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Après 113 jours en prison à Istanbul, les défenseurs des droits de l'homme sont libérés en attendant leur proces

vendredi 27 octobre 2017 à 13:48

A leur libération, Nejat Tastan et Peter Steudner s'étreignent au milieu des médias et des supporteurs. Photographie diffusée par Fotis Flippou sur Twitter.

La journée du 25 octobre a été longue pour les Dix d'Istanbul, mais elle s'est terminée dans la joie.

Dix défenseurs des droits de l'homme, dont la directrice d'Amnesty International Turquie Idil Eser, accusés d'appartenir à une organisation terroriste, ont comparu devant le tribunal après avoir passé presque quatre mois en prison [fr]. La session a commencé à 10h du matin (heure locale) et s'est terminée vers minuit avec la libération des dix accusés en attendant le procès.

Ils avaient été emprisonnés le 5 juillet 2017, quand ils s'étaient rassemblés pour un atelier sur le management de l'information et le bien-être sur l'une des îles d'Istanbul, Buyukada. La police a fait une descente dans l'atelier, détenu les participants et confisqué leur matériel électronique.

Le procès des Dix d'Istanbul

Après avoir écouté les dépositions de chaque prévenu, l'accusation a requis la libération sous caution pour tous les membres du groupe sauf un. Quelques heures plus tard, le juge décidait de tous les libérer. La prochaine audience est prévue le 22 novembre.

Les libérations de Veli Acu et d'Ozlem Dalrikan, qui travaillent respectivement avec l’Association pour les droits de l'homme et l’Assemblée des citoyens d'Helsinki, sont assorties d'une interdiction de sortie du territoire. Les huit autres accusés ont été libérés sans condition. Le président d'Amnesty International Turquie Taner Kilic est resté en détention à cause d'une accusation indépendante à son encontre. Son audience a eu lieu à Izmir le 26 octobre, mais malgré la décision de la veille, le juge a décidé de prolonger sa détention jusqu'au proces.

Bien que les enregistrements ne soient pas autorisés à l'intérieur du tribunal, les journalistes et supporteurs ont twitté des mises à jour en continu toute la journée. De nombreux accusés ont utilisé leur déclaration pour attirer l'attention sur les inexactitudes des charges qui pesent sur eux :

Ali Gharavi “L'inculpation m'accuse de connexions avec des organisations dont je n'ai jamais entendu parler et ne sais toujours pas ce qu'elles font.”

#PeterSteudner : Pendant mon arrestation la police a dit mon nom et a parlé turc. Ne m'ont meme pas averti de mon droit au silence avant midi.

#PeterSteudner : L'inculpation mentionne 2 traducteurs qui affirment que j'ai travaillé au Pakistant. Je n'ai jamais été au Pakistan.

Les autorités turques disent que ce cas n'a rien à voir avec @Amnesty. Mais comme Idil l'explique maintenant, toutes les preuves relevées contre elles sont liées à notre travail.

Les accusés ont aussi attiré l'attention sur leur traitement en prison :

#GunalKursun : Nous avons été confinés au secret pendant 30 heures, sans savoir pourquoi nous étions détenus. Pourtant il y avait des détails dans les journaux du lendemain.

#GunalKursun : La lumière est restée allumée pendant 13 jours non-stop, sans idée du jour et de la nuit.

#NalanErkem : L'accusation affirme que je n'ai pas rendu mon passeport. Je n'ai de passeport dans aucun de mes appareils électroniques ! Personne ne m'a demandé de mots de passe !

#NalanErkem : J'ai eu une hémorragie digestive. Après l'arrestation je n'ai pas pu avoir accès à un traitement pendant 2 mois. J'ai saigné pendant 2 mois.

Peter “Ma famille ne peut pas venir en Turquie et je n'ai donc pu leur parler au téléphone que 10 min toutes les deux semaines.”

Ali Gharavi réclame “une libération immédiate et inconditionnelle de cette torture”. Explique qu'il est inquiet pour sa santé physique et mentale.

