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De jeunes militants soudanais tirent la sonnette d’alarme sur la déforestation au Darfour

mercredi 27 mars 2019 à 10:41

La dégradation rapide du climat intensifie les difficultés quotidiennes

La désertification dans le nord du Darfour gagne de plus en plus de terrain dans le sud, ce qui conduit à davantage de pénuries de nourriture et à une pauvreté à l’effet dévastateur qui, à leur tour, rendent plus dépendant du bois de chauffage en tant que combustible. Photo d’Alaaeldein Abdelrahman Yousif, utilisation autorisée. 

La contestation politique a atteint des sommets au Soudan ces derniers mois en raison de la récession économique constante que traverse le pays sous le président Omar al-Bachir, au pouvoir depuis 1993. L’instabilité actuelle et le conflit au Soudan ont mené à la scission du Sud-Soudan et à la guerre au Darfour, connue sous le nom de guerre des Land Cruisers [fr].

En 2003, des groupes rebelles sont entrés en guerre contre le gouvernement soudanais qu'ils accusent de discrimination et d'oppression des peuples non arabes. Un génocide s'en est suivi, attisé par le conflit ethnique et politique. Il a fait environ 500.000 morts et des millions de déplacés internes.

Le conflit à rallonge a mené à la dévastation.

Alaaeldein Abdelrahman Yousif, coordinateur régional de l'Organisation des jeunes du Soudan sur le changement climatique, pense qu'il faut absolument agir pour contrer la menace imminente que fait peser le changement climatique au Soudan. En tant qu'inspecteur auprès du ministère des Ressources animales, Yousif ainsi que d'autres jeunes Soudanais ont beaucoup à dire sur la déforestation et son impact sur la société.

“La pauvreté est le fondement du problème”, affirme Yousif. L'augmentation de la pauvreté, le manque de ressources et les déplacements de personnes provoquent la déforestation dans la région du Darfour située dans l'ouest du Soudan.

Quelque 2 millions de personnes croupissent à présent dans des camps pour déplacés internes dans la région du Darfour.

Les gens ont recours au bois de chauffage pour leurs besoins quotidiens. De plus, la demande de logements a conduit à une explosion de la fabrication de briques au four à bois qui détruit 52.000 arbres par an. Beaucoup au Darfour se sont tournés vers le commerce du bois de construction et du bambou pour en tirer quelques revenus, par exemple via la confection de meubles. Par ailleurs, le changement de régime de l’asida (porridge traditionnel soudanais à base de blé) vers le pain a aussi contribué à augmenter le besoin en bois de chauffage.

La déforestation entraîne des pertes extrêmes

Le djebel Marra contient de très nombreuses espèces d'arbres au sud de la chaîne qui ont toujours été source de subsistance. Photo d'Alaaeldein Abdelrahman Yousif, 8 mars 2019, utilisation autorisée.

Le Darfour se trouve dans l'ouest du Soudan et donne sur le grand Djebel Marra, la plus vaste chaîne de montagnes du pays.

La région est située dans le Sahel et comprend une multitude d'écorégions : des déserts à la pluviométrie faible qui constituent une transition vers le Sahel boisé dans le nord, et des forêts tropicales à la pluviométrie abondante dans le sud. Le nord-est se caractérise par ses plaines et ses dunes de sable peu élevées, alors que l'ouest comporte des wadis – des vallées sèches qui concentrent l'eau de pluie – essentiels aux bergers sur les trajets de longue distance avec leur troupeau.

Les précipitations ont diminué ces dernières années dans les déserts du nord, entraînant une chute de la production alimentaire qui a provoqué davantage de déplacements de personnes du nord vers les territoires du sud du Darfour. Dans le même temps, le désert a progressé d'au moins 100 kilomètres vers le sud au cours des quatre dernières décennies.

Katie Fletcher et Todd Gartner du World Resources Institute expliquent dans quelle mesure la déforestation mène à la sécheresse et à des inondations de grande ampleur:

Forests help control the water cycle by regulating precipitation, evaporation and flows. Layers of forest canopy, branches and roots can store and release water vapor, which controls rainfall. Deforestation weakens this process, leading to irregular rainfall patterns including drought and flooding.

Les forêts aident à contrôler le cycle de l'eau en régulant les précipitations, l'évaporation et les courants. Les couverts forestiers, les branches et les racines peuvent stocker et libérer de la vapeur d'eau, qui contrôle les précipitations. La déforestation affaiblit ce processus, ce qui entraîne des régimes de précipitations irréguliers, notamment de la sécheresse et des inondations.

