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Brésil : avec la montée en puissance de l’extrême-droite aux élections, vague d'agressions contre la communauté LGBT

lundi 22 octobre 2018 à 19:54

Une enquête montre que près de 70 attaques ont eu lieu au Brésil avec « l’intensification de la violence politique », pendant la période des élections | Photo : ONG Somos/Divulgação/Avec autorisation

Quelques jours après le premier tour des élections au Brésil, à l’issue duquel le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro a recueilli 46% des voix, les témoignages d’agressions et d’intimidations contre la communauté LGBT ont augmenté.

Bolsonaro est connu pour ses déclarations polémiques [fr]. Il a ainsi dit à une collègue députée qu’il ne la violerait pas « parce qu’elle ne le méritait pas » et s'était déclaré « homophobe et fier de l'être ».

Durant ces élections, les récits de menaces et d’agressions, les crises de panique et d’anxiété sont devenus le quotidien de la communauté LGBT. Global Voices a recueilli quelques-unes de ces histoires directement de ceux qui les ont vécues.

Le designer et créateur de mode Filipe Teixeira, 24 ans, raconte que le lendemain du vote, il a été victime d’intimidations de la part de personnes ayant déclaré voter pour Jair Bolsonaro. Alors qu’il sortait de chez lui pour aller déjeuner dans un quartier un peu chic de Porto Alegre, dans le sud du pays, des hommes en voiture lui ont crié : « Bolsonaro va tuer de la pédale » ([matar viado], viado étant un terme très péjoratif se référant aux hommes gays).

Me senti intimidado e constrangido também pela exposição. Tinha pessoas em volta, não fui o único a ouvir. Fora que eu sofro de ansiedade e pânico e essas situações são certamente um forte gatilho para que as crises aconteçam. Penso também nas pessoas que têm menos recursos do que eu pra tratar esses problemas, o quanto podem vir a sofrer.

Je me suis senti intimidé et surtout gêné d'être ainsi exposé. Il y avait des personnes autour de moi, je n’ai donc pas été le seul à entendre cela. Je souffre d’anxiété et de crises de panique, et ces situations sont certainement un fort élément déclencheur des crises. Je pense aussi aux personnes qui ont moins de ressources que moi pour traiter ce genre de problèmes, à quel point elles doivent souffrir.

Filipe dit que sa mère est restée préoccupée et nerveuse quand elle a appris cet incident et qu’elle en a pleuré. Il dit aussi :

Vamos resistir, acima de tudo, e torcer para que as coisas não sejam tão ruins quanto a gente espera, por mais que eu não acredite muito nisso.

Nous allons résister, envers et contre tout, et lutter pour que les choses ne deviennent pas aussi terribles que les gens le pensent, même si moi je n’y crois pas vraiment.

A São Paulo, un cas similaire s’est produit avec l’acteur et directeur de théâtre Caio Balthazar, 31 ans. En sortant de l’endroit où il était allé voter, le 7 octobre, un homme l’a bousculé et l’a insulté lui criant des choses comme « Va te faire enculer, sale petite pédale » et « Donne ton cul, sale fils de pute de pédé ». Sur son profil Facebook, Caio a écrit :

Era tanto ódio que saía da boca dele, mas tanto ódio. Eu fiquei em choque, perplexo, totalmente sem reação. Quando eu falo que o discurso de ódio ameaça minha existência, eu não estou exagerando.

Il y avait tant de haine qui sortait de sa bouche, mais tant de haine. J’en suis resté choqué, perplexe et totalement sans réaction. Quand je dis que les discours de haine menacent mon existence, je n’exagère pas.

« Pédé de merde ! Bientôt, bientôt on va pouvoir te tuer » Ce sont les mots que le thérapeute Diego Celestino, 30 ans, a entendu dans la rue, à São Paulo aussi, alors qu’il rentrait du travail la semaine après les élections.

Son mari, Flávio Henrique Santana, 29 ans, dit que le couple était déjà inquiet à cause d’agressions dont ont été victimes des amis proches. En 11 ans de vie commune, ils n’avaient jamais eu à déplorer ce type de menaces.

Après avoir raconté sur les réseaux sociaux ce qui s’était passé, Flávio a partagé sa publication dans le groupe WhatsApp de sa famille qui compte plusieurs électeurs de Bolsonaro. Il dit que personne ne s’est manifesté à propos de ce qui lui était arrivé.

A Global Voices, Flávio dit que, même après s’être senti déstabilisé, il a compris la nécessité de résister :

Nós nos sentimos muito sozinhos, é como se a gente não tivesse apoio das pessoas que mais espera: a família. Eu não quero ninguém chorando no meu velório quando eu for assassinado por homofobia. É o que a gente pode fazer agora. Ao mesmo tempo, estamos cogitando sair do Brasil caso ele ganhe. Não vou pensar duas vezes.

Nous nous sentons très seuls, c’est comme si nous ne pouvions pas compter sur le soutien des gens dont on attend le plus : la famille. Je veux que personne ne pleure à ma veillée funéraire quand j’aurai été assassiné par homophobie. C’est maintenant que les gens peuvent faire quelque chose. On pense aussi à quitter le Brésil s’il gagne. Je ne vais pas y réfléchir à deux fois.

De retour au placard ?

Femmes protestant contre le candidat Jair Bolsonaro à Brasilia | Photo : Antonio Cruz/Agência Brasil

Pour le psychologue et professeur Angelo Brandelli Costa, de l’Université Pontificale Catholique de Rio Grande do Sul (PUCRS), on assiste à un retour de l’époque où les gens étaient obligés de cacher leur sexualité. Il dit :

No Brasil, nunca tivemos uma mudança completa. A violência estava latente e as pessoas não percebiam. O que mudou, agora, é que também se está responsabilizando certos grupos sociais por problemas que são mais complexos e envolvem economia e política.

