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Marvia Malik, première présentatrice transgenre du Pakistan, veut faire évoluer les comportements envers sa communauté

mardi 3 avril 2018 à 19:35

Marvia Malik, âgée de 21 ans, serait la première présentatrice TV transgenre du Pakistan. Capture d'écran d'une vidéo de VisualTV Live via YouTube.

Marvia Malik est entrée dans l'histoire du monde des médias au Pakistan en devenant la première présentatrice transgenre du pays.

Une fois sa licence de journalisme en poche, la jeune femme âgée de 21 ans et originaire de Lahore a candidaté à un poste au sein de la chaîne d'informations privée Kohenoor News. Le dirigeant de la chaîne a assuré que Marvia Malik avait été recrutée au mérite, et cette dernière a fait ses débuts à l'écran le 23 mars.

La première présentatrice transgenre du Pakistan passe à la télévision en ce moment – Maavia Malik

Dans une interview accordée au journal Dawn, Marvia Malik, qui a d'abord travaillé en tant que maquilleuse au sein d'un salon de beauté, parle de l'opportunité que représente le poste de présentatrice :

Everywhere we go, a transgender person is looked down upon. But there’s nothing we can’t do; we’re educated, have degrees, but no opportunities, no encouragement. This is what I want to change […] I’m here to change my community’s destiny, not represent myself as an individual. […] I have set out on this journey to change lives of transgenders.

Partout, les personnes transgenres sont méprisées. Pourtant, il n'y a rien que nous ne puissions faire : nous faisons des études, décrochons des diplômes, mais aucune opportunité ne se présente, ni aucun encouragement. Voici ce à quoi je veux remédier […] Je suis là pour changer la destinée de ma communauté, pas pour me représenter en tant qu'individu. […] Je me suis lancée sur cette route pour changer la vie des personnes transgenres.

Le succès de Marvia Malik a été salué par des célébrités, des journalistes et des activistes de toutes les provinces du Pakistan, et même au-delà de ses frontières. L'acteur et activiste anglo-pakistanais Riz Ahmed l'a récemment félicitée sur Instagram, et commente :

In some ways Pakistan has been ahead of the curve in certain aspects of trans rights. In other ways, it has lagged behind. Hoping we can all learn from each other in paving the way to greater inclusion.

Sous certains aspects, le Pakistan est en avance sur la question des droits des transgenres. Sous d'autres, le pays est encore à la traîne. J'espère que nous pourrons tous apprendre les uns des autres afin de mener à davantage d'inclusion.

Congratulations to Marvia Malik. In some ways Pakistan has been ahead of the curve in certain aspects of trans rights. In other ways it has lagged behind. Hoping we can all learn from each other in paving the way to greater inclusion.

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Le Pakistan dispose d'un bilan mitigé en ce qui concerne les minorités de genre.

Le terme “transgenre” au Pakistan et dans d'autres pays d'Asie du Sud fait généralement référence à un groupe spécifique d'individus connus sous le nom de hijras, qui sont considérés comme n'étant ni complètement homme ni complètement femme. Activistes et organisations non gouvernementales ont longtemps fait campagne pour que ces personnes soient officiellement reconnues, et en 2011, dans une décision ayant fait date, la Cour Suprême du Pakistan a ordonné à la commission électorale du pays de collecter les données des membres de la communauté transgenre et de les enregistrer en tant qu'électeurs.

En 2017, le Pakistan a émis le tout premier passeport faisant état d'un troisième genre “X”. Au début de l'année 2018, le pays a également délivré les premiers permis de conduire pour des personnes transgenres.

Mais les personnes transgenres continuent d'être confrontées à des discriminations et de la violence. Beaucoup ont des difficultés à trouver un emploi stable et sont obligées de se tourner vers la mendicité ou la prostitution pour survivre.

Marvia Malik mentionne cette réalité dans son interview avec Dawn, et déclare vouloir remédier à cette situation d'une manière très spécifique :

She wants to push for a law making mandatory for families to give transgender persons their share in property as a boy or girl is. “Transgenders are forced to dance and beg because they have no other means to make ends meet. When they are shunned by families, they have nowhere else to go. My trans friends who have masters degrees don’t have jobs which is why they end up on streets or become sex workers. This is why I want to push for a law so a transgender if disowned, can make a living out of the share in the property.”

