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Kazakhstan : rencontre au sommet à Almaty pour quelques blogueurs triés sur le volet

samedi 15 février 2014 à 04:09

Dans le cadre d'une petite célébration pour les 10 ans du réseau social Facebook, le maire de la ville d'Almaty, Akhmetjan Essimov, a rencontré quelques internautes du “KazNet” [l'Internet kazakh], “les meilleurs du pays”, ainsi que les ont intronisés les médias locaux. L'entrevue se déroulait dans un restaurant “cher”, la liste des invités était plutôt réduite, et le choix du format “questions-réponses” de l'entretien, censé apporter quelques lumières aux autorités comme aux simples citoyens, s'avéra assez peu pertinent. A noter que la conversation entre le gouverneur et les internautes “élus” était à suivre sur Twitter sous le hashtag #Есімовсәті [EssimovRéseauxSociaux].

Malgré la bienveillance et les bonnes intentions démontrées par la mairie, par A. Essimov lui-même et les internautes invités qui avaient préparé une longue liste de questions compilée [russe] auprès des utilisateurs les plus assidus des réseaux sociaux, les avis furent partagés. Le groupe dont faisaient partie les “élus” a jugé favorablement le résultat dans un premier bilan qui se voulait objectif. Un second groupe, celui des blogueurs qui n'ont pas été conviés à ce dîner et se sont fait interpeller par la police, juge de manière peu flatteuse tant le maire lui-même que son initiative. Une telle prise de contact entre l'administration et les internautes ne peut qu'aider à déterminer la place des autorités sur la Toile – et à résoudre au passage certains problèmes urgents.

Au nombre des invités, le blogueur Yakov Fiodorov, qui a remporté récemment le titre de « Blogueur de l'année », a abordé [russe] la question de la corruption dans les sphères de l’éducation et de l'administration de la ville :

Я поднял вопрос о коррупции в школьном образовании, который я подробно освещал в своём посте. Аким дал поручение рассмотреть этот вопрос и я надеюсь, что будет уже более детальная встреча с замакима, которая курирует вопросы образования. В любом случае, я надеюсь, что в ближайшем месяце мы сможем получить в свободном доступе схемы микроучастков города, а затем и предлагать рациональное изменение их границ.

Большая часть моих читателей спрашивала о прозрачности градоустройства, снегоочистных работ, уборки мусора, озеленения и т. д. Я спросил касательно того, можно ли выкладывать в открытом доступе все сведения о бюджетах и подрядчиках. Ответ был: “Легко”. Думаю, скоро сможем оценить, насколько легко.

По проблемам смены бордюров, многократного ремонта дорог вопрос задавал Vladislav Evlaman, можете адресовать все вопросы ему, он как раз собирает фактаж, чтобы передать его в акимат.

J'ai soulevé la question de la corruption dans le domaine scolaire, à laquelle j'ai consacré un post [ru] détaillé. Le maire m'a chargé d'examiner cette question et je compte avoir un entretien plus poussé avec le maire adjoint qui s'occupe des questions d'éducation. Quoi qu'il en soit, nous devrions avoir dans les prochains mois librement accès à la carte scolaire de la ville, de façon à proposer des modifications rationnelles.La plupart de mes lecteurs ont des demandes de transparence sur les travaux d'urbanisme, de déneigement, sur l'enlèvement des ordures, l'aménagement des espaces verts. J'ai moi-même demandé si l'on pouvait fournir en libre accès toutes les données relatives au budget et au bâtiment. On m'a répondu : “Rien de plus simple.” Simple, vraiment ? Je pense qu'on le saura vite.Quant aux problèmes de bordures à changer, c'est Vladislav Evlaman qui a soulevé la question des routes fréquemment en travaux ; vous pouvez lui adresser toutes vos demandes, il est justement en train de monter un dossier pour le transmettre au maire.

Un autre blogueur, Vladislav Evlaman, a attiré l'attention [ru] sur les routes, les transports en commun et les infrastructures piétonnes. La liste des questions était relativement longue et se terminait par des recommandations:

Необходимо пересмотреть долгосрочное планирование городской инфраструктуры с выделением приоритетов для пешеходов, велосипедистов, общественного транспорта, личных автомобилей, именно в такой последовательности, т.е. с точностью до наоборот той ситуации, которая есть сейчас.

Перераспределить бюджетные средства в первую очередь на восстановление пешеходной инфраструктуры, во вторую очередь на проектирование и строительство линий LRT и BRT, в третью на создание мест рекреации и отдыха на свежем воздуха (воздухе – С.П.).