Selon l'évaluation environnementale du conflit soudanais du programme des Nations unies pour l'environnement, on estime le taux de déforestation à plus de 1% par an. Dans l’État du Darfour-Central, la densité a diminué de 400 arbres par hectare en 1998 à 27 arbres par hectare en 2016. Certaines régions sont déjà confrontées à des pénuries de bois combustible.

Parmi les arbres menacés de disparition figure l'acacia du Sénégal, un arbre de grande valeur qui produit de la gomme arabique à partir de sa sève, une substance qui fait office de liant naturel largement vendue sur les marchés et que l'on trouve dans des produits comme le soda, les bonbons, la peinture, l'encre et les produits pharmaceutiques.

La gomme arabique était autrefois désignée sous le nom de “produit miracle du Soudan” et, dans les années 1990, elle représentait plus de 90% de la production mondiale. Mais la déforestation menace sa position sur le marché mondial. Le tamarinier, un arbre utilisé dans la médecine traditionnelle bon marché, est également en voie de disparition.

Ces pertes se répercutent sur les personnes démunies qui dépendent directement des produits de la forêt. Elles affectent aussi les récoltes et entraînent de plus fréquents épisodes de sécheresse, ce qui pousse encore davantage les gens à abattre des arbres pour joindre les deux bouts et exacerbe le conflit régional.

Briser le cercle vicieux

En décembre 2018, Yousif a assisté à la COP24, le nom informel donné à la 24ème conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Désabusé par les procédures bureaucratiques lors de la conférence, il a manifesté dans les rues de Katowice, en Pologne, dans l'espoir d'attirer l'attention sur la catastrophe écologique qui se joue au Darfour, l'une des régions les plus sèches au monde.

La situation au Darfour est dramatique, mais Yousif refuse de se laisser abattre et est à la recherche de solutions applicables :

The people are bored and annoyed by awareness sessions from organizations because real solutions are not being brought. What they are thinking is, ‘I need to feed my children.’ Concrete solutions need to be brought to fix poverty and the environment together.

Les gens sont las et agacés par les séances de sensibilisation des organisations car aucune solution n'est réellement apportée. Ce qu'ils pensent, c'est : “Je dois nourrir mes enfants.” Il faut trouver des solutions concrètes pour régler ensemble les question de la pauvreté et de l'environnement.

Yousif pense qu'historiquement, les villages traditionnels du Darfour possèdent le savoir-faire lié à l'agriculture écologique et assure que leurs règles en matière de gestion environnementale pourraient être remises au goût du jour pour exploiter des écovillages.

Lors de la COP24, il s'est rendu à une rencontre du réseau mondial des écovillages et a trouvé espoir dans l'agroforesterie, la pratique qui consiste à planter des arbres simultanément autour des cultures. Utilisée dans différentes communautés indigènes, l'agroforesterie s'appuie sur le système environnemental et l'imite en cultivant les relations entre l'agriculture et la gestion forestière.

Yousif y voit une opportunité de retisser des liens entre les villages en harmonie avec la nature.

L'abattage sauvage d'arbres a entraîné le déboisement des terres, les dépouillant de ressources essentielles et générant des cycles de pauvreté au Darfour. Photo d'Alaaeldein Abdelrahman Yousif, utilisation autorisée.

Il espère que cette idée obtiendra le soutien du gouvernement soudanais, qui pourrait investir dans cette pratique en participant aux projets coopératifs de reboisement avec les agriculteurs. Le gouvernement pourrait commercialiser ou taxer les ressources cultivées, ce qui pourrait en retour être pourvoyeur d'emplois et apporter de la stabilité aux communautés locales.

Cela pourrait même faire renaître un processus d'extraction durable de la gomme arabique basé sur les cycles de culture traditionnels par rotation. L'extraction continue de la gomme arabique représente également une source permanente de revenus pour ceux qui la vendent et l'achètent sur le marché.

Selon un article de l'Institut sur les ressources tropicales Viikki de l'université d'Helsinki, “un système basé sur l'agroforesterie pourrait générer des rendements raisonnables en termes de récoltes y compris de gomme arabique, et être plus attractif pour les agriculteurs.”

L’UNAMID, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Darfour, dispose d'un programme de reboisement qui pourrait aussi soutenir les actions en matière de développement durable et met l'accent au niveau national sur la transition vers les énergies renouvelables. Toutefois, la fin de la mission est prévue pour 2020, ce qui rend l'avenir du programme de reboisement incertain.

La situation politique complexe du Soudan et un climat qui se dégrade rapidement ont renforcé la lutte quotidienne du peuple soudanais. Il faut réellement s'attaquer à la déforestation au Darfour pour contribuer à mettre le Soudan sur la voie de la paix et de la stabilité.

