" desde una de las comunas de Medellín. Captura de pantalla del video disponible en la cuenta de YouTube de Playing for a Change.

Quatre membres du Réseau d'écoles de musique (Red de Escuelas de Música) situé à Medellín en Colombie, participent à « La tierra del olvido » (La terre de l'oubli) dans un des quartiers de Medellín. La vidéo d'où est tirée cette image se trouve sur le compte YouTube de Playing For Change.

Le but de Playing For Change est d'unir les gens par la musique. C'est un projet culturel qui rallie des musiciens de partout dans le monde par le biais de chansons emblématiques.

D'après son fondateur, le réalisateur et producteur Mark Johnson, l'idée lui vint à New York :

Il y a environ 10 ans, j'ai vécu une expérience qui m'a ouvert les yeux sur le pouvoir de la musique. Je me rendais au travail dans un studio d'enregistrement à New York et j'étais dans une station de métro quand j'ai vu deux moines vêtus de robes et peints tout en blanc. Un des moines jouait de la guitare acoustique à corde en nylon pendant que l'autre moine chantait dans une langue que je ne comprenais pas. Je voyais une station de métro remplie de monde et personne ne montait dans le train : tout le monde écoutait cette musique extraordinaire. Des gens souriaient alors que d'autres pleuraient, mais tout le monde était profondément touché par la musique. J'ai pris le métro et je suis allé au travail et je me suis dit que la plus belle musique que je n'avais jamais entendue, c'était en allant au studio, pas dans le studio. J'ai compris que la grande musique et le grand art ne sont que des instants de la vie et qu'ils existent partout. Nous pouvons utiliser l'énergie de ces instants pour rassembler les gens.

Ses efforts pour rassembler des gens de cultures, ethnicités, religions et origines politiques différentes à travers la musique commencèrent à prendre forme en mars 2005 avec une chanson considérée comme une des meilleures chansons du 20e siècle – « Stand By Me » de Ben E. King. Le chanteur américain Roger Ridley l'a chantée dans les rues de Santa Monica en Californie, puis Mark a ajouté d'autres voix et sons enregistrés en Irlande, Afrique du Sud, Inde, Népal, Moyen-Orient et à Barcelone. Au moment de la rédaction de cet article, la vidéo en ligne a été vue plus de 90 millions de fois.

Deux ans plus tard, en 2007, il créa la fondation du même nom :

Notre mission est de créer des changements positifs grâce à l'éducation musicale et artistique. Comme le dit un de nos étudiants au Népal, « La musique est indispensable à notre vie – on ne peut pas vivre sans musique ». Nous sommes tout à fait d'accord. À la fondation Playing For Change, nous vivons dans cette optique et appliquons ce principe à tout ce que nous faisons.

Colombie, Mexique et Argentine

Le message d'intégration de l'organisation a touché un grand nombre de pays. En 2010, Mark est allé en Colombie pour enregistrer « La tierra del ovido » (La terre de l'oubli), une chanson de Carlos Vives avec le soutien de la fondation Americas Business Council qui a été créée en 2008 pour promouvoir le développement culturel dans les Amériques.

D'après Playing For Change :

Cette vidéo présente plus de 75 musiciens de partout en Colombie. Tout au long de notre parcours, nous avons appris que la musique est le meilleur outil pour guérir les pays, les cultures et les cœurs brisés. Avec cette vidéo, nous avons entrepris d'unir et d'inspirer le peuple de Colombie pour qu'il puisse aller de l'avant après des années de conflit, et construire un futur positif.

Leur succès les a menés a essaimer dans d'autres pays et en 2012, ils sont allés au Mexique pour enregistrer « Mexico lindo y querido » (Beau et adoré Mexique). Leur but était de soutenir Cauce ciudadano (Chaine des citoyens), une organisation de société civile qui travaille avec les jeunes pour combattre la violence dans le pays.

L'année suivante, Playing For Change arrive en Argentine pour soutenir une campagne sur l'environnement nommée « Dejá tu huella: una Reserva con más Reservas » (Laissez votre empreinte : une réserve avec plus de réserves). La chanson sélectionnée s'intitule « Carnaval toda la vida » (Carnaval à vie), par le groupe ska nommé Los Fabulosos Cadillacs.

Erzo Bueno, qui a produit la vidéo, a déclaré :

Es un honor colaborar con la preservación de los bosques nativos y  creemos que la música tiene la fuerza necesaria para unir a la gente en torno a esta causa tan noble.

C'est un honneur de contribuer à la préservation de ces forêts indigènes. Nous pensons que la musique a le pouvoir de rassembler les gens derrière cette grande cause.

Playing For Change continue à tisser des liens en Amérique latine aujourd'hui. En 2015, ils sont retournés en Colombie pour soutenir l'orphelinat Betsalem dans son projet de créer une école de musique, initiative qu'ils espèrent reproduire dans d'autres régions du pays. Le 24 septembre 2016, ils fêteront le Playing For Change Day, qui unira les musiciens et les mélomanes à travers 46 évènements qui auront lieu dans 21 pays en soutien aux différents projets dans lesquels l'organisation est impliquée.

Beaucoup d'autres versions de leurs chansons des quatre coins du monde, ainsi que les témoignages des participants, se trouvent sur la chaine YouTube de l'organisation.

