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La Russie se fait représenter à la Commission de la condition féminine de l'ONU par un député… accusé de harcèlement sexuel

vendredi 15 mars 2019 à 10:00

Des accusations ont été portées par plusieurs journalistes en mars 2018

A

Leonid Sloutski représentait la Russie à la session d'hiver 2017 de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE // compte OSCE PA sur Flickr, licence CC2.0

La Russie envoie une délégation à la session 2019 de la Commission de la condition de la femme, qui se tient au siège new-yorkais de l'ONU du 11 au 22 mars —  mais le choix du chef de cette délégation a de quoi laisser perplexe.

Leonid Sloutski, député du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR, parti populiste d'extrême droite) à la Douma se trouve au centre d'un scandale  depuis mars 2018, quand plusieurs journalistes travaillant au parlement l'ont accusé de harcèlement sexuel.

Le député qui attrape les journalistes par la ch… va rendre compte de la condition des femmes russes à l'ONU et s'envoler à New York aux frais du contribuable.

Quatre femmes font partie de la délégation russe pour représenter les principaux partis parlementaires. Leonid Sloutski (à ne pas confondre avec son homonyme entraîneur de foot) est député depuis l'année 2000 et préside actuellement la commission des affaires étrangères de la Douma. A ce titre, il est mandaté pour représenter la Russie dans différentes assemblées parlementaires internationales, événements et forums divers.

Bien que trois femmes seulement aient porté ces accusations contre lui publiquement, il a été établi qu'il y a d'autres victimes qui n'ont pas souhaité s'exprimer, soit par peur de réactiver leur traumatisme, soit par simple envie d'oublier ce qui s'est passé et d'échapper au scandale.

L'une des accusatrices, Farida Roustamova, journaliste à la rédaction russe de la BBC, a enregistré sa rencontre avec Sloutski sur son dictaphone. Lors de l'interview, qui se déroulait dans son bureau de la Douma, Leonid Sloutski a émis quelques réflexions salaces, puis a attrapé Mme Roustamova par l'entrejambe malgré ses vives protestations. Elle a présenté [en] une transcription de l'enregistrement au comité d'éthique de la Douma, lequel a refusé d'examiner les preuves contre Sloutski et a entièrement blanchi celui-ci.

Quand il est apparu évident que Sloutski ne serait en aucune manière inquiété pour ses agissements présumés, des médias indépendants par dizaines ont décrété un boycott de la Douma, supprimant leurs comptes rendus et s'engageant à ne publier aucun communiqué qui ne serait pas lié à ce scandale de harcèlement. Malheureusement, le mouvement a fini par retomber et la plupart des médias ont recommencé à couvrir l'actualité de la Douma, y renvoyant parfois des journalistes femmes qui ont dit ne pas se sentir en sécurité dans l'enceinte du parlement.

Le Syndicat (indépendant) des journalistes et des salariés des médias a adressé une pétition ayant recueilli plus de 700 signatures [ru] à l'assemblée parlementaire de l'OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] pour exiger la révocation de Sloutski, mais il lui a été répondu que ce n'était pas à l'assemblée de décider qui représenterait tel ou tel pays. Et comme il n'existe pas en Russie de loi qui permettrait d'inculper Sloutski de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, il est peu probable qu'il se trouve une organisation internationale pour remettre en question sa participation. De même qu'il est peu probable qu'une telle loi soit votée prochainement : une seule et unique députée de la Douma a évoqué la possibilité de ressusciter un projet de loi vieux de quinze ans pour pénaliser le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, mais il n'y a eu aucune avancée depuis.

A noter que Oxana Pouchkina, seule députée à avoir soutenu d'autres femmes qui accusaient l'un de ses collègues de harcèlement, ne fait pas partie de la délégation à la Commission de l'ONU sur la condition féminine de 2019. On trouve à sa place Tamara Pletnyova du Parti communiste, qui a soutenu ouvertement Sloutski lors du scandale. Connue pour ses opinions conservatrices, Mme Pletnyova a fait ces derniers temps plusieurs déclarations controversées : elle a conseillé aux femmes russes d'éviter les relations sexuelles interraciales [en] lors du Championnat du monde de foot 2018 et a dit que les homosexuels étaient «malades» et qu'il fallait les «soigner» [en] lors d'une interview à une chaîne télévisée nationale.

