PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Des journalistes ukrainiens créent YanukovychLeaks pour dévoiler la corruption du régime

dimanche 2 mars 2014 à 20:18
YanukovychLeaks

YanukovychLeaks.org, nouveau site créé par des journalistes ukrainiens pour publier les documents trouvés dans la résidence de Viktor Yanoukovitch. Nombre de ces documents témoignent du grave niveau de corruption du régime.

A sa fuite de Kiev [en anglais]  après l'escalade de violences lors du mouvement de protestation puis le retournement du Parlement, l'ancien président Yanoukovitch a laissé derrière lui son immense et luxueuse résidence en lisière de la ville, à Mejiguiria. Le palais a bientôt ouvert ses portes aux manifestants, aux journalistes et aux simples citoyens désireux de voir de leurs propres yeux comment vivait leur président.

Mais au milieu des bâtisses grandioses et des nombreux signes de richesse ostentatoires (un zoo ! un galion ! un terrain de golf !), journalistes et manifestants ont découvert un trésor bien plus important : des liasses de titres de propriété, des listes noires de journalistes et activistes politiques, des factures. Certains papiers avaient été à moitié brûlés, d'autres jetés dans les eaux du Dniepr, où ils flottaient non loin de la rive.

Le journaliste  Olexandre Aronets, qui s'est fait connaître par des directs en continu avec le mouvement Euromaïdan, a été l'un des premiers à découvrir ces documents flottant sur l'eau.

— Олександр Аронець (@aronets) February 22, 2014

Les documents en train de flotter sur le Dniepr!

Katia Gortchinskaïa, journaliste d'un hebdomadaire local en anglais “Kyiv Post“ [anglais], a raconté le sauvetage des documents dans un tweet [anglais] :

Un plongeur prêt à s'immerger dans la ‘mer de Kiev’ gelée pour continuer à rechercher les papiers de Yanoukovitch à Mejiguiria

Une fois les documents sauvés et envoyés au séchage, un groupe de journalistes s'est aussitôt réuni pour photographier et cataloguer cette nouvelle base d'informations, de façon à la conserver pour des recherches futures.
Katia Gortchinskaïa a fait cette photo de leurs travaux:

Un assortiment des documents de Mejiguiria. Jour 2@natasedletska @annababinets @MichaelShchur @akymenko_y #Украина

Plus tard, Sergueï Lechtchenko, un journaliste de”la Pravda ukrainienne” connu pour ses enquêtes sur le patrimoine immobilier de Ianoukovitch, a publié des photos des documents en train de sécher dans le sauna de la résidence:

Те, що відбувається зараз в Межигір'ї – це унікальний навіть за світовими мірками проект. Кілька десятків журналістів копіюють тисячі сторінок знайдених тут доказів корумпованого нутра Януковича. На фото – включена сауна будинку для гостей Януковича, де сушаться виловлені в Київському морі документи.

Ce qui se passe en ce moment à Mejiguiria, c'est un projet unique dans les annales mondiales. Quelques dizaines de journalistes qui numérisent des milliers de pages de preuves de la nature corrompue du régime Yanoukovitch. Sur la photo : le sauna réservé aux invités, où sont en train de sécher les documents repêchés dans la mer de Kiev.

Tout en travaillant, les journalistes mettaient leurs trouvailles en ligne sur leurs comptes personnels des réseaux sociaux, par exemple, ces factures révoltantes postés par Katia Gortchinskaïa et Christopher Miller du “Kyiv Post“:

Le 24 juin 2009, Yanoukovitch a dépensé 7660 hryvnias en soins vétérinaires pour les poissons de Méjiguiria. J'espère qu'ils vont bien.

“Les soucis de Méjiguiria : les rennes désormais incontrôlables dévorent le gazon”. Photo Denys Bigus.

L'équipe de journalistes de l'hebdomadaire ukrainien anglophone “Kyiv Post” [en anglais] et celles de quelques autres médias ont compris très vite que le trésor qui se trouvait sous leurs yeux devait être conservé à tout prix, et ils ont donc décidé de collaborer tous ensemble pour documenter, conserver et numériser tout cela, avant d'écrire leurs articles.

