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Pourquoi les pays de la Caraïbe hésitent à reconnaître Guaidó président du Venezuela

vendredi 25 janvier 2019 à 21:58

Carte de l'Amérique centrale et de la Caraïbe. Domaine public via Wikimedia Commons.

Le 10 janvier 2019, jour de l'investiture à la présidence du Venezuela de Nicolas Maduro pour un second mandat, le Conseil permanent de l’Organisation des États américains (OEA), a adopté lors d'une réunion au Pérou une résolution déclarant l'élection de Maduro illégitime et appelant à des sanctions.

Le vote sur cette résolution divisa les États-membres caribéens anglophones de l'OEA, avec cinq États pour (Bahamas, Jamaïque, Sainte-Lucie, Guyana et Haïti) ; trois contre (Saint Vincent-et-Grenadines, Dominique et Suriname) ; et cinq abstentions (St Kitts-et-Nevis, Trinité-et-Tobago, Antigua-et-Barbuda, Barbade et Belize).

Plusieurs de ces États n'en dépêchèrent pas moins des représentants à l'investiture de Maduro. St-Kitts-et-Nevis était représenté par son premier ministre, et Trinité-et-Tobago, Antigua-et-Barbuda et le Suriname envoyèrent des ministres de premier rang.

La non-ingérence dans les affaires d’États souverains est un principe essentiel du traité de Chaguaramas, le texte fondateur de la Communauté caribéenne (CARICOM), une position réaffirmée en mars 2018 par les 15 membres du CARICOM, avec le rejet de toute idée d'intervention étrangère dans les affaires du Venezuela lors d'une réunion entre-sessions en Haïti.

Mais depuis que le leader de l'opposition Juan Guaidó s'est autoproclamé hier président par intérim du Venezuela, reconnu par les États-Unis, le Royaume-uni, le Canada et la plupart des pays d'Amérique latine, les États pourraient devoir se positionner.

Frontières et détroits resserrés

Au moment de l'écriture de cet article, seuls deux pays de la Caraïbe anglophone ont émis des déclarations sur le sujet, et il se trouve que ce sont ceux qui ont le plus d'intérêts en jeu : le Guyana, et Trinité-et-Tobago.

Le ministère des Affaires étrangères du Guyana, l'un des deux pays-membres du CARICOM situés sur le continent sud-américain, a publié une déclaration en termes prudents le 24 janvier vers midi (UTC-4) sur Facebook, disant que le gouvernement du Guyana est :

“…gravely concerned at the deepening of the political crisis in the Bolivarian Republic of Venezuela and supports calls made at both the regional and international levels for immediate dialogue involving all political and social actors, with a view to the preservation of the democratic process and a return to normalcy.”

“…profondément inquiet de l'approfondissement de la crise politique dans la République bolivarienne du Venezuela, et soutient les appels lancés au niveau tant régional qu'international à un dialogue immédiat impliquant tous les acteurs politiques et sociaux, en vue de la préservation du processus démocratique et d'un retour à la normale.”

Le Guyana a des raisons d'être “gravement inquiet”. Ce pays partage avec le Venezuela une frontière dont la délimitation est contestée depuis plus d'un siècle : la portion de territoire revendiquée par le Venezuela représente presque 40 pour cent de la superficie du Guyana, et les enchères ont encore monté depuis la découverte de pétrole au large des côtes du Guyana. En décembre 2018, la marine vénézuélienne a intercepté un navire d'Exxon-Mobil se livrant à un travail d'exploration dans l'espace maritime du Guyana.

Écrivant sur Facebook ce jour, le journaliste guyanais Orin Gordon a dit de cette décision qu'elle était une “réponse raisonnable et solide”, ajoutant que :

The Rowley govt is getting heat from some quarters in [Trinidad and Tobago] for not recognising Guaido as president (interim or not), but Guyana is also stopping short of that explosive move. There's way too much machismo and bellicosity around this issue. Many of the countries giving implied support to regime change don't share a border (or narrow straits) with a country that could unravel socially, even more than it has recently.

Le gouvernement Rowley se fait allumer par certains à [Trinité-et-Tobago] parce qu'il n'a pas reconnu Guaido comme président (par intérim ou non), mais le Guyana s'est arrêté avant cette décision explosive. Il y a beaucoup trop de machisme et de bellicisme autour de cette affaire. Beaucoup des pays donnant un soutien implicite au changement de régime ne partagent pas de frontière (ou de détroits resserrés) avec un pays dont la société pourrait se défaire, encore plus qu'elle ne l'a fait ces derniers temps.