La Russie obtient 73,1 sur 100 à l'index de l'égalité entre hommes et femmes. Elle se retrouve à l'avant-dernier rang des pays post-soviétiques. Seul l'Ouzbékistan fait pire.

Compte tenu du fait que la Russie est loin d'avoir une histoire glorieuse en ce qui concerne la défense des droits des femmes et l'égalité des sexes, on peut voir dans la nomination de Sloutski à la tête de la délégation nationale à un forum mondial sur la condition féminine un acte de trolling pur et dur.

Des groupes dénoncent des cyberattaques continues à l’encontre de médias indépendants aux Philippines

jeudi 14 mars 2019 à 17:21

Des groupes dénoncent des cyber-attaques continues à l’encontre de médias indépendants aux Philippines. Photo: Kodao Productions, utilisée avec autorisation.

Aux Philippines, plusieurs groupes de médias ont célébré la Journée mondiale contre la cybercensure le 12 mars 2019 en organisant une manifestation pour dénoncer les cyberattaques continues contre leurs sites Web : selon eux, ces cyberattaques seraient soutenues par le gouvernement.

Depuis décembre 2018, les sites Web des groupes de médias alternatifs Bulatlat, Kodao Productions, Pinoy Weekly et Altermidya sont la cible d'attaques par déni de service (ou DDoS : attaque informatique ayant pour but de rendre indisponible un service).

Les sites web de Arkibong Bayan, Manila Today et de l’Union Nationale des Journalistes des Philippines ont également été attaqués le mois dernier.

Selon l'Alliance de la presse d'Asie du Sud-Est, au moins 10 cas de cyberattaques dirigées contre certains nouveaux médias philippins ont été relevés depuis l'arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte en 2016.

La fondation de médias Qurium, basée en Suède, qui soutient ces groupes de média, a confirmé les attaques par déni de service contre Altermidya, ainsi que contre d’autres sites web alternatifs d'information.

Nous pouvons confirmer que l'attaque contre @Altermidya a débuté le 8 février vers 7 heures et ne s'est pas arrêtée depuis. Le fournisseur d’accès a suspendu leur compte.

Les détails des attaques DDoS ont été signalés à l’équipe nationale d’intervention d’urgence informatique (NCERT) du Département des technologies de l’information et de la communication (DICT). Au bout d’un mois cet organe gouvernemental n’avait toujours pas accusé réception du rapport ;  les groupes de presse dirigés par Altermidya ont alors décidé de manifester devant le bureau du NCERT.

Dans une tribune en commun, les groupes de médias dénoncent le lien entre les cyberattaques et les mesures de répression du gouvernement contre la dissidence :

The Duterte regime is using every means to silence dissent, criticism and free expression: from threats, incarceration to killings, to cyber warfare. The main target of this latest assault are the alternative media that mostly via online disseminate reports and views on events and issues that are rarely covered, if at all, by the dominant media. The goal is to deny a public hungry for information the reports and stories that it needs to understand what is happening in a country besieged by lies and disinformation.

Le régime Duterte utilise tous les moyens pour faire taire la dissidence, la critique et la liberté d'expression : allant des menaces, de l'incarcération aux meurtres et jusqu’à la guerre informatique. La cible principale de cette dernière attaque, ce sont les médias alternatifs qui diffusent principalement en ligne des articles et des positions sur des événements et des sujets qui sont rarement traités, voire pas du tout, par les médias dominants. Le but est d’empêcher à un public avide d'informations l'accès aux reportages et témoignages dont ce public a besoin pour comprendre ce qui se passe dans un pays assailli par les mensonges et la désinformation.

L'article a condamné les attaques de plus en plus nombreuses contre la presse, en particulier celle considérée comme critique à l'égard du gouvernement Duterte.

