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Bangladesh : un an de violences

lundi 2 janvier 2017 à 22:49
Some of the secular writers killed in recent years in Bangladesh. From top left clockwise: Faisal Arefin Dipan, Shafiul Islam, Oyasiqur Rahman Babu, Rajib Haider, Avijit Roy and Ananta Bijoy Das.

Quelques-uns des auteurs athées tués ces dernières années au Bangladesh. De gauche à droite et de haut en bas : Faisal Arefin Dipan, Shafiul Islam, Oyasiqur Rahman Babu, Rajib Haider, Avijit Roy et Ananta Bijoy Das.

(Avertissement : image explicite en bas d'article) Pas moins de 15 blogueurs, auteurs et activistes ont été tués au Bangladesh pour leurs idées progressistes et athées, et ce, en moins de 4 ans. Le pays a également été témoin d'une augmentation considérable des attaques visant les étrangers et les croyants.

Cette recrudescence d'assassinats fomentés contre des auteurs et intellectuels connus pour leurs pensées progressistes n'arrive pas par hasard. Le nom de la quasi-totalité des personnes tuées ces dernières années apparaissent en effet sur une liste de 84 personnes, créée par un groupe de clercs musulmans conservateurs. Ces derniers accusent les blogueurs d'athéisme et d'activisme contre l'Islam à travers leurs articles. Cette liste a été soumise à un comité gouvernemental spécial en 2013. Les clercs ont ensuite publiquement déclaré que de nombreux blogueurs sont des « hérétiques » méritant d'être « tués ».

Le Bangladesh vit sous un régime de démocratie parlementaire, où le droit à la liberté d'expression est protégé par la constitution. Pour autant, le gouvernement, l'appareil judiciaire et les forces de police ne disposent pas des procédures suffisantes pour éviter ce genre de déclarations visant les blogueurs et journalistes.

En fait, les autorités ont même bloqué des sites Internet considérés comme dangereux et arrêté plusieurs blogueurs se trouvant sur cette fameuse liste noire. En 2015, juste après la mort du blogueur Niloy Neel, assassiné à coups de machette dans son appartement, le chef de la police a avisé les « libres-penseurs et les blogueurs de faire attention à ne pas dépasser les limites lorsqu'il s'agit d'exprimer leurs points de vue sur la religion ». Nombreux sont les sceptiques qui doutent des efforts fournis par la police concernant les enquêtes sur les assassinats.

Les blogueurs sur la liste noire préfèrent s'exiler

Face à une telle situation, de nombreux blogueurs et activistes en ligne ont préféré se réfugier à l'étranger. Et cette décision est loin d'être facile, tant pour eux, que pour leurs proches. Mahmudul Haque Munshi, blogueur et activiste en ligne, qui a trouvé asile en Allemagne, a ainsi expliqué sa décision sur son blog Swapnokothok (Tisseur de rêves) un peu plus tôt cette année :

আমি কখনো ভাবিনি আমাকে আমার মাতৃভূমি ছাড়তে হবে। [..] মোবাইল নাম্বার ওপেন ছিলো ব্লগে তাই কল করে হুমকি ধামকি দিতো কিছু মানুষ। ব্লগে পোস্ট দেয়া হতো সরকার চেঞ্জ হলে কোন দশজন ব্লগারের লাশ পড়বে। আমার নাম থাকতো সেসব লিস্টে। আমরা পাত্তা দিতাম না। কারন ব্লগের লেখালেখির কারনে ব্লগার খুন হবে এটা ছিলো এক ধরনের হাস্যকর চিন্তা তখন। সেই হাস্যকর চিন্তাটাই সত্যি হয়ে দেখা দেয় ২০১৩-র ১৪ই ফেব্রুয়ারি। আমার খুব কাছের একজন মানুষ, একজন ব্লগার থাবাবাবা কে হত্যা করা হয় কুপিয়ে তাঁর বাসার সামনে।

Jamais je n'aurai imaginé un jour quitter mon pays… […] Mon numéro de téléphone portable avait été mentionné sur ce blog, et j'avais alors reçu de nombreuses menaces de mort. Quand les propriétaires d'autres blogs se sont mis à citer des noms de blogueurs devant être tués si le gouvernement actuel venait à tomber, et que mon nom est apparu, je ne m'en suis d'abord pas vraiment préoccupé. À l'époque, l'idée d'assassiner des blogueurs restait inconcevable et absurde. Mais cette idée est vite devenue réalité, le 14 février 2013, pour être plus exact, lorsqu'un blogueur et l'un de mes amis les plus proches, Thaba Baba (Ahmed Razib Haider) a été assassiné à coups de machette, juste devant chez lui.

Il continue :

আমার মনে একটি অপরাধবোধ আছে। যে যুদ্ধটা আমরা করছিলাম, সে যুদ্ধটা ছেড়ে চলে আসার অপরাধবোধ। কিন্তু এ কেমন যুদ্ধ? ছায়ার সাথে মানুষ কিভাবে যুদ্ধ করে? [..] যারা চাইছিলেন আমি দেশে থেকে যেন মারা যাই, তাঁদের বলতে চাই, আপনাদের চাওয়াটা পুরন হবে না। আমি বেঁচে থাকবো, আমার করার আছে অনেক কিছু। সব শেষ না করে মরে গেলে তো হবেনা।

Je me sens coupable. Je menais un combat. Et j'ai l'impression d'avoir laissé tomber, d'avoir déserté le champ de bataille. Mais à quel genre de guerre participons-nous au juste ? Comment lutter contre des ombres ? […] À ceux qui souhaitent ma mort, je veux leur dire : vous n'avez pas gagné. Je respire encore, et il me reste encore beaucoup de choses à accomplir. Je ne tomberai pas sans avoir réalisé au moins l'un de mes objectifs.

En 2016, les meurtres ont continué. Nazimuddin Samad, étudiant en droit à l'université Jagannath et critique orateur de l'extrémisme religieux, a été tué en avril. De même que Rezaul Karim Siddique, professeur d'anglais à l'université Rajshahi, qui a été retrouvé assassiné à coups de machette près de son domicile.

Xulhaz Mannan, the editor Bangladesh's first LGBT news site, was murdered on April 25, 2016. Image courtesy of PEN International.

