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Pourquoi le Président malgache n'est pas encore destitué (contrairement à ce que disent les médias)

samedi 30 mai 2015 à 12:46

Capture d'écran des titres de la presse sur Madagascar, via Google News

De nombreux médias ont rapporté la destitution du président malgache Hery Rajaonarimampianina. Si 121 députés sur 125 ont voté en faveur de sa destitution, voici pourquoi on peut s'attendre à ce que le président reste en place jusqu'à nouvel ordre :

  1. La motion de destitution doit être entérinée par la cour constitutionnelle. La procédure peut nécessiter un long délai pour l'examen des allégations.
  2. La légitimité du vote a été contestée avec des accusations de comptage frauduleux.

Les observateurs malgaches donnent leurs interprétations des motivations à ce vote de destitution.

Limiter les mandats présidentiels dans l'ensemble des pays d'Afrique de l'Ouest? Pas si vite

jeudi 28 mai 2015 à 13:58
President of the Gambia Yahya Jammeh. He has been in power since 1994.UN photo by Erin Siegal. Used under Creative Commons license BY-NC-ND 2.0.

Le président de Gambie Yahya Jammeh. Il est au pouvoir depuis 1994. Photo de l'ONU par Erin Siegal. Utilisée sous la licence Creative Commons BY-NC-ND 2.0.

Les dirigeants d'Afrique de l'Ouest réunis à Acra, au Ghana, ont abandonné l'idée de limiter à deux le nombre de mandats présidentiels dans la région, en raison de l'opposition de la Gambie et du Togo, les seuls Etats membres sans limites de mandat. La constitution de la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest empêche les présidents d'exercer plus de deux mandats.

L'an passé, le président burkinabé Blaise Compaoré, qui dirigeait le pays depuis 27 ans, a été forcé de démissionner après avoir tenté de modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir.

Le président de Gambie, Yahya Jammeh, a pris le pouvoir lors d'un coup d'Etat militaire en 1994 et a depuis été réélu à quatre reprises. Les observateurs nationaux et internationaux, y compris ceux de l'Union Africaine (UA) et du Secrétariat du Commonwealth, ont toujours décrit les élections comme “libres, régulières et pacifiques.” Cependant, au cours de la période qui a précédé les dernières élections présidentielles (en novembre 2011), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a refusé d'envoyer des observateurs en Gambie en arguant que les élections ne seraient ni “libres”, ni “régulières.”

Quant au président Faure Gnassingbe, il a remporté les élections présidentielles togolaises en 2005 après le décès de son père, Gnassingbe Eyadema, qui avait pris le pouvoir lors d'un coup d'Etat en 1967. Le mois dernier, M. Gnassingbe, maintenant âgé de 48 ans, a été réélu sur fond de protestations de ses opposants, bien que l'UA et la CEDEAO aient parlé d'élections “libres et régulières.”

D'après Reuters, la ministre des Affaires étrangères ghanéenne, Hannah Tetteh, a déclaré que la proposition devait être débattue lors du sommet d'Acra mais que “les points de vue divergents (du Togo et de la Gambie) étaient devenus l'avis de la majorité à la fin de la journée”.

Des internautes des pays d'Afrique de l'Ouest ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux suite à l'abandon du projet de limitation des mandats présidentiels dans la région. Alors que certains restent optimistes, d'autres sont déçus et indignés, d'autant plus qu'ils ont le sentiment largement partagé que la région peine encore à adopter des contrepoids au pouvoir exécutif.

L'internaute gambien Sanna Camara n'a pas apprécié le résultat du sommet, se demandant comment 16 chefs d'Etat pouvaient prendre une décision aussi importante en passant outre les souhaits de millions d'habitants d'Afrique de l'Ouest:

Where's the voice of ECOWAS citizens in decisions such as the ones that just took place in Accra?
Whatever happens to the ECOWAS of the People's dream?
How could 16 ECOWAS citizens (call them heads of state) take certain crucial decision without the voice of hundreds of millions of her people?
No wonder the economic integration process and the single currency project (Eco) suffered a staggering slow process of realization…
Ignorant and self serving leaders, who became leaders by chance or dictators by design are the ones expected to take our dreams forward… I am not a historian but I understand that unity as we yearn for in Africa today cannot be realized if countries are not willing to relax their stiff sovereignty muscles which they flex in the name of their people and states, to reflect on the implications of present day decisions over future prospects for their people…