Elle réclame une loi obligeant les familles à accorder aux personnes transgenres leur part de biens, comme c'est le cas pour les garçons et les filles. “Les personnes transgenres sont obligées de danser et de mendier car elles n'ont aucun autre moyen de gagner leur vie. Lorsqu'elles sont reniées par leurs familles, elles n'ont nulle part où aller. Mes ami-e-s transgenres, même diplômé-e-s de masters, ne trouvent pas de travail et finissent à la rue ou se prostituent. C'est pour cela que je veux demander le vote d'une loi qui stipule que si une personne transgenre est déshéritée, elle pourra bénéficier de sa part de biens.”

#SayNOto66d : documenter la recrudescence des plaintes pour diffamation en ligne en Birmanie

mardi 3 avril 2018 à 17:06

Une personne consulte le site de #SayNOto66d. Photo utilisée avec permission.

Dans le cadre d'une campagne réclamant le retrait de l'article 66(d) de la Loi sur les Télécommunications, qui criminalise la diffamation en ligne, plusieurs organisations militantes birmanes ont lancé un site d'information recensant les cas de diffamation en ligne de ces cinq dernières années.

Le site #SayNOto66d [Dites non au 66d] a été créé et développé par le centre d'innovation technologique birman Phandeeyar et s'inspire des travaux du “Mouvement pour la réforme de la loi sur les télécommunications et l'abolition de l'article 66D”, une coalition composée de 22 organisations de la société civile.

Il met en avant une étude réalisée par Free Expression Myanmar qui a documenté les affaires liées à l'article 66(d) survenues entre 2013 et 2017.

L'article 66(d) est controversé depuis 2013 car principalement utilisé par les autorités pour intimider les voix critiques et les journalistes. Sa formulation vague et les lourdes peines qu'il prévoit ont été utilisées de manière abusive pour réduire au silence des citoyens ordinaires. Voici la formulation exacte de l'article 66(d) :

66. Whoever commits any of the following acts shall, on conviction, be liable to imprisonment for a term not exceeding three years or to a fine or to both. (d) Extorting, coercing, restraining wrongfully, defaming, disturbing, causing undue influence or threatening to any person by using any Telecommunications Network.

66. Quiconque commet l'un des actes suivants sera, s'il est condamné, puni d'une peine de prison pouvait aller jusqu'à trois ans et/ou d'une amende :
(d) Extorsion, contrainte, restriction illicite, diffamation, trouble, influence non justifiée ou menace à quiconque par le biais d'un réseau de télécommunication.

En 2017, le gouvernement a amendé l'article 66(d), permettant ainsi aux accusés d'être libérés sous caution, réduisant la peine de prison encourue et interdisant à quiconque n'est pas directement concerné par la diffamation de porter plainte.

Mais les groupes de défense des droits humains estiment que ces amendements n'ont pas répondu aux nombreuses inquiétudes sur les dispositions draconiennes de la loi.

Free Expression Myanmar avertit que les amendements ne freineraient pas l'augmentation des affaires de diffamation :

The small changes made to the Telecommunications Law will not stop cases coming to court. Journalists, Facebook users and human rights defenders continue to face the risk of being prosecuted under 66(d) for vague reasons and at the behest of powerful individuals and institutions.

Les légers amendements opérés sur la loi des Télécommunications ne mettront pas un terme à l'afflux d'affaires devant les tribunaux. Les journalistes, les utilisateurs Facebook et les défenseurs des droits humains continuent de risquer d'être poursuivis en vertu de l'article 66(d) pour de vagues motifs et à la demande d'individus et d'institutions puissant-e-s.

Afin d'informer le public sur les dangers de l'article 66(d), le site #SayNOto66d a mis en ligne l'essentiel des informations relatives aux 106 affaires de diffamations ouvertes entre 2013 et 2017.

Il synthétise également les conclusions de Free Expression Myanmar :

1. The majority of cases under 66(d) are powerful people complaining about those who criticise them.
2. Defendants are always convicted and sentences are disproportionately harsh.
3. People with legitimate complaints, such as women who are facing gender-based violence online, are forced to use this inappropriate law because no other exists.

  1. La majorité des affaires liées à la section 66(d) sont initiées par des personnes puissantes se plaignant de ceux qui les critiquent.
  2. Les accusés sont toujours condamnés et les peines prononcées sont excessivement lourdes.
  3. Les personnes dont les plaintes sont légitimes, notamment les femmes qui font face à de la violence basée sur le genre en ligne, sont obligées d'avoir recours à cette loi imparfaite car il n'en existe aucune autre.