Après l'attaque de Nice, l'impact sur le secteur touristique se fait déjà sentir

samedi 23 juillet 2016 à 15:56
Un lieu de recueillement improvisé sur la Promenade des anglais, après l'attaque terroriste meurtrier du 14 juillet 2016. Photo de l'auteur

Un lieu de recueillement improvisé sur la Promenade des anglais, après l'attaque terroriste meurtrier du 14 juillet 2016. Photo de l'auteur

L'attentat du 14 juillet, n'a pas seulement plongé Nice dans l’angoisse et l’horreur, elle a aussi impacté négativement un secteur touristique déjà en ballotage. Le choc économique ne sera pas comparable à ceux des autres villes touristiques frappées récemment par le terrorisme telles que Grand-Bassam en Côte d'Ivoire, Sousse à Tunis et Charm el-Cheikh en Egypte mais mais cette tragédie porte certainement un coup dur à un secteur en difficulté en France.

Nice et ses environs tirent d'importants revenus du tourisme. Tout ce qui peut affecter négativement ce secteur a de sérieuses conséquences sur les activités économiques de la région. Après Paris, Nice est la ville la plus visitée de France.

Selon les données de l’Office de tourisme, en 2015, la ville de Nice a attiré 40 % des 5 millions de touristes qui ont visité la Côte d’Azur, générant près de 1,5 milliard d’euros de retombées économiques annuelles. Le secteur touristique représente 40 % du PIB de la région et emploie 119 000 salariés. Rien que la taxe de séjour lui a rapporté en 2014, la somme de 33 millions d'euros.

Le site de référence touristique industrie-hoteliere.com rapporte que:

Le président du syndicat des hôteliers Nice Côte d'Azur, Denis Cippolini évoque « de nombreuses annulations » et il considère que « la saison d'été et celle d'hiver vont être impactées avec des conséquences sur l'emploi ».

Pour les professionnels du secteur des industries hôtelières de la Côte d’Azur, l'enjeu va bien au-delà de la seule saison touristique estivale 2016. L’ensemble des hôteliers, restaurateurs et cafetiers s’accordent à dire que l'impact sera aussi ressenti aux villes alentours comme Cannes, Antibes/Juan les Pins ou Monaco, tant la Côte d'Azur est perçue, notamment à l'international, comme une seule et même destination. ….

Avec la répétition des attentats meurtriers sur le sol national depuis le début de l’année 2015, les professionnels du secteur du tourisme constatent un recul sensible de la fréquentation hôtelière, notamment de la clientèle en provenance des Etats-Unis, du Moyen-Orient et d’Asie.

Cette crise arrive au moment où grâce au championnat européen de football des nations de l'Euro2016, le tourisme commençait timidement à se reprendre après le choc provoqué par les attentats à Paris en 2015. Touriscope, le site de l'Observatoire du Tourisme de la Côte d'Azur relève ainsi que:

Le rebond est encore plus net sur le chiffre d’affaires généré par cette clientèle, dont la dépense remonte à près de 200€/jour (124€ l’an dernier sur la même période). Dans les hébergements marchands, l’hôtellerie 2-3* et les résidences de tourisme souffrent d’un certain déficit de la demande Loisirs (-5 points d’occupation en Mai), mais la tendance apparaît bien meilleure dans l’hôtellerie 4-5 étoiles

Sur ce segment, la fréquentation en nuitées est restée stable aussi bien en Mai que sur les 5 premiers mois de l’année

La progression des étrangers en 4-5 étoiles (+4%) a compensé la baisse des nuitées françaises. Sur le seul segment Luxe, le revenu par chambre disponible (RevPar) progresse de 8.5% sur les premiers mois de l’année, à 182€ HT (hôtellerie urbaine).

L'impact économique va bien au-delà de la ville de Nice. Le site 2012un-nouveau-paradigme.com donne des chiffres sur les pertes à la bourse des valeurs de Paris:

À Paris, le secteur du tourisme et du transport était sous pression, sanctionné par les investisseurs. Un peu avant 10 heures, le groupe hôtelier AccorHotels perdait 3,39% à 37,29 euros, le loueur de voitures Europcar 3,60% à 7,25 euros et le groupe aérien Air France-KLM 2,05% à 5,88 euros. Eurotunnel perdait 0,73% et ADP 0,43%. Globalement, l'indice européen du tourisme et du transport, parmi les plus fortes baisses sectorielles, abandonne 0,66%.

Le secteur du tourisme «devrait subir de plein fouet les conséquences des atrocités commises à Nice, zone très touristique en cette période estivale», prévient le courtier Aurel BGC, rappelant que «le tourisme pèse plus de 7% du PIB français». Le courtier souligne que le secteur «commençait tout juste à relever la tête en France, en particulier après un Euro de football qui s'est déroulé sans incidents notables (à l'exception des batailles entre hooligans à Marseille) et avait, d'après les échos transmis par la presse, permis de relancer les réservations de dernière minute dans le pays».

14th July, Nice

14 Juillet (2014), Nice, France. Sur la plage au bas de la Promenade des Anglais, une soirée en famille. Liberté, Fraternité, Egalité! Photo sur Flickr de Michael Foley (CC BY-NC-ND 2.0)

Mais la France n'est pas le seul pays affecté par ses attaques au niveau touristique.