La communauté des droits de l'homme réagit

Amnesty International a accueilli la libération des défenseurs des droits de l'homme dans une déclaration de Salil Shetty, leur secrétaire général :

Today, finally, we celebrate that our friends and colleagues can go back with their loved ones and can sleep in their own beds for the first time in almost four months…Tonight we take a brief moment to celebrate, but tomorrow we will continue our struggle.

Aujourd'hui enfin, nous nous réjouissons que pour la première fois en presque quatre mois, nos amis et collègues puissent enfin rentrer dans leurs familles et dormir dans leurs lits… Ce soir, nous allons prendre un petit moment pour fêter cela mais demain nous continuerons notre combat.

Dans une déclaration émouvante à un groupe de journalistes devant le tribunal, le citoyen allemand et formateur en management du stress Peter Steudner a remercié tout le monde pour leur soutien. “Je vous en suis reconnaissant, nous vous en sommes tous vraiment très reconnaissants,” a-t-il déclaré.

Son collègue suédois Ali Gharavi s'est joint à lui pour exprimer sa gratitude :

We have a big new family now. Thank you everyone. Wherever you are, however you did it, you got us out – thank you very much.

Nous avons une nouvelle famille bien grande maintenant. Merci à tous. Où que vous soyez, quoi que vous ayez fait, vous nous avez sortis de là – merci beaucoup.

Un moment émouvant devant la prison de Silivri avec #AliGharavi #PeterSteunder

En tout, le groupe aura passé cent treize jours derrière les barreaux. Quand la nouvelle de leur libération a circulé, amis et collègues se sont joints aux célébrations en ligne.

Voila à quoi la liberté ressemble.

@amnestyusa vous envoie amour et soutien ! Nous fêtons cela et nous préparons à continuer à lutter pour leur liberté INCONDITIONNELLE.

Bonne nouvelle de Turquie, les Dix d'Istanbul sont libérés sous caution. Les accusations infondées doivent maintenant être abandonnées sans condition à l'audience du 22 novembre.

Les médias pro-gouvernements turcs, qui avaient rapidement accusés les défenseurs des droits de l'homme de connexion avec des organisation terroristes, se sont majoritairement tus le jour de l'audience et immédiatement après.

Déclarés coupables par les “médias” pro-gouvernements mais relâchés par les tribunaux.

Ils les ont tous qualifiés d'agents et d'autres choses. Maintenant ils sont tous relâchés. Ceux qui les ont traités d'agents auront-ils honte ? Je ne pense pas.

Dans sa déclaration au tribunal, Idil Eser, une personnalité centrale dans cette histoire, a été citée expliquant qu'elle n'a aucun regret :

[La directrice d'Amnesty International Turquie] Idil conclut sa déclaration “Je ne regrette rien. Je n'ai fait que mon travail de défenseur des droits de l'homme.”

Pour le moment, les Dix d'Istanbul ont été libérés de prison et réunis avec les leurs. Leur prochaine audience est prévue pour le 22 novembre et Global Voices appelle par avance à abandonner inconditionnellement toutes les accusations et a libérer Taner Kilic.

VIDEO : Dans les ruines de l'industrie soviétique du thé en Géorgie

vendredi 27 octobre 2017 à 09:55

L'ancien directeur de la plantation de thé de Laituri contemple les ruines de ce qui fut un jour une plantation prospère. Arrêt sur image du documentaire de Chai-khana.org.

Cet article est la republication d'un article partenaire intitulé “Mon dieu, merci pour le thé !” qui est d'abord paru sur le site internet Chai-Khana.org.