Au Brésil, on n’a jamais connu un changement complet. La violence était latente et les gens ne s’en apercevaient pas. Ce qui a changé, maintenant, c’est qu’on rend aussi responsables certains groupes sociaux de problèmes qui sont plus complexes et qui impliquent des questions économiques et politiques.

Costa rappelle qu’il existe des recherches montrant que les expériences de préjugé vécues directement – quand les personnes LGBT sont violentées physiquement et verbalement – et indirectement – quand on anticipe le fait qu’une agression puisse se produire – ont un fort impact sur la vie des victimes et génèrent anxiété, dépression et isolement.

Pour lui, nous sommes en train de vivre une crise de civilisation dans laquelle les droits humains sont violés et les institutions qui devraient les protéger ne parviennent pas à gérer la situation.

Precisamos ir para um outro debate, de entender que qualquer pessoa deve ter seus direitos preservados simplesmente por serem pessoas e não apenas por sofrerem. Os LGBTs têm direito a ocupar o espaço público e se ele se tornou tóxico, temos que pressionar para que se adapte.

Nous devons amorcer un nouveau débat, comprendre que tout le monde devrait voir ses droits préservés du simple fait d’être humain, et pas seulement parce que cela fait souffrir. Les LGBT ont le droit d’occuper l’espace public et si ce dernier devient toxique, nous devons insister pour que cet espace s’adapte.

D’autres agressions

Manifestation Les Femmes contre Bolsonaro à São Paulo, une semaine avant les élections | Photo : Rovena Rosa/Agência Brasil

Une enquête de l’Agência Pública montre que près de 70 agressions ont eu lieu au Brésil avec « l’intensification de la violence politique », du 30 septembre jusqu’à la semaine qui a suivi le premier tour. La grande majorité a été causée par des sympathisants de Bolsonaro :

Uma jornalista esfaqueada e ameaçada de estupro. Um carro jogado em cima de um jovem com camiseta do Lula que conversava em frente ao bar com os amigos. Uma jovem presa e agredida, jogada nua em uma cela da delegacia. (…) Isso mostra que as declarações de Bolsonaro que incitam a violência contra mulheres, LGBTs, negros e índios e a violência policial estão ecoando país afora e se transformaram em agressões físicas e verbais nestas eleições.

Une journaliste poignardée et menacée de viol. Une voiture projetée contre un jeune portant un t-shirt à l’effigie de Lula et qui discutait devant un bar avec des amis. Une jeune femme arrêtée et battue, jetée nue dans une cellule du commissariat. (…) Cela montre que les déclarations de Bolsonaro qui incitent à la violence contre les femmes, la communauté LGBT, les noirs et les indiens, et à la violence policière, rencontrent un écho dans le monde entier et dans ces élections, et qu'elles se traduisent en agressions physiques et verbales.

Selon le même reportage, la jeune transsexuelle Guil Andrade, de Belo Horizonte, a relaté avoir reçu une gifle en retirant un autocollant en faveur de Bolsonaro qu’un de ses sympathisants lui avait collé de force sur la poitrine.

Medo. É a única coisa que consigo definir no momento (…) A gente vai ficando acuado, trancado em casa, não estou conseguindo trabalhar. Eu quero poder existir sem ser questionada e pressionada o tempo todo.

La peur. C’est la seule chose que je parviens à définir en ce moment (…) Les gens sont aux abois, enfermés à double tour chez eux, je n’arrive plus à travailler. Je veux pouvoir exister sans être questionnée, harcelée à tout bout de champ.

Parmi les autres agressions survenues après les élections et qui n’ont pas uniquement impliqué la communauté LGBT, on compte l’assassinat du capoeiriste Moa do Katendê, 63 ans. Moa a été poignardé à mort de 12 coups de couteau [fr] dans la ville de Salvador (Bahia), après avoir déclaré voter pour Fernando Haddad, opposant de Bolsonaro et membre du Parti des Travailleurs.

Ce que disent les candidats

Bolsonaro lui-même a subi les effets de la violence causée par les tensions politiques : il a été poignardé début septembre [fr] alors qu’il faisait campagne. Selon la Police Fédérale, l’agresseur a agi seul.

Interrogé à l’antenne de la radio CBN sur les attaques perpétrées par ses sympathisants, Bolsonaro a dit qu’il ne pouvait pas en prendre la responsabilité et qu’il était une « victime». Il a écrit sur Twitter :

Nous renonçons à tout vote et toute autre approche de ceux qui commettent des actes violents contre les électeurs qui ne votent pas pour moi. Je demande à ces gens-là de voter nul, ou par souci de cohérence, pour l’opposition, et aux autorités de prendre les mesures appropriées, notamment contre les calomniateurs qui tentent de nous porter préjudice.

Toutefois, son adversaire, Fernando Haddad, a rappelé sur la même radio les déclarations du candidat promettant de « fusiller » les membres du PT et rendant hommage à un tortionnaire [fr] du régime militaire, démontrant ainsi que « en ne se contrôlant pas lui-même, [Bolsonaro] ne contrôle plus personne. »

Le second tour des élections au Brésil aura lieu le 28 octobre prochain.

La controversée fécondation in vitro peut-elle sauver le rhinocéros blanc du Nord ?

dimanche 21 octobre 2018 à 20:46

“Sudan,” le dernier représentant mâle des rhinocéros blancs du Nord. Image postée par Make It Kenya sur Flickr et partagée via Public Domain.

[Article d'origine publié le 30 août 2018] Le 19 mars 2018, les défenseurs de la nature ont pleuré la mort d'un rhinocéros blanc du Nord de 45 ans nommé Sudan, l'un des trois derniers représentants et le dernier mâle de cette sous-espèce. Les gardiens du centre kényan de préservation Ol Pejeta Conservancy où vivait Sudan, ont euthanasié l'animal pour mettre fin aux souffrances qu'il endurait du fait de son âge avancé. 