Mohamed Rial, blogueur marocain sur le tourisme au maroc, exprime ses craintes sur l'amalgame qui pourrait être fait à cause de l'appartenance religieuse ou l'origine maghrébine du terroriste. La crainte générée par ses crimes pourrait produire des effets collatéraux qui affecterait des villes touristiques comme Marrakech :

Mais les effets des attentats seront aussi collatéraux pour une ville comme Marrakech, dont le cœur de l’activité économique n’est autre que le tourisme. Quoi de plus normal pour une destination dont l’Hexagone constitue le premier marché pourvoyeur, avec 40% des flux. Depuis 2012, la ville ocre, tout comme Agadir, souffre d’un désamour des touristes français, qui s’accentue d’année en année. En raison, justement, de ces attentats et des amalgames qu’ils suscitent dans l’esprit des voyageurs.

D’après le dernier rapport annuel du Syndicat français des entreprises des tour-opérateurs (Seto), l’un des premiers fournisseurs de voyages à forfait (vol+séjour) pour le Maroc, la clientèle du business français du voyage se réduit comme peau de chagrin. En juin dernier, les premières tendances pour la saison estivale affichaient un recul de 38% pour le Maroc au profit du Portugal, des Baléares et de l’Italie.

C'est dans un climat de plus en plus tendu que le gouvernement a approuvé la prolongation pour 6 mois de l'état d'urgence. Le Collectif “Nous ne céderons pas” explique sur le site europe-solidaire.org les conséquences de cette mesure et tire la conclusion suivante:

Alors que le dernier rapport parlementaire sur l’état d’urgence a montré la portée limitée d’un régime qui se voulait d’exception, la France va donc s’installer de façon durable dans une situation qui marginalise chaque jour davantage le rôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles, au profit du seul pouvoir exécutif. Nous savons, aujourd’hui, que l’état d’urgence a été utilisé pour autre chose que la lutte contre les actes de terrorisme, notamment pour empêcher des manifestations et assigner à résidence des militants politiques sans que tout cela ait le moindre rapport avec la lutte contre les actes de terrorisme.

 

L'indignation face aux meurtres de militants écologistes au Honduras peut-elle servir la cause des défenseurs de l'environnement ?

mercredi 20 juillet 2016 à 13:26
After the hearing on the human rights situation in Bajo Aguán held at the IACHR on April 5, 2016 , a vigil was held at the gates of the OAS by Berta Caceres , killed on March 3, 2016 in Honduras. Photo by Comisión Interamericana de Derechos Humanos. CC-BY-NC-SA 2.0

Suite à l'audience qui s'est tenue à la CIDH le 5 avril 2016 concernant la situation des droits humains à Bajo Aguán, une veillée a été organisée devant les portes de l'Organisation des Etats américains (OAS) pour Berta Cáceres, tuée le 3 mars 2016 au Honduras. Photo du compte Flickr de la Commission interaméricaine des droits humains. CC-BY-NC-SA 2.0

Cet article de Victoria Molina est initialement paru sur Ensia.com, un magazine qui met en lumière des solutions environnementales concrètes au niveau international, et il est reproduit ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Lorsque la militante écologiste hondurienne Berta Cáceres a été abattue à coup de fusil chez elle au printemps dernier, la communauté internationale et jusqu'aux activistes de ce pays réputé pour sa violence ont été choqués. La militante avait reçu avant sa mort des menaces liées à son soutien envers les populations indigènes qui luttent contre la construction du barrage hydroélectrique d'Agua Zarca le long du fleuve Gualcarque.

Quelques jours après son assassinat, Nelson García, autre dirigeant du Conseil des organisations populaires et indigènes du Honduras (connu sous le nom de COPINH), que Berta Cáceres avait fondé en 1993 pour défendre les droits du peuple premier lenca, a également été tué.

Ces morts récentes ont-elles permis de faire bouger les choses pour les populations locales qui luttent pour la protection de l'environnement ? Même si le changement prend du temps, des signes montrent qu'elles disposent d'une certaine visibilité.

« Berta bénéficiait vraiment d'une chaîne de soutien incroyable et elle avait fait un travail à ce point remarquable en se rapprochant d'autres organisations tant au niveau national qu'à l'international que son assassinat a profondément choqué, » observe Danielle DeLuca, chef de projet pour l'organisme états-unien à but non lucratif Cultural Survival, qui défend les peuples indigènes à travers le monde.

Tristement célèbre pour son insécurité

Le Honduras a l'un des taux d'homicides les plus élevés au monde, et il a la réputation d'être un pays peu sûr pour les militants écologistes. Selon l'ONG sans but lucratif Global Witness, qui lutte contre le pillage des ressources naturelles dans les pays en développement et la corruption politique, pas moins de 109 personnes ont été tuées dans le pays entre 2010 et 2015 pour s'être opposées à des projets de barrages, miniers, forestiers ou agricoles. Intellectuels et activistes dénoncent l'association du crime organisé et d'un système judiciaire défaillant qui a conduit à la corruption – deux éléments qui trouvent leurs racines dans une histoire de pauvreté, d'inégalités, d'instabilité politique et de protection des intérêts des multinationales aux détriments des droits des autochtones.