Ils ont aussi collaboré avec le Centre de recherche sur la corruption et le crime organisé (OCCRP), un organisme réunissant plusieurs centres de recherche, de l'Europe à l'Asie centrale. Grâce à leur réactivité est né le site baptisé  YanukovychLeaks, sur lequel on peut voir dès maintenant des photos et des scans des documents trouvés dans la propriété de Yanoukovitch. Katia Gortchinskïa  tweete sa joie :

Les documents repêchés dans la rivière de Mejiguiria sont ici : Yanukovichkeaks.org. Fière de faire partie de l'équipe qui les a découverts

Les journalistes locaux et étrangers ont eux aussi beaucoup apprécié le nouveau site Web. Maxime Eristavi, journaliste pour une radio locale, pense qu'il va très bien marcher:

Dans l'Ukraine révolutionnaire, c'est le site le plus chaud de la Toile en ce moment : #yanukovychleaks

Le réseau mondiale des journalistes-enquêteurs (GIJN)  a aussi tweeté au sujet des YanukovychLeaks [en ukrainien, en anglais] et raconté en détails comment s'est mise en place cette initiative ukrainienne :

Comment des journalistes en #Ukraine ont repêché des documents dans une pièce d'eau  #Yanukovychleaks

The reporters soon learned that if the waterlogged piles were not separated and dried, they would turn into a pasty clump that could never be rescued. The team took over a boat shed the first night and then the next day moved to an opulent guest house on the grounds to lay out more documents. It became their headquarters. A sign outside reads “Journalism Investigation in Process – Do Not Disturb.”
– from GIJN piece “YanukovychLeaks: How Ukraine Journalists Are Making History”

Les journalistes ont tout de suite compris que si ces tas de papier gorgé d'humidité n'étaient pas mis en feuilles et séchés, ils allaient devenir une pâte dont on ne pourrait plus rien tirer. L'équipe a déménagé du hangar à bateaux qu'elle occupait la première nuit pour s'installer dès le lendemain dans la luxueuse maison des invités, où elle pourrait étaler plus de feuilles. Et en a fait son quartier général. A l'extérieur, une plaque annonce : “Investigations journalistiques en cours – Ne pas déranger”.
– Tiré du reportage “YanukovychLeaks: comment les journalistes ukrainiens font l'histoire”

Le blog The Lede ”New York Times” a lui aussi  parlé [en anglais] de ce projet:

Des journalistes ukrainiens lancent YanukovychLeaks

Le 25 février, un membre de l'équipe YanukovychLeaks [en ukrainien] Natalie Sedletska  de Radio Liberté se félicite de la fréquentation du nouveau site:

— Natalie Sedletska (@natasedletska) February 25, 2014
En plus du site principal YanukovychLeaks.org [en ukrainien] l'équipe a aussi créé une page Facebook [en anglais] pour inviter d'autres journalistes ou citoyens à les aider dans ce travail.

Dévaluation et culottes en dentelle dans les récentes manifestations au Kazakhstan

dimanche 2 mars 2014 à 17:57

Le Kazakhstan a connu récemment sa première manifestation depuis bien longtemps – après un grand nombre d'appels avortés à descendre dans la rue, personne n'y croyait plus. Elle faisait suite à une énième dévaluation du tengué, la monnaie nationale, décidée du jour au lendemain. Une dévaluation de 20 % [185 tengués pour 1 dollar] qui a mis la population en état de choc : vers midi, tous les points de change avaient déjà fermé, ainsi que les sites de vente en ligne et les supermarchés, et les banques voyaient affluer des clients affolés. Tout cela après une déclaration récente de la Banque nationale kazakhe sur la stabilité du système économique.

Les prix se sont mis à grimper alors que les salaires restaient les mêmes. Dans les faits, tout le monde y a laissé 20 % de son épargne (dans le cas où elle était réalisée dans la monnaie nationale), ce qui a été les prémices du rassemblement. La nouvelle d'une manifestation le week-end suivant s'est répandue sur les réseaux sociaux et même quelques portails d'information, sans que les gens s'inquiètent qu'elle ne soit pas autorisée – toute manifestation, procession ou organisation d'un piquet de grève est soumise à l'autorisation de l'akimat (équivalent de la mairie), et là elle n'a pas été obtenue. Par ailleurs, cette dévaluation coïncidait avec l'interdiction d'importer de la dentelle sur le territoire de l'Union douanière.