Depuis la disparition de Sudan, seuls deux autres rhinocéros blancs du Nord subsistent dans le monde – toutes deux des femelles et des descendantes de Sudan : sa fille Najin et sa petite fille Fatu. Les scientifiques espèrent désormais perpétuer l'espèce à travers le processus très controversé de fécondation in vitro (FIV).

Les chercheurs ont déjà réussi à produire des embryons hybrides en fécondant des ovules appartenant à des femelles d'une sous-espèce voisine, le rhinocéros blanc du Sud, avec du sperme congelé de différents mâles rhinocéros blancs du Nord. Pour la première fois, les embryons résultant de cette expérience se sont développés en laboratoire jusqu'au stade de blastocyste. Cette avancée a redonné aux scientifiques l'espoir de pouvoir empêcher l'extinction de l'espèce.

Désormais, Najin et Fatu sont sous surveillance rapprochée afin de les protéger des braconniers, car les scientifiques ont l'intention de collecter leurs ovules pour créer des embryons viables à l'aide du sperme congelé de Sudan. Ils souhaitent ensuite les implanter dans des femelles rhinocéros blanc du Sud afin de créer les premiers jeunes rhinocéros 100% fécondés in vitro.

Cependant, à l'heure qu'il est, le projet reste hypothétique : les scientifiques n'ont pas encore obtenu la permission d'extraire des ovules pour mener à bien l'expérience ; ils espèrent que le gouvernement la leur accordera d'ici fin 2018.

Le processus complexe et invasif de la FIV a déjà soulevé bon nombre de débats. D'abord, parce qu'il s'agit d'une technologie chère dont les experts estiment que le coût pourrait atteindre jusqu'à 9 millions de dollars. Certains questionnent l'intérêt de verser de telles ressources financières pour secourir une espèce déjà au bord de l'extinction, plutôt que d'utiliser ces fonds pour protéger des populations de rhinocéros encore vigoureuses :

Aussi scandalisés que nous soyons par la perte du dernier rhinocéros blanc mâle Sudan, je trouve qu'il est (quel est le mot ?) de vouloir dépenser 9 millions de dollars dans une FIV pour faire renaître un troupeau (que les braconniers trouveront le moyen de tuer).
Pourrions-nous juste laisser tomber et passer à autre chose ?

Le groupe militant Save the Rhino a écrit à propos de ce traitement controversé :

A practical concern for any future Northern white rhinos successfully bred through IVF is the question of where they would live. Much of the sub-species’ former range has lost rhinos in its entirety, with limited conservation programmes or expertise for managing a rhino population, and large-scale habitat loss. In any case, for rhino population to be genetically viable, a minimum of 20, unrelated ‘founder individuals’ are needed. Otherwise, a population becomes inbred and prone to genetic abnormalities – and fertility problems.

Une problématique pratique pour de futurs rhinocéros blancs du Nord issus de FIV serait celle de leur lieu de vie. Une grande partie de l'ancien territoire de cette sous-espèce a perdu toute présence de rhinocéros, du fait du manque de programmes de conservation ou d'expertise concernant les rhinocéros et la perte d'habitat à grande échelle. Quoi qu'il en soit, pour qu'une population de rhinocéros soit génétiquement viable, il faut un minimum de 20 “individus fondateurs” non apparentés. Dans le cas contraire, la population devient hybride et propice aux anomalies génétiques – et aux problèmes de fertilité.

Le rhinocéros blanc du Nord (une sous-espèce du rhinocéros blanc) arpentait jadis l'Ouganda, le Tchad, le Soudan, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo, mais de longues années de braconnages et de guerres civiles ont conduit à sa disparition.

D'une manière générale, le nombre de rhinocéros – toutes espèces confondues – a considérablement chuté en quelques années, principalement parce qu'ils sont chassés pour leurs cornes. Dans certains pays asiatiques, les gens pensent que la corne de cet animal peut faire tomber la fièvre et guérir des maladies cardiaques. Dans d'autres régions, elle symbolise la santé.

Le Zimbabwe tente de sévir contre le marché noir du rhinocéros

Pendant que le débat sur la FIV bat son plein, la mort de Sudan a éveillé les consciences sur la situation désespérée des rhinocéros sur le continent africain. Le Zimbabwe, par exemple, abrite sur son territoire à la fois des rhinocéros blancs et des rhinocéros noirs. En 2009, une étude démographique y recensait approximativement 425 rhinocéros noirs et 300 rhinocéros blancs dans les parcs nationaux et les réserves privées.

Afin d'arrêter ces tueries illégales et l'exploitation d'animaux sauvages, le gouvernement zimbabwéen a mis en place des mesures de protection, dont les dispositions explicitées dans la Loi sur les parcs et la vie sauvage [chapitre 20:14] (PWA) prévoient de lourdes peines pour les infractions. Les rhinocéros sont désormais classés comme “animaux particulièrement protégés” — les chasser et les tuer est interdit, et les contrevenants s'exposent à une peine obligatoire de neuf ans de prison pour une première condamnation, et de onze ans pour une deuxième.

Même devant la menace d'une lourde peine, les braconniers continuent de vouloir prendre ce risque, et deviennent en réalité les pions d'un réseau de crime organisé complexe. Beaucoup sont des villageois pauvres et sans emplois, appâtés par la promesse lucrative du braconnage. Le combat contre le marché illégal de la vie sauvage doit absolument comporter l'arrestation de ceux qui l'organisent – étape aujourd'hui trop souvent négligée.

Le PWA exige la confiscation de tout équipement, véhicules ou armes utilisés pour commettre des délits à l'encontre de la faune sauvage, donnant à l’État le droit d'en disposer de la meilleure manière. Pourtant, malgré ces protections légales, les changements concrets se font attendre et trouvent leurs limites dans le manque de financements adaptés, le laxisme des forces de l'ordre et la corruption.