Pendant la Journée mondiale contre la cybercensure, Engagemedia a participé à un rassemblement de protestation organisé à Manille par des groupes de médias alternatifs basés aux Philippines pour condamner les cyberattaques continues contre les médias critiques #Non à la cybercensure #Défense des médias indépendants #Défense de la liberté de la presse

Rhea Padilla, la coordinatrice nationale d'Altermidya, a expliqué sur Facebook pourquoi ils ont manifesté contre le NCERT :

This is why we are here. We demand that they act on the attacks. Otherwise, we will be lead to believe that NCERT and DICT are complicit in the attack on press freedom.

Voilà pourquoi nous sommes ici : nous exigeons qu'ils agissent sur ces attaques. Sinon, nous serons amenés à croire que NECRT et DICT sont complices de cette attaque contre la liberté de la presse.

Et Toby Roca, reporter pour Altermidya, de se faire écho de ces propos :

[1er tweet : Ce silence persistaant de l'organisme gouvernemental et l'inaction sur les cyberattaques contre @Altermidya, @bulatlat, @pinoyweekly, @kodao Productions et autres organisations de médias indépendants nous donne à croire qu'il est de mèche là-dedans. Silence vaut consentement].

Il est encore temps pour le DICT de réagir. Le gouvernement peut enquêter sur les cyberattaques et poursuivre les responsables. L'État doit reconnaître que ces attaques continues par déni de service effectuées via des serveurs philippins constituent une activité délictueuse qui doit cesser. #Laissez-nous en ligne

Jola Diones-Mamangun, directrice exécutive de Kodao Productions, a critiqué l'utilisation de robots et de trolls qui sapent le travail des médias indépendants :

Not content with fomenting disinformation and fake news, the Duterte administration is hell-bent on silencing what it considers as fierce critics and political opponents and goes to extreme lengths and harnessing even the power of the dark web.

L’administration Duterte ne se satisfait pas d’alimenter la désinformation et les fausses informations : elle est résolue à réduire au silence ce qu’elle considère comme des critiques féroces et des opposants politiques, allant jusqu’à prendre des mesures extrêmes en exploitant le pouvoir du ‘dark web’.

Comment les dirigeants saoudiens se servent de la religion pour renforcer leur pouvoir et faire taire les critiques

jeudi 14 mars 2019 à 15:11

La grande mosquée de la Mecque, la ville considérée comme la plus sacrée de l'islam. Photo de Basil D Soufi sur Wikimedia [CC BY-SA 3.0].

[Article d'origine publié le 25 février 2019] Quand Jamal Khashoggi, journaliste saoudien et chroniqueur au Washington Post, a été assassiné en octobre dernier dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul, on a craint pour l'exercice de la liberté d'expression pour les journalistes  en Arabie Saoudite et dans le monde arabe.

Les répercussions politiques qui ont suivi ont également secoué certaines des plus puissantes institutions et voix de l'islam.

Une fois révélées les circonstances de la disparition et de la mort de Khashoggi, de nombreux dirigeants dans le monde ont ouvertement accusé le prince héritier Mohammed Ben Salmane d'avoir ordonné le meurtre du journaliste. Dans ce qui est apparu comme une réponse à ces accusations, le prêche de l'imam de la grande mosquée de la Mecque le 19 octobre a fait l'éloge de Ben Salmane, qui dirige dans les faits le royaume.

Le cheikh Abdulrahman al-Sudais a loué les “réformes de modernisation” de Ben Salmane et dénoncé dans son prêche les attaques contre “ces terres sacrées”, un texte qui a été approuvé en amont par les autorités saoudiennes. Il a conclu en affirmant “qu'il était le devoir solennel de tous les musulmans de soutenir et d'obéir au roi et au loyal prince héritier, les protecteurs et gardiens des sites sacrés et de l'islam.”

En réponse, dans une contribution au New-York Times, Khaled M. Abou El Fadl, professeur à la faculté de droit de UCLA (l'Université de Californie à Los Angeles), a déclaré que ce prêche avait “désacralisé et terni” la tribune du prophète. “En utilisant la grande mosquée pour blanchir ses actes de despotisme et d'oppression, le prince Mohammed a remis en cause la légitimité même du contrôle et de la garde saoudiens des lieux saints de la Mecque et de Médine.”