Il faut absolument revoir la planification à long terme des infrastructures urbaines en donnant la priorité aux piétons, cyclistes, transports en commun, véhicules particuliers, et ce dans cet ordre précis – soit exactement le contraire de la situation actuelle. Il faut redistribuer les moyens budgétaires : premièrement aux infrastructures piétonnes, deuxièmement à la conception et construction de lignes de tramway et de bus rapides, troisièmement à la création d'espaces de loisir et de repos en plein air.

Les questions de Duman Kapassov, qui dirige la communauté des cyclistes du Kazakhstan, se limitaient [ru] au cadre de ses activités :

Вопрос: Будут ли, в этом году развивать вело инфраструктуру, делать дорожки и парковки.

Ответ: Будем.  Но нужно больше велосипедистов. В этом году с банком будет (будем – С.П.) запускать социальный вело прокат.

Question: Est-il prévu de développer cette année les infrastructures cyclistes, les pistes cyclables et les parkings à vélo ? Réponse : Oui, c'est prévu. Mais il faudrait que le nombre de cyclistes soit en augmentation. Cette année, nous allons lancer avec une banque une système de location de vélos.

Caïrat Nurmunambetov, de son côté, a déjà fourni un article complet à l'”Esquire” local [ru].

Я не езжу по городу на велосипеде. Общественный транспорт избегаю – предпочитаю заказывать такси. Прошлую зиму провел в Астане, поэтому отсутствие снегоуборочных машин меня не успело раздражить. Но я пешеход. Хожу много и часто. По большому счету мне плевать, чистые дороги для автомобилей или нет. Меня больше интересует, почему мои ноги утопают в каше из грязи, пока я жду зеленый свет на светофоре, а коляску с маленьким сыном мне приходится тащить на себе через горы снега. Я назвал это “адом” для пешеходов – аким согласился. “Дороги для автомобилистов мы расчищаем, для пешеходов тоже стараемся. Но многие вопросы упираются в ресурсы. Дороги чистят машины – тротуары приходится чистить людям”.

Je ne me déplace pas en ville à vélo. J'évite les transports en commun – je préfère prendre un taxi. J'ai passé l'hiver dernier [dans la capitale] Astana, c'est pourquoi je n'ai pas eu le temps de souffrir de l'absence ce de chasse-neige. Je suis un piéton. Je marche beaucoup et souvent. Dans une large mesure, la propreté des routes pour automobiles m'indiffère. Je me demande plutôt pourquoi je mets les pieds dans la gadoue ou la crasse quand j'attends que le feu soit vert pour traverser, et traîner la poussette de mon petit garçon à travers des monceaux de neige. J'appelle ça un “enfer” pour piétons, et le maire est bien d'accord : “Nous déblayons les routes pour les automobilistes, et nous essayons de le faire aussi pour les piétons. Mais c'est surtout une question de ressources. Nous avons des machines pour nettoyer les routes – ce sont des gens qu'il faut pour nettoyer les trottoirs.

Quant au commentaire [ru] du célèbre blogueur Ilya Varlamov, venu à Almaty pour la cérémonie de récompense des meilleurs blogueurs nationaux, où il s'exprime de manière assez négative sur le compte de la ville et du pays en général, Essimov, qui en avait pris connaissance, a dit qu’il n'y voyait aucun mal:

Казахстан теперь занимает первое место в моем личном рейтинге самодурства, среди всех 170 посещенных стран (Илья Варламов).

Le Kazakhstan est passé en tête de mon classement personnel des Etats despotiques, sur un total de 170 pays visités. (Ilia Varlamov)

Malheureusement, tout cela ne pouvait pas aller sans quelque scandale. Nurali Aïtlenov, plus quelques personnes du même avis , a tenté [ru] de s'exprimer :

Блогеры, выходите, мы такие же писатели!

Les blogueurs, sortez, nous sommes des auteurs aussi !

Et voici une autre vidéo, postée par l'utilisateur ErnarNur [dans laquelle les blogueurs non invités apostrophent les participants à la réunion et se font interpeller par la police (en russe)]

Un certain Bek Datuly s'est depuis répandu sur le thème des blogueurs vendus dans un post peu amène intitulé “Si je vois Essimov, je lui crache à la figure” (ici en langue kazakhe), (ici en langue russe). La raison en est que le maire n'a invité que des blogueurs russophones, écartant ceux de langue kazakhe.