Le site #SayNOto66d a également publié plusieurs infographies démontrant que la majorité des cas de diffamation étaient dus à des plaintes de membres de la Ligne Nationale pour la Démocratie (National League for Democracy, NLD), arrivée au pouvoir en 2016.

Cela n'a pas manqué de décevoir de nombreux activistes en Birmanie et à l'étranger, car la NLD faisait partie du mouvement pro-démocratie s'étant opposé à la junte durant de nombreuses années. Au lieu d'infléchir ou d'abroger les lois répressives mises en place par le pouvoir militaire, le gouvernement mené par la NLD a permis à des gradés de l'armée, des politiciens et autres individus puissants d'utiliser des lois telles que le 66(d) pour harceler et poursuivre leurs opposants en justice.

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Évolution du nombre de cas liés au 66D – Graphique tiré du site

 

Un autre graphique démontre que la majorité des plaintes sont déposées par des proches du pouvoir étatique.

Capture d'écran tirée du site #SayNOto66d

En plus de fournir au public des informations sur les cas liés à l'article 66(d), le site milite également pour l'abrogation de la loi en encourageant les internautes à signer une pétition en ligne, à faire pression auprès du Parlement et à leur signaler les cas ne faisant pas encore partie de la base de données.

Dans un entretien avec Global Voices, Khin de Phandeeyar souligne l'objectif principal du site :

The aim of the website is to provide fact-based advocacy to inform everyone about 66(d) especially the total number of cases and highlight how the cases filed to the people were closely related to the criticism of the state. Journalists and researchers will be able to use the data available on the website to contribute and make the movement stronger.

Le but du site est de fournir des outils de plaidoyer factuels afin d'informer sur l'article 66(d), notamment sur le nombre total de cas, et de souligner que les plaintes ciblent généralement ceux qui critiquent l’État. Les journalistes et les chercheurs pourront utiliser les données disponibles sur le site pour contribuer et renforcer le mouvement.

Plusieurs groupes appellent à la décriminalisation de la diffamation et à l'adoption d'une loi sur les violences basées sur le genre.

Le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies a d'ailleurs déjà attiré l'attention du gouvernement birman sur le fait que la section 66(d) représentait un danger pour la liberté d'expression dans le pays.

Coupe du Monde la FIFA 2018 : les supporters internationaux pris entre identité russe avant-gardiste et mises en garde de leurs gouvernements

lundi 2 avril 2018 à 23:54

Le topo qui va avec le logo explique que le petit rectangle rouge (brique de gauche) représente la Crimée, la presqu'île dont l'annexion est la source de nombreux problèmes pour la Russie ces dernières années. // russia-brand.com

[Article d'origine publié le 23 janvier]

Pour la Coupe du monde de la FIFA, qui commence en juin 2018, l'Agence fédérale du tourisme de la Fédération de Russie a reçu pour mission de doter le pays d'une nouvelle image. Les matches de foot auront lieu dans 11 villes réparties sur tout le territoire russe.

En prémices des jeux, le Rostourism a dévoilé la nouvelle identité visuelle touristique du pays, accompagnée du slogan«la Russie, tout un monde», choisi pour évoquer la richesse des cultures et des peuples qui se côtoient dans le pays.

Le logo vainqueur, désigné au terme d'un concours de deux années et distingué parmi plus de 500 projets, se base sur le riche mouvement avant-gardiste du suprématisme, un courant élaboré au début du XXe siècle par des peintres tels que El Lissitzky, Kasimir Malevitch et Ivan Klioune.

Le logo principal évoque la carte de la Fédération russe, depuis la Crimée annexée jusqu'à l'Extrême-Orient russe, en passant par l'Oural. Il veut traduire la diversité ethnique, linguistique et culturelle de la Russie contemporaine, où sont officiellement recensés plus de 170 groupes ethniques et 110 langues. Les autres variantes du projet consistent en collages juxtaposant sur ce même logo œuvres de peintres russes et images de paysages, sport, gastronomie, artisanat.

Collage de différents genres traditionnels de fresques sur le logo suprématiste de la campagne.// russia-brand.com

La proclamation du vainqueur représentait un moment crucial pour l'industrie touristique russe. Le gouvernement comme les leaders de l'industrie du tourisme espèrent que le nombre de touristes étrangers en Russie va continuer à croître, renforcé par l'intérêt pour le foot.