Le principal rassemblement était fixé le 15 février à 11 heures (heure locale). Fait comique, suivant la légendaire (et impossible à éradiquer) habitude des Kazakhes d'être en retard, les premiers manifestants ne sont arrivés sur les lieux que vers 11h30. Le ton était plutôt timide dans l'ensemble, même si quelques individualités – décidées à prendre en main leur destin sans peur des conséquences ou persuadées d'avoir raison – se sont démarquées par leur audace.

On a pu noter la présence de nombreux collaborateurs des médias, simples blogueurs ou journalistes. Ils ont consciencieusement enregistré, filmé et consigné tous les discours, actions et manifestations d'émotion. De leur côté, les autorités ont tenté de riposter avec l'arrivée impromptue d'un chasse-neige bloquant “accidentellement” la rue adjacente à la place. Dans un premier temps, tout se passa de manière raisonnable : les manifestants scandaient gentiment leurs revendications, les employés des forces de police appelaient non moins gentiment les citoyens au calme, bref la foule ne sortait pas du cadre de la manifestation tel qu'établi dans les communiqués et sur les réseaux sociaux. Puis les gens ont décidé d'investir les quartiers des alentours et de continuer le rassemblement sur la place de la République, juste en face du bâtiment de la mairie. Les premiers affrontements ont eu lieu au point même du rassemblement initial, avec l'arrivée des SOBR (forces spéciales à réaction rapide) qui, sans sommation, se sont mises à empoigner et emmener les manifestants les plus remuants. Le procureur régional a fait son arrivée peu près, faisant très clairement comprendre que tous les participants à cette manifestation non autorisée seraient punis – avant de demander aux gens de rentrer chez eux. A 15 heures tapantes, la manifestation prenait fin. D'après des sources proches de manifestants, une trentaine de personnes ont été interpellées, dont de simples passants.

Un reportage photo très clair et qui rend particulièrement bien l'ambiance a été réalisé par le site voxpopuli.kz:

Le thème principal de la semaine, et sans doute des prochaines, c'est la dévaluation. Le samedi 15 février a eu lieu à Almaty la manifestation la plus massive du moment contre cette dévaluation officielle. Un photo-reportage a été réalisé sur les lieux par Damir Oteghen et Viktor Magdéev, qui ont passé presque toute la journée aux côtés des manifestants.

Les gens ont beaucoup réagi en ligne : témoins blogueurs, manifestants, simples citoyens exprimant leur opinion. A noter que les témoins des événements les ont relatés sur des blogs, contrairement aux manifestants qui l'ont fait sur Facebook, ce qui montre une fois de plus la place à part de ce réseau social au Kazakhstan.

L'utilisateur tolubarman fait remarquer à quel point le thème de l'action s'accordait mal avec la masse des manifestants :  

Manteau de fourrure, bijoux, iPhone 5S et autres avantages – le Kazakh moyen n'a pas les moyens de les acheter. Ce qui vient à l'esprit, c'est la question : “Comment une pauvre femme va-t-elle s'offrir tout ça ?” A crédit, me direz-vous, ce qui suppose un revenu qui permette d'obtenir un crédit – ou alors un riche mari.

Une certaine torgaeva exprime son point de vue: 

A la vue des derniers événements, mes yeux se sont dessillés. Pour parler franchement, je n'ai rien perdu à cause de cette dévaluation parce que je n'avais rien. Je me souviens encore de mes cours au lycée, où le prof chargé de nous inculquer le patriotisme nous répétait inlassablement : “Nous avons un gouvernement pacifique qui se soucie du peuple. Le tengué est une monnaie stable qui ne craint pas les fluctuations mondiales, et ceci parce que (attention) C'EST LA BANQUE NATIONALE QUI LA SOUTIENT.” Cette phrase s'est tellement ancrée dans ma tête que le 11 février, c'est comme si le sol s'était dérobé sous mes pieds. Le super héros de mes années de lycée, la BANQUE NATIONALE, était mort. A la place, stupeur, choc et découragement, ce dont tous les organismes et points de vente se sont émus. Et ça fait mal, ça fait vraiment de la peine. Les gens ont été traités comme du bétail qui supporte tout et se résigne à tout ce qu'on veut. En une semaine, tout a été chamboulé.