Où est la voix des citoyens de la CEDEAO dans des décisions comme celles qui viennent d'être prises à Acra?
Qu'arrive-t-il à la CEDEAO dont rêvent les gens?
Comment 16 citoyens de la CEDEAO (appelons-les chefs d'Etat) peuvent-ils prendre des décisions cruciales sans l'aval de centaines de millions de personnes?
Pas étonnant que le processus d'intégration économique et le projet de monnaie unique (Eco) mettent si longtemps à se réaliser…
Les dirigeants ignorants et égocentriques qui sont arrivés à la tête de leur pays par hasard ou les dictateurs par vocation sont les personnes supposées satisfaire nos désirs… Je ne suis pas historien mais je comprends que l'unité à laquelle nous aspirons aujourd'hui en Afrique ne peut se réaliser si nos pays n'affichent pas leur volonté de relâcher leurs muscles rigides de souveraineté qu'ils contractent au nom de leur peuple et de l'Etat, afin de réfléchir à ce qu'impliquent les décisions prises en ce moment pour les perspectives futures de leurs habitants…

Al Amin Jahateh lui rétorque avec cynisme:

Well, what do you expect when the power of the state – the power to make decisions on behalf of the citizens – is in the hands of ‘legitimate’ criminals, rogues and thieves who legalise their powers with the votes of the ‘educated illiterates and ignorant'….

Que faut-il attendre quand le pouvoir de l'Etat – le pouvoir de prendre des décisions au nom des citoyens – est entre les mains de criminels, fripouilles et voleurs “légitimes” qui exercent le pouvoir dans la légalité grâce aux votes des gens “éduqués, analphabètes et ignorants”….

Nshom­wanmomtanla s'est montré surpris que les opinions divergentes de deux pays soient devenues l'”avis de la majorité.” Il écrit sur Facebook:

how did a dissenting view by 2 countries become a majority view in a regional summit that had more than 4 countries in attendance? were there abstentions?

Comment le point de vue minoritaire de deux pays est-il devenu l'avis de la majorité lors d'un sommet régional qui rassemblait plus de quatre pays? Y-a-t-il eu des abstentions?

Alhagie Jobe exprime les mêmes préoccupations:

Only two nations should not hold all 15 nation bloc to ransom. A vote should have been conducted and the majority should carry the vote. How can only two nations say no against 13 other nations and it stand. In fact, the leaders where just acting as sheep in wolf clothing. All of them did not support it but where pretending as if they are.

Deux nations seulement ne devraient pas prendre un bloc de quinze nations en otage. Il aurait dû y avoir un vote et la majorité l'aurait emporté. Comment deux nations seulement peuvent-elles dire non à treize autres nations et à leur position? En fait, les dirigeants ont juste agi comme des agneaux déguisés en loups. Ils n'ont pas tous soutenu [la décision] mais ont fait comme si c'était le cas.

Ona Victor Obinna affiche un certain désespoir:

Yaya Jammeh and Faure Gnassigbe are recipes for political instability in the West Africa sub region, yet the other heads of statement couldn't caution and control their power drunk minds. It's a shame.

Yahya Jammeh et Faure Gnassingbe sont la clé de l'instabilité politique de la sous-région d'Afrique de l'Ouest, et pourtant les autres chefs d'Etat ne les ont pas mis en garde ni limité leur esprit assoiffé de pouvoir. C'est une honte.

Thierno Ba lance un avertissement à la CEDEAO:

I might add we don't wanna hear any condemnation of any eventual coup against those despots.

J'ajouterais que nous ne voulons pas entendre de condamnation en cas de coup d'Etat contre ces despotes.

Hassan Matia se demande comment un pays comme la Gambie peut participer à un forum sur la démocratie:

What do you expect telling a thief to investigate itself. What the heck was Gambia doing there in the first place? Gambia is not qualified to talk about human right or democracy.

Que faut-il attendre lorsqu'on dit à un voleur d'enquêter sur lui-même? Que diable faisait la Gambie là-bas d'abord? La Gambie est mal placée pour parler de droits humains ou de démocratie.

Modou Joof a cru à une blague du bloc régional et cherche à savoir comment le point de vue de deux chefs d'Etat peut supplanter les intérêts de 13 nations:

How can the views of only 2 of 15 States become a ‘majority view'? We knew the whole bloc was pretending, an insult to the intelligence of over 300 million citizens of the community.