D'après les chiffres du Rostourism, de 2016 à 2017, le nombre de touristes étrangers a augmenté de 14%. La FIFA a récemment fait savoir que pour les différents matchs du Championnat, la demande dépassait les 3 millions de billets. Dans le cas où la demande dépasserait l'offre, un système de loterie a été prévu pour déterminer ceux qui obtiendront des billets pour tel ou tel match.

Sachant que, d'après les prévisions, 38% de ces demandes viendront de l'étranger, le gouvernement de Russie, en collaboration avec la FIFA, a mis au point un régime sans visa pour la durée des jeux. Le «passeport du supporter» qui remplace le visa donne également droit à un circuit gratuit dans les villes qui accueillent les jeux et, sachant les immenses distances [en anglais], que les fans vont devoir parcourir, il a pour but de rationaliser au maximum les déplacements des touristes pendant la durée des jeux.

Les spécialistes du tourisme escomptent un effet des jeux sur tout le secteur touristique, et ce même après la fin du championnat. Cependant, les espoirs ont été refroidis par l'expérience qu'a eue le pays avec la Coupe des confédérations 2017 de la FIFA. Comme le dit le communiqué de presse de la conférence sur le tourisme, publié sur le site du quotidien économique «Vedomosti» :

…[Кубок конфедерация] не оправдал ожидания туристического бизнес-сообщества, – гостей оказалось явно меньше, чем планировалось организаторами, жить они предпочитали в частном секторе, бронируя размещение через онлайн-сервисы в обход туроператоров, готовых предоставить им экскурсионные программы и удобную логистику.

…[La Coupe de la Confédération] n'a pas rempli les attentes du secteur touristique : les touristes ont été moins nombreux que ce que les organisateurs avaient planifié, ils ont préféré louer dans le secteur privé et réserver leurs locations en ligne, en contournant les tour-opérateurs qui étaient prêts à leur offrir des programmes d'excursion et toute la logistique nécessaire.

C'est pourquoi le nombre de visiteurs de l'étranger attendu pendant le Championnat du monde a été revu à la baisse après la fin de la Coupe des confédérations, de deux millions à un million.

Les États-Unis mettent en garde les touristes contre «le terrorisme et le harcèlement»

Et justement, alors que la première vague de vente des billets touchait à sa fin, le Département d’État américain a mis à jour ses recommandations [en anglais] destinées aux Américains voyageant en Russie, mentionnant le terrorisme et le harcèlement des citoyens américains par les forces de l'ordre comme des raisons de «reconsidérer un tel projet de voyage».

Du côté russe, cette mise à jour a été largement tournée en ridicule :

Les recommandations aux voyageurs du Département d’État américain classent la Russie en catégorie 3 sur 4:  «reconsidérez votre projet de voyage» — soi-disant «à cause du terrorisme et des persécutions». C'est complètement ridicule. Que ce soit une mesure politique ou de la bêtise, c'est d'un ridicule achevé.

*sauf pour la partie — sensée — d'éviter le Caucase du Nord ou la Crimée, qui est prudente.

Ces recommandations aux voyageurs ont bien vite été démenties par le ministère des Affaires étrangères, dont la porte-parole, Maria Zakharova, a exprimé ses doutes sur les risques qui existeraient pour les touristes américains.

Cependant, les États-Unis ne sont pas le seul pays à avoir publié ce genre de recommandations. La France en avait fait autant l'année dernière, même si, comme l'a fait remarquer un commentateur, elles étaient accompagnées d'une carte qui les rendait un peu plus compréhensibles :

Après les recommandations controversées du Département d’État aux voyageurs américains, voici les mêmes conseils du ministère français des Affaires étrangères : pas de risques, sauf dans le Caucase du Nord. Ce qui paraît plus raisonnable.

La Russie attend un nombre significatif de spectateurs du Championnat du monde en provenance des États-Unis et des pays européens, et on ne sait pas encore si ces recommandations auront une quelconque influence sur le nombre de touristes.

En tout cas, les experts russes n'oublient pas non plus le grand potentiel que représentent les fans latino-américains, parce que, à la différence des Européens — pour qui se rendre en Russie est facile et peut se faire pour quelques jours seulement — les fans qui viendront d'Amérique latine pourront rester plusieurs semaines, afin de justifier des durées de vol importantes. Indépendamment du fait de savoir quel pays enverra le plus de touristes, le slogan «La Russie, tout un monde» se vérifiera tout à fait cet été, pendant un mois.