Zidane tire une conclusion intéressante de sa propre analyse:

La conclusion est paradoxale, mais logique au fond ; le gouvernement ne peut pas vendre les ressources du pays parce que notre peuple est trop cher. Et dévaluer n'est pas seulement baisser le cours de la monnaie nationale, c'est aussi rabaisser la valeur de son propre peuple. Dévaluer les Kazakhes en “Kazakh-Eliens” (Lire ici le post [en français] sur le changement de nom proposé par le président : “Kazakh Eli”, “pays kazakh”). Les seconds valent 20 % moins cher que les premiers. Ils seront quand même vendus au profit des multinationales.

Conséquence de cette dévaluation : une ruée des clients vers les banques pour récupérer leurs économies. de plus, avant la manifestation, une info diffusée sur WhatsApp et par SMS avertissait que les petits établissements bancaires allaient fermer parce qu'ils n'avaient pas les fonds suffisants. L'un de ces établissements avait promis 100 millions de tengué pour la capture de criminels, et quelques jours plus tard l'affaire était résolue par la Procurature générale. A quoi maxopolskiy: fait allusion :

… ça ne veut pas dire que la population soit bête. Si les gens font davantage confiance à la Procurature qu'au gouvernement, c'est le problème du gouvernement et le résultat de son “travail”.

L'utilisatrice tanusha va un peu plus loin sur la question:  

Voilà ce que je pense de cette info sur la faillite de 3 banques kazakhes. Je rappelle que nous sommes plusieurs à l'avoir eue hier par WhatsApp :
“Le bruit court que plusieurs banques de moyenne importance vont être déclarées en faillite d'ici à 3 jours: la banque Alliance, la Banque de Crédit centrale…
Si vous avez de l'argent dans ces banques, retirez-le au plus vite.
Crédibilité de l'info : béton, autour de 100 %.”
Quel est le but recherché par ceux qui ont choisi de diffuser cette info ? Et d'ailleurs, qui sont-ils ?

Deux possibilités : 1) si le but est économique, ce sont des banques concurrentes ; 2) si le but est politique (déstabilisation), ce sont des opposants politiques. Là aussi l'éventail est large – jusqu'au sein du gouvernement, où peuvent se nicher des “expérimentateurs”.

Si l'on admet l'hypothèse d'un but politique, on se trouve vite devant un enchaînement de conséquences pas très logiques : le numéro de cirque “Les blogueurs, sortez !” [Lire ici le post en français à ce sujet], une manifestation avec des petites culottes sur la tête (au fait, personne n'a trouvé le temps de se pencher sur ce qui concrètement est interdit d'importation, et pourquoi), et maintenant, cette info qui sort.

La manifestation contre la dévaluation a en effet été suivie d'une autre, moins importante (30 personnes en tout), toujours à Almaty, dès le 16 février. En cause, les lois de l'Union douanière qui interdisent l'importation de lingerie en dentelle, et pour slogan principal “Des petites culottes pour l'Elbass” (l'Elbass est le nom honorifique du président de la République du Kazakhstan : littéralement le chef de l'Etat – Ndla). La raison de cette interdiction réside dans le taux d'hygroscopie (capacité à absorber l'humidité) autorisé pour les textiles, fixé à 6%. Les matières synthétiques ne répondent pas à cette norme. D'après la chaîne TV Rain :

Après sa libération, l'une des activistes, Evguénia Plakhina, a expliqué contre quoi elle manifestait : «J'y suis allée avec mes derniers dessous en dentelle : en juin prochain, ils seront interdits. Et pas seulement chez nous : dans toute l'Union douanière.»