Comment le point de vue de deux  Etats seulement sur quinze peut-il devenir “l'avis de la majorité”? Nous savions que l'ensemble du bloc [de pays] jouait la comédie, une insulte à l'intelligence de plus de 300 millions de citoyens de la communauté.

En revanche, certains internautes, comme Adisa A. Alkebulan, affirment que les dirigeants devraient rester en fonction aussi longtemps que leur peuple le souhaite:

Presidents should serve for as long as the people will have them. One term or 10 as long as they serve at the pleasure of their people. But they should not impose themselves on an unwanting people or by exralegal or military means. And we shouldn't reject a president because Europeans have trained us into believing in the divinity of 2 terms. Having said that, most euro/America serving African presidents aren't worthy of a single term

Les présidents devraient exercer leur fonction aussi longtemps que les gens le veulent. Un mandat ou dix tant qu'ils l'exercent selon le bon plaisir de leur peuple. Mais ils ne devraient pas s'imposer si les gens ne le souhaitent pas, par des moyens illégaux ou militaires. Et nous ne devrions pas rejeter un président parce que les Européens nous ont appris à croire dans le caractère sacrosaint des deux mandats.

“Pourquoi les remplacer s'ils travaillent dur?” s'interroge Juneil Bryte:

Allow Africa learn their own form of democracy. Stop forcing us to change our presidents after 2 terms. If they are working hard y change them? This is what the west and America use to destroy us. Do we always have to be like them. This is Africa. Allow us..

Laissez l'Afrique découvrir sa propre forme de démocratie. Arrêtez de nous forcer à changer de président au bout de deux mandats. Faut-il les remplacer s'ils travaillent dur? C'est ce qu'utilisent l'Occident et les Etats-Unis pour nous détruire. Devons-nous toujours être comme eux? Nous sommes en Afrique. Laissez-nous..

Même si le débat sur la limitation des mandats présidentiels continue sur Internet, il n'aura probablement aucun effet sur la décision prise lors du sommet. Les citoyens de la Gambie et du Togo devront certainement compter sur d'autres moyens s'ils désirent poursuivre le changement démocratique.

Les petits actionnaires chinois, “un cochon à saigner” ?

jeudi 28 mai 2015 à 12:42
A widely circulated picture explaining the relation among different players in China's stock market.

Une image largement diffusée, expliquant la relation entre les différents acteurs du marché des capitaux en Chine.

Un casino, mais sans règles, où “un joueur peut voir les cartes des autres”. Voilà comment l'éminent économiste chinois Wu Jinglian a défini le marché des actions en Chine, lors d'un sommet financier l'an dernier quand la bourse a commencé son ascension.

L'indice Shanghai Composite a grimpé de plus de 100 % sur un an, d'environ 2.000 à plus de 4.600 à ce jour, avec des gains similiaires pour l'indice des PME Shenzhen Composite. Mais les deux Bourses ont été distancées par ChiNext, le Nasdaq chinois, qui connaît des gains dépassant 150 % l'an et se targue d'un ration cours-bénéfice moyen (le rapport du cours actuel de l'action d'une société sur le bénéfice par action) de plus de 130, soit en gros cinq fois celui de l'indice composite du Nasdaq.

Les moteurs du boom sont le crédit facile, les incitations à investir données par le gouvernement aux nouveaux entrants, et  les espérances que la deuxième économie mondiale va rebondir de sa baisse croissante de tonus. Une perspective obscurcie par une croissance économique et un commerce plus faibles qu'attendu, qui n'a pas empêché les Bourses de continuer à monter.

Avec l'injection par la banque centrale de Chine de liquidités dans le système pour soutenir la croissance, la montée des actions chinoises favorise la spéculation sans scrupules, la même que sur les marchés immobiliers du pays.

Le seul acteur à pouvoir fixer les règles et voir les cartes des autres est bien sûr le gouvernement. Le Wall Street Journal a écrit récemment que le plus grand bénéficiaire est le gouvernement chinois : il a généré des milliards sur le marché pour aider les entreprises d'Etat à lever des fonds et se désendetter.

Et les autres joueurs ? L'image en tête de cet article circule depuis quelques mois sur l'internet, elle compare le gouvernement à un boucher, et les petits actionnaires à un porc prêt à être abattu. Les agences financières et les gros traders sont les assistants du boucher, et certains n'ont même pas à se salir les mains dans l'affaire.