10 ans après les feux de brousse dévastateurs, les Australiens commémorent le Samedi noir

mardi 26 mars 2019 à 13:50
Black Saturday - The lie of the land

L'état des lieux le 8 avril  2009 – du compte Flickr d'Elizabeth Donoghue (CC BY-NC-ND 2.0)

[Article d'origine publié le 5 février 2019] Il y a dix ans, le 7 février 2009, l’État australien du Victoria a connu des feux de brousse dévastateurs qui ont fait 173 morts, plus de 400 blessés et détruit plus de deux cent maisons. Sept personnes ont succombé à leurs blessures à la suite de cette catastrophe.

Pendant la semaine de cette commémoration de 2019, les Victoriens ont ravivé leurs souvenirs du “Samedi noir” à travers plusieurs témoignages personnels présentés par les médias traditionnels. ABC Melbourne, l'antenne régionale de la télévision nationale, a rendu hommage aux victimes en diffusant des témoignages de rescapés.

D'autres ont fait part de leurs souvenirs sur la toile. Sur son blog “The small Adventurer” (La Petite Aventurière), Indya raconte qu'elle a perdu son logement, et fait part des séquelles que ces incendies lui ont laissées jusqu'à aujourd'hui :

Ten entire years, and I still don’t think one single day has passed without me mentioning – or at least thinking about – the fires.

[…] I am also still really, really nervous around things like ovens, stoves, heaters, and even lighters. As a baker, you can imagine how difficult having those fears is when I’m going to take something out of the oven, and suddenly something doesn’t move the way I expect it to or something like that, and I instantly freeze up and freak out.

[…] Tomorrow I will be thinking of all those who had it much worse than me, and hoping that the people who are still alive and lost so much more are doing okay. But, I will also be thinking about myself, and allowing myself to feel whatever I happen to feel, because my feelings are valid too. My fear and sadness is valid too, and always have been, it just took me a while to realise it.

Voilà déjà dix ans que ces incendies ont eu lieu et je ne pense pas qu'un seul jour ne se soit écoulé sans que je n'en aie parlé, ou n'y aie au moins pensé.

[…] Je suis encore extrêmement tendue quand je me trouve à proximité de fours, de cuisinières, de chauffages, et même de briquets. En tant que boulangère, vous imaginez bien à quel point cela est pénible d'avoir ces peurs lorsque je sors quelque chose du four et que soudainement quelque chose ne se passe pas comme prévu, ou quelque chose de ce genre. Je me fige sur-le-champ et je panique.

[…] Demain je penserai à tout ceux qui n'ont pas eu ma chance, en espérant que les rescapés qui ont tant perdu se portent bien aujourd'hui. Je penserai également à moi-même et me permettrai de ressentir tout sentiment que j'éprouverai, car mes sentiments sont également légitimes. Ma peur et ma tristesse sont aussi légitimes et l'ont toujours été, j'ai juste mis un certain temps à en être consciente.

Dianne McNamara a publié ce qui n'est que le deuxième tweet de son compte :

10 ans plus tard. Mon cœur et mon âme sont transformés à jamais. Comme toujours, mes pensées sont avec chaque individu touché par le Samedi noir. Je suis éternellement reconnaissante pour le soutien reçu de différentes personnes, qu'elles aient été touchées ou non par ce désastre.
J'ai eu plus de chance que d'autres.

Georgia, une avocate de Melbourne, avait quinze ans à l'époque. Elle a résumé les sentiments de nombreuses personnes :

Voilà dix ans que mon père a sauté dans sa voiture avec mon voisin pour prendre la direction de l'incendie destructeur et venir au secours des parents de mon voisin. Voilà dix ans que ces flammes ont pris la vie de tellement de personnes, d'animaux, ont ravagé tellement de foyers et détruit tellement d'emplois. Cela restera gravé dans nos mémoires à jamais.

Robin Steenberg a partagé un souvenir déchirant :

Il y a 10 ans, mon témoin [de mariage] et sa famille ont péri dans les flammes du Samedi noir, au nord de Melbourne en Australie. C'est comme si c'était hier. Nos pensées sont avec leurs familles. REP mes chers amis.

Plusieurs personnes lient la tragédie du Samedi noir aux conditions météorologiques extrêmes que nous connaissons actuellement et qui causent des ravages dans d'autres parties du pays. Une autre catastrophe naturelle a provoqué des inondations extrêmes dans le nord du Queensland à la suite de précipitations d'un niveau record.

Blair Drysdale a donné une idée de l'ampleur du désastre dans des régions de l'arrière-pays.

Voici une ferme tenue par un ami, au nord de Julia Creek, dans le nord du Queensland. Toute son exploitation est comme ça… la totalité des 60 000 hectares.

