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En Finlande, les femmes samies, éleveuses de rennes, se battent contre le réchauffement climatique

jeudi 26 avril 2018 à 16:47

Inka Saara Arttijeff est la conseillère du président du parlement sami et est issue d'une famille d'éleveurs de rennes samis. Elle représente la Finlande aux sommets internationaux sur le changement climatique. Crédit: Sonia Narang/PRI

Ce billet écrit par Sonia Narang a été originellement publié sur PRI.org le 7 mars 2018. Il est repris ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices. 

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages ou des documents en anglais.

Inka Saara Arttijeff et sa famille se retrouvent dans la chaleureuse cuisine de leur maison de bois rouge pendant qu'une marmite de soupe mijote sur le feu. Ils vivent au bord d'un lac gelé dans le village enchanteur de Nellim, situé dans l’extrême nord de la Finlande. Nous sommes début février, et ici le soleil se lève vers 15 heures. Inka Saara Arttijeff est membre d'une famille d'iautochtones samis, éleveurs de rennes, indifférents à l'absence de lumière du jour et aux températures sous zéro.

Les Samis sont un peuple autochtone des régions du nord de la Finlande, mais aussi de Suède, de lNorvège et de Russie, connus pour leur tradition d'élevage de rennes, vieille de plusieurs siècles. (Les rennes sont considérés comme “semi-domestiqués” [fr] en Finlande et les éleveurs les guident lors de leur migration saisonnière.) Cependant, le réchauffement climatique menace de perturber la tradition du peuple sami : l'élevage de rennes. Comme les températures de l'Arctique augmentent deux fois plus vite que la moyenne du reste de la planète, les éleveurs de rennes luttent face à une météo de plus en plus imprévisible et extrême.

De vastes étendues d'arbres enneigés peuplent le paysage devant la maison de Inka Saara Arttijeff. Toutefois, l'abattage des arbres a commencé à empiéter sur les forêts où les Samis élèvent leurs rennes. Ces deux facteurs combinés, le changement climatique et l'expansion de l'exploitation forestière, ont rendu plus difficile l'obtention de nourriture pour les rennes et modifient leurs habitudes migratoires.

“L'élevage de rennes représente une façon de vivre,” explique Inka Saara Artijeff.

” Nous sommes nés pour être éleveurs de rennes ; cela fait partie de notre identité,” ajoute-t-elle. “C'est difficile de penser à une autre vie.”

Inka Saara Arttijeff a passé son enfance entourée de rennes, et son troupeau a appris à la reconnaître. “Quand j'étais petite, Je prenais un faon, et je l'apprivoisais et l'emmenais se promener avec moi. En fait, c'était comme mon animal de compagnie,” dit-elle en riant.

Dans l'Arctique, le hausse des températures a modifié les conditions météorologiques dans le nord de la Finlande; il est donc difficile pour les rennes de trouver de la nourriture sous la neige durcie. Crédit : Sonia Narang/PRI

La culture des Samis a toujours été importante dans la vie de Inka Saara Arttijeff et cela se reflète dans son style vestimentaire qu'elle agrémente d'accessoires traditionnels du peuple sami, comme le chapeau fait à la main qu'elle porte quand elle sort et le foulard à motif muni d'une broche ronde et dorée qu'elle enfile chez elle.

Inka Saara Arttijeff fait partie du nombre croissant de femmes samies qui se font entendre bien au delà des frontières de leurs petits villages. La jeune femme de 33 ans est la conseillère du Président du parlement sami, Tiina Sanila-Aikio, et représente la Finlande sur la scène internationale. Chaque année, Inka Saara Arttijeff rejoint la délégation des représentants autochtones à l'ONU afin de discuter du changement climatique. Elle est également diplômée en droit et en relations internationales.

Pour Inka Saara Arttijeff, c'est un honneur de représenter le peuple sami et son pays lors des sommets internationaux. “Cela peut paraître bizarre, mais avant, les non-samis et les non-autochtones décidaient pour nous. Aujourd'hui, nous pouvons faire partie des prises de décision, et nous sommes pris en considération,” explique-t-elle.

Un vieille tradition en perpétuel changement

Pour les éleveurs autochtones, une légère hausse de température peut avoir des répercussions dramatiques. Pendant l'hiver, les rennes pouvaient facilement trouver leur nourriture favorite sous la neige : le lichen (une symbiose de champignon et d'algue). Cependant, les hivers plus doux font fondre et recongeler la neige au sol, empêchant les rennes de sentir et de creuser pour trouver de la nourriture, coincée sous la neige qui a durci.

Inka Saara Arttijeff décrit les changements météorologiques dont elle a été témoin ces dernières années, parmi lesquelles les traditionnelles chutes de neige se transformant en pluie. “Il peut neiger et après il peut pleuvoir et puis ça peut geler encore… ce qui fait que la neige se durcit”, explique-t-elle. “Les rennes ne peuvent pas trouver de nourriture dans la forêt… et cela les affaiblit”, confie Inka Saara Artijeff. “Votre troupeau devient de plus en plus petit.”

Inka Saara Arttijeff et sa famille vivent dans cette maison, dans un des tout premiers villages du peuple sami. Ce village a été construit au bord d'un lac lorsque le peuple sami est passé d'un mode de vie nomade à un mode de vie sédentaire. Crédit: Sonia Narang/PRI

Les scientifiques finlandais ont également étudié ces impacts. “Les zones de la mer Arctique sont très chaudes au début de l'hiver, créant une humidité dans l'air,” explique Jouko Kumpula, scientifique à l'Institut des Ressources Naturelles de Finlande. “Cet air se répand sur les terres, il pleut sur la neige et c'est mauvais pour les rennes.”

De plus, le réchauffement climatique a crée un environnement propice à la prolifération de certains organismes nuisibles. “De nouveaux parasites et de nouvelles maladies se propagent vers le nord à cause du changement climatique et peuvent aussi infecter les rennes,” affirme Jouko Kumpula.

Dans la maison du village sami, Inka Saara Arttijeff et son oncle discutent du problème de l'abattage des arbres dans la région. Kalle Paadar, un Sami de 68 ans, a élevé des rennes toute sa vie et explique en quoi l'exploitation forestière est un problème évident. Lorsque les arbres sont abattus, la végétation de la forêt change et les rennes modifient leur route migratoire. L'abattage des arbres engendre aussi des déchets de bois qui salissent le sol et recouvrent les sources d'alimentation pour les rennes.” Pour l'élevage de rennes, nous avons besoin de forêts saines,” assure Inka Saara Arttijeff.

Elevage de rennes et maternité

Saara Tervaniemi souligne également que la foresterie est l'une des plus grandes menaces. Elle est éleveuse de rennes et mère de trois jeunes enfants. “Nous perdons nos pâturages d'hiver à cause de l'industrie forestière,” déclare-t-elle au siège du parlement sami.

Metsähallitus, l'agence forestière détenue par l'Etat finlandais, gère un tiers des forêts du pays et est responsable de la récolte et de la vente du bois. Kirsi-Marja Korhonen, un directeur régional et spécialiste de l'environnement chez Metsähallitus explique qu'ils travaillent en étroite collaboration avec les communités samies afin de négocier sur l'abattage des arbres dans les zones où les rennes sont élevés. Kirsi-Marja Korhonen souligne que 60% des arbres sur les terres samies se trouvent dans des zones protégées. D'après les éleveurs, cela laisse une grande partie des forêts samies sans protection et ils pointent également du doigt la pratique de coupe à blanc des forêts productives.

Saara Tervaniemi explique qu'il est essentiel de surveiller les activités forestières sur les terres de son peuple car l'exploitation forestière érode la culture qu'elle espère un jour léguer à ses enfants. Durant son enfance, Saara Tervaniemi a appris l'élevage avec son père pendant les rassemblements de rennes. Ses enfants aspirent à perpétuer la tradition familiale.

“En tant que mère, il est difficile de penser que mes enfants rêvent de devenir éleveurs de rennes lorsque l'on sait que notre activité fait face à autant de menaces dans notre région,” dit-elle. “Si l'exploitation forestière se poursuit comme prévu, l'élevage de rennes sera un réel challenge pour mes enfants.”

Saara Tervaniemi, membre du conseil des Samis, nous confie que ses trois jeunes enfants rêvent de devenir des éleveurs de rennes. Crédit: Sonia Narang/PRI

Selon Saara Tervaniemi, cette façon de vivre coule dans le sang du peuple sami. “Si vous dites à mon mari ou aux éleveurs de rennes dans notre quartier de trouver un autre travail, je ne pense pas qu'ils aient d'autres choix. Ils ont grandi en élevant des rennes. C'est notre vie, et c'est aussi une façon d'exister,” affirme-t-elle.

Saara Tervaniemi, 37ans, est membre du conseil sami, qui rassemble des représentants samis de quatre pays. “Il faut être petit peu militant pour pouvoir maintenir notre train de vie et notre culture,” dit-elle. Pour Saara Tervaniemi, les femmes samies ont toujours été sur un pied d'égalité avec les hommes, et beaucoup jouent un rôle significatif dans les organisations politiques. En plus d'être membre du conseil, Saara Tervaniemi travaille sur une thèse concernant les problèmes auxquels les Samis font face.

Au sein du parlement sami finlandais, c'est une évidence puisqu'il est dirigé par une femme et est composé de façon équitable entre les hommes et les femmes. De plus, les groupes régionaux de femmes tel que Sarahkka – nom emprunté à la fille mythique de l'ancienne mère et ancien père du peuple Sami – et le forum Nisson sami (forum des femmes) rassemblent les femmes samies des pays du nord. Ces groupes se concentrent sur l'égalité des sexes et les questions politiques autochtones, notamment les droits de l'eau et de la terre.

Comme les femmes samies sont chargées principalement de la garde des enfants et de la transmission de leur culture à la prochaine génération, l'élevage de rennes est devenu une question importante pour elles, surtout que l'exploitation forestière et le réchauffement climatique se sont intensifiés ces dernières années.

Les forêts couvrent 75% des terres finlandaises, les éleveurs de rennes samis s'inquiètent des effets de l'exploitation forestière sur les pâturages. Cette photographie est la vue depuis le parlement sami dans le nord de la Finlande. Crédit:  Sonia Narang/PRI

“Le renne en lui même a tellement de signification dans la culture sami,” dit Saara Tervaniemi en ajoutant: “être dans la nature, être avec des rennes – c'est tellement beau.”

Inka Saara Arttijeff parle avec tout autant de sagesse du peuple sami et du lien qu'il entretient avec les rennes. “Lorsque nous ne les voyons pas, ils nous manquent. Leur odeur, leur présence et leur bruit nous manquent. Ils reconnaissent notre voix, nous les appelons et ils viennent vers nous.”

Ce n'est pas seulement l'élevage de rennes qui est menacé – c'est aussi les quatre autres moyens de subsistances : la pêche, la cueillette, la chasse et l'artisanat. “Pour cela, nous avons besoin de matériaux qui proviennent de la nature,” explique Inka Saara Arttijeff. “Si la nature change, les moyens de subsistance traditionnels ne peuvent plus être utilisés. Donc, si cela change, tout change pour nous.”

Sonia Narang a écrit cet article depuis la Finlande avec le soutien du programme de l'Institut européen des forêts : le “Lookout360 Climate Change Immersive Story Accelerator.”

Le Premier ministre arménien démissionne après dix jours de manifestations de masse pacifiques

jeudi 26 avril 2018 à 15:15

Liesse dans les rues de Yerevan. Toutes les photos sont de Joshua Kucera.

Ce qui suit est un article publié par EurasiaNet.org et rédigé par Joshua Kucera. Reproduit avec autorisation.

Serge Sargsian, qui dirigeait l'Arménie depuis dix ans, s'est retiré le 23 avril, renversé par une vague écrasante de protestations pacifiques à travers tout le pays, dans ce qui avait été l'un des États les plus immobilistes du monde post-soviétique. Ce geste a déclenché une vague de célébrations sans précédent dans le pays et a préparé le terrain pour ce qui promet d'être un avenir politique imprévisible.

“Je renonce au poste de Premier ministre du pays” a annoncé Serge Sargsyan dans une déclaration. “Le mouvement dans les rues est contre mon mandat. J'accède à votre demande.”

Il a également reconnu le leadeur de la contestation, dont l'arrestation la veille n’a fait que dynamiser encore plus le mouvement et l’a fait paraître encore plus imparable : “Nikol Pashinyan avait raison. Je me suis trompé. Il y a un certain nombre de solutions dans la situation actuelle, mais je ne recourrai à aucune d'entre elles”.

revelers take to the streets of Yerevan after Sargsyan resigns on April 23

Cette démission fut le point culminant des 10 jours de manifestations qui ont eu lieu à Erevan et partout ailleurs en Arménie visant à forcer le départ de Sargsyan. Les manifestants ont exprimé leur ressentiment de longue date à l'égard de Sargsyan, Président de l'Arménie pendant dix années de stagnation économique et de corruption profonde au plus haut niveau. Mais ils ont été galvanisés par l'annonce de Sargsyan deux semaines auparavant qu'il allait prendre le poste de premier ministre alors que le pays passait d'un régime présidentiel à un régime parlementaire, offrant ainsi la perspective de continuer à gouverner indéfiniment.

L'Arménie a connu un certain nombre de grands mouvements de protestation de rue au cours des dernières années, ce qui rendait la plupart des observateurs sceptiques quant à l'efficacité d'un nouveau mouvement de contestations. Mais cette fois, le ressentiment accumulé, combiné à l'habileté politique de Pashinyan, ont créé une dynamique que le gouvernement ne pouvait pas arrêter.

La nouvelle stupéfiante de la démission de Sargsyan a envoyé des dizaines de milliers gens en liesse dans les rues d'Erevan, affluant sur la place de la République, le centre géographique du mouvement de protestation en pleine jubilation.

Les groupes se sont divisés en cercles de danse criant “Victoire !” et “Arménie !” Des hommes en survêtement se donnaient de chaleureuses accolades;  un groupe d'adolescentes à l'esprit civique ramassait même les bouteilles de plastique vides dans la rue. Certains se sont assis tranquillement sur la place, satisfaits d'être entourés de leurs joyeux concitoyens.

“C'est comme si notre nation venait de renaître,” a déclaré l'une des participantes aux célébrations, Sona Makasyan.

Quand on lui a demandé ce qu'elle pensait qui allait advenir de l’Arménie, Makasyan s'est mise à sautiller. “Ça va être génial !” a-t-elle déclaré. “Non, nous savons qu'il y aura des difficultés, mais c'est la première étape. C'est une nouvelle Arménie.”

Beaucoup de présent ont pris la peine de remercier les policiers présents sur les lieux. Tout au long des manifestations, de nombreux Arméniens craignaient qu'une violente répression puisse être mise en place, et il y a eu des cas épars d'arrestations violentes de manifestants par la police.

Mais ces épisodes ont été pardonnés car la répression décisive n'a jamais eu lieu. Une jeune fille d'une vingtaine d'années a enlevé le béret rouge d'un agent des forces spéciales de la police, l'a mis et a posé pour un selfie avec lui pendant qu'il souriait timidement.

“J'espère que maintenant tout va être fait pour le bien du peuple, que la police servira le peuple et non les dirigeants,” a déclaré une autre orésente, Karen Muradyan.

revelers take to the streets of Yerevan after Sargsyan resigns on April 23

Karen Hayapetyan, un officier béret rouge qui se trouvait à proximité, recevait les félicitations des passants. Il a exprimé laconiquement l'espoir que “tout ira mieux maintenant”, mais il a ajouté que “nous avons toujours servi le peuple”.

La démission de Sargsyan n'était que le derner d'une série de développements dramatiques qui a eu lieu durant tout le week-end. Le lundi précédent, Pashinyan avait été libéré de prison, un jour après avoir été arrêté dans ce qui s'est avéré être une tentative mal conçue pour stopper et désamorcer le mouvement de protestation. Les manifestants ont réagi en se rendant à un rassemblement massif, dont la foule était estimée à plus de 100 000 personnes.

Pashinyan avait été libéré peu de temps après qu’un groupe de soldats en uniformes eut été aperçus marchant au côté des manifestants à Erevan. Les manifestants étaient à la recherche de signes de défections de la part du gouvernement, et la vue des soldats les a encouragés. Il se peut aussi que celle-ci ait découragé Sargsyan.

“Tout d’abord, ils ont déclaré que Serge Sargsyan démissionnerait en octobre, puis dans deux mois, puis le 25 avril” a déclaré Pashinyan à la foule sur la place de la République le soir de sa libération. “J'ai fait ma proposition en votre nom à tous : Serge Sargsyan doit démissionner dans les deux heures. Et c'est ce qui s'est passé.”

Pashinyan a demandé qu'un ” candidat du peuple ” soit élu premier ministre dans un délai d'une semaine, puis que de nouvelles élections aient lieu dès que possible.

La transition dramatique a ouvert une série de questions fondamentales sur l'avenir politique du pays, mais aucune d'entre elles n'a reçu de réponse immédiate. Le gouvernement a annoncé que le remplaçant de Sargsyan serait Karen Karapetyan, l'ancien premier ministre et maintenant vice-premier ministre. Il n'était pas clair, cependant, si le gouvernement considérait cela comme un arrangement à long terme ou comme une solution provisoire. Pashinyan a déclaré qu'il doit rencontrer Karapetyan le 25 avril.

Les manifestants dans les rues n'étaient pas représentés par un mouvement politique en particulier. Le Parti républicain de Sargsyan et ses alliés contrôlent presque tous les sièges au parlement, la seule exception étant l'Alliance Yelk, d'où sont issus de nombreux dirigeants protestataires, dont Pashinyan. Mais Yelk ne détient que 9 des 105 sièges du Parlement.

La domination de la politique arménienne par les républicains est due autant à leur capacité à faire pression sur les Arméniens, en particulier les fonctionnaires pour qu'ils soutiennent le parti, qu’à sa capacité à acheter leurs votes. L'une des revendications de Pashinyan a été la tenue d'élections nouvelles, libres et équitables, mais la manière dont cela se produira n’est pas claire.

Le chemin à parcourir est également semé d'embûches géopolitiques. L'Arménie est très dépendante de la Russie et Sargsyan était un allié relativement loyal du Kremlin. Yelk, quant à lui, a une orientation pro-occidentale et a plaidé pour quitter l'Union économique eurasienne dirigée par la Russie. Et la Russie craint depuis longtemps les révolutions populaires dans les États post-soviétiques.

revelers take to the streets of Yerevan after Sargsyan resigns on April 23

Mais après la démission de Sargsyan, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a fait une déclaration étonnamment positive : “Un peuple qui, même dans les moments les plus difficiles de son histoire, reste soudé et dans le respect mutuel, et cela malgré des divergences d'opinions, est un grand peuple. Arménie, la Russie est toujours avec vous !”

La géopolitique a cependant, été laissée pour un autre jour. Le soir, pendant que Pashinyan parlait, les rues entourant la place étaient remplies de soirées dansantes impromptues animées par des DJ avec sonos.

“Il est impossible de décrire notre situation actuelle”, a déclaré Marina Muradyan, une des participantes aux célébrations. “C'est tout simplement fantastique.”

“Parfois, embrasser l'identité Afro … signifie avoir des conversations désagréables avec des gens que vous aimez”

jeudi 26 avril 2018 à 13:34

La journaliste Lucía Asué Mbomío Rubio parle du racisme et de l'identité afro en Espagne

Portrait de Maité Escarria par Lucía Asué Mbomío Rubio. Utilisée avec autorisation.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en espagnol.

Lucía Asué Mbomío Rubio est une journaliste espagnole, madrilène pour être plus exact. Sa mère est de Ségovie, en Espagne, et son père de Niefang, en Guinée équatoriale, au centre de l'Afrique de l'Ouest.

Cette journaliste aux multiples facettes a entre autres publié un roman en espagnol intitulé “Las que se atrevieron” (Les femmes qui ont osé) et collaboré avec de nombreuses organisations telles que Afroféminas, une communauté en ligne pour les femmes afro-descendantes qui collabore avec Global Voices et a sa propre chaîne YouTube.

Global Voices s'est entretenu avec Mbomío de ses contributions à la lutte contre le racisme dans le contexte espagnol, de ses réflexions sur la négritude et de son travail en tant que militante.

Global Voices (GV) : Quels sont les risques ou les défis de l'adoption de l'identité afro ou noire dans une société comme la société espagnole ?

LM: En España da miedo hablar de la raza (asumiendo que las razas, desde un punto de vista biológico, no existen y se trata de una construcción socioeconómica), digamos que tratar determinados temas, incomoda o, como diría el fotógrafo Rubén H.Bermúdez “resulta violento”, entre otras cosas, porque se da por hecho que es algo malo.

De ahí que no resulte raro escuchar frases como “yo no soy racista, pero”, como si ese preámbulo invalidara la “racistada” que tiende a ir a continuación.

Lucía Asué Mbomío Rubio (LM) : En Espagne, on craint de parler de race (en reconnaissant que les races, d'un point de vue biologique, n'existent pas et sont une construction socio-économique), ou disons de traiter certains sujets qui mettent mal à l'aise ou qui, comme le dirait le photographe Rubén H. Bermúdez, “se révèlent gênants”, entre autres choses, car on suppose qu'ils sont mauvais.

Il n'est donc pas rare d'entendre des phrases comme “Je ne suis pas raciste, mais”, comme si ce préambule devait invalider la remarque raciste qui suit habituellement.

Pour cette raison, Mbomío affirme qu'une partie importante de la lutte contre les injustices causées par le racisme dépend du fait de rendre la discrimination visible. Et cela dépend en grande partie des espaces dans lesquels ceux qui en sont victimes peuvent être entendus :

Hace poco, Luis Castellvi, profesor en Cambridge, escribía en un artículo: “para la mayoría blanca en España el racismo es invisible, como lo es el machismo para ciertos hombres, la homofobia para muchos heterosexuales y un largo etcétera. Pero obviamente eso no significa que estas formas de discriminación no existan. Para saber cuánto racismo hay en España, debe darse voz a las minorías afectadas y a quienes conviven con ellas.” Pues bien, eso es lo que, a menudo, sucede en esta sociedad, que se habla de algunos –ismos desde el privilegio de quien no los padece y que cuando opinamos como afectados/as se nos tilda de victimistas de manera automática sin entender que escucharnos es una oportunidad para modificar conductas y, por tanto, de contribuir a la mejora de un Estado del que también formamos parte.

LM : Il n'y a pas longtemps, Luis Castellví, professeur à Cambridge, écrivait dans un article : “Pour la majorité blanche de l'Espagne, le racisme est invisible, tout comme le machisme pour certains hommes, l'homophobie pour beaucoup d'hétérosexuels, et un grand et caetera. Mais évidemment, cela ne signifie pas que ce genre de discrimination n'existe pas. Pour savoir à quel point il y a du racisme en Espagne, il faut le demander aux minorités touchées et à ceux qui vivent avec elles.

Eh bien, c'est ce qui arrive souvent dans cette société, que les divers -ismes sont discutés par ceux qui ont le privilège de ne pas les connaître et quand nous, les affectés, offrons une opinion, nous sommes automatiquement accusés d'avoir une mentalité de victime, sans comprendre qu'écouter est une occasion de modifier les comportements et, par conséquent, de contribuer à l'amélioration d'un pays auquel nous appartenons aussi.

Elle continue :

Mi toma de conciencia ha ido de la mano de un activismo antirracista que se ha traducido en mi colaboración durante casi cuatro años ya con Afroféminas, para visibilizar a través de entrevistas a mujeres negras que podrían ser referentes para cualquiera, si algún medio tuviera a bien el poner el foco sobre ellas. También me he enfocado en armar talleres en diversos foros con el fin de analizar con perspectiva crítica el modo en el que los periodistas contribuimos a difundir una imagen de las personas negras que trata a la parte como el todo y que se niega a dejar de lado los estereotipos consuetudinarios que nos asocian (sí, hablo como emisora y como receptora puesto que como informadora yo también he cometido errores).

Ma conscience est allée de pair avec mon activisme antiraciste, qui comprend mon travail de près de quatre ans avec Afroféminas pour accroître la visibilité en interviewant des femmes noires qui pouvaient devenir des références pour tout le monde, si certains médias avaient l'amabilité de les mettre en avant. Je me suis également concentrée sur l'organisation d'ateliers lors de différents forums, dans le but d'analyser de façon critique la manière dont nous, journalistes, contribuons à la diffusion d'une image des Noirs qui les traite comme un tout et refuse d'abandonner les stéréotypes traditionnellement associés à nous (oui, je parle comme quelqu'un qui a diffusé et reçu cette image, car en tant que journaliste, j'ai aussi fait des erreurs).

S'entendre dire “c'est vous, le raciste, pour avoir souligné ces différences”

Bien que les conversations sur le racisme soient généralement considérées comme difficiles, le fréquent refoulement est souvent ignoré. Dans l'expérience de Mbomío, les réactions des gens sont variées et complexes, mais la majorité a un dénominateur commun qui complique encore plus la question : le refus de beaucoup de reconnaître des différences dans la vie quotidienne dont ils ne font pas l'expérience.

LM Asumirse como negra o como afro, puede implicar escuchar más de una vez frases del tipo “si todos somos iguales” o “la racista eres tú por marcar esas diferencias”. Ese “todos somos iguales” deja patente la enajenación existente hacia determinadas realidades cotidianas, como puede ser ir por la calle y que te pidan la documentación más veces que a alguien blanco debido a que dan por hecho que no eres “de aquí” (y a lo que conlleva no serlo) o que no aparezcas casi nunca en medios de comunicación salvo de manera estereotipada, por poner un par de ejemplos.

A veces, asumirme como afro, desde un punto de vista, quizá, más mundano pero no menos importante, supone tener conversaciones desagradables con gente a la que quieres y que te quiere. El amor más infinito no tiene por qué estar exento de los prejuicios inoculados por un sistema racista.

LM : Embrasser l'identité noire ou afro peut signifier entendre des phrases comme “nous sommes tous pareils” ou “vous êtes le raciste pour avoir souligné ces différences” plus d'une fois. Cette ligne “nous sommes tous pareils” expose le mépris actuel de certaines réalités quotidiennes, comme comment il est possible que, en marchant dans la rue, on vous demande plus souvent votre carte d'identité qu'à une personne blanche, parce que vous êtes supposé ne pas être “d'ici” (avec tout ce que cette idée de ne pas être “d'ici” implique [être un étranger, un Autre, ne pas appartenir, ne pas avoir des privilèges légaux égaux, etc.], ou que vous ne paraissez presque jamais dans les médias que de manière stéréotypée, pour donner deux exemples.

Parfois, embrasser l'identité afro, d'un point de vue plus, peut-être, mondain, mais non moins important, signifie avoir des conversations désagréables avec des gens que vous aimez et qui vous aiment. L'amour le plus infini n'est peut-être pas nécessairement exempt de préjugés enracinés dans un système raciste.

GV : Quelle est votre opinion sur le concept d'une lutte unifiée contre le racisme qui cherche à dépasser la division raciale en faisant de l'identité et de l'expérience son principal point de convergence ?

LM : Que los y las aliadas son necesarias pero que de ninguna manera pueden encabezar la lucha antirracista. Ni siquiera mi madre, que ha tenido un par de hijxs leídxs y auto considerados como negrxs, podría. Ella puede aportar su visión como progenitora, sus experiencias y opiniones son importantes, pero no puede saber (aunque padezca algunas de sus consecuencias) lo que vivimos mi hermano o yo. Yo tampoco sé lo que es ser blanca y tener hijxs que no lo son: niños que lleguen llorando del colegio por haber recibido insultos o llenos de rabia o de miedo tras alguna agresión.

LM : Les alliés sont nécessaires, mais ils ne peuvent en aucune manière mener la lutte contre le racisme. Pas même ma mère, qui a deux enfants cultivés et qui s'identifient comme noirs, pourrait le faire. Elle peut contribuer avec sa vision en tant que parente, ses expériences et ses opinions sont importantes, mais elle ne peut pas savoir ce que mon frère et moi vivons (même si elle en subit certaines conséquences). Je ne sais pas non plus ce que c'est que d'être blanc et d'avoir des enfants qui ne le sont pas : des enfants qui rentrent de l'école en larmes parce qu'ils ont été insultés, ou en colère ou craintifs après avoir été insultés.

Le pouvoir du “où” dans l'identité

GV : Je veux aborder une question qui se pose chaque fois que nous essayons de nous définir : l'utilisation du mot “noir”. C'est un terme qui était et est encore au centre du racisme en tant que théorie et dont l'usage était lié à la colonisation. De quel côté du débat êtes-vous ?

LM : Creo que es algo muy contextual. Cuando yo era pequeña, aquí, si no eras blanca, eras negra. Todas las nomenclaturas creadas para marcar una gradación que te acercara más a unx o a otrx tan propia de algunos países de Latinoamérica (y herencia del sistema de castas español) no se usaban demasiado. Como a muchas personas en España, me han dicho que me vaya a África cuando me he quejado de algo que no estuviera bien o por tener opiniones que a algunas personas no les han cuadrado. Por eso, aún siendo consciente de mi parte blanca española, y últimamente, también del privilegio que se deriva de ella por el colorismo que existe y por el DNI con el que nací debajo del brazo, yo siempre me he autodenominado negra. Lo de “afrodescendiente” es algo muy reciente para mí, aunque reconozco que cuando estoy en algunos sitios, a sabiendas del poder del “dónde”, uso esa palabra.

También hay que tener en cuenta que hay mucha gente que está en contra del término “mulato” porque es una denominación exógena e impuesta cuya etimología proviene de mula, nos animaliza.

LM : Je crois que c'est quelque chose de très contextuel. Quand j'étais petite, ici [en Espagne], si tu n'étais pas blanc, tu étais noir. Toutes les nomenclatures créées pour distinguer une gradation qui vous définit comme appartenant plus à l'un ou à l'autre groupe, si spécifique à certains pays d'Amérique latine (et l'héritage du système de caste espagnol), n'ont pas été très utilisées. Comme beaucoup l'ont expérimenté en Espagne, on m'a dit de retourner en Afrique quand je me plaignais de quelque chose qui n'était pas correct ou d'avoir des opinions avec lesquelles certaines personnes n'étaient pas d'accord. Alors que je suis consciente de la partie espagnole blanche en moi, et récemment aussi du privilège qui en découle à cause du colorisme [en] qui existe et parce que je suis né avec la carte d'identité nationale espagnole sous le bras, je m'identifie toujours comme étant noire. “Afro-descendant” est quelque chose de très récent pour moi, même si je reconnais que quand je suis dans certains endroits, sachant très bien la puissance de “où”, j'utilise ce mot.

Vous devez également garder à l'esprit que beaucoup de gens sont contre le terme “mulato” parce que c'est un nom exogène et imposé dont l'étymologie vient de “mule”. Ils nous animalisent.

En ce qui concerne le pouvoir des contextes géographiques et sociaux, Mbomío dit :

Me consta que de haber crecido en otras partes del mundo seguramente lo vería diferente. En Guinea Ecuatorial, por ejemplo, que es mi otro país, me llamaban “blanca”. Pero yo he pasado casi toda mi vida (con excepciones que no han superado el año) en Madrid y mi posicionamiento responde a mis experiencias aquí en España.

Me gusta citar aquí a Amin Malouf que, en su libro “Identidades asesinas”, explicaba que, normalmente, pese a que somos poliédricos, nos asimos a la cara de nuestra identidad que consideramos que es más atacada.

Je suis certaine que si j'avais grandi dans d'autres parties du monde, je le verrais sûrement différemment. En Guinée équatoriale, par exemple, qui est mon autre pays, on m'appelle “blanche”. Mais j'ai passé presque toute ma vie (avec des exceptions qui n'ont pas dépassé un an) à Madrid, et mes positions correspondent à mes expériences vécues ici en Espagne.

Je veux citer ici Amin Malouf, qui dans son livre “Au nom de l'identité” a expliqué que normalement, malgré le fait que nous soyons multi-facettes, nous nous accrochons à la facette de notre identité que nous considérons comme la plus attaquée.

Dans la deuxième partie de cette interview, Global Voices parlera avec Mbomío de son travail sur l'activisme numérique afro, de sa chaîne YouTube et de son livre “The Women Who Dared” (Les femmes qui ont osé).

En Chine, la campagne #IamLGBT pousse Weibo au changement

jeudi 26 avril 2018 à 12:31

Image remixée de Wikimedia. CC: AT-SA.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en chinois.

La campagne virale #IamLGBT (#我是同性戀) a réussi à faire reculer Weibo, le plus grand réseau social chinois, quant à la censure du contenu LGBT sur sa plateforme.

Si ce revirement ne marque pas la fin de l'étouffement des voix LGBT sur le net chinois, il se démarque néanmoins de la politique habituelle de Weibo en la matière.

Le 13 avril, Weibo a annoncé le lancement d'une campagne de répression de 3 mois visant le contenu multimédia, les jeux et les dessins humoristiques et mettant en avant, en accord avec la loi chinoise sur la cybersécurité [en], l'importance des “valeurs socialistes fondamentales” pour maintenir la stabilité de l'État. La loi ne mentionne pas explicitement le contenu LGBT.

Cependant, le réseau social a déclaré que tout contenu LGBT serait lui aussi ciblé dans la campagne de répression, et a affirmé avoir déjà supprimé 56 243 posts, 108 comptes d'utilisateurs et 62 discussions.

Le lendemain, “LGBT voices”, un compte LGBT populaire sur Weibo, a publié le message suivant sur sa page :

【公告】由于不可抗力原因,同志之声微博编辑部将无限期暂停工作。在暂停工作期间,我们将不再使用@同志之声 官方微博更新任何同志资讯。感谢新浪微博多年来对同志之声的支持与帮助!感谢2009年至今关注同志之声的微博读者:你的每一次评论、转发与点赞,都是在完成一次对爱的发声。愿明天会更好!

[Déclaration publique] Pour des raisons indépendantes de notre volonté, la page Weibo de LGBT Voices doit cesser définitivement sa publication. Jusqu'à nouvel ordre, nous n'utiliserons donc plus notre Weibo officiel pour diffuser les dernières nouvelles LGBT. Nous voulons remercier Weibo pour le soutien apporté à LGBT Voices durant toutes ces années, et remercier tous les lecteurs qui ont suivi LGBT Voices depuis 2009 : chaque commentaire, mention “j'aime” et partage est un message d'amour. En espérant des jours meilleurs !

Le post a été partagé plus de 37 000 fois.

Après cette annonce, de nombreux utilisateurs de Weibo se sont mis à publier des messages avec le hashtag #IamLGBT (#我是同性戀) pour protester contre la censure. En moins d'une semaine, le hashtag a été utilisé plus de 500 000 fois et a récolté environ 500 millions de vues. Les autorités de censure ont bien essayé de contenir ce mouvement de protestation en supprimant les pages concernées, mais elles n'ont pas été assez rapides et les utilisateurs ont continué de s'exprimer en nombre tandis que plusieurs médias hors de Chine se sont emparés du sujet.

Sous la pression de l'opinion publique, le Quotidien du Peuple (une publication officielle du Parti communiste chinois) a alors publié une note le 15 avril, expliquant que le contenu LGBT ne devait pas être confondu avec le contenu à caractère vulgaire, violent ou pornographique.

Le jour suivant, Weibo a corrigé sa déclaration, affirmant que les mesures de censure ne cibleraient pas spécifiquement le contenu LGBT, mais se concentreraient uniquement sur le contenu à caractère vulgaire, violent ou pornographique.

Le compte Weibo de LGBT Voices a repris son activité le 16 avril, avec l'annonce suivante :

【公告:#同志之声微博恢复更新#】感谢每一位参与发声的你。没有阿声的 48 小时所发生的一切,足以证明:发声才有可能改变。@同志之声 微博编辑部即刻重新出发!—— 48 小时内,全因有你:同志之声 7 年前发起的 #我是同性戀# 微博话题阅读量超过 5 亿,超越 #撑同志反歧视# 成为中国互联网历史上最高阅读量的同志微博话题;48 小时内,世界十大报纸、党和政府的《人民日报》撰稿发文为同志发声;@微博管理员 最终修正错误决定,不再将同性恋列入违规内容清查范围。

——以上所有,都将被历史铭记。同志公益事业的路上,有你更有力量!我们将继续不遗余力传播健康的、科学的、有见地的同志资讯,让公众更客观、更科学地了解同志群体,从而消除歧视。同志之声也将不忘初心,继续在多领域为中国 LGBT 群体服务。

[Déclaration publique : #LGBT Voices reprend son activité#] Merci beaucoup d'avoir pris la parole. Ce qui s'est passé ces dernières 48 heures prouve que c'est en élevant la voix qu'on peut faire changer les choses. Les publications de @LGBT Voices peuvent reprendre – tout ça en 48 heures et grâce à vous. Le hashtag #IamLGBT, que nous avons commencé à utiliser il y a maintenant 7 ans, a accumulé plus de 500 millions de vues. Il est devenu le hashtag LGBT le plus lu de l'histoire de l'Internet chinois, dépassant #SupportLGBT qui appelait à la fin de la discrimination envers notre communauté. En 48 heures, plus de 10 médias étrangers ainsi que le Quotidien du Peuple, affilié au parti, ont réagi à ce sujet. L'administration de @Weibo est revenue sur sa décision et a retiré le contenu LGBT de sa liste de censure.

C'est un fait historique. Grâce à votre soutien, le travail au sein de la communauté LGBT est plus vivant que jamais. Nous continuerons à diffuser du contenu LGBT sain, scientifique et informatif pour que le public puisse avoir un aperçu plus complet de notre communauté. C'est la meilleure façon de vaincre la discrimination. Chez LGBT Voices, nous garderons cette mission et continuerons à servir la communauté LGBT chinoise.

Mais malgré cette victoire, de nombreuses autres barrières restent fermement en place.

L'annonce de censure de la part de Weibo n'est pas un incident isolé ni une erreur aléatoire commise par l'entreprise : elle résulte bel et bien d'une pression de la part des autorités. Le contenu LGBT a régulièrement fait l'objet de campagnes de répression ces dernières années. L'utilisateur WeChat @Freedom-404 a établi une liste des événements liés à la censure du contenu LGBT (via China Digital Times) :

En mars 2018, une projection de Call Me by Your Name [fr] au Festival International du Film de Pékin [fr] a été annulée. Le film, qui raconte une histoire d'amour entre deux hommes, a gagné l'Oscar du Meilleur scénario adapté et avait été nominé dans les catégories Meilleur film, Meilleur acteur et Meilleure musique de film.

En mai 2017, le journal local Metropolis Weekly, qui avait préparé une série d'articles pour la Journée mondiale contre l'homophobie, a été contraint d'annuler leur publication.

En juin 2017, l'Association chinoise des services Internet a publié des consignes sommant les sites de supprimer tout contenu relatif aux “comportements sexuels anormaux” tels que l'inceste, l'homosexualité, la violence sexuelle et les pratiques sado-masochistes. Peu après, des plateformes audio et vidéo comme Ximalaya.com et Youku ont supprimé une grande partie de leur contenu LGBT.

En juillet 2017, l'universitaire féministe Li Yinhe a affirmé son soutien à la communauté LGBT à l'occasion de cette campagne de répression et son compte Weibo a ensuite été suspendu pendant 3 mois.

En juillet 2015, une émission en ligne très populaire, intitulée “Dois-je faire mon coming-out à mes parents ?”, a été interdite par l'Administration générale de la presse, de l'édition, de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision. La raison officielle de l'interdiction ? Les invités montraient trop de tolérance vis à vis de pratiques sexuelles “anormales” et l'émission remettait en question les valeurs et la morale traditionnelles.

Le revirement de Weibo et la relative libre expression des voix LGBT sur sa plateforme calmeront probablement l'opinion publique, mais cela n'empêchera sans doute pas le contenu LGBT d'être la cible des campagnes de répression à venir.

Brexit et biais ? Les immigrants dans le cadrage des médias anglo-saxons

mercredi 25 avril 2018 à 15:09

La campagne d'affichage ‘Je suis un(e) immigrant(e)’, une opération du Joint Council for the Welfare of Immigrants and Movement Against Xenophobia pour “contester le discours négatif contre les immigrants, les glorifier et raconter leur histoire”. (Politique en matière de diffusion)

Mise à jour : Au 4 Avril 2018, ce sont 87 millions d'utilisateurs qui ont eu leurs informations récoltées par Cambridge Analytica. 

Dernièrement, le partage confirmé par Facebook d'au moins 87 millions de profils avec Cambridge Analytica a fait les grands titres, surtout en relation avec les USA. Mais des articles sur cette collusion ont fait pendant quelque temps l'actualité aussi au Royaume-Uni, notamment en rapport avec le référendum national de 2016 sur la sortie de l'Union européenne, aussi appelé “Brexit. Selon les mots utilisés l'an dernier par la journaliste Carole Cadwalladr, c'est la démocratie elle-même qui s'est fait “détourner” dans les activités de Cambridge Analytica ; son article a parlé de “Great British Brexit Robbery” [‘le grand cambriolage britannique du Brexit’] (un article encore sous le coup de plaintes judiciaires).

Jusqu'à quel point les plateformes technologiques ont-elles été exploitées pour modeler les réactions de l'opinion ? C'est un sujet de forte inquiétude, comme dans le cas du Brexit. Quiconque suit le départ de la Grande-Bretagne hors de l'Union européenne d'ici l'an prochain sait que le sujet est intensément émotionnel. Alors, y a-t-il dans le thème du Brexit des aspects sur lesquels la désinformation peut prospérer ? Quelles perspectives pourrait apporter une analyse fouillée à partir des data des informations sur le Brexit ?

Selon une collection de Media Cloud de sources de médias classiques britanniques et étasuniens, et une indexation d'organes de presse qui leur sont liés, le sujet du Brexit est apparu dans quelque 70.000 articles entre le 1er mars 2017 et le 28 février 2018.

Qu'est-ce que Media Cloud ?
Media Cloud est une plateforme open source développée par le Center for Civic Media du MIT et le Berkman Klein Center for Internet and Society de Harvard. Media Cloud a pour objet d'agréger, analyser, livrer et visualiser l'information tout en répondant à des questions quantitatives et qualitatives complexes sur le contenu des médias en ligne.

Parmi les thèmes principaux émergeant dans Media Cloud se trouvent un certain nombre de mots-clé attendus, comme les références à l’élection aux États-Unis et au référendum du Royaume-Uni, ainsi que les personnalités politiques dominantes comme Teresa May ou Boris Johnson.

Cependant, si l'on zoome parmi les termes sur les sujets liés aux potentielles motivations du Brexit, la question de l’économie apparaît avec une plus grande fréquence. Et, thème saillant dans la conversation médiatique, revenait l’immigration.

Nuage de mots classés à partir d'un échantillon d'articles contenant le mot “Brexit” dans Media Cloud. Les mots qui apparaissent plus souvent sont plus gros et en haut de liste. (Agrandir l'image)

Comment ces thèmes étaient-ils discutés dans les médias des USA et du Royaume-Uni en rapport avec le Brexit ?

La substance négative de l'immigration

Pour nous faire une idée de la teneur du discours autour de l'immigration, notre outil Bias Prism [de mesure des biais] a mouliné les termes-clé en rapport avec les discussions autour de l'immigration. Le Bias Prism est un outil de Traitement automatique du langage naturel qui analyse le langage à la recherche d'expressions de points de vue personnels et de biais potentiels.

Qu'est-ce que Bias Prism?
Bias Prism est une fonctionnalité expérimentale en cours de développement par le Behavioral Modeling and Computational Social Systems Group [Groupe de modélisation comportementale et des systèmes sociaux computationnels] de l'université Georgia Tech en partenariat avec NewsFames. Les résultats des algorithmes de traitement du langage naturel signalent nombre de manières possibles dont des textes peuvent faire usage de langage orienté ou biaisé. En savoir plus [en] >>

L'outil Bias Prism veut offrir des modes de pensée plus précis sur la présence d'orientations ou de biais dans les déclarations. Plutôt que de produire un résultat “biaisé/non biaisé”, les chercheurs sont capables d'analyser des textes sous de multiples aspects, tels que le sentiment ou les expressions de doute.

En comparant les échantillons de mots-clé marqués pour examen plus approfondi, les articles parlant d’immigration ont utilisé plus de termes — comme “damaging (dommageable)” “anxieties (anxiétés)” “crisis (crise)” — signalant des orientations et des émotions que ceux utilisés pour discuter d’économie, même si les phrases à propos d'économie étaient plus nombreuses.

En poursuivant l'exploration des articles en contexte, les mots-clés immigrant ou immigrants sont aussi arrivés au premier plan, et suivaient le même schéma, avec des résultats du Bias Prism autour d’immigrant apparaissant légèrement plus orientés ou biaisés que ceux autour d’immigration.

Notre examen de plusieurs échantillons de Media Cloud a étudié 4.500 mots. Sur la base d'une analyse statistique des résultats de Bias Prism, les mots-clé liés à “immigration” et “immigrant” ont révélé une propension significative à un langage plus orienté ou biaisé. Les moyennes pour chaque échantillon — ensemble des mots-clés du Brexit, concentrés autour d'économie, autour d'immigration, et autour d'immigrant — étaient progressivement plus élevées. Des chiffres plus élevés indiquent le potentiel de plus d'orientation ou de biais. La progression était légère, mais le volume ou densité  générale des résultats penchait nettement vers le haut, comme le montre ce graphique :

Cette ‘boîte à moustaches’ la position de la majorité des 4.500 résultats dans l'échelle du Bias Prism sur les thèmes économie, immigrant, et immigration. Les nombres plus élevés indiquent le potentiel de plus d'orientation ou de biais. Source: NewsFrames

Il faut garder à l'esprit que toute orientation ou tout biais n'est pas forcément négatif. il y en a de partisans et qui reflètent une opinion particulière, ou ils peuvent même être positifs. prenez par exemple quelques-uns des mots apparus dans notre recherche, comme “high-skilled (hautement qualifié”, “innovative (innovant)” ou “optimism (optimisme)” — tous situés du côté ensoleillé du spectre.

Néanmoins, dans le graphique ci-dessous, on voit les premiers mots marqués pour étude en association avec “économie”, “immigration” ou “immigrants”. On constate que la connotation négative prédomine dans les mots listés :

Termes marqués par Bias Prism pour examen plus détaillé, liés à économie, immigration, et immigrant dans les articles sur le Brexit de mars 2017 à février 2018. Inclure tous les termes ci-dessus dans les moyens du jeu de données auraient fait sortir encore plus de mots à examiner. Source : NewsFrames (Agrandir l'image)

Dans l'échantillon cité plus haut, il y avait au total 44.401 phrases associées au terme économie dans la requête Brexit sur Media Cloud. Les résultats marqués de notre échantillon ont donné 38 mots (colonne de gauche). L'échantillon immigration, dérivé de 22.068 phrases, a produit 57 marques (colonne du milieu). Mais immigrant, qui avait le plus petit nombre de phrases (4.862), a atteint le maximum avec 69 mots sur le bout des biais du spectre (colonne de droite).

Puisque c'est immigrants qui semble générer le plus de tension, regardons de plus près certaines de ces conversations en contexte.

Petits caractères et cadre large

Si on explore les articles un par un, les enjeux peuvent être difficiles à comprendre.

Prenons par exemple les informations récentes sur le phénomène migratoire. Fin février, l'Office des Statistiques nationales du Royaume-Uni (ONS) publiait son habituel Rapport statistique trimestriel sur les migrations.

De nombreux articles d'information ont suivi. A voir les textes eux-mêmes de divers articles, on ne trouvera guère de quoi s'inquiéter. Prenons les introductions de ces trois exemples, dont les chiffres peuvent prêter à confusion à leur manière :

Article 1 : Phrases introductives

Net immigration has risen to 244,000 a year in a reminder of the scale of the task facing the government to curb numbers.
The net flow to the UK in the year to September was up from 230,000 in the 12 months to June.
The increase was driven mainly by a rise in arrivals from outside the EU, with immigration from the bloc slipping sharply, according to the Office for National Statistics (ONS).

L'immigration nette a augmenté à 244.000 par an, rappelant l'étendue de la tâche qui attend le gouvernement pour faire baisser les chiffres.
Les entrées nettes au Royaume-Uni de l'année jusqu'en septembre ont dépassé de 230.000 celles sur 12 mois en juin.
L'accroissement tenait surtout à une augmentation des arrivées en provenance de l'extérieur de l'UE, avec l'immigration venant du bloc en forte glissade, selon l'Office des statistiques nationales (ONS).

Article 2 : Phrases introductives

The number of EU citizens leaving the UK is at its highest level for a decade with 130,000 emigrating in the year to September, figures show.
But 220,000 EU nationals still moved to Britain over the same period, the Office for National Statistics found.
That is 47,000 fewer than the previous year.

Le nombre de ressortissants de l'UE quittant le Royaume-Uni est à son plus haut niveau depuis dix ans avec 130.000 émigrants dans l'année jusqu'à septembre, montrent les chiffres.
Mais 220.000 ressortissants de l'UE se sont encore installés en Grande-Bretagne dans la même période, a établi l'Office des statistiques nationales.
C'est 47.000 de moins que l'année précédente.

Article 3 : Phrases introductives

Net migration from Europe has fallen below 100,000 for the first time in six years, ONS figures show.
Some 90,000 more EU migrants arrived in Britain than left in the year to September 2017, a significant dip which statisticians suggest is the result of Brexit.
It is the first time net migration from the bloc has dipped below six figures since the year to March 2013, when it was 95,000.
The last time the measure was lower was in 2012, when it was 82,000.

La migration nette d'Europe est tombée en-dessous de 100.000 pour la première fois en six ans, montrent les chiffres de l'ONS.
Quelque 90.000 migrants de l'UE de plus que les départs sont arrivés en Grande-Bretagne dans l'année jusqu'en septembre 2017, un plongeon significatif qui selon les statisticiens est la conséquence du Brexit.
C'est la première migration nette à moins de six chiffres depuis l'année à mars 2013, où elle était à 95.000.
La dernière fois que le compte était inférieur était en 2012, à 82.000.

Aussi obscures que ces phrases puissent paraître, rien n'y semble particulièrement déformé. Pour confirmer cette évaluation, le Bias Prism a été utilisé sur ces articles pour savoir s'il y avait des différences marquées, comme nous l'avons fait avec les mots “économie”, “immigration” et “immigrant.” Les résultats sont apparus similaires pour les trois.

Mais avec un peu de recul, tout le cadrage du problème dans le premier article diffère nettement comparé avec les deux autres. Il suffit dans ce cas de regarder les titres : le sujet était-il que les gens immigraient au ou émigraient du Royaume-Uni ?

Article 1 : Titre

Net immigration RISES to 244,000 a year and is still more than DOUBLE the PM's target but numbers from the EU drop below 100,000 for first time since 2013” (L'immigration nette AUGMENTE à 244.000 par an et reste plus du DOUBLE de l'objectif du Premier Ministre mais le nombre en provenance de l'UE descend sous les 100.000 pour la première fois depuis 2013)
The Daily Mail

Article 2 : Titre

Migration figures: Highest number of EU nationals leaving UK in a decade” (Chiffres de l'immigration : le nombre le plus élevé de ressortissants de l'UE quittant le Royaume-Uni depuis dix ans)
–  BBC

Article 3 : Title

Net migration from Europe falls below 100,000 for first time since 2012” (La migration nette depuis l'Europe tombe en-dessous de 100.000 pour la première fois depuis 2012)
The Telegraph

Le sens plus large des articles est défini par les titres mêmes. Dans le cas du Daily Mail ,orienté à droite, le titre se demande si le gouvernement en fait assez pour réaliser ses objectifs sur l'immigration au Royaume-Uni, et tenir sa promesse liée au Brexit de restreindre les mouvements de population. Alors que, dans les cas de la BBC et duTelegraph plus centriste, la question est de savoir si les craintes des résidents de l'UE relatives au Brexit ont déjà un impact ou non.

Pour un avis sur ces deux interprétations, nous nous sommes tournés vers l'Observatoire des Migrations de l'Université d'Oxford, un projet universitaire de recherche qui fournit “une analyse impartiale, indépendante, faisant autorité et basée sur des preuves des données sur la migration et les migrants au Royaume-Uni.”

Leur position est que les chiffres ne sont pas concluants. L'Observatoire écrit que “ces chiffres des titres ne nous disent rien en substance quant à savoir si les changements dans la migration avec l'UE depuis le référendum sont une bonne ou une mauvaise chose pour le Royaume-Uni.” Ils pointent l'absence d'informations données par ces chiffres : ni sur les compétences, ni sur les revenus ou activités des immigrants, sans compter les facteurs d'intégration tels que l'apprentissage de l'anglais.

Au cœur du cadrage de l'immigration se trouvent deux questions plus vastes. La première est : la migration est-elle économiquement bénéfique pour un pays. C'est une question qui a produit son lot d'études concluant qu'une migration nette positive est en général positive (dont les plus récentes de Breugel ou de la Harvard Business Review).

Ce tableau d'un impact économique globalement positif de l'immigration étonnera peut-être certains participants aux discussions sur le Brexit. Mais même s'il existe un consensus sur les effets économiques d'ensemble, il reste un espace de désaccord sur la valeur de la migration. C'est ce qui est au centre de la deuxième question : qu'est-ce qui provoque tant de négativité autour des immigrants si ce n'est pas l'économie ?

Le ‘genre d'endroit où nous voulons vivre’

Selon les mots d’une autre analyse de l'Observatoire des migrations,

Economic estimates are important, but limited in that they cannot resolve important judgements about the type of society people want. These preferences over the ‘sort of place we want to live in’ can drive people’s views and choices on migration just as much as the ‘pure’ economic factors.

Les calculs économiques ont leur importance, dont la limite est cependant leur incapacité à résoudre les jugements essentiels sur le type de société voulue par les gens. Ces préférences sur la ‘sorte d'endroit où l'on veut vivre’ peut décider des idées et choix des gens sur la migration au moins autant que les facteurs ‘purement’ économiques.

Pour le dire peut-être autrement, le débat autour des immigrants concerne aussi les valeurs. Et certes, les valeurs ont aussi compté parmi les thèmes dominants s'agissant d'écrire sur les immigrants et le Brexit.

Termes dominants autour d’ ‘immigrant’ dans les résultats sur le sujet du Brexit. Source : Media Cloud

Un des articles avec le plus de liens dans les résultats de Media Cloud sur le thème des valeurs et des immigrants était le discours Plan For Britain (plan pour la Grande-Bretagne] de Theresa May le 17 janvier, dans lequel elle fixait les 12 priorités du gouvernement à propos du Brexit.

Dans son message à l'Europe, May a mentionné les valeurs à plusieurs reprises, ainsi :

So to our friends across Europe, let me say this. Our vote to leave the European Union was no rejection of the values we share. … For all these reasons – and because of our shared values and the spirit of goodwill that exists on both sides – I am confident that we will follow a better path. I am confident that a positive agreement can be reached. [emphasis added]

À nos amis dans toute l'Europe, je dirai donc ceci. Notre vote pour quitter l'Union européenne n'était nullement un rejet de nos valeurs communes… Pour toutes ces raisons – et à cause de nos valeurs partagées et de l'esprit de bienveillance qui existe des deux côtés – j'ai confiance que nous suivrons un meilleur chemin. J'ai confiance qu'un accord positif pourra être atteint. [mots soulignés par l'auteur]

Dans le même temps, May évoquait la question de l’immigration :

Britain is an open and tolerant country. We will always want immigration, especially high-skilled immigration, we will always want immigration from Europe, and we will always welcome individual migrants as friends. But the message from the public before and during the referendum campaign was clear: Brexit must mean control of the number of people who come to Britain from Europe. And that is what we will deliver. [emphasis added]

La Grande-Bretagne est un pays ouvert et tolérant. Nous voudrons toujours une immigration, notamment une immigration hautement qualifiée, nous voudrons toujours une immigration d'Europe, et nous accueillerons toujours les migrants individuels comme des amis. Mais le message de l'opinion avant et après la campagne du référendum était clair : le Brexit doit signifier le contrôle du nombre de personnes venant en Grande-Bretagne depuis l'Europe. Et c'est ce que nous réaliserons. [mots soulignés par l'auteur]

Cependant, pour nous faire une idée des interactions entre valeurs et immigration (du moins, autant que cela peut ressortir des informations en général), Media Cloud nous a permis d'explorer les combinaisons de mots apparaissant le plus fréquemment avant et après “valeurs” dans les sources médiatiques.

Le mot “values” (valeurs) en contexte dans les articles sur les immigrants dans la requête sur le sujet du Brexit dans Media Cloud. Les mots les plus souvent associés à “valeurs” à gauche et à droite, provenant d'un échantillon de 1.000 fragments de phrases sont représentés. (Agrandir l'image)

De nombreuses conversations apparaissent ci-dessus, mais des termes à souligner sont “threat (menace)”, “destroying (détruisent)”, et “white western (occidental blanc)” d'une part ,contre “openness (ouverture)”, “tolerance”, et “respect”. Il ne semble pas que ces tensions concernent uniquement l'immigration depuis l'UE vers le Royaume-Uni. Il est important de noter qu'une partie de la tonalité générale des articles sur le Brexit et l'immigration provient des auteurs américains et du point de vue des USA, prenant en compte les problématiques similaires qui ont émergé autour de l'élection de Donald Trump à la présidence des USA.

Mais au Royaume-Uni, selon le plus récent rapport gouvernemental sur les nationalités, les entrées sont à la fois d'origine UE et non-UE. Le premier pays de naissance hors Royaume-Uni est la Pologne, membre de l'UE. L'Inde et le Pakistan, anciennes colonies dans le cadre de l'Empire britannique, viennent ensuite.

Les cinq premiers pays de naissance et les cinq premières nationalités hors Royaume-Uni du rapport 2016 de l'ONS.

Quoi qu'il en soit, s'il y a une dissonance de valeurs et d'attentes entre anciens et nouveaux citoyens, quelles sont au juste les valeurs introduites par les immigrants ?

Elles n'étaient pas disponibles en tant que telles du moins dans les 1047 articles et commentaires d'articles avec des phrases sur les immigrants et valeurs présentées pour examen par Media Cloud. Nous avons donc dû aller au-delà de l'information proprement dite, pour trouver des dimensions approfondies sur les immigrants grâce à des opérations comme celle d'#IamAnImmigrant (Je suis un(e) immigrant(e) lancée en 2015 (image en tête de cet article).

Quelles “images” d'immigrants existent aujourd'hui dans les médias, est une question importante, puisque un jeune de 15 ans sur quatre est un immigrant ou lié à des immigrants dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). D'après cette étude, l'intégration dans les sociétés d'accueil peut être difficile pour les enfants immigrants à cause de leur histoire. Mais un des apports de ces derniers a été une motivation générale plus grande de réussir – une valeur plutôt positive.

Presque un élève de 15 ans sur quatre a indiqué être soit né à l'étranger soitavoir au moins un parent né à l'étranger. Source: OCDE (Agrandir l'image)

Mais tandis que la question de l'intégration en elle-même semble faire l'actualité, une bonne compréhension de ceux qui tentent de s'intégrer ne paraît pas prédominer dans la couverture médiatique. Du moins à en juger par le point de vue général qui ressort des données examinées ici.

Biais et cadrage, manipulation et compréhension

Le problème ici est moins le biais dans le traitement de l'information que le cadrage. Quand les journalistes britanniques et américains ont relayé les tensions liées à l'immigration et aux immigrants en rapport avec le Brexit, ils ont certainement apporté leurs interprétations et points de vues. Mais savoir si certains articles étaient plus biaisés n'est pas la question à laquelle nous essayons de répondre.

Le cadrage peut être une réponse humaine naturelle pour interpréter des situations complexes. La lutte pour comprendre la question de l'immigration est en partie le résultat de la lutte pour une intégration à grande échelle, qui inclut des déplacements majeurs de population à travers le monde en général et au Royaume-Uni en particulier. Si le nombre d'immigrants a doublé dans les 25 dernières années, alors l'augmentation des rencontres avec les nouveaux citoyens et les nouvelles idées génèrent naturellement des discussions sur ce qui constitue la culture britannique.

Il ne faut pas oublier non plus que les citoyens du Royaume-Uni migrent eux aussi et font l'objet des discussions sur l'intégration ailleurs. De fait, le Royaume-Uni a compté en 2015 parmi les 10 premiers pays fournissant des migrants au reste du monde.

La question ici est celle de l'élargissement du cadre, dans le cas présent, la teneur générale autour des immigrants dans les média, qui s'avère plutôt négative. Les cadres sont nécessaires mais peuvent aussi jouer des tours. Même s'il relaie avec exactitude les peurs de l'Autre, le poids du cadrage dans les médias sur les articles au sujet de l'immigration peut amplifier par inadvertance les opinions rapportées.

Les craintes de manipulation générées par le récent scandale Cambridge Analytica nous rappellent en effet que les campagnes de désinformation peuvent être bâties non seulement sur des informations fausses, mais aussi sur des interprétations humaines de faits ou des croyances politiques.

Que peuvent faire les organes de médias dignes de confiance pour encourager des débats sains sur les valeurs autour de l'immigration, et faire connaître plus de faits sur les immigrants et leurs valeurs ? C'est peut-être la réponse à cette question, et la réflexion sur le cadrage, qui peuvent aller dans le sens de la construction du genre d'endroit où nous voulons tous vivre.

Merci à C.J. Hutto pour ses retours sur cet article.
* Les data relatives à cet articles se trouvent ici.