Docteure en anthropologie culturelle à l'université de Floride, Rosana Resende affirme que la culture économique de l'entrepreneuriat et l'absence de restrictions qui se sont développées en Amérique latine dans les années 1980 ont créé les conditions d'une privatisation croissante des ressources à grande échelle. A la même époque, de nombreux pays de la région étaient asphyxiés par une crise de la dette. Le Fonds monétaire international et d'autres institutions ont mis en place un certain nombre de dispositions politiques, connues sous le nom de consensus de Washington, afin de réformer l'économie du sous-continent. Ces mesures ont entraîné la privatisation des industries nationales, les ont ouvertes aux investissements directs étrangers et ont libéralisé le commerce. Les transnationales ont pénétré les terres indigènes auxquelles les populations locales sont historiquement très attachées dans le but d'en exploiter les ressources.

D'après Resende, « ce sont deux éléments, les privatisations et les investissements directs étrangers, qui ont véritablement fait apparaître la vulnérabilité de ces pays face aux grandes entreprises extractivistes. »

Danielle De Luca relève que le Honduras et les Etats-Unis ont depuis 2009 multiplié les appels à investir dans le pays en réponse aux niveaux élevés de pauvreté. Mais les investissements et les créations d'emplois sont à double tranchant : « L'investissement s'accompagne souvent de la part des entreprises de non-respect des droits humains et des droits des peuples autochtones. »

La lutte des Lenca contre le projet de barrage d'Agua Zarca a commencé en 2006 ; le Gualcarque est sacré pour eux, et ils s'inquiètent des conséquences environnementales du barrage sur le fleuve et les êtres qui y vivent. Berta Cáceres avait organisé des manifestations pacifiques pour faire entendre le mécontentement de la communauté. Elle a contribué à inciter le plus important constructeur de barrages au monde, le Chinois Sinohydro, à se retirer du projet. En 2015, elle a reçu le Prix Goldman pour l'environnement en récompense de son activité militante. Le 3 mars dernier, ses meurtriers ont mis leur menace à exécution.

Un retentissement sans précédent

Cette fois cependant, la violence a suscité de vives réactions inédites. Moins de deux semaines après l'assassinat de la militante écologiste, la banque de développement allemande FMO a suspendu toute activité au Honduras. Finnfund, une société financière de développement finlandaise, a arrêté de verser des fonds au projet Agua Zarca quelques jours plus tard.

FMO a envoyé une lettre au président du Honduras, Juan Orlando Hernández, pour lui faire part de sa préoccupation et inciter son gouvernement à prendre des mesures immédiates pour que cesse la violence contre les militants. « La liberté d'expression de ceux qui défendent leurs droits et les moyens de subsistance des populations est très précieuse aux yeux de FMO, » peut-on lire dans la lettre. « Tout individu devrait pouvoir défendre son point de vue sans se sentir menacé. FMO rejette et condamne toute forme de violence contre ces individus ou ces groupes. »

Selon son attaché de presse Paul Hartogsveld, FMO a aussi envoyé une mission au Honduras pour établir les faits à laquelle participent le PDG de la banque et le directeur de la branche énergie. La mission comprend également une délégation d'experts indépendants dont le rôle est de déterminer et valider les procédures qui ont été suivies à Agua Zarca. « Nous prendrons ensuite une décision finale concernant le projet et notre retrait du Honduras, » précise Hartogsveld.

La violence a par ailleurs renforcé la détermination de la communauté lenca dans sa lutte contre le projet de barrage d'Agua Zarca et autres projets de développement auxquels Berta Cáceres s'opposait. Cesario Padilla, journaliste et militant hondurien, affirme que le climat de terreur dans ces communautés est désormais permanent mais que, dans le même temps, la volonté de poursuivre le combat pour que droits autochtones se conjuguent avec protection des ressources naturelles demeure forte.

Ainsi, des dirigeants du COPINH ont rencontré le vice-ministre hondurien de l'Energie, des Ressources naturelles, de l’Environnement et des Mines deux semaines après le meurtre de Berta Cáceres pour exiger du ministère qu'il annule le permis du barrage d'Agua Zarca. Des membres du COPINH ont également protesté devant le ministère public dans la capitale du Honduras, Tegucigalpa. Et, au cours d'une action intitulée « Justice pour Berta Cáceres » , ils ont appelé les Honduriens de l'étranger et autres sympathisants à manifester pacifiquement devant les ambassades du Honduras dans leur pays le 15 juin afin d'exiger la transparence dans l'enquête sur le meurtre de la militante et l'annulation du projet de barrage d'Agua Zarca.

D'après Tomás Gomez, l'actuel coordinateur du COPINH, la présence militaire près de la zone où le barrage est en cours de construction a augmenté et des membres du COPINH continuent d'être intimidés et menacés. Certains signes indiquent néanmoins que le gouvernement hondurien est enfin attentif aux demandes visant à dévoiler la corruption. Suite aux appels à agir venus du monde entier, quatre suspects – dont deux sont liés à Desarrollos Energéticos S.A., la société privée locale de l'énergie qui construit le barrage d'Agua Zarca – ont été arrêtés au Honduras début mai dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de Berta Cáceres.