La situation dans la ville côtière de Townsville était également extrême. L'agence d'informations vidéos à documenté les torrents :

Townsville touchée par des inondations sans précédent quand les vannes du barrage se sont ouvertes

Ann Moorfield, habitante de Melbourne, a fait le lien :

Je voudrais juste rappeler à tout le monde que lors du Samedi noir il y avait des inondations en même temps au Queensland, où un appel a été lancé aux victimes de celles-ci. Les victimes ont demandé à ce qu'on envoie de l'argent aux victimes du feu de brousse, qui en ont plus besoin.. alors aidez les victimes des inondations du Queensland.

Elizabeth Donoghue a pris la photo qui se trouve en haut de cette article “d'une route que plein de gens décrivent comme un piège mortel, une route que j'ai toujours évitée jusqu'à présent. Mais cette fois-ci, le risque en a valu la peine!”. Elle a publié la photo sur Flickr deux mois après les incendies :

Now that everyone knows that this beautiful country that was so burnt in February is not really destroyed, but is just doing what nature intended, and is regenerating, as nature intended, let me show you this amazing landscape. It gives some idea of the scale of the fires; and it also shows, for me, the folds and rhythms of the land beneath the vegetation. i took this from a road that many people describe as a death trap, a road that I have always avoided till now. But it was worth a hairy drive!

Maintenant que tout le monde sait que ce magnifique pays qui a été tellement ravagé par les flammes en février n'est pas vraiment détruit, mais plutôt que ce n'est que la nature qui l'a voulu ainsi, et que ce pays se régénère, tout comme l'a voulu la nature, je voudrais vous montrer ce superbe paysage. Cette image vous donne un aperçu de l'ampleur des incendies. Elle montre également, selon moi, à quoi ressemble le sol sous la couche de végétation. J'ai pris cette photo depuis une route que beaucoup de personnes décrivent comme étant un piège mortel. Mais cette fois-ci, le risque en a valu la peine!

Enfin, Adrian Cutts a parlé de l'intérêt croissant sur les plateformes de médias sociaux depuis le Samedi noir :

Comme par coïncidence, demain, cela fera également 10 ans qu'une grande partie des Australiens auront découvert l'existence de Twitter. Le Samedi noir a représenté un tournant majeur dans ce pays, en passant de plateforme non vérifiée jusqu'à devenir partie intégrante de notre vie.

Le gouvernement est prêt à négocier avec les talibans, mais qu'en est-il de leurs victimes ?

mardi 26 mars 2019 à 10:39

Tirs croisés, EEI, raids nocturnes causent les lourdes pertes civiles

Kabal Shah assis dans son salon de barbier à Kaboul tient une photo de son frère Adel tué dans un attentat-suicide revendiqué par les talibans. Photo d'Ezzatullah Mehrdad, utilisée avec autorisation.

Kabal Shah, 52 ans, écoute dans sa boutique de barbier les informations sur les pourparlers de paix entre les USA et le mouvement taliban. Chaque fois que le présentateur aborde l'évolution des négociations de paix, Kabal Shah se souvient de son frère Adel Shah.

Un jour de 2017, Adel se rendait à son salon de barbier lorsque Kabal entendit une énorme explosion. Il tenta de multiples fois d'appeler Adel jusqu'à ce qu'un médecin de l'hôpital Wazir Akhbar Khan décroche le téléphone et lui annonce la mort de son frère.

“Nous sommes impuissants” à obtenir justice, dit Kabal Shah, qui a perdu une jambe pendant la guerre civile des années 1990. “Nous sommes des milliers d'invisibles.” Kabal dit que lorsqu'un kamikaze taliban a ciblé un convoi de militaires américains, l'attentat a pris la vie de son frère de 24 ans. Et il espère que d'autres jeunes Afghans comme Adel ne connaîtront pas le même sort.

Émissaires des États-Unis et représentants des talibans essaient de négocier une sortie de la guerre qu'ils se livrent depuis 17 ans, et au cours de laquelle des milliers de civils afghans ont été tués et blessés. Mais dans ces pourparlers de paix, on entend rarement les noms des victimes civiles.

Au moins 31.000 civils ont péri de 2001 à 2016, selon l'Institut Watson de l'Université Brown. 41.000 autres ont été blessés.

Tirs croisés, engins explosifs improvisés, assassinats, bombes, raids nocturnes sur les domiciles d'insurgés suspectés et frappes aériennes sont les causes de ce lourd bilan humain.

Selon la Mission d'assistance de l'ONU en Afghanistan, 5.272 civils ont été tués et blessés rien qu'en 2017. Les civils morts et blessés ont été encore plus nombreux en 2018, l'année la plus meurtrière de la guerre, indique le  rapport de l'ONU : 10.993 victimes civiles, dont un nombre record d'enfants.