Le “détroit resserré” dont parle Gordon, ce sont les 11 kilomètres de mer qui séparent l'île de Trinité de la côte vénézuélienne. Les deux pays ont de profonds liens historiques, et les Vénézuéliens font depuis des décennies des va-et-vient entre Trinité et leur pays.

La silhouette du Venezuela vue de Macqueripe Bay sur la côte nord de Trinité. PHOTO: Georgia Popplewell. (CC BY SA)

Les pêcheurs trinidadiens ont eu maille à partir avec la célèbre Garde civile vénézuélienne à propos de violations de territoire maritime, et depuis les dix dernières années, Trinité reçoit un afflux croissant de Vénézuéliens fuyant la détérioration de la situation économique et politique dans leur pays, dont beaucoup arrivent illégalement, et pour certains, demandent officiellement l'asile. L'estimation officielle du nombre de Vénézuéliens vivant à Trinité avoisine 60.000, soit plus de 4 pour cent de la population.

Les deux pays ont aussi d'étroits liens économiques. En août 2018, le premier ministre [trinidadien] Keith Rowley a signé un accord de fourniture de gaz naturel par le Venezuela, et les critiques trouvent que l'hésitation de Trinité-et-Tobago à considérer les Vénézuéliens entrant dans le pays comme des réfugiés revient à flatter Maduro.

Lors d'une conférence de presse le 23 janvier, Stuart Young, le ministre trinidadien de la Sécurité nationale, a déclaré que Trinité-et-Tobago était prêt à offrir son assistance ou sa médiation dans la situation vénézuélienne, mais ne soutenait ni ne condamnait Guaidó. Selon le quotidien local d'information Newsday, Young “a insisté que la politique étrangère du pays reste de non-intervention dans les affaires des pays souverains.”

Les journaux de l'île ont rapporté qu'un groupe de Vénézuéliens vivant à Trinité se sont assemblés hier devant l'ambassade vénézuélienne à Port of Spain pour exprimer leur soutien à Guaidó.

“Ceux d'entre nous qui côtoient…”

De nombreux autres pays de la Caraïbe anglophone jouissent de relations étroites et positives avec le Venezuela. Malgré ses propres douleurs, le pays sud-américain a été généreux dans ses aides après les ouragans, et plusieurs pays de la Caraïbe ont bénéficié d'accords pétroliers à taux d'intérêt réduits grâce à PetroCaribe, l'alliance énergétique créée par le président vénézuélien disparu Hugo Chavéz.

Comme le notait hier le journaliste Orin Gordon :

The tide would seem to be against Maduro. But what you get when you endorse regime change, is civil war. If the regional powers break Venezuela, guess who picks up the pieces? Neighbouring countries, that's who. Maduro is a dictator, in power through a fraudulent election. That does not make this a good move for those of us who rub shoulders [with] that country.

La vague semblerait être contre Maduro. Mais ce qu'on a quand on appuie un changement de régime, c'est la guerre civile. Si les puissances régionales brisent le Venezuela, devinez qui ramassera les morceaux ? Ce sont les pays voisins. Maduro est un dictateur, au pouvoir par une élection frauduleuse. Cela n'en fait pas une bonne décision pour ceux d'entre nous qui côtoient ce pays.

Une radio locale russe annule une interview avec des militants LGBT en raison de menaces reçues par la rédactrice en chef

vendredi 25 janvier 2019 à 16:08

Des militants protestent à Madrid contre les violations des droits des LGBT en  Russie // gaelx, CC BY-SA 2.0

Écho de Moscou à Iaroslavl, une filiale locale d’‘Echo de Moscou, le plus ancien réseau de radio indépendant de Russie, a annulé une interview avec des militants LGBT après avoir reçu des menaces homophobes ; la rédactrice en chef de la station, Lyudmila Shabuyeva, a déclaré dans un post sur Facebook :

Вчера поступили угрозы в адрес наших сегодняшних гостей и нас, если мы проведем эфир на тему ЛГБТ.

Я отменяю эфир.

Hier nous avons reçu des menaces visant nos invités et nous-mêmes si notre émission consacrée aux LGBT avait lieu.
J'annule l'émission.