Une autre manifestante, Jeanne Bïatelov, a raconté à TVRain son interpellation par la police et expliqué pourquoi cette manifestation non autorisée avait rassemblé trois fois moins de monde que celle de la veille: «On a tenté un coup de folie, c'est tout. Aujourd'hui on s'est rassemblés sur cette place, la place a été encerclée par les policiers, sous prétexte qu'elle était en travaux. Malheureusement, on ne nous a pas laissés atteindre le monument à l'Indépendance. Et naturellement, on a été interpellés et emmenés au poste. Juste avant la manifestation d'hier, certains ont vu sur WhatsApp un appel à ne pas sortir, à rester chez soi, que la loi martiale était promulguée à Almaty. Puis des rumeurs se sont répandues, par exemple que ce serait une manifestation nationaliste. Ça explique pourquoi, à mon avis, les gens étaient moins nombreux aujourd'hui.»

serikzhan69:  a consacré un long post avec photos à ce thème :
La présidente de l'Association de l'industrie légère RK Lioubov Khoudova, répondant à K. Kelimetov qui expliquait dans le journal “la Caravane” que la dévaluation allait aider la production nationale, fait remarquer que “l'industrie légère au Kazakhstan est dans un état catastrophique, et ce n'est pas une dévaluation qui va l'aider. Actuellement, nous produisons 10 % de notre consommation – 1 % pour les chaussures. Nous ne sommes pas en situation de tirer parti de la dévaluation pour augmenter notre production. Notre pays crée des sites de production à l'étranger, mais pas au Kazakhstan. Nous demandons depuis longtemps au Premier ministre de faire de l'industrie légère un domaine de production prioritaire, comme c'est le cas en Russie et en Biélorussie, mais ne ne faisons même pas partie du nouveau programme d'industrialisation.”
Пользователь MontKristov a tenté de structurer les choses dans ce post explicatif : 

Si vous prenez les marques italiennes ou allemandes à la mode, pas de souci, leurs articles sont aux normes. Les textiles qui ne sont pas aux normes sont de trois sortes (leur taux d'hygrométrie ne dépasse pas 4, mais étant peu employés par les marques étrangères, ils ne posent pas problème). Et dans les faits, ces normes techniques ne dérangent que très peu de fabricants.

Pour l'heure, la situation au Kazakhstan est plus ou moins normalisée. La dévaluation a été aussitôt suivie de maintes réunions d'urgences de directeurs de banques, députés et fonctionnaires. Ainsi, le Premier ministre Sérik Akhmetov, affolé, a interdit la hausse du prix de l'essence et des denrées alimentaires… une fois que tous les supermarchés et épiceries avaient déjà augmenté leurs prix de ces fameux 20 %. Les directeurs de banques continuent à jurer qu'ils ont les fonds, augmentent leurs taux et tiennent des conférences de presse. Politologues, analystes et simples citoyens ont tout de même noté un pic maximal de “nihilisme juridique” par rapport à ces cinq dernières années .

L'homosexualité déclarée officiellement hors la loi en Ouganda

dimanche 2 mars 2014 à 16:29
Les militants John Bosco, (menottes) et Bisi Alimi (signe) en uniformes de prisonniers pour protester à Londres contre la législation anti-gay en Ouganda le 10 décembre 2012. Photo du Journaliste # 20299. Droits d'auteur Demotix.

Les militants John Bosco, (menottes) et Bisi Alimi (signe) en uniformes de prisonniers pour protester à Londres contre la législation anti-gay en Ouganda le 10 décembre 2012. Photo du Journaliste # 20299. Droits d'auteur Demotix.

Le Président de l'Ouganda, M. Yoweri Museveni, a signé un projet de loi anti-homosexualité controversé le 24 Janvier 2014 qui fait de l'homosexualité un crime passible de prison à perpétuité dans certains cas.

Le parlement ougandais avait massivement adopté le projet de loi le 20 décembre 2013. Il prévoit également des peines de prison pour toute personne qui ne dénonce pas les homosexuels aux autorités et punit l'utilisation de comptes Facebook et Twitter pour les droits des homosexuels, avec un maximum de sept ans de prison.

Le président américain Barack Obama et d'autres dirigeants du monde entier ont mis en garde le président Museveni que cette loi était une violation des droits de l'homme.

Les militants LGBT ougandais affirment que la loi rend l'Ouganda l'un des pires endroits pour les gays au monde. Des internautes ont ont utilisé les médias sociaux pour en discuter, certains pour l'appuyer tandis que d'autres étaient farouchement contre.

