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La République Centrafricaine gangrenée par un conflit sans fin

lundi 11 septembre 2017 à 22:36

Personnels militaires burundais en République Centrafricaine, via Idriss Fall – Domaine public

Le 9 août 2017, Juan José Aguirre, l'évêque de Bangassou en République Centrafricaine (RCA), a informé du massacre de plus de 50 personnes par les milices musulmanes dans un village à une soixantaine de km de Bangassou. Une annonce qui est la dernière en date dans un enchaînement de violences illustrant l'escalade des tensions entre milices chrétiennes et musulmanes, et conduit certains à craindre que le pays soit au bord d'un génocide.

L'historique des tensions récentes

La République Centrafricaine a plongé dans la tourmente en 2013 quand la coalition rebelle principalement musulmane, appelée Seleka (“coalition”), a renversé le président d'alors François Bozizé, un chrétien. Le premier objectif de la coalition était d'installer un gouvernement musulman, dans un pays dont 80 % de la population est chrétienne. Après le coup de force, des milices chrétiennes connues sous le nom d’Anti-balaka — ou “anti-machete” — se sont unies pour combattre la Seleka. A l'époque, le risque de génocide poussa l'ONU à agir. Le 5 décembre 2013, le Conseil de Sécurité de l'ONU autorisa le déploiement de l’opération Minusca, avec l'appui de l'opération française Sangaris. Très vite, la force militaire et la stratégie bien pensée utilisée sur le terrain par les forces occidentales conduisirent à la signature finale d'un accord de paix en juillet 2014. Mais depuis, la situation sur place s'est envenimée. 2017 a vu renaître le conflit. Le retrait du contingent militaire français l'an dernier pourrait faire basculer la République Centrafricaine dans la même situation que le Rwanda en 1994 : les derniers mois ont vu une multiplication des alertes d'insécurité. L'escalade des violences remet de plus en plus en question l'efficacité de la Minusca. Malgré la dissolution de la Seleka après 2014, des factions connues sous le nom d'ex-Seleka restent très importantes dans le pays, notamment dans les zones échappant au contrôle du gouvernement.

La République Centrafricaine est une exception dans le paysage politique africain, du fait de la nature de ses dissensions internes. Alors que beaucoup de guerres civiles — en particulier africaines — sont issues de divisions culturelles et ethniques, la République Centrafricaine est déchirée par des différences religieuses. Les miliciens tant chrétiens anti-Balaka que musulmans Seleka mènent régulièrement des “massacres ciblés” de civils, selon leurs croyances religieuses. De ce point de vue, la réalité du pays diffère de celle du Rwanda ou du Congo, où les problématiques ethniques ont toujours supplanté les différences religieuses.

Nonobstant cet aspect du conflit, la République Centrafricaine est loin d'être engloutie dans une vieille guerre de religion. Si de nombreuses populations différentes, chrétiennes et musulmanes, doivent cohabiter, elles le faisaient de façon relativement pacifique jusqu'en 2013. Ce qui peut expliquer que le pays semble impuissant à gérer les événements actuels.

A la différence de ses voisins, la République Centrafricaine n'a jamais été confrontée jusqu'alors à un tel conflit. Elle avait réussi à éviter une guerre civile généralisée, et beaucoup s'accordent à dire que le conflit actuel est le pire qu'ait connu le pays depuis l'indépendance.

Escalade de la violence

Après quelques mois de paix à la suite de l'élection en mars 2016 de l'actuel président Faustin-Archange Touadéra, les violences ont repris. De nombreux commentateurs ont critiqué le retrait des troupes françaises cette même année, par rapport à la situation sécuritaire sur le terrain. Les choses ont encore empiré depuis le début de 2017, avec de nouveaux affrontements entre Anti-Balaka et Ex-Seleka. Selon l'ONU, il y a eu 34 tués fin juillet dans une autre partie du pays. Six volontaires de la Croix-Rouge ont été tués le 3 août à Gambo par des miliciens Ex-Seleka, en représailles à une attaque des Anti-Balaka quelques jours avant. Le processus de paix, démarré en 2013 après l'intervention française, n'est plus qu'un lointain souvenir, et on peine à imaginer autre chose qu'une escalade du conflit.

Ces dernières semaines, Alindao, comme beaucoup d'autres villes, a connu la répétition du conflit sanglant qui détruit le pays depuis ses débuts en 2013. Ce récent massacre de civils a été connu en juin 2017 — d'au moins 133 civils — avec des quartiers entiers en flammes.

MSF International cite dans un tweet un civil survivant de l'attaque :

Ils m'ont tiré dans l'épaule et je suis tombé. J'ai fait le mort ; c'est comme ça que j'ai survécu. Elisée R., 27 ans.

Ce massacre s'est produit de fait dans une zone de déploiement de la Minusca. Les camps de l'ONU ne sont pas prévus pour les personnes déplacées, car dépourvus d'organisation et de moyens sur le terrain. Les habitants des villes attaquées essaient d'atteindre les pays voisins comme la République Démocratique du Congo. A Banguassou, ces dernières semaines, plus de la moitié de la population a fui la ville. L'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, constate :

Ce n'est qu'à Bangui qu'il y a un semblant d’État. Hors de Bangui, l’État est inexistant. Ce sont les rebelles qui sont aux commandes.

La mission de l'ONU manque certes d'efficacité, mais il faut tenir compte aussi de dures conditions de terrain pour l'aide humanitaire. La République Centrafricaine est un pays extrêmement pauvre, grand comme deux fois la France mais ayant moins de 1.500 km de routes goudronnées. Les troupes de l'ONU s'y déplacent avec beaucoup de difficulté et certaines zones sont quasi hors d'atteinte.

De plus, la République Centrafricaine n'a pas d'armée digne de ce nom, et son gouvernement est fantomatique, sans vraie prise sur la réalité. Un an après l'élection du président Faustin-Archange Touadéra, de larges pans du territoire échappent toujours au contrôle des institutions.