Le rôle de la communauté internationale

Toutefois, Cesario Padilla souligne que le gouvernement du Honduras se montre encore réticent à prendre des mesures concernant deux des demandes principales de la famille de Berta Cáceres : leur permettre à eux ainsi qu'à leur équipe d'avocats de participer à l'enquête sur le meurtre de la militante écologiste, et autoriser la tenue d'une enquête indépendante sous l'autorité de la Commission interaméricaine des droits humains.

« Les arrestations sont un acte de bonne volonté, » admet Padilla. « Mais ces demandes n'ont pas été entendues, donc la méfiance est encore très forte vis-à-vis de l'action du gouvernement hondurien. »

Les militants écologistes et des droits humains craignent que les assassinats, les menaces et les persécutions ne se poursuivent. Padilla et DeLuca soutiennent que le gouvernement du Honduras doit faire davantage – pour protéger la famille de Berta Cáceres, d'autres membres du COPINH et Gustavo Castro, le seul témoin du meurtre de la militante écologiste ; pour faire toute la lumière sur les meurtres ; et pour examiner minutieusement les projets qui menacent les populations indigènes et l'environnement.

Le ministère public hondurien, l'organe gouvernemental chargé de l'enquête sur le meurtre de Berta Cáceres, n'a pas répondu à nos appels et à nos courriels de sollicitation.

Danielle De Luca affirme que l'hostilité permanente envers le COPINH après les meurtres montre clairement qu'il n'y aura pas de sortie de crise sans l'aide d'autres nations qui ont un intérêt dans le pays. Elle invite les citoyens états-uniens en particulier à faire pression auprès du Département d'Etat et du Congrès pour qu'ils incitent le Honduras à accepter une enquête indépendante.

« Nous ne faisons pas confiance à l'Etat du Honduras pour mener une enquête indépendante » insiste DeLuca.

Les militants espèrent en fin de compte faire évoluer la nature du développement au Honduras afin de permettre aux communautés locales de se faire entendre lorsque leurs intérêts divergent de ceux des entreprises de développement internationales. La fille de Cáceres, Laura Zuñiga Cáceres, qui participe au mouvement, appelle les autres pays à prendre en considération les droits humains dans leur décision d'investir.

« Il est aussi important que les membres de la communauté internationale réfléchissent au rôle joué par leur propre gouvernement au Honduras, » précise-t-elle.

Pour Rosana Resende, reste à voir si le meurtre de Berta Cáceres sera un catalyseur suffisant pour faire adopter des politiques réellement tournées vers les gens.

« Aucun grand changement n'aura lieu, mais nous vivons tout de même un moment de l'histoire où le militantisme prend de l'ampleur » note l'anthropologue.

Victoria Molina est étudiante en journalisme à l'université de Floride. Ses recherches portent sur les relations interethniques en Europe de l'Est, l'immigration et le néolibéralisme dans les pays développés. Ses articles et émissions de radio ont été mis en ligne sur WUFT News et WUFT Noticias, le portail d'information de l'université de Floride rattaché à NPR. Son compte Twitter est @vmsugranes.

Elle a rédigé cette contribution dans le cadre de sa participation au Programme de tutorat d'Ensia. Sa tutrice pour le projet était Cynthia Barnett. Certaines citations ont été traduites de l'espagnol. L'article est aussi paru en espagnol sur LatinAmericanScience.org.

La Havane, une ville où l'on vit

mercredi 20 juillet 2016 à 12:53
Una familia en un edificio de La Habana (Foto: Mónica Baró - Periodismo de Barrio)

Une famille dans son logement à La Havane. Photo Mónica Baró, Periodismo de Barrio (Journalisme de quartier).

C'est par ce récit, que débute notre collaboration avec le média numérique cubain Periodismo de Barrio. Grâce à ce partenariat, nos lecteurs vont pouvoir découvrir un pays différent de celui que l'on présente dans la presse traditionnelle. 

Le 7 décembre 2014, lors d'une cérémonie à Dubai, la fondation suisse New7Wonders a dévoilé les résultats d’un concours international organisé pour désigner les sept nouvelles villes-merveilles. Parmi les favorites qui se sont démarquées des 1200 villes candidates dans 220 pays, se trouve La Havane. Contre toute attente, et face à un rien de scepticisme, la capitale cubaine a finalement réussi à s’imposer aux dépens d’icônes telles que Barcelone, Londres, Athènes, Kyoto, Prague, México ; pour représenter, avec les six autres, « les réalisations et les aspirations de notre civilisation urbaine mondiale ». La Havane, une version de Cuba presque toujours très mal sous-titrée, est tout simplement une ville pleine d’énormes contradictions.

Et le 17 décembre, alors même que la fièvre de la nomination des New7Wonders n’était pas encore retombée, les gouvernements de Cuba et des Etats-Unis, ennemis jurés de la Guerre froide, ont annoncé le dégel de leurs relations diplomatiques. L'île, cette diva infatigable dans l'art de faire parler d'elle, est revenue au top ten de la couverture médiatique. L'accord entre les deux présidents, Raúl Castro et Barack Obama, soigneusement orchestré pendant 18 mois dans le plus grand secret, en a laissé plus d’un perplexe. Il a suscité de l'incertitude, de l’espoir, de la déception, de la joie, de l’ambition, de la curiosité, en fonction de l'interprétation que l'on voulait bien donner aux discours. Mais elle a surtout provoqué un boom touristique de ce côté-ci de la mer : entendons par là, des dividendes.