La longue histoire saoudienne des liens entre politique et religion

Avec son système de pouvoir théocratique, ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel dans ce royaume ultraconservateur. En fait, les dirigeants saoudiens utilisent de longue date la religion comme un outil de pouvoir politique, et ce dès les origines du royaume.

L'Arabie Saoudite abrite les deux sites les plus sacrés de l'islam, la Mecque et Médine.

Chaque année, des millions de musulmans venant du monde entier viennent à la Mecque pour effectuer le Hadj, le pèlerinage, un des cinq piliers de l'islam. Cela a permis au gouvernement saoudien de revendiquer une forme spéciale de légitimité religieuse au sein de l'islam. Le royaume exploite cette légitimité afin de gagner et conserver son pouvoir politique.

Quand le premier État saoudien a été fondé en 1744, Mohammed Ibn Saoud, émir de l'oasis de Diriya, a conclu un pacte avec le chef religieux et théologien Mohammed Ben Abdelwahhab. Ce dernier a lancé un mouvement religieux ultraconservateur (connu aujourd'hui sous le nom de wahhabisme) fondé sur une interprétation rigoriste du Coran et des traditions du prophète.

Fanack, un média indépendant et un site d'analyse spécialisé sur le monde arabe, explique sur cette union avait pour but de “créer un royaume islamique qui fonde son pouvoir sur une interprétation stricte de l'islam.”

Le premier État saoudien a disparu quelques décennies plus tard, et un second État a été fondé en 1824, avant de disparaître une nouvelle fois en 1891. En 1924 et 1925, la famille Ibn Saoud envahit la Mecque et Médine (les deux villes sacrées de l'Islam), avec l'aide de soldats wahhabites. En 1932, le royaume d'Arabie Saoudite est créé. Depuis lors, les dirigeants saoudiens ont continué d'utiliser la religion pour servir leurs intérêts politiques.

Des voix défiant le discours religieux officiel réduites au silence

Aujourd'hui, l'histoire du royaume est la première préoccupation de nombreux Saoudiens alors qu'ils font face à une répression grandissante sous l'autorité de Mohammed Ben Salmane. Des religieux sont engagés pour s'occuper de ceux qui dénoncent la violation des droits ou demandent des réformes et sont des “ennemis de l'islam”. Les autorités continuent également d'avoir recours à des discours qui servent les intérêts politiques des dirigeants.

En janvier 2019, le ministre saoudien des Affaires islamiques, le cheikh Abdullatif Al-Asheikh a condamné les printemps arabes de 2011 et 2012, qu'il voit comme “un poison et une destruction pour l'homme arabe et musulman”.

Dans une référence implicite aux critiques qui ont visé le royaume après le meurtre de Khashoggi, le ministre a dénoncé ce qu'il considère être des “attaques injustes de la part des ennemis de l'islam” et a accusé les musulmans critiquant le royaume et sa politique “de semer la sédition, d'apporter la discorde et de provoquer les gouvernants et les dirigeants”.

Renvoyant au lien entre le wahhabisme et l'oppression politique, la militante saoudienne pour les droits de l'homme Yahya Assiri, qui vit en exil à Londres, a twitté le 13 janvier :

L'oppression est un système global, et [dans notre pays] elle est permise par la religion. Quand Ibn Saoud et Ben Abdelwahhab se sont alliés, l'Arabie Saoudite et le wahhabisme se sont développés comme des jumeaux malveillants. Notre pays ne survivra pas tant que nous ne nous débarrasserons pas de l'oppression wahhabite saoudienne. Ceci étant dit, d'autres, et avec une bonne intention, ont dit que le wahhabisme est un mouvement religieux, alors qu'il est uniquement politique.

Mais les voix de personnes comme Assiri sont réduites au silence en Arabie Saoudite.

Une autre de ces voix est celle d'Abdullah Al-Hamid, un des fondateurs de la désormais dissoute Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA) et qui est actuellement emprisonné.

