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Pourquoi les femmes journalistes font-elles grève en Espagne ?

samedi 17 mars 2018 à 18:42

Photo du cortège partagée publiquement par la journaliste Elisa Piñeiro, utilisation autorisée. Sur la banderole : “Journalistes en grève.”

Quelque 8.000 femmes journalistes d'Espagne, dont l'auteur du présent article, ont récemment signé un manifeste titré “Journalistes en grève”, qui a été lu pendant la “Grève féministe” du 8 mars dans une dizaine de villes espagnoles.

Pas plus le manifeste que la grève n'avaient été initiés par un syndicat, un parti politique ou une source médiatique, comme c'est généralement le cas. Pour la première fois, des animatrices d'émissions télévisées et de radio, et des présentatrices d'informations ont fermé leur micro dans le studio et sont allées donner de la voix dans les rues.

#Journalistes[Femmes]EnGrève

Beaucoup, beaucoup de femmes travaillent dans les informations parlementaires. Il y a ici quelques-unes des #JournalistesFemmes en grève contre la discrimination.

Madrid 18:20 JournalistesFemmesEnGrève #JournéeDesFemmes

Pourquoi ont-elles fait grève ?

Tout d'abord, parler de changement ne se traduit pas toujours en actes. Selon une étude publiée dans El profesional de la información, les hommes détiennent les trois quarts des postes de direction et les deux tiers des postes de rédacteurs-en-chef. Dans l'ensemble, 75 % des cadres supérieurs en Espagne sont des hommes.

Ensuite, les écarts de salaires persistent sur le terrain. 85 % des journalistes gagnant moins de 1.000 euros sont des femmes.

Tweet : #GrèveFéministe #8Mars #FemmesJournalistesEnGrève

Texte sur la pancarte : Nous sommes les petites-filles des femmes qui n'étaient pas autorisées à écrire.

Au-delà des revendications économiques, un autre point-clé du manifeste était le harcèlement au travail, dans le sillage des mouvements protestataires comme #MeToo et #TimeIsUp [#LeTempsEstEcoulé]. Les femmes journalistes sont exposées à un risque supplémentaire : au harcèlement par les supérieurs et collègues, s'ajoute celui possible par les sources. De plus, beaucoup de publications espagnoles ont une culture de condescendance et de paternalisme, ainsi que d'autres types de micro-agressions.

Tweet de Francisco Marhuenda : Cette grève est un peu mesquine. Beaucoup de femmes qui n'ont jamais eu de problème grave dans leur vie. Je n'ai jamais vu une publication discriminer parce qu'on est un homme ou une femme.

Tweet de Noelia Ramírez : Bonjour, Paco : Rappelle-toi quand tu m'as convoquée pour un entretien d'embauche (sans contrat) et demandé s’ j'avais un petit ami, et ajouté qu'on ne pouvait pas tomber enceinte au journal La Razón parce que “ici, ce n'est pas comme à TV3” ? C'est ça, la discrimination. Aujourd'hui les journalistes sont en grève pour que ça n'arrive plus. Salutations !

Enfin, les journalistes ont manifesté contre les biais dans la couverture de l'actualité. Segments d'opinion et talk shows sont dominés par le masculin. Selon le Global Media Monitoring Project, 91 % des spécialistes et 82 % des porte-paroles des médias sont des hommes.

Tweet : #JournalistesFemmesEnGrève

Sur la pancarte : Je peux parler de politique et d'économie – pas besoin de m'expliquer !

 “Il nous fallait juste une étincelle pour sortir dans la rue et revendiquer.”

Le mouvement s'est développé grâce à un groupe sur le service de messagerie instantanée Telegram, qui, dans les jours précédant la grève, a facilité les discussions sur la mobilisation ainsi que l'organisation de la campagne en ligne du manifeste. Il s'est aussi donné pour tâche de vérifier les nouveaux membres du groupe lui-même, car l'un en particulier, destiné à recevoir des vidéos, était envahi de trolls qui ont tenté (sans succès) de saper la manifestation.

Plusieurs organisatrices de la manifestation ont parlé à Global Voices des caractéristiques définissant ce mouvement et des éléments qui ont contribué à son succès. Nous leur avons aussi demandé ce qui en faisait le côté unique : pourquoi le temps est venu de sortir dans les rues lutter pour ces revendications ?