Un quotidien sud africain en ligne, le Daily Maverick, a d'ailleurs signalé que si le marché noir de la corne de rhinocéros trouve son lit dans la corruption au Zimbabwe, il le trouve aussi dans huit autres pays d'Afrique.

Appel urgent pour la préservation des rhinocéros

Les écologistes exhortent les activistes et les citoyens ordinaires – en particulier ceux qui habitent près d'espaces naturels – à se mobiliser sérieusement pour la préservation des rhinocéros.

Au Zimbabwe, où 62 % de la population a moins de 25 ans, les jeunes pourraient jouer un rôle central dans cet élan militant.  Cependant, face à une jeunesse qui passe de plus en plus de temps sur la toile plutôt que dans la nature, les activistes doivent se consacrer à la sensibiliser pour pouvoir l'enrôler dans la défense des rhinocéros.

En tant qu’espèce parapluie, ces derniers ont un rôle important dans l'ensemble de leur écosystème, dont la richesse dépend de leurs habitudes qui impactent directement la qualité de vie d'autres espèces. Lorsqu'ils paissent, par exemple, l'herbe plus courte devient un terrain plus praticable pour de plus petits mammifères.

Les chercheurs ont prouvé que sans les rhinocéros, tous les autres animaux qui broutent sur les plaines souffrent. Avec les rhinocéros, le nombre et les types de plantes se multiplient. Ils rendent à peu près autant qu'ils prennent, car les fibres qu'ils ont dans l’œsophage sont évacuées et font alors un excellent engrais.

Si les scientifiques s'accordent à dire que l'extinction est une étape normale de l'évolution, le processus est largement accéléré par le braconnage, la destruction de l'habitat, la surexploitation de la faune sauvage, et même les conflits politiques. L'extinction des rhinocéros aura de graves répercussions sur les autres espèces, ce dont la mort de Sudan est un criant rappel.

Les journalistes indiens partagent leurs témoignages sur la détérioration de l'état des médias – et s'engagent à ne pas se laisser faire

dimanche 21 octobre 2018 à 20:03

Un panel d'intervenants à la Convention nationale contre l'agression des journalistes qui s'est tenue le 22 septembre 2018, à New Delhi. Prise d'écran depuis YouTube par l'utilisateur Media Vigil.

Les agressions, les intimidations et les attaques contre les journalistes et les organes de presse n’ont rien de nouveau en Inde.

En juin 2018, Shujaat Bukhari, journaliste chevronné et rédacteur en chef du Rising Kashmir, a été abattu (en même temps que deux policiers assignés à sa protection) par des hommes armés à Srinagar, dans l'État du Jammu-et-Cachemire, dans le nord de l’Inde.

Bien que cet assassinat ait suscité l’indignation générale, il n’a pas pour autant permis de changer la réalité sur le terrain pour les journalistes.

Bukhari est devenu le quatrième journaliste indien tué cette année en raison de son métier, et de nombreux autres continuent à faire face à des menaces, qu’elles proviennent d'acteurs étatiques ou non étatiques.

Dans son rapport pays 2018 sur l'Inde, Reporters sans frontières indique que le nationalisme d’extrême droite hindou promu par le parti au pouvoir Bharatiya Janata Party, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, constitue un danger mortel pour la liberté de la presse dans le pays. Le rapport indique qu'une autocensure grandissante se développe au sein des médias indiens grand public, du fait “des nationalistes hindous qui essaient de supprimer du débat public toute manifestation d’un discours “antinational” “.

Être journaliste dans l’Inde de Modi

La Convention nationale contre l'agression des journalistes a été organisée le mois dernier par le Comité contre l'agression des journalistes (CAAJ, dans son acronyme anglais) à New Delhi. Plusieurs journalistes indiens reconnus étaient présents.

S'adressant au public lors de la convention, Ravish Kumar, journaliste à NDTV, a critiqué le Premier Ministre Modi pour avoir nourri une culture politique qui encourage la haine contre les médias et qui a transformé l'Inde en une “République des abus”.

Ravish Kumar s'adressant au public lors de la Convention nationale contre l'agression des journalistes

Selon Kumar, après l'élection de Modi en 2014, les détracteurs du gouvernement ont été catalogués comme “anti-Modi”, puis ensuite comme “anti-Inde” et enfin comme “anti-nationaux”. Ce type de rhétorique semble avoir retourné une partie importante de la société contre quelques journalistes, provoquant leur isolement et les contraignant au silence dans l’autocensure.

En mai, Kumar a signalé une augmentation des appels malveillants et des menaces de mort émanant de nationalistes radicaux d’extrême-droite. “[Ce harcèlement] est très organisé et bénéficie d’un soutien politique”, a déclaré Kumar dans un entretien pour The Hindu.

En s’appuyant sur sa propre expérience, Kumar souligne que les journalistes indépendants, les femmes et les personnes travaillant dans les zones rurales sont beaucoup plus exposés aux intimidations et aux interférences avec leur travail, et manquent du dispositif de soutien dont bénéficient les journalistes dans la capitale et les grandes villes.

La première convention du CAAJ indien met en lumière la situation extrêmement difficile des journalistes travaillant dans les zones reculées. Du Bastar au Kashmir en passant par le Nord-Est, les professionnels des médias doivent faire face au harcèlement de criminels et de la police, de connivence avec les politiciens. Unissons-nous et soutenons nos collègues.

“Cette responsabilité ne devrait pas nous revenir, il incombe à l’État de mettre en place un mécanisme constitutionnel pour lutter contre ce type de harcèlement et de menaces auxquels nous faisons tous face”, a déclaré Neha Dixit, une journaliste indépendante d'investigation, durant la convention.