Des députés tunisiens veulent légiférer sur un délit de ‘cyber-diffamation”

samedi 31 mars 2018 à 21:08

L'Assemblée des représentants du peuple de Tunisie. Photo Sami Mlouhi [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons

Des députés tunisiens proposent une loi qui ferait de la diffamation en ligne un délit. Le 22 mars, seize législateurs du parti Nidaa Tounes de la coalition gouvernementale, plus un député indépendant, ont déposé une proposition de loi réformant le code pénal tunisien en introduisant deux articles sur ce qu'ils appellent la “cyber-diffamation'”.

Adoptés, ces amendements institueraient une peine de deux ans de prison et une amende de 3.000 dinars tunisiens pour tout individu reconnu coupable de publier du contenu susceptible de “nuire à l'ordre public, aux bonnes mœurs, à l'inviolabilité de la vie privée, ou à l'honneur” des personnes et des ”institutions officielles”.

Dans leur proposition, les députés défendent que le code pénal n'est pas “à jour des développements technologiques, notamment dans le secteur de l'information” et qu'il faut “protéger la société tunisienne” des “comportements et infractions qui vont au-delà de la liberté de la presse” comme les insultes et injures. En réalité, le code pénal de la Tunisie établit déjà la diffamation comme un délit. Ce que ce groupe de députés veut faire, c'est créer une catégorie particulière, la “cyber-diffamation”.

La proposition arrive à peine quelques semaines après que la Tunisie a été invitée à adhérer à la Convention de Budapest sur la cybercriminalité, qui requiert des signataires de mettre en place les ”conditions et sauvegardes dans leur droit interne” qui “assureront une protection appropriée des droits humains et libertés”.

Le projet de loi, qui tient sur seulement deux pages, fait aussi référence à un texte qui n'est plus en vigueur : le Code de la presse répressif de 1975, qui réglementait la presse écrite sous la dictature de Zine el Abidine Ben Ali.

Après le renversement de Ben Ali en 2011 et dans le cadre des réformes en faveur des libertés d'expression et de presse, le gouvernement intérimaire adopta un nouveau décret sur la presse (Décret No. 2011-115 du 2 novembre 2011) qui remplace le code de 1975 et comporte des protections plus grandes pour la liberté de la presse. Le décret de 2011 garantit aux journalistes l'accès à l'information, la confidentialité des sources, abolit les exigences d'autorisation pour les médias papier et les condamnations de journalistes à des peines de prison pour diffamation et dénonciation calomnieuse.

La proposition d'un tel texte, qui cherche à restreindre la liberté d'expression et fait référence à une loi répressive qui n'est plus en vigueur, ne peut qu'interroger sur la représentation que se font ses auteurs des progrès de la Tunisie en matière de liberté d'expression et de presse.

Leur soutien à cette proposition est une claire transgression de leur engagement à respecter la constitution tunisienne de 2014 qui garantit la liberté d'expression et le libre accès aux réseaux d'information et de communication, et interdit la censure préalable.

Dans une déclaration dénonçant la proposition de loi, le Syndicat des journalistes tunisiens a relevé :

هذا المشروع ينم عن عقلية استبدادية وتضييقية للحريات تحن إلى زمن الديكتاتورية، ويعكس جهلا فضيعا بمكاسب الثورة التونسية في مجال حرية الرأي و التعبير بدليل أن هذا المشروع يحيل إلى مجلة الصحافة لسنة 1975 والتي الغيت مباشرة بعد سقوط نظام بن علي. وهو ما يوحي بان النواب الذين اقترحوا المشروع يعيشون في عصر ما قبل الثورة.

…ce projet de loi traduit une mentalité répressive de restriction des libertés, reflétant une nostalgie pour l'ère de la dictature. Elle témoigne d'une terrible ignorance des gains de la révolution tunisienne dans les domaines des libertés d'opinion et d'expression puisque la proposition de loi se réfère au Code de la presse de 1975, qui a été abrogé immédiatement après la chute du régime Ben Ali. Cela sous-entend que les députés qui ont proposé ce texte vivent à l'ère pré-révolutionnaire…

Non content de renvoyer à une législation qui n'existe plus, les dix-sept députés usent d'un langage trompeur faisant croire que l'Internet n'est pas régulé en Tunisie. Un des députés signataires, Mongi Harbaoui, a écrit sur Facebook que la loi allait protéger les individus “du chaos et de la décadence morale”.

Dans les faits, même si la Tunisie n'a effectivement pas de loi exhaustive sur la cybercriminalité, elle dispose bien de lois anticonstitutionnelles réglementant les discours en ligne et hors ligne tels que la diffamation, la critique des responsables et institutions publiques, et les contenus considérés comme contraires aux “bonnes mœurs” et à “l'ordre public”.

L'article 86 du Code des télécommunications dispose que quiconque reconnu coupable de “nuire à autrui ou de perturber l'existence d'autrui au moyen des réseaux publics de communication” encourt jusqu'à deux ans de prison. Le Code pénal contient des dispositions qui font des délits de la diffamation et de la propagation de contenus “susceptibles de nuire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs”. Les institutions militaires sont également protégées de la critique en vertu d'articles du Code militaire.

Des dispositions qui continuent à être utilisées aujourd'hui pour poursuivre et emprisonner blogueurs, militants et journalistes. Tout dernièrement, le blogueur et député Yassine Ayari a été condamné par un tribunal militaire à 16 jours de prison pour “atteinte au moral de l'armée” à cause d'un post sur Facebook de 2017 dans lequel il ironisait sur la nomination d'un officier d'état-major. Ayari avait déjà été emprisonné fin 2014, aussi pour des textes sur Facebook critiquant l'institution militaire.

Au lieu d'adapter l'arsenal judiciaire tunisien pour le mettre en conformité avec les protections constitutionnelles des libertés d'expression et de presse, la législation proposée ébranle au contraire ces protections. On ignore encore si et quand la proposition de loi sera débattue au parlement, mais elle ne manquera pas de rencontrer une résistance acharnée non seulement des mouvements de défense des droits humains, mais aussi des autres députés.

En Inde, les survivants de la tuberculose se battent pour enfin éliminer la maladie

samedi 31 mars 2018 à 17:08

Deepti Chavan (34 ans), survivante de la tuberculose, raconte son histoire. Image de Survivors Against TB. Utilisée avec autorisation.

Tous les liens de ce billet renvoient vers des pages en anglais.

Le 24 mars a marqué la Journée mondiale de lutte contre la tuberculose. La tuberculose est l’une des principales maladies infectieuses du monde et touche plus de 2,4 milliards de personnes, presque un tiers de la population mondiale. Selon les statistiques de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS), l’Inde est le pays le plus sévèrement touché par la tuberculose et beaucoup pensent que le pays ne déploie pas suffisamment de moyens pour endiguer la maladie.

Survivors Against TB (SATB) [“Les survivants contre la tuberculose” en français], un groupe de défense mené par des rescapés de la tuberculose en Inde, se bat pour renforcer la lutte contre cette maladie dans leur pays. Leur travail le plus récent est la version bêta d’une application gratuite appelée Parlons TB (टीबी पे चर्चा, tibi pé charchaa), un programme d'éducation multilingue destiné aux patients et qui comprend une série de films éducatifs disponibles sur l'application et sur YouTube ainsi qu'un programme de soutien aux patients. Ces films, tout comme l'application, sont disponibles dans quatre langues : hindi, marathi, gujarati et malayalam.

La tuberculose est l'une des trois maladies infectieuses les plus mortelles, avec la malaria et le VIH/SIDA. La tuberculose tue une personne toutes les 18 secondes, et pourtant cette maladie peut-être prévenue, traitée et soignée.

La tuberculose en Inde

Sur les 9,6 millions de cas de tuberculose recensés dans le monde, 2,2 millions proviennent d'Inde. Cette situation renforce la grave crise sanitaire et économique du pays, auquel cette maladie coûte près de 20 milliards d'euros par an.

En 2007, la prévalence de la tuberculose sur une population de 100.000 personnes était élevée en Asie, et l'était encore plus en Afrique sub-saharienne. Image de Wikimedia Commons. Domaine public.

Beaucoup estiment que les moyens mis en place pour lutter contre la tuberculose en Inde ne sont pas adaptés aux patients. Dans un article du Huffington Post, Dr. Madhukar Pai a abordé les défis à relever dans la lutte contre la tuberculose en Inde :

India also has the highest number of patients with multidrug-resistant TB in the world, including cases nearly impossible to cure.