Dans les années cinquante, Laituri, un village de 2.697 habitants, grouillait de vie. Géorgiens, Russes, Arméniens et Azerbaïdjanais se rendaient en masse dans le centre de la Géorgie occidentale pour travailler dans les plantations de thé éparpillées dans la région pendant l'ère soviétique. La dissolution de l'URSS a anéanti la production : les familles se sont retrouvées sans revenu et le kaléidoscope de langues, de religions et d'ethnicités de Laituri a disparu. Aujourd'hui, un grand nombre de locaux se sont transformés en migrants saisonniers, et vont récolter du thé dans les plantations de la Turquie voisine. “God, Thank You For Tea” [“Mon dieu, merci pour le thé”] raconte les histoires de ceux dont les vies ont été déterminées par ces plantations.

Identifier le cadrage de l'information avec Emily May de Hollaback!

vendredi 27 octobre 2017 à 09:42

Source : HeartMob (CC BY-NC-4.0)

Dans le sillage des accusations d'agressions sexuelles contre le producteur de Hollywood Harvey Weinstein et la campagne #MeToo, qui fait tendance sur les médias sociaux, les thèmes de la violence sexuelle et du harcèlement font la une dans les informations aux États-Unis et au Royaume Uni.

Mais ces sujets sont constamment à l'esprit de personnes comme Emily May. Elle dirige Hollaback!, un “mouvement mondial, propulsé par les citoyens, pour mettre fin au harcèlement”, sur le site duquel des témoignages sont disponibles. Nous lui avons demandé de nous parler du cadrage de l'information autour du harcèlement.

Global Voices : Nous avons été frappé par un article de 2013 sur Hollaback!. L'une de vos sympathisantes, Mariame Kaba, y écrivait :

I think our frame is wrong. The point is to make harassment culturally unacceptable, and not treat other people this way. That's a lot of hard work that may involve community accountability circles, or restorative justice, but it should be any number of things before a law enforcement approach.

Je pense que notre cadrage ne va pas. L'idée est de rendre le harcèlement culturellement inacceptable et de ne pas traiter les autres de cette facon. C'est une tâche énorme et difficile, qui peut impliquer des chaînes de responsabilités communautaires, ou des mesures de justice réparatrices, mais qui devrait être un certain nombre de choses avant de faire intervenir une approche légale.

Comment définissez-vous le “cadrage” ?

Emily May : Le cadrage, c'est comme une paire de lunettes que vous mettez avant de regarder quelque chose. Elle permet de voir certaines choses avec netteté, mais si vous avez une mauvaise ordonnance, elle peut tout rendre flou.

Global Voices : Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Emily May : Vous vous en rendez compte quand vous écoutez les informations du soir, et qu'ils commentent le dernier viol. Le cadrage est toujours le même : “Etait-ce sa faute, ou pas ? A vous de décider !”. On ne poserait jamais ces questions si quelqu'un se faisait tuer, kidnapper, ou agresser. C'est uniquement quand le corps des femmes est en jeu.

Global Voices : Compte tenu de votre travail dans ce domaine, nous partons du principe que vous pensez qu'il est important de comprendre le cadrage. Mais pourquoi est-ce important, et quels sont les défis à relever aujourd'hui ?

Emily May : La facon dont les informations sont cadrées a un impact sur la facon dont nous les voyons. Un cadre peut être utilisé pour perpétuer des stéréotypes racistes ou sexistes, ou bien pour les détruire. Le cadrage est un outil puissant qui doit être manipulé avec prudence.

Global Voices : Pensez-vous que les lecteurs et rédacteurs d'informations pourraient faire quoi que ce soit quand il s'agit de cadrage ?

Emily May : Quand vous lisez un article, prenez un moment pour aller au-delà des faits présentés, vers le cadrage lui-même : quel argument l'auteur veut-il avancer ? Quels sont les faits qu'il souligne, et ceux qui semblent masqués ? Consultez plusieurs sources d'informations pour obtenir différentes perspectives avant de décider ce qui est réel et pertinent.

C'est aussi important dans notre travail, alors nous avons créé une bande dessinée pour montrer comment identifier les fausses informations.

Emily May, reproduit avec autorisation. Crédit : Carly Romero.

Global Voices : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Hollaback! ?