Xulhaz Mannan, éditeur du premier site Internet sur l'actualité LGBT au Bangladesh. Photo fournie par PEN International.

Xulhaz Mannan, activiste LGBT et Mahbub Rabbi Tonoy, acteur du théâtre engagé, ont tous les deux été assassinés le 25 avril 2016. Xulhaz Mannan était le fondateur du premier site Internet dédié aux citoyens LGBT du Bangladesh.

Ansar al Islam #Bangladesh /AQIS revendique la mort de Xulhaz Mannan et de Mahbub Tanoy.

Beaucoup de ces assassinats ont été revendiqués sur Internet ou sur les médias sociaux via des comptes que l'on pense appartenir à l’EI, l’Ansar al-Islam ou encore à l’Ansarullah Bangla Team. Ces groupes ont également revendiqué les tueries aléatoires de citoyens ordinaires.

Attentat contre le restaurant Holey Artisan Bakery

Dans la nuit du 1er juillet 2016, cinq hommes d'une vingtaine d'années, ayant suivi des études à l'étranger et de familles aisées, ont fait irruption au Holey Artisan Bakery, restaurant du quartier huppé de Dacca au Bangladesh et majoritairement fréquenté par des étrangers. Une douzaine de personnes ont été prises en otage, étrangers et Bangladais, puis les assaillants ont ouvert le feu sur la police.

Le lendemain matin, les forces armées bangladaises, et plus précisément le groupe paramilitaire de la police aux frontières, la police et la force d'élite Rapid Action Battalion ont alors lancé l'assaut sur le Holey Artisan Bakery, mettant ainsi un terme à la prise d'otages. Au final, certains furent libérés et d'autres réussirent à s'échapper, mais 29 personnes furent tuées, dont 20 otages (18 étrangers et 2 Bangladais), deux policiers, cinq tireurs et deux employés du restaurant. C'est la pire attaque terroriste qu'ait connu le Bangladesh jusqu'à présent.

L'agence de presse, Amaq, organe de propagande de l'EI, a revendiqué l'attentat. Des photos des terroristes arborant le keffieh rouge de l'EI et des écritures noires en penjabi, ainsi que des photos du massacre des otages ont été diffusées sur Internet.

Le 7 juillet, des terroristes ont attaqué les forces de la police en charge de la surveillance du rassemblement de l'Aïd à Sholakia qui réunissait de nombreuses personnes. Ils ont fait 3 morts. Plus tard le même mois, la police a mené l'assaut sur une cellule terroriste localisée dans la capitale Dacca, tuant ainsi 9 terroristes. La police a rapporté avoir trouvé des bombes, des munitions, ainsi que deux drapeaux noirs de l'EI.

Outre des membres de l'EI, la police affirme qu'il y avait également des membres du Jamaat-ul-Mujahideen, l'organisation islamiste du Bangladesh.

Les forces de l'ordre ont publié une liste d'environ 200 personnes recherchées depuis 18 mois et considérées comme dangereuses. Les dernières informations rapportent que certains auraient pris l'avion à destination de la Malaisie et de la Turquie, sans plus de précision quant à la suite de leur parcours.

Les mois suivants, dans l'espoir de déjouer d'autres attentats, la police a mené des assauts aux domiciles d'individus suspectés de terrorisme. Selon de récentes informations, Tamim Ahmed Chowdhury (dit Abū Ibrāhīm al-Hanīf), possédant la double nationalité canadienne et bangladaise, aurait orchestré l'attentat du 1er juillet ; ce qui lui a valu toute la reconnaissance de l'EI. Tamim Ahmed Chowdhury a été abattu par la police le 26 septembre 2016. Le 24 décembre 2016, la police a lancé un nouvel assaut, ce qui a permis de capturer un certain nombre de terroristes ; deux sont morts en déclenchant leur gilet explosif.

Chronologie des actes terroristes au Bangladesh

Le sang d'innocent a pour l'instant cessé de couler, mais les terroristes agissant clandestinement, le danger n'est jamais loin. Des mois après l'attentat au parc Gulshan-e-Iqbal, les restaurants de Dacca restent encore bien vides, et la plupart des touristes ont annulé leur voyage au Bangladesh, ce malgré le renforcement des dispositifs de sécurité. 2016 est une année marquée au fer rouge pour le Bangladesh, et qui sait ce que l'avenir lui réserve encore…

De Téhéran à Manhattan, itinéraire d'un photographe de mode

dimanche 1 janvier 2017 à 19:12

Le photographe iranien Kouroush Sotoodeh avec les mannequins Allegra Dewi Carpenter et Eszter Boldov pendant une séance photo sur un toit de New York. Photo partagée par Koroush Sotoodeh, et utilisée avec permission.

[Tous les liens sont en anglais]

Si le photographe de mode Kourosh Sotoodeh avait poursuivi son rêve dans son pays natal, l’Iran, il aurait probablement été arrêté par les services de sécurité au cours d’une répression au sein de l’industrie de la mode, actuellement en pleine expansion – une répression qui, ces dernières années, a amené les autorités à qualifier les gens comme Kouroush de « photographes itinérants qui appâtent les filles ». Depuis le début de l’année 2016, les photographes de mode ont été arrêtés en masse, ainsi que des mannequins et tous ceux qui travaillent dans les agences de mannequins.

Depuis qu’il a quitté la République Islamique d’Iran pour travailler dans une agence basée à Dubaï, en 2009 – l’année durant laquelle le gouvernement iranien a sévèrement réprimé les manifestants contestant la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence – le photographe ne regarde plus en arrière. Koroush vit depuis à New York, où la liberté d’expression est autant une réalité qu’une compétition effrénée. « Les gens constituent le sujet de mes photos, il est donc normal pour moi de vouloir aller là où les gens disposent de davantage de liberté avec leurs vêtements, leur comportement, et leurs actes sociaux », explique-t-il pendant une séance photo dans un studio de Manhattan. En Iran, Koroush risquerait l’emprisonnement ou pire s’il venait à publier les clichés – ceux d’une mannequin partiellement dénudée – qu’il prenait le jour où je l’ai interviewé.