Selon le journal indépendant Novaïa Gazeta, l'émission avec les militants LGBT de Iaroslavl devait être diffusée tôt dans la matinée du mercredi 23 janvier. Les mêmes militants avaient récemment occupé la place principale de la ville pour protester contre la persécution des membres de la communauté gay en Russie, notamment en République tchétchène. La radio les avait invités pour les interroger au sujet de leur mobilisation et de leur vécu en tant qu'individus ouvertement gay dans la Russie provinciale.

La première annonce de l'émission par Shabuyeva a suscité un torrent d'injures homophobes dans les commentaires, y compris de la part de certains responsables locaux, mais cela ne l'a pas découragée, a-t-elle confié à Novaïa Gazeta. Cependant, tard dans la nuit, la veille de l'émission, explique Shabuyeva, un inconnu l'a appelée sur son téléphone avec un numéro masqué et lui a dit que si elle mettait en œuvre le programme prévu, ses invités seraient accueillis devant le studio avec des battes de baseball. Elle pourrait elle-même rencontrer des problèmes, a menacé la voix anonyme. Craignant pour la sécurité de ses invités, Shabuyeva a annulé l'interview et l'a remplacée par un autre programme.

L'occupation de la place principale s'inscrivait dans le cadre d'une campagne nationale #saveLGBTinRussia visant à faire prendre conscience de la persécution brutale dont sont victimes les gays en République de Tchétchénie. Des occupations similaires et des rassemblements avaient été organisés dans d'autres villes russes.

La statue de la Mère-patrie Patrie exhorte ses enfants (les citoyens) à combattre xénophobie et répressions dans la Russie d'aujourd'hui. Ne restez pas indifférents à son appel !
[La pancarte dit : LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE RUSSE N'A PAS PU TROUVER DE GAYS EN TCHÉTCHÉNIE. IL Y EN A : DANS LES PRISONS ET LES TOMBES. #SAVELGBTINRUSSIA HOMOPHOBIA=FASCISM]

En avril 2017, Novaïa Gazeta a rapporté que les autorités de Tchétchénie, une république musulmane du sud de la Russie en proie à des troubles et dirigée par l'ancien seigneur de guerre Ramzan Kadyrov, menaient une campagne brutale de répression contre sa population LGBT. Il a été récemment rapporté que la “purge” s'était intensifiée, avec au moins deux morts et des détentions illégales par dizaines.

La minorité chrétienne du Yémen peine à survivre face aux attaques récurrentes

jeudi 24 janvier 2019 à 17:18

“Galilée” à Sanaa, au Yémen. Photo utilisée avec sa permission.

(Article d'origine publié le 17 janvier 2019)

Au Yémen, bien loin des feux de l'actualité, la minorité chrétienne du pays peine à survivre à des attaques en pleine augmentation.

Les lieux de cultes ont été détruits. En 2015, il y a eu 3 attaques contre des institutions chrétiennes à Aden, une ville portuaire du sud, selon Human Rights Watch.

En 2016, toujours à Aden, un prêtre indien a été kidnappé puis torturé pendant une attaque contre un bâtiment des Missionnaires de la Charité, provoquant la mort de 4 religieuses. Le tireur, vraisemblablement membre de l'État Islamique (EI), a écrit sur les murs : « Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu. Mahomet est le messager de Dieu. État Islamique. Dieu maudit les chrétiens et les juifs ».

À force de faire face à ces difficultés, de nombreux chrétiens du Yémen sont réduits à pratiquer leur religion clandestinement.

« Galilée » (un pseudonyme) approche la trentaine. Il est devenu athée pendant quelques mois avant de se convertir au christianisme il y a 3 ans, il est convaincu que son choix met sa vie en danger au quotidien.

Il fait partie des 41 000 Yéménites chrétiens estimés du pays, bien qu'il croie que le nombre réel est d'approximativement 70 000. Au milieu de la guerre actuelle, il décrit les risques religieux auxquels il fait face :

It would cost them less than a dollar to kill me. It may happen at any time. They killed my friends; can you imagine what it’s like getting killed for praying? For being peaceful? You think it is scary? My friends were not afraid. I may die at any time but I am not afraid. The Lord is my rock, my fortress and my deliverer.