Lucía Gómez – Lobato: Las periodistas nos hemos conseguido organizar por primera vez, con lo que ello supone de arrastre de medios de comunicación de todos los colores. La repercusión inevitable ha conseguido doblegar incluso a políticos y con todo, la sociedad entera ha reaccionado. Efecto contagio y efecto bola de nieve, mucho.

Lucía Gómez – Lobato: Nous femmes journalistes avons réussi pour la première fois à [nous] organiser, avec ce que cela suppose de ralentissement des médias de toutes couleurs. La répercussion inévitable a même fait plier les politiques, et la société entière a réagi. Largement contagion et effet boule de neige.

María José Romero: Solo hemos necesitado una chispa para salir a la calle a reivindicar. Los asesinatos del año pasado, la manada (el caso de la violación en grupo a una joven), el #metoo, el goteo continuo de actitudes machistas… Todo ha llenado el vaso de nuestra paciencia y en el caso de las periodistas sólo ha bastado que unas pocas iniciaran el movimiento para acabar todas metiéndonos de lleno, porque nuestras desigualdades son las mismas.

María José Romero: Nous n'avons eu besoin que d'une étincelle pour sortir dans la rue et revendiquer. Les meurtres de l'année passée, la meute (l'affaire du viol en bande d'une fillette), #metoo, le goutte-à-goutte continu d'attitudes machistes… Tout cela a fait déborder le vase de notre patience, et dans le cas des journalistes il a suffi que quelques-unes initient le mouvement pour que toutes s'y impliquent à fond, parce que nos inégalités sont les mêmes.

Rocío Ibarra Arias: Uff creo que ha sido la chispa, como en otras ocasiones. Bajo mi punto de vista, creo que hoy ha sido el resultado de un cúmulo de injusticias y la necesidad de decir a una de ellas básica: ¡BASTA YA! Pero no sé, creo que también hay una parte de necesidad de la gente de salir a la calle y mediante la unión demostrar que tenemos fuerza y tenemos el poder de cambiar las cosas. Y creo que las Periodistas Paramos ha sido un impulso.

Rocío Ibarra Arias: Je crois que ça a été l'étincelle, comme en d'autres occasions  De mon point de vue, je crois qu'aujourd'hui a été le résultat d'une accumulation d'injustices et de la nécessité de dire à une injustice de base : ÇA SUFFIT! Mais je ne sais pas, je crois qu'il y a aussi une part de besoin de sortir dans la rue et démontrer par l'union que la force est de notre côté et que nous avons le pouvoir de changer les choses. Et je crois que les Journalistes En Grève sont une impulsion.

Ana de la Pena: Desde mi punto de vista, nosotras cubrimos la actualidad y aquí este [año] se han difundido más los casos de violencia machista. También hemos ido quitando la etiqueta “tabú” durante estos meses, tocando estos temas una y otra vez.

Ana de la Pena: De mon point de vue, nous couvrons l'actualité, et cette année les affaires de violences contre les femmes ont été plus nombreuses à être rapportées. Nous avons aussi éliminé l'étiquette “tabou” ces derniers mois en traitant encore et encore ces sujets.

María Grijelmo: No lo sé, pero en el último año el número de noticias sobre machismo y feminismo ha sido exponencial respecto a años anteriores. Un caldo de cultivo de muchos años de movilización feminista que ha ido calando en los medios y en las calles hasta conseguir vivir lo que hemos vivido hoy. Hemos hecho historia pero el movimiento es eso. Seguir caminando.

María Grijelmo: Je ne sais pas [pourquoi], mais l'année dernière, le nombre d'informations sur le machisme et le féminisme a connu une croissance exponentielle par rapport aux années précédentes. Un bouillon de culture de beaucoup d'années de mobilisations qui a chauffé dans les médias et dans la rue nous a amenées à ce que nous vivons aujourd'hui. Nous avons fait l'histoire mais ça c'est le mouvement. Continuer à avancer.

Mariona Sòria: Creo que el éxito de hoy es que por primera vez se han encontrado la primera generación de mujeres feministas con las que se acaban de incorporar, que ven que la situación que les toca vivir e tan nefasta como la de nuestras madres, precariedad, falta de oportunidades, patriarcado latente.