Казахоязычные блогеры в обиде на главу города за то, что он пригласил на встречу только русскоязычных блогеров. В поиске информации, на тему, что едят и пьют избранные блогеры с акимом, мы наткнулись на сообщения, где Есимов плюнул в лицо не только блогерам, но и всем казахоязычным журналистам. Он заявил, что не читает казахскую прессу, аким Алматы не просто плюнул нам в лицо, он сровнял нас с землей, сказав, практически, что не признает казахские СМИ, они для него, оказывается, не годятся даже в качестве туалетной бумаги.

Les blogueurs kazakhophones sont en colère contre la mairie, qui n'a invité que des russophones. En cherchant des informations sur ce qu'ont pu manger et boire les heureux élus avec le maire, nous sommes tombés sur des posts où Essimov crache à la figure non seulement des blogueurs, mais aussi des journalistes kazakhophones. Il déclare qu'il ne lit pas la presse kazakhe ; le maire d'Almaty ne se contente pas de nous cracher dessus, il nous met plus bas que terre en disant en substance qu'il ne reconnaît pas les médias locaux – en fait, ils ne sont même pas bons à lui servir de papier toilette.

Les tweets les plus intéressants sont réunis sur le portail d'information zakon.kz. ceux qui concernent ce thème sont à rechercher sous les hashtags #есимовжги #блогерывыходите [#AbasEssimov #LesBlogueursSortez]

Bienvenue aux “Hunger Games” de Sotchi 2014

samedi 15 février 2014 à 03:46
Le président Poutine à la cérémonie d'ouverture des Jeux. Image anonyme trouvée en ligne.

Le président Poutine à la cérémonie d'ouverture des Jeux. Légende : “Que commencent les jeux de la faim”.

A peine commençait-on à se lasser des blagues sur les toilettes de Sotchi [en russe] et du mot-clic #SochiProblems [ПроблемыСочи] qu'un autre moyen de se moquer de la Russie a fait son apparition, toujours sur fond de Jeux olympiques : la comparaison entre les Olympiades et la trilogie blockbuster “Hunger Games”.

Ces “Jeux de la faim” mettent en scène un dictateur, le président Snow, à la tête d'une nation opprimée obligeant ses jeunes à participer à un tournoi télévisé dont l'unique survivant sera le vainqueur. Bien sûr, dans la vraie vie, les Olympiades n'ont que peu à voir avec la cruauté de ce tournoi à mort. Ne serait-ce que parce les participants ne s'entretuent pas pour des médailles d'or.

Toutefois, l'idée d'accoler le mot “Jeux” au visage sévère du président Poutine (surtout avec sa réputation d'autocrate) a trouvé un écho dans le cœur des internautes. Elle a donné naissance à une multitude de mèmes représentant Poutine accompagné de citations du président Snow. L'un des plus répandus étant la photo de Poutine légendée ainsi : “Bienvenue et bons Jeux de la faim”:

"Bienvenue et bons Jeux de la faim." Image non signée trouvée en ligne.

Divers détails issus des “Hunger Games” ont fourni la matière à d'autres blagues. On se souvient des vêtements clinquants portés au sein du parti au pouvoir, qui semblent ridiculement frivoles à la classe ouvrière de cette nation de fiction. Une image qui fait le buzz en ce moment sur Twitter montre côte à côte une jeune fille portant la banderole de son pays lors de la cérémonie d'ouverture et un personnage féminin de ces “Hunger Games” récemment sortis sur les écrans, vêtu pareillement d'une robe rétro-futuriste.

Character from the Hunger Games movie, and model carrying Argentina's plaque in the opening ceremony parade. Anonymous image found online.

Personnage du film “Hunger Games” (à gauche) et mannequin portant la banderole de l'Argentine lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques (à droite). Image anonyme trouvée en ligne.

Ces comparaisons humoristiques ne sont pas dénuées d'une signification tout à fait sérieuse – la préparation de Sotchi 2014, pour lesquels auraient été dépensés plus de 40 milliards de dollars, prête le flanc à bien des accusations : corruption [français], conditions de travail atroces et non-paiement des salaires de travailleurs clandestins. L'idée d'une classe inférieure qui vit dans la pauvreté à côté d'un riche “Capitole” peut être vue comme l'allégorie d'une sous-société russe assistant au spectacle des Jeux les plus chers de l'histoire, qui se déroulent sous son nez mais hors de sa portée. Une utilisatrice de Twitter a écrit ceci :

Bah, c'est vrai. C'est la même m… Le peuple a faim et vit dans la misère, pendant que le gouvernement fait la fête.

Un autre twitteur a évité la subtilité pour faire dans l'hyperbole :

Les Jeux de la faim, comme ces Olympiades, sont contrôlés par le pouvoir pour distraire les esclaves et conserver un président éternel – les opposants seront tous supprimés sans pitié !

Toutes les comparaisons ne sont pas aussi négatives, car beaucoup d'internautes font preuve d'humour. Un utilisateur de Twitter fait remarquer avec ironie qu'il serait plus judicieux de remplacer les Jeux olympiques par des jeux de la faim pour fonctionnaires du gouvernement:

On aurait mieux fait d'instaurer à la place des JO des jeux de la faim… entre les députés.

En un sens, ce genre de plaisanterie désinvolte sur les JO fait figure de bouffée d'air frais au milieu de mèmes plus cruels [en anglais]. La Toile russophone semble devenue un méli-mélo confus, entre articles critiques à l'égard de Sotchi et d'autres critiquant ceux qui critiquent [en anglais], mais aussi d'infos véridiques sur les JO, les sportifs et la fierté nationale, pas encore totalement ensevelis sous ce flot de critiques.

La deuxième bibliothèque du Liban sera restaurée grâce à un financement participatif

vendredi 14 février 2014 à 22:03

35.000$+ obtenus par financement collaboratif pour la 2e plus grande bibliothèque du Liban 298 promesses 123.731 Vues 3.281 partages. Capture d'écran de la pétition Zoomaal

Lorsque des inconnus ont incendié sa bibliothèque le 3 janvier, le Père Ibrahim Sarrouj a répliqué en leur pardonnant. Les assaillants, supposés des fondamentalistes musulmans, accusaient le Père Sarrouj d'attaque contre l'Islam avec la publication d'une brochure qui affirmait qu'Abou Bakr, le premier caliphe de l'Islam, avait un jour frappé l'épouse de Mahomet Aïcha avec un journal.

La bibliothèque dont il s'agit est la célèbre Bibliothèque Al-Saeh de Tripoli, la deuxième plus grande du Liban et qui abritait plus de 80.000 livres en tous genres. Bien que la police ait été avertie des menaces adressées au Père Ibrahim Sarrouj par les religieux extrémistes, la bibliothèque a subi d'importants dégâts. On ignore le nombre exact de livres détruits, mais les estimations font état qu'il pourrait atteindre les deux tiers.

L'ironie est que non seulement le Père Sarrouj n'a jamais écrit une telle brochure – sa bibliothèque contenait et contient toujours de nombreux livres islamiques précieux – mais que l'incident supposé n'a pu avoir lieu puisqu'il précéderait de 800 ans l'invention de l'imprimerie. La supposée “accusation” ne peut donc émaner que d'un ignorant de l'histoire. Certes, les anachronismes ne perturbent généralement guère les fondamentalistes religieux.

Ce crime paraît donc gratuit. Le Père Ibrahim Sarrouj est connu pour ses principes humanistes avec son appel à l'unité de Tripoli. Musulmans et chrétiens le considèrent comme l'un des leurs. Il salue chacun d'un As-salamu ‘aleikum (La paix sur vous). Il n'y avait absolument pas la moindre ‘raison', même selon les normes fondamentalistes, de s'en prendre à la bibliothèque.

Comment expliquer ce crime absurde et haineux ? Faut-il y voir une victime de plus de la proverbiale réalité sectaire du Liban ? Ou bien ne pas tenir compte de l'acte de quelques marginaux qui n'ont rien d'autre à faire que d'attaquer le savoir ?

C'est la deuxième option qu'ont choisie les Libanais. Bien sûr, le Liban a unanimement condamné l'incendie volontaire. Tous les principaux représentants religieux ont émis des condamnations et réclamé que les criminels soient traduits en justice. Les Libanais, musulmans et chrétiens, druzes et athées, ont envoyé par milliers leurs soutiens au Père Ibrahim Sarrouj. Chacun a dit “Non.” Mais “Non” n'était pas assez. Quelque chose devait être fait pour restaurer la bibliothèque. D'où l'opération “Kafana Samtan”.

Kafana Samtan, ou “Assez de silence”, a été lancé sur Zoomaal, une plate-forme arabe de financement participatif en ligne, quelques jours seulement après l'attaque. Elle a immédiatement reçu le soutien écrasant d'entreprises et de simples citoyens. En un mois seulement, la campagne a réussi à réunir 35.000 dollars, grâce à 298 donateurs. A quoi sera utilisé de l'argent ? De nouveaux rayonnages, une nouvelle porte d'entrée, repeindre les murs, racheter des livres rares et installer un équipement de sécurité.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La bibliothèque Al-Saeh s'est distinguée en parvenant à réunir les Libanais de toutes sortes. Abstraction faite de la religion ou de la confession, la campagne les a tous rassemblés pour une cause à l'évidence non sectaire. Ça n'était pas un scénario des chrétiens contre les musulmans contre d'autres chrétiens contre d'autres musulmans pour le Père Sarrouj.

S'ils ont renoncé aux réformes politiques à cause de l'excessive pas corruption sectaire à l'échelle du pays entier, les esprits indépendants se sont tournés vers les médias sociaux pour réunir des fonds, signer des pétitions, échanger des idées et agir sur leur environnement.

Le succès de “Kafana Samta” va-t-il renforcer le paysage militant du Liban ? Une chose est sûre, il a certainement permis à beaucoup d'adoucir leurs perceptions négatives et de redonner espoir dans un pays dans un pays où l'espoir n'est pas facile à garder.

L'Iran s'élève contre la surveillance de masse

vendredi 14 février 2014 à 17:33

 

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Bannière de The Day We Fight Back, version perse. Graphique par Alec Perkins via Wikimedia Commons, (CC BY-4.0)

[Tous les liens mènent à des pages en anglais.]

Les révélations autour des pratiques de surveillance de la NSA et autres agences de renseignements gouvernementales occidentales semblent avoir fait de 2013 l'année où Internet a perdu son innocence au sein des États démocratiques. Mais cet état de perpétuelle, omniprésente surveillance fait depuis longtemps partie de la vie quotidienne des citoyens de la République Islamique d'Iran. Tandis que les questions de sécurité et de vie privée sont récemment devenues une préoccupation d'intérêt général dans le monde occidental, les Iraniens connaissent depuis longtemps les risques du partage d'informations via les technologies de communication.

Shunood, le terme le plus souvent utilisé pour surveillance en farsi, vient du mot shenidan, qui signifie écouter. Corollaire : la surveillance en Iran est communément associée aux écoutes téléphoniques, une pratique courante en Iran depuis l'introduction de la technologie dans le pays. En juillet 2013, le véhément parlementaire Ali Motahari découvrit que son bureau avait été truffé de dispositifs d'enregistrement – beaucoup suspectèrent que les dispositifs avaient été installés par l'intransigeant ancien ministre du Renseignement iranien. Ces dernières années, les avancées dans les technologies de communication ont modifié l'appareil de surveillance de l'État. De l'extraction de données aux écoutes en passant par une méthode ultra omniprésente,  Deep Packet Inspection (DPI, en français, Inspection des Paquets en Profondeur), aux contrôle des métadonnées recueillies par des compagnies de télécommunications, et aux écoutes téléphoniques (qui est la méthode de surveillance la plus populaire en Iran), les chercheurs ont identifié diverses méthodes de surveillance numérique.

Pendant et après le Mouvement Vert de 2009, le chercheur en sécurité Chris Parsons et l'expert iranien de l'ICT Mahmood Tajalli Mehr ont trouvé des preuves solides suggérant que des technologies sophistiquées de surveillance ont été utilisées pour la DPI par le gouvernement pendant cette période. Tebyan Zanjan, un site web iranien couvrant les actualités d'ICT, a fait un rapport sur les différentes méthodes de collecte des données par le gouvernement, de la DPI aux écoutes téléphoniques, illustrant davantage encore les compétences du gouvernement en terme de surveillance.

En somme, il est communément admis parmi les Iraniens que si l'État le peut, il espionnera ses citoyens.

Deux normes juridiques importantes existent pour les pratiques de surveillance. Les deux demandent une procédure équitable dans les cas où l'État s'engage dans une surveillance. L’Article 25 de la Constitution indique :

The inspection of letters and the failure to deliver them, the recording and disclosure of telephone conversations, the disclosure of telegraphic and telex communications, censorship, or the willful failure to transmit them, eavesdropping, and all forms of covert investigation are forbidden, except as provided by law.

L'inspection de lettres et leur non-distribution, l'enregistrement et la divulgation de conversations téléphoniques, la divulgation de communications télégraphiques et de télex, leur censure, ou le manquement volontaire à leur transmission, les écoutes clandestines, et toutes formes d'enquêtes secrètes sont interdits, sauf tel que prévu par la loi.

En même temps, l’Article 104 du Code de procédure pénale iranien pour les Tribunaux Publics et Révolutionnaires déclare :

In cases where there is a need to inspect and detect mailing, telecom, audio and visual correspondences related to the accused, in connection with investigation of a crime, the judge will inform the respective officers to confiscate [these materials] and send them to him or her. Once they are received, they will be presented to the accused, noted in the minutes, and attached to the file after being signed by the accused. Refusal of the accused to sign will be noted in the minutes and in case the items are not of relative importance, and if the confiscation is not necessary, they will be returned to the owner obtaining an acknowledgment of receipt.

Dans les cas où il est nécessaire d'inspecter et de détecter du courrier, des correspondances telecom, audio et visuelles liés à l'accusé, dans le cadre de l'enquête sur un crime ou délit, le juge demandera aux officiers respectifs de confisquer [ces matériels] et de les lui envoyer. Une fois ceux-ci reçus, ils seront présentés à l'accusé, notés dans le procès verbal, et attachés au dossier après avoir été signés par l'accusé. Le refus de l'accusé de signer sera noté dans le procès verbal et dans le cas où les éléments ne sont pas d'importance relative, et si la confiscation n'est pas nécessaire, ils seront retournés au propriétaire qui recevra un accusé de réception.

Alors que des lois existent pour protéger la vie privée des individus, ces lois et les pratiques de l'État divergent. Ces protections sont souvent perdues entre les très nombreuses autorités qui administrent ces pratiques au sein d'un appareil gouvernemental complexe, avec divers ministères et organisations de différentes branches impliqués. L'entité centrale impliquée dans la collecte massive de données grâce aux technologies de communications est la Compagnie de Télécommunications d'Iran (TCI), ou Mokhaberat en farsi. Cette organisation tombe sous la compétence du ministère des Technologies de l'Information et de la Communication (ICT), mais conserve des actionnaires privés. Ils s'opposent à des rapports concernant la nature précise de l'influence des Gardes Révolutionnaires iraniens sur le TCI mais il est largement reconnu qu'ils possèdent la majeure partie du TCI, plaçant cet organisme dans les mains d'une entité responsable uniquement devant le Guide de la Révolution. Bien que cela soit souvent difficile à prouver, de nombreux experts suspectent ces actionnaires d'être associés à des éléments au sein des Gardes Révolutionnaires iraniens (IGRC).

Le Ministère du Renseignement, l'IGRC, la FETA (CyberPolice iranienne), le Ministère de la Défense, le Ministère ICT, l'Organisation pour la Défense Passive (PDO), et le Conseil Suprême pour le Cyberespace (SCC) sont tous impliqués dans le régime de surveillance du pays, mais ils sont souvent responsables vis-à-vis des différentes autorités et représentent différentes motivations et idéologies, allant d'éléments intransigeants dans l'opposition à des influences réformistes ou modérées au sein de l'élite. Des déclarations, faites à divers moments et par différents membres du gouvernement, soutiennent la practique de surveillance étatique contre les citoyens sans procédure régulière. Durant la précédente administration de Mahmood Ahmadinejad, le Ministre de l'ICT avait expliqué que les communications, incluant les SMS et les emails, étaient sujets à surveillance après approbation du Conseil Suprême de Sécurité Nationale.

Le 11 février, le monde s'est engagé pour les droits à la vie privée dans le sillage des révélations d'Edward Snowden sur la NSA lors d'une Journée internationale de refus de la surveillance, nous ne devrions pas oublier les pratiques qui ont toujours existé, et continuent de permettre de persécuter et d'emprisonner des Iraniens. Tandis que nous nous élevons contre des pays comme les États Unis, le Canada, et le Royaume-Uni pou leurs violations de nos droits à la vie privée, ASL19 exhorte le monde à ne pas oublier un pays qui n'a pas besoin de révélations pour révéler l'injuste état de la vie privée et des droits humains.

Qatar : les travailleurs migrants entre sueur et sang dans le pays le plus riche du monde

vendredi 14 février 2014 à 16:59

Lors de son récent voyage au Moyen-Orient, le Premier Ministre italien Enrico Letta a répété son engagement pour les droits humains en… Russie. Il n'a pas eu un seul mot pour les conditions de vie inhumaines des travailleurs migrants dans les pays de la région, en particulier au Qatar. Et pourtant, cet émirat n'est pas un exemple pour le respect des droits des travailleurs, surtout pour ceux qui travaillent sur les chantiers des infrastructures qui accueilleront la Coupe du Monde 2022 de football.

Le Qatar, le pays le plus riche [anglais, en] au monde pour le revenu par habitant, est un parmi ceux où les conditions de vie des immigrants sont les pires. Diverses organisations de défense et de promotion des droits de l'homme ont dénoncé leurs conditions de travail, les qualifiant de forme d'esclavage.

Sur divers plans, le Qatar, petit pays du Golfe, exerce une activité inversement proportionnelle à la superficie de son territoire ou au volume de sa population autochtone. Pour poursuivre cette politique, il use de plusieurs moyens. Premier d'une longue série, la chaîne de télévision Al Jazeera, qui a démontré un grand professionnalisme en plusieurs occasions, en particulier durant les révolutions qui ont entraîné la chute des régimes corrompus et impitoyables dans plusieurs pays arabes.

Sur le plan diplomatique, les négociations internationales de Doha sur la libéralisation du commerce mondial, bien qu'avortées, ont donné au pays une exposition médiatique mondiale pour plusieurs années. Sur le plan sportif, il sponsorise des équipes dans diverses disciplines, dont les plus fameuses du monde, en particulier le football. Au cours de la dernière décennie, il a accueilli une moyenne de trois événements sportifs [en] à caractère international. Ce sera ainsi le Qatar qui accueillera la Coupe du Monde après le Brésil.

Sur le plan scientifique, l'État du Qatar a signé des contrats avec de nombreuses universités étrangères [italien, it], qui ont ouvert des sièges à Doha, la capitale. En outre, le musée des arts islamiques connaît déjà une renommée internationale grâce à ses œuvres provenant de diverses parties du monde.

 

Tout ceci pourrait faire penser que le Qatar est un pays où tous vivent en pleine jouissance de leurs droits. La réalité derrière cette belle image est au contraire toute autre pour les travailleurs migrants. Ceux-ci ont contribué à la prospérité de ce pays, mais ils en restent exclus.

Alma Safira écrit sur Reset.it :

I cittadini più ricchi del mondo vivono in Qatar accanto a quelli che ormai vengono considerati tra i più sfruttati. L’emirato ha il PIL pro capite più alto del mondo, oltre 100mila dollari secondo i dati del Fondo Monetario Internazionale, grazie alle 77 milioni di tonnellate di GNL (gas naturale liquefatto) che il Paese produce ogni anno dalle terze riserve di gas più grandi del mondo.

Les citadins les plus riches du monde vivent au Qatar à côté de ceux qui sont désormais considérés parmi les plus exploités. L’émirat possède le PIB par habitant le plus élevé du monde, plus de 100 mille dollars selon les données du Fonds Monétaire International [en] , grâce aux 77 millions de tonnes de GNL (Gaz Naturel Liquide) que le pays extrait chaque année de la troisième plus grande réserve de gaz du monde.

Selon les données du Rapport 2013 sur la richesse au Moyen-Orient publié par la Qatar Financial Center Authority en collaboration avec Campden Wealth, il y a plus de 4 000 millionaires [en] au Qatar, sur une population locale de quelque 300 000 qatari, et 290 habitants sont ultrariches c'est-à-dire qu'ils possèdent un patrimoine de plus de 30 millions de dollars.

À côté de cette richesse, au contraire, les mauvaises conditions de travail des immigrants ont été dénoncées par plusieurs organisations de la société civile internationale. Selon la Fédération international des droits de l'homme, la Fidh :

Les conditions de travail pour les travailleurs migrants, notamment sur les projets associés à la Coupe du monde, sont si mauvaises qu’elles s’apparentent parfois à du travail forcé. Les pratiques incriminées comprennent la servitude pour dette, la confiscation du passeport par l’employeur, la surpopulation et l’insalubrité des lieux d’hébergement des travailleurs, l’absence de contrats et les déductions arbitraires de salaires. Les travailleurs s’exposent également à un risque mortel en construisant les infrastructures de la Coupe du monde par des températures atteignant parfois 55°C. D’après les chiffres du gouvernement népalais, 191 travailleurs népalais seraient morts dus à ces conditions de travail en 2010, et 162 lors des 10 premiers mois de 2011. De plus, la loi du Qatar interdit aux travailleurs migrants de former des syndicats.

De son côté, Amnesty International révèle dans un rapport les cas de travailleurs subissant du chantage de la part de leurs employeurs. Les chercheurs de l'organisation pour les droits de l'homme ont vu de leurs yeux 11 hommes signer des documents devant des fonctionnaires du gouvernement par lesquels ils déclaraient – faussement -, avoir reçu leur salaire pour récupérer leurs passeports et pouvoir ainsi quitter le Qatar.

De nombreux travailleurs se sont plaints des mauvaises conditions de santé et de sécurité, dénonçant dans certains cas l'absence de casques de protection. Un représentant du principal hôpital de la capitale Doha a déclaré au cours de l'année que, en 2012, plus de 1 000 personnes ont été hospitalisées dans le service de traumatologie après être tombées d'échafaudages. 10 pour cent des hospitalisés sont devenus handicapés et le taux de mortalité est défini comme “significatif”.

 

Roberta Ragni rappelle sur GreenMe que :

Questi moderni schiavi alloggiano in baracche fatiscenti, in condizioni igieniche pessime, fanno turni massacranti, vengono privati dei loro passaporti e spesso non sono pagati. E muoiono a centinaia nei cantieri per via delle scarse misure di sicurezza. Le cose stanno solo per peggiorare, dal momento che saranno necessari tra 500.000 e un milione di lavoratori aggiuntivi da Nepal, India e altri paesi asiatici e del Sud Africa per le infrastrutture della Coppa del Mondo. È un aumento dell'organico di oltre il 50% e se non ci sarà alcuna riforma salirà immancabilmente anche la percentuale di incidenti mortali.

Ces esclaves modernes logent dans des baraques délabrées, dans des conditions d'hygiène déplorables, ils font des quarts épuisantssont privés de leurs passeports et souvent ne sont pas payés. Et ils meurent par centaines sur les chantiers à cause des mesures insuffisantes de sécurité. Les choses ne font qu'empirer, dès l'instant que sont nécessaires entre 500 000 et un million de travailleurs additionnels du Népal, de l'Inde et d'autres pays asiatiques et d'Afrique du Sud pour les infrastructures de la Coupe du Monde. C'est une augmentation du personnel de plus de 50 % et s'il n'y a aucune réforme s'élèvera aussi immanquablement le pourcentage d'incidents mortels.

“Plus de 4000 travailleurs risquent de perdre la vie dans les sept prochaines années de construction des installations si personne n'intervient pour donner des droits aux travailleurs migrants. Le nombre de morts parmi ceux qui travaillent sur des chantiers pourrait s'élever à 600 en un an – presque douze en à peine une semaine”, explique [en] Sharan Burrow, Secrétaire Générale de l'International Trade Union Confederation.

 

À la base de ces injustices se trouve une loi archaïque, connue sous le nom de Kafala. Nanopress explique [it] en quoi consiste cette loi en vigueur dans de nombreux pays du Golfe arabique :

I nuovi schiavi sono legati al proprio datore di lavoro dalla Kafala (Garanzia), un sistema di reclutamento che sembra in tutto e per tutto l'acquisizione di uno schiavo: un ufficio di collocamento nel Paese d'origine trova un datore di lavoro disposto a sponsorizzare il lavoratore immigrato, che da quel momento non può cambiare posto di lavoro per tutta la durata del contratto.

Les nouveaux esclaves sont liés à leurs employeurs par la Kafala (Garantie), un système de recrutement qui ressemble en tout et pour tout à l'acquisition d'un esclave : un bureau de placement dans le pays d'origine trouve un employeur disposé à sponsoriser le travailleur migrant, qui à partir de ce moment ne peut plus changer de lieu de travail pour toute la durée du contrat.

Les pressions internationales (de la part de l'ONU, de l'UE, des ONG humanitaires, d'organisations syndicales et de simples footballeurs) se multiplient sur le Qatar afin que les conditions des travailleurs étrangers s'améliorent, et sur la FIFA pour lui demander de réaffecter les mondiaux de foot de 2022.

L’International Trade Union Confederation (ITUC), en particulier, demande la fin de la Kafala, l'adoption de lois qui protègent les travailleurs migrants et leur confèrent le droit à l'activité syndicale, à changer d'employeurs et à se battre pour de meilleurs salaires. Non sans obstacles, comme ce qui s'est vu récemment sur l'Île Maurice, selon ce que fait savoir [it] l'organisation syndicale :

Otto rappresentanti di sindacati locali e internazionali sono stati arrestati dopo aver manifestato pacificamente all’esterno del Congresso FIFA alle Mauritius per chiedere alla Federazione di rimettere ai voti l’assegnazione al Qatar dei Mondiali di calcio 2022.

Huit représentants de syndicat locaux et internationaux ont été arrêtés après avoir manifesté pacifiquement à l’extérieur du Congrès de la FIFA sur l'Île Maurice pour demander à la Fédération de remettre aux votes l’assignation au Qatar des Mondiaux de foot 2022.

Depuis des années le gouvernement du Qatar fait des promesses [it] de changement. Mais les réformes tardent et en attendant, sur les chantiers où aura lieu la Coupe du Monde, on continue à mourir.

[Publié en cross-posting avec Voci Globali [it]]