Plus de 10 millions de nouveaux comptes d'actionnaires ont déjà été ouverts cette année, plus que le total de 2012 et 2013 cumulés, selon les chiffres de l'établissement chinois de dépôt et de compensation des titres. Beaucoup de ces nouveaux acteurs s'avèrent des petits investisseurs novices, qui suivent probablement les conseils d'amis ou des médias contrôlés par l'Etat. Les deux tiers environ des nouveaux petits porteurs ont quitté l'école avant l'âge de 15 ans, selon une étude récente de Bloomberg sur les finances des ménages chinois.

Après des mois de raccolage sur la hausse des cours, le Quotidien du Peuple, le journal du Parti Communiste, a publié un avertissement ce mois, prévenant que le boursicotage est “à haut risque”. La note incitait le public à “investir rationnellement”. Sans arriver à dissuader des millions de petits investisseurs de se précipiter sur le marché en rêvant de gagner le gros lot.

Weibo, le Twitter chinois, abonde de discussions sur la frénésie des investisseurs individuels. “Energetic Andy” a comparé leur mentalité à celle des joueurs compulsifs :

在中国股市,既无法复制巴菲特的奇迹[…]在赌局游戏中,更需要做的是趁着赌局大旺,而后趁机捞一把。最后,当别人沉迷赌局,无法自拔的时候,全身而退

Il est impossible de reproduire le miracle de [l'homme d'affaires américain] Warren Buffett pour les valeurs chinoises […] Dans un jeu de hasard, il faut choisir une table gagnante avec de nombreux joueurs, qui vous donne une opportunité de miser. Ce qui compte, c'est de profiter des gains de la partie et de se retirer rapidement quand les autres deviennent accros.

Liu Shengjun, un économiste célèbre, actif sur Weibo, a exhorté les petits actionnaires à se retirer de la Bourse :

【致创业板股民的一封信:不仅仅是泡沫】泡沫一旦破灭,大量低学历低收入人群将成最后接棒者。驱动因素则是“非理性亢奋+财务造假”。监管者不应“目睹”疯牛走向更大的疯狂,直至“踩踏式悲剧”,而应在“聚会高潮时端走酒杯”

“Lettre aux investisseurs de ChiNext : Ce n'est pas qu'une bulle” : Quand la bulle éclatera, des tas de gens peu instruits et en bas de l'échelle des revenus seront les premiers touchés. Les moteurs sont “l'excitation irrationnelle plus la fraude financière”. L'autorité de supervision ne devrait pas regarder passivement le taureau fou devenir encore plus fou et foncer dans la foule. Elle doit “ôter l'alcool au plus haut de la fête”.

L'économiste Christopher Jin a fait remarquer :

为何第四波牛市会走得更远?只有一个解释,这是纯粹投机性疯牛市,与基本面无关,PMI、GDP诸经济指标越差,股市越疯涨,赌客越多,只要巨资集聚就行,本月252万新股民汹涌入市,上周新增A股账户数为113.85万户,环比大增57.95%,不服也得服,从赌场原理来说,不要讲道理,紧跟大势走,不见棺材不掉泪。

Pourquoi la quatrième vague du marché haussier va-t-elle aussi loin ? Une seule explication : c'est une hausse purement spéculative sans aucun rapport avec les fondamentaux tels que l'index des responsables d'achats ou le PNB. Plus les parieurs s'assemblent, plus le capital s'accumule. Ce mois-ci, 2.520.000 nouveaux actionnaires sont entrés sur le marché boursier. La semaine dernière, ce sont plus de 1.138.500 nouveaux comptes d'investisseurs qui ont été ouverts pour échanger les actions A, une augmentation de 57,95 % par rapport à la période statistique précédente. Dans la logique de casino, le jeu est dépourvu de rationnalité, à part suivre la tendance jusqu'à se trouver dans le cercueil.

Alors que la Bourse est mue par des politiques économiques publiques comme la “Nouvelle Route de la Soie”, “internet+” et d'autres encore, les investisseurs achètent des titres de sociétés bénéficiant de ces projets. Mais ils n'examinent que rarement les détails de ces entreprises et peuvent aisément être victimes d’ “arnaques”. Wang Shi, le président de la plus grosse firme d'immobilier de Chine, Vanke, rit des attrapes imaginées par certaines entreprises pour revêtir leurs activités des oripeaux de politiques économiques gouvernementales en vue de se faire lister sur ChiNext :

创业版路线图:计划收购250个公共厕所,谋求上市。理由:处理大小便环保概念,检验大小便,医疗大健康,加个WIFI,互联网+,新疆,浙江收购几个,一带一路;装上自动门,工业4.0;门口坐两要饭的,P2P和众筹概念。男厕让出二位给女厕,是重大资产重组概念!有意向风投的,可以先点赞再联系。

Comment entrer dans ChiNext : projet d'acquisition de 250 toilettes publiques pour un appel public à l'épargne. Motifs : s'occuper de la miction et de la défécation relève du concept de protection de l'environnement. Les analyses d'urines et de selles relèvent de la santé publique. Installer le WiFi dans les toilettes relève de la politique “Internet+” [la dernière-née des politiques économiques du gouvernement chinois]. Acheter des toilettes au Xinjiang et Zhejiang relève de la politique “Initiatives de la ceinture et de la route [le projet de Nouvelle Route de la Soie de la Chine, lien en anglais]. Installer des portes automatiques pour toilettes s'insère dans le concept “Industrie 4.0” . Faire venir deux mendiants à côté de la porte se réfère au P2P et au financement participatif. Transformer deux toilettes pour hommes en toilettes pour femmes revient à une réaffectation d'immobilisations corporelles. Les amateurs d'investissements peuvent me contacter en cliquant sur ‘favoris’.

Les langues ne sont pas des camisoles de force, mais des outils pour communiquer

mercredi 27 mai 2015 à 08:16
Mexican author Cristina Rivera Garza speaking to a panel at the 2015 LéaLA Spanish-language book fair in Los Angeles. Credit: Betto Arcos. Published with PRI's permission

L'auteure mexicaine Cristina Rivera Garza lors d'un débat à la foire du livre hispanophone LéaLA 2015, à Los Angeles. Photo: Betto Arcos. Publié avec la permission de PRI.

Cet article et ce reportage radio par l'éditeur William Troop et le producteur Betto Arcos pour The World est apparu à l'origine sur PRI.org le 19 mai 2015, et est republié ici selon un accord de partage de contenu. 

Cristina Rivera Garza est une écrivaine mexicaine et une professeure qui a bâtit sa carrière des deux côtés de la frontière É.-U./Mexique. Ses romans écrits en espagnol ont gagné des prix littéraires au Mexique, et elle a enseigné l'écriture tant au Mexique qu'aux États-Unis.

Elle sait dont très bien ce que c'est que de travailler et d'écrire en espagnol et en anglais. Le producteur Betto Arcos l'a rencontré à LéaLA, une foire du livre hispanophone à Los Angeles, et lui a demandé ce que ça fait de publier en deux langues, et comment vivre des deux côtés de la frontière a influencé son travail. Voici une version éditée de leur conversation.

Cristina Rivera Garza: Je suis une auteure mexicaine qui vit aux États-Unis depuis 25, 26 ans. Je suis une Norteña au Mexique, je suis née à Matamoros, Tamaulipas. C'est la ville située en face de Brownsville, Texas, de l'autre côté de la frontière. Je vis également à San Diego, Californie, depuis quelques années, de l'autre extrémité de la frontière.

Vous savez, j'ai publié la plupart de mon œuvre en espagnol. La plupart de mon travail académique, je l'ai publié en anglais. Et pendant un certain temps, ce genre de division fonctionnait assez bien. Par contre, ces sept dernières années, j'ai enseigné l'écriture créative dans le programme MFA à la University of California, à San Diego, et j'enseigne surtout l'anglais. En fait, pas surtout, mais plutôt seulement. Et cette différence, le fait que je me perçoive comme une auteure mexicaine écrivant en espagnol et comme une universitaire continentale écrivant en anglais, tout cela a été détourné par cette expérience. Évidemment, je vis ici depuis si longtemps, que j'écris également en anglais des choses que j'ai décidé de ne pas publier. Mais cela pourrait changer dans un avenir proche.

Betto Arcos: Que voulez-vous dire par « détourné »? En quoi consiste cette expérience?

CRG: En fait, je me suis beaucoup préoccupée de, et j'ai voulu maintenir, mon rapport avec la littérature mexicaine et avec les auteurs et les lecteurs mexicains. Mais vivant ici depuis si longtemps, j'ai dû réaliser que nous n'avons pas seulement des lecteurs mexicains de ce côté-ci de la frontière, mais aussi des Mexicains qui lisent tant en anglais qu'en espagnol. Alors pour moi, c'est devenu une question de savoir, d'emplacement et du genre de débats critiques auxquels je veux prendre part. En fonction de cela, j'ai dû détourner ma propre façon de penser. Vous savez, cette différence entre une auteure mexicaine qui publie en espagnol, et une universitaire qui peut publier tant en espagnol qu'en anglais. C'est sensé et c'est plutôt facile. Mais en même temps, ça ne couvre pas la complexité de notre monde contemporain, la géopolitique dans laquelle je me trouve en ce moment. Donc cela doit changer, et cela a, de ce fait, changé.

BA: Est-ce juste de dire que vous utilisez des modes de pensée différents selon que vous écrivez en anglais ou en espagnol? Quelle est la différence entre ces deux modes?

CRG: C'est une question très intéressante, et il est très difficile d'y répondre. Je croyais qu'il y avait une différence jusqu'à tout récemment, alors que j'ai été forcé de réaliser quelque chose. J'ai écrit du contenu en espagnol qui, une fois que je l'aie lu attentivement et que certains traducteurs aient essayé de le traduire, m'a fait réaliser que j'écris du contenu original tant en anglais qu'en espagnol. Et, en quelque sorte, cela touche à l'ADN même de l'écriture. Il n'y a donc pas d'endroit ou de compartiment spécial pour chacune de ces langues. Elles viennent en vagues et sont entremêlées. Et il s'agit plutôt d'avec qui je veux avoir ce débat plutôt que sur quel genre de contenu je travaille.

J'ai donc écrit de façon bilingue pendant quelques années. Mais j'ai publié en espagnol car c'est le débat que j'ai voulu encourager. Et à présent, je vois l'énorme richesse apportée à mon monde en promouvant ce même genre de débat avec des lecteurs de l'autre côté de la frontière qui lisent peut-être tant en espagnol qu'en anglais.

Et je ne parle pas de la maîtrise des deux langues. Je parle de prendre ou d'emprunter des aspects de l'anglais et des aspects de l'espagnol, et de les combiner d'une manière à laquelle même moi je ne m'attends pas. Et je constate maintenant qu'il faut simplement encourager et participer activement au débat avec les hommes et les femmes avec lesquels je vis dans ce pays. Je suis ici depuis si longtemps, et il me semble que j'ai trop attendu et que j'ai pris trop de temps pour réagir, et je sens que mon temps est venu.

BA: Vous abordez un sujet très intéressant. Lorsque j'écris, lorsque j'essaie de dire quelque chose, je peux le faire de tant de façons en anglais. Ensuite, j'essaie de l'adapter en espagnol, et parfois ça ne marche pas. Comment vivez-vous cela?

CRG: Ouais, le truc c'est que si tu essaies de le forcer, chose qui m'arrive, et que je ne respecte pas la langue et la forme, la structure et la syntaxe dans laquelle cette pensée ou cette construction spécifique m'est arrivée, alors je me mets les pieds dans les plats. Et parfois c'est si important que ça me paralyse! Et c'est bien plus facile et bien plus authentique lorsque je me laisse aller et que je commence à écrire de manière plus fidèle à ma propre perception et à la façon dont mon corps réagit au monde qui m'entoure à ce moment-là.

Je crois que c'est de cette transformation que je parle. Plutôt que de prendre les langues pour des camisoles de force, pour des habitudes disciplinaires à respecter, je prends ce qu'il y a de plus utile, ce qui est plus fidèle aux choses que je veux transmettre et partager. Et voilà ce que j'ai fait, peut-être pas dans un espagnol parfait ni dans un anglais parfait, par contre. Mais lorsqu'on écrit, on ne s'inquiète pas de questions de pouvoir ou de domination. Quand on écrit, on parle plutôt d'un sens plus profond de la communication, d'une façon plus profonde d'entrer en contact avec d'autres êtres humains. Voilà ce qui me préoccupe en ce moment, ce genre de possibilité.

Brésil : des jeunes veulent changer l'avenir à Cabelo Seco dans l'état du Pará

mardi 26 mai 2015 à 19:55
Sandoval Maia, Évany Valente, Elisa Dias, Caroline Valente, Carol Sousa, Matheus Sá, Camylla Alves, Rafael Varão, Pablo Diego e João Paulo Sousa, juntos no Barracão da Cultura do Rios de Encontro.

Sandoval Maia, Évany Valente, Elisa Dias, Caroline Valente, Carol Sousa, Matheus Sá, Camylla Alves, Rafael Varão, Pablo Diego et João Paulo Sousa, tous ensemble dans la salle culturelle de Rios de Encontro. Photo: Rios de Encontro/Diffusion

Dans une petite ville proche de la “Serra dos Carajás”, zone de l'Amazonie brésilienne où l'on trouve les plus grands gisement de fer du monde, des jeunes du collectif Rios de Encontro  (La rencontre des fleuves) font la promotion par l'art et de la culture locale des riverains des fleuves. Global Voices est allé à leur rencontre à Cabelo Seco, un quartier où ils se produisent dans la ville de Marabá, dans l'état du Para, pour mieux connaître leurs projets.

Le collectif, créé par arte-educadora, centre cuturel Manoela Souza et l'écrivain et artiste plastique Dan Baron, pilote 14 microprojets en cours dont l'objectif est de promouvoir la notion que le développement n'implique pas forcément de détruire les rivières et les forêts.

Un de ces projets est la  “banda Latinhas de Quintal”, qui a remporté le prix national de l'Unicef en 2011, et la compagnie de danse AfroMundi, qui a gagné le prix national des Jeunes agents de culture (MinC 2012). Ensemble, ces deux projets ont également remporté le prix annuel de l'organisation internationale de l'enseignement culturel Creative Connections, en 2014, avec le CD Amazônia Nossa Terra (Amazonie notre terre)  et le spectacle de dance Lágrimas Secas (Les larmes sèches) .

Le 16 avril, le groupe a fait un voyage à NewYork pour présenter son spectacle, Lágrima Secas. Avec le soutien de Dan Baron, les chorégraphies ont été montées par la jeune coordinatrice de la compagnie, Camylla Alves, 19 ans qui s'exprime pour Global Voices:

” Le projet veut d'abord prouver que tout le monde a la capacité de rêver et de réaliser ses rêves. On peut danser, chanter, se libérer. Lágrimas Secas évoque de façon vivace les grands fleuves du monde s'asséchant et prenant feu après la construction des grandes centrales hydro-électriques et l'assassinat des sources.”

Dans son œuvre, Camylla associe des musiques et des chorégraphies africaines avec un langage contemporain, exprimant  l'histoire de son peuple et  ses propres racines. Avec d'autres jeunes coordinateurs, elle a gagné une bourse de “Rios de Encontro” qui lui donne des moyens d'existence pour réaliser ses recherches artistiques. Dans une des villes considérée comme une des dix plus violentes pour les jeunes noirs du Brésil, “Rios de Encontro” offre des outils d'affirmation et d'estime de soi à cette population.

Aujourd'hui nous sommes une famille qui partage tous ses secrets. La communauté a bien sûr encore ses faiblesses, ses rixes et ses bagarres, ses problèmes dans les rues et dans les maisons,  mais chacun essaie d'émerger au-dessus de tout ça.

Fortalecidos pela recepcão na noite cultural em Cabelo Seco, Camylla Alves, Lorena Melissa e João Paulo Perreira de Cia AfroMundi apresentam 'Lágrimas Secas' no Colóquio 'Fronteiras e Territórios' na UNIFESSPA, no dia 02 de març

Camylla Alves, Lorena Melissa et João Paulo Sousa pendant la représentation du spectacle: “Lágrimas Secas”/ photo: Rios de Encontro/Divulgação

Un autre projet, Rádio Arraia,  a gagné une bourse de Rising Voices Amazonia en 2014. Cette radio fonctionne comme un grand diffuseur de productions artistiques et culturelles. Des jingles sont utilisés, par exemple pour disséminer les nouvelles concernant des représentations ou faire mieux prendre conscience de la possiblité de pratiques écologiques comme l'utilisation de l'énergie solaire. Le principe directeur est de s'opposer au discours officiel en faveur de la construction de centrales hydroélectriques et d'amener la discussion sur les alternatives de développement durable.

 Écouter ce “jingle” qui invite à aller recharger son téléphone portable dans le hangar de “Rios de Encontro” équipé des panneaux solaires.

 Cet autre “jingle” invite  les gens du quartier au spectacle réalisé par  Lágrimas Secas.

Les rencontres du collectif sont organisées dans deux locaux de la maison de la culture appartenant à la commune de Cabelo Seco, près du rivage où se rencontrent les fleuves Itacaiúnas et Tocantins. C'est là qu'ont lieu les réunions du groupe autour des coordinateurs Dan Baron e Manoela Sousa. C'est là que l'on apprend tout ce qui se passe dans les environs : “La fenêtre est notre grand moyen de communication”,  plaisante Manoela.

À 50 m de là se trouve un autre endroit de rencontre :  dans un hangar  ont lieu les représentations artistiques. Elisa Dias, 18 ans, et Caroline Valente, 18 ans également , ont également rencontré Global Voices. Elisa coordonne le projet “Habits dans le vent”, dédié aux questions de genre, et donne des conseils aux jeunes filles sur les moyens d'éviter les violences à la maison et dans la rue. Elisa et Caroline racontent combien  Dan et Manoela  ont été important dans leur vie:

Quand je suis tombée enceinte à 15 ans j'étais beaucoup soutenue par Dan et Manoela, le contraire de ce qui s'est passé chez moi”, j'ai décidé de garder le bébé (Pietro). J'étais déjà bien habituée à m'occuper de mes frères, je prenais soin d'eux pendant que ma mère allait laver le linge à la rivière.

Caroline aime raconter des histoires et un peu pour cela est devenue la référente “journalisme” du projet.  Elle est arrivée également à créer le projet “Nem um Pingo” (Même pas une once) en faisant un documentaire sur la vie des habitants du coin.

“Rios de Encontro” m'a conforté dans ce que je voulais pour moi. J'ai créé “Nem um Pingo”  de façon parfaitement légale, les gens ont fait des films, se sont documentés et on présenté tout cela à la communauté qui a  écouté des histoires toutes différentes et amusantes.

Elles font partie de Rios de Encontro depuis sept ans. Elles ont fondé à cinq filles  le groupe “Latinhas de Quintal”. Elles continuent toujours l'aventure, Camila et Caroline sont les chanteuses principales et Elisa est aux percussions.

Le spectacle du groupe culturel “Latinhas de Quintal” sur scène à Cabelo Seco

Plus d'implication et moins de désengagement

 Alors que le train de la vallée du Rio Doce, géré par une grosse entreprise minière brésilienne,  parcours 892 km entre les états du Pará et du Maranhão chargé de plus de 120 millions de tonne de minerais par an, tout ce mouvement artistique et culturel de “Rios de Encontro”  cherche à renforcer la mémoire amazonienne à Marabá et le mode de vie des riverains des fleuves.  L'objectif est le développement personnel et en tant que groupe la capacité de créer des liens profitables à tous. “Nous voulons plus d’ implication et moins de désengagement”, explique Manoela Souza.

Outre les problèmes causés par la construction des centrales hydroélectriques sur les fleuves locaux, la communauté affronte la menace d'être affaiblie car beaucoup d'habitants partent habiter dans la nouvelle cité “Minha Casa, Minha Vida” (ma maison, ma vie), projet de logements sociaux du gouvernement fédéral.

 Sans disposer encore de beaucoup de structures de type école ou hôpitaux et encore moins d'un fleuve à proximité, ce quartier construit par le gouvernement a pris le nom de Morada Nova (la nouvelle demeure).  Il est à seulement 15 km de Cabelo Seco, mais pour aller d'un endroit à l'autre il faut jusqu'à deux heures dans un omnibus. Ainsi les frères les cousins et même les amis ont commencé  à se voir de moins en moins.

 Pour le chef de la communauté: Zequinha Sousa, Cabelo Seco cours le risque d'être remplacé par une zone touristique:

Cabelo Seco serait une endroit dangereux mais tout le monde veut y être.  C'est un endroit privilégié par sa beauté. Les gens n'ont pas conscience de  la qualité de l'endroit où ils vivent.  Beaucoup sont partis  et s'en repentent déjà parce que le fleuve donne vie à la cité. Je suis pêcheur mon père était pêcheur. Il a beaucoup souffert à cause du barrage, cette richesse a disparue,  mais c'est encore un endroit où le coucher du soleil est très particulier!