Les rapports de l'ONU attribuent au moins 63 pour cent des victimes civiles de 2018 à divers groupes insurgés, dont les talibans et l’État islamique. La responsabilité de 24 pour cent des victimes civiles incombe aux armées afghane et américaine.

Aziz Ahmad Tassal, le directeur du Groupe de plaidoyer de la protection civile, exhorte les autorités afghanes et la communauté internationale à prêter plus d'attention aux victimes. “[Elles] sont coincé[e]s ; [elles] ont faim et feront l'impossible pour nourrir leurs enfants et leurs familles”, dit Tassal. “On les ignore et [elles] subissent des souffrances insoutenables en traversant cette lutte sans fin.”

Pour donner un exemple, Tassal raconte l'histoire d'une jeune fille de 18 ans, la seule survivante d'une frappe aérienne qui a tué toute sa famille dans la province de Nangarhar. Avant le bombardement, la jeune fille avait été fiancée. Mais après la tragédie, la famille du fiancé n'a plus voulu de la future mariée invalide, qui avait perdu un œil dans l'explosion. Aujourd'hui elle vit avec son oncle, qui exige qu'elle lui rembourse ce qu'il a dépensé pour sa subsistance.

“Si on ne guérit pas leurs cœurs brisés et qu'on ne poursuit pas les coupables, à quoi sert alors la paix ?” demande Tassal. “Ceux qui ont causé les pertes doivent être poursuivis.”

L'attentat-suicide de Kaboul le 24 juillet 2017 revendiqué par les talibans a tué au moins 38 personnes, dont Najiba Bahar Hussaini, une employée du ministère des Mines et du Pétrole. Elle était fiancée à Husain Rezai et ils allaient se marier après deux ans d'histoire d'amour.

“Impénétrables au doute et malgré les victimes civiles, les talibans continuent à trouver des justifications aux pertes humaines”, dit Rezai. “Si vous avez des problèmes avec les USA, pourquoi votre combat contre eux doit-il continuer à prendre les vies des Afghans ordinaires ?”

“Peu m'importe personnellement la paix”, poursuit Rezai. “Ce que je ne veux pas, c'est voir encore des gens souffrir et perdre leurs êtres chers”. Il dit avoir espéré que la Cour pénale internationale poursuive les talibans pour les meurtres de civils, un espoir qu'il a pourtant presque abandonné aujourd'hui.

Latifa Sultani, qui assure la liaison pour la Commission indépendante des Droits humains d'Afghanistan (acronyme anglais AIHRC), affirme que les victimes demandent une fin inconditionnelle de la guerre, et non un accord de paix qui accorderait l'impunité aux coupables.

“L'AIHRC plaide pour des indemnisations dédommageant les victimes et pour la poursuite en justice des coupables”, dit Sultani. “Ceux qui ont commis des crimes doivent en porter la responsabilité, et à tout le moins présenter des excuses.”

Sultani explique que si justice n'est pas faite et que les plaintes des victimes ne reçoivent pas de réponses, les pourparlers de paix ne déboucheront que sur une fin temporaire de la guerre sans jamais atteindre de paix durable. “Faute de prêter attention aux victimes, douleur et colère passeront d'une génération à la suivante”.

L'AIHRC a fréquemment appelé à une inclusion des représentants des victimes civiles dans les négociations de paix, car le risque est tangible que ces personnes cherchent une vengeance violente après n'avoir pas réussi à amener leurs agresseurs devant la justice conventionnelle.

Cependant, il y a des parents de victimes que seule une réponse à leurs pertes pourrait apaiser. Ghulam Mohammad, la cinquantaine, écoutait les informations à la radio le 31 décembre de l'année dernière, lorsqu'un groupe d'hommes armés fit irruption dans la maison de son frère.

“C'étaient des hommes armés en uniforme, avec une armada de drones en soutien”, raconte Ghulam Mohammad dans un hôtel de Gardez, dans la province afghane de Paktia. “J'ai appris par la suite qu'une caravane de 50 véhicules était arrivée de la province de Paktika [adjacente à celle de Paktia] à Zurmat [le district de Paktia où vit Ghulam Mohammad].”

Ghulam Mohammad se précipita à la maison de son frère. Il trouva ce dernier, Naim Faruqi, tué avec ses deux fils de coups de feu en pleine face. Les neveux de Ghulam étaient étudiants dans des universités locales.

Puis un groupe d'hommes armés fit aligner la famille de Ghulam Mohammad sur la terrasse de sa maison. Un des hommes armés s'avança et dit à Ghulam Mohammad qu'ils allaient épargner sa vie et celles de sa famille.