Mariona Sòria: Je crois que le succès d'aujourd'hui, c'est que pour la première fois les féministes de la première génération s'unissent avec la nouvelle vague, qui voit que la situation où elles vivent est aussi néfaste que celle de nos mères : précarité, absence d'opportunités, patriarcat latent.

Kristina Zorita: La cifra de mujeres asesinadas, la manada, una crisis que ha golpeado más a las mujeres, pueden ser parte de la causa.

Kristina Zorita: Le nombre de femmes assassinées, le viol en bande, la crise économique qui touche plus durement les femmes, peuvent faire partie de la cause.

Claudia Morán: Yo creo que los casos mediáticos de asesinatos machistas como [el de] Diana Quer y el intento de violación en Boiro tuvieron mucho que ver. Este año se mezcló con el movimiento #metoo en EEUU y un presidente diciendo sobre legislar contra la brecha salarial.

Claudia Morán: Je crois que les affaires médiatisées de meurtres de femmes, comme celui de Diana Quer et la tentative de viol à Boiro, ont beaucoup à voir [avec cela]. Cette année ça s'est mêlé au mouvement #metoo en Europe et aux propos du président à propos de lois pour réduire la fracture des salaires.

La crise économique qui a frappé les médias espagnols en 2007-2008 a causé un accroissement spectaculaire du chômage chez les journalistes, et les plus affectées ont été les femmes. Le chômage des femmes dans le journalisme est plus élevé que chez les hommes : précisément 63.8 %, selon les chiffres officiels.

Ce qui n'empêche pas que de plus en plus de femmes étudient le journalisme. Sur dix étudiants dans ce domaine, six sont des femmes, selon le rapport de l'Association de la presse madrilène pour les quatre dernières années.

Les manifestations historiques du 8 mars ouvrent le débat non seulement sur le processus décisionnaire dans les médias en Espagne, mais aussi sur les politiques économiques et sociales dans d'autres segments du marché du travail. Cinquante ans après le slogan féministe “Le privé est politique”, et l'agitation civile de mai 1968 en France, la nouvelle génération de femmes semble comprendre que la cause a toujours besoin d'elles.

Citoyenneté, surveillance et imposition : un récit orwellien

samedi 17 mars 2018 à 17:08

Photographie d'Andrew Neel sur Unsplash.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages ou des documents en anglais.

Nous vivons l'âge d'or de la fiction dystopique, du moins selon les critiques. Nos pages et nos écrans sont remplis de gouvernements tyranniques, d'asservissement technologique et de surveillance sans limite : de sombres fantasmes d'une société dans laquelle l'injustice est toujours plus créative et omniprésente.

C'est un genre très riche en histoires captivantes mais une en particulier, bien qu'à première vue ni glamour ni menaçante, se détache des autres : celle de la fiscalité. Laissez-moi vous la raconter.

Dans cette histoire, vous êtes un immigré. Tout comme un nombre croissant de personnes qui traversent les frontières en quête d'éducation, d'emploi, d'amour, de santé, ou de sécurité, vous quittez votre pays d'origine pour vous installer ailleurs.

Vous trouvez un travail et déclarez consciencieusement vos impôts sur le revenu dans votre pays d'accueil afin de bénéficier des services publics comme les soins médicaux ou les transports publics.

Mais ce n'est pas suffisant. Il s'avère que vous êtes également obligé(e) de déclarer vos impôts sur le revenu dans votre pays d'origine, même si vous n'y résidez pas. Peu importe que vous ayez déjà payé vos impôts dans votre pays d'accueil. Peu importe qu'aucuns de vos revenus ne soient générés dans votre pays d'origine. Peu importe non plus combien vous gagnez ou depuis combien de temps vous résidez à l'étranger.

Certaines dérogations et déductions d'impôts vous permettent d'abaisser le montant que vous devez, mais pour les réclamer, vous devrez remplir des formulaires compliqués. Si vous avez besoin d'aide, les frais du comptable s'ajouteront à la facture finale.