Dixit dépeint un climat politique qui décourage les journalistes de s’exprimer sur des sujets liés aux droits des populations marginalisées. Le trafic et l'endoctrinement de filles originaires de communautés tribales dans l’État d’Assam par une organisation hindoue de droite affiliée au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), tout comme les meurtres de musulmans issus de la classe ouvrière dans des confrontations mises en scène et reposant sur de fausses accusations ou sur l'utilisaton abusive de la Loi sur la Sécurité nationale (NSA), sont des exemples d’incidents que les grands organes de presse ne semblent pas disposés à couvrir.

Analysant plus en profondeur les problèmes systémiques qui entravent le journalisme en Inde, Dixit déplore l’absence totale dans le pays d’une institution qui serait dédiée à répondre aux défis auxquels sont confrontés les journalistes – qu’il s’agisse des intimidations, des faux procès, du harcèlement sexuel sur le lieu de travail ou des questions relatives à la rémunération.

Témoignages des journalistes en zones de conflit et en zones rurales

Jalil Rathor, journaliste de renom travaillant au Jammu-et-Cachemire, a déclaré au sujet des défis rencontrés depuis 30 ans par les journalistes de cet État du nord du pays :

“Dans une zone de conflit, un journaliste se retrouve pris entre le marteau et l'enclume et est accusé de prendre parti à la fois par l’État et par les acteurs non-étatiques”.

Rathor a souligné que la réduction des publicités gouvernementales [la principale source de revenus des journaux du Jammu-et-Cachemire], l'interdiction des services Internet et la convocation de journalistes pour des interrogatoires par la police de l'État ou par l’Agence nationale d’investigation (NAI) à New Delhi, font partie des moyens habituels auxquels le gouvernement et ses agences ont recours pour intimider les journalistes locaux.

“Il y a aussi une tentative à la fois dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux de contrôler le discours [sur le Cachemire dans les actualités]”, a déclaré Rathor.

Des femmes cachemiries clament des slogans contre l'Inde durant la procession funèbre d'un militant local tué lors d'une altercation avec les forces gouvernementales dans le sud du Cachemire. Image postée sur Instagram par Ieshan Wani.

Patricia Mukhim, rédactrice en chef du Shillong Times, un quotidien anglophone de l’État du Meghalaya, dans le nord-est du pays, et survivante d'une attaque au cocktail Molotov en avril 2018, évoque la même préoccupation que Rathor au sujet des journalistes travaillant dans les zones de conflit.

Mukhim suggère que pour certains groupes minoritaires, en particulier dans le nord-est de l'Inde, les identités ethniques sont plus fortes que le sentiment d’appartenance nationale. Elle déplore que ce type de politique ethnique, bien que différente de la culture politique véhiculée dans la capitale par le gouvernement actuel, est tout aussi restrictive pour la liberté de la presse.

“Si vous prenez position pour ou contre quelque chose, alors l'un ou l'autre des groupes parties au conflit voudra votre peau”, a déclaré Mukhim.

Seema Azad, rédactrice en chef de Dastak Patrika et secrétaire de l'Union populaire pour les libertés civiles (PUCL) dans l’État de l’Uttar Pradesh, a vivement critiqué la loi indienne sur la Prévention des activités illégales (UAPA), une loi de plus en plus utilisée pour bâillonner journalistes et militants. Cette loi de 1967 visait initialement à lutter contre le terrorisme et a été utilisée de manière de plus en plus stricte au cours des dernières années. De nombreux avocats et activistes ont fait valoir que le potentiel d’emploi abusif de la loi, notamment pour faire taire les voix dissidentes, est très important.

“Quand l'UAPA, la loi draconienne, était utilisée contre des activistes, les journalistes de ce pays n'ont pas élevé la voix. Maintenant, elle est utilisée contre les journalistes” dit Seema Azad, rédactrice en chef de Dastak Patrika.

Azad insiste sur la nécessité d'élargir l'espace démocratique pour y inclure les discours sur les différents mouvements populaires en Inde et le traitement par la presse de problèmes que le gouvernement décourage fortement d'aborder, tels que le conflit au Cachemire. Rapporter les coûts humains du conflit est par exemple souvent qualifié d’“anti-national” par le gouvernement Modi.

Parlant de l'impact du « capitalisme de connivence », Azad souligne que, à mesure que le contrôle de l’État par les grandes entreprises a augmenté au fil des années – allant des organes de presse aux ressources naturelles – de telles attaques se sont multipliées.

Lalit Surjan, rédacteur en chef de Deshbandhu et intervenant à la convention, a déclaré: “Aujourd'hui, tout comme par le passé, le journalisme est une entreprise risquée, alors soyez courageux.”

Elu député, le leader de la lutte contre l'esclavage en Mauritanie Biram Dah Abeid croupit toujours en prison

dimanche 21 octobre 2018 à 15:26

Biram Dah Abeid au Conseil départemental de Gironde à Bordeaux, pour la remise du prix Mémoires partagées le 4 février 2017 par l'association internationale Mémoires et Partages. Photo prise par Akunt'Arts.prod & Gaéty.D. CC-license-by-SA-4.0

Nous sommes en Octobre 2018 et environ 90 000 personnes sont encore maintenues esclaves en Mauritanie, selon l'ONG Global Slavery Index. Malgré des textes d'abolitions officielles, sociologues, historiens et associations des droits de l'homme considèrent que l'esclavage héréditaire persiste au sein de la société mauritanienne : privation de libertés dès la naissance, maltraitance, trafics d'êtres humains et viols. Figure historique de la lutte contre l'esclavage, Biram Dah Abeid est le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie).  Il est aussi en prison depuis trois mois sous prétexte de menace à l'encontre d'un journaliste proche du régime mauritanien.

Arrêté avant même qu'il ne commence sa campagne électorale, Biram Dah Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie), a réussi à se faire élire dès le premier tour lors des élections législatives du 1er septembre. Malheureusement, cette élection n'a pas mis fin à son martyr. Le pouvoir le maintient toujours en prison.

Devant cette attitude du pouvoir, les initiatives se multiplient pour soutenir le leader pour les droits humains. Les parlementaires de l'opposition ont fait sentir leurs voix. En effet, selon alakhbar.info, ils ont réussi à faire suspendre la première séance du parlement:

Le vice-président de l’Assemblée nationale, Boidiel Ould Houmeid a arrêté la session après qu’une polémique a éclaté entre les députés de la majorité et ceux de l’opposition après l’omission du nom de Biram Dah Abeid de la liste des membres des commissions parlementaires.

Pendant ce temps, les forces de l'ordre réprimaient violemment une manifestation des militants qui exigeaient sa libération de Biram Day Abeid devant le parlement, Le site futureafrique.net rapporte les faits:

Des militants de l’IRA Mauritanie sont venus protester contre la poursuite de la détention de leur Président, Biram Dah Abeid, alors qu’il a recueilli les suffrages nécessaires pour être élu député…

Les unités de la police sont intervenues pour disperser violemment et réprimer dans le sang le rassemblement et on dénombre de nombreux blessés parmi lesquels Leila Ahmed, l’épouse de Biram Dah Abeid.

Des manifestations de solidarité ont également été organisées dans plusieurs parties du monde.

En Belgique, dans un communiqué, IRA Mauritanie en Belgique, a invité les militants des droits humains à une manifestation qui a eu lieu le 11 octobre à Bruxelles devant l’Ambassade de Mauritanie. Dans le compte-rendu de la manifestation publié sur Facebook montant les photos de la manifestation, on peut lire:

Les militants de l'IRA Belgique le 11 octobre 2018 devant l'Ambassade de Mauritanie à Bruxelles pour dénoncer la répression sanglante des militants de l'IRA Mauritanie devant l'Assemblée nationale le 8 octobre et réclamer la libération sans condition de Biram Dah Abeid, élu député par le peuple.

Avec le soutien de l'UNPO et de EOPD.

A Chicago, une coalition de douze organisations non-gouvernementales a lancé une pétition le 15 octobre, déjà signée par près de 233 000 personnes. Dans la lettre qui devra accompagner cette pétition, adressée en arabe, en français et en anglais,  au ministre mauritanien de la justice, M. Dia Moctar Malal, ces ONG expriment leur préoccupation:

L’arrestation de Biram Dah Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), et d’Abdellahi el Housein Mesoud (membre de l'IRA) le 7 août, ainsi que leur détention provisoire ultérieure, sont pour nous un sujet de grande préoccupation. Nous vous adressons cette lettre avant leur comparution afin que vous puissiez vous assurer qu'ils bénéficieront non seulement de toutes les garanties d'un procès équitable mais aussi d'une assistance juridique et d'une remise en liberté en attendant le procès.

Plus de 230 000 personnes dans le monde partagent notre inquiétude et ont signé une pétition* qui vous est adressée ainsi qu’au président Mohamed Ould Abel Aziz. Celle-ci demande la fin du harcèlement des militant-e-s antiesclavagistes et la libération de M. Abeid dans l'attente d’un procès équitable…

Leur détention dans une prison isolée dans le désert du Sahara, sans possibilité de recevoir la visite de leurs avocats ou de leurs familles, et durant laquelle ils auraient été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, a suscité l’inquiétude de la communauté internationale.

Le 13 octobre, l'ONG Urgences Panafricanistes – créée par Kemi Seba- a organisé en différent pays une mobilisation internationale pour la libération de Biram Dah Abeid. A Paris, selon cridem.org:

Le coordinateur international d’Urgences Panafricanistes s’évertuant à relayer la solidarité de l’organisation de Kemi Seba à l’endroit de l’activiste anti esclavagiste. Il a aussi expliqué que « si le gouvernement mauritanien devait persister dans sa volonté de ne pas mettre en place les conditions d’un réel dialogue en lieu et place de la répression brutale et féroce qui s’abat sur les activistes luttant contre l’esclavage, il n’y aurait alors pas d’autres choix que de lancer une véritable campagne de boycott de produits mauritanien doublée d’une campagne médiatique de harcèlement des représentants de ce gouvernement ».

À Abidjan, c'est la section I Côte d’Ivoire qui a organisé une conférence de presse pour dénoncer la détention arbitraire d'un élu du peuple, le 15 octobre, en ces termes:

Pourtant député, Biram Dah Abeid endure la réclusion, sans procès, au prétexte d’avoir diffamé, voire menacé un journaliste, auteur d’un reportage tendancieux sur lra. Le détenu accuse l’homme de média d’avoir commis un travail de propagande, de diffamation et de dénigrement au bénéfice de la police politique. Le juge d’instruction maintient l’incarcération préventive, le temps d’épuiser ses jours de vacances.

Face au lourd passif de racisme et de correction impunie contre les noirs de Mauritanie, notamment les descendants d’esclaves, un réseau international de solidarité s’organise et ramifie, pour obtenir la libération d’un élu du peuple et la réhabilitation dans ses droits.

En Italie, c'est une discussion qui a été oganisé à Brescia au tour d'un livre consacré à Biram Dah Abeid “Mai più schiavi. Biram Dah Abeid e la lotta pacifica per i diritti umani” di Maria Tatsos

Le site lecalame.info annonce que:

L’association Timidria (Niger) condamne avec la dernière énergie la séquestration et la discrimination dont est victime Biram Dah Abeid et les militants d’IRA en Mauritanie. Elle apporte son « soutien indéfectible et sa solidarité au camarade Biram Dah Abeid, dans sa lutte pour l’émancipation de la communauté haratine, victime de racisme et d’esclavage en Mauritanie.