Emily May : Nous voulons mettre fin au harcèlement sous toutes ses formes, de la rue à Internet. Nous avons aussi un projet appelé HeartMob qui aide les gens qui sont harcelés sur Internet.

Global Voices : Et au fait, où vivez-vous et quelle(s) langue(s) parlez-vous ? Nous sommes une communauté internationale et nous aimons savoir dans quel contexte chacun s'exprime.

Emily May :
Je vis à Brooklyn et je parle anglais.

Kebab, Oui ; Révolution, non : les migrants et le combat pour la Catalogne

jeudi 26 octobre 2017 à 13:13

“Drapeau catalan à Figueres”. Photographie par Kippelboy sur Wikipedia. CC BY 3.0.

Ce billet est une version éditée d'un article écrit par Irina Illa Pueyo pour Afroféminas sur les débats autour de l'indépendance de la Catalogne [fr].

“Sans les migrants, il n'y a pas de révolution”, était l'un des slogans scandés lors de la manifestation du 3 octobre à Barcelone. Nous étions une foule considérable, à en juger par les chants émanant de divers mégaphones.

Des mots comme “femme”, “grands-mères”, “gens”, “ouvriers”, “prolétariat”, “anti-capitalisme”, “anti-fascisme”, “indépendance” ont été la plupart du temps applaudis, mais pour le mot “migrants”, nous nous sommes retrouvés seuls. Mégaphones en main, nous avons rassemblé toute notre respiration pour élever le ton, mais des cinq sens que possède tout être humain, les seuls qui ont répondu à ce mot à ce moment étaient des oreilles et quelques grands yeux étonnés. Il semblait que ce terme était inconnu ou, pire encore, que les personnes présentes n'étaient pas disposées à l'inclure, même symboliquement, dans ce groupe.

J'ai été très surprise que des jeunes qui arboraient des dreadlocks, des turbans, des tresses et d'autres tenues afros n'aient pas repris le mot “migrant” lors d'un événement en faveur des personnes persécutées en Catalogne : ses habitants. Plus surprenant encore, pendant la pause entre les manifestations du matin et celles de l'après-midi, beaucoup de gens sont allés manger des kebabs, la restauration rapide la plus populaire dans de nombreuses villes européennes, un aliment du Moyen-Orient. En d'autres termes, s'il est pratique de manger du kebab dans un restaurant tenu par des migrants, il n'y a aucun intérêt à prendre en compte ces mêmes migrants ou à les inclure dans la cause. J'ai été également surprise que les mêmes personnes qui portaient des tenues rastas, des tresses et des turbans achetaient des esteladas, les drapeaux catalans les plus couramment vus lors des manifestations en faveur de l'indépendance, fabriqués par les mains des migrants exploités en Chine.

À l'école où je travaille, une fille m'a dit que sa mère, qui est bolivienne, avait été battue pour s'être rendue à son boulot. Une migrante est battue pour avoir été au travail sans soutenir la grève contre la brutalité policière, mais elle n'a même pas le droit de voter. Quand elle sortira pour marcher contre la brutalité policière, la communauté blanche sera à peine présente.

Il semble que la question de la migration soit toujours reléguée derrière les préoccupations de la communauté blanche, elle est reléguée dans l'ombre comme un simple accessoire, exécutant un travail manuel épuisant pour faciliter les intellectuels blancs, et leur permettre de penser.

Il y a une réticence générale à écouter les migrants dans des environnements qui ne sont pas exclusivement racialisés, parce que la théorie semble être une affaire de blancs, tandis que l'expérience et la victimisation sont celles des migrants. Nous devons commencer à considérer la présence des migrants dans tous les types d'espaces comme quelque chose de normal et non comme une menace à l'homogénéité de la pensée et de la culture.

