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Dans la bataille des ‘Doyennes du monde”, le cas Touti Youssoupova

jeudi 23 avril 2015 à 17:23
Tuti Yusupova - the oldest in the world? Image from RFE/RL. Used under creative commons.

Touti Youssoupova – la doyenne du monde? Image RFE/RL. Utilisation sous license creative commons.

Il ne faut jamais dire du mal des morts, mais les records du monde sont importants.

Un des records du monde des plus importants est sans aucun doute celui de la personne la plus âgée. Ce record est un symbole vital pour l'humanité car il démontre que les gens peuvent mener une vie active beaucoup plus longtemps, grâce aux progrès de la médecine et à une meilleure compréhension de notre environnement.

C'est pourquoi quand l'Ouzbèque Touti Youssoupova, décédée le 1er avril, affirmait qu'elle était plus âgée de 13 ans que l'ancienne doyenne du monde Jeanne Calment, cela mérite une enquête.

Alim Khan, the Last Emir of Bukhara, ruled part of Uzbekistan under the suzerainty of the Russian empire. A 1911 colour photo by pioneer photographer Sergei Prokudin-Gorsky. Wikipedia image.

Ce que Touti a vu : Alim Khan, le dernier émir de Boukhara a gouverné une partie de l'Ouzbékistan se trouvant à l'époque sous suzeraineté russe. Cette photo en couleur de 1911 est l'oeuvre de Sergeï Prokoudin-Gorsky, un des précurseurs de la photographie. La partie de l'Ouzbékistan où vivait Touti Youssoupova  aurait probablement été gouvernée par un autre fief, celui d'Isfandiyar Jourji Bahadour. Image Wikipedia.

De toute évidence, Touti Youssoupova n'est pas une candidate de la dernière heure au titre. Les autorités ouzbèques affirment qu'elle était âgée de 135 ans à sa mort, et cela fait plusieurs années que le pays mène une campagne pour que son nom soit inscrit au livre Guinness des records.

Davron Akhmedov a écrit sur Touti en 2008 sur un blog ouzbek dédié à la science et à la technologie, en reprenant les informations des services de l'administration régionale où vivait Youssoupova:

Самая старая жительница планеты 128-летняя Тути Юсупова проживает на одном из аулов Турткульского района Каракалпакстана, однако она не подвергалась геронтологической экспертизе.

«Тути Юсуповой в этом году исполнилось 128 лет. Она долгое время работала на строительстве местных каналов Шахтаарна и Богён. Местные жители уважают ее такие качества как честность и инициативность, молодежь прислушивается к ее наставлениям», – отметили в районной администрации.

По словам представителя Турткульской районной администрации, в этом году Тути Юсупова указом президента Узбекистана была награждена медалью «Шухрат».

По данным Gerontology Research Group, в настоящее время самым старым человеком в мире является 115-летняя Мария де Жезус из Португалии, которая появилась на свет 10 сентября 1893 года.

The Bolsheviks banned the veil when they consolidated power in the region after World War One.

Une fois leur pouvoir consolidé, les bolchéviks ont interdit le voile dans la région après la Première Guerre Mondiale. Cette photo date d'avant cette période. SDroitshared par  @oldtashkent.

Touti Youssoupova, âgée de 128 ans et doyenne du monde, vit dans un des villages de la région de Tourtkoul du Karakalpakstan. Toutefois elle n'a jamais été soumise à une expertise gérontologique.

“Cette année Touti Youssoupova a fêté ses 128 ans. Elle a longtemps travaillé sur les chantiers de construction des canaux à Shakhtaarna et à Bogёn.
Les résidents respectent ses qualités et apprécient son honnêteté, ses qualités de leader, et les jeunes écoutent ses instructions”, a dit l'un des fonctionnaires de l'administration régionale.

Selon un représentant de l'administration régionale, cette année Touti Youssoupova a été décorée de la médaille Choukhrat par décret présidentiel.

D'après les données du Gerontology Research Group, la doyenne actuelle du monde est Maria de Jesus, une Portugaise âgée de 115 ans née le 10 septembre 1893.

 

Construction of the Great Fergana Canal in 1939. Shared by @oldtashkent.

Ce que Touti à vu : Construction du Grand Canal de Ferghana  en 1939. Ouzbékistan soviétique. Photo @oldtashkent.

Sur le site du Daily Mail l'annonce de la mort de Youssoupova, et le scan de son passeport, ont suscité des doutes sur son âge:

Yv G:

Regardez son passeport de plus près. Ce passeport a été délivré en 1997, ce qui voudrait dire qu'elle avait déjà 117 ans à la date de la photo, ce qui n'est pas possible.

Ken:

S'ils rendaient public tous ses anciens passeports, son cas serait plus crédible. Tout citoyen soviétique est supposé avoir un passeport interne (non-valable pour des voyages à l'extérieur du pays) depuis les années 30, voire même avant.

Universal education under the Soviets. Shared by @oldtashkent.

Education universelle pour Ouzbeks et Russes dans la vallée du Ferghana en Ouzbékistan soviétique. Touti Youssoupova avait-elle vraiment 50 ans quand cette photo a été prise ? SPartagé hared @oldtashkent.

Les commentaires sur les raisons de cette longévité n'ont pas manqué :

Je pense que sa longévité est due au fait qu'elle n'était pas exposée à tous ces produits chimiques qui entrent dans la composition des boissons sous emballage. Elle trouvait ses vitamines dans des produits naturels. J'ai entendu dire un docteur qui parlait d'une étude faite sur les bouteilles d'eau minérale en plastique qui disait que cette eau est plus toxique que celle du robinet. Il faut trouver une solution à ces emballages dangereux de bouteilles en plastique, et à ces tasses en polystyrène utilisées pour les boissons chaudes avec la colle qui fond et qui est si nocive. Vous savez que TOUS LES CANCERS sont dus à un manque de vitamines et de minéraux, le docteur Joel Wallach dit que tout le monde devrait prendre 90 vitamines essentielles chaque jour…

The emergence of the Soviet rail network. Shared via @oldtashkent.

Les débuts du chemin de fer soviétique en Asie centrale.  Droits @oldtashkent.

Sur les sites locaux comme gazeta.uz, les internautes ouzbeksLes internautes ouzbeks sont plus enclins à croire ces informations et expriment leur tristesse à l'annonce de son décès.

Anvar Madaminov:

Жойлари жаннатда бўлсин. Dunyo kurib quysin va ta'm bersin

Qu'elle repose en paix au paradis. Que le monde soit témoin et s'émerveille.

Khousniddin Kamolov:

Илойим жойлари жаннатда булсин. Барчамизга шу ая сингари узок умр куриш насиб килсин. Фарзандлари, якинларига сабр тилайман.

Que Dieu lui réserve une place au paradis. Qu'Il nous bénisse tous d'une vie aussi longue.

Mais même sur ces sites, un certain scepticisme apparaît. Radim Ibragimov écrit:

Газета. уз, что-то я не разберусь. Только сегодня читал в мировых новостях, что скончалась Мисао Окава — старейшая жительница планеты на 118 году. Она жила в Японии. Сегодня же читаю вашу печальную новость про Тути Юсупову. Понимаю, что не к месту, но кто все-таки был старейшим жителем до сегодняшнего дня? Где правда? В мировых СМИ ни слова про Тути Юсупову..

Gazeta.uz, je ne comprends pas. Aujourd'hui je lis les nouvelles de l'étranger selon lesquelles [la Japonaise] Misao Okawa [décedée queleques jours après Youssoupova le 1er avril] était la doyenne du monde à 118 ans. Elle vivait au Japon. Aujourd'hui je lis ces tristes nouvelles sur la mort de Touti Youssoupova. Je suis conscient du fait que ma question est peut-être déplacée, mais qui était la doyenne du monde? Où est la vérité?  Dans les médias internationaux, il n'y a aucune mention de Touti Youssoupova.

Passenger flights in the Soviet Union.

Avion  de ligne en Union soviétique. Photo prise en 1968. Shared by @oldtashkent.

Alors, l'Ouzbékistan est-il injustement privé d'un record du monde qu'il serait capable de détenir pour un certain temps? Voici trois raisons qui semblent répondre par la négative à cette question:

Les pays d'Asie centrale aiment les records 

Une recherche sur Google combinant les termes de “record du monde” et de “Turkménistan”, le voisin occidental de l'Ouzbékistan, aboutit sur “le Turkménistan inscrit au livre des records pour le nombre de bâtiments en marbre blanc”. Ou encore: “le Turkménistan construit la plus haute Grande Roue à l'intérieur d'un bâtiment”; “la plus grande étoile architecturale bat un record mondial au Turkménistan”. Le Tadjikistan, au sud de l'Ouzbékistan, se targuait d'avoir le plus haut poteau porte-drapeau au monde avant d'être éclipsé par l'Arabie Saoudite ; ce pays a aussi construit la plus grande bibliothèque et la plus grande maison de thé d'Asie centrale, tout cela au nom de l'amour du grand.

L'Ouzbékistan prétend à des records plus modestes. En 2012, le pays prétendait détenir le record du monde de l'image la plus grande réalisée avec des lampes à LED, mais le titre de doyenne du monde serait un outil puissant de propagande dans un pays où l'âge confère automatiquement du pouvoir et du respect.

Uzbekistan's independence and the birth of the Uzbek sum currency. Shared via @intashkent.

L'indépendance de l'Ouzbékistan et la naissance de la monnaie, le som ouzbek. Shared via
@intashkent.

L'Ouzbékistan n'est pas toujours fiable

L'Ouzbékistan est un des rares pays post-Soviétiques qui annonce des résultats économiques positifs alors que la crise économique russe se répercute dans toute la région. Une économie de type soviétique, connue pour ses manipulations des résultats officiels, reste en place. Tout récemment, le président Islam Karimov, âgé de 77 ans, a été réélu avec 90% des voix lors d'une élection, avec un taux de participation de 91%, selon les autorités.  L'OSCE a déclaré que cette élection a été marquée par des fraudes importantes. Même si Youssoupova était la doyenne du monde, l'attitude de l'Ouzbékistan par rapport aux statistiques met en doute toute prétention au titre.

Islam Karimov, Uzbekistan's President since 1990. Shared via @KenRoth

Islam Karimov, le président ouzbek depuis 1990. Shared via @KenRoth

 Un vieillissement prématuré ?

Youssoupova a-t-elle vieilli prématurément ? Avait-t-elle une maladie de peau? Comme le gouvernement n'a rendu publique qu'une seule photo de passeport, on ne sait pas. Mais une vie passée au Karakalpakstan, une région symboliquement autonome de l'Ouzbékistan qui est aussi le lieu de la tragédie de la Mer d'Aral, peut avoir cet effet. Dans un environnement aussi hostile, où un habitant de la région a dit à un voyageur que “l'air est gorgé de sel”, c'est déjà un hommage à la santé de Youssoupova qu'elle ait pu atteindre l'âge de la vieillesse.

The near total shrinkage of the Aral Sea. Wikipedia image.

La disparition quasi-totale de la Mer d'Aral, qui borde le Kazakhstan et l'Ouzbékistan, a eu lieu durant la vie de Youssoupova et de toute personne de plus de 60 ans. Les scientifiques attribuent la disparition de la mer à une culture trop intensive du coton en Ouzbékistan. Image Wikipedia.

Pour le moment, le livre Guinness des records n'a pas publié de réactions à l'annonce faite par l'Ouzbékistan, et est probablement peu enclin à enquêter sur le cas d'une personne dont un gouvernement autocratique prétend qu'elle est née trois décennies avant la chute de l'Empire russe, à une époque où les papiers d'identité étaient probablement peu répandus. De même qu'on ne devrait pas reconnaître le titre de Youssoupova sans une enquête digne de ce nom, de même on ne devrait pas le rejeter sans fondements. L'intégrité du record en dépend.

Recenser les journalistes libanais sur Twitter

jeudi 23 avril 2015 à 17:07

Mustapha Hamoui (@Beirutspring) recense actuellement les journalistes libanais présents sur Twitter. Il compile une liste de leur compte Twitter. La liste comprend des journalistes non Libanais qui couvrent ce pays. Vous pouvez accéder au Google Doc ou l'alimenter ici.

Comment des blogueurs, écrivains et activistes nigérians ont écrit un livre en cinq jours

jeudi 23 avril 2015 à 16:35
Writers at work. Photo used with permission.

Blogueurs, écrivains et activistes nigérians à l'oeuvre. Photo de Luis Antonio Delgado, avec sa permission.

Barbara Ruehling, réalisatrice et animatrice de l'atelier Book Sprint, nous parle de son atelier Book Sprint au Nigéria qui a réuni des blogueurs, des écrivains et des activistes nigérians réunis pour écrire un livre en cinq jours.

Ndesanjo Macha (NM): Bonjour Barbara, avant de parler de Book Sprints, pouvez-vous vous présenter?

Barbara Ruehling (BR): Je m'appelle Barbara Ruehling (@antropofilm), je suis anthropologue sociale et réalisatrice, et depuis 2013 je travaille comme animatrice pour Book Sprint.

NM: Qu'est-ce que Book Sprint?

BR: Book Sprint est une méthode pour produire un livre en travail collaboratif en très peu de temps. On réunit un groupe d'experts sur un sujet donné pour écrire un livre en cinq jours maximum. Ensemble, ils développent un concept, écrivent, et produisent un livre sans aucune préparation dans l'écriture. Le groupe est guidé par un animateur qui utilise une méthodologie bien rodée pour les accompagner dans ce processus. Le produit final est un contenu de haute qualité, corrigé et édité, mis en maquette et prêt à être publié sur papier ou sous forme électronique.

NM: Comment êtes-vous devenue membre de ce collectif ?

BR: J'ai suivi une formation d'animatrice Book Sprint avec Adam Hyde qui a développé cette méthode il y a six ans. Au départ, Adam cherchait une méthode amusante et rapide pour produire de la documentation sur des logiciels gratuits à source ouverte. Il a été inondé de demandes, à tel point qu'il ne pouvait plus animer tous les ateliers Book Sprint, du coup, il m'a formée, et plus tard, il a formé d'autres animateurs. Depuis, on a testé la méthode et on a prouvé que la méthode s'applique à d'autres thématiques comme l'histoire de l'art, la sciences, ou la transparence en gouvernance, pour n'en citer que quelques unes. Les genres varient, allant du manuel de logiciel aux guides de gouvernance, de manuels universitaires à des oeuvres de fiction. Notre premier atelier de fiction Book Sprint s'est tenu récemment au Nigéria!

Book Sprints facilitator Barbara Rühling. Photo used with permission.

L'animatrice Book Barbara Rühling. Photo Luis Antonio Delgado, reproduite avec sa permission.

NM: Pouvez-vous nous parler de cette rencontre de huit blogueurs, écrivains et activistes nigérians réunis pour écrire un livre en cinq jours? Qui sont ces écrivains?

BR: Les 8 participants du Book Sprint au Nigéria sont des gens fantastiques, des blogueurs, des écrivains, des satiristes, des commentateurs politiques et des activistes. Ils ont été invité par la fondation Boell Stiftung au Nigéria qui cherchait à mobiliser les jeunes Nigérians pour réfléchir et discuter des prochaines élections nationales de 2015. Au Nigéria, la mode est à la lecture, les blogs et twitter sont en plein boom, et donc un livre semblait être une bonne idée pour toucher les jeunes.

Liste des écrivains:

Rafeeat Aliyu (@cosmicyoruba) – Blogueuse, écrivain fiction et non-fiction, maniaque d'histoire

Elnathan John (@elnathan) – Ecrivain à temps plein.

Yas Niger (@YasNiger) – Blogueur, écrivain.

Pearl Osibu (@Pearlosibu) – Blogueuse, écrivain, designer.

Chioma Agwuegbo (@ChiomaChuka) – Blogueuse, écrivain.

Kalu Aja (@kaluaja) – planificateur financier et coach

Azeenarh Mohammed (@xeenarh) – Illustratrice sonore, passionnée par les problèmes de vie privée, formatrice en sécurité numérique

Fola Lawal (@SheCrownLita) – Editrice

The cover of the book written in Nigeria in 5 days. Image by Barbara Rühling. Used with permission.

La couverture du livre écrit au Nigéria en 5 jours.  Design par Henrik van Leeuwen, avec sa permission.

NM: Comment avez-vous sélectionné les écrivains?

BR: Azeenarh Mohammed (@xeenarh) a choisi le groupe pour cet atelier Book Sprint, d'abord parce que ce sont des écrivains brillants qui ont des idées intéressantes, mais aussi pour garantir un échantillon représentatif au niveau du sexe, de la religion, de l'âge, et des différentes régions. Je pense qu'elle a parfaitement réussi ! En tant qu'animatrice, je donne juste des conseils aux organisateurs sur la méthode pour choisir les participants, sinon je suis neutre par rapport au contenu.

NM: Pourquoi ce choix du Nigéria ?

BR: On a organisé des ateliers Book Sprint dans le monde entier, et je suis vraiment contente de voir que de plus en plus d'ateliers sont organisés en dehors de l'Europe occidentale et de l'Amérique du Nord, dans des pays comme la Colombie, le Burundi, l'Ethiopie et le Nigéria. La fondation Heinrich Boell Stiftung au Nigéria nous a invités pour écrire et publier un livre avant les élections de 2015.

NM: Quel est le thème principal du livre?

BR: Le livre est né d'un besoin d'inspirer les jeunes Nigérians pour qu'ils réfléchissent à l'avenir de leur pays avant et au-delà des élections nationales. Au départ, le titre provisoire du livre était “L'avenir tel que nous le voulons” et l'idée de base était de déterminer une vision commune qui englobe la diversité politique, religieuse et ethnique du pays. D'abord, les écrivains ont écrit une critique politique se juxtaposant à des avenirs alternatifs qu'ils ont ensuite transformés en histoires provocatrices. Ces histoires sont centrées autour d'une ville dotée d'un marché qui pourrait représenter n'importe quelle ville dans le pays, et reste donc non nommée. Nameless [Sans nom] est ainsi devenu le titre du livre.

NM: Pouvez-vous expliquer comment fonctionne la méthodologie Book Sprint?

BR: La méthodologie fonctionne grâce à un haut degré de collaboration avec le soutien d'un animateur, et grâce à une plate-forme d'écriture adaptée à ce genre de travail. Quand on parle de haut degré de collaboration, on veut aussi dire qu'un livre réalisé dans un atelier Book Sprint n'a pas d'auteur individuel. Tout le monde est écrivain, rédacteur et contribue de façon égale. Ainsi on s'assure que tout le monde contribue et est inclus, et au final pratiquement tout le monde a travaillé sur chaque partie du livre. C'est un processus intensif, qui crée un haut niveau de motivation et de confiance à l'intérieur du groupe. La tâche de l'animateur est de susciter un tel environnement.

La thématique du livre est décidée par l'organisateur avant le début de l'atelier, mais en dehors de cela, tout est créé par le groupe pendant les cinq jours. L'animateur guide le groupe pour définir un concept et la structure du livre, en écrivant les différentes parties, en révisant, réécrivant et réadaptant la structure. Une équipe à distance composée d'un illustrateur, d'un coordinateur et d'un correcteur travaillent de façon simultanée avec les écrivains, pour qu'une fois le livre terminé à la fin de la cinquième journée, le livre soit illustré, relu et disponible immédiatement.

NM: Quel est le rôle des réseaux sociaux dans ce projet?

BR: Bien sûr, on aime bien utiliser Twitter (@booksprint) et on blogue sur nos aventures, et de plus en plus, on télécharge les voix des participants sur notre chaîne vimeo. Pour écrire le livre, il est absolument indispensable d'être face à face dans le même espace.

NM: Si j'ai bien compris, vous avez réalisé un film sur l'histoire du livre?

BR: L'histoire du Book Sprint au Nigéria était si fascinante qu'on a fait un documentaire de courte durée avec l'artiste visuel Luis Antonio Delgado. Vous pouvez le visionner ici. Cela fait longtemps que je voulais faire un film qui raconte l'histoire de Book Sprint et l'atelier organisé au Nigéria était l'occasion rêvée car il illustre par son contenu l'essence même de la méthode: réunir des voix différentes pour créer une vision commune. A la veille d'élections, cela représente aussi un sujet d'actualité et essentiel.

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NM: Le livre est-il disponible en ligne?

BR: Le livre est doté d'une licence Creative Commons et il est disponible gratuitement en ligne, sur ce site de la fondation Boell. Les écrivains l'ont aussi téléchargé sur smashwords et sur okadabooks.

NM: Comment ont réagi les réseaux sociaux?

BR: Beaucoup de réactions sur Twitter, les Nigérians sont certainement les utilisateurs Twitter les plus actifs sur mon compte, pas de doute! Une des participantes, Chioma Agwuegbo, a blogué sur son expérience chaque jour pendant la durée de l'atelier Book Sprint.

Tous les autres écrivains ont tweeté sur l'atelier, par exemple Elnathan John a écrit ceci un jour après la fin de l'atelier lors de la publication du livre:

Quand 2 000 exemplaires papier ont été distribué au festival Ake Arts&Books la semaine suivante, le grand écrivain Ayo Sogunro (‏@ayosogunro) a applaudi:

Plus tard, un des participants, xeenarh (@xeenarh), a même créé un sondage en ligne sur le livre.

Vous avez tous lu nameless? SVP veuillez répondre à mon sondage en 2  min :) @sagaysagay @ayosogunro @antropofilm @dirtytinker @aeesher https://t.co/mx1pgYcKLf

Dans une recension du livre, la blogueuse Folakemi Odoaje a écrit:

Ce qui est incroyable à propos de Nameless, c'est que cela démontre que les questions sociales, économiques, religieuses et politiques du Nigéria ne sont pas spécifiques d'une région ou d'une tribu – on souffre tous du même sort et donc notre effort collectif est essentiel (…) J'ai bien aimé ce mélange d'écrivains de Nameless, j'ai tout adoré dans ce livre. Pour ceux qui pensent que nos problèmes sont dus à une région en particulier, les écrivains sont aussi divers que l'est notre pays, voir leurs biographies à la fin du livre.

NM: Où a lieu le prochain Book Sprint?

BR: Le prochain se déroulera à la Bibliothèque nationale des sciences en Californie, et on a déjà une série d'autres ateliers prévus pour cette année. J'espère en faire un en Asie, on en a encore jamais fait dans cette région du monde!

Dans les “prisons ouvertes” finlandaises, les détenus ont les clés

mercredi 22 avril 2015 à 22:31
Jukka Tiihonen served the last few years of his sentence for murder at this open prison on Suomenlinna Island. Credit: Rae Ellen Bichell. Published with PRI's permission

Jukka Tiihonen a purgé les dernières années de sa peine pour meurtre dans une prison ouverte de l'île de Suomenlinna. Crédit: Rae Ellen Bichell. Publié avec l'autorisation de PRI.

Cet article, ainsi que le reportage de Rae Ellen Bichell pour The World, ont à l'origine été publiés sur PRI.org le 15 avril 2015, et sont reproduits ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Pour trouver les détenus de la prison de Kerava, en Finlande, il faut simplement remonter une allée bordée d'arbres et ouvrir la porte d'une serre.

“C'est vraiment reposant d'être ici, dit Hannu Kallio, condamné pour trafic de drogue. Nous avons des lapins.”

Les soixante-dix détenus de cet établissement vont travailler tous les jours dans la serre. Aujourd'hui, ils mettent des jeunes plants en pot en vue d'une importante vente de printemps. Et oui, il y a un enclos à lapins à caresser et avec qui passer du temps. Il y a aussi des moutons.

Mais il n'y a aucune porte, serrure ni uniforme : c'est une prison ouverte. Tous ont postulé pour y être. Ils gagnent environ 7,40 euros de l'heure, ont des téléphones portables, font leurs courses en ville et obtiennent trois jours de vacances tous les deux mois. Ils paient un loyer à la prison. S'ils choisissent d'étudier pour un diplôme universitaire en ville au lieu de travailler, ils reçoivent une subvention. Parfois ils partent en séjour surveillé de camping et pêche.

Ces détenus savent qu'il ne serait pas difficile de s'évader. “Vous pouvez partir si vous voulez, dit Kallio. Mais si vous vous évadez, vous retournez en prison. Vous êtes mieux ici.”

Each spring, hundreds of people come to the Kerava open prison to picnic, pat the animals and buy plants cultivated by inmates.  Credit: Courtesy of Criminal Sanctions Agency, Finland

A chaque printemps, des centaines de gens viennent à la prison ouverte de Kerava pour y pique-niquer, caresser les animaux et acheter les plantes cultivées par les détenus. Crédit: avec l'aimable autorisation de l'Agence pour les sanctions criminelles de Finlande.

En Finlande, il y a des prisons ouvertes depuis les années trente. A cette époque, elles ressemblaient plutôt à des camps de travail. Maintenant, elles sont la dernière étape d'une peine de prison, avant que les détenus ne retournent à une vie normale.

“Il n'y a pas l'idée que nous enfermons les gens pour le restant de leur vie, explique Tapio Lappi-Seppälä, responsable de l'Institut de criminologie de l'université de Helsinki, parce que si c'était le cas, il faudrait vraiment investir et s'assurer qu'il existe une possibilité de réhabilitation.”

Ça n'a pas toujours été ainsi. Il y a quelques dizaines d'années, la Finlande avait l'un des taux d'emprisonnement les plus élevés d'Europe. Puis, dans les années soixante, des chercheurs scandinaves ont commencé à examiner l'efficacité de la punition sur la réduction de la criminalité. Conclusion : cette efficacité est nulle.

“Ce fut la première fois qu'une recherche aussi cruciale eut lieu et qu'elle montra que l'emprisonnement ne sert à rien”, dit Lappi-Seppälä.

Pendant les trente années qui ont suivi, la Finlande remodela sa politique pénale petit à petit. A la fin de cette période de “décarceration,”, la Finlande avait le taux d'emprisonnement le plus bas du continent. Lappi-Seppälä indique que la criminalité n'a pas augmenté en conséquence.

“La leçon finlandaise est qu'il est parfaitement possible de diminuer le recours à l'emprisonnement [de deux tiers], dit-il, sans influencer la courbe de criminalité du pays.”

En revanche, ce qui a fonctionné fut une réintroduction graduelle à la vie normale, comme ce qu'offrent les prisons ouvertes. Environ un tiers des détenus finlandais vivent dans des prisons ouvertes, et selon l'Agence pour les sanctions criminelles de Finlande, ceux-ci sont moins susceptibles d'être à nouveau arrêtés. Le taux de récidive chute d'environ vingt pour cent.

Les prisons ouvertes sont également moins chères. Esa Vesterbacka, responsable de l'Agence pour les sanctions criminelles, explique que le coût par individu diminue d'un tiers en éliminant les besoins en personnel et systèmes de sécurité, ainsi qu'en logeant les détenus dans des dortoirs.  “Ce n'est pas la raison principale pour créer ce type de prison, dit Vesterbacka, mais bien entendu, de nos jours, ce n'est pas plus mal de pouvoir faire moins cher.”

Il y a même une prison ouverte dans l'attraction touristique majeure de Helsinki, l'île de Suomenlinna. L'île est un site classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO et dans lequel les touristes affluent chaque été. Pourtant, seule une clôture jaune sépare la prison d'une zone résidentielle et des musées.

Inmates at the Suomenlinna open prison live in blue dormitory-style housing. A picket fence is all that separates the prison grounds from the rest of the island, a popular tourist destination. Credit: Courtesy of Criminal Sanctions Agency, Finland

Les détenus de la prison ouverte de Suomenlinna vivent dans des dortoirs bleus. Une clôture est tout ce qui sépare la prison du reste de l'île, qui est une destination touristique populaire. Crédit: avec l'aimable autorisation de l'Agence pour les sanctions criminelles de Finlande.

“On ne se rend vraiment pas compte qu'on se promène au milieu d'une prison ouverte, dit Lappi-Seppälä. Personne n'y pense. Mais je ne crois pas que même les touristes américains trouvent cela effrayant.”

Les riverains ont l'air d'être d'accord. La plupart des résidents proches des prisons ouvertes de Kerava et Suomenlinna ont l'air perplexe quand je leur demande s'ils sont inquiets de partager la ville avec des condamnés. Certains me répondent que les prisonniers améliorent la commune en restaurant des sites historiques ou en nettoyant les espaces publics.

Il est tentant de se demander si un tel système pourrait fonctionner dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis, pays qui incarcère le plus de gens au monde. Heather Thompson est professeure d'histoire à la Temple University : elle étudie l'incarcération de masse et les populations carcérales, et explique que c'est difficile à dire car les Etats-Unis n'abordent pas ce sujet.

“Nous en arrivons tout juste à reconnaître que nous incarcérons bien trop de gens. Nous n'avons pas encore eu de débat sur les conditions de détention, sur ce que les gens vivent vraiment en prison, pour qu'ils en sortent comme des êtres humains entiers.”

Quand j'ai discuté avec Hannu Kallio à la prison ouverte de Kerava, il s'apprêtait à déménager pour passer les derniers mois de sa peine chez lui, à travailler dans un centre de recyclage et à vivre avec sa femme, ses filles et son Jack Russel Terrier.

Un de ses camarades de prison, Juha, qui ne veut pas donner son nom de famille, va avoir son premier enfant. Il purge une condamnation à perpétuité mais en Finlande la plupart de celles-ci sont commuées en peines de dix ou quinze ans. “C'est vraiment beaucoup, dit Juha. Je ne sais pas quand je vais sortir. En fait, c'est sa mère qui va l'élever.”

Juha ne sait pas quand il sera capable de rentrer chez lui dans sa nouvelle famille, mais il sait que ce moment arrivera. Et pour quelqu'un qui a commencé avec une condamnation à perpétuité dans une prison de haute sécurité, cela veut dire beaucoup.

Corruption : la nouvelle guerre d’Ukraine ?

mercredi 22 avril 2015 à 17:08
Euromaidan_in_Lviv

L'une des plus grandes manifestations de l'Union pro-européens en dehors de Kiev ont eu lieu au monument Taras Shevchenko à Lviv via Helgi CC-BY-30

Après un conflit meurtrier à l'Est (dont le dénouement n'est toujours pas joué), l'Ukraine continue sa descente aux enfers dans un style plus feutré, mais non moins destructeur. En effet, un règlement de comptes général fait rage depuis le début de l'année 2015, sous couvert d’une chasse à la corruption qui prend souvent les traits d'une lutte sans merci pour le pouvoir. La guerre des oligarques a tous les aspects d'une mauvaise farce qui se joue au détriment d'un peuple ukrainien exsangue.

L'inflexible volonté du « peuple de Maïdan » a été saluée dans tous les pays à l'Ouest de l'Ukraine. Bravant le froid et la sourde répression, les Kiéviens ont obtenu chèrement le départ d'un président Ianoukovitch plus intéressé par le luxe que par le souci de ses concitoyens. Déjà héroïques en 2004 lors de la Révolution Orange, les plus fervents défenseurs de la démocratie sont en passe de vivre une nouvelle déception encore plus cruelle que celle de l'ère Tymoshenko-Iouchtchenko. Etat en voie de décomposition, corruption plus importante que jamais et économie proche du black-out ne laissent rien présager de bon, pour un pays qui n'a déjà que trop souffert depuis son indépendance en 1991.

L'hydre de la corruption

Des premières heures de l'indépendance à aujourd'hui, l'Ukraine a dû affronter le démon de la corruption. Lourd héritage du passé soviétique, incapacité à appréhender l'économie de marché, perte de repères moraux… La corruption s'est nourrie des faiblesses de la société ukrainienne pour en devenir une des composantes principales. Les anticorps de Maïdan ne suffisent visiblement pas et les tentatives isolées qui ont précédé cette page d'Histoire n'ont eu que des effets marginaux malgré toute la bonne volonté des hommes qui ont travaillé à son éradication.

Même sous la présidence du peu fréquentable Viktor Ianoukovitch, certains ont essayé de s’attaquer au monstre de la corruption. Ainsi, le ministre des Revenus Oleksandr Klymenko a fait passer des lois contre ce fléau. Peine perdue. Comme d'autres avant lui, son action sera sanctionnée par ceux qu'il a gênés, la tempête anti-corruption de Maïdan devenant ironiquement le prétexte pour abattre tous les édifices – bons ou mauvais – érigés sous la présidence Ianoukovitch. Obligé d'aller se réfugier en Russie (autre ironie), Klymenko est victime d'une cabale de la part des oligarques qu'il a voulu faire entrer dans le rang. Aujourd'hui, la justice a donné raison à l'ancien ministre, mais l'atmosphère de règlement de comptes a de quoi refroidir les envies de retour.

A quoi joue Porochenko ?

Identifiée depuis bien longtemps comme le problème numéro un d'une société malade, la corruption est depuis plusieurs semaines le nouveau cheval de bataille du président Porochenko. Incapable de gagner une guerre mal engagée contre les pro-Russes, le président et son gouvernement tentent de calmer les esprits en s'attaquant à cette fameuse corruption. Une réussite dans cet âpre combat pourrait presque faire oublier la désintégration des territoires à l'Est du pays. Sauf que les dernières semaines portent un message plutôt négatif dans ce domaine.

En conflit larvé depuis plusieurs mois, Porochenko et l'oligarque Igor Kolomoïski sont désormais en conflit ouvert. Gouverneur de la région de Dnipropetrovsk, frontalière de la région séparatiste prorusse de Donetsk, Kolomoïski est l'homme fort de l'Etat ukrainien dans l'Est du pays. Une force qui s'exprime par la levée d'une armée privée mieux formée et équipée que l'armée régulière et qui combat donc avec une efficacité redoutable contre les pro-Russes. La donne a toutefois changé il a peu, Porochenko obtenant le 24 mars dernier le départ d'un rival devenu encombrant, l’accusant d’utiliser des milices privées pour promouvoir ses intérêts.

La lutte contre la corruption sert ainsi de prétexte parfait pour faire un ménage de printemps. Dans le même ordre d’idée, le 25 mars dernier, les Ukrainiens ont eu la surprise d'assister en direct à la télévision à l'arrestation de deux personnages de l'exécutif. Le directeur du service d'État pour les situations d'urgence, Serguii Botchkovski et son adjoint Vassyl Stoïetski, ont eu la surprise d'être arrêtés par la police en plein Conseil des ministres, alors que les caméras de télévision étaient encore présentes.

Opération de communication préparée avec soin, l'affaire a pour but de montrer à une population de plus en plus mécontente que la lutte contre la corruption est au cœur de l'action gouvernementale. Mais la ficelle est un peu grosse, et derrière les images spectaculaires se cache une guerre plus triviale entre oligarques (Porochenko en est un lui-même). Blasés par ces guéguerres à l'impact économique néfaste, les Ukrainiens n'auront pas forcément la mansuétude de pardonner leurs dirigeants, alors que les conditions de vie plongent dans des abysses sans fond.