En 2014, l'Annuaire statistique de Cuba indiquait dans son annexe sur le tourisme, que de 2009 à 2014 le nombre de visiteurs avait augmenté de plus d'un demi-million. En 2015 le pays a accueilli 3 524 779 personnes, ce qui représente une augmentation de 17,4 %. C’est à dire qu’en un an on a presque obtenu le même résultat qu’en cinq ans avant le 17D. Cette augmentation a généré plus de 3 milliards de dollars de revenus bruts, d’après un article de l'économiste José Luis Rodríguez, qui tenait ses informations de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire. Et 2016 a démarré en fanfare. Une publication de l’Office national des statistiques et de l’information (ONEI) révèle que rien qu’en janvier il y a eu 417 764 visiteurs, soit presque 47 000 de plus qu’en 2015 pour le même mois. Rien d’étonnant à ce que la presse officielle reconnaisse le tourisme comme “le secteur le plus dynamique de l'économie”.

Cuba est à la mode et La Havane est son produit phare sur le marché mondial. C’est la ville du pays qui attire le plus de visiteurs. On n’y vient pas vraiment pour ses plages, encore moins pour sa nature. Il y a mieux ailleurs. Ce n’est pas non plus parce qu'elle est la capitale. Non. On y vient pour cette même raison qui a fait d'elle une inspiratrice de chansons, à travers les époques et les genres. Elle a été la muse de Los Zafiros, Joaquín Sabina, Fito Páez, Carlos Varela, Gerardo Alfonso, Habana Abierta, Los Van Van, Manolito Simonet. Il est rare qu’elle laisse indifférent. On la déteste viscéralement, ou on l’adore. Ou les deux en même temps. Cette ville a un sacré tempérament. Généralement elle passe pour être complexe, instable, imprévisible, conflictuelle.

Cependant, il ne serait pas juste d'attribuer tout le crédit du boom au 17D, le 17 décembre, surnom du rétablissements des relations américano-cubaines.

La Havane, une ville célèbre

Avant l’annonce des ex ennemis jurés, et même avant l’annonce de la fondation suisse, la chanteuse Beyoncé Knowles et le rappeur Jay-Z, éminent producteur de succès musicaux, s’étaient rendus à La Havane dans le cadre d’un programme d’échanges éducatifs.  C’était en avril 2013, alors que Cuba figurait encore sur la liste, établie par le Département d’Etat des Etats-Unis, des pays qui parrainent le terrorisme. Que ces visiteurs soient des personnalités, américaines de surcroît, relève plus de la blague contestataire de bas étage que d’une tendance souhaitée par le marché et les politiques gouvernementales.

Mais le couple, fidèle à sa vocation pour le spectacle, a veillé à ne pas passer inaperçu. Ils se sont promenés dans le centre historique. Ils se sont laissés photographier. Ils ont dîné dans des restaurants privés. Ils ont rendu visite à des centres d’enseignement et des compagnies artistiques. Beyoncé a même fait des selfies avec ses fans, elle a dansé le guaguancó et est montée sur scène avec Juana Bacallao, la fameuse artiste de cabaret cubaine. Jay-Z est resté fidèle à son image de dur à cuire qu'il vaut mieux ne pas déranger, et pourtant, de retour aux Etats-Unis, il a répondu en musique aux multiples attaques de membres républicains du Congrès en composant une sorte de lettre ouverte (« Open Letter ») sur son expérience cubaine  : « Je suis à Cuba, j’aime les Cubains. Ce mot communiste est tellement flou, quand même le micro que j’utilise vient de Chine ».

On peut donc dire que c’est un des événements qui a contribué à faire de Cuba la destination à la mode pour les célébrités qui font la Une des journaux. Le Star System a touché jusqu'à la Maison Blanche. Il faut quand même reconnaître que la visite de Barack Obama, en compagnie de son impeccable épouse Michelle et de ses filles Sasha et Malia, en mars 2016, n’a rien eu à envier à celle de Beyoncé et Jay-Z. Ni même à celle plus récente de la chanteuse Rihanna, qui a embrasé les rues de La Havane en femme fatale, avec sa crinière de feu et ses tenues tout aussi brûlantes, pendant que la photographe Annie Leibovitz immortalisait son image pour la revue Vanity Fair.

Mais ce qui a indiscutablement mobilisé la ville ces derniers mois, ce sont les concerts gratuits de Olga Tañón, DJ Diplo et Major Lazer, et les Rolling Stones. L'art et son inégalable puissance mobilisatrice a réussi à légitimer les changements dans les relations politiques.