Tenter d’intégrer la ville où la compétition est la plus forte, particulièrement en ce qui concerne la mode, n’est pas chose aisée. Pourtant, à 38 ans, l’homme a déjà publié ses photos dans des magazines comme inCOVER et Harper’s Bazaar, et se sent comme chez lui. « Comme l’un des New-Yorkais que je préfère, [le comédien et humoriste] Louis C.K., je jette mes meilleurs travaux et je recommence jusqu’à créer de meilleurs clichés », affirme-t-il, alors qu’il change un objectif. « C’est la meilleure chose à faire ».

Alors que je discute avec Koroush pendant une de ses séances photos, nous évoquons les problèmes et opportunités présents dans l’industrie de la mode en Iran, et comment sa carrière a décollé dans la capitale mondiale de la mode, New York.

Omid Memarian (OM): Quand avez-vous débuté votre carrière de photographe ? Quand avez-vous quitté l’Iran et pour quelle(s) raison(s) ?

Koroush Sotoudeh (KS): I was interested in illustration from a very young age, but I started professional photography in March 1999. I was studying industrial design and naturally I spent most of my time at the Arts University where I learned more about photography and could see, enjoy and practice it. By “professional photography,” I mean the time I started earning a living through photography. It’s quite clear that back then I had a totally different concept and understanding of photography, compared to what I know now. Both my customers and I understood so little about it, so we thought we were doing fashion photography, but maybe it would be more accurate to say that I was engaged in some type of unusual portrait photography of subjects who liked to see themselves through my lens. Gradually, I gathered more experience and knowledge about the profession. After a modeling agency offered me a job in the field of fashion photography in 2009, I swiftly accepted the job and moved to Dubai.

Koroush Sotoudeh (KS): Depuis mon plus jeune âge, j’étais fasciné par l’illustration, mais j’ai commencé la photographie de façon professionnelle en mars 1999. J’étudiais le design industriel et naturellement, je passais beaucoup de temps à l’Université des Arts où j’apprenais énormément sur la photographie et où je pouvais voir, apprécier et pratiquer. Quand je dis « de façon professionnelle », je veux dire quand j’ai commencé à en vivre. A cette époque-là, j’avais une vision et une compréhension de la photographie complètement différentes, comparé à ce que je sais maintenant. Mes clients et moi en comprenions très peu de choses, nous pensions faire de la photographie de mode, mais il serait sans doute plus juste de dire que j’avais l’habitude de faire des portraits inhabituels de gens que j’aimais voir à travers mes objectifs. Progressivement, j’ai engrangé plus d’expérience et de connaissances sur ma profession. Suite à une offre que m’a faite une agence de mannequins en 2009, j’ai rapidement accepté ce job et j’ai déménagé à Dubaï.

Koroush

Kouroush photographiant le modèle Eszter Boldov. Photo partagée par Kouroush Sootodeh et utilisée avec permission.

OM: A quels problèmes deviez-vous faire face en tant que photographe de mode en Iran ?

KS: There are many competent and creative fashion designers and photographers in Iran, some of whom will go far in gaining widespread recognition. There is also a large group of Iranian youth who are interested in modeling and have the internationally accepted physical features needed for this profession. But for many reasons, including the Iranian laws and the Iranian market’s lack of contact with the international fashion scene, many of these talented people will have to be terribly lucky to find a chance to prosper in this field.

I can’t say whether fashion photography is allowed in Iran or not, because the law is silent on many different issues, and this leaves a lot of room for subjective interpretations. But I can say with certainty that there are no laws against taking photographs of people who are wearing beautiful clothes, therefore there shouldn’t be any problems. Or if there is a problem, I never saw any rules developed to tell me as a photographer what to do and what not to do in order to stay away from trouble. The silence of the law enables different organizations to act according to their own taste. Just like all the other artists in Iran who choose people as subjects, I had problems too, but my biggest problem was an occasional security threat to a profession based on arts and aesthetics—something I could never understand.

KS: Il y a de nombreux créateurs et photographes de mode compétents et imaginatifs en Iran, certains d’entre eux obtiendront une grande reconnaissance. Il y a également un grand groupe de jeunes Iraniens qui sont intéressés par le mannequinat, et qui possèdent les caractéristiques physiques internationales nécessaires à cette profession. Mais pour de nombreuses raisons, dont les lois iraniennes et l’absence de relation du marché iranien avec la scène internationale, la plupart de ces talentueuses personnes devront être particulièrement chanceuses si elles veulent prospérer dans ce milieu.

Je ne peux pas dire si la photo de mode est autorisée ou non en Iran, car la loi est silencieuse sur de nombreux problèmes, et cela laisse place à des interprétations subjectives. Mais je peux affirmer qu’il n’y a aucune loi contre le fait de photographier des gens qui portent de beaux vêtements, donc il ne devrait y avoir aucun problème. S’il y a un problème, je n’ai vu aucune loi me disant quoi faire ou ne pas faire en tant que photographe afin de rester en règle. Le mutisme de la justice permet à différentes organisations d’agir à leur guise. Comme tous ces artistes iraniens qui choisissent des gens comme sujets, j’ai également eu des problèmes, mais le plus gros d’entre eux était les menaces occasionnelles sur une profession basée sur les arts et l’esthétique – ce que je ne pourrais jamais comprendre.

OM: Quels sont les secteurs de la photographie de mode qui rencontrent le plus de soucis en Iran ?

KS: Generally, when men are subjects of fashion photography, there are fewer limitations, although we can’t say this is always the case. There are a lot of limitations for photographing women, some of which are based on laws, but laws do not set many of these limitations. I’m not talking about nude photography, which of course everyone knows is not allowed in Iran! But there is a lot of subjective interpretation and enforcement of limitations. These limitations are increased or decreased based on the views of the officials in charge of arts and culture. As a photographer, you never know which rules you have to follow in order to build a long-term plan of action for your professional development. It is natural to be fed up and to give up the profession altogether after a while.

KS: Généralement, quand les hommes sont les sujets de la photo de mode, il n’y a pas beaucoup de limites, bien que ce ne soit pas toujours le cas en réalité. Il y en a beaucoup plus lorsqu’il s’agit de photographier des femmes, certaines ayant été mises en place par la justice. Je ne parle pas des photos dénudées qui, comme tout le monde le sait, sont interdites en Iran ! Mais il y a une forte interprétation subjective et une application de ces restrictions. Celles-ci augmentent ou non selon la vision des officiels en charge des arts et de la culture. En tant que photographe, vous ne savez jamais quelles lois vous devez suivre pour construire un plan d’action à long terme pour votre développement professionnel. Il est normal d’en avoir marre et d’abandonner finalement la profession.