Ce n'est pas fini. Vous travaillez à votre compte dans votre pays d'accueil, vous êtes peut-être gérant d'une PME ou faites partie de cette population croissante d'employés opérant dans une « économie précaire » ? Dans ce cas, la loi stipule que vous devez aussi payer l'impôt sur les emplois indépendants dans votre pays d'origine.

Avec un peu de chance, vous vivez dans l'un des quelques vingt pays ayant signé des traités spéciaux qui vous évitent de subir cette double imposition. Dans le cas contraire, accrochez-vous : pour le restant de votre vie active, 15 % de vos revenus déjà imposés seront prélevés par un pays où vous ne résidez pas pour financer des programmes sociaux dont vous n'avez, partiellement ou intégralement, pas le droit de bénéficier… pour la simple raison que vous n'y habitez pas.

N'abordons pas non plus le fait que votre pays d'origine s'attende à recevoir sa part de tout actif, propriété ou plan de retraite à votre nom dans votre pays d'accueil.

Vous pouvez bien entendu choisir de ne pas déclarer vos impôts dans votre pays d'origine, ce que font beaucoup de personnes. Mais si votre gouvernement le découvre et annonce que vous lui devez plus de 50 000 dollars d'impôts, de pénalités fiscales et d'intérêts, il a le pouvoir de révoquer votre passeport sans audition ni condamnation.

De plus, l'État aime se vanter de disposer des moyens de savoir si vous êtes en infraction.

Sous sa pression, les autres pays du monde recueillent vos données financières sans aucune garantie de traitement ou de stockage sécurisé et les envoient ensuite à votre pays d'origine. Certaines banques exigent que vous remplissiez des formulaires spécifiques pour pouvoir conserver votre statut de client(e), alors que d'autres vous privent entièrement de leurs services car avoir des clients de votre nationalité n'en vaut pas la peine.

En conséquence, des comptes bancaires sont fermés, des prêts sont révoqués, des opportunités d'emploi sont perdues, et les projets de retraite deviennent chimériques. Il devient de plus en plus difficile pour vous et le reste de votre diaspora de mener une vie normale.

Que faire ? Vous pouvez abandonner la vie que vous avez construite et retourner dans le pays dont vous êtes citoyen(ne)… ou bien prendre la décision de renoncer à votre citoyenneté. Pris entre le marteau et l'enclume, un nombre croissant de vos compatriotes font le choix douloureux de renoncer à leur passeport.

Cette tendance ne passe évidemment pas inaperçue, et c'est pourquoi l'État décide d'augmenter les frais administratifs relatifs à l'abandon de citoyenneté de 422 %, le rendant ainsi le plus cher au monde et donc probablement hors de la portée des personnes aux moyens modestes.

En dépit de ces mesures, les demandes d'abandon de citoyenneté se poursuivent. Un gestionnaire de la politique gouvernementale déclare même froidement devant un panel de législateurs que ces ex-citoyens ne constituent pas une grande perte. Il y a de toute façon bien plus de personnes qui se naturalisent et qui sont « bien plus disposées » à payer leurs impôts.

En tant que minorité dispersée, vous et vos concitoyens restez largement ignorés des politiciens de votre pays d'origine. Au cours d'une récente élection, un des partis politiques majeurs fait la promesse de résoudre le problème de l'imposition des expatriés comme vous. En revanche, une fois arrivés au pouvoir, ils font passer une série de réformes modifiant les règles non pas pour les individus mais pour les entreprises, rendant ainsi la tâche des propriétaires de petites et moyennes entreprises (PME) à l'étranger d'autant plus difficile.

Au moins, avec tous vos efforts, votre pays d'origine fera le nécessaire pour vous rapatrier en lieu sûr en cas de guerre ou de catastrophe… n'est-ce pas ? Bien entendu, mais à condition que promettiez de rembourser les coûts de votre évacuation à votre gouvernement, en échange de quoi celui-ci confisquera votre passeport jusqu'à ce que vous preniez les mesures nécessaire pour payer.

Vous voilà donc dans une impasse, contraint(e) dans le pire des cas à payer deux fois vos impôts, et dans le meilleur, à payer un comptable pour justifier que vous ne devriez pas être doublement imposé(e). Votre vie privée n'est pas respectée car vous êtes contraint(e) de céder vos données personnelles sans avoir besoin d'être soupçonné(e) d'avoir fait quoi que ce soit de répréhensible. Votre sécurité financière est également compromise puisque que votre citoyenneté vous réduit à l'état de paria non rentable.

Votre entreprise et vos relations amoureuses en pâtissent car un quelconque lien avec vous pourrait amener un puissant gouvernement à surveiller ceux qui vous sont chers. Vos projets d'avoir des enfants vous donnent à réfléchir car ils hériteront de votre citoyenneté et de votre fardeau fiscal sans même jamais avoir posé le pied dans votre pays d'origine.

Tout ça est le fruit du hasard. Il vous est impossible de choisir vos parents ou votre lieu de naissance, et il s'avère que vous êtes né(e) dans un pays qui tient ses citoyens dans un étau tout en jetant une ombre dominatrice sur l'ensemble du globe.

N'est-ce donc pas digne d'une fiction dystopique ? C'est un récit troublant qui aborde les problématiques de la vie privée, du juste traitement et de la liberté de mouvement, des sujets particulièrement importants dans le monde d'aujourd'hui. Et ce n'est pas fini. Êtes-vous prêt(e) pour la suite ?

Tout ce qui précède est d'ores et déjà une réalité, du moins si vous faites partie des 9 millions de citoyens américains qui vivent en dehors des frontières des États-Unis.

Il n'y a dans le monde que deux pays, dont les États-Unis, qui ont un système fiscal qui ne repose pas sur le lieu de résidence mais sur la citoyenneté. La seconde nation n'est autre que la dictature répressive de l'Érythrée que les États-Unis eux-mêmes ont critiquée pour « les extorsions, menaces de violence, fraudes et autres affaires illicites » servant à soutirer des impôts de sa propre diaspora.

Au cours des dernières années, les États-Unis n'ont fait qu'aggraver la situation en imposant le Foreign Account Tax Compliance Act [FATCA — Loi sur l'observation de l'imposition des comptes étrangers, NdT]. En vertu de cette loi, les autorités américaines ont le pouvoir de récupérer toutes les données financières de ses citoyens, ainsi que des « personnes des États-Unis » (tels que les détenteurs de carte verte) disposant de comptes bancaires à l'étranger, et ce sans mandat. Cette tactique n'est pas différente de celle employée par la NSA, à l'indignation générale, vis-à-vis des enregistrements des courriels et des archives téléphoniques des américains.

Les États-Unis parviennent à collecter la plupart de ces données à coups de menace. Si les institutions financières étrangères refusent de transmettre des renseignements sur leurs clients américains, le gouvernement américain leur impose une retenue financière de 30 % sur leurs transactions aux États-Unis. En réponse à cette pratique, de plus en plus de banques limitent leurs offres de service aux citoyens américains ou leur refusent complètement l'accès aux services bancaires les plus basiques car elles ne tirent aucun avantage à mettre en place des services spécifiques pour une clientèle si marginale.

Le FATCA « part du principe non fondé que les contribuables sont des acteurs malhonnêtes » explique le médiateur de l'Internal Revenue Service [IRS, l'autorité fiscale américaine], plus connu sous le titre de défenseur des contribuables, « et met en œuvre un régime d'exécution draconien qui s'applique à tout le monde. » Êtes-vous un citoyen américain qui réside en Allemagne, qui paye ses impôts en Allemagne et qui dispose d'un compte bancaire local allemand ? En vertu du FATCA, vous êtes coupable de fraude fiscale jusqu'à preuve du contraire.

Si le système fiscal actuel prend la forme d'un récit dystopique pour les expatriés américains, qu'en serait-il d'une utopie ?

Dans cette histoire, vous êtes un immigré. Vous quittez votre pays d'origine pour vous installer ailleurs. Vous ouvrez un compte bancaire et faites usage des services financiers sans discrimination reposant sur votre citoyenneté. Votre droit à la vie privée reste intact. Vous payez vos impôts dans votre pays d'accueil et n'êtes aucunement dans l'obligation de verser des sommes d'argent supplémentaires au gouvernement d'un pays dans lequel vous ne résidez pas.

Dommage que ce ne soit que de la fiction.

Être noir à Tokyo : Un documentaire sur la vie au Japon

vendredi 16 mars 2018 à 22:29
black in japan

Arrêt sur image de Black in Tokyo (vidéo sur YouTube).

Un court métrage de 2017 examine le quotidien des résidents noirs de Tokyo. Réalisé par l’artiste américano-nigérian Amarachi Nwosu, le film suit cinq personnes originaires de l'Afrique de l'Ouest comme des États-Unis, et raconte les différentes difficultés et opportunités culturelles auxquels ils font face en vivant à Tokyo. Les sujets incluent le propriétaire d’un salon de barbier, un artiste, un DJ et un membre de l'U.S. Air Force basé juste en dehors de Tokyo.

Mon premier court métrage “Être noir à Tokyo” vient de sortir sur @thefader via ma plateforme Melanin Unscript ! Regardez ci-dessous

Les personnes interviewées racontent les raisons pour lesquelles elles ont décidé d’habiter à Tokyo, et ce que cela signifie d’être noir au Japon. Le documentaire est la première partie de Melanin Unscripted, le premier d'une série de films de Nwosu, vise à “dévoiler les identités complexes qui ne sont généralement pas représentées dans les médias traditionnels.”

Les Ougandais appellent à la démission du parlementaire qui a tenu des propos en faveur de la violence domestique

vendredi 16 mars 2018 à 18:43

Onesmus Twinamasiko, le député qui a déclaré à la télévision ougandaise “qu'en tant qu'homme, vous avez besoin de discipliner votre femme.” Capture d'écran

Onesmus Twinamasiko, un député du Parlement ougandais, a déclenché des réactions outragées à travers tout le pays en déclarant lors d'un entretien télévisé que les hommes devraient battre leurs femmes.

Twinamasiko était interrogé dans le cadre d'un reportage du réseau télévisé local NTV en réponse à la sévère mise en garde prononcée par le Président Yoweri Museveni, lors de son discours marquant les célébrations de la journée internationale de la femme le 8 mars dernier. Museveni a déclaré lors de son discours qu'un “homme qui bat sa femme est un idiot et un lâche.”

“En tant qu’ homme, vous devez discipliner votre femme … la toucher un peu, la tacler et la battre pour lui faire entendre raison” – Onesmus Twinamasiko, député de Bugangaizi dans l'Est, à la suite des propos du Président Yoweri Museveni qui a déclaré que les hommes battant leurs femmes étaient des lâches et devaient affronter les rigueurs de la loi.

Qu'un législateur comme Onesmus Twinamasiko tienne de tels propos en faveur de la violence domestique est particulièrement contre-productif, d'autant plus que l'Ouganda continue de lutter contre des violences sexistes. Et ce n'est pas la première fois qu'un politicien fait de telles déclarations. En 2013, le ministre de la Jeunesse en poste à l'époque, Ronald Kibuule, déclara que les femmes habillées de façon “indécente” demandaient à être violées, et les hommes condamnés pour le viol de telles femmes devraient être libérés. Plus récemment, en janvier 2018, le département d’ État des États-Unis a demandé à l'ambassadeur ougandais aux Etats-Unis, Dickson Ogwang, de quitter le pays après que celui-ci aurait battu sa femme.

Récemment, une femme journaliste a brisé le silence en avouant être battue par son mari, ce qui a provoqué l'indignation sur les réseaux sociaux. Les histoires de violence domestique sont monnaie courante dans le pays.

Les dernières statistiques de l'ONU font état d'au moins 51% des femmes en Ouganda connaissant “des violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur compagnon au moins une fois dans leur vie.”. Un rapport de police cité l'an dernier dans The Daily Monitor [journal quotidien ougandais à diffusion nationale]  démontrait une hausse du nombre de décès de femmes en raison de violences domestiques, celui-ci passant de 109 en 2010 à 163 en 2016.

Les paroles de Onesmus Twinamasiko sont également surprenantes à la lumière de la loi contre la violence domestique promulguée en 2010 “pour assurer la protection et le secours aux victimes de violences domestiques, et pour punir les auteurs de violences domestiques…” Cette loi a reçu un soutien massif de la part des politiciens du parti au pouvoir tout comme ceux de l'opposition, ainsi que des chefs religieux et de l'ensemble de la société.

Les commentaires en ligne des Ougandais soulignent l'aspect réactionnaire et mal avisé des conceptions de Twinamasiko :

#OnesmusTwinamasikoDoitDémissionner Un idiot au pouvoir qui promeut les violences contre les femmes. Nous devons débarrasser le pouvoir de ces pseudo-politiciens à la mentalité d'hommes des cavernes. Il n'y a pas de place pour eux dans notre société et nous voulons clairement faire comprendre que les femmes méritent le respect.

Les femmes continuent d'être jetables dans ce pays. Encore et encore, votre silence, vos mots et actions, ont prouvé que vous ne vous souciez aucunement de la sécurité et de l'humanité des femmes. Les propos d’ Onsemus Twinamasiko représentent la majeure partie de la société.”

Et beaucoup ont appelé le parlementaire à la démission :

Cette situation sera une épreuve de vérité pour la présidente du Parlement, Rebecca Kadaga, actuellement à New-York pour participer à la 62ème Session de la Commission des Nations Unies sur le statut des femmes. Mme Kadaga a déclaré que le Comité Parlementaire chargé des lois, de la discipline et des privilèges va enquêter sur les propos tenus par Onsemus Twinamasiko et fournira un rapport à la chambre parlementaire.

Une conseillère municipale et célèbre militante des droits de l'homme assassinée en plein centre de Rio de Janeiro

vendredi 16 mars 2018 à 15:09

Marielle Franco s'exprimant lors de la campagne électorale à Rio de Janeiro, Brésil en 2016. Photo: Mídia Ninja / Flickr CC BY-SA 2.0

Moins de deux heures avant son assassinat dans la soirée du 14 mars, la conseillère municipale de Rio de Janeiro, Marielle Franco, s'exprimait lors d'une table ronde de militantes noires sur “les jeunes femmes noires qui font bouger les structures”.

Alors que Marielle Franco quittait les lieux, une voiture s'est arrêtée à côté de la sienne, et neuf coups de feu ont été tirés. Franco et son chauffeur, Anderson Pedro Gomes, ont été tués sur le champ. L'attaché de presse de la conseillère, qui se trouvait à l'arrière, a été touché par des éclats de verre et blessé mais a survécu.

Portant toutes les marques d'une exécution, l'attaque a provoqué une onde de choc à travers le Brésil, y compris sur les médias sociaux. Des manifestations à l'échelle nationale sont prévues pour les deux prochains jours. Plus de 70 000 personnes et organisations ont confirmé leur présence à la manifestation de Rio de Janeiro.

Marielle Franco a été élue avec le Parti socialiste et de la liberté (PSOL) de gauche en 2016 en tant que cinquième conseiller le mieux élu à Rio de Janeiro, la deuxième plus grande ville du Brésil avec une population de plus de six millions d'habitants.

En tant que militante lesbienne jeune et noire, elle a défendu plusieurs segments sous-représentés de la population dans la politique institutionnelle du Brésil et était aimée des activistes à travers le pays.

Souvenir d'une critique et militante acharnée

Marielle Franco est née et a grandi dans la favela de Maré, la plus grande de Rio, où vivent 130 000 personnes. En 2005, son meilleur ami a été tué au cours d'une confrontation entre des policiers et des trafiquants de drogue. Cet épisode l'a poussée à défendre les droits de la personne et à militer contre la violence policière.

Fervente critique de la police meurtrière de Rio, elle avait été nommée en février 2018 principal rapporteur de la commission de l'assemblée municipale brésilienne chargée de surveiller l'intervention militaire en cours à Rio de Janeiro.

L'armée brésilienne a pris le contrôle de la sécurité publique de la ville début février en réponse à la violence des gangs malgré les critiques des organisations non gouvernementales locales et du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.

Elle avait ouvertement critiqué l'intervention de l'armée et l'avait comparée à une opération similaire dans sa favela natale de Maré lors de la Coupe du monde en 2014.

Franco s'exprimait constamment, à la fois sur les podiums et sur ses pages de réseaux sociaux, contre les exécutions extrajudiciaires des habitants pauvres et surtout noirs des favelas de Rio.

Juste cette semaine, elle avait publié une série de messages sur Facebook sur la violence en cours dans la favela Acari :

Cette semaine, deux jeunes hommes ont été tués et jetés dans un trou. Aujourd'hui, la police se promenait dans les rues en menaçant les résidents.

Franco attirait l'attention sur un article rapportant de cinq fusillades dans la favela en une semaine :

Le dernier message de Marielle sur Facebook concernait la violence policière en cours dans la favela Acari. Photo: Capture d'écran / Facebook

Franco dénonçait la police meurtrière du Brésil

La létalité de la police au Brésil est stupéfiante. En 2016, 920 homicides commis par la police ont été recensés à Rio de Janeiro, contre 419 en 2012, selon Amnesty International. Un rapport du Forum de la sécurité publique, une institution de recherche nationale, a dénombré 4 224 meurtres commis par des policiers dans tout le pays en 2016, dont 99% d'hommes et 76% de Noirs. Beaucoup de ces homicides peuvent équivaloir à des exécutions extrajudiciaires, ce qui est qualifié de crime selon le droit international.

Sur les médias sociaux, les organisations, les partis politiques et les profils civils ont utilisé des hashtags demandant une enquête approfondie sur meurtre de Franco.

Le Réseau féministe des juristes a déclaré sur Facebook:

Sua importância política, porém, extrapola as ações diretas de combate às violências sofridas pelas pessoas negras cariocas. Marielle, enquanto mulher negra, representava milhões de mulheres sem voz política no Estado, quebrando o pacto de exclusão das pessoas negras cristalizado pela história de segregação brasileira, mascarada pelo mito da democracia racial.

Son importance politique va au-delà des actions directes visant à combattre la violence subie par les Noirs de Rio. Marielle, en tant que femme noire, représentait des millions de femmes sans voix politique au sein de l'État, brisant un pacte d'exclusion des Noirs cristallisé par l'histoire de la ségrégation au Brésil, masqué par le mythe de la démocratie raciale.

Le bureau brésilien d'Amnesty International a également exigé une enquête :

Il ne devrait y avoir aucun doute sur le contexte, la motivation et la paternité du meurtre de Marielle Franco.

Son parti, le PSOL, a publié une déclaration officielle disant que l'hypothèse d'un “crime politique” ne pouvait être écartée, car “elle venait de dénoncer une action brutale” de la part de la police.

Marielle Franco a grandi au Complex Maré, la plus grande favela de Rio de Janeiro. Photo: Mídia Ninja CC BY-SA 2.0

“Nous ne pouvons pas attendre 10 ans de plus ou penser que je serai là pour 10 autres cas”

Le sociologue et spécialiste de la sécurité publique Luiz Eduardo Soares, un ami proche de Franco, se souvient que cet attentat fait écho à celui contre la juge Patricia Acioli, également tuée dans une fusillade en 2011. Accioli supervisait un certain nombre de dossiers impliquant des groupes paramilitaires (appelés “milices” à Rio).

Quando, meu Deus, quando a população vai despertar e entender que a insegurança pública começa nos segmentos corruptos e brutais das polícias, e que não podemos conviver mais com esse legado macabro da ditadura. Vamos continuar falando em “desvios de conduta individuais”? O que fazer, agora, além de chorar?

Quand, mon Dieu, le peuple se réveillera-t-il et comprendra que l'insécurité publique commence dans les segments les plus corrompus et les plus brutaux des forces de police, et que nous ne pouvons plus vivre avec cet héritage obsédant de la dictature? Allons-nous continuer à parler “de conduites déviantes individuelles” ? Que pouvons-nous faire maintenant, à part pleurer ?

Pendant la table ronde des activistes noirs que Franco avait rejoint quelques heures avant d'être tuée, elle avait déclaré :

Nous avons un mouvement qui pousse pour plus de femmes en politique, à des postes de pouvoir, pour davantage de femmes occupant des postes de décision, parce que c'est le seul moyen d'obtenir des politiques publiques plus qualifiées.

Franco se souvint de deux femmes politiques noires qui étaient venues devant elle, à dix ans d'intervalle l'une de l'autre, exhortant :

Nous ne pouvons pas attendre 10 ans de plus ou penser que je serai là pour encore 10.