Concierto de The Rolling Stones en La Habana (Foto: Mónica Baró - Periodismo de Barrio)

Concert des Rolling Stones à La Havane (Photo: Mónica Baró – Periodismo de Barrio)

La Havane, une ville où l'on vit

Face à toutes ces photos, ces prises de vues et ces gros titres, on en oublie parfois que cette ville de contrastes n'est ni le collage pittoresque de campagnes publicitaires, ni la fin d'un monde dont tant de photographies attestent. C'est une ville où l'on vit. Tous ces immeubles mortellement blessés dans leur guerre contre le temps, plus qu'une métaphore de la décadence, sont des foyers qui accueillent des familles.

La Havane est la plus petite province de Cuba et la plus peuplée. Sur ses 728 km² résident 2 121 871 personnes, d'après les statistiques de 2014 – en excluant les immigrés. Et ces personnes, légales et “illégales”, sont celles qui la façonnent.

“La ville, ce sont les gens qui l'habitent qui la font, et surtout, elle se définit en fonction des interactions entre ceux qui résident dans les espaces urbains, qui, nous le savons, sont des structures sociales” soulignent les chercheurs qui ont participé à l'écriture du livre Toutes les Havanes. Statégies pour comprendre leurs dynamiques sociales, publié en 2014. De son côté, l'architecte Mario Coyula, lauréat du Prix national d'architecture, souligne dans l'épilogue que “la ville est le fait culturel majeur et essentiel qui associe la signification historique et architecturale à l'utilité pratique quotidienne dans tous les secteurs sociaux”.

En novembre 2019, la capitale fêtera ses 500 ans d'existence. Ce que l'on célèbrera alors révèlera en grande partie le chemin parcouru par cette ville ces dernières années. On pourrait célébrer la restauration du centre historique ; la réduction des niveaux de pollution de ses eaux pour retrouver la présence de poissons, de pélicans et de mouettes dans la baie de La Havane ; l'accroissement des capacités d'hébergement avec les nouveaux hôtels construits grâce aux investisseurs étrangers ; les visites de trois sommités pontificales, d'un président des Etats-Unis et de toute une flopée de célébrités; ou alors, le vigoureux fromager du Templete (Petit Temple) tout juste planté quelques jours avant le phénomène de la visite d'Obama, pour remplacer l'ancien, moribond, qui gâtait le paysage. Mais ce que l'on devrait célébrer avant tout c'est le rétablissement du système de logements sociaux. Dans le cas contraire, tout hommage sera un simulacre. Même si les travaux de restauration du Capitole, futur théâtre des opérations du Parlement cubain, s'achevaient enfin, et même si l'on atteignait le chiffre prétentieux de 10 millions de touristes en un an.

*Cet article est un extrait exclusif reproduit par GlobalVoices. Vous pouvez consulter la version originale ici et lire d'autres articles de Mónica Baró ici.

Nice: faire face à la violence du réel

mardi 19 juillet 2016 à 18:21
Hommage à Nice via @jeanlucr sur twitter

Hommage à Nice via @jeanlucr sur twitter

Alors que les cadavres frais jonchent encore la Promenade des anglais, les débats post-attentats en France, qui avaient déjà le malheur de ne pas être de bonne facture, ajoutent cette fois l’indécence à l’infamie. Le temps du deuil n’existe même plus, Même plus la trêve de la sidération qui donnait un peu de battement pour l’émotion. Chaque vie fauchée est réduite à son caractère numérique et impersonnel, on laissera le soin à quelques journaux, plus tard, de retracer la vie des assassinés, dans une compassion mécanique. Car, bien avant, sur le bitume niçois où crépitent encore les corps et l’effroi, c’est un triste spectacle qui a la primauté de notre attention : les expertises, contre-expertises et hypothèses médiatiques, que valent dans l’obscénité les débats sur les réseaux sociaux et la bassesse d’une classe politique qui tutoie les abysses. Commençait ainsi la valse nécrophile, les querelles abjectes sur la qualification à accoler à la tuerie. Acte d’un déséquilibré ou terrorisme islamiste ? L’irruption immédiate d’une telle question masque en réalité un inconfort. Un grand boulevard s’ouvre, de déchets analytiques très orientés, où la récupération le dispute aux tentatives de conjurer un malaise réel. Question d’autant plus obscène qu’elle semblerait satisfaire d’aucuns si on la tranche. Ce n’est pas l’islam? Certains en pousseraient même un ouf de soulagement. C’est un déséquilibré ? Ça ôterait de l’urgence aux choses, nous voilà presque tirés d’affaire ; finalement, le champ de la « folie » de l’homme, très commode, endosse et clôt toute perspective réflexive. Nous sommes en réalité ici aux confins d’un malaise qui se conjure par la contre-accusation, le déni, et dans les pires développements, le « complotisme ».