Ça leur coûterait moins d'un dollar pour me tuer. Cela peut arriver à tout moment. Ils ont tué mes amis ; pouvez-vous imaginer se faire tuer pparce qu'on prie ? Parce qu'on est  pacifique ? Vous pensez que cela fait peur ? Mes amis n'avaient pas peur. Je peux mourir à tout moment mais je n'ai pas peur. Le Seigneur est mon roc, ma forteresse et mon sauveur.

Les chrétiens du Yémen sont persécutés pour leur foi. En effet, quitter l'islam est vu comme une trahison et peut être punissable de mort, d'où le fait de cacher leur foi. Même leurs parents ne sont pas tenus au courant :

Many [Yemeni] had to flee but many are converting and getting baptized. Christianity in Yemen is growing despite the risks we have to face. They are seeing the truth in the bible, there’s some sort of spiritual catharsis they feel. And the violence they’re facing is making them seek peace. They found peace in the bible.

Beaucoup [de Yéménites] ont dû fuir mais beaucoup se convertissent et se font baptiser. Le christianisme au Yémen grandit malgré les risques auxquelles nous devons faire face. Ils voient la vérité dans la Bible, ils ressentent une sorte de catharsis spirituelle. Et la violence qu'ils affrontent leur fait rechercher la paix. Paix qu'ils ont trouvée dans la Bible.

Ceux qui appartiennent à une communauté chrétienne prient souvent dans des appartements vides et suppriment leurs conversations en ligne :

We keep on changing our location. We don’t want them to notice our regular meetings underground. Christians in Yemen dream of praying in a church. Christian women dream of wearing a necklace with a cross. I want to get the cross tattooed on my chest. It is an act of revolt that my soul needs. But I am aware it is a suicidal act. I can’t even like posts about Christianity on social media.

On change continuellement de localisation. Nous ne voulons pas qu'ils remarquent nos réunions clandestines ordinaires. Les chrétiens du Yémen rêvent de prier dans une église. Les femmes chrétiennes rêvent de porter un collier avec une croix. Je veux avoir la croix tatouée sur ma poitrine. C'est un acte de révolte que mon âme réclame. Mais je suis conscient que c'est suicidaire. Je ne peux même pas aimer des articles parlant de christianisme sur les réseaux sociaux.

Il confirme qu'il n'a pas peur de la mort mais peur de quitter sa communauté :

Death doesn’t scare me, but leaving Christians who need me does. They need my support, I have a mission here.

Je ne suis pas effrayé par la mort, mais par l'idée de quitter les chrétiens ayant besoin de moi. Ils ont besoin de mon soutien, j'ai une mission ici.

« Galilée » croit que les actes parlent plus fort que les mots, ce qui l'a amené à se faire arrêter à Sanaa, où il réside. A Noël 2017, il sort habillé en saint Nicolas et donne aux enfants de la nourriture et des jouets. Arrêté par les houthistes, il sera torturé pendant des jours.

They humiliated me. They beat me nonstop for 4 days. When I convinced them that I am not Christian, that I was just helping kids; they let me go.

Ils m'ont humilié. Ils m'ont battu sans arrêt pendant 4 jours. Lorsque je les ai convaincus que je ne suis pas chrétien, que j'aidais juste les enfants, ils m'ont laissé partir.

Les forces pro-gouvernementales sont installées au sud dans la ville portuaire d'Aden, tandis que les provinces clés des Houthis sont au nord, incluant Sanaa, la capitale du Yémen. Al-Qaïda et l'État Islamique s'y sont également étendus à la faveur de la lutte à multiples facettes pour le pouvoir des zones régionales, locales et internationales.

Malgré la torture, « Galilée » n'a aucun regret. Il croit que les chrétiens sont devenus doublement vulnérables pendant le conflit opposant les rebelles houthis et les forces gouvernementales yéménites soutenues par les interventions militaires de la coalition saoudienne.

We need help, I don’t know how or who should help us. We’re dealing with militias, not a government, which makes it harder for us to find a solution. I am glad you’re helping me get my voice heard; I’m tired of living in the shadows. The media shows Yemenis starving but what we crave the most is freedom of speech, freedom of religion. Food is for the body but freedom is for the soul.