L'ONU met en garde contre un possible génocide

A présent, la situation a tellement dégénéré que Stephen O'Brien, le Sous-secrétaire général de l'ONU aux affaires humanitaires, a assimilé les violences à des “signes avant-coureurs de génocide”. Lors de sa visite dans le pays, M. O'Brien a dit à la presse avoir vu 2.000 musulmans terrés dans une église catholique de la ville de Bangassou. Un épisode qui a suivi l'incendie d'un village entier par les miliciens chrétiennes anti-Balaka, qui ont rassemblé les civils, et qui selon les termes d'O'Brien :

étaient simplement allongés attendant de les tuer [les villageois] s'ils tentaient un mouvement. Une méthode très ancrée de nettoyage ethnique.

A propos de “méthode très ancrée de nettoyage ethnique”, M. O'Brien a appelé le Conseil de Sécurité à augmenter significativement le financement et les “casques bleus” — les forces de maintien de la paix de l'ONU actuellement au nombre d’un peu plus de 12.700 hommes — sur le terrain dans le cadre de l'opération Minusca. Il a aussi souligné que le nombre de personnes déplacées s'est accru de 40 % depuis l'an dernier, atteignant 600.000 dans un pays de 4,5 millions d'habitants.

Les signes d'un génocide prévisible apparaissent à un moment de faible soutien disponible sur le terrain de la part de la communauté internationale. En mai, la Croix-Rouge a signalé avoir trouvé 115 corps à la suite d'une série d'attaques de milices. D'après Crisis Group, les violences se sont aggravées dans le Nord et l'Est, laissant plus d'une centaine de morts. La situation économique empire, la dette publique a grimpé de 20 % et frise à présent 50 % du PIB.

Le sort du pays pourrait échapper à tout contrôle

Des mesures urgentes doivent être prises. Le déploiement de militaires français sur place a obtenu quelques résultats encourageants, mais trop fragiles pour être vraiment durables, étant donné l'insécurité et l'absence d'infrastructures solides sur place. La République Centrafricaine est un État failli, au bord de l'effondrement, déjà à l'aube d'un génocide. La situation actuelle sur le terrain ressemble au Rwanda de 1994, dont le sauvetage in extremis n'a été possible que par l'intervention d'autres pays africains, comme l'Ouganda, et de la communauté internationale.

L'avenir paraît bien sombre, et aucune intervention de l'Union Africaine n'est à l'ordre du jour. Des pays comme le Liberia et la Sierra Leone, relevant de l'Afrique de l'Ouest et membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont bénéficié de l'aide militaire de la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOMOG). A la différence de ces pays, la République Centrafricaine ne fait pas partie de l'ECOMOG et ne peut pas prétendre à la même sorte d'aide. Le meilleur espoir réside probablement dans une prise de conscience de la communauté internationale, analogue à celle du génocide rwandais de 1994. La situation n'en paraît pas moins désespérée, même pour les missions de maintien de la paix. Le 8 mai 2017, cinq casques bleus sont morts dans l'attaque de leur convoi, amenant les principaux fournisseurs de contingents à une attitude de prudence.

Précision importante : le pays ne représente aucun risque direct pour la sécurité de l'Occident. La multiplication des menaces terroristes dans les endroits troublés que sont le Yémen, l'Afghanistan, la Somalie et le Mali — en particulier pour la France — a pour effet que, selon toute probabilité, la République Centrafricaine n'est plus une priorité pour la communauté internationale.

Les musulmans de l'ex-Union Soviétique prennent fait et cause pour les Rohingyas opprimés de Birmanie

dimanche 10 septembre 2017 à 20:17

‘Rohingya’. image de l'utilisateur Flickr Rockefeller, Creative Commons

Depuis quelques semaines, les républiques russes du Nord-Caucase et les États ex-soviétiques d'Asie Centrale connaissent une explosion d'intérêt pour l'épreuve de la minorité opprimée des Rohingya du Myanmar, qui partagent la foi islamique dominante dans la région.

Selon l'ONU, plus de 270.000 musulmans Rohingya ont fui l’État Rakhine de Birmanie vers le Bangladesh à la suite de deux semaines d'une offensive gouvernementale déclenchées en partie par un affrontement avec des extrémistes armés. Al Jazeera et les organisations humanitaires estiment à près d'un million les membres de cette minorité apatride ayant fui la Birmanie depuis la fin des années 1970.

Plusieurs grands rassemblements contre ces violences, convoqués semble-t-il grâce à Whatsapp, se sont déjà tenus à Moscou et Grozny, la capitale de la Tchétchénie. Les rassemblements ont eu lieu sans tenir compte de la position apparemment officielle de la Russie sur le Myanmar (nom officiel de la Birmanie), consistant à bloquer par son veto, plus tôt cette année, une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU relative à la violence exacerbée par l'Etat contre les Rohingya. En Asie Centrale ex-soviétique, si personne n'est descendu dans les rues, un match de football avec l'équipe internationale du Myanmar a été annulé pour des raisons de sécurité, et les posts Facebook, pétitions et même poèmes de soutien aux Rohingya ont envahi les timelines.

Un homme fort prend position

Les rassemblements qui ont eu lieu à Moscou les 3 et 4 septembres n'étaient pas autorisés, dans un pays où le droit de manifester est étroitement encadré. Le premier rassemblement de Moscou n'a donné lieu à aucune arrestation, malgré la forte présence policière, mais 17 personnes ont été interpelées brièvement lundi, dans un deuxième rassemblement. Selon des articles dans les médias russes, des groupes WhatsApp ont servi de réseau principal pour organiser les manifestations.