Al-Hamid purge une peine de onze ans de prison pour ses activités en faveur des droits de l'homme. Il a été accusé d'avoir “brisé l'allégeance au chef de l’État et de lui avoir désobéi” et d'avoir “encouragé le désordre en appelant à manifester”. Il a été reconnu coupable en 2013 par la tristement célèbre Cour criminelle spéciale, créée pour juger les affaires liées au terrorisme mais qui est souvent chargée de poursuivre les militants des droits humains.

Des groupes de défense des droits humains ont rapporté qu'Al-Hamid a commencé une grève de la faim le 17 février. Dans une déclaration qui lui est attribuée et qui a été publiée par les défenseurs des humains MBS MeToo, Al-Hamid annonce qu'il exige la libération des militants des droits humains emprisonnés et des prisonniers politiques.

Abdullah Al-Hamid. Photo provenant de son compte Goodreads.

Dans ses écrits, il s'est appuyé sur des textes islamiques et des traditions pour appeler à des réformes démocratiques, prôner les droits humains et critiquer les institutions religieuses qui permettent la répression en Arabie Saoudite, tels que le Conseil des oulémas, le plus haut organe religieux du royaume qui conseille le roi sur les questions religieuses.

Il a par le passé accusé le Conseil de servir à soutenir “ceux qui volent l'argent, la dignité et la liberté du peuple”. Il affirme qu'il joue un rôle dans “les attaques contre la citoyenneté, le pluralisme et la tolérance” ainsi que dans “la production de la violence et de l'extrémisme”

Il a aussi défendu “un discours religieux moderne qui adopte un rôle consultatif” et s'est opposé à ce qu'il décrit comme étant le “discours religieux commun” dans le royaume qui “exige une prière derrière un imam injuste… même s'il s'en prend à la liberté de quelqu'un, à la justice et à l'égalité.”

Des religieux indépendants réprimés

Tout en faisant taire ceux qui remettaient en cause la ligne officielle du gouvernement, l'Arabie Saoudite s'est aussi montrée ferme face aux religieux qui ne soutenaient pas suffisamment la politique et les actions menées par le prince héritier.

Le religieux Ali Al-Omari et les cheikhs Salmane Al-Awda et Awad Al-Qarn ont tous été arrêtés en septembre 2017 pour des motifs variés dont leurs liens supposés avec les Frères musulmans. Des groupes de défense des droits humains affirment que ces accusations ont été portées car ces religieux n'avaient pas soutenu ouvertement la rupture des relations diplomatiques et économiques avec le Qatar par l'Arabie Saoudite et ses alliés. Et les trois hommes pourraient être condamnés à mort.

Âgé de 62 ans, le cheikh Salmane Al-Awda est un religieux important qui était très suivi sur les réseaux sociaux, non seulement en Arabie Saoudite mais aussi dans le monde arabe. Il est suivi par plus de 22 millions d'abonnés au total sur ses comptes Instagram, Facebook, Twitter et YouTube. Il avait par le passé exprimé son soutien aux printemps arabes de 2011 et appelé à des réformes démocratiques dans le royaume et la région.

Amnesty International et d'autres groupes de défense des droits humains ont lié son arrestation à un tweet posté le 8 septembre, dans lequel il réagissait aux informations rapportant une réconciliation potentielle entre ces nations. Dans la deuxième partie de son tweet, il avait écrit: “Puisse Dieu apporter l'harmonie entre leurs cœurs pour le bien de leurs peuples.”

Ali Al-Omari est un spécialiste de la religion et président de 4Shbab, une chaîne de télévision islamique à destination des jeunes. Contrairement aux deux autres, il ne s'exprimait pas sur les questions politiques du royaume. Il a même par le passé posté un tweet de soutien aux dirigeants du royaume, et posté un autre tweet de prière pour le succès de Ben Salmane quand celui-ci a été désigné prince héritier en juin 2017.

Le cheikh Awad Al-Qarni est la cible de plusieurs accusations dont le soutien aux Frères musulmans, interdits en Arabie Saoudite, et d'avoir dénigré le royaume, sa politique et son système.

D'autres religieux sont aussi emprisonnés actuellement en Arabie Saoudite. Certains ont appelé à des réformes démocratiques dans le royaume, comme Al-Awda, tandis que d'autres ont exprimé leur opposition aux mesures et aux réformes sociales de Ben Salmane.

Ces affaires confirment que sous l'autorité de fait de Ben Salmane, le silence n'est plus suffisant. Au-delà d'un mandat pour écraser les voix “indépendantes”, c'est-à-dire les mots de quiconque n'écrivant pas au service de l'autorité du royaume ou de son agenda politique, les religieux doivent en faire plus et louer ouvertement l'autorité du prince héritier et celle du Royaume.

Les opinions et les idéologies de ces prisonniers d'opinion actuellement derrière les barreaux en Arabie Saoudite, qu'ils soient défenseurs des droits des femmes, défenseurs des droits humains, des protestataires chiites, ou des religieux, peuvent varier. Mais sous l'autorité de fait de Ben Salmane, ces individus font tous l'objet d'injustices de la part des autorités saoudiennes : des détentions arbitraires, un emprisonnement à l’isolement, de la torture ou des disparitions forcées. Pour légitimer et étouffer ces actes d'oppression, les dirigeants saoudiens n'hésitent jamais à utiliser la religion pour couvrir leurs pratiques.

Pourquoi la République islamique a-t-elle peur de Nasrin Sotoudeh ?

jeudi 14 mars 2019 à 14:48

Dessin original du caricaturiste iranien Assad Binakhahi. Reproduction autorisée. Les mots en persan représentent la condamnation de Nasrin Sotoudeh.

“Scandaleux”, “injustice”, “mauvais” and “véritable honte” étaient parmi les mots utilisés par les défenseurs des droits humains et de nombreux Iraniens sur les médias sociaux en apprenant la nouvelle choquante de la condamnation de Nasrin Sotoudeh, une avocate iranienne à la pointe de la défense des droits humains, à 38 ans d'emprisonnement et 148 coups de fouet en raison de son travail pour les droits des femmes et sa protestation contre les lois iraniennes contraignantes sur le hijab.

Reza Khandan, le mari de Soutoudeh, a annoncé la nouvelle sur sa page Facebook le 11 mars 2019.

Cette infatigable défenseure des droits humains qui dénonce souvent la peine de mort avait été arrêtée à son domicile en juin de l'année passée. Les charges portées à son encontre comprennent “l'incitation à la corruption et à la prostitution,” d’avoir “commis ouvertement un acte immoral… en apparaissant en public sans porter le hijab”, et  “de trouble à l'ordre public”.

Alors que la République islamique a commis de multiples violations de droits humains pendant ses quatre décennies d'existence, la condamnation de Sotoudeh est d'une dureté inouïe même selon les normes du bilan extrêmement médiocre de la justice iranienne en matière de droits humains.

Qu'a voulu prouver la République islamique avec ce verdict draconien ? Et en quoi Soutoudeh fait-elle si peur aux dirigeants iraniens ?

Le neuro-scientifique et défenseur des droits humains Mahmood Amiry-Moghaddam, qui vit en Norvège, croit que la République islamique lutte pour sa survie. Il a confié à Global Voices que :

The Islamic Republic is going through one of its worst crises in the past 40 years. They have lost many of their supporters in the last nine years. Poverty is growing, and the vast corruption within the system cannot be hidden anymore. Dissatisfaction among people is increasing. Protests are not any longer limited to the intellectuals and the urban middle class: workers, teachers, students, women, and many other groups are daily challenging the authority of the establishment. The Islamic Republic is struggling for its survival. In a situation like this, anyone with the potential of leading the change is regarded as a significant threat by the authorities. Nasrin Sotoudeh is such a person. She is courageous, can communicate with the ordinary people, stands for the fundamental human rights, has not left the country despite several years of pressure, persecution and harassment, and she is a woman. Nasrin Sotoudeh has all it takes to become a leader. I think the recent sentences against Nasrin must be seen in light of these circumstances. It is a panicked attempt to silence an emerging leader and to send a signal to anyone with the potential of leading a change.

La République islamique traverse une de ses pires crises depuis quarante ans. Ils ont perdu beaucoup de leurs partisans dans les neuf dernières années. La pauvreté augmente, et la corruption répandue dans le système ne peut plus être occultée. Le mécontentement monte chez les gens. La contestation ne se limite plus aux intellectuels et à la classe moyenne urbaine : ouvriers, enseignants, étudiants, femmes, et de nombreux autres groupes défient les autorité constituées. La République islamique lutte pour sa survie. Dans une telle situation, quiconque ayant le potentiel de mener le changement est vu comme une menace sérieuse par les autorités. Nasrin Sotoudeh est une telle personne. Elle est courageuse, sait communiquer avec les gens ordinaires, se bat pour les droits humains fondamentaux, n'a pas quitté le pays malgré plusieurs années de pression, de persécution et de harcèlement, et c'est une femme. Nasrin Sotoudeh a tout ce qu'il faut pour devenir un chef. Je pense que les récentes condamnations contre Nasrin doivent se comprendre à la lumière de ce contexte. C'est une tentative dans la panique de faire taire une figure dirigeante naissante et d'envoyer un signal à quiconque ayant la capacité potentielle de conduire un changement.

Dans sa quête pacifique pour changer la société iranienne, Sotoudeh met ses pas dans ceux de personnalités comme Henry David Thoreau, Gandhi ou Martin Luther King.

Ramin Jahanbegllo, un philosophe canadien d'origine iranienne, vice-doyen et directeur exécutif du Centre Mahatma Gandhi d'Etudes de paix a répondu à Global Voices que :

The moral courage of Soutudeh as a woman lawyer is an exemplar of all those fighting for law, justice, women’s rights and Nonviolence in Iran and the world.

Le courage moral d'avocate de Sotoudeh est un modèle de tous ceux et toutes celles qui se battent pour le droit, la justice, les droits des femmes et la non-violence en Iran et dans le monde.

La communauté internationale a réagi vigoureusement au jugement contre Sotoudeh. Les Etats-Unis ont condamné le nouveau verdict d'emprisonnement “dans les termes les plus énergiques possibles”, et l'Union européenne a publié une déclaration le qualifiant de “développement inquiétant”. La déclaration de l'UE relève que Sotoudeh, lauréate du Prix Sakharov en 2012, a été condamnée à l'issue d'un procès tenu en son absence, également marqué par de nombreuses autres violations du droit à un procès équitable.

Amnesty International a lancé une pétition pour appeler le Guide suprême de l'Iran à remettre en liberté Nasrin Sotoudeh immédiatement et sans conditions, et pour l'annulation sans délai de ses condamnations.

Le Dr. Amiry-Moghaddam, qui est aussi cofondateur et porte-parole de l'ONG Human Rights Iran, est convaincu qu'il y a beaucoup à faire au-delà des pétitions et déclarations, et que l'UE est en position de jouer un rôle essentiel. Il a déclaré à Global Voices que :

This sentence must not be tolerated by the international community and especially Iran's main dialogue partners in Europe. It is not enough to issue one statement or just a protest without political consequences. The EU must put clear demands in front of Iran. Putting all their efforts on saving the JCPOA [the [the Joint Comprehensive Plan of Action, also known as the Iran nuclear deal] is not the right thing to do. At the present moment, the human rights condition must be on top of the agenda of the bilateral negotiations between the EU and Iran. It is not only the right thing to do, but also the wise thing to do.

Ce verdict ne doit pas être toléré par la communauté internationale et surtout par les principaux partenaires en Europe du dialogue avec l'Iran. Il ne suffit pas de publier une unique déclaration ou une simple protestation sans conséquences politiques. L'UE doit mettre l'Iran face à des exigences claires. Porter tous les efforts sur le sauvetage du JCPOA [le Plan d'action conjoint, ou Accord de Vienne sur le nucléaire iranien] n'est pas la bonne chose à faire. Dans le moment présent, la situation des droits humains doit être au sommet de l'ordre du jour des négociations bilatérales entre l'UE et l'Iran. Ce n'est pas seulement la bonne chose à faire, c'est aussi la plus sage.

Outre Sotoudeh, il y a de nombreux autres défenseurs des droits humains emprisonnés ou sous énorme pression par la République islamique. Le Rapporteur spécial de l'ONU sur les droits humains en Iran, Javaid Rehman, a récemment mis en garde que “d'inquiétants exemples d'intimidations, d'arrestations, de poursuites et de mauvais traitements de défenseurs de droits humains, avocats, et militants du droit du travail signalent une réaction étatique de plus en plus lourde”.

Venezuela : Accusé d’ “incitation à la délinquence”, le journaliste Luis Carlos Diaz a été relâché

mercredi 13 mars 2019 à 23:50

Diaz a reçu interdiction de parler de son épreuve.

Luis Carlos Diaz (à droite) avec Marco Ruiz du Syndicat national des travailleurs de la presse (SNTP, à gauche), peu après sa remise en liberté. Arrêt sur image d'une vidéo mise en ligne par le SNTP.

Le 12 mars vers minuit à Caracas, le Syndicat national des travailleurs de la presse du Venezuela a confirmé que le journaliste et défenseur des droits humains Luis Carlos Díaz a été remis en liberté par les autorités vénézuéliennes après une garde à vue de près de 24 heures.

Il a été mis en examen pour “instigation à la délinquance” (instigación a delinquir) et remis en liberté sous la condition de se présenter aux services de renseignement (SEBIN) une fois par semaine, et de pas quitter le territoire vénézuélien. Il a aussi interdiction de parler de ce qui s'est passé pendant sa détention.

Agé de 34 ans, le journaliste avait disparu dans la soirée du 11 mars. A 2:30 du matin le 12 mars, des agents de la sûreté de l'Etat l'ont conduit menotté à son appartement. Ils ont fouillé le logement qu'il partage avec sa femme, saisi de multiples appareils électroniques, avant de quitter l'appartement en emmenant Díaz avec eux.

Quelques heures plus tard, plusieurs dizaines de manifestants se sont réunis devant les bureaux du Ministère public en réponse aux appels à la solidarité, aux côtés de la femme de Díaz, Naky Soto, qui est aussi une politologue et militante célèbre.

Les manifestants rassemblés devant le siège du Ministère public pour exiger la remise en liberté de Luis Carlos. Sur la pancarte : “Défendre, informer et donner son opinion sont des droits humains” Photos partagées sur Twitter.

Dès le petit matin du 12 mars, l'internet a vu une lame de fond de soutien des réseaux de défense de la liberté des médias et des droits humains à travers le monde appelant à sa remise en liberté. Le mot-clic #DondeEstaLuisCarlos (Où est Luis Carlos ?) a laissé place à #LiberenaLuisCarlos (Libérez Luis Carlos) qui devint très vite le sujet N° 1 sur la twittosphère vénézuélienne et parmi les têtes de tendance au niveau mondial.

Après sa remise en liberté, Díaz a tweeté à ses confrères depuis le compte de sa femme, les remerciant de leur soutien :

Enfin, je savais déjà que j'avais de bons amis, mais ma question est maintenant : Comment faire qu'ils se connaissent entre eux ?

Je n'ai jamais imaginé le résultat de cela. C'est incroyable. J'ai lu pendant des heures et je n'ai pas fini. Merci.

Luis Carlos est de longue date un membre apprécié de la communauté de Global Voices. Depuis plus d'une décennie, il œuvre à défendre la liberté d'expression et l'usage des réseaux numériques pour maintenir l'accès public à l'information au milieu de l'actuelle crise du Venezuela. Soto et lui animent aussi un programme vidéo immensément populaire (d'abord sur YouTube, à présent sur Patreon) où ils proposent leurs commentaires et leur humour politiques.

Luis Carlos est célèbre à Global Voices pour son esprit, ses qualités de collaborateur et de pédagogue, et sa capacité unique à comprendre et expliquer l'environnement complexe de la communication numérique au Venezuela.

Nous tous à Global Voices sommes soulagés que notre collègue soit sain et sauf et dans sa famille, et nous allons continuer à à suivre les développements de l'affaire.