Récemment, les Forces de protection de Khost financées par la CIA ont mené des raids nocturnes dans la région. C'est le KPF qui aurait mené les raids contre les maisons de Ghulam Mohammad et de son frère.

Ghulam Mohammad s'est adressé aux gouvernements locaux du district de Zurmat et de la province de Paktia, qui ont refusé de donner quelque information que ce soit sur cette opération et sur ceux qui avaient attaqué la maison de son frère.

Ghulam Mohammad montre une image de ses neveux tués par un raid nocturne dans leurs maisons, dans l'est de l'Afghanistan. Photo : Mohammad Imran.

“Nous réclamons une réponse. Quel était leur crime ? Je suis prêt à comparaître devant n'importe quel tribunal qui me poursuivrait si ma famille avait commis un crime”, dit Ghulam Mohammad. “Quelqu'un au moins devrait en répondre. Être un étudiant, est-ce un crime ?”

@ActLenguas : l'ambition d'Israel Quic pour le tz'utujil, du 25 and 31 mars 2019

mardi 26 mars 2019 à 10:28

Photographie fournie par Israel Quic.

En 2019, nous avons décidé d'inviter différents hôtes à piloter le compte Twitter @ActLenguas (activisme linguistique) et à partager leur expérience sur la revitalisation et la promotion de leur langue natale. Cette semaine, nous nous sommes entretenus avec Israel Quic (@maisquick).

Rising Voices (RV): Pouvez-vous nous parler de vous ?

Soy Israel Quic de origen Mesuamericano del Pueblo Maya Tz’utujil, vivo a orillas del lago Atitlán en Guatemala. Mi idioma Maya Tz’utujil se conserva muy bien en las personas adultas y mayores, pero comienza a perderse en los jóvenes y niños.

Je m'appelle Israel Quic. Je suis originaire d'Amérique centrale et je fais partie du peuple maya Tz'utujil. Je vis sur les rives du lac Atitlán, au Guatemala. Ma langue est le tz'utujil [fr], qui est bien préservée parmi les adultes et les personnes âgées, mais qui a commencé à perdre du terrain parmi les jeunes gens et les enfants.

RV : Quel est l'état actuel de votre langue sur et en dehors d'Internet ?

Las nueva generaciones comienzan a tener acceso al Internet, pero no encuentran información en su propio idioma, por lo que se hace necesario producir recursos digitales en idioma Maya Tz’utujil para ponerlos a disposición en línea. Es una tarea muy grande porque el sistema nos ha acostumbrado a consumir información en español y por tener pereza cerebral se le pone mas atención al español que el idioma originario.

Les nouvelles générations commencent à avoir accès à Internet, mais ne trouvent pas d'informations dans leur propre langue. Il est donc nécessaire de produire du contenu numérique en tz'utujil et de le rendre disponible. C'est une vaste tâche, car le système nous a habitué à consommer de l'information en espagnol, et la paresse intellectuelle nous rend plus réceptifs à l'information en espagnol plutôt que dans notre langue maternelle.

RV : Sur quels sujets allez-vous communiquer sur @ActLenguas ?

Esta semana me gustaría compartir las diferentes producciones que se han generado en los diferentes pueblos tz’utujiles sobre el idioma, naturaleza, cultura.

Cette semaine, j'aimerais partager les productions créées par les différentes communautés tz'utujil sur la langue, la nature et la culture.

RV : Qu'est-ce qui motive votre militantisme linguistique pour le tz'utujil ? Qu'espérez-vous pour votre langue ?

Me gustaría que el Maya Tz’utujil pueda resistir a los embates de la aculturación, asimilación que genera el sistema discriminador y racista guatemalteco. Si se ha logrado conservar la cultura e idioma por más de 500 años, ojalá las próximas generaciones puedan vivir y disfrutar de sus raíces ancestrales.

J'aimerais que le tz'utujil résiste aux pressions de l'acculturation et de l'assimilation provoquées par le système discriminatoire et raciste du Guatemala. La culture et la langue ont été préservées pendant plus de cinq cents ans. J'espère que les prochaines générations pourront vivre en profitant de leurs racines.

Netizen Report : Europe, dernière ligne droite pour tenter de défendre un Internet sans filtre

lundi 25 mars 2019 à 14:41

L’UE et Internet : importante décision attendue la semaine prochaine.

« Tous droits réservés ». Illustration de Frits Ahlefeldt, publiée dans le domaine public.