A travers ses dessins, l'artiste équato-guinéenne Carmen Bolena confie son histoire et sa quête d'identité

mercredi 25 octobre 2017 à 14:16

“[Ceci] est un auto-portrait avec la moitié du visage terminé et l'autre moitié où la peau est sectionnée montrant les muscles, les tendons et les muqueuses. C'est une étude anatomique, ce qui veut dire que ce qui est essentiel est imperceptible à l’œil. Les Européens, les Africains et les Asiatiques sont tous égaux sous leur visage, mais la couleur de la peau est si politisée. Par dessus tout, nous sommes des êtres humains, membre de la même race, la race humaine.”  Dessin original de Carmen Bolena, publié par Afroféminas et utilisé avec autorisation.

Cette article, rédigé par la journaliste Lucia Mbomio, a été initialement publié sur Afroféminas et est reproduit sur Global Voices avec autorisation.

Carmen Mbasogo Edjang Ezuku est originaire de Guinée équatoriale. Elle n'a que 22 ans et est incroyablement talentueuse dans divers domaines. Elle est actrice, chanteuse, danseuse et étudiante aux Beaux-Arts.

Oui, c'est beaucoup, mais aujourd'hui nous parlerons “seulement” de ses dessins. Dans son travail, j'ai vu des femmes qui me parlaient, qui me regardaient dans les yeux, qui éclataient de rire et qui m'ont émue avec leur joie et leur force. J'ai aussi vu un message, un chemin, une identité.

Avec Carmen Bolena, son nom de scène, l'expérience est quelque peu similaire.

Lucía Mbomío (LB) : Le talent est-il suffisant ou a-t-il besoin d'être perfectionné à l'école ? 

Carmen Bolena (CB): No creo que nacer con talento sea suficiente para ser realmente bueno en ninguna disciplina. Tampoco creo que las escuelas tengan “el manual” para sacar el talento del interior. Lo que sí se que funciona es el esfuerzo, son las horas dedicadas, y el interés puesto en aquello en lo que uno quiere ser sobresaliente.

Carmen Bolena (CB) : Je ne pense pas qu'être né avec du talent soit suffisant pour être très bon dans n'importe quelle discipline. Je ne crois pas non plus que l'école possède “le manuel” pour faire émerger des talents de l'intérieur. Selon moi, ce qui marche, c'est l'effort, les heures que tu passes sur ton travail, et l'intérêt que tu dois y porter pour être remarquable.

LB : J'ai vu quelques-uns de vos dessins qui ressemblent à des photographies, ils sont si réels, si détaillés… et il y en a d'autres dans lesquels vous abandonnez cette représentation fidèle pour transmettre des idées. Par exemple, je pense au dessin dans lequel une moitié du visage est normale, et l'autre montre la chair que tous les êtres humains ont sous leur peau. Pensez-vous que l'art devrait représenter plus que la beauté ? Devrait-il aussi être une idéologie, ou transformateur ? 

CB: Cielos, esta pregunta me ha sacudido por dentro jajaja. A ver, a la gente le encanta preguntarnos a los que hemos estudiado arte (tengo reparos al decir “a los artistas”) qué es el Arte. El arte en sí es un concepto abstracto bastante difícil de definir, porque es cambiante. Su definición muta y está ligada a la época en la que se da. Entonces, a la pregunta “¿el arte debe ser algo más que belleza, ideológica, trasformador?” responderé desde una posición de subjetividad absoluta: Puede serlo, pero no necesariamente. Soy de aquellas que piensan que el arte puede hacerte sentir sin obligarte a pensar, pero jamás dejarte indiferente. Para mí el arte es sensación y belleza metamórfica, porque del mismo modo que veo belleza en “La joven de la perla” o en la “Noche estrellada sobre el Ródano” , veo belleza en el “Saturno devorando a sus hijos” de Goya y en las obras de Mark Ryden, Michael Hussar o Edward Gorey. Pero, concretamente, el dibujo que mencionas sí tiene un discurso ideológico: Se trata de un autoretrato con medio rostro acabado, y el otro medio rebanado, mostrando la musculatura, tendones y mucosas. Es un análisis anatómico. Con esto lo que quería decir es que lo esencial no es visible a los ojos. Europeos, africanos y asiáticos somo iguales bajo eso tan político que es el color de piel, ante todo somos personas, hermanos de una misma raza, la humana.