A Dakar, Urgences Panafricanistes a organisé une conférence de presse pour dénoncer l'attitude du pouvoir mauritanien. Dans un commentaire sur Facebook, Brahim MB ZR a écrit:

En tant que mauritanien je vous informe que la Mauritanie de 2018 est très comparable avec l'Afrique du Sud de l apartheid : c'est à dire une minorité d'arabo-berbère qui représentent 25% de la population mauritanienne mais qui détient toutes les richesses du pays et divise ensuite discrimine , marginalise et stigmatise les noirs mauritaniens pourtant majoritaires dans le pays (70%) et certains sont même reduit en esclaves.

Dans une analyse des rapports que le pouvoir mauritanien a adopté vis-à-vis d'IRA-Mauritanie, Thiam Mamadou écrit:

Les attaques ciblées des appareils judiciaire et policier contre la famille Biram Dah Abeid se veulent messages de fermeté, pour faire renoncer le public militant d’IRA à sa témérité et à son engagement. Lors d’une conférence de presse tenue à son domicile, au lendemain de la violente charge dont elle a été victime, madame Leïla mint Ahmed explique ainsi que les policiers l’ont personnellement visée. « C’est comme s’ils n’attendaient que moi, avec des ordres précis. Dès qu’ils m’ont reconnue, ils se sont jetés sur moi, à coups de matraques et de godasses. Je souffre de tout mon corps et n’eût été la pudeur, je vous aurais montré les ecchymoses qui le tapissent ».

Des textes punissant l'esclavage existent pourtant en Mauritanie. Il ne reste qu'à les appliquer. Mais là, on dirait que la volonté politique fait défaut.

Une photo montre un garçon regardant le feu d'artifice du Nouvel An. Pourquoi en déduire qu'il est pauvre et triste ?

samedi 20 octobre 2018 à 23:44

Photo ayant amorcé un vif débat au Brésil. Capture d'écran de la page Facebook de Lucas Landau.

[Article d'origine publié en portugais le 19 janvier 2018] Nous sommes à la veille du nouvel an dans l'une des destinations touristiques les plus connues du monde. Tandis que 2,4 millions de personnes se rassemblent sur la plage de Copacabana, à Rio de Janeiro, pour le feu d'artifice, l'objectif du photographe freelance Lucas Landau se tourne vers un jeune garçon noir. Il est mouillé et torse nu, immobile dans la mer, de l'eau jusqu'aux genoux. Les mains croisées au niveau de la taille, on a l'impression qu'il tremble, mais il reste là, fasciné par ce qu'il voit dans le ciel. Derrière lui, hors-champ, la foule vêtue de blanc applaudit, prend des selfies et fait la fête.

Landau a publié la photo sur Facebook, Instagram, Twitter. Celle-ci a rapidement été diffusée sur WhatsApp, accompagnée d'une fausse histoire dans laquelle on disait que l'enfant n'avait pas où vivre et avait été abandonné. Cela correspondait à ce que certains voyaient sur l'image : un enfant noir incarnant les inégalités de la société brésilienne.

Mais ces suppositions de pauvreté et tristesse ont rapidement été démenties.

Stephanie Ribeiro, activiste noire reconnue au Brésil, avec 46 000 adeptes sur Facebook, s'est exprimée sur cette interprétation :

Para mim não tem diferença quem vê um menino negro e já associa com ele a um “menor”, com a polícia que vê negros e já aborda para revistar e/ou agredir. Homens negros sempre contam essas histórias, suas vidas são marcadas pelos olhos racistas que procuram o esteriótipo reafirmando diariamente pelas mídias, e não a inúmeras verdades sobre eles. Fortalecemos isso ao incentivar olhares cheios de esteriótipos racistas sobre nossas múltiplas formas de existir/ser mesmo diante de crianças… o PERIGO DA HISTÓRIA ÚNICA também está no nosso olhar.

Selon moi, il n'y a aucune différence entre une personne qui voit un jeune noir et l'associe aussitôt à un « mineur », et la police qui voit des personnes noires et s'empresse de les fouiller ou de les agresser. Les personnes noires racontent sans arrêt ce genre d'histoires, leurs vies sont marquées par des regards racistes recherchant des stéréotypes que les médias ne font que réaffirmer chaque jour, au lieu de montrer les innombrables réalités les concernant. Nous renforçons cela en encourageant les regards empreints de stéréotypes racistes portés sur nos multiples façons d'exister, d'être, même devant les enfants… le DANGER D'UNE SEULE ET MÊME HISTOIRE se trouve également dans nos regards.

Dans une interview donnée au journal espagnol El País dans sa version brésilienne, l'écrivain noir Anderson França a déclaré:

O problema não é a foto, é a interpretação dela, do seu contexto. As pessoas que olham aquela foto estão pré-condicionadas a entender que a imagem de uma pessoa negra é associada a pobreza e abandono, quando na verdade é só uma criança negra na praia. Essa precondição é racismo estrutural, que vem da má educação do povo brasileiro sobre ele mesmo.

Le problème ça n'est pas la photo, c'est l'interprétation qu'on en donne et celle de son contexte. Les personnes qui regardent cette photo sont prédisposées à penser que l'image d'une personne noire ne peut qu'être associée à la pauvreté et à l'abandon, alors qu'en réalité ce n'est qu'un enfant noir sur la plage. Cette prédisposition est du racisme structurel et trouve son origine dans la mauvaise connaissance que les Brésiliens ont d'eux-mêmes.

Cependant, on ne connait toujours pas la véritable histoire – même le photographe ne sait pas qui est le jeune garçon. Une fois l'image devenue virale, Landau a ajouté une légende expliquant le contexte dans lequel la photo avait été prise :

eu estava a trabalho fotografando as pessoas assistindo aos fogos em copacabana. ele estava lá, como outras pessoas, encantado. perguntei a idade (9) e o nome, mas não ouvi por causa do barulho. como ele estava dentro mar (que estava gelado), acabou ficando distante das pessoas. não sei se estava sozinho ou com família. essa fotografia abre margem para várias interpretações; todas legítimas, ao meu ver. existe uma verdade, mas nem eu sei qual é. me avisem se descobrirem quem é o menino, por favor.