Le très controversé dirigeant de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov a joué un rôle majeur dans l'organisation de la riposte au soudain pic de violence et de persécution d'Etat dans le pays d'Asie du Sud-Est. Kadyrov, renommé pour sa croisade anti-homosexuels et son fougueux soutien au Président russe Vladimir Poutine, a usé de ses comptes sur les médias sociaux pour fustiger l'inaction des chefs d’État dans le monde. Le 4 septembre, il a convoqué un rassemblement auquel ont assisté des dizaines de milliers de personnes — le nombre officiellement avancé était d'un million, soit près de 80 % de la population totale de la république — dans la capitale tchétchène Grozny. Trois jours plus tard, le jeudi, Kadyrov a fait une nouvelle déclaration sur Instagram, indiquant qu'aucune autre manifestation ne serait nécessaire, la prise de conscience étant suffisante.

La rencontre du dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov et du Président russe Vladimir Poutine en début d'année. Source photo : gouvernement russe. Creative commons.

A ce stade, Kadyrov avait déjà suggéré que Moscou devrait accentuer la pression sur le Myanmar, tout en proclamant qu'il lancerait une frappe nucléaire contre les oppresseurs des Rohingya s'il en avait la capacité.

Il a dit par la suite que ses propos — qualifiés par les analystes d'alarmants pour ses supérieurs au Kremlin — avaient été sortis de leur contexte par ses ennemis. Le ministère russe des Affaires étrangères avait mis en garde le 8 juin contre toutes pressions sur le Myanmar.

Vu la posture intransigeante de Kadyrov à l'égard du Myanmar, c'est sans surprise que les usagers de médias sociaux de Tchétchénie ont été les plus bruyants à clamer sur l'Internet russe leur soutien aux Rohingya. Les internautes des républiques voisines du Daghestan et d'Ingouchie se sont aussi fait entendre, tandis que les citoyens des autres républiques fédérées à majorité musulmane, Tatarstan et Bashkortostan, restaient largement silencieux.

Ce biais nord-caucasien s'est reflété sur Yandex, le preincipal moteur de recherche de Russie, qui a enregistré une nette augmentation des recherches sur le Myanmar (Мьянма en cyrillique) en provenance de la région.

Le mot “Myanmar” en tête des recherches des utilisateurs en Tchétchénie et au Daghestan sur le moteur de recherche russe Yandex

Le soutien à la cause des Rohingya à travers la région a une allure de pop-up. De nombreuses pages Vkontakte de longue date à thèmes islamiques se sont transformées en une nuit en canaux de plaidoyer permanent pour les Rohingya. La plupart sont ouvertement administrées par et destinées aux habitants de la Tchétchénie.

‘Non au génocide des musulmans en Birmanie (Myanmar)’ Mème pro-Rohingya largement partagé sur les médias sociaux russes

Une de ces communautés en ligne, [V]Chechnye ([En]Tchétchénie), a posté pas moins de 43 messages relatifs à la crise des Rohingya depuis le 1er septembre. Ils consistent en vidéos informant les musulmans des atrocités contre les Rohingya, appels à signer une pétition de Change.org, et allégations que les violences anti-musulmans dans les régions traditionnellement bouddhistes de Russie comme la Kalmoukie restent impunies (citant les incidents rapportés dans les médias russes, comme l'incendie par des assaillants non identifiés d'une salle de prière à Ellista, la capitale kalmouke, et le jet d'une tête de porc dans une mosquée de village).

Certains sont allés jusqu'à recruter en ligne des volontaires pour rejoindre un “saint djihad” pour sauver leurs frères au Myanmar.

Une page, Entendu par hasard en Tchétchénie, a publié un post attirant l'attention sur le rassemblement du 4 septembre, et ajoutant à grand renfort de points d'exclamation des instructions sur la façon d'entretenir la mobilisation.

Они переживают то,на что мы даже смотреть не можем.
#Рахиньямыстобой
АЛЛАХУ АКБАР
Завтра (04.09) митинг в Грозном центральная мечеть !!
Не останьтесь равнодушными !!!!
Максимальный репост !!

Давайте все устроим митинг в соц.сетях!!! Все! Все! Все кто против геноцида в Мьянме! Неважно какой веры вероисповедания вы и нации!!!
Поставим на аву в Instagram, What’s App, VK и тд это фото! (Фото пересылайте вместе с текстом)
НЕ ЛАЙКАЕМ ФОТО И ВИДЕО ПО ДРУГОЙ ТЕМЕ! Чтобы в ленте популярных была только тема геноцида!!! Чтобы все видели!!!
РАСПРОСТРАНИТЕ О МИТИНГЕ В СОЦ СЕТЯХ ВСЕМ КОГО ВЫ ЗНАЕТЕ! Пусть весь мир знает что мы не оставим эту тему! И пойдем на все чтобы спасти невинных людей!!!
ХЕШТЕГ #РОХИНЬЯМЫСТОБОЙ

Ils vivent quelque chose que nous ne pouvons pas même imaginer.
#Rohingyanoussommesavecvous
ALLAHU AKBAR
Demain (04.09), rassemblement à la mosquée centrale de Grozny !!
Ne restez pas indifférents !!!!
Reposter au maximum !!

Rassemblons-nous tous sur les réseaux sociaux !!! Absolument tous ! Tous ceux qui sont contre le génocide au Myanmar !!! Peu importe votre foi, religion et nationalité !!!
Postez cette photo comme image de profil sur Instagram, What’s App [sic], Vkontakte, etc (partagez la photo avec son texte)
NE LIKEZ PAS LES PHOTOS ET VIDÉOS SUR UN AUTRE THÈME ! Pour que le génocide soit le thème le plus populaire !!! Pour que tout le monde voie !!!
DIFFUSEZ L'INFORMATION SUR LE RASSEMBLEMENT À TOUTES VOS CONNAISSANCES SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ! Que le monde entier sache que nous ne lâcherons pas le sujet !!! Nous allons tout faire pour sauver des innocents !!!
HASHTAG #ROHINGYANOUSSOMMESAVECVOUS

Même My Private Aul, une communauté en ligne anonyme pour les gays du Nord Caucase — sans doute un des groupes les plus marginalisés et persécutés de Russie — a posté un appel à signer une pétition adressée au représentant russe à l'ONU.