CB : Mon dieu, cette question me secoue au plus profond, haha. Voyons voir, les gens adorent demander à ceux qui ont étudié l'art (j'évite de dire “artistes”) ce qu'est l'art. L'art en lui-même est un concept abstrait, assez difficile à définir car il est en perpétuelle évolution. Sa définition change avec son époque. Donc, à la question “l'art devrait-il représenter plus que la beauté, être idéologique, transformateur ?” je répondrais de façon totalement subjective : il peut l'être mais pas nécessairement. Je fais partie de ceux qui pensent que l'art peut vous faire ressentir des choses sans vous forcer à réfléchir, mais il ne vous laisse jamais indifférent. Selon moi, l'art est un sentiment, une beauté métamorphique car de la même façon que je vois de la beauté dans “La jeune fille à la perle” de Vermeer ou dans la “Nuit étoilée sur le Rhône” de Van Gogh, j'en vois dans “Saturne dévorant un de ses fils” de Goya et aussi dans les oeuvres de Mark Ryden, Michael Hussar ou Edward Gorey. Mais en particulier, le dessin dont vous parlez présente en effet une idéologie : c'est un auto-portrait avec la moitié du visage terminé et l'autre moitié où la peau est sectionnée et montre les muscles, les tendons et les muqueuses. C'est une étude anatomique, ce qui veut dire que ce qui est essentiel est imperceptible à l’œil. Les Européens, les Africains et les Asiatiques sont tous égaux sous leur peau mais la couleur de la peau est si politisée. Par dessus tout, nous sommes des êtres humains, membres de la même race, la race humaine.

LM :  Et de quelle façon aimeriez-vous transformer cette société ? 

CB: Pues muchos, demasiados para una centuria, que es cuanto se puede prolongar una vida humana. Pero, principalmente, hay dos que me afectan de lleno: el racismo y el machismo. Creo que mi trabajo refleja la inquietud y disconformidad que tengo hacia estas dos ideologías que tanto daño han hecho y siguen haciendo en la sociedad de hoy.

CB : De plusieurs façons, beaucoup trop pour un siècle, qui est le temps que peut vivre un être humain. Mais il y a principalement deux sujets qui me concernent profondément : le racisme et le machisme. Je pense que mon travail reflète mon désaccord et mon inquiétude envers ces deux idéologies qui ont fait et qui continuent de faire tant de dégâts dans la société d'aujourd'hui.

LM : Beaucoup de femmes noires sont représentées dans votre travail. Pour quelle raison ? 

CB: Fundamentalmente porque se trata de un proyecto que habla sobre la identidad, la aceptación, el reconocimiento y empoderamiento de un colectivo invisibilizado: las personas negras, discriminadas e invisibilizadas. Ellas son las protagonistas y por lo tanto las representadas. También porque yo soy negra. Y ya era hora de denunciar de algún modo y hablar sobre nuestra situación.

CB : Parce que c'est essentiellement un projet qui aborde l'identité, l'acceptation, la reconnaissance et l'émancipation d'un collectif invisible : les noirs, marginalisés et invisibles. Ils sont les personnages principaux et c'est pour cela qu'ils sont représentés. Mais aussi parce que je suis noire et il était temps de dénoncer et de parler de notre situation d'une certaine manière.

LM:  En quoi pensez-vous que le fait d'avoir été adoptée affecte votre quête d'identité ?

CB: Yo fui adoptada a la edad de seis años y siempre he sabido que tenía dos familias que se preocupaban por mí. Y, aunque mi familia asturiana nunca quiso distanciarme de la biológica, esto fue algo que sucedió solo. Al crecer en un ambiente esencialmente blanco, fui criada también bajo estándares europeos, lo que de una manera casi consecutiva me llevó a sentir rechazo por todo lo relacionada con la negritud. Quise negar durante mucho tiempo mi identidad, pero ésta exudaba por mis poros capilares, que me insistía en domeñar, en mi gestualidad, mi físico, a la hora de bailar… en tantas cosas que no podía negar.