Le dirigeant du groupe d'organisations Sexual Minorities Uganda (Minorités sexuel en Ouganda) et militant pour les droits des gays Frank Mugisha a tweeté:

Mes comptes twitter & facebook sont illégaux, une amende de cinq mille points de devise ou l'emprisonnement pour un min. de 5 ans et un maximum de 7 ans ou les deux

Love1Another (Aimer1Autre) a écrit: 

Amérique, tu peux maintenant fondre sur l'Ouganda et faire ce que tu veux, le projet de loi est maintenant entré en vigueur

Wadda Mutebi réagit contre les adversaires de la loi:

Promoteurs de l'homosexualité, allez en enfer. Vous pouvez parler de vos faux droits en vous amusant avec Satan.

 Jenny Hedstrom a simplement écrit:

Déprimant. Le Président Museveni de l'Ouganda a signé aujourd'hui loi anti gay

John Paul Torach a relevé que le gouvernement et l'opposition étaient sur la même longueur d'ondes dans cette affaire :

Encore plus grave que la signature de Sevos de l'#antigaybill, c'est le silence des politiciens de l'opposition … quand ils sont tous d'accord .. vous savez que vous avez perdu.

Eriche Blanc Walker pense que les chefs religieux n'ont pas réussi à inculquer une morale au peuple :

Lorsque l'état commence à réglementer des questions de moralité en utilisant la loi, les institutions religieuses ont échoué

“I am an African” (Je suis africain) fait valoir qu'on ne devrait pas imposer aux autres sa conception de la sexualité:

Je ne peux pas comprendre le soutien à la loi# # Ouganda antigaybill! Vous ne pouvez pas imposer vos idées de la sexualité aux autres. Personne ne dit que vous devez être gay!

Stuart Grobbelaar dit en plaisantant que l'Ouganda devrait adopter des lois qui interdisent le divorce et réserver le mariage strictement aux vierges:

Hé # Ouganda, bien fait sur ​​la loi # antigaybill. Dites-moi, quand pouvons-nous nous attendre à voir des lois #anti Divorce, anti MarryANonVirgin et contre le bacon ?

Les Ougandais s'interrogent maintenant des relations de leur pays avec les'autres, principalement de l'Occident, qui estiment que la loi viole les droits humains fondamentaux.

La surveillance numérique en Angola et autres pays africains “peu importants”

dimanche 2 mars 2014 à 14:59

Une récente étude du Citizen Lab de l'Université de Toronto retrace l'utilisation de logiciels de surveillance développés par la société italienne Hacking Team et utilisés en Ethiopie, au Maroc, au Nigeria, au Soudan et en Somalie. L'année dernière, des logiciels malveillants d'une entreprise germano-anglaise ont été détectés en Afrique du Sud et le Nigeria. Ces résultats ont suscité un nouvel intérêt autour de la question en Afrique sub-saharienne.

La détection de logiciels malveillants et d'autres technologies “bon marché” de surveillance – des produits standards au prix relativement abordables fabriqués par des entreprises privées – dans les plus grands pays d'Afrique semble revêtir un grand intérêt pour les chercheurs. Mais qu'en est-il des pays qui, d'un point de vue occidental, sont considérés comme “moins importants”, soit pour leur population soit pour leur situation géopolitique?

L’Angola est un cas intéressant: Ce pays, riche en pétrole, a une population relativement faible et un puissant parti au gouvernement avec un président au pouvoir depuis 34 ans. Les journalistes d'investigation, les jeunes manifestants et les mobilisations sociales – principalement autour de questions comme le logement et la corruption politique – semblent contrarier le régime, mais l'impact le plus important de ces activités est difficile à évaluer.

En décembre dernier, le chercheur en sécurité digitale Jacob Appelbaum a parlé au Chaos Communication Congress du journaliste d'investigation angolais Rafael Marques et de son ordinateur portable. Marques, un célèbre journaliste, connu pour ses enquêtes sur les abus de pouvoir au plus haut niveau, avait approché Appelbaum en lui présentant une requête hélas trop commune: “Il semble y avoir quelque chose d'anormal avec mon ordinateur portable, il fonctionne trop lentement”. Appelbaum a trouvé ce qu'il décrit comme le “plus pâle outil d’hameçonnage” qu'il ait jamais vu, un logiciel espion qui prenait subrