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Comment les communautés indigènes prennent en main leur image médiatique grâce aux data et au “storytelling” numérique

samedi 14 avril 2018 à 20:01

Andrés Tapia, Apawki Castro et Juan Diego Andrango ont participé à la première série du projet de Reframed Stories.

En 2017, Global Voices et Rising Frames ont lancé le projet Reframed Stories, une initiative participative de storytelling [fr] numérique, en collaboration avec les membres de communautés indigènes pour analyser les données de leur représentation dans les médias.

Le principal objectif de ce projet est de travailler avec des communautés indigènes très souvent marginalisées ou exclues des médias, et de les aider à mieux comprendre comment elles y sont représentées. Ce projet fournit une plateforme d’analyse de cette représentation et un site permettant aux communautés de confronter la couverture médiatique à leur propre perception. Dans la phase initiale de cette collaboration, l’équipe de Reframed Stories travaille avec les membres des communautés pour analyser les données des médias. Puis, ils écrivent ensemble.

Cet article présente le bilan positif de notre première collaboration, et nos projets d’avenir.

Les débuts de Reframed Stories

Notre conviction est que les histoires concernant les communautés doivent être racontées par les communautés elles-mêmes. Leurs histoires sont trop souvent déformées ou ignorées par la presse, ce qui revient à les priver de parole. Chez Reframed Stories nous souhaitons offrir un espace aux communautés afin qu’elles puissent analyser leur couverture médiatique et utiliser ces données pour réfléchir à l’image que l’on donne d’elles dans les médias.

Ce principe adopté, nous avons lancé la première série du projet de Reframed Stories en collaboration avec le peuple Kichwa de Sarayaku et la nation Shuar, tous deux situés dans la région amazonienne de l’Équateur. Ces groupes se sont opposés à des projets d’extraction minière pendant des années, et ont porté leurs revendications auprès des instances nationales et internationales. C’est pourquoi ils disposent d’une solide expérience de la couverture médiatique réservée aux stratégies communautaires de résistance.

La première phase du projet consiste en une première évaluation de l'image que les grands médias nationaux renvoient de ces communautés et de leurs combats pour protéger leur territoire. Nos recherches démontrent clairement que les médias ne racontent pas toujours l’histoire dans son intégralité, et passent le plus souvent sous silence les raisons des contestations et les solutions proposées par les membres de ces groupes.

Comment exploiter les données

Media Cloud est un outil d’analyse médiatique qui nous a permis d'évaluer le contenu de la couverture médiatique en mettant en évidence les mots clés utilisés par les différents médias pour un sujet donné sur une période spécifique. Par exemple, le nuage de mots suivant illustre les termes les plus utilisés par les principaux médias équatoriens dans des articles mentionnant la nation Shuar publiés entre mai 2016 et juin 2017. 

Mots dominants dans 697 articles publiés entre mai 2016 et juin 2017 mentionnant le terme « Shuar » collectés dans le cadre de quatre recherches de Media Cloud dans les médias équatoriens en espagnol. (Consulter la recherche originale ; Agrandir l’image).

C’est en observant des nuages de mots comme celui-ci que les membres du peuple Kichwa de Sarayaku et de la nationalité Shuar ont analysé comment les médias équatoriens ont traité certains thèmes primordiaux. Cette méthode leur a permis de vérifier l’approche négative [es] [en anglais ici] adoptée par les grands groupes de médias pour évoquer leurs communautés et leurs mouvements sociaux ainsi que le silence systématique des grands médias nationaux concernant les jeunes indigènes, et leur manque d’information sur des thèmes essentiels comme les nombreuses démarches positives proposées par leurs communautés.

Cette collaboration leur a permis de s’engager dans une stratégie de communication, de réfléchir sur leur capacité à informer plus largement le public sur leurs combats et leurs victoires [es], [traduction en anglais ici] de trouver de nouveaux moyens de répondre à l’interprétation tendancieuse des médias [es]. [traduction en anglais ici].

Les commentaires à propos de Reframed Stories

Juan Diego Andrango, qui travaille à la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) [es], et Andrés Tapia, le responsable de la Confédération des nationalités indigènes de l’Amazonie Équatorienne (CONFENIAE) [es], considèrent tous les deux que ce processus pourrait éclairer et renforcer leurs stratégies de communication. Pour Andrango :

Esta herramienta es una muy buena propuesta porque permite analizar el manejo de la dinámica de las palabras y elementos discursivos en los medios de comunicación. Suma al proceso colaborativo de construcción de esfuerzos de comunicación propios, porque demuestra que los medios de comunicación masivos tienden a representar temas más ligados a los intereses comerciales, mas no generan información desde la realidad de los pueblos y nacionalidades. Herramientas de este estilo pueden servir como un elemento para ver desde qué línea trabajar desde la parte comunicativa y cómo responder a la información generada por los medios tradicionales.

Cet outil est une excellente solution pour analyser l'utilisation de la dynamique du langage et des éléments discursifs dans les médias. Il vient compléter le processus collaboratif de notre propre communication en démontrant que les médias traditionnels ont tendance à présenter des sujets liés aux intérêts commerciaux, et ne fournissent aucune information sur la réalité des peuples et des nationalités indigènes. Ce genre d’outils peut nous aider à choisir une stratégie de communication et à réagir à l’information fournie par les médias classiques.

Pour Tapia :

Este tipo de herramientas podrían resultar muy útiles, tanto en términos internos para el trabajo comunicacional de los pueblos y nacionalidades indígenas como para un tema formativo. Nosotros hacemos mucho trabajo con las comunidades, y este programa nos ayudaría a mostrar visualmente cómo los medios están cubriendo ciertos temas, y a la vez demostrar que la comunicación sí tiene un impacto importante.

Ce genre d’outil pourrait devenir très utile, que ce soit pour le travail de communication des peuples et des nationalités indigènes ou comme instrument de formation. Nous travaillons énormément avec les communautés, et ce programme pourrait nous aider à démontrer visuellement comment les médias couvrent certains sujets, et en même temps à quel point l'impact de la communication est important.

Abigail Gualinga, responsable des jeunes de Sarayaku

Les participants, eux aussi, pensent que des outils comme Media Cloud ne peuvent qu’inciter les groupes à se rassembler et partager leurs expériences. Pour Abigail Gualinga, responsable des jeunes de Sarayaku :

La comunicación nos ayuda a los jóvenes a conectarnos entre nosotros, a decir lo que sentimos y pensamos a un grupo más amplio, y a documentar las actividades que implementamos para seguir trabajando y uniendo fuerzas con gente de todas las edades.

La communication nous permet de nous connecter les uns aux autres, d’exprimer ce que nous ressentons et ce que nous pensons à un groupe plus étendu. Elle nous aide à diffuser les informations sur les activités que nous avons mises en place pour continuer à travailler en unissant les forces de gens de tout âge.

Apawki Castro, responsable de communication de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE), insiste lui aussi sur le potentiel de ces nouveaux outils qui, en provoquant des processus collaboratifs de communication, apportent un complément au combat des peuples et des nationalités :

Cada época trae algo nuevo y queremos seguir generando más enlaces, usando nuevas tecnologías que nos permiten seguir creando nuevos tejidos donde todos vamos  compartiendo desde una forma colectiva de construcción en unidad, donde cada quien aporta su granito para contribuir y para ayudarnos de distintas formas. La globalización y la invasión de la era tecnológica no deben absorbernos a los pueblos y nacionalidades. Mas bien, desde los pueblos tomamos a la tecnología como una herramienta complementaria a nuestras acciones de lucha.

Chaque époque apporte ses nouveautés et nous voulons continuer à créer toujours plus de liens grâce aux nouvelles technologies qui nous permettent de partager tout ce que nous avons appris tout au long de cette construction collective dans l’unité, où chacun contribue à sa manière. Nous ne devons pas nous laisser absorber, nous les peuples et les nationalités par la mondialisation ni envahir par la technologie. Nous considérons au contraire que la technologie est un outil indispensable à nos actions et à nos combats.

Comme le déclare José Santi, un des blogueurs de Sarayaku, ces nouveaux outils peuvent jeter des ponts entre différents groupes dans le monde et créer des liens de collaboration et de solidarité au-delà des frontières :

Además de crear nuestros propios medios, tales como nuestro blog, estamos muy interesados en colaborar con distintos medios y grupos usando nuevas herramientas y tecnologías, para que así la gente dentro y fuera del Ecuador conozca más sobre lo que estamos haciendo en Sarayaku y en otros lugares del país, y podamos unir fuerzas y aprender los unos de los otros.

En plus de créer nos propres médias, par exemple notre blog [es], nous souhaitons avant tout collaborer avec différents médias et groupes qui utilisent de nouveaux outils et de nouvelles technologies, afin que les gens, à l’intérieur et en dehors de l’Équateur, puissent découvrir ce que nous faisons à Sarayaju et ailleurs dans le pays, et nous rejoignent pour apprendre les uns des autres.

José Santi, un des responsables du blog de Sarayaku, Sarayaku signifie le peuple de midi.

L’avenir de Reframed Stories

Ces nouveaux outils peuvent devenir de puissants alliés dans la lutte pour la représentation médiatique. Grâce aux commentaires recueillis auprès des membres du peuple Kichwa de Sarayaku et de la nationalité Shuar qui ont participé au projet de Reframed Stories, on s’aperçoit que les nouveaux outils de communication comme Media Cloud sont susceptibles d’aider les communautés à participer à des discussions sur leur représentation médiatique, et à explorer les différentes pistes de réaction à cet état de fait. Et ainsi créer des liens entre les communautés, favoriser la collaboration et renforcer les démarches déjà existantes. Ces liens sont encore renforcés grâce au projet Lingua de Global Voices, qui traduit des articles en plus de 45 langues différentes. Ce projet a permis aux articles de la première série de Reframed Stories de toucher un large public mondial grâce à ses traductions en anglais, russe, malgache, français et chinois.

Encouragés par les enseignements de cette expérience, nous avons commencé à coopérer avec des communautés indigènes et des Premières Nations du Canada. De plus, nous espérons pouvoir continuer à offrir à nos partenaires existants les moyens d’utiliser Media Cloud.

Nous sommes en train de faire en sorte de rendre cet outil accessible à d’autres communautés pour qu’elles puissent étudier leur représentation médiatique. Pour plus d’informations, n’hésitez pas à nous contacter. Nous serions enchantés d’aider votre communauté à trouver de nouvelles solutions pour raconter ses propres histoires !

En pleine répression de la dissidence, six militants vietnamiens des droits humains écopent de lourdes peines de prison

vendredi 13 avril 2018 à 18:07

Cấn Thị Thêu, une activiste réputée du droit à la terre, est à la tête du cortège avec son fils, Trịnh Bá Tư. Sur sa pancarte est écrit : « Justice pour la Fraternité pour la démocratie.» Photo: capture d'écran sur la page Facebook de Trịnh Bá Tư

Cet article de Kathy Triệu a initialement été publié sur Loa, un site d'informations et une radio en ligne mis en place par le Viet Tan afin de diffuser des nouvelles sur le Vietnam. Il est reproduit sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu. 

Six activistes ont été condamnés à des peines allant de sept à quinze ans de prison pour subversion, à l'issue d'un procès bouclé en une journée à Hanoï. Il s'agit des condamnations les plus lourdes que l’État à parti unique ait prononcé ces dernières années.

L'avocat de défense des droits humains, Nguyễn Văn Đài, âgé de 48 ans, a écopé de la peine la plus longue, avec 15 ans de prison et cinq ans de résidence surveillée.

Selon Maître Luân Lê, qui a assuré la défense de plusieurs prévenus, Nguyễn Văn Đài aurait déclaré lors de l'audience, tenue sous haute sécurité : « Faire preuve de clémence envers les dissidents politiques aujourd'hui est en vérité un acte de clémence envers vous-même à l'avenir ».

Trương Minh Đức a fait écho à ces paroles, clamant : « Je n'ai aucun regret. Aujourd'hui vous me jugez, mais demain cela pourrait être vous que l'on juge ».

L'assistante juridique de Nguyễn Văn Đài, Lê Thu Hà, arrêtée en même temps que lui en décembre 2015, a été condamnée à neuf ans de prison. Le pasteur protestant Nguyễn Trung Tôn ainsi que Trương Minh Đức devront tous les deux passer douze ans derrière les barreaux. Nguyễn Bắc Truyển et Phạm Văn Trội seront emprisonnés onze et sept ans respectivement. Hormis Lê Thu Hà, tous sont des blogueurs et des journalistes citoyens passés par la case prison.

Les six activistes sont membres de l'organisation Fraternité pour la démocratie (Brotherhood for Democracy), qui promeut la participation citoyenne et délivre des formations en droits humains. Le groupe a démarré ses activités en 2013 et a été cofondé par Nguyễn Văn Đài.

Le procès des six activistes vietnamiens est terminé.

Nguyen Van Dai 15 ans
Nguyen Van Troi 7 ans
Nguyen Trung Ton 12 ans
Nguyen Bac Truyen 11 ans
Truong Minh Duc 12 ans
Le Thu Ha 9 ans

L'étau se resserre sur la dissidence

Commentant le procès, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Lê Thị Thu Hằng a affirmé : « Au Vietnam, il n'y a pas de ‘prisonniers de conscience’, et personne n'est arrêté pour avoir ‘exprimé son opinion librement’. »

Sur Twitter, les réactions ne se sont pas fait attendre.

C'est une mauvaise blague. Merci à ceux qui ont osé poser la question malgré tout. Les délégations étrangères au Vietnam ne devraient pas laisser les autorités se soustraire si facilement à leurs engagements internationaux en matière de droits humains.

Triste journée pour la liberté de la presse : un procès d'une seule journée pour sceller le destin de six blogueurs et activistes vietnamiens, dont le blogueur Nguyen Van Dai, condamné à 15 ans de prison, et le grand journaliste Truong Ming Duc, à 12 ans.

Selon une étude récente d’Amnesty International, le Vietnam compte actuellement près de 100 prisonniers de conscience. En 2017, plus de 40 activistes ont été arrêtés, ciblés par des mandats d'arrêt ou exilés dans le cadre d'une vague de répression contre la liberté d'expression.

L'Union européenne a elle aussi dénoncé les peines prononcées contre les activistes. Une porte-parole du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) a déclaré que ce développement « marque la poursuite de l’évolution négative observée au Viêt Nam, s’agissant des procès et des condamnations dont les militants des droits de l’homme et les blogueurs font l’objet dans ce pays. »

Nguyễn Trung Trọng Nghĩa, le fils du pasteur Nguyễn Trung Tôn, a confié à Loa que sa famille et lui étaient affligés par le verdict. Nghĩa, aussi connu sous le nom de Effy, s'était rendu dans plusieurs pays pour y défendre la cause de son père ainsi que celle des autres membres de la Fraternité pour la démocratie :

It’s really horrible because my grandmother is already 90 years old. I don't think she’s going to last the next 12 years,” he said. “I don't think my father will get the chance to see her again. [We are] a family who has a member dedicating their lives to society and this is what we get from the government.”

C'est vraiment horrible, car ma grand-mère a déjà 90 ans. Je ne pense pas qu'elle durera ces douze prochaines années. Je doute que mon père ait la chance de la revoir. [Nous sommes] une famille dont l'un des membres a dédié sa vie à la communauté et voici ce que nous récoltons de la part du gouvernement.

Soutiens locaux et internationaux

Avant le procès, des sympathisants pro-démocratie ont parcouru à pied les deux kilomètres séparant l'église de Thái Hà du tribunal à Hanoï en solidarité avec les six activistes. Une vidéo diffusée en live sur Facebook montre que la mobilisation a été surveillée et finalement forcée de se disperser par les forces de sécurité et les policiers en civil. Selon l'agence de presse internationale AFP, au moins deux participants ont été emmenés dans des fourgonnettes blanches par les forces de sécurité, et plusieurs autres ont été emmenés dans des bus.

Dans les jours précédant le procès, des centaines de personnes autour du monde ont manifesté leur soutien aux activistes en partageant des photos avec des pancartes indiquant « La démocratie n'est pas un crime » accompagnées du hashtag #HAEDC, l'acronyme de la Fraternité pour la démocratie en vietnamien.

« La démocratie n'est pas un crime. #HAEDC » – L'activiste Héctor Castañón et sa famille depuis le Mexique. Photo tirée de la page Facebook de Việt Tân

Les organisations internationales de défense des droits humains et les familles des activistes tentent de faire connaître leurs cas depuis près de deux ans, et ont même attiré l'attention d'un mécanisme onusien. Les familles des activistes ont rencontré les représentants de sept ambassades étrangères en amont du procès afin de réclamer leur soutien et plaider pour leur intervention.

Des diplomates envoyés par les ambassades des États-Unis, du Royaume-Uni, de France, d'Allemagne, de Suède, de Norvège et d'Australie ont rencontré les familles des activistes. Photo publiée sur la page Facebook de Huyen Trang.

Alors que le procès se clôturait, et malgré la perspective de passer plus d'une décennie derrière les barreaux, Nguyễn Bắc Truyển a déclaré : « Je continuerai la lutte, et si je dois croupir en prison, d'autres à l'extérieur la continueront pour moi, et rien ne les arrêtera jamais. »

Liban : en direct à la télévision avec son employeur, une employée de maison migrante rétracte ses accusations

vendredi 13 avril 2018 à 11:37

Lensa Lelisa en direct sur un programme libanais alors qu'elle est encore dans un lit d'hôpital. Source: la page Facebook de This is Lebanon.

Le 31 mars, Global Voices a publié [fr] un billet sur la situation de Lensa Lelisa, une travailleuse domestique immigrée éthiopienne âgée de 21 ans qui accusait ses parrains libanais, la famille avec laquelle elle vivait et travaillait, de l'avoir maltraitée. Cherchant à échapper à tout prix, dit-elle, elle a sauté du balcon du deuxième étage et s'est cassé les jambes.

Son témoignage vidéo, en amharique avec sous-titres anglais, a été publié sur la page Facebook du collectif “This is Lebanon”, qui expose les abus auxquels sont confrontées les employées de maison immigrées au Liban. Il a été filmé avec l'aide de la tante de Lensa Lilesa, Ganesh, qui lui a rendu visite à l'hôpital.

Il a ensuite été révélé que ses employeurs dirigent une entreprise de haute couture appelée Eleanore Couture. Indignés, des dizaines de Libanais et de non-Libanais ont manifesté devant les bureaux de l'entreprise à Jdeideh, au nord de Beyrouth, et beaucoup d'autres ont participé à une campagne en ligne #IAmLensa pour sensibiliser le public.

Lire: Nouvelle tragédie humaine au Liban à cause du système de la kafala [fr]

Quand Lensa Lelisa est sortie de l'hôpital, ses employeurs l'ont ramenée chez eux malgré les accusations et le tollé qui a suivi de la part de nombreuses associations libanaises et non libanaises.

Mais cette histoire a pris une tournure encore plus troublante lorsque le programme télévisé Al Nashra de la chaîne de télévision (TV) libanaise Al Jadeed a accueilli, le 2 avril, l'un des employeurs de Lensa, Crystel, son avocate et Lensa elle-même, “dans une tentative de révéler la vérité, derrière ce qui est arrivé à Lensa, dans les dix minutes”, selon une vidéo publiée par This is Lebanon .

L'animateur parlait anglais avec Lensa et arabe, une langue que celle-ci comprend à peine, avec les deux autres femmes. Avec l'aide de traducteurs bénévoles, l'épisode de 12 minutes a été publié sur “This is Lebanon” avec des sous-titres en anglais et en amharique.

“Parce que je me vois brisée, je ne veux plus travailler ici”

Pendant l'émission, Lensa s'est rétractée et a affirmé être tombée accidentellement. L'animateur lui a ensuite demandé: “Vous êtes tombée ? Que faisiez-vous ?” À quoi elle répondit: “J'étendais mes vêtements sur le balcon”.

À ce moment-là, Crystel est intervenue et a dit: “J'ai insisté pour que Lensa apparaisse à la télévision aujourd'hui”, ce à quoi l'animateur a répondu: “Je ne m'attendais pas à ce que son état soit aussi mauvais”, faisant référence au fait que Lensa était encore alitée et ne pouvait pas marcher.

Lensa a alors déclaré qu'elle avait “menti” pour rompre son contrat de travail :

Because I want to go back to my country. Because I see myself broke I don't want to work anymore here, and to go back to my country.

Parce que je veux retourner dans mon pays. Parce que je me vois brisée, je ne veux plus travailler ici, et retourner dans mon pays.

Et elle s'est même excusée pour les problèmes qu'elle aurait causés :

She's good for me. All good for me. Madame too. […] I like her. She like me […] This is my wrong. The video is my wrong. […] Now I am asking this family, Khalil family, I'm sorry about this video. This video, I didn't think this bring problem for them.

Elle est bonne pour moi. Tous bons pour moi. Madame aussi. […] Je l'aime bien. Elle m'aime bien […] C'est ma faute. La vidéo est ma faute […] Maintenant, je demande à cette famille, la famille Khalil, je suis désolée pour cette vidéo. Cette vidéo, je ne pensais pas qu'elle poserait un problème pour eux.

Cette version contraste fortement avec ce qu'elle a déclaré en amharique lorsque ses employeurs n'étaient pas présents.

L'animateur a ensuite demandé à Crystel s'il était possible que Lensa ait trop peur de dire la vérité à la télévision en direct, étant donné qu'elle était obligée de retourner chez eux par la suite. Crystel répondit que non, et a affirmé que Lensa avait eu plusieurs occasions de demander de l'aide si elle en avait eu besoin. Crystel, il convient de le noter, a été initialement accusée par Lensa de l'avoir attaquée avec des ciseaux.

Cependant, Human Rights Watch a été informé par deux femmes éthiopiennes qui ont rendu visite à la jeune femme à l'hôpital qu'elle ne disait pas la vérité aux enquêteurs par crainte de représailles.

Dans la vidéo originale, Lensa déclarait :

[…] From the very beginning they were abusing me […] They tortured me and I couldn't do anything to save myself. They beat me everyday with an electric cable and wrapped my hair around their hands and dragged me around the room. They smashed my head into the walls. […] There were four of them abusing us. […] They took turns abusing us. […] He was pushing his fingers into my eyes. […] I said to myself, ‘How long can I carry on?’ […] There was another Ethiopian girl with me and the same things were happening to her.

[…] Ils m'ont maltraitée dès les premiers instants […] Ils m'ont torturée et je ne pouvais rien faire pour m'échapper. Tous les jours, ils me battaient avec un câble électrique et ils me traînaient à travers la pièce par les cheveux. Ils cognaient ma tête contre les murs. […] Ils étaient quatre à nous maltraiter. […] Ils y allaient chacun à leur tour. […] Il enfonçait ses doigts dans mes yeux. […] Je me suis dit : “Combien de temps vais-je tenir ?” […] Il y avait une autre fille éthiopienne avec moi et le même sort lui était réservé.

Accusations d'”intention cachée”

Al Jadeed a approché “This is Lebanon” et les a invités à l'émission, mais le groupe a refusé “de participer à ce cirque médiatique”.

Au cours de l'épisode et d'autres apparitions dans les médias, “This is Lebanon” et d'autres défenseurs des travailleurs migrants sont devenus des cibles de critiques.

Dans un autre reportage sur Lebanese Broadcasting Channel, Crystel a déclaré que “dans la famille Khalil, il n'y a pas de violence”. Elle a prétendu que “This is Lebanon” avait un “agenda caché” et utilisait le nom Eleanore Couture pour attirer l'attention. Elle les a également menacés de porter plainte contre les membres de l'association, les accusant de diffamation et se plaignant que le cas avait affecté ses affaires.

Dans l'émission d'Al Jadeed, l'avocate, qui représentait le foyer Khalil plutôt que Lensa, a argumenté d'une conspiration :

The situation we're seeing today in Lebanon is that there are a large number of organisations funded from abroad whose apparent goal is to support migrant workers. The truth is that there is a competition between these organisations to see who can get the media scoop. Whether it's true or not doesn't matter.

La situation que nous voyons aujourd'hui au Liban est qu'il y a un grand nombre d'organisations financées depuis l'étranger dont l'objectif apparent est de soutenir les travailleurs migrants. La vérité est qu'il existe une compétition entre ces organisations pour voir qui peut obtenir le scoop dans les médias. Que ce soit vrai ou non, ça n'a pas d'importance.

“This is Lebanon” a répondu à l'épisode par un long billet, en anglais et en arabe, avec une liste d'exigences comprenant :

1. Ensure Lensa’s safety by removing her from her employer’s house to a place where she is no longer in fear of retribution from her employer for speaking truthfully.
2. Ensure that Lensa is getting the medical care she needs for a speedy recovery.
3. Provide Lensa with the opportunity to talk with an Ethiopian social worker that will reassure her of her safety, provide her with her options, and to empower her to choose whatever she sees best fit.
4. Demand a proper investigation

1. Assurer la sécurité de Lensa en l'enlevant de la maison de son employeur et en la plaçant dans un endroit où elle n'aura plus peur de représailles pour avoir dit la vérité.
2. Assurer que Lensa reçoit les soins médicaux dont elle a besoin pour un prompt rétablissement.
3. Fournir à Lensa l'opportunité de parler avec un travailleur social éthiopien qui la rassurera sur sa sécurité, lui fournira ses options et lui donnera les moyens de choisir ce qui lui convient le mieux.
4. Exiger une enquête appropriée

Aucune garantie de protection pour que Lensa Lelisa puisse parler librement

Pendant ce temps, la tante Ganesh de Lensa a expliqué dans une autre vidéo publiée par “This is Lebanon” que lorsqu'elle était allée rendre visite à Lensa après que son témoignage avait été mis en ligne, elle n'avait d'abord pas eu le droit d'avoir une conversation privée avec elle. Cela a été confirmé par le quotidien libanais francophone L'Orient Le Jour qui a déclaré [fr] qu'elle n'y avait été autorisée qu'après une pression des médias sociaux.

Le 6 avril, Human Rights Watch a publié un rapport à ce sujet, dans lequel ils ont trouvé :

The [Lebanese] Internal Security Forces told Human Rights Watch that they had completed an investigation after speaking with Lelisa, another migrant domestic worker in the house, the employers, two forensic doctors, and the Ethiopian Embassy, and sent their report to the prosecutor’s office. However, the Internal Security Forces said they had not provided Lelisa with any guarantee of safety or protection to ensure that she was able to speak freely. “It’s the job of the embassy to provide reassurances or guarantees,” an official said.

Les Forces de sécurité intérieure [libanaises] ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles avaient mené une enquête après avoir discuté avec Lelisa, une autre employée de maison migrante du foyer, les employeurs, deux médecins légistes et l'ambassade éthiopienne, et envoyé leur rapport au bureau du procureur. Cependant, les Forces de sécurité intérieure ont déclaré qu'elles n'avaient fourni à Lelisa aucune garantie de sécurité ou de protection pour s'assurer qu'elle pouvait parler librement. “C'est le travail de l'ambassade de lui fournir une assurance ou des garanties”, a déclaré un responsable.

La police libanaise et l'ambassade éthiopienne ont officiellement conclu que les allégations d'abus de Lensa étaient fausses.

Les travailleurs domestiques migrants au Liban ont demandé à plusieurs reprises la fin du fameux système de la kafala, qui lie le statut juridique du travailleur à son employeur, et la ratification de la convention 189 [fr] de l'Organisation internationale du travail qui garantit le respect des droits de tous les travailleurs domestiques.

A la recherche du mot “Indios” en Equateur et au Venezuela : Une leçon de langue et de données

vendredi 13 avril 2018 à 10:48

Dans notre travail avec le projet NewsFrames de Global Voices, nous utilisons les data pour créer des articles basés sur des preuves et explorant un large spectre de sujets. Ces données peuvent nous fournir des aperçus passionnants et guider nos recherches vers des conclusions surprenantes. Toute personne qui travaille dans le domaine de la recherche qualitative sait que même dans le cas où la «recherche approximative» pourrait mener à des constatations judicieuses, la chance n'est pas toujours de notre côté. La difficulté avec les data est qu'elles n'éclairent pas toujours les questions auxquelles vous voulez répondre. Cet article raconte ce qui arrive quand les data ne sont pas compatibles avec les résultats que nous nous attendions à trouver.

L’Instantané culturel est un type d'article de NewFrames qui examine les schémas de discours dans le traitement médiatique des thèmes culturels. Ces articles sont de nature qualitative, basés sur la découverte et nous aident à obtenir des perspectives intéressantes sur la façon dont certains sujets sont traités dans les médias. J'ai d'abord été inspirée d'écrire cet article d'Instantané culturel sur le mot «indios» (Indiens) après avoir regardé une vidéo virale sur YouTube qui a créé des tensions entre les Vénézuéliens et les Équatoriens et a soulevé des questions sur la représentation des personnes autochtones dans les médias.

La vidéo, partagée en septembre 2017 et retirée par la suite, montre des interviews avec des vendeurs de rue équatoriens, leurs différents clients, ainsi qu'avec des vendeuses de rue vénézuéliennes travaillant à Quito, capitale de l'Équateur. Cette vidéo a provoqué un tollé pour plusieurs raisons. Pour commencer, le créateur de la vidéo a montré aux personnes interviewées des images sexuellement connectées de femmes vénézuéliennes qui ont par suite incité des commentaires sexuellement explicites sur ces femmes vendeuses des rues. Il a également posé aux vendeurs équatoriens des questions sur les migrants vénézuéliens, ce qui a suscité des commentaires xénophobes. Le point culminant de la vidéo était une réponse d'une vendeuse de glaces vénézuélienne. Après avoir demandé à plusieurs reprises pourquoi elle préférait les hommes vénézuéliens aux hommes équatoriens, elle a déclaré que les Équatoriens :

…son feos porque parecen indios.

… sont moches parce qu'ils ont l'air d'Indiens

De nombreux Équatoriens se sont tournés vers les médias sociaux pour exprimer leur mécontentement de ces commentaires, tandis que d'autres se sont d'abord demandé pourquoi le fait d'être appelé «indien» était considéré une insulte.

La controverse créée par cette vidéo m'a poussée à rechercher les nuances du mot «indio» tel qu'il est utilisé dans les médias équatoriens et vénézuéliens, afin d'explorer les différentes représentations des populations autochtones dans ces deux pays. La représentation médiatique est un sujet d’investigation important pour NewsFrames, tandis que le projet Rising Frames — notre collaboration avec Rising Voices — offre une perspective sur l'image des groupes marginalisés dans les médias.

Il était important de prendre en compte certains facteurs linguistiques et historiques en travaillant sur cet article. L'Équateur et le Venezuela ont des relations différentes avec leurs populations autochtones et je m'attendais à découvrir à cet égard des différences importantes dans l'utilisation du terme dans les médias. L’Équateur a une population autochtone plus importante – environ 8% de ses citoyens s'identifient comme membres de l'une des 13 nationalités indigènes officiellement reconnues et plus de la moitié de la population du pays est d'origine autochtone. Les peuples autochtones équatoriens ont également créé des organisations politiques robustes pour lutter contre la discrimination systématique dans leur société. La population indigène du Venezuela représente une plus petite partie de la population totale – environ 2% – divisée en 34 groupes ethniques. La discrimination est plus ou moins cachée et les organisations politiques indigènes sont plus faibles.

Cependant, dans les deux pays, le terme «indio» est lié depuis longtemps à la discrimination raciale. En Amérique latine, «indio» est considéré comme un terme péjoratif dans la plupart des contextes formels ; le terme indigène y est préféré. En Équateur, les termes «pueblos originarios» (peuples originaires) et «nationalités autochtones» sont souvent les termes préférés et il n'est pas rare que les médias appellent des groupes ethniques spécifiques par leur nom, par exemple Shuar ou Sarayaku. “Indio” est largement dans l'usage courant au Venezuela mais est considéré comme politiquement incorrect dans les cadres formels. “Indigène” est le terme préféré dans les médias, les universités et les publications politiques. Au Venezuela, il n'est pas rare non plus d'utiliser le nom spécifique des groupes ethniques tels que Wayúu, Yukpa, Yanomami ou Warao.

Mon enquête consiste en la recherche du mot “indios” dans les bases de données de Media Cloud relatives au Venezuela et à l’Équateur (voir ci-dessous).

Qu'est-ce que Media Cloud ?

Media Cloud est une plateforme open source développée par le MIT Center for Civic Media et le Harvard Berkman Klein Center for Internet and Society. Media Cloud est développé pour rassembler, analyser, fournir et visualiser de  l'information tout en traitant des questions quantitatives et qualitatives complexes sur le contenu des médias en ligne.

Le mot “indios” était, en effet, une occurrence courante dans les médias vénézuéliens entre le 1er juin et le 30 septembre 2017, apparaissant dans 1 344 articles. Toutefois, la plupart des articles parlaient des Cleveland Indians, une équipe américaine de baseball. J'avais beau savoir que cette équipe était très connue au Venezuela, j'ai été surprise de constater que son nom était aussi populaire dans les résultats de recherche pour le terme “indio”. J'ai trouvé seulement 102 articles dans les médias équatoriens dans la même période, en majorité liés à l'Inde, le pays. Les publications qui se référaient à la population autochtone étaient principalement des articles d'opinion critiquant le racisme caché dans le pays.

Au milieu de tout ça, il y avait une autre surprise. La recherche du mot “indios” a également révélé un ensemble de publications sur le chavisme ou bien le “socialisme au 21ème siècle”. Il se trouve que les médias gouvernementaux vénézuéliens publient parfois des articles qui définissent leur idéologie comme étant le combat des «Indiens bolivariens» contre le capitalisme néolibéral.

Confusion et limites dans l'exploration des data

Les données que j'ai examinées n'ont pas abouti à éclairer ma question sur les utilisations contrastées du mot «indios» en Équateur et au Venezuela. La majeure partie des data apparaissant dans mes requêtes sur le mot «indio» n'étaient pas liées aux communautés autochtones mais plutôt à d'autres utilisations du terme. L'apparition du mot «indios» comme référence à l'équipe de baseball américaine dans les médias vénézuéliens montre justement comment les homonymes et d'autres particularités linguistiques compliquent les recherches sémantiques dans le data journalisme. Et si je n'ai pas été en mesure de trouver assez d'informations pertinentes pour écrire mon article d'Instantané culturel, j'en suis sortie avec les leçons suivantes en ce qui concerne le data journalisme :

Leçon un : Pour les termes à significations multiples, des résultats non pertinents risquent de rendre la recherche plus difficile. Parfois, le ratio entre les résultats pertinents et les résultats non pertinents est trop faible pour arriver à une connaissance ayant du sens.

Leçons deux et trois : Le silence peut aussi s'avérer signifiant mais peut signaler aussi d'autres nuances et complexités. Ainsi probablement, si le terme «indios» a été peu utilisé dans les médias vénézuéliens et équatoriens pour désigner les populations autochtones, c'est qu'il est considéré comme politiquement incorrect. Cependant, l'absence de «indios» dans le discours public peut aussi laisser penser un évitement dans la discussion du racisme caché ce qui en fait une requête beaucoup plus compliquée à formuler.

Finalement, leçon quatre : Les data journalistes doivent être prêts à renoncer à leurs articles lorsque les données trouvées ne sont pas assez solides pour étayer leurs intuitions.

En fin de compte, j'ai renoncé à écrire cet article d'Instantané culturel, mais j'ai pensé qu'il était important de relater à sa place cette histoire d'échec, afin de reconnaître que même si les articles basés sur les data ne sont pas toujours simples, cela ne signifie pas que ça ne vaille pas la peine de poser ces questions. Nous continuons à investiguer parce que nous savons que l'enquête manquée d'aujourd'hui est la base d'un aperçu plus profond dans le futur.

#GirlsOnBikes : Des femmes à bicyclette pour se réapproprier les espaces publics au Pakistan

vendredi 13 avril 2018 à 10:30

Les Filles à bicyclette se réaaproprient l'espace public. Photo Hasan Haidar via la page Facebook Girls At Dhabas. Utilisation autorisée.

Le 1er avril 2018, des rassemblements à bicyclette ont été organisés dans les trois plus grandes villes du Pakistan (Islamabad, Lahore, et Karachi) par le collectif féministe pakistanais de premier plan Girls at Dhabas. Le rassemblement ‘Girls On Bikes’ (‘Filles à vélo) était leur troisième événement visant à promouvoir la participation féminine aux événements publics, combattre les restrictions subies par les femmes dans les lieux publics et accroître la prise de conscience des difficultés affrontées par les femmes.

Lire aussi (en anglais, non traduit): Les Pakistanaises se réapproprient les espaces publics, une tasse de thé à la fois

En mai 2015, deux jeunes filles de Karachi, Sadia Khatri et Natasha Ansari, ont commencé à employer le mot-clic #GirlsAtDhabas comme espace pour présenter des photos de femmes sur Tumblr. Le mot-clic est devenu viral quand des centaines de femmes de toute l'Asie du Sud ont commencé à partager des photos d'elles-mêmes à des dhabas (cafés ou petits restaurants de rue) sur Twitter et Tumblr, ouvrant des échanges sur les espaces sécurisés pour les femmes. Le collectif était né.

Affiche “Rassemblement Filles à vélo” par Girls at Dhabas. Image de la page événement du groupe Facebook

Sur la page de l'événement du rassemblement à vélo de cette année, Girls At Dhabas précisait :

Through this annual event, we aim to challenge the existing mindset that it is inappropriate for a female or a gender non-conforming person to be out and about on her own. We wish to encourage each other to participate in this collective movement to assert our right to navigate public spaces on our own terms.

Avec cet événement annuel, notre but est de défier l'état d'esprit existant qu'il est inapproprié pour une personne femme ou transsexuelle d'aller et venir seule. Nous souhaitons nous encourager mutuellement à participer à ce mouvement collectif pour affirmer notre droit à nous déplacer dans les espaces publics comme nous l'entendons.

On a vu des femmes rallier les rues de Karachi, Lahore et Islamabad avec des slogans contre le patriarcat et l'inégalité. Girls at Dhabas a tweeté :

Hier était une journée vraiment fantastique. Nous avons eu 70 cyclistes à Islamabad, 70 à Lahore et 30 à Karachi

On a pu voir des affiches avec des slogans tels que “Two-Tyred of Patriarchy” (jeu de mot : à la fois “Deux roues du patriarcat” et “trop fatiguées du patriarcat”), et “Pédalez pour lutter contre le patriarcat”. Showbiz and News a tweeté :

Balayez [votre écran] pour voir les #GirlsOnBikes dans les rues se réapproprier les espaces publics et banaliser les filles à vélo. Bravo à toutes les dames venues soutenir l'opération.

Les gens n'ont pas tardé à communiquer avec le mot-clic #GirlsOnBikes, qui est devenu tendance sur les réseaux sociaux. Inquiète de l'avenir des femmes dans l'espace public, une internaute a tweeté en soutien :

[MALGRÉ TOUT, il y a toujours des ordures dans les rues. Des hommes ont sifflé, fait des vidéos, pris des photos. Ah, et ma préférée, ils ‘faisaient semblant’ de nous foncer dedans avec leurs voitures et leurs motos pour nous effrayer et rigoler ensuite. Vraiment la classe.]

J'espère que le rassemblement des #GirlsOnBikes aidera à normaliser les femmes à bicyclette au Pakistan. J'ai eu l'impression de voir pour la première fois des parties de ma ville. C'était un rêve de pouvoir faire du vélo dans les rues que je parcours quotidiennement en voiture ou en rickshaw. Et de nouveau, faire des coucous aux sœurs qui se serrent les coudes 💕

Benje Williams, président de l'Amal Academy a tweeté :

“puissions nous dépasser [à vélo] les doigts pointés et les regards fixes, au-delà des ralentisseurs et des voies lentes, sur la voie du milieu et la voie rapide, monter sur les ponts routiers, vers l'infini et au-delà”

La chanteuse Meesha Shafi a tweeté:

Quel dimanche libérateur, rouler à bicyclette avec ces guerrières à travers ces mêmes rues où j'ai été tripotée, harcelée, sifflée et dévisagée dans le passé ! Vous savez quoi, les mecs, votre #TempsEstÉcoulé !!! Bravo à @girlsondhabas pour leur 3e rassemblement annuel !

Il y a de nombreuses images encourageantes des participantes, jeunes ou âgées, dans différentes villes du Pakistan, sur la page Facebook de Girls At Dhabas :

Des cyclistes de tout âge à vélo par solidarité via la page Facebook Girls at Dhabas. Utilisation autorisée.

A Islamabad, Pakistan via la page Facebook Girls at Dhabas. Utilisation autorisée.

A Lahore, Pakistan via la page Facebook Girls at Dhabas. Utilisétion autorisée.

Le rassemblement s'est aussi fait critiquer par des utilisatrices de médias sociaux partisanes de rôles définis pour les genres et traitant le rassemblement de mode occidentale. Momina Khan a tweeté :

Cette nouvelle tendance #girlsonbikes est débile. Notre génération est tellement occupée à prouver que les Femmes peuvent faire tout ce qu'un homme peut faire que les Femmes perdent leur singularité. Les femmes n'ont pas été créées pour faire tout ce qu'un homme peut faire. Les femmes ont été créées pour faire tout ce qu'un homme ne peut pas faire.

Lire aussi (en anglais, non traduit) : Aurat March (La marche des femmes) marque la résistance contre la misogynie au Pakistan

Le Pakistan est un pays patriarcal où les espaces publics ne sont pas considérés comme des endroits pour les femmes. Le stéréotype selon lequel il n'est pas convenable pour les femmes d'occuper les espaces publics reste une croyance largement partagée dans le pays. Pourtant, comme le montre le rassemblement ‘Girl on Bikes’, les mouvements qui revendiquent la possibilité d'occuper les espaces publics et aussi d'atteindre l'égalité des droits sociaux, politiques, économiques et reproductifs commencent à monter en puissance.