Nous avons besoin d'aide, je ne sais pas comment ou qui doit nous aider. On traite avec des milices, pas un gouvernement, ce qui complique la recherche d'une solution. Je suis content que vous m'aidiez à faire entendre ma voix ; je suis fatigué de vivre dans l'ombre. Les médias montrent les Yéménites affamés mais ce qu'on désire le plus est la liberté d'expression, la liberté de religion. La nourriture est pour le corps tandis que la liberté est pour l'âme.

« Galilée » a eu des difficultés à parvenir au Liban mais arriva finalement en novembre 2018, où il réalisa enfin son rêve de prier dans une église, sans avoir peur.

Cependant il ne voulait pas rester au Liban trop longtemps, maintenant que sa communauté au Yémen a besoin de lui.

Lorsqu'il retourna à Sanaa, les Houthis, qui contrôlent la région, sont entrés en contact avec lui. Il a essayé de fuir pour trouver refuge chez sa mère, à Al-Hodeïda. Quand il lui a avoué sa foi, elle a refusé de le recevoir. ‘Galilée’ a dû retourner à Sanaa, où il fut arrêté.

Pendant la rédaction de cet article, « Galilée » est resté injoignable pendant quelques temps. On a appris par la suite qu'il a passé une vingtaine de jours en prison avant d'être libéré, le 9 janvier 2019. Il nous avouera avoir été torturé, physiquement et psychologiquement.

« Galilée » vit maintenant caché, pensant qu'ils le laissent en liberté pour traquer sa communauté. Son nom est connu des Houthis, s'échapper de la région qu'ils contrôlent sera difficile. Il déclare avoir besoin du soutien public et diplomatique pour sortir du Yémen le plus vite possible, sa vie pouvant s'arrêter à tout moment.

‘Personne ne sait ce qui va suivre’ : les Vénézuéliens dans la rue défient Maduro comme jamais encore

jeudi 24 janvier 2019 à 13:29

Juan Guaidó, le président de l'Assemblée nationale, prête serment comme président effectif du Venezuela lors d'une manifestation à Caracas le 23 janvier 2019. Photo : Efecto Cucuyo, utilisation autorisée.

Tous les 23 janvier, le Venezuela commémore le jour anniversaire du coup d’État qui mit fin en 1958 à la dictature militaire de Marcos Pérez Jiménez, dans ce qui est communément appelé “le retour à la démocratie”. Soixante-et-un an plus tard, des milliers de Vénézuéliens opposés au gouvernement de Nicolás Maduro sont dans la rue avec l'espoir que le vent va souffler dans la même direction.

Au moment où nous écrivons cet article [le 23 janvier], les gens se rassemblaient en grand nombre dans les principales villes comme Maracaibo, Barquisimeto et la capitale Caracas, de même que dans les villes moins grandes. Les rassemblements ont été appelés par Juan Guaidó, le nouveau président de l'Assemblée nationale sous contrôle de l'opposition, qui a désavoué publiquement au début de ce mois la légitimité de Maduro et proposé d’invoquer un article de la constitution de 1999 permettant d'instaurer un gouvernement de transition avec Guaidó pour président.

Intervenant devant une manifestation à Caracas dans l'après-midi, Guaidó s'est investi lui-même président par intérim du Venezuela. Sans tarder, le président des États-Unis Donald Trump a publiquement reconnu Guaidó comme le dirigeant légitime du pays, suivi par la plupart des gouvernements de la région — comme le Canada, l'Argentine, le Brésil et l’Équateur — ainsi que l’Organisation des États américains (avec l'exception notable du Mexique et de la Bolivie).

La veille, 22 janvier, le vice-président des États-Unis Mike Pence publiait sur Twitter et Facebook une vidéo sous-titrée en espagnol dans laquelle il s'adressait directement au peuple vénézuélien, qualifiant Maduro de “dictateur sans légitimité pour gouverner.” Maduro a riposté en rompant les relations diplomatiques avec les USA.

#23janv TDes milliers de citoyens marchent en ce moment contre Nicolás Maduro au Venezuela. Ceci est une image de l'avenue Francisco de Miranda, à Chacao [un quartier de Caracas]. #LeVenezuelaCrieLiberté

Les événements d'aujourd'hui représentent probablement le défi le plus ardu jamais affronté par Nicolás Maduro, dont la popularité a rétréci à vive allure ces dernières années face à l'effondrement économique, aux pénuries alimentaires et à l'envolée des violences urbaines dans le pays. La dernière fois que de telles manifestations de masse ont menacé son gouvernement, c'était en 2017, après qu'il eut annulé en pratique les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Maduro survécut à cette révolte, qui laissa 163 morts dans un laps de plusieurs mois, et s'engagea par la suite dans un second mandat de six ans le 10 janvier 2018, dans la foulée d'une élection anticipée internationalement condamnée à laquelle les partis d'opposition avaient été interdits de participer.

Lire notre dossier spécial “Que se passe-t-il au Venezuela ?”

Depuis le début de ce mois, les dirigeants de l'opposition organisaient de petites manifestations dans différentes parties de Caracas, y compris dans les bastions traditionnels du chavisme. Le 22 janvier, un petit escadron de la Garde nationale bolivarienne s'est déclaré en rébellion contre le gouvernement. L'armée a rapidement réussi à étouffer la mutinerie, mais pour l'opposition, la tentative a été une étincelle d'espoir, car l'armée est un acteur crucial de la politique vénézuélienne et indéniablement la colonne vertébrale du pouvoir de Maduro.

Quatre personnes ont déjà été tuées dans les manifestations d'aujourd'hui, selon le site d'information indépendant Efecto Cucuyo. Les policiers ont riposté avec des lacrymogènes et des balles de caoutchouc dans les quartiers de Caracas, selon les reportages de Caroata Digital, un autre média indépendant, et Provea, une organisation locale de défense des droits.

Le moment où les effectifs de la Police nationale ont tiré sur les gens sur l'avenue Francisco de Miranda à Chacao [Caracas]

Les chars de la Police nationale bolivarienne assurent la répression à El Rosal [Caracas] Au moins 30 grenades lacrymogènes ont été lancées en visant les corps des manifestants dans les 20 dernières minutes.

Espacio Público rapporte également la répression à Caracas :

Les agents de la Garde nationale bolivarienne ont essayé de dérober le téléphone du reporter de NTN24, Luis Gonzalo Pérez, pendant qu'il couvrait l'arrestation d'un manifestant d'El Paraíso. Les fonctionnaires ont menacé d'arrêter plusieurs journalistes.

Pendant ce temps, les techniciens de NetBlocks ont signalé de grosses interruptions du trafic internet :

Confirmé : coupures majeures de l'Internet au Venezuela pendant les manifestations : YouTube, recherches sur Google et médias sociaux largement mis hors-ligne

Les partisans du pouvoir ont organisé des manifestations beaucoup plus modestes dans certaines parties du pays, tandis que certains sont allés sur les réseaux sociaux avec des mots-clics comme “Les rues appartiennent au chavisme” (#LasCallesSonDelChavismo). Mais les deux côtés ont utilisé des mots-clics pris à des passages de l'hymne national du Venezuela : “Crions avec brio” (#GritemosConBrío); “A bas les chaînes” (#AbajoCadenas).

Marco Teruggi, un sociologue qui travaille avec la télévision d’État Telesur, a tweeté que :

Les USA ont donné l'ordre à Guaidó de s'autoproclamer président et c'est ce qu'il a fait. Ils ont ouvert les portes à un scénario qu'ils vont approfondir avec de hauts niveaux de violence, et ils se diront innocents et démocrates. #CrionsAvecBrio

L'issue des manifestations reste inconnue. Si l'opposition a sans doute reçu son vote de confiance le plus significatif des chefs d’État du monde depuis l'élection de l'Assemblée nationale en 2015, l'armée n'a donné que très peu de signes de rupture avec Maduro.

Écrivant sur le site d'information indépendant Caracas Chronicles, le politologue renommé Francisco Toro saisit le sentiment autant d'espoir que d'incertitude partagé par de nombreux Vénézuéliens, à l'intérieur comme à l’extérieur :

Venezuela has lived through so many calamities in the last few years, we always tend to fall into the trap of thinking it can’t get any worse. It can get much, much worse. A civil war would obviously invite international intervention, on both sides. A Caribbean Syria, layered on top of a pre-existing food crisis, could make 2018 look like the good-old-days in retrospect.
(…)
The immediate future is enormously murky, and the uncertainty, understandably, drives everybody a little bit crazy. We all rebel against the simple, obvious truth: nobody knows what comes next.
(…)
In 2014, having the security servicespull the plug on the Maduro regime was a fantasy. In 2017, it was a hope. In 2019, it’s the plan.

Le Venezuela a traversé tellement de calamités ces dernières années, que nous sommes toujours enclins à tomber dans le piège de croire que ça ne peut plus être pire. Ça peut devenir encore bien, bien pire. Une guerre civile provoquerait à l'évidence une intervention étrangère, de part et d'autre. Une Syrie des Caraïbes, superposée à la crise alimentaire préexistante, pourrait donner rétrospectivement à 2018 des airs de bon vieux temps.
(…)
L'avenir immédiat est immensément trouble, et l'incertitude, c'est compréhensible, rend tout le monde un peu fou. Nous nous rebellons tous contre la vérité simple et évidente : nul ne sait ce qui va suivre.
(…)
En 2014, que les services de sécurité puissent débrancher le régime Maduro était un fantasme. En 2017, c'était une espérance. En 2019, c'est le projet.

Sur les médias sociaux, beaucoup ont relevé la signification de la date d'aujourd'hui. La vidéo ci-dessous reproduit un extrait du discours prononcé par Romulo Betancourt, le président alors rentré d'exil après la chute de Jiménez le 23 janvier 1958, et qui allait présider le pays de 1959 à 1964. Dans son discours, Betancourt appelait à l'unité nationale et à la défense de la démocratie.

Ceci est un message de la génération de 1958 à celle de 2019 à propos d'une journée qu'elles ont en commun : le 23 janvier. Partagez [cette vidéo].

Les résultats des référendums de Taïwan ont pu être influencés par une opinion mal informée

mercredi 23 janvier 2019 à 21:21

Même quand Pékin a proclamé que le consensus de 1992 comporte l'unification avec Taïwan sur la base de “un pays, deux systèmes”, le maire KMT nouvellement élu de Kaohsiung Han Guo-yu a souligné la nécessité de maintenir le consensus. Arrêt sur image.

Le 24 novembre 2018, Taïwan a conclu ses élections intermédiaires et référendums multiples par des résultats favorables au parti Kuomingtang (KMT, dans l'opposition), qui a obtenu une majorité de sièges dans les municipalités et comtés, au détriment du Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir.

Les référendums consistaient en 10 questions touchant aux droits des LGBTQ et au mariage pour tous, au choix entre “Taïwan” ou “Taipei chinois” dans les événements sportifs internationaux, au développement de l'électricité nucléaire, ainsi qu'un large éventail d'autres sujets allant des droits humains aux relations avec la Chine.

Les résultats des référendums ont déçu les militants LGBTQ et anti-nucléaires, convaincus que l'opinion a été induite en erreur par de la désinformation. Au même moment, plusieurs études et sondages d'après élections ont indiqué que de nombreux Taïwanais ont pu se prononcer sans connaissances de base des sujets en jeu. Une idée fausse du “consensus de 1992″ et de la situation en matière de fourniture d'électricité à Taïwan constituent deux exemples typiques de la façon dont le public a effectué des choix mal informés.

Le consensus de 1992

En 1992, le Kuomintang (KMT), le parti au pouvoir à l'époque, et la République populaire de Chine (RPC) eurent une rencontre qu'on a appelée plus tard le consensus de 1992. Le KMT a décrit les effets du consensus de 1992 comme étant ‘Une Chine, avec des représentations différentes’. Selon le KMT, Taïwan peut représenter la République de Chine (ROC), et la Chine [continentale] peut représenter la République populaire de Chine (PRC). Pour faire court, un sentiment répandu que la formulation est suffisamment vague pour que les deux côtés puissent y lire ce que chacun veut.

Pendant la campagne des élections de mi-mandat, Han Kuo-yu, le candidat du KMT à la mairie de Kaoshiung, a réaffirmé la ligne de son parti et exprimé dans les débats son soutien au consensus de1992. A la fin, il a remporté son enchère pour ravir une place-forte du territoire du DPP. D'où beaucoup ont tiré la conclusion que ceux qui ont voté pour Han et d'autres candidats KMT n'ont rien contre le consensus de 1992. Certains commentateurs ont même interprété les résultats de l'élection comme une victoire pour la Chine.

Mais quand Han a déclaré aux médias immédiatement après sa victoire qu'il allait faire respecter le consensus et instituer un groupe de travail bilatéral pour reconstruire les relations avec la Chine, ses propos ont aussitôt déclenché un pic de recherches pour l'expression “consensus de 1992″ sur Google dans Taïwan — amenant beaucoup à penser que l'opinion taïwanaise n'avait pas été attentive au texte et à ses dispositions.