OM: Connaissez-vous des photographes ou des mannequins en Iran qui ont été forcés de faire autre chose, à cause de la pression exercée par le pouvoir ?

KS: Yes, I do. I know a lot of people who were very talented in their work, and after they were unable to pursue their field in Iran, they decided to emigrate, but the immigration wasn’t always a good decision for them. Sometimes they were unable to compete in the job market and ended up doing work other than photography. Their inability to compete was not necessarily a result of their lack of expertise, but due to the different language, their inability to relate to the new society’s social conditions, and the absence of any support. But the hardships of a life in diaspora should not cause disappointment and defeat.

KS: Oui, j’en connais. Je connais beaucoup de personnes très talentueuses dans leur domaine, mais qui ne peuvent poursuivre leur travail en Iran, et qui ont décidé d’émigrer, mais l’immigration n’est pas toujours la meilleure chose à faire. Parfois, ils sont incapables de se battre sur le marché du travail, et finissent par faire autre chose que de la photographie. Leur incapacité à se battre n’est pas nécessairement une conséquence de leur manque d’expertise, mais en raison des barrières linguistiques, de leur inaptitude à s’adapter aux nouvelles conditions sociales, et de l’absence de soutien. Mais les épreuves de la vie ne devraient pas provoquer de déception et d’échec.

Iranian models arrested in recent crackdowns.

Ci-dessus, quelques mannequins iraniens arrêtées lors de récentes répressions. Photo de la Campagne Internationale pour les Droits de l'Homme en Iran, utilisée avec permission.

OM: Pourquoi pensez-vous que les autorités iraniennes surveillent les mannequins et photographes iraniens, et essaient de contraindre votre travail ?

KS: I don’t believe there is total agreement between the government decision-makers in this or in similar areas. When the entire path of a profession is limited by subjective decisions, the atmosphere for growth in that profession shrinks, and as a photographer working in such an environment, you would feel at best just tolerated. If fashion photography in Iran were to move towards nude and erotic photography, it would have seriously violated the law and a crackdown would be expected, but I believe that even nudity has not been properly defined and there are no clear boundaries.

Are there any written procedures on how much of a woman’s hair can be shown in a photograph? Is it written anywhere that if a woman has plump red lips, she should not be the subject of a close-up shot? If I don’t know these boundaries, my job becomes very difficult. I believe even the authorities differently define these boundaries and they each have their own ideas about them. Ultimately, their biggest concern is if these activities violate Islamic culture. But the truth is that even in defining the boundaries of Islamic culture, there is no unified voice or understanding.

KS: Je ne pense pas qu’il y ait un accord entre les législateurs du gouvernement sur ce sujet. Quand toute la profession est entravée par des décisions subjectives, les conditions pour le développement de cette profession s’amenuisent, et quand un photographe travaille dans un tel environnement, vous vous sentez tout juste toléré. Si la photo de mode en Iran venait à se tourner vers la nudité et l’érotisme, vous violeriez sérieusement la loi et une répression serait inévitable, mais je crois que même la nudité n’est pas vraiment définie  et qu’il n’y pas de limites assez claires.

Y a –t-il des procédures écrites sur la façon dont les cheveux d’une femme doivent être montrés dans une photo ? Est-il écrit quelque part qu’une femme qui aurait les lèvres rouges et pulpeuses ne devrait pas être le sujet d’un gros plan ? A mon avis, les autorités définissent de façon différente ces limites et ont chacune leur propre idée sur la question. En fin de compte, leur plus gros problème est que ces activités puissent enfreindre la culture Islamique. Mais la vérité est que personne ne parle d’une seule voix quand il s’agit de définir les restrictions de la culture Islamique.

OM: Pensez-vous que les répressions continues à l’encontre des mannequins et photographes iraniens les empêcheront de poursuivre leurs carrières ?

KS: No. The industry will never stop. Clothes are one of the basic needs of human beings, no matter where people live. The fashion and clothing industry is very active in Iran and is naturally in need of promotion and marketing. Therefore, fashion photography, with all its limitations, will continue to exist, because the thinking behind this creativity is unstoppable. The thought process cannot be stopped and it will eventually find a way to be expressed. I think this situation is temporary and when something truly exists, it will have to be accepted. I hope laws are developed to define the boundaries, so everyone knows what is legal and what is illegal. The fact is that so much has been pushed underground, that there is now a huge underground world, bigger than the world above ground! This is why I think the ban needs to be re-thought. Can a world that is so extensive be marginalized?

KS: Non. L’industrie ne s’arrêtera pas. Les vêtements sont l’un des besoins basiques des êtres humains, peu importe où les gens vivent. La mode et son industrie sont très actives en Iran et ont naturellement besoin de promotion et de marketing. Par conséquent, la photographie de mode, avec toutes les restrictions qu’elle comporte, continuera d’exister, car sa créativité est sans limites. Le processus de réflexion ne s’arrêtera jamais et trouvera toujours le moyen de s’exprimer. J’espère que les lois sont établies pour fixer des limites afin que tout le monde sache ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Le fait est que le monde souterrain, dans lequel se déroulent beaucoup de choses, est bien plus grand que le monde visible.

OM: Qu’arrivera-t-il, selon vous, si les agents de sécurité se rendent compte qu’un photographe réalise des photos dénudées ?

KS: Again, this is where the outcome could be different due to the subjective nature of handling the issue. Like many other things that are considered a crime in Iran, you never know exactly what would happen if you pass this red light! Would you be fined $200, would you be imprisoned, or would you be deprived of your civil rights? I have no doubt that this type of photography is considered a crime, and all I can say is that you would have to be very fortunate to end the issue with a cash fine. When there are different types of pressure on ordinary photographers, I don’t even want to think about what would happen to someone who does erotic photography in Iran!

KS: Encore une fois, l’issue différera en fonction de la façon – subjective – de traiter le problème. A l’instar de nombreuses autres choses qui sont considérées comme un crime en Iran, vous ne savez jamais quand vous franchissez la ligne rouge ! Paierez-vous une amende de 200 dollars, serez-vous emprisonné, ou serez-vous déchu de vos droits civiques ? Je sais que ce genre de photo est considéré comme un crime, et tout ce que je peux affirmer, c’est que j’ai été très chanceux de m’en tirer avec une amende. Il peut y avoir d’autres formes de pression exercées sur les photographes ordinaires, alors imaginez ce que pourrait endurer quelqu’un qui fait des photos érotiques en Iran !

OM: Est-il possible de gagner sa vie comme photographe professionnel de mode en Iran ?

KS: If by “professional” you mean someone who makes a living this way, the answer is yes. If you go to Instagram right now and search for a few simple keywords, you would be able to find a lot of Iranian photographers and models in this field. As I said before, this chain certainly exists and is economically viable. But if the question is whether they have world-class quality or not, the answer is dependent on a lot of other factors. It depends, for example, on how well the artist can promote himself or herself. When everyone is trying to toe the line, so as not to cross the government red lines, they would undoubtedly have less publicity and this could lead to lower work quality and revenue for them.

KS: Si par “professionnel”, vous entendez quelqu’un qui construit sa vie en fonction de cela, alors la réponse est oui. Si vous allez sur Instagram et tapez quelques mots-clés très simples, vous trouverez de nombreux photographes et mannequins iraniens. Comme je l’ai déjà dit, cette industrie existe et est économiquement viable. Mais si la question est de savoir s’ils sont de classe mondiale, la réponse dépend d’un certain nombre de facteurs. Comme par exemple de la façon dont un artiste se promeut. Quand quelqu’un se rapproche dangereusement de la ligne rouge fixée par le pouvoir cette personne bénéficiera indubitablement de moins de publicité, ce qui l’amènera vers un travail de qualité moindre et des revenus plus faibles.

Iranian model Elnaz Golrokh (now based in Dubai) maintains a popular fashion and modelling Instagram page with over 800K followers.

Le mannequin iranien Elnaz Golrokh (qui vit désormais à Dubaï) demeure une modèle populaire sur Instagram, dont le compte est suivi par plus de 800 000 abonnés.

OM: Avec l’émergence et la grande popularité d’Instagram, de nombreux photographes et mannequins ont commencé à montrer leur travail sur les réseaux sociaux et ont parfois jusqu’à un million de followers. Dans quelle mesure pensez-vous que les médias sociaux contribuent à la renommée de ce type de photographie ?

KS: Social media, and especially Instagram have been absolutely instrumental! I think that’s because Instagram communicates with image-seeking audiences and this brings people closer. Because social media is far-reaching, everyone has access to it and when a photographer uses this tool, through peer influence other colleagues and competitors also move to use that tool, and this is why a large group of Iranian photographers moved to Instagram, for example. Organizations that oversee internet access in Iran then scramble to find mechanisms for controlling these artists. But I believe that social media has catapulted people forward, and even if the censorship organizations are successful in pulling people back, the art of photography has been able to take a few steps forward in gaining new audiences.

KS: Les réseaux sociaux, et en particulier Instagram, ont une énorme influence ! Instagram communique avec un public qui cherche des images, et cela rapproche les gens. Les médias sociaux étant vastes, tout le monde y a accès et lorsqu’un photographe recourt à cet outil, cela incite ses collègues et concurrents à en faire de même, ce qui explique la forte présence des photographes iraniens sur Instagram, entre autres. Les organisations qui surveillent l’accès à Internet en Iran créent des mécanismes visant à contrôler ces artistes. Mais je crois que les médias sociaux poussent les gens à aller de l’avant ; et même si les organismes de censure parviennent à freiner les gens, l’art photographique permet de gagner de nouveaux publics.

Kouroush photographie un mannequin sur un toit de New York. Photo de l'auteur de l'article.

OM: Vous-même, ou les autres photographes, avez-vous déjà essayé de vendre vos photos à des publications hors d’Iran ? Ou vous concentriez-vous uniquement sur le marché local ?

KS: I think if you have professional ambitions, no matter what the profession, you always think about finding the best market and environment for your work. If you were a programmer in South Asia, you would for sure dream about working in Silicon Valley someday. If you were an Iranian soccer player, it is natural that your big dream would be to play in Spain’s La Liga. For me, the dream was to go wherever I could become a better and more experienced photographer. This is why I went to Dubai and now I am in the La Liga of photography in New York! As a photographer inside Iran, you may be able to send your photographs abroad, but the photos would have to be wildlife photography or social photography. The areas in which I was active hardly allowed me to be connected to the professional life outside Iran. This is why I had to move, so that I could strengthen my professional relationship with the international market. The subjects in my photography are people; therefore it is natural for me to want to go somewhere where people have more freedom with their clothes, conduct, and social acts.

KS: Si vous avez des ambitions professionnelles, quelque soit votre métier, vous cherchez toujours le marché et l'environnement les meilleurs pour votre travail. Si vous êtes un programmeur en Asie du Sud, vous rêvez forcément de travailler un jour dans la Silicon Valley. Si vous êtes un joueur de football iranien, votre plus grand rêve est naturellement de jouer au sein de la Liga espagnole. En ce qui me concerne, mon rêve était de me rendre là où je pourrais devenir un meilleur photographe, et où je pourrais gagner en expérience. C’est ainsi que je suis allé à Dubaï, et qu’aujourd’hui je fais partie de la Liga de la photographie à New York ! Lorsque vous êtes photographe en Iran, vous pouvez envoyer vos photos à l’étranger, mais elles devront représenter la faune et la flore, ou être de la photographie sociale. Les domaines dans lesquels je travaillais me permettaient difficilement de me mettre en relation avec la vie professionnelle en-dehors de l’Iran. C’est pourquoi je suis parti, afin de pouvoir renforcer mes liens professionnels avec le marché international. Les gens constituent le sujet de mes photos ; il est donc normal pour moi de vouloir aller là où les gens disposent de davantage de liberté avec leurs vêtements, leur comportement, et leurs actes sociaux.

Kouroush's editorial from inCOVER. Used with permission.

Couverture d'inCOVER réalisée par Kouroush. Utilisée avec autorisation.

OM: Que pouvez-vous faire à New York qui serait interdit en Iran ?

KS: I always considered myself a citizen of the world, not of a particular country. I believe that I have to live where the general public’s values are closer to mine. This does not necessarily mean that where I am is better or worse; it just suits me more. When a large part of my identity is comprised of being a photographer and my desire to illustrate, it’s not at all strange that I would feel more comfortable here professionally and personally. The most important thing for me is that this city’s tempo and dynamics totally match my energy level and every morning when I wake up, I’m in a race with my city, and I love this feeling a lot. Before I forget, of course, I should add that in New York no one investigates and measures the hair and figures of my models with a ruler and a magnifying glass!

KS: Je me suis toujours perçu comme un citoyen du monde, pas d’un pays en particulier. Je crois que j’ai besoin de vivre avec les valeurs qui sont proches des miennes. Cela ne signifie pas que l’endroit où je vis est meilleur ou pire ; il me convient seulement davantage. Quand une grande partie de mon identité est liée au fait d’être photographe et à mon désir d’illustrer les choses, il n’y a rien d’étrange à se sentir mieux ici, tant d’un point de vue professionnel que personnel. La chose la plus importante à mes yeux est que le tempo et la dynamique de la ville correspondent totalement à mon niveau d’énergie ; tous les matins, lorsque je me lève, je suis en compétition avec la ville, et j’adore cette sensation. Avant d’oublier, je voudrais ajouter qu’à New York, personne n’examine ni mesure les cheveux et les silhouettes de mes mannequins avec une règle et une loupe !

OM: Qu’aimeriez-vous accomplir à New York ?

KS: I definitely have some big dreams. I would like to be known as a New York photographer whose work has its own character and signature, and to show my view behind the camera to those in the fashion industry here. I hope next time we meet, my pictures do all the talking!

KS: J’ai de grands rêves. J’aimerais être reconnu à New York comme étant un photographe dont le travail possède sa propre personnalité et sa signature, et je souhaiterais montrer ce qui se cache derrière l’objectif, ici dans l’industrie de la mode. La prochaine fois que nous nous rencontrerons, j’espère que mes photos parleront pour moi !

Le Niger et la communauté médicale internationale rendent un dernier hommage au chirurgien qui réparait les enfants

samedi 31 décembre 2016 à 21:17
Professeur Jean-Marie Servant via Adel Laoufi sur Facebook avec sa permission

Professeur Jean-Marie Servant via Adel Laoufi sur Facebook avec sa permission

Le 29 Décembre 2016, le professeur Jean-Marie Servant, grand spécialiste de chirurgie plastique réparatrice s'est éteint après une longue lutte contre la leucémie. Le professeur Servant était un expert de renommée mondiale dans le domaine de la chirurgie plastique réparatrice. Son action humanitaire en Afrique avec Médecins du Monde était moins connue mais non moins importante. Une cérémonie pour lui rendre hommage aura lieu le jeudi 5 janvier 2017 à 15h30 dans la salle de la Coupole du crématorium du Père-Lachaise.

Le Niger se rappelle du professeur qui réparait les enfants

Les interventions chirurgicales réparatrices sont une problématique de santé publique au Niger.  En effet, les enfants Nigériens sont souvent victimes de complications sanitaires qui ne peuvent être résolues que par la chirurgie plastique:

L’utilisation du feu de bois pour cuisiner dans les foyers nigériens est la cause de nombreux accidents. Les enfants en sont le pus souvent les victimes. L'ONG Sentinelles explique:

Les enfants gravement brûlés sont malheureusement nombreux. Les «cuisines» des familles se composent généralement d’un simple feu de bois, où est posé le chaudron qui va servir de récipient pour préparer le repas familial. Souvent les enfants jouent autour du feu sans surveillance. Un coup de vent, un enfant trop près du feu, le pagne qui s'enflamme

Le Pr. Servant est venu à l’hôpital national de Niamey à maintes reprises pour aider non seulement à soigner ses enfants brûlés mais aussi à former les étudiants en médecine nigériens à la technique de chirurgie réparatrice.  Mais son action humanitaire ne va pas s’arrêter là.

Le Pr. Servant va aussi participer au projet Opération Sourire qui consiste à réparer le visage des enfants soufrant du Noma, une forme de gangrène du visage qui touche principalement les enfants souffrant de malnutrition.

Pr. Servant au Niger via Issa Hamady sur Facebook avec sa permission

Pr. Servant avec une patiente au Niger via Issa Hamady sur Facebook avec sa permission

Dans un interview pour le magazine Pharmaceutiques, le Pr. Servant expliquait en détails l‘ensemble de son action au Niger:

Nous essayons d’opérer essentiellement des enfants souffrant de malformations faciales (le Noma, notamment) pouvant être congénitales (bec de lièvre…) et laissant des séquelles esthétiques et fonctionnelles majeures. Les patients sont triés sur place, soit par des chirurgiens de Niamey. En général, nous recevons les photos via Internet, en France, une semaine avant le début de la mission. Si 80 % de nos interventions concernent des malformations faciales, nous opérons aussi les brûlés et les personnes atteintes de tumeurs. Par ailleurs, nous formons aussi des chirurgiens africains afin qu’ils puissent prendre le relais. Médecins du monde mène des actions au Niger, à Madagascar et au Vietnam. C’est elle qui finance, grâce aux donc, toutes les missions humanitaires de chirurgie réparatrice.  Nous nous rendons à l’hôpital national de Niamey de deux à quatre fois par an. Un chirurgien bien entraîné peut opérer une trentaine de personnes. Lorsque nous sommes deux sur place, nous pouvons en opérer une cinquantaine.

Le chirurgien Nigérien Issa Hamady a été un des élèves du Pr. Servant et a appris à ses côtés à traiter le Noma. Il se rappelle avec émotion de celui qui a été plus qu'un professeur pour lui:

Un grand maître, un père aimant et attentionné pour moi, un homme au cœur énorme nous a quitté.
On ne pourra jamais dire assez les mérites, les prouesses de ce monsieur, son amour pour le travail bien fait.
Les centaines de patients atteints de Noma notamment, dont la vie a radicalement changé grâce à lui, tous ceux à qui il a transmis la fibre de la chirurgie réparatrice n'oublierons jamais.
Que son âme repose en paix

Vibrant hommage de ses proches et ses collègues 

Ses proches et collègues du monde entier se rappellent d'un chirurgien exceptionnel mais surtout d'un homme intègre, libre, dont la générosité n'avait d'égal que sa discrétion. Né en 1947, le Pr. Servant a été chef de service de chirurgie plastique reconstructrice de l’hôpital Saint Louis à Paris de novembre 1995 à octobre 2010. Avant cela, il a été interne des hôpitaux de Paris (dès 1971) puis résident à l’hôpital Showa à Tokyo puis chef de clinique à la faculté de Tokyo.

Le Dr. Adel Laoufi a travaillé à ses côtés en tant que Chef de clinique dans son service à l'Hôpital Saint Louis. Il lui rend hommage:

 2016 a emporté beaucoup d'étoiles . Mais c'est ce 29 décembre que j'apprends ce qui est pour moi la plus triste disparition.  Difficile de décrire en quelques lignes ces heures passées ensemble au bloc opératoire. Je garde l'image de cette patiente de 80 ans , “inopérable” que nous avions opérés ensemble, en urgence , à cette même période de l'année , entre Noël et le jour de l'An d'une tumeur complexe et étendue de la face , avec reconstruction complète de la paupière . Des heures de travail complexe et minutieux où il m'a guidé et qui ont permis à cette patiente de profiter des années de plus de ses enfants et petits enfants. Jean Marie avait cette attitude paternelle qui faisait de lui un homme touchant et attachant , en même temps qu'il inspirait un immense respect par son génie chirurgical. J'ai eu la chance de le revoir il y a quelques mois avec mes amis et collègues Gregory Staub et Christelle Santini , autour d'un café , où il nous évoquait sa passion pour l'Art Africain.

Le Dr. Bachir Athmani aussi partage son témoignage

Jean Marie tu étais un homme de bien
• Un homme droit et juste, mais non raide et inflexible ; tu savais te plier mais pas te courber.
• Tu aimais les hommes et tu savais les connaître.
• grâce à la mémoire de tes élèves tu es rentré dans la longévité

Dans une lettre ouverte, le docteur malgache M. Rakotomalala envoie un dernier adieu à son ami de longue date:

Je pense que tu n'aurais pas aimé ce que je m'apprête à faire. Parler de toi, te rendre hommage, dire que je suis déraisonnablement triste, après l'annonce de ta mort que tu m'avais pourtant maintes fois prédite.
Mais je vais le faire quand même  parce que tout au long de nos 20 d'amitié, je n'ai pas toujours fait selon tes  indications.
Comme ce jour où après m'avoir ôté une tumeur qui s'annonçait maligne, tu me vois quitter ton service pour un voyage outre atlantique pour assister à la remise de diplômes de mes enfants.Le projet était fou, mais j'étais libre, de prendre ce risque inconsidéré , libre de vivre, libre de mourir.  “Tu fais comme tu veux” m'avais-tu dit. Il n'y avait déjà plus de colère dans ta voix.
En fait, tu respectais dans mon geste, ce qui a dirigé ta vie: le libre arbitre, l'oubli de soi, la passion des autres. Et la force monstrueuse d'en supporter les conséquences.
Les longues missions de chirurgie réparatrice au Niger après avoir survécu à un pontage coronarien. Participer au baptême de ma petite fille aidé d'une cane, fragilisé par une convalescence incertaine, dans le vacarme et l'euphorie de nos reunions familiales. Venir nous rendre visite après son accident une semaine après, alors que tu pouvais à peine parler ni marcher.
 Il y avait aussi ce coq au vin du bistrot Mazarine, après l'annonce de ta leucémie. Ces cigarettes fumées et ces cafés très serrés, contre toute indication. Je te disais d'arrêter et tu me répondais avec un petit sourire, qui en disait long sur le souci que tu te faisais de ta propre personne.
Lorsque nous nous sommes rencontrés au Niger en 91, tu te disais sursitaire depuis 6 ans. Et d'accident grave en opération miraculeuse, tu nous as donné 20 ans d'une amitié solide comme un roc, réparé avec tes mains d'orfèvre nos corps accidentées et baladé ton cœur immense dans nos vies piteuses et héroïques.
Surdoué, désintéressé, libre. Un géant.
Adieu, mon ami.
Au revoir, Jean-Marie.

Borhane Belkhiria résume en quelques mots le souvenir qu'il laisse auprès de son entourage:  “Les hommes de génie sont des météores destinés à brûler pour éclairer leur siècle.”

En Inde, les femmes souhaitent rompre avec une tradition séculaire qui leur interdit l'accès aux temples

samedi 31 décembre 2016 à 15:45
Screenshot from video

« Les discriminations basées sur le genre sont devenues une tradition en Inde ». Capture d'écran tirée de la vidéo.

Pour de nombreuses religions du monde, les femmes sont historiquement considérées comme rituellement impures à cause des menstruations et des croyances qui les entourent. C'est pourquoi, depuis des siècles, il est interdit aux femmes de pénétrer sur certains sites religieux. En Inde, des femmes contestent et font évoluer ces traditions séculaires qui restreignent leurs droits.

Depuis 400 ans, aucune femme n'est autorisée à se rendre dans le temple de Shanu Shingnapur, situé dans le district d'Ahmednagar, dans l'état du Maharashtra. Le 28 novembre 2015, une femme a pénétré dans une partie du sanctuaire appelée « plateforme sacrée » pour y prier. Furieux, les villageois de Shingnapur ont tous fermé boutique durant une journée. Sept agents de surveillance ont été renvoyés, la sécurité a été renforcée grâce à l'installation de plusieurs caméras, et il a été signifié à tous les fidèles du temple de redoubler de vigilance afin d'empêcher que d'autres femmes n'accèdent au lieu sacré.

Suite à cet incident, des activistes de la brigade Bhumata Mahila, créée et menée par l'activiste indienne Trupti Desai, ont tenté de pénétrer dans le temple de Shingnapur, dont l'accès leur a été refusé. L'affaire a pris de l'ampleur et a fini par être portée devant le tribunal de grande instance de Bombay le 1er avril, qui a tranché :

Those who prevent women from entering the places of worship should be arrested….they face six months jail under the Act.

Quiconque empêche les femmes d'accéder aux lieux de prière sera arrêté et s'expose à une peine de six mois de prison.

Le 8 avril 2016, le temple Shani Shingnapur a donc cessé d'interdire son accès aux femmes. Néanmoins, de nombreux temples en Inde continuent d'appliquer cette interdiction.

Le temple Maskoba par exemple, situé dans le village de Veer du district de Pune, dans l'état du Maharashtra, refuse toujours l'accès de son sanctuaire le plus sacré aux femmes, malgré le jugement rendu par le tribunal. La correspondante locale de Video Volunteers Rohini Pawar a décidé d'agir.

Rohini, athée et militante des droits des femmes convaincue, s'est emparée de l'affaire. Elle a commencé par s'entretenir avec les femmes des communautés locales concernées par l'interdiction, avant de rencontrer les responsables du temple.

Dans la vidéo, Rohini s'interroge : « Nous sommes censées jouir des mêmes droits et libertés, alors pourquoi de telles restrictions faites aux femmes ? »

Après avoir échangé avec les femmes de la communauté, elle a réalisé que ces dernières n'avaient jamais protesté contre cette pratique, de peur de subir des représailles pour avoir enfreint des pratiques traditionnelles.

Avec l'aide d'une ONG locale, Rohini a lancé une pétition destinée aux autorités en charge de la gestion du temple de Maskoba.

Les responsables du temple ont reçu la pétition et, après de longues discussions, ont finalement autorisé les femmes à se rendre dans le sanctuaire qui leur était jusque là interdit. Le 13 avril, des femmes de Veer ont donc rompu avec la tradition pour la première fois et sont entrées dans le temple.

A l'image des temples hindous de Shani Shingnapur ou Sabarimala, certains lieux sacrés de l'islam sont également traditionnellement interdits aux femmes. C'est le cas de la mosquée Haji Ali Dargah, à Bombay. Le 24 octobre dernier, après une longue bataille juridique pour réclamer un accès égal aux hommes et aux femmes au saint des saints de la mosquée, la Cour suprême indienne a rendu un jugement favorable aux femmes. C'est ainsi qu'en novembre, un groupe de femmes activistes a pu se rendre dans la Dargah pour la première fois.

Bonne nouvelle ! Les femmes devraient avoir le droit d'accéder à n'importe quel lieu de culte en Inde – qu'il s'agisse d'une dargah ou d'un temple. #DroitDePrière

India Today : Après l'ouverture de la mosquée Haji Ali aux femmes, le temple Padmanabhaswamy assouplit son code vestimentaire

Ces décisions de justice font désormais jurisprudence en faveur de celles et ceux qui se battent pour mettre fin à la discrimination des genres dans les sites religieux. Sur le terrain, les activistes telles que Rohini continuent de lutter pour le changement.

Cependant, comme le démontre ce tweet, le chemin est encore long :

Le tribunal de grande instance de l'état le plus éduqué d'Inde ordonne aux femmes de s'habiller selon la volonté des prêtres du temple

Video Volunteers est une organisation internationale primée, centrée sur les médias communautaires et basée en Inde. Cet article est reproduit sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le culte des déesses-mères du Vietnam reconnu par l'UNESCO

samedi 31 décembre 2016 à 14:40
Practitioner Kim Chi performs a lên đồng ritual for her temple delegation on a boat at the Điện Hòn Chén festival. Loa / Jenny Lý

La praticienne Kim Chi effectuant le rituel du lên đồng pour les fidèles de son temple lors du festival de Điện Hòn Chén. Loa / Jenny Lý

Cet article de Jenny Lý a été publié sur Loa, un site d'informations indépendant qui diffuse des reportages sur le Vietnam en podcast. Il est reproduit sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Les pratiques liées à la croyance en les déesses-mères au Vietnam a été inscrit par l’UNESCO sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

L'agence onusienne a rendu l'inscription officielle lors de la onzième session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel qui s'est tenue à Addis-Abeba, en Éthiopie, du 28 novembre au 2 décembre 2016.

Cette nouvelle a occasionné de nombreuses célébrations au Vietnam, en particulier parmi les communautés pratiquant le culte des ancêtres ainsi que chez les universitaires qui luttaient depuis des années pour la reconnaissance de l'UNESCO. Le Vietnam avait soumis son dossier pour la reconnaissance des « pratiques liées à la croyance viet en les déesses-mères des Trois mondes » en 2015, mais il n'a été admis qu'à la fin de cette année.

Le culte des déesses-mères fait partie intégrante de l'héritage culturel du Vietnam et témoigne des besoins spirituels des Vietnamiens, qui vénèrent leurs ancêtres afin de s'assurer une vie prospère. Cette croyance passe par la piété et la dévotion envers la figure maternelle, qui renvoie au système matriarcal du Vietnam d'autrefois.

L'UNESCO estime que cette croyance est « au fondement des relations sociales et lie les membres des communautés participantes ». Le culte des déesses-mères contribue également « à valoriser les femmes ainsi que leur rôle dans la société ».

Temple delegation worship at a temple in Huế during the Điện Hòn Chén festival in August 2016. Loa / Jenny Lý

Célébration liturgique dans un temple de Huế lors du festival de Điện Hòn Chén en août 2016. Loa / Jenny Lý

Les déesses-mères des Trois mondes sont des divinités issues du monde céleste, du monde de l’eau et du monde des montagnes et des forêts. Elles ont été associées à des personnages historiques comme à des figures mythiques.

L'une des pratiques-clé du culte des déesses-mères est le lên đồng, un rituel lors duquel la praticienne entre en transe, vêtue du costume d'une divinité, et danse en l'honneur des déesses-mères. Ces rituels sont pratiqués quotidiennement lors de cérémonies locales, mais également lors de grands festivals et de pèlerinages tout au long de l'année.

Le Vietnam compte dix autres pratiques traditionnelles inscrites sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité reconnue par l'UNESCO, dont les rituels et jeux de tir à la corde (2015), le culte des rois Hùng à Phú Thọ (2012) et les chants populaires Quan Họ de Bắc Ninh (2009).

Pour en apprendre davantage sur le culte des déesses-mères, écoutez le podcast ci-dessous [en anglais] :