J'étais en train de travailler, je photographiais des personnes qui regardaient le feu d'artifice de Copacabana. Il était là, comme n'importe quelle autre personne, émerveillé. Je lui ai demandé son âge (9 ans) et son prénom, mais je ne l'ai pas entendu à cause du brouhaha. Comme il se trouvait dans l'eau (qui était très froide) il a fini par se retrouver loin des autres. Je ne sais pas s'il était seul ou avec sa famille. Cette photo laisse place à diverses interprétations ; toutes légitimes, selon moi. Il existe une vérité, mais j'ignore laquelle. Si vous découvrez qui est cet enfant, s'il vous plait, prévenez-moi.

copacabana beach, 2018

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Encore une histoire de sauveur blanc?

Une capture d'écran publiée dans la section des commentaires sur la publication de Landau par quelqu'un qui tentait d'acheter une copie de la photo – ce à quoi Landau a répondu avec ses informations de contact – a commencé à circuler. Résultat, les gens ont commencé à s'intéresser au travail de Landau.

Landau, qui est blanc, a photographié des communautés noires en Afrique du Sud et des évènements violents se déroulant dans les favelas de Rio de Janeiro, où vivent majoritairement des personnes de couleur.

En réponse à cette dynamique, une expression a circulé au sein du débat : « complexe du sauveur blanc ». Selon Wikipedia, elle se « réfère a une personne blanche qui agit pour aider des personnes non blanches, et dont l'aide, dans certains contextes, est perçue comme intéressée. »

Pour faire référence au photographe et aux commentaires concernant la photo, le blogueur Marcelo Rocha, étant lui-même noir, a rappelé l'existence d'un personnage de la série télévisée américaine « Tout le monde déteste Chris », célèbre au Brésil :

A personagem Srta. Morello (Jacqueline Mazzarela) retrata uma pessoa branca que reconhece seus privilégios, mas de forma tão soberba que realmente se acha superior em tudo e acredita que todos os negros dependem de sua ajuda e assistência. Vê se em vários episódios a professora do protagonista da série Chris Rock (Tyler James Williams) com suas “melhores intenções” tentando ajudar o personagem em sua história trágica que criou em sua mente. O fotógrafo humanitário de alma negra ainda é lucro pro mercado. (…) Só criaram ele pois existe um povo sedento por ser a Srta. Morello.

Le personnage de Mademoiselle Morello (Jacqueline Mazzarela) dépeint une personne blanche consciente de ses privilèges, avec un tel orgueil qu'elle se croit au dessus de tout et pense que toutes les personnes noires dépendent de son aide et assistance. Dans plusieurs épisodes, on peut voir comment l'institutrice du protagoniste de la série, Chris Rock (Tyler James Williams), essaie, avec les « meilleures intentions » du monde, d'aider le personnage dans une tragique histoire créée de toute pièce. Le photographe humanitaire à l'âme noire est encore rentable sur le marché. […] Il n'a été inventé que pour satisfaire un peuple désireux d'incarner Mademoiselle Morello.

Une réflexion sur le pays lui-même

Par ailleurs, étant donné le contexte brésilien, d'autres ont allégué que les gens ne pouvaient pas s'empêcher de voir l'image à travers le prisme de l'inégalité et de la tristesse.

Copacabana, quartier aisé de Rio de Janeiro, est entouré de favelas et de communautés à faibles revenus, dont la majorité des habitants sont noirs ou de couleur de peau foncée. Une personne ayant commenté la publication originale de Landau a rappelé que les lignes de bus provenant des quartiers périphériques n'avaient pas circulé cette nuit là, soi-disant pour éviter que les jeunes gens noirs ne puissent assister au spectacle pyrotechnique.

Au Brésil, dernier pays du continent américain à avoir officiellement aboli l'esclavage (en 1889), seule une petite fraction (17 %) des personnes les plus riches du pays (soit 1 % de la population totale) est noire et ce, malgré le fait que la population noire constitue 54% de la population totale. D'après le taux actuel, l'écart salarial existant de nos jours entre les noirs et les blancs ne sera résorbé qu'en 2089.

Il y a aussi un problème de représentation. Une étude de l'Université de Brasilia a révélé que parmi les ouvrages publiés au Brésil entre 1965 et 2014, seulement 10 % ont été écrits par des auteurs noirs. Celle-ci a également démontré que près de 80 % des personnages principaux de ces œuvres de fiction sont blancs. Dans le monde cinématographique, seulement 4 % des productions emploient des scénaristes noirs et seulement 31% incluent des acteurs noirs dans leur casting, qui représentent presque toujours des personnages évoquant la pauvreté et la délinquance.

On ne peut pas nier qu'il existe un problème de racisme au Brésil, même si le pays n'a jamais eu de loi officielle contre la ségrégation. Comme l'a également souligné le photographe brésilien Fernando Costa Netto dans le journal El País :

Mesmo que a foto aponte outra coisa quando encontrarem o menino, o Brasil está muito bem espelhado pela foto em Copacabana”, avalia Netto. “Nós estamos aqui discutindo a força e o papel da fotografia, preconceito, o réveillon no Rio, a estética, a emoção, o documento, questionando… A fotografia está cumprindo o papel.

« Même si la photo vise autre chose quand on voit l'enfant, le Brésil est parfaitement représenté par la photographie de Copacabana » affirme Netto. « Nous discutons de la force et du rôle de la photographie, du préjugé, du réveillon du jour de l'an à Rio de Janeiro, de l'esthétique, de l'émotion, du document, en questionnant… La photographie rempli son rôle. »