No tenía además referentes cercanos a los que admirar o imitar. Siempre que aparecía una persona negra en un medio publico eran prostitutas, emigrantes, sirvientes, asesinos o, por el contrario, eran los primeros en morir en el cine. Siempre era la única negra en todo, incluso en las pruebas de selectividad, cosa que me inquietó mucho porque pensé que siempre iba a estar sola. ¿Donde estaban los africanas que eran como yo en España?

Irme a estudiar a Madrid y conocer colectivos como Kwanzza y E.F.A.E fue sin duda un punto de no retorno. Vi que había mucha más gente como yo, que no estaba sola ¡y que no éramos pocos! jajaja. Fue fantástico ver que entre nosotros había estudiantes universitarios de política, periodismo, filología, arte, ciencias…. abarcaban, abarcábamos todos los campos. Comencé a leer y a investigar, a ir a conferencias y a convivencias y me sentí, por primera vez desde que salí de África, parte de algo con lo que me identificaba. Salvo por mi condición de adoptada, que si bien es cierto que existe, se nos puede contar con los dedos de una mano.

Todo este descubrimiento fue un bálsamo reparador para mi conciencia intranquila. Ya no me duele reconocer que soy negra. Lo soy y lo digo henchida de orgullo.

CB : J'ai été adoptée quand j'avais six ans et j'ai toujours su que j'avais deux familles qui se préoccupaient de moi. Bien que ma famille asturienne n'ait jamais voulu me séparer de ma famille biologique, c'était quelque chose qui est arrivé naturellement. J'ai grandi dans un environnement essentiellement constitué de personnes blanches, j'ai aussi été élevée avec des valeurs européennes, ce qui par la suite m'a presque fait rejeter tout ce qui était lié à la couleur de ma peau. Pendant longtemps j'ai voulu nier mon identité, mais elle émanait de mes pores, me forçant à me soumettre à mes gestes, mon physique, lorsque je dansais… elle se manifestait de plusieurs façons que je ne pouvais pas nier.

Mais aussi, je n'avais pas de modèle proche à admirer ou imiter. A chaque fois qu'une personne noire apparaissait dans un lieu public, elle était soit prostituée, immigrée, servante, ou criminelle et dans les films, ce sont toujours les premières personnes à mourir. J'ai toujours été la seule personne noire dans tout, notamment pour les concours d'entrée, ce qui me mettait toujours mal à l'aise car je pensais que je serais toujours toute seule. Où étaient les Africains comme moi en Espagne ?

Le fait d'étudier à Madrid et de rencontrer des groupes comme Kwanzza [la communauté d'étudiants d’ascendance africaine de l'Université Complutense de Madrid] et E.F.A.E [un collectif dédié à “renforcer le pouvoir d'action des femmes d’ascendance africaine” en Espagne] a vraiment été un tournant. J'ai découvert qu'il y avait beaucoup plus de gens comme moi, que je n'étais pas seule et que nous étions nombreux ! Hahaha. C'était magnifique de voir que parmi nous il y avait des étudiants en politique, en journalisme, en philosophie, en art, en sciences… ils couvraient, nous couvrions tous les domaines. J'ai commencé à lire et à faire des recherches, à aller à des conférences et à parler aux gens, et pour la première fois depuis mon départ d'Afrique, j'ai senti que je faisais partie de quelque chose avec laquelle je pouvais m'identifier. Sauf pour mon statut d'enfant adopté, bien qu'il soit vrai, nous sommes peu nombreux.

Toute cette découverte m'a aidé à réparer ma conscience troublée. Je n'ai plus de mal à reconnaître le fait que je sois noire. Je le suis et je le dis avec beaucoup de fierté.