Le Netizen Report d’Advox offre un aperçu des défis à relever, des victoires obtenues et des tendances émergentes en matière de technologie et de droits de l’homme dans le monde. Cette édition couvre des informations et événements qui concernent la période du 9 au 20 mars 2019.

[Sauf indication contraire, les liens renvoient vers des pages en anglais.]

D’ici la fin du mois de mars, le Parlement européen devrait se prononcer sur une réforme historique du droit d’auteur, à même de bouleverser d’importants espaces d’expression créative et politique en ligne, tels que YouTube et Facebook.

Le dernier projet de la Directive européenne sur le droit d’auteur, en grande partie élaboré et débattu à huis clos, inclut dans l’article 13 l’exigence pour les plateformes comme YouTube d’instaurer des « filtres de chargement », un procédé technique qui empêcherait les utilisateurs de mettre en ligne des contenus protégés par le droit d’auteur et imposerait un système de « censure préalable » aux principales plateformes web et de médias sociaux.

Le vote final sur la directive sur le droit d’auteur devrait se tenir entre le 26 et le 28 mars. Dans les jours précédents, les citoyens et les défenseurs des droits numériques de toute la région multiplieront leurs efforts pour convaincre les législateurs de repenser cette politique. En date du 12 mars, plus de cinq millions de personnes avaient signé une pétition [FR] contre l’Article 13 et des milliers d’entre elles ont appelé ou envoyé un courrier électronique à leurs élus au Parlement européen.

Des dizaines de manifestations sont prévues pour le 23 mars et plusieurs importants sites web que cette réglementation affecterait ont prévu de cesser de fonctionner symboliquement le 21 mars. Ce sera notamment le cas des versions allemande, tchèque, danoise et slovaque de Wikipédia.

Un tel changement aurait beau ne s’appliquer juridiquement qu’aux États membres de l’UE, il pourrait avoir d’énormes répercussions pour Internet à l’échelle mondiale. Si de tels systèmes de filtrage voyaient le jour et étaient mis en œuvre en Europe, les gouvernements d’autres régions pourraient s’y intéresser et étudier la mise en place de mécanismes similaires (voire identiques).

Pour en savoir plus sur ces actions, consultez le site de la campagne Save Your Internet.

L’Irak reporte le débat sur un projet de loi controversé sur la cybercriminalité

Le Conseil irakien des représentants examine un projet de loi controversé sur la cybercriminalité qui imposerait une peine de prison à vie et des amendes élevées aux personnes reconnues coupables d’utiliser « les ordinateurs et Internet » pour « porter atteinte à l’indépendance, à l’intégrité et à la sécurité du pays ou à ses intérêts économiques, politiques, militaires ou sécuritaires » ou pour « publier ou diffuser des informations fausses ou trompeuses dans le but d’affaiblir la confiance dans le système financier électronique ».

Plus tôt ce mois-ci, des groupes de défense des droits de l’homme ont publié une déclaration appelant le Parlement irakien à retirer ce projet de loi. Le Conseil devait en débattre le 14 mars, mais le point a été retiré de l’ordre du jour. Sur Twitter, le compte officiel du Conseil irakien des représentants a remercié les personnes qui l’ont contacté de « critiquer certaines lois », sans toutefois préciser lesquelles.

Arrestation du responsable d’une campagne contre les centres de détention du Xinjiang

Le 11 mars, deux semaines à peine avant la démission surprise du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, les autorités du pays ont arrêté le militant Serikzhan Bilash [FR] à Almaty.

Il est accusé d’« incitation à la haine ethnique » pour avoir annoncé dans un discours public son envie de faire la guerre à la Chine au sujet des « camps de rééducation » du Xinjiang. Il a expliqué qu’il s’agirait d’une « guerre de l’information », mais les autorités n’ont manifestement pas apprécié cette distinction. Depuis, il a été emmené par avion à Astana, la capitale, libéré et placé en assignation à résidence .

Serikzhan Bilash dirige le groupe Ata-Jurt, qui a aidé plus d’un millier de Kazakhs à défendre leurs proches, détenus ou disparus dans la région voisine du Xinjiang, en Chine, victimes de la répression du gouvernement chinois contre les minorités ethniques et religieuses. Gene Bunin, conservateur de la Xinjiang Victims Database de langue anglaise, estime qu’Ata-Jurt a publié au moins 3 000 témoignages vidéo d’anciens détenus et membres de leur famille.

Une journaliste de Kommersant forcée de démissionner à cause d’un canal Telegram

Maria Karpenko, journaliste pour Kommersant, l’un des principaux quotidiens d’affaires russes, a été contrainte de démissionner après que le rédacteur en chef du journal l’ait confrontée à propos d’un canal Telegram qu’elle co-administre.

Administré par un groupe de journalistes de Saint-Pétersbourg, ce canal de diffusion [FR], appelé Rotonda, se concentre sur la politique locale et compte près de 10 000 abonnés. Dans une interview, Mme Karpenko a déclaré qu’elle imaginait que son rédacteur en chef avait subi des pressions pour la congédier en raison de ses articles critiques et de ses publications sur les médias sociaux, probablement de la part d’un membre du gouvernement de Saint-Pétersbourg ou même du Kremlin.

Un journaliste vénézuélien détenu dans un contexte de crise

Luis Carlos Diaz, journaliste et défenseur des droits de l’homme vénézuélien, a disparu [FR] dans la soirée du 11 mars, arrêté par les services de renseignements gouvernementaux. Il a été libéré le 12 mars, dans l’attente de son inculpation [FR] et à la condition qu’il se présente aux autorités tous les huit jours.

Membre de longue date de la communauté Global Voices [FR], Luis Carlos Diaz, s’emploie depuis plus d’une décennie à défendre la liberté d’expression et l’utilisation des réseaux numériques pour que les citoyens conservent un accès à l’information dans le contexte de crise que connaît le Venezuela. Avec son épouse, Naky Soto, ils animent une émission vidéo extrêmement populaire (auparavant sur YouTube, mais désormais sur Patreon) dans laquelle ils commentent l’actualité politique avec humour.

Les autorités égyptiennes reportent la libération d’Alaa Abd El Fattah

Les autorités égyptiennes ont reporté de dix jours la libération du blogueur et militant Alaa Abd El Fattah prévue pour le 17 mars 2019, dernier jour de sa peine de cinq ans de prison. Cet éminent blogueur et militant politique a été arrêté [FR] au domicile de sa famille en novembre 2013. Plus d’un an plus tard, il était jugé et condamné à cinq ans de prison pour « organisation d’une manifestation » en vertu d’une loi de 2013 qui interdit les manifestations non autorisées. Bien qu’il ait pris part à une manifestation contre les procès militaires de civils, il n’a joué aucun rôle dans son organisation.

#RedAMLOVE : une nouvelle armée Twitter au Mexique

Une nouvelle étude de SignaLab, un groupe de recherche sur les médias sociaux de l’Université jésuite de Guadalajara, montre les tendances émergentes parmi les partisans du nouveau président du Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador, surnommé « AMLO ». Elle révèle des schémas d’activité sur Twitter qui semblent refléter des efforts coordonnés visant à promouvoir les positions et les intérêts du nouveau gouvernement et à saper ses opposants.

Dans une interview accordée à Animal Politico, Rossana Reguillo, responsable de la recherche et cible de campagnes de harcèlement sur Twitter liées à l’ancien président Enrique Pena Nieto, a déploré la résurgence de cette tendance avec la nouvelle administration. Elle indique que de telles attaques « contribuent à un climat de polarisation et de discours haineux qui n’augure rien de bon pour la démocratie ».

Pakistan : les responsables de la « Marche d’Aurat »menacées en ligne

Le 8 mars, des femmes de sept villes du Pakistan ont participé à la « Marche d’Aurat », une série de rassemblements publics en défense des droits des femmes et des personnes LGBTQ. Si ces événements ont bénéficié d’un important soutien en ligne, ils ont aussi fait l’objet d’un examen minutieux de la part des autorités publiques et les principales porte-paroles du mouvement ont reçu des menaces ouvertes. La directrice de la Digital Rights Foundation, Nighat Dad, également membre de la communauté Global Voices, a rapporté avoir reçu des menaces de viol sur Twitter, à l’instar de centaines d’autres femmes.

Des groupes de médias philippins dénoncent des cyberattaques

Le 12 mars, à l’occasion de la Journée mondiale contre la cybercensure, plusieurs groupes du secteur médiatique philippin ont manifesté [FR] pour dénoncer les cyberattaques dont certains sites de médias indépendants sont la cible. Bulatlat, Kodao Productions, Pinoy Weekly et Altermidya figurent parmi les sites qui subissent des attaques par déni de service (DDOS) depuis décembre 2018. Différents médias considèrent que les attaques sont menées avec le soutien du gouvernement. Le site de l’Union nationale des journalistes des Philippines a également été visé.

Nouvelles études

Reckless VII: Wife of Journalist Slain in Cartel-Linked Killing Targeted with NSO Group’s Spyware – Citizen Lab de l’Université de Toronto

The Index of Racism and Incitement in Israeli Social Media 2018 – 7amleh / The Arab Center for the Advancement of Social Media

Free To Be Mobile: Ensuring that women, girls, queer and trans persons can inhabit digital spaces freely and fearlessly – Point of View / Inde

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