Recherche Google pour ‘le consensus de 1992′ après l'élection. En rouge : Le jour des élections – Le maire nouvellement élu déclare qu'il soutient le consensus de 1992. Données : Google Trends.

Comme pour le référendum du Brexit, les tendances Google ont montré des modèles de recherche similaires. L'interprétation des internautes taïwanais de la courbe des recherches est cohérente avec nombre de sondages post-élection, dont le plus récent date de début janvier. Les résultats de ce dernier font ressortir que 55,5% des sondés ne savaient pas ce que signifiait le consensus, et près de 44,4% des participants pensaient que le consensus était en réalité la reconnaissance de la Chine et de Taïwan comme des entités distinctes.

Au même moment, le discours du Nouvel An 2019 du Président chinois Xi Jinping sur les relations de l'autre côté du détroit avec Taïwan ont remis les points sur les “i” : pour lui, le consensus de 1992 implique l’unification avec Taïwan sur la base de “Un pays, deux systèmes” sous la conduite de la République populaire de Chine. L'affirmation de Xi a été un coup de semonce pour de nombreux Taïwanais originellement persuadés que le consensus signifiait que Taïwan resterait un État autonome.

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, du parti DPP, a décidé de dénoncer l'ambiguïté du consensus peu après son élection en 2016. Le KMT dans l'opposition lui a reproché la tension dans les relations avec Pékin qui a suspendu le contact diplomatique avec Taïwan, imposé des sanctions économiques, forcé les autres pays à couper les liens avec Taïwan et renforcé sa présence militaire dans le détroit de Taïwan peu après la prise de position de la présidente.

Les sanctions infligées par Pékin ont créé un sentiment croissant d'anxiété et d'insécurité à Taïwan, permettant au KMT dans l'opposition d'utiliser avec succès la désinformation pour inciter des Taïwanais induits en erreur à voter contre le parti au pouvoir.

Référendum en faveur du nucléaire

Le résultat positif du référendum sur la levée des restrictions légales à l'utilisation de l'électricité nucléaire au-delà de 2025 est un autre exemple du vote des Taïwanais sans connaissance de base des enjeux.

Après l'adoption par référendum, le Risk Society and Policy Center (Centre d'étude de la société et politique du risque) a rendu public un sondage d'opinion réalisé quatre mois auparvant. Les résultats du sondage reflétait les idées fausses des Taïwanais sur le mix énergétique du pays. Les centrales nucléaires ne produisaient que 8% de l'électricité de Taïwan en 2017, alors que 44% des sondés pensaient que les centrales nucléaires étaient les premiers fournisseurs d'électricité du pays.

Hikoyoshi Lu a partagé les résultats de ce sondage sur sa page Facebook et commenté:

台灣竟然有近44%的人對核電是無知的
這是非常驚人的數字,
如果我們有這麼多國民,連核電占比都不清楚
我們如何期待他們能做出正確的公投決定?

44% des Taïwanais ont une idée fausse de l'énergie nucléaire. Le nombre est choquant. Si autant de citoyens n'ont aucune idée de la proportion d'électricité générée par les centrales nucléaires, comment attendre d'eux qu'ils prennent la bonne décision lorsqu'ils votent au référendum correspondant ?

Le parti Social-démocrate taïwanais a aussi exprimé ses inquiétudes :

這是一項相當嚴肅的警訊!除了讓我們理解到,未來若要舉辦重大議題公投,各項資訊應更加充分透明外,也應嚴厲批判刻意混淆視聽、意圖使人在不了解公投訴求情況下投票的各式倡議。

Ceci est un avertissement très sérieux ! Nous savons maintenant que nous devons rendre l'information plus complète et plus transparente lorsque nous tenons des référendums sur des sujets importants. De plus, il nous faut critiquer les arguments intentionnellement produits pour embrouiller et fourvoyer les électeurs afin qu'ils votent sans vraiment comprendre les questions posées.

Le phénomène des choix mal informés des citoyens dans les démocraties est un défi mondial. Gouvernements et médias ont la responsabilité d'aider les citoyens à recevoir une information exacte. Mais, sans participation des citoyen.nes pour combattre la mobilisation de l'ignorance, ils resteront des récepteurs passifs de l'information.