Le déni originel

Le paradigme de la lutte anti-terroriste en France tel qu’il est énoncé et tel qu’il s’ancre à mesure du temps, entre la pesanteur des culpabilités coloniales et géopolitiques, et le refus absolu de penser le religieux par tradition et accointance idéologique, ruine le champ de la réflexion. Si l’on persiste à ne voir dans les équipées sanglantes de groupes ou d’individus, phalanges de systèmes politico-religieux bien sophistiqués, que les manifestations d’un délire, expliquées par une exclusion sociale, une fragilité, un déséquilibre psychologique ou affectif, ce n’est pas par simple goût pour les explications rationnelles. C’est une volonté de « laver » une religion au sein de laquelle le malaise est pourtant apparent et palpable. Au début de la vague sanglante récente qui frappe la France, dont Merah signait le sinistre top départ, on s’attachait dans un réflexe par ailleurs salutaire, pour éviter de creuser encore les fragiles équilibres, à dire « cela n’avait rien à voir avec l’islam » A la défaveur d’un enchainement cruel de l’actualité, on en vient à proclamer que « cela n’a rien à voir avec l’islamisme ». Glissement important et pas seulement sémantique, nous en sommes rendus, depuis l’horreur niçoise, à dire que « cela n’a rien à voir avec l’islamisme radical ». Le lien ténu de cette progression est cohérent dans la prophétie du « rienavoirisme ». Ce paradigme chamboule tout jusqu’à l’usage des mots. Ainsi des terroristes, on parle de « tueur », de « haine », de « camion fou ». Comme si la haine n’avait pas d’objet, de motivation ; le tueur, de message ; le camion, de locataire. Comme si le terrorisme campait en lui-même une fin en soi… La figure du loup solitaire, un temps paravent sémantique, servait à expurger tout caractère idéologique mais il s‘est épuisé de sa propre inconséquence.

Idéologie : dévotion et dévoiement.

Le mal se niche en vérité dans quelque chose d’inavouable ou d’inconscient. Il semble impossible, pour beaucoup, de concevoir qu’à l’échelle de la planète, des individus de toute condition sociale, de toute ethnie, de toute histoire, adhèrent à une idéologie mortifère qui commande ou inspire de tuer en son nom. Que cette idéologie transfrontalière rencontre dans son périple divers profils, offrant ainsi corps et même rédemption à toute idée criminelle, ou la suscite. Contrairement aux idées admises, cette idéologie partage avec nombre d’entités insoupçonnables, des diagnostics communs sur la place des minorités et de l’islam en occident. Par conséquent, elle recrute plus facilement sur un terreau fait de haine et de ressentiment. Que pour prospérer, la narration islamiste se fait porte-voix de musulmans opprimés à qui elle offre le secours. D’où l’usage de la violence par certains, ici légitimée, comme retour naturel. Que cette frange s’appelle l’islamisme terroriste, qu’elle dissout des civilisations entières et ses richesses dans son acide, qu’elle promeut déjà une vision du monde sectaire dans tous les territoires qu’elle conquiert. Cette idéologie avec des largesses financières inégalées, s’exporte et séduit, à l’affût des brèches géopolitiques, d’une misère sociale, pour disséminer son venin. Cultivant son opportunisme comme toute entreprise politique, elle tient son propre agenda et sa propre vision de l’actualité. Elle se répand ainsi sur le chaos, par habilité, dans l’humanitaire, la justice sociale, comme la confrérie des frères musulmans en offrit un exemple. Pas toujours donc par la violence. Par une pédagogie qui mêle ressentiment, paranoïa, apologie de la sédition et exploitation des séquelles coloniales. Voici le lit et le sas communs. Mais les franges les plus radicales prônent la violence, enivrées par la mythologie des conquêtes au temps premier du prophète. En dévoyant le message coranique ou en lui trouvant, avec des références religieuses, des exégèses sanglantes. L’aplomb avec lequel l’on se borne à dire que cela est complètement étranger à l’islam, est le déni originel qui annonce la misère de l’analyse.

Conjurer le malaise

Il ne s’agit nullement d’accabler les musulmans, dont quelques croyants subissent les affres d’une islamophobie haineuse à combattre farouchement. Il s’agit de pointer qu’au sein de l’islam a lieu une guerre idéologique et que pour être nuisibles, les extrémistes n’ont pas besoin d’être majoritaires. L’usage de la violence est par essence l’aveu de l’incapacité à convaincre. L’empressement à disculper « l’islam », entité impersonnelle, n’est que le reflet d’un malaise interne et compréhensible chez beaucoup de musulmans, souillés par l’éclaboussure de cette gangrène. Ce malaise se répand chez certains par l’accusation, le présupposé islamophobe. En niant toutes imbrications du problème, on produit l’amalgame tant craint comme si désigner l’idéologie islamiste signifiait mécaniquement mettre à l’index les musulmans. Si les causes sont multiples et qu’une humilité suggère de ne pas être définitif, il n’y a aucune raison, d’écarter la dimension politique et religieuse du problème.
Le malaise accusatoire désigne donc cet état d’inconfort, où l’on prie presque pour que l’acte n’ait aucun lien avec quelque mouvance religieuse. Ce serait en effet pour beaucoup de groupes militants communautaires et religieux, le partage du diagnostic avec les terroristes, pires alliés objectifs qui soient, donc le trouble et le discrédit jetés sur leur commerce politique. Voilà où siège le malaise, toute une narration se trouve contrariée si des liens sont avérés entre attentats et groupes islamistes. Pour conjurer cet inconfort, se répandent le déni, la contre-accusation par l‘anticipation, contre par exemple des groupuscules droitistes prêt à en découdre. Mais aussi, des expressions habituelles du déni : la paranoïa et bien d’autres refuges pour refouler l’évidence. Ce qui est bien moins couteux que de faire face à la violence du réel.

Ce texte a été ecrit par Elgas, journaliste et sociologue sénégalais