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L'Arabie Saoudite exécute l'éminent religieux chiite Nimr al-Nimr sur des accusations de “terrorisme”

dimanche 3 janvier 2016 à 19:10
Saudi Arabia today announced it had executed top Shia cleric Shaikh Nemer Al Nemer under "terrorism" charges. Photo credit: Talkhandak.com (CC BY 4.0)

L'Arabie Saoudite à annoncé aujourd'hui 2 janvier qu'elle a exécuté l'éminent religieux chiite Shaikh Nimr al Nimr accusé de “terrorisme”. Photo credit: Talkhandak.com (CC BY 4.0)

L'Arabie Saoudite a annoncé aujourd'hui 2 janvier qu'elle a exécuté l'éminent religieux chiite Shaikh Nimr al-Nimr qui était considéré comme étant un des meneurs des manifestations anti-gouvernentales qui ont eu lieu dans la province orientale de la monarchie absolue au début de ce qu'on appelle le Printemps Arabe.

Dans une série de tweets, le journaliste Saoudien Ahmed al Omrane cite l'agence de presse étatique saoudienne :

L'Arabie Saoudite exécute 47 personnes sur des accusations de terrorisme, dont le religieux chiite Nemer-al-Nemer –agence de presse étatique

Outre Nimr qui avait appelé à des manifestations pacifiques contre le régime, l'Arabie Saoudite a exécuté des membres d'Al Qaida, appartenant à une branche ultra-fanatique de l'islam sunnite. Al Omran tweete:

La majorité des exécutions d'aujourd'hui est liée aux attaques terroristes perpétrées par Al-Qaida en Arabie Saoudite entre 2003 et 2006.

Ce “pêle-mêle” d'exécutions n'est pas passé inaperçu par les médias sociaux. David Kenner explique :

L'exécution par les Saoudiens de Nimr al-Nimr en même temps que de membres d'Al Qaida est typique du répertoire d'Assad – mêler les activistes non violents aux terroristes.

Ces exécutions groupées ont eu lieu dans 12 différentes régions de l'Arabie Saoudite :

Les exécutions ont eu lieu dans 12 régions différentes à travers le royaume, annonce le ministère de l'intérieur.

Et ont été entérinées par les institutions religieuses saoudiennes :

Le grand mufti saoudien déclare à la télévision d'Etat que les sentences de mort appliquées aujourd'hui sont «justes»

Nimr, originaire de la région de Awamiya située dans la province orientale de l'Arabie Saoudite, s'est attiré la fureur du régime par ses prêches appelant à des réformes dans le royaume conservateur où les femmes n'ont même pas le droit de conduire des voitures, et parce qu'il avait “pris la direction” des manifestations anti-gouvernrmentales de 2011-2012. Il a été arrêté par la police en juillet 2012 après avoir reçu une balle à la jambe, et condamné en octobre 2014 à la peine capitale pour «désobéissance au souverain» parmi d'autres chefs d'accusation.

Sur Twitter, les internautes ont exprimé leur colère après l'exécution de Nimr.

L'Américano-mauritanien Nasser Weddady note :

L'exécution de Nimr Al Nimr est un rare moment où l'indignation dépasse les clivages sectaires.

Il ajoute pour ses 37.000 abonnés sur Twitter :

La perte réelle avec la mort de Nimr al Nimr, est qu'il est mort pour le message des soulèvements arabes craints par les tyrans aussi bien sunnites que chiites.

Avoir une opinion divergente en terre arabe est dangereux pour la santé. Les effets indésirables incluent la prison, la torture, et la mort.

Rawya Rageh explique à ses 83.300 abonnés que l'exécution de Nimr va augmenter plus encore les tensions dans la région :

L'Iran a réagi à l'exécution de Nimr en accusant l'Arabie Saoudite de «soutien aux terroristes et aux extrémistes takfiristes (sunnites radicaux), tout en exécutant et éliminant les critiques dans le pays.»

On s'attend à ce que l'exécution de Nimr alimente encore plus la contestation dans la région avec les appels à des manifestations émanant de partout. Des photographies partagées sur Twitter montrent des véhicules blindés faisant route vers les zones chiites dans la province orientale pour réprimer les rassemblements éventuels :

Qatif en ce moment même. #Nimr

Et au Bahreïn proche et rétif, où les manifestations anti-gouvernementales ont été continuelles depuis 14 février 2011, les protestataires sont descendus dans les rue dans plusieurs villages après l'annonce de cette information.

Des processions tumultueuses dans plusieurs régions du Bahreïn pour s'indigner de l'exécution du martyr Nimr al Nimr.
Dieux nous alloue une mort de martyr.

— Il a magistralement irrité les sultans (@DefenseResistan)

Les villages du Bahreïn se soulèvent pour condamner l'exécution de Nimr al Nimr

L'année dernière (2015), l'Arabie Saoudite à exécuté au total 158 personnes, en moyenne une tous les deux jours, le plus grand nombre enregistré depuis 1995.

Voces Étnicas veut redonner vie aux coutumes indigènes au Mexique

dimanche 3 janvier 2016 à 17:35
nuestro mundo y nuestras palabras

Photographie extraite avec autorisation du site officiel de Voces Étnicas. Issue de l'article “Nuestro mundo y nuestras palabras” (Notre monde et nos mots) de Sergio Abraham Barrera.

Au Mexique, des traditions et coutumes indigènes en danger de disparition ont trouvé refuge dans l'association culturelle Voces Étnicas, qui réalise un important travail de préservation de différents us et coutumes au moyen de leur reconnaissance et d'une large diffusion.

Ainsi, Voces Étnicas apparaît comme un média culturel qui cherche à :

[…] sauver et diffuser, par l'application de différentes techniques d'investigation, les traditions et coutumes des communautés indigènes du Mexique, à travers une vision humaniste et perceptive, afin d'informer et de sensibiliser la société sur ces thèmes d'enracinement national.

A travers leur page Internet, nous avons accès à une multitude de légendes, de contes, de récits, de fables, de mythes, d'épopées, de poèmes et de codes indigènes qui témoignent de la manière d'interpréter le monde des différents groupes ethniques qui peuplent la République mexicaine. Tout comme le montre l'extrait suivant de la Légende de la création du Colibrí :

On raconte que les Dieux mayas ont créé toutes les choses sur la Terre : chaque animal, chaque arbre et chaque pierre. Mais dès qu'ils eurent terminé, ils constatèrent qu'il n'y avait personne pour porter leurs souhaits et leurs pensées d'un lieu à un autre.

Comme il n'y avait plus ni boue ni maïs pour faire un autre animal, ils prirent une pierre de jade et sculptèrent à partir de cette pierre une flèche toute petite, et, dès qu'elle fut prête, ils soufflèrent dessus et la petite flèche s'envola. Ce n'était alors plus une simple flèche, elle prenait vie désormais, les dieux avaient créé le x ts'unu'um.  […]

L'art, la musique et les danses traditionnelles ont trouvé leur écrin dans la catégorie multimédia. Leur chaîne Vimeo montre tout particulièrement de petites vidéos destinée à retrouver et enseigner les langues indigènes.

Son remarquable travail est également diffusé par l'utilisation des réseaux sociaux, en particulier par leur page Facebook, où sont postés quotidiennement des informations, des photographies, des livres et des documents numériques téléchargeables  sur et pour les peuples et communautés indigènes de la région.

zapoteco

Image prise avec autorisation sur la page Facebook de Voces Étnicas.

Loin de reproduire des stéréotypes et interprétations subordonnantes qui finissent par bafouer les droits des peuples indigènes, Voces Étnicas se consacre précisément à conférer une voix aux membres des différentes communautés indigènes en leur permettant de produire et de reproduire des informations à leur sujet. Rendues accessibles au grand public, elles favorisent des échanges culturels constructifs et bénéfiques d'où naissent des “porte-parole”, comme ils les appellent eux-mêmes, des cultures indigènes. D'où l'importance de Voces Étnicas en tant que média numérique de récupération et de revitalisation.

Suivez leur travail principalement sur leur page officielle, et sur leur profil Facebook. Ils sont aussi sur Vimeo, YouTube et Twitter.

2016 : quels défis pour l'Amérique latine ?

dimanche 3 janvier 2016 à 16:56

Un groupe d'artistes a organisé dans le centre de Caracas un spectacle incluant des peintures corporelles  indigènes pendant les manifestations du 12 octobre, Jour de la résistance indigène. Photographie de Sergio Alvarez. Copyright © Demotix. 14/10/2015.

2015 a été une année, sans aucun doute, d'acquisitions, de changements et de controverses dans cette région du monde. Élections avec changement de couleur politique ou manifestations cherchant à promouvoir les initiatives citoyennes ont fait apparaître une tendance forte à une remise en question des pouvoirs et des structures sociales.

L'Argentine et le Venezuela ont franchi un cap politique les éloignant de la gauche qui caractérisait cette zone dans la dernière décennie. Le Chili s'est rapproché des pays de la région en reconnaissant le mariage civil pour des couples du même sexe, le Venezuela a élu sa première député transgenre et l'Argentine a lancé des campagnes pour la lutte contre les violences liées au genre sexuel.

La situation des droits de l'homme et de la liberté d'expression apparaît toujours comme complexe. Néanmoins, des combats important pour cette cause le  travail des journalistes d'investigation ont su progresser en dépit des violations de ces droits élémentaires difficiles à prouver et à combattre.

Les mouvements en faveur des droits des communautés indigènes se sont également intensément mobilisés. Que ce soit par les manifestations pour la mémoire historique ayant débuté le 12 octobre dernier, ou pour améliorer la situation de nombreuses ethnies sur toute l'étendue du continent, les communautés indigènes ont su se faire reconnaîtrer comme un élément caractéristique et de forte influence dans leurs pays.

Tout ceci a été possible grâce aux informations citoyennes circulant sur Internet, aux medias locaux et alternatifs, qui souhaitaient parler de et faire connaître des informations peu couvertes par les médias traditionnels. C'est grâce aux efforts de ces réseaux d'information que l'équipe de global Voice Amérique latine parvient à réaliser un travail précieux.

 Bien des questions restent encore sans réponse et beaucoup de faits demanderaient plus de visibilité. Les problèmes des migrations à l'intérieur et à l'extérieur de l'Amérique latine, les mouvements culturels et underground, le fléau de diverses violences continuent à freiner les progrès et les projets collectifs des communautés latino-américaines. Pourtant, les mouvements citoyens et les espaces de contre-pouvoir demeurent actifs.

Global Voices souhaite continuer à offrir un espace de diffusion à ces initiatives et aider ceux qui s'efforcent d'avoir un regard approfondi sur les problèmes de cette région du monde. C'est dans cette optique que notre équipe se tourne vers ses lecteurs et pose la question suivante : “Quels défits pour notre région dans l'année qui commence ? Quelles avancées suivre plus en détails ? Quels mouvements collectifs et citoyens ?

Écrivez-nous sur notre compte Twitter, ou dans les commentaires sous ce post, mieux encore, si vous avez plus d'une réponse et plus d'une idée, écrivez pour nous ! Global Voices et son équipe latino américaine est toujours ouverte à  l'arrivée de nouveaux membres qui cherchent à faire circuler les nouvelles d'Amérique latine vers d'autres régions du monde et possèdent une vision de celui-ci nouvelle et alternative basée sur les expressions individuels.

Comment l'Union Soviétique envoya son premier homme sur l'Internet en 1982

dimanche 3 janvier 2016 à 16:45
Remains of Old Soviet  K-340A super computer in Chernobyl. Aliaksandr Palanetski, CC, Flickr.

Restes trouvés à Tchernobyl d'un vieux super-ordinateur soviétique. Photo Aliaksandr Palanetski, CC, Flickr.

A première vue, parler d'un “Internet soviétique” paraît  paradoxal et anachronique. Pourtant il a bien existé, et c'est la raison pour laquelle le nom de domaine “.su” (pour Soviet Union) demeure sur le marché aujourd'hui, en dépit des requêtes en suppression de l'ICANN.

Les spécialistes de l'Internet soviétique s'accordent généralement à faire remonter le développement de celui-ci à l'apparition de la perestroïka et de la glasnost de Gorbatchev. Des réformes qui ont permis la création du premier fournisseur d'accès internet soviétique en 1987-1988. En 1991, il y avait déjà plusieurs centaines d'utilisateurs connectés au réseau Unix en URSS.

Mais c'est bien plus tôt, en 1982, qu'eut lieu la première connexion d'un citoyen soviétique à un réseau informatique mondial, à la grande surprise de ses membres, qui étaient alors essentiellement Américains ou Européens.

En 1982, l’ Union Soviétique était encore loin de l'ouverture économique et politique de la perestroïka. Léonid Brejnev vivait encore et l'armée soviétique était enlisée en Afghanistan. Le pays restait largement fermé : les voyages à l'étranger étaient strictement réglementés, et certains faisaient sortir à grands risques des manuscrits interdits (le samizdat) vers l'Ouest. La répression intérieure battait aussi son plein : le célèbre dissident Andréi Sakharov vivait assigné à résidence dans son appartement de Gorki.

Dans le monde occidental en revanche, les réseaux informatiques gagnaient déjà en popularité comme outils de libre diffusion de l'information. Le protocole TCP/IP, qui reste un des piliers de l'Internet contemporain, fut installé en 1982 sur les serveurs des Etats-Unis, tandis qu'une large fraction de la population française avait accès au Minitel, ancêtre du World Wide Web d'aujourd'hui.

Le pionnier de l'Internet soviétique

Par un beau matin du printemps 1982, Anatole Klyosov présenta un rapport devant l'Institut de Recherche et de Sciences des Systèmes automatisés appliqués de l'URSS (VNIIPAS) à Moscou. Ce biochimiste de 35 ans avait une mission des plus singulières : il était supposé participer à ce que les chercheurs occidentaux appelaient un “meeting.” En l'occurence, les “meetings” étaient une nouvelle forme de dialogue scientifique international reposant sur l'échange de messages par ordinateurs. Si ce précurseur des tchats et autres mailing-lists était en usage depuis quelques années en Occident, c'était la toute première fois qu'un ressortissant soviétique avait l'occasion de prendre part à une telle expérience. A cette époque, l'URSS ne possédait qu'un seul ordinateur relié par un modem au monde extérieur. L'appareil unique en son genre se trouvait dans les locaux du VNIIPAS, voisins du Kremlin.

Tout avait commencé quelques semaines avant, quand Jeremen Gvishiani, vice-président du Comité scientifique et technologique du Conseil des Ministres de l'URSS, convoqua Klyosov sans lui donner le moindre indice sur la nature de leur entrevue. Le vieil académicien, à l'évidence peu familier du sujet, parla d'une “conférence d'ordinateurs”, et se référa à un ordre d'en-haut décidant que l'Union Soviétique devait participer aux échanges pour des raisons de prestige.

Klyosov avait été choisi pour représenter son pays à cause de sa spécialité, qui correspondait au thème de la prochaine conférence, consacrée à la biologie. Il était pour ainsi dire le candidat idéal. Mais en apparence seulement : Klyosov était en fait un “nevyezdnoï”—un citoyen qui n'était pas autorisé à quitter le sol soviétique pour “motifs de sécurité”. Après sa résidence de deux ans à l'Université Harvard aux USA en tant que scientifique invité, les autorités soviétiques le suspectèrent de sympathies pro-américaines et lui retirèrent son passeport extérieur. L'incident avait sérieusement freiné la carrière universitaire de Klyosov.

A première vue, on peut s'étonner que l'Académie des Sciences ait voulu choisir cet homme pour représenter l'Union Soviétique à une conférence internationale, quoique en ligne. Dans le cas d'une conférence traditionnelle, jamais le KGB n'aurait autorisé un scientifique “nevyezdnoï” à se rendre à l'étranger. En fait, cette “erreur” montre qu'à l'époque, personne, ni à l'académie, ni dans l'appareil de sécurité soviétique, n'avait vraiment saisi ce que signifiait réellement une “conférence en ligne”. Pour eux, Klyosov restait physiquement sur le territoire soviétique, et c'était tout ce qui comptait. Que le serveur de la conférence se trouvât à l'Université de Stockholm, et que les “écoutes” des conversations fussent impossibles à cause de la nouveauté de l'expérience, dépassait l'entendement du KGB. Après tout, se dirent-ils, ce n'était qu'un cours de biochimie, un sujet qui n'avait rien de sensible.

Sécurité physique et liberté numérique

Le terminal utilisé par Klyosov pour participer à la conférence était un ordinateur soviétique ES-EVM (conçu à partir de plans volés à IBM). Il était connecté au seul modem ayant une existence officielle dans toute l'URSS : un appareil antédiluvien à 360 baud/s. En comparaison, sa capacité était 22 fois moindre que celle des vieux modems de 56k largement utilisés au début des années 2000 : la vitesse d'affichage du texte sur un modem à 360 baud/s était d'un caractère par seconde.

Ce précieux modem était protégé par un dispositif de sécurité si impressionnant que Klyosov écrivit ultérieurement n'en avoir vu de pareil depuis son enfance, passée avec ses parents sur le polygone d'essai de missiles de Kapoustine Yar à l'époque de Staline.

An EVM ES-1033 computer with control panel. These were developed in the USSR in the 1970s-1980s. Image courtesy of computer-museum.ru.

Un ordinateur EVM ES-1033 avec son tableau de contrôle. Ces machines furent développées en URSS dans les années 1970-1980. Image reproduite avec l'aimable autorisation de computer-museum.ru.

Gardée par de nombreux militaires, la salle des ordinateurs elle-même était vide. Après s'être connecté pour la première fois, Klyosov était donc seul lorsque ces mots s'affichèrent sur l'écran : “Vous êtes connecté au serveur de l'Université de Stockholm. Bienvenue.”

Une fois connecté, Klyosov fut libre de converser et d'échanger toutes les informations voulues, sans contrôle étatique. Peu importait que la salle informatique fût entourée de gardes de l'armée ou que Klyosov fût interdit de voyages à l'étranger. On peut imaginer l'étrangeté de la situation créée par cet unique ordinateur soviétique connecté et son unique utilisateur. Il suffit de se rappeler que l'Union Soviétique du début des années 1980 restait un pays lourdement cloîtré, dont les autorités cherchaient à stopper à tout prix le passage à l'Ouest de produits culturels “dissidents” quels qu'ils soient (comme les publications du samizdat). Dans un tel contexte, le cas de Klyosov était exceptionnel dans tous les sens du terme.

L'impression de singularité n'a fait que se renforcer avec la compréhension par Klyosov que son usage de l'ordinateur n'était pas limité dans le temps ou les mots. Très vite, tout en conversant en temps réel avec ses collègues occidentaux, l'universitaire apprit à accéder à d'autres “salons de discussion” sans rapport avec l'objet originel de sa mission. De plus, le directeur du centre du laboratoire du VNIIPAS se montra compréhensif pour la présence de Klyosov, car il comprit l'intérêt pour l'Institut d'avoir quelqu'un régulièrement en ligne pour coopérer avec la communauté scientifique internationale. Klyosov obtint bientôt un accès permanent à l'ordinateur, et resta plusieurs années le seul à l'utiliser. Jusqu'en 1986, il alla presque quotidiennement au VNIIPAS pour se livrer en toute légalité à une activité strictement interdite : discuter de toutes sortes de choses avec des chercheurs occidentaux sans le moindre contrôle ni censure.

Connexions pour contourner la censure

Pendant presque quatre ans, Klyosov apprit à se servir des divers protocoles Internet qui apparaissaient à l'époque, et eut toutes sortes de réunions virtuelles, facilitées par la stupéfaction générale que provoquait la présence en ligne d'un citoyen soviétique. Il fit ainsi la connaissance d'un astronaute américain qui voulait faire des affaires en Union Soviétique, ou d'une doctorante de l'Université de Stockholm qui l'invita à aller au sauna avec elle. Tout ce temps, ses contacts le tenaient informé des événements dans le monde, et surtout ceux tus par la presse soviétique. Ses contacts suédois lui parlèrent ainsi du célèbre incident de l'U-137, appelé à l'époque “incident Whisky on the rocks”. Un sous-marin soviétique s'était échoué à proximité de la base militaire suédoise de Karlskrona, déclenchant une des crises les plus dangereuses de la Guerre Froide. Tandis que l'affaire faisait la une des journaux occidentaux, rien n'en transpira en URSS à l'époque.

Anatoly Klyosov in 2008. Image from Wikimedia Commons.

Anatoli Klyosov en 2008. Image Wikimedia Commons.

Klyosov utilisa aussi avec succès l'ordinateur connecté pour contourner la censure d'Etat et publier à l'étranger ses articles scientifiques. Normalement, un chercheur soviétique devait pour ce faire passer par le Glavlit, un organe de censure qui caviarda ou bloqua impitoyablement des milliers d'articles et de livres pour motifs idéologiques ou de sécurité d'Etat. A l'époque, un scientifique devait braver de gros risques pour sortir clandestinement des manuscrits non autorisés du territoire soviétique. Klyosov, lui, grâce à ses relations sur Internet, n'avait qu'à envoyer un e-mail.

L'aventure de l'homme qui creusa un tunnel numérique sous le Rideau de fer prit fin en 1987. Avec l'accès au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, l'interdiction de voyager à l'étranger fut levée pour beaucoup de gens, y compris Klyosov. Il se rendit aux USA, où il acheta un ordinateur IBM qu'il rapporta en URSS, et se connecta à l'Internet avec ce même modem qui lui avait servi pendant toutes ces années au VNIIPAS. Le directeur de l'Institut lui avait en fait offert l'appareil en signe d'amitié. C'est ainsi qu'en 1987, avec quelques dizaines de ses concitoyens, Klyosov put désormais accéder au monde extérieur depuis chez lui.

Klyosov's memoir, "The Internet. (Notes of a Scientist)," published in 2010. Image from koob.ru.

L'autobiographie de Klyosov, “Internet, Notes d'un scientifique” publiée en 2010. Image : koob.ru.

Plus tard, Klyosov partit aux Etats-Unis, où il vit encore aujourd'hui. Il a décidé récemment de relater ses aventures dans un excellent ouvrage, hélas disponible seulement en russe. Le livre décrit la peur qu'il éprouvait chaque jour, et son sentiment d'accéder à une source exceptionnelle d'information au travers d'un dispositif de communication non contrôlé.

Klyosov a été extrêmement chanceux : le pionnier de l'Internet soviétique n'a jamais eu d'ennuis avec le KGB. Ce qui, dans un système politique fondé sur le contrôle de l'individu, en dit long sur la grave inadaptation du régime et de ses organes de sécurité au rythme du progrès technologique. Cette rigidité était ce qui a permis à des gens comme Klyosov de communiquer avec le vaste monde et d'élargir leurs horizons—avec juste un ordinateur connecté à l'Internet.

Entre devoirs traditionnels et féminité moderne : la subtile évolution du statut des nombreuses veuves du Népal

dimanche 3 janvier 2016 à 13:53
Bishnu Pande with her daughter Ayusha. Credit: Laura Spero. Used with PRI's permission

Bishnu Pande et sa fllle Ayusha. Crédit: Laura Spero. Reproduite avec la permission de PRI

Cet article écrit par Laura Spero pour The World est apparu dans sa version originale sur le site PRI.org le 28 décembre 2015, et est republié ici en vertu d'un accord de partage de contenus.

Bishnu Pande a 21 ans et la voix douce et grave d’un violoncelle.

Tandis que nous parlons dans le jardin qui jouxte sa maison, sa fille de 18 mois, Ayusha, joue à proximité. Bishnu me raconte sa rencontre avec le père d’Ayusha. Leur histoire est emblématique des nombreux changements qui ébranlent actuellement la culture traditionnelle népalaise.

Trois ans auparavant, Bishnu était en classe de Première lorsque, s’étant trompée de numéro en envoyant un SMS, elle reçut la réponse d’un garçon vivant dans un village situé à un jour de voyage du sien. Il s’appelait Dirgaraj. Ils commencèrent à correspondre.

« J’ai commencé à m’intéresser davantage à l’amour qu’à l’école », explique-t-elle en souriant.

Un jour, il lui a demandé d’être sa petite amie. Elle lui a répondu qu’elle allait y penser.

« Mais ensuite, dit-elle, je me suis dit : une fois dans ta vie, tu devras tomber amoureuse. Donc peu importe ce dont il s’agit, il faut que je le fasse. »

Elle laisse s’échapper un soupir. « Qui aurait pu le deviner ? Tout à coup, voilà que j’étais amoureuse. »

Le père de Bishnu était mort lorsqu'elle avait 11 ans, et sa mère se trouvait à l’étranger l'année de ses 16 ans. Lorsque sa tante a commencé à arranger une union pour Bishnu, celle-ci a appelé Dirgaraj.

« S’il avait hésité, ou dit autre chose, je n’y serais pas allée, précise Bishnu. Mais il a tout de suite dit ‘Viens. J’ai de l’argent. Je paierai [pour le billet de bus] quand tu seras là’. »

Tous les astrologues qu’elle avait consultés l’avaient averti : « Ne te marie pas avant d’avoir 30 ans ».

Malgré cela, elle prit un bus pour le retrouver, et, quelques jours plus tard, ils étaient mariés.

Environ un an plus tard, Dirgaraj, tourmenté par leur niveau de vie, s'est montré désireux d'obtenir de meilleurs revenus. Comme des centaines de milliers de jeunes Népalais, il prit une décision.

« Un jour, alors que j’étais sortie, il a commencé à prendre des dispositions pour aller travailler à l’étranger. J’ai caché son passeport et l’ai supplié de ne pas partir. Je lui ai dit que je ne l’appellerais pas et ne lui parlerais plus. Mais il s'est contenté de répondre, ‘Si je pars, tu pleureras une seconde, puis tu cesseras de t’inquiéter. De toute façon, tu ne peux pas m’en empêcher.’ »

« Ce ne sont que deux ans, disait-il à Bishnu. Dans deux ans, peu importe où nous irons, nous serons ensemble. »

Dirgaraj est parti travailler en tant qu’agent de sécurité au Qatar, un mois seulement avant que naisse sa fille Ayusha.

Sept mois plus tard, Bishnu se trouvait dans un bus lorsqu’elle entendit quelqu’un évoquer la mort d’un jeune homme du village au Qatar. Il aurait eu une crise cardiaque. Il était père d’une petite fille.

C’était Dirgaraj. C’est ainsi qu’à seulement 20 ans, Bishnu était veuve.

Le ‘Red Color Movement’

Dans la culture traditionnelle hindoue, les femmes mariées intègrent pleinement la famille de leur époux, et vivent chez leur belle-famille, où plusieurs générations se côtoient. Les femmes – et leurs enfants – étant vus comme des membres de la famille de leur mari, les pratiques de veuvage traditionnelles hindoues sont extrêmement conservatrices.

Les femmes veuves ne sont pas censées se remarier ni quitter le foyer de leur belle-famille. Elles ne portent pas de couleur rouge, ne mangent pas de viande et n’assistent pas aux cérémonies. Dans les régions les plus traditionalistes, les veuves sont considérées comme porteuses de malchance, à tel point qu’on les évite dans la rue. Par ailleurs, les femmes sont historiquement victimes de discriminations fixées dans la loi, qui les oblige notamment à disposer de la permission d’un homme de la famille avant de pouvoir obtenir un passeport, recevoir un héritage ou acquérir des terres.

Mais alors que l’éducation des femmes progresse et que de plus en plus de jeunes hommes quittent leurs épouses pour aller travailler à l’étranger, ces pratiques évoluent.

Lily Thapa est la fondatrice de Women for Human Rights, une organisation défendant depuis 20 ans les droits des femmes seules au Népal. Il y a dix ans, elle a participé à la création du Red Color Movement (Mouvement de la couleur rouge), qui vise à rompre avec cette tradition voulant que les veuves cessent de porter du rouge. Pour mieux se rendre compte de l'impact d'une telle coutume, il faut savoir qu'il est très difficile de trouver des vêtements traditionnels féminins qui ne soient pas rouges. Les femmes se marient en rouge, célèbrent les fêtes vêtues de rouge et appliquent chaque jour du sindoor, une poudre rouge vif, sur leur front. Abandonner la couleur rouge, c’est abandonner la beauté et la fête.

Repartir de zéro

J'ai rendu visite à Bishnu lors du premier anniversaire de la mort de son mari. La maison est remplie de visiteurs et d’offrandes rituelles. Mais un détail attire mon attention : les sandales rouges de Bishnu. Cet éclat de couleur à ses pieds en dit long sur son futur.

Et indique une rupture avec son passé – et la façon dont sa mère portait le veuvage en son temps.

« S’il n’y avait ne serait-ce qu’un minuscule point rouge sur le vêtement, ma mère ne le portait pas » se souvient-elle.

« Moi ? Je porte ce dont j’ai envie. »

Ce simple détail montre à quel point le destin de Bishnu ressemble à celui de sa mère – et s’en éloigne à la fois.

Nous feuilletons quelques vieux albums photo, adossées à la façade extérieure de la maison. Il est encore impossible pour la mère de Dirgaraj de les parcourir. Dirgaraj est un jeune homme remarquable, aux épaules musclées et aux pommettes hautes et prononcées. Il a les yeux gris-vert de son père. Le voici face aux collines, en chemise sans manches. Ici à leur mariage. Ils ont l’air si jeune – ils l’étaient.

En parcourant ces albums, il me semble voir Bishnu se frayer un chemin entre les coutumes et la féminité moderne. Elle a en effet choisi d’observer un certain nombre de rites liés au deuil. Elle ne porte pas de bracelets à ses poignets et n’applique pas de sindoor vermillon dans ses cheveux. Elle a continué à vivre avec sa belle-famille une année après la mort de son mari, pour honorer le souvenir de son bien-aimé.

Mais maintenant cet anniversaire passé, elle s’apprête désormais à partir.

« Personne ne va me dire, ‘Dis, tu as besoin d’argent ?’ » souligne-t-elle. « Je dois accomplir tout ce dont je suis capable dans la vie, et me tenir droite sur mes deux pieds. Rien n’est plus important. »

Néanmoins, il est clair pour Bishnu que s’occuper d’elle ne signifie pas pour autant abandonner sa belle-famille. Il est très important pour elle de s’assurer qu’ils ne manquent de rien – elle reste une belle-fille.

Mais son ton change lorsqu’elle lance d’un air de défi qu’elle n’aide personne en languissant ici, à ne rien faire de sa vie. L'un des devoirs traditionnels de la veuve s’oppose en quelque sorte à la réalisation d’un autre.

Et aujourd’hui, les gens l’acceptent. « Si mes beaux-parents m’avaient dit ‘Tu dois rester chez nous ! Occupe-toi de nous !’, je n’aurais rien pu y faire. Mais au contraire, ils me disent ‘Fais ce qui te rend heureuse… Amène seulement notre petite-fille nous rendre visite’ ».

La communauté a également intégré ces évolutions. Personne n’attend de Bishnu qu’elle renonce à sa vie en menant l'existence traditionnelle et contraignante d’une veuve.

Une fois encore, personne ne s’attend non plus à ce que sa vie redevienne comme avant. Tandis que Bishnu bâtit son avenir propre, elle continue à emprunter à son héritage culturel de quoi faire son deuil. Publiquement.

« Je ne peux m’imaginer partir avec un autre homme, dit-elle. Peu importe où j’irai, même si je fouille la Terre entière – je ne trouverai jamais un homme comme lui. Tout en lui était bon. Certaines fois il se comportait en enfant joueur, d’autres je trouvais en lui un ami. Parfois il ressemblait à ces personnes âgées qui marchent en s’aidant d’un canne. Il n’a jamais fait souffrir qui que ce soit. Maintenant, tout n'est que souffrance. »

« A partir d’aujourd’hui… une nouvelle vie commence pour moi. »

Epilogue

Lorsque j’ai contacté Bishnu huit mois plus tard, elle avait déménagé dans le village qui l’a vue naître.

Elle fait des plans pour l’avenir, tout comme elle l’avait fait quatre ans auparavant, après avoir envoyé un SMS au mauvais numéro. Seulement, aujourd’hui, elle ne porte pas de bracelets. Et peut-être n'en portera-t-elle plus jamais.