La pétition, qui au moment de l'écriture de cet article comptait plus de 160.000 signatures, exhorte l'ambassadeur Vassili Nebenzya à soutenir une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU sur les violences au Myanmar, au lieu d'y opposer son veto aux côtés de la Chine, comme il l'a fait plus tôt cette année.

Football politique et poèmes du malheur

De l'autre côté de la Caspienne, dans les pays d'Asie Centrale autrefois partie de l'Union Soviétique, la réaction a aussi été forte aux violences du Myanmar. Elle a été la plus visible au Kirghizstan, où le gouvernement a annulé une rencontre de qualification avec le Myanmar prévue dans le cadre de la Coupe d'Asie de football, invoquant des craintes de potentielles menaces terroristes et d'affrontements de supporters avec les joueurs birmans.

Le match de groupe A de la Coupe d'Asie de foot 2019 entre Kirghizstan et Myanmar reporté pour raisons de sécurité.

De nombreux utilisateurs kirghizes des réseaux sociaux ont trouvé la réaction excessive. Mais la nervosité des officiels était palpable à l'approche du match, devant les appels des utilisateurs de réseaux sociaux, soit au boycott du match, soit à une manifestation pacifique devant le stade, ou encore à une minute de silence pour les victimes Rohingya avant le coup d'envoi.

La Fédération de football, dont la page Facebook déborde de critiques contre le Myanmar et de soutiens aux Rohingya, a posté un recours gracieux avant que le Premier Ministre kirghize décide finalement d'annuler le match :

Мы себя позиционирует,как дружелюбный и гостеприимный народ!!! Мы скорбим и неприемлем,как и все,то,что происходит с мусульманами в Мьянме! Но…Давайте 5 сентября покажем,что мы не поддаёмся провокациям, давайте дружно поболеем за наших ребят!

Nous nous positionnons comme une nation amicale et hospitalière !!! Comme tout le monde nous condamnons et pleurons ce qui arrive aux musulmans au Myanmar ! Mais… montrons le 5 septembre que nous ne cédons pas aux provocations. Soutenons nos gars de façon amicale !

Les Kirghizes n'ont pas tous été convaincus par les messages pro-Rohingya sur Internet. Un post sur le groupe Nous sommes pour un Kighizistan démocratique et laïc (en russe Мы за СВЕТСКИЙ, ДЕМОКРАТИЧЕСКИЙ КЫРГЫЗСТАН!) a évoqué des désaccords avec les sympathies pan-islamiques et les posts écrits “sottement à propos des likes et commentaires”.

Dans ce post, une utilisatrice de Facebook critique un autre qui a écrit “sottement sur les likes et commentaires”. Le post d'origine appelle les musulmans à prier pour les Rohingya et pour que Dieu châtie leurs persécuteurs” avec la plus grande sévérité.”

Les violences in Myanmar ont aussi inspiré un certain nombre de contributions lyriques. Là ce sont les citoyens du Tadjikistan qui se sont mis en avant. Un seul site web, consacré au pays, a compté pas moins de cinq poèmes tadjiks sur les médias sociaux, sur le thème de la tragédie en cours en Birmanie.

La poétesse Shoira Rahimjon a écrit :

Ман меравам, Миянмар!
То Бирмаро бигӯям, бечора хоҳарамро
(Уммедвор ҳам ҳаст) навмедтар насозад…
Қавми маро насӯзад,
Ҷони маро набозад.
Ман меравам ҳаминак….
То Бирмаро кашонам
Бар остонаи адл- бар боргоҳи бахшиш

J'irai au Myanmar !
Dire à la Birmanie de ne pas ôter ses espoirs
À ma pauvre sœur enceinte,
De ne pas brûler mon pays,
De ne pas prendre mon âme,

J'y vais tout de suite !
Emmener la Birmanie à la maison de justice,
Et au foyer du pardon.

Si les manifestations de Grozny et Moscou ont pu contribuer à rapprocher l'Asie Centrale de la cause des Rohingya, on peut aussi noter que l'occasion de solidarité qu'offre le conflit au Myanmar en est aussi une d'auto-défense.

Alors que tous les cinq pays (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan) ont des populations majoritairement musulmanes, ils ont aussi des gouvernements agressivement laïcistes, qui craignent que l'adhésion religieuse croissante ébranle leur autorité.

Des migrants tadjiks se rassemblent dans une rue de Moscou pour les prières de l'Aïd al-Fitr. Prier dans la rue est interdit au Tadjikistan. Photo David Trilling pour Eurasianet.org. Utilisée avec autorisation.

La semaine dernière, le Tadjikistan a décrété l'interdiction totale du voile islamique à l'école, et les fournisseurs de téléphonie mobile ont assailli leurs abonnés de SMS sur la nécessité de revêtir un habillement “national” non religieux. L'Ouzbékistan et Turkménistan voisins sont régulièrement inscrits par le Département d’État étasunien sur la liste des “pays particulièrement préoccupants” pour la liberté religieuse. Le Kazakhstan semble emprunter la même voie.

Aux citoyens de ces pays par conséquent, les souffrances d'une communauté géographiquement éloignée dont ils partagent la religion offrent donc une occasion d'amplifier les inquiétudes sur les injustices commises contre les musulmans à travers le monde, sans trop craindre les conséquences d'en parler à haute voix.

Et pour Ramzan Kadyrov en Tchétchénie, la tragédie des Rohingya représente quelque chose d'encore mieux : un passeport pour le pouvoir et l'influence dans le monde musulman.

40.000 Rohingya musulmans menacés d'expulsion par l'Inde alors qu'ils sont en butte aux violences en Birmanie

samedi 9 septembre 2017 à 22:56

Des réfugiés Rohingya dans l'Etat Rakhine, Birmanie (Myanmar). Source photo : Flickr par European Commission DG/ECHO CC: BY-NC-ND 2.0 Année 2013

Beaucoup en Inde accusent leur gouvernement de tourner le dos aux droits humains et à la tradition indienne d'accueil des réfugiés avec l'annonce de son projet d'expulser les 40.000 musulmans Rohingya estimés vivre en Inde, dont 16.500 enregistrés auprès du commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Les récents affrontements au Myanmar (Birmanie) entre insurgés Rohingya et l'armée ont contraint des centaines de milliers de Rohingyas à fuir le pays. Mais les persécutions subies par les Rohingyas ne datent pas d'aujourd'hui dans la Birmanie majoritairement bouddhiste. Ils sont en réalité apatrides, puisque le Myanmar leur refuse la citoyenneté, malgré les preuves historiques qui les rattachent à l’État Rakhine birman.

Depuis plusieurs dernières décennies, les Rohingyas vivant au Myanmar, qui sont plus d'un million, subissent la féroce répression de l'armée birmane, avec pour effet un exode généralisé de réfugiés Rohingya vers le Bangladesh et l'Inde voisins, par voie terrestre et maritime, et vers la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie proches par voie maritime.

Après la dernière éruption de violences, le Secrétaire-Général des Nations Unies Antonio Guterres a déclaré que “nous sommes devant un risque” de nettoyage ethnique, et certains sont allés plus loin en qualifiant les événements en cours de “génocide.” Les tués se chiffrent par centaines, et des témoins ont vu des militaires du Myanmar tirer sur des civils et incendier des habitations.

Au milieu d'un tableau déjà sombre, le gouvernement indien du Bharatiya Janata Party (BJP), ne considère pas les Rohingya vivant en Inde comme des réfugiés, mais comme des “immigrants illégaux”. Comme l'a récemment formulé le ministre fédéral indien de l'Intérieur Kiren Rijiju :

Je tiens à dire aux organisations internationales si les Rohingyas sont enregistrés ou non auprès du Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme. Ils sont des immigrants illégaux en Inde, et comme ils ne sont pas des immigrants légaux, ils encourent l'expulsion.

Le Premier Ministre indien Narendra Modi s'est rendu en visite officielle au Myanmar dans la première semaine de septembre et a offert son soutenu à la dirigeante birmane Aung San Suu Ki, lauréate du Prix Nobel de la Paix largement dénoncée pour sa passivité devant le traitement brutal infligé aux Rohingya. Il a paru partager la vision qu'elle a des événements, approuvant les militaires et plaçant la faute entièrement sur le dos des “terroristes”.

‘L'Inde accueille toutes les minorités persécutées, pourquoi pas les Rohingyas ?’

L'Inde n'a pas signé la Convention des Nations Unies de 1951 sur les Réfugiés, ni son Protocole de 1967, à la différence de la majorité des autres pays. Mais cela ne suffit pas à justifier le renvoi forcé des Rohingya en Birmanie, explique Mani Shankar Aiyar à la chaîne d'information NDTV: 

Le gouvernement Modi ne peut pas ne pas connaître les terribles souffrances qu'ont fuies ces Rohingyas. Les renvoyer (“l'expulsion”) revient à transgresser le principe bien établi du “non-refoulement“, ce principe du droit international coutumier qui veut qu'aucun réfugié ne peut être renvoyé dans son lieu d'origine s'il existe la moindre crainte que la personne soit soumise à la souffrance-même qu'elle a fuie.

Deux Rohingyas, Mohammad Salimullah et Mohammad Shaqir, ont déposé une requête contre l'expulsion devant la Cour Suprême : leur avocat défend qu'elle enfreindrait les droits à l'égalité, à la vie et à la liberté individuelle inscrits dans la constitution. L'audience finale est fixée au 11 septembre.

Aspects juridiques mis à part, de nombreux Indiens, tels que l'homme politique et avocat Prashant Bhushan, ont protesté contre l'idée d'expulser les Rohingyas, invoquant la tradition indienne d’accepter les réfugiés de toutes origines sociales et religieuses sans discrimination :

Les Rohingyas en butte à de graves persécutions, génocide au Myanmar. L'Inde accueille toutes les minorités persécutées, mais pas les Rohingyas ?

Ainsi, par le passé l'Inde a aidé les populations vulnérables fuyant des pays voisins, comme les Tamouls sri-lankais, les Afghans et les Tibétains.

Le journaliste réputé Shekhar Gupta argue :

Les pays civilisés ne jettent pas les réfugiés dehors. L'Inde devrait travailler au retour en sécurité des Rohingyas par des pressions diplomatiques sur le Myanmar afin de faire cesser la persécution

Que vient y faire la religion ?

Le gouvernement BJP de Modi a a introduit un déferlement de nationalisme hindou, dont l'idéologie veut la mise en conformité du pays avec les valeurs hindoues et non pas laïques. Ce qui a induit à son tour l'animosité contre la communauté musulmane de l'Inde, qui constitue la première minorité religieuse du pays.

L'inimitié envers les musulmans porte aussi l'empreinte de l'histoire agitée de l'Inde avec son voisin à majorité musulmane, le Pakistan : jadis une seule et même colonie britannique, ils furent divisés dans la violence selon des lignes religieuses en 1947, et leurs relations sont restées cahoteuses depuis lors.

Certains observateurs ont relié la décision du gouvernement indien d'expulser les réfugiés musulmans rohingyas à cet arrière-plan. L'opposant politique et écrivain Salman Nizami a tweeté :

L'Inde abrite environ 200.000 réfugiés, pour la plupart du Tibet et du Sri Lanka. Le gouvernement BJP veut expulser seulement les Rohingyas. Pourquoi, parce qu'ils sont musulmans ?

Et Nafees Ahmad d’expliquer dans un article du site d'analyse de l'actualité The Conversation :

Pour contrer de tels afflux (de réfugiés), le gouvernement indien a développé une nouvelle stratégie l'année dernière. Il a proposé d'amender la loi de 1955 sur la citoyenneté en facilitant la procédure de naturalisation  – sauf pour les personnes déplacées de confession musulmane.

Le nouveau texte bénéficierait certes aux individus appartenant aux religions bouddhiste, chrétienne, hindoue, jaïne, zoroastrienne et sikh, qui sont considérées comme des religions minoritaires dans leurs pays d'origine, comme l'Afghanistan, le Bangladesh et le Pakistan, mais pas aux musulmans persécutés dans leurs pays d'origine, comme les Rohingyas birmans. D'où le récent projet d'expulser les Rohingyas.

Dans ce contexte, des allégations fallacieuses que des rebelles Rohingyas tuaient des Hindous et incendiaient des temples hindous ont été propagées sur les médias sociaux en Inde. Des messages publiés en ligne ont aussi accusé les Rohingyas d'être tous violents, sans la moindre preuve :

Ce n'est pas parce que l'Inde est connue pour son humanité que nous devons accepter ceux qui sont des criminels dans leur propre pays

L'attaque du 25 août par 150 terroristes rohingyas au Myanmar montre qu'il s'agit d'une insurrection sans merci. Ceux qui sont contre l'expulsion veulent du mal à l'Inde

‘Plutôt mourir ici-même que de retourner dans les circonstances actuelles’

De nombreux articles de presse ont aussi pointé la relative discrétion des pays asiatiques, dont l'Inde, sur la question, ostensiblement pour protéger leur sécurité et leurs liens économiques avec la Birmanie. Des éditoriaux indiens ont même demandé à Modi de “se réconcilier avec le Myanmar”, faute de quoi des opportunités commerciales pourraient se perdre.

Modi a tweeté en personne que “l'Inde veut approfondir la coopération avec le Myanmar dans des domaines comme les échanges commerciaux, l'investissement, le coutre-terrorisme, la formation, l'énergie et la culture”. Le blogueur cachemiri Muhammad Faysal a réagi :

Voilà la raison pour laquelle l'Inde veut expulser des millions de Rohingyas vers la Birmanie, où ils ont échappé à un génocide.

Quel que soit le raisonnement du gouvernement indien, la menace d'expulsion instille une douleur supplémentaire dans la vie des réfugiés Rohingya. Un homme rohingya, qui demeure dans un camp financé par l'ONU à Delhi, a déclaré à NDTV : “Nous voulons bien retourner au Myanmar mais seulement avec une solution. C'est notre pays, notre chez-nous, mais plutôt mourir ici-même que de retourner dans les circonstances actuelles”.

Les Nigérians attendaient de leur président absentéiste un discours sur sa santé, il leur parle des tensions ethniques

samedi 9 septembre 2017 à 22:48
Capture d'écran du discours télévisé du président Buhari aux Nigérians le 21 août 2017.

Capture d'écran du discours télévisé du président Buhari aux Nigérians le 21 août 2017.

Le président Muhammadu Buhari est de retour au Nigeria après une “congé maladie” inexpliqué de trois mois au Royaume-Uni. Dans son premier discours télévisé à la nation depuis son retour, 48 heures plus tard, il n'a pas parlé de sa santé personnelle ou de ses soins dans le pays. Au lieu de cela, il a traité de la vision ethnique de la politique, qui provoque la division.

Il a fait remarquer que pendant son absence, il était “préoccupé” en voyant les commentaires dans les discussions sur les médias sociaux concernant les affaires courantes qui “ont traversé nos lignes rouges nationales en osant remettre en question notre existence collective en tant que nation”.

L'unité du Nigeria est une question close et non négociable, a-t-il dit :

Nous ne devons pas permettre à des éléments irresponsables de provoquer des problèmes, alors qu'ils s'enfuiront dès que les choses se gâteront, laissant aux autres la responsabilité de ramener l'ordre, si nécessaire avec leur sang. Chaque Nigérian a le droit de vivre et de poursuivre ses affaires n'importe où au Nigeria sans entrave ni difficulté. Je crois que la très grande majorité des Nigérians partagent ce point de vue. Ce n'est pas nier qu'il existe des préoccupations légitimes. Chaque groupe ethnique a un grief. Mais la beauté et l'attrait d'une fédération est qu'elle permet à chaque ethnie d'exprimer ses griefs et d'élaborer un mode de coexistence.

Les propos ethniques haineux en ligne sont en hausse au Nigeria depuis les élections présidentielles de 2015. Les raisons ont été expliquées dans un billet sur Global Voices en août 2016 intitulé “Nigeria: Curbing the Tide of Ethnic Hate — Online and Off.” (Nigeria: freiner la marée de propos ethniques haineux – en ligne et hors ligne). Récemment, dans le sud-est du pays, le mouvement Indigenous People of Biafra (Peuples autochtones du Biafra) (IPOB) sous la conduite de Nnamdi Kanu a revendiqué la sécession d'avec le Nigeria. Ce qui a a provoqué une cascade d'événements, dont le principal a été la «”Déclaration de Kaduna [fr], intimation publiée par un groupe de jeunes du Nord donnant à toute personne de l'ethnie Igbo trois mois pour quitter le nord du Nigeria.

Dans son discours, le président n'a fait aucune allusion officielle à son état de santé, et bien que de nombreux Nigérians soient heureux voir rentrer le commandant en chef de leurs forces armées, ce fait n'est pas passé inaperçu. L'opacité sur la nature de la maladie de M. Buhari a incité l'analyste des affaires publiques Chido Onumah à proposer le discours différent que Buhari aurait dû prononcer :

Je ne suis jamais tombé malade de toute ma vie entière, mais être malade est une condition humaine et je prie pour qu'aucune maladie n'affecte nos pires ennemis. Je veux dire qu'il est dommage que je doive voyager à l'étranger pour un traitement médical alors que nous avons les ressources nécessaires pour améliorer le système médical de notre pays, mais en raison de la mauvaise gouvernance du passé, nous ne l'avons pas fait. Je veux assurer tous les Nigérians que mon gouvernement fera mieux pour améliorer notre système de santé et veiller à ce qu'aucun autre président après moi ne voyage à l'étranger pour un traitement médical ; au contraire ce sont d'autres leaders mondiaux qui nous visiteront pour une telle raison.

“Ce serait une obligation et non un choix”

Néanmoins, le discours que le Président Buhari a prononcé sur les tensions ethniques a suscité des réactions mitigées de la part des Nigérians. Oby Ezekwesili, ancien ministre et chef de la campagne ” Bring Back Our Girls” (‘Ramenez nos filles’) a tweeté :

Je peux donner une réaction instantanée de citoyen au président @MBuhari que son discours de ce matin a été un terrible exemple d'occasion manquée.

Patrick Okigbo III, dans un commentaire sur Facebook, n'a pas été content non plus du contenu du discours présidentiel :

Je suis nigérian, pur et simple, mais je ne suis pas d'accord pour dire que “l'unité du Nigeria est réglée et non négociable”. Cela équivaudrait à de l'esclavage et pas à une libre adhésion. […] Je crois que la vie est meilleure et nous sommes plus forts ensemble. Cependant, je crois que chaque groupe ethnique doit être fort en venant à une table commune pour négocier son espace. Le rôle du gouvernement fédéral est de permettre que ce dialogue se fasse dans des espaces sûrs. Nous devons engager les diverses nationalités ethniques et déterminer la meilleure façon de créer une nation qui fonctionne pour tous. Taper du poing sur la table et proclamer une union non négociable peut fonctionner pendant un certain temps, puis les liens s'affaibliront. Le discours que l'on entend dans le sud-est aujourd'hui est le signe de l'affaiblissement de nos liens. Le mouvement de Nnamdi Kanu n'est pas une blague. Ce n'est pas une mauvaise gueule de bois qui disparaîtra. C'est plutôt une opportunité pour le Nigeria de mettre quelques questions sur la table et de les traiter sérieusement. Comme on le disait, le meilleur moment pour planter cet arbre était il y a vingt ans ; la prochaine fois c'est maintenant. Taa ka bu gbo. Aujourd'hui, il est encore temps pour commencer.

M. Kanu a été arrêté en 2015 pour 11 chefs d'accusation liés au terrorisme, et de crime de trahison, avant d'obtenir une liberté sur caution cette année. Certains pensent que la décision du gouvernement de le poursuivre pourrait l'avoir renforcé et aggravé une situation déjà dangereuse. L'éditorialiste Reuben Abati a écrit :

Cinquante ans après le déclenchement de la guerre civile, nous avons maintenant un homme appelé Nnamdi Kanu. Il pourrait bien être un ennemi du Nigeria. Il est le produit le plus effrayant de nos nombreuses années et actes de déni, et il pourrait bien jeter le pays dans un cauchemar pire que Boko Haram, si on n'y prend garde. Il a débuté comme chef d'un groupe appelé Peuple indigène du Biafra et directeur de Radio Biafra. Lui et ceux qui ont adhéré à sa rhétorique de la sécession et du renouvellement du rêve biafrais ont organisé des manifestations à travers le monde, vues de loin comme un groupe de Nigérians de la diaspora mécontents. […] Celui qui a ordonné l'arrestation et les poursuites contre Nnamdi Kanu a joué un mauvais tour à ce pays. Kanu est un personnage qu'on aurait mieux fait d'ignorer. Son procès et ses difficultés l'ont transformé en héros et en martyr vivant pour les Igbos. Et le jeune homme jusqu'à présent a compris le jeu. Depuis qu'il a été libéré sous caution, il critique l’État et le gouvernement nigérians.

“Nous sommes encore à nous accrocher aux mêmes lignes dessinées dans le sable hier”

Cependant, il y a des Nigérians qui soutiennent le discours du Président Buhari. Le poète nigérian Ikeogwu Oke a partagé ceci sur son mur Facebook:

J'ai lu – et je relirai – le dernier discours du président Buhari. Je conviens qu'il pouvait être amélioré, comme tout autre discours. Mais je suis surpris que l'une des critiques à son encontre est qu'il dise que l'unité du Nigeria n'est pas négociable. Est-ce que quelqu'un doté de bons sens s'attendait à ce que M. Buhari ou le chef de tout autre pays déclare ouvertement dans un discours à la nation que l'unité du pays est négociable, sanctionnant ainsi des agitations pour sa dissolution ? Quelqu'un peut-il indiquer un précédent où un dirigeant a officiellement déclaré que l'unité de son pays était négociable, même dans le soi-disant monde civilisé ? Même si un tel précédent devait exister, les circonstances sous-jacentes sont-elles les mêmes que les nôtres? […] Pour moi, je suis d'accord que l'unité de toute nation devrait être négociable. Mais s'attendre à ce qu'un chef d’État le proclame dans un discours à la nation, il faudra attendre encore longtemps.

Les clivages ethniques dans la politique au Nigéria ont ainsi été résumés par l'écrivain nigérian Mazi Nwaonwu :

Est-ce que quelqu'un parmi vous a lu “Divided We Stand” (Divisés nous restons) par le talentueux Ekwensi ? C'est un précurseur de la «Moitié d'un Soleil Jaune» de Chimamanda Ngozi Adichie. Les deux livres ont beaucoup de choses en commun, mais le plus frappant montre que même au milieu de la tourmente avant et pendant la guerre, de nombreux habitants du Nord, de l'Est et de l'Ouest ont maintenu leurs relations et trouvé un moyen pour vivre ensemble.

Mais… En fait il ne s'agit pas des livres ni des auteurs géniaux qui les ont écrits. Il s'agit de la façon dont nous demeurons apparemment divisés, et de la façon dont cette division est illustrée par notre vision des problèmes. Alors quand quelqu'un écrira quelque chose de superbe contre notre président en exercice, vous trouverez probablement des noms tels que Obi, Chima, Ngozi etc, qui salueront l'auteur, son mzgnifique esprit et son œuvre. Un autre écrira un texte pro-Buhari qu'on trouvera tout aussi beau et qui sera salué par des Adamu et des Sani. Les Yinka et les Salawu resteront accrochés entre les deux, échos de leurs pères avant eux.

C'est drôle, mais ces deux livres ont capturé l'essence de cette époque que nos pères ne pensaient pas revisiter. Plus de quatre décennies plus tard, nous y sommes encore, accrochés aux mêmes lignes tracées dans le sable par le passé.

Le Nigeria a été handicapé par la vision ethnique de la politique depuis son indépendance en 1960. Selon les mots de ces deux chercheurs, Felicia H. Ayatse et Isaac Iorhen Akuva : “Le Nigeria conserve l'esprit d'appartenance ethnique dans son existence post-coloniale, ce vice a été la cause de la plupart des difficultés politiques, administratives, économiques, sociales et culturelles au Nigeria”. Malheureusement, ces sentiments ont été exploités par la plupart des politiciens nigérians jusqu'aujourd'hui.

Podcast Into the Deep : Hors du Venezuela

samedi 9 septembre 2017 à 19:47

Différents moments, différentes raisons, deux femmes qui ont quitté le Venezuela témoignent

Le Venezuela possède les plus importantes réserves de pétrole au monde. Il y a quelques années, il était même l'économie la plus prospère d'Amérique latine. C'est maintenant un pays en chute libre qui souffre de pénuries alimentaires, de la plus forte inflation au monde, d'une violente épidémie d'homicides et d'un gouvernement extrêmement impopulaire qui consolide son pouvoir constitutionnel en réprimant les manifestations brutalement.

Le Venezuela ne subit pas une seule crise mais plusieurs, toutes interconnectées, qui touchent les trente-et-un millions de citoyens ordinaires et rendent leur vie de plus en plus difficile. Dans cet épisode de notre podcast Into The Deep, nous avons discuté avec deux Vénézuéliennes qui vivent en dehors de leur pays.

Laura Vidal et Marianne Díaz Hernández font partie de la communauté de Global Voices. Marianne a quitté le Venezuela récemment à cause de la crise. Laura, elle, est partie il y a neuf ans, en 2008, quand les programmes sociaux du Venezuela étaient encore considérés comme des modèles pour l'Amérique latine.

Voici un petit aperçu de l'épisode :

Everything that you do now in Venezuela has some how to do with how the country is being handled. For instance you run out of milk then you have to have a conversation with others about the fact that you can't get milk because you have to buy a certain amount of milk, a certain day of the week, because of certain political decisions that were taken. Everything that happens in the country, happens inside of that discourse and you have to locate yourself somewhere in the political spectrum and take a position.

D'une certaine manière, tout ce que vous faites aujourd'hui au Venezuela a à voir avec la façon dont le pays est dirigé. Par exemple, si vous vous trouvez à court de lait, vous êtes obligés d'avoir une conversation avec les autres sur le fait que vous ne pouvez pas obtenir de lait parce que vous devez en acheter une certaine quantité, un jour donné de la semaine, à cause de certaines décisions politiques qui ont été prises. Tout ce qui se passe dans le pays se passe au sein de cette conversation et vous devez vous trouver quelque part sur le spectre politique, prendre position.

There's always a way to make the other person shut up. Shut up you work in a ministry. Shut up you left. Shut up you received a scholarship. Shut up you went to a public university. Shut up you follow the government. There is always a reason why you shouldn't give your opinion or you shouldn't participate. And this is not only people who follow the government. This is something that has become kind of general. Now that I am outside the country, both parties absolutely silence me. I really have no right of opinion, even if there are things that I understand now that I wouldn't understand if I had not left the country.

Il y a toujours une façon de faire taire l'autre. Tais-toi tu travailles  dans un ministère. Tais-toi tu es parti. Tais-toi tu as reçu une bourse. Tais-toi tu es allé à l'université publique. Tais-toi tu es avec le gouvernement. Il y a toujours une raison pour laquelle vous ne devriez pas donner votre opinion ou pour laquelle vous devriez pas participer. Et ce n'est pas qu'à l'encontre des gens qui sont avec le gouvernement. C'est quelque chose qui est devenu presque généralisé. Maintenant que je suis en dehors du pays, les deux côtés me réduisent au silence. Je n'ai pas le droit d'avoir une opinion du tout, même si je comprends maintenant des choses que je ne comprendrais pas si je n'étais pas partie.

Into the Deep est le podcast de Global Voices qui nous permet d'approfondir un sujet qui ne reçoit pas l'attention médiatique qu'il mérite. Dans cet épisode, nous diffusons de la musique sous licence Creative Commons de la Free Music Archive, dont Daemones et Scenery par Kai Engel, Bathed in fine dust par Andy Cohen et Mutinee par Podington Bear.

L'image de ce podcast est intitulée “Ce que les jeunes Vénézuéliens font quand il ne se font pas tuer”, par l'illustrateur vénézuélien Gonzalez. Elle est reproduite ici avec autorisation.