Although India has the world's largest TB epidemic, quality of TB care remains suboptimal, especially in the private and informal sector, where most patients seek initial care. The average TB patient is diagnosed only after several months and seeing multiple providers, most of whom do not follow standard guidelines. Most patients who start treatment are not tested to see if their TB is drug resistant.

Apart from poor care, TB in India is fueled by broader socioeconomic factors, including extreme poverty, high prevalence of malnutrition, smoking, and diabetes.

L’Inde compte également le nombre le plus élevé de patients souffrant d'une tuberculose multi-résistante, dont des cas presque impossibles à soigner.

Bien que l’Inde soit touchée par la plus importante épidémie de tuberculose au monde, la qualité des soins reste sous-optimale, notamment dans les secteurs privé et informel où la plupart des patients reçoivent leurs premiers soins. Le patient tuberculeux moyen n'est diagnostiqué qu'après plusieurs mois et après avoir vu de nombreux soignants, dont la plupart ne suivent pas les directives standards. La majorité des patients qui commencent un traitement ne sont pas testés afin de vérifier si leur tuberculose est résistante ou non aux traitements.

Au-delà des soins insuffisants, la tuberculose est alimentée en Inde par des facteurs socio-économiques plus larges que sont l'extrême pauvreté, la forte prévalence de la malnutrition, le tabagisme et le diabète.

En Inde, la malnutrition, la pauvreté et la tuberculose sont étroitement liées. Les malades sont fréquemment confrontés à de graves obstacles économiques qui les empêchent d'accéder aux soins de santé, telles que les dépenses élevées liées au diagnostic et au traitement, ainsi que les difficultés liées aux pertes de revenu. Une proposition du ministère de la Santé d’allouer une prestation mensuelle de 500 roupies en espèces (environ 6,50 euros) à tous les patients atteints de tuberculose se heurte à des résistances.

Le gouvernement indien a mis en place un certain nombre de mesures pour tenter d'éliminer la tuberculose du pays. Elles comprennent l’élaboration de normes de soins, l'introduction de traitements quotidiens et la mise en place de tests moléculaires et de pharmacosensibilité. L'État a également fait de la tuberculose une maladie à déclaration obligatoire, ce qui signifie que tous les médecins privés, soignants et cliniques traitant un patient atteint de tuberculose devront reporter aux autorités médicales chaque cas détecté de cette maladie aéroportée.

Lutter contre la tuberculose : le gouvernement indien publie une directive qui criminalise la non déclaration des cas de tuberculose. Médecins et pharmaciens encourent des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison selon l’IPC sections 269, 270, en cas de non report des cas de tuberculose aux autorités médicales.

Le 13 mars 2018, le Premier ministre indien Narendra Modi a lancé une ambitieuse campagne afin d’éradiquer la tuberculose d’Inde d’ici 2025. Le délai au niveau mondial a été fixé à 2030.

Partageant mes remarques au sommet “En finir avec la tuberculose” de Delhi. Durant la conférence nous avons également lancé le mouvement “Inde sans tuberculose”.

L'État s’engage à éliminer la tuberculose du pays d’ici 2025. À elle seule, l’Inde compte 25% des cas mondiaux. Le gouvernement de l'Uttar Pradesh, en charge de 220 millions de citoyens, s'est engagé à mener la campagne nationale contre la tuberculose avec notamment un accès universel à un diagnostic de qualité et un traitement pour tous.

Toutefois, des rapports remettent cette date en cause, car le taux de régression [du nombre de cas] national accuse du retard. Beaucoup pensent que d’énormes efforts, à la fois de la part de l'État et du secteur non gouvernemental, seront nécessaires pour relever ce défi.

La mobilisation de toute la communauté est la clé pour éradiquer la tuberculose. Nous ne pouvons combattre seuls, nous devons combattre ensemble.

Dr. Zarir Udwadia, un médecin chercheur de Mumbai, parle de cette maladie et des difficultés que l'Inde rencontre à lutter contre elle lors d'un événement TED indépendant organisé à Mumbai en février 2018 :

Dans cette vidéo, il déclare qu’un Indien meurt chaque minute de cette maladie et il continue en partageant l’histoire d’un de ses patients souffrant d’une forme de tuberculose totalement résistante à tout traitement (TDR-TB).

Pour beaucoup, il est difficile de comprendre la souffrance d'un patient atteint de tuberculose, à moins qu'elle ne soit racontée par un patient ou un survivant lui-même. L’an dernier, lors d'un événement TEDxGSMC organisé à Mumbai, Dr. Saurabh Rane, spécialiste de la santé publique, coureur, cycliste et alpiniste, a témoigné avoir lui-même été diagnostiqué d’une forme de tuberculose extrêmement résistante aux médicaments alors qu'il n'avait que 20 ans. Dr. Rane explique comment il a combattu la maladie et plaide en faveur du droit de chacun à être diagnostiqué, traité correctement et à bénéficier de médicaments salvateurs.

Des survivants de la tuberculose lancent une campagne de lutte contre la maladie

Lancé en août 2016, Survivors Against TB (SATB) est un mouvement mené par un groupe de survivants à la tuberculose et qui travaillent à renforcer la lutte que l’Inde mène contre cette maladie. Ces rescapés, qui ont eu leur propre bataille à mener, se basent sur leur expérience personnelle pour plaider en faveur d’une approche centrée sur le patient pour rendre la prévention et le contrôle de la tuberculose efficaces en Inde. Ce mouvement est dirigé par Chapal Mehra, un chroniqueur et spécialiste de la santé publique.

L’Inde dénombre 2,2 millions de cas de tuberculose.
Un patient tuberculeux consomme en moyenne 14.600 pilules pour s'en guérir.
C’est la raison pour laquelle Survivors Against TB est née. Qu’apportent-ils ?… de l’ESPOIR !

En 2017, le groupe SATB a lancé la première interface numérique d'Inde sur la tuberculose en hindi. Le portail a pour objectif d’aider les communautés affectées par la tuberculose en leur offrant d’importantes informations sur la maladie. Une autre fonctionnalité de cette plateforme est de dresser le profil des nombreux survivants de la tuberculose qui militent pour diffuser témoignages et informations sur les traitements, la santé mentale, le genre et la stigmatisation.

Dans la vidéo ci-dessus, Deepti Chavan, ayant survécu à une tuberculose multirésistante, raconte sa lutte contre la maladie en hindi.

L’année dernière le groupe SATB a publié un livre intitulé Neuf vies, femmes et tuberculose en Inde. Il brosse le portrait de neuf femmes qui ont vaincu la maladie malgré la stigmatisation et les discriminations.

L’application ParlonsTB du groupe SATP se concentre sur la diffusion d’informations-clés relatives à la tuberculose, comme les effets secondaires, la stigmatisation, la nutrition ou le traitement.

Un programme multilingue d'éducation des patients comprenant des films et une application. Regardez notre protagoniste malayali expliquer l’importance de suivre son traitement jusqu’au bout. Partagez cette information.

Quand un patient tuberculeux décide de parler, le monde est obligé de l’écouter. Voici la première application éducative multilingue d'Inde destinée aux patients et créée par des survivants de la tuberculose pour donner des informations sur la maladie.

Deepti Chavan, qui a survécu à la tuberculose, préconise l'utilisation de la stratégie DOTS (Directly Observed Treatment, short-course ou TB-DOTS), une stratégie de contrôle de la tuberculose recommandée par l'OMS. Image de Survivors Against TB. Utilisée avec autorisation.

Beaucoup d’efforts sont également réalisés par d’autres organisations afin de combattre la tuberculose en Inde.

Les survivants de la tuberculose publient un rapport identifiant les principaux problèmes auxquels les patients sont confrontés : “Tuberculose – La bombe à retardement de l'Inde – Le manifeste des survivants”.

Mumbai, qui souffre tellement de l'épidémie de tuberculose et notamment de ses formes résistantes aux traitements, se pare de rouge en symbole de la lutte contre la TB. Programme local dynamique de lutte contre la tuberculose.

Quatre femmes courageuses parmi lesquelles @almostbutnotyet de @SpeakTB sur ‘Les femmes en Inde : elles mènent le combat contre la tuberculose’.

Le groupe SATB espère que les témoignages des survivants de la tuberculose aideront à faire comprendre les nombreux défis que ces patients et leur famille doivent relever dans leur combat contre la maladie. Les appels à l'aide des survivants de la tuberculose ont été largement médiatisés et ils comptent désormais sur le soutien du gouvernement. Deepti Chavan a partagé ses espoirs lors d'un entretien :

Hopefully, these stories will spur decision makers to act on these recommendations..

Espérons que ces témoignages inciteront les personnes au pouvoir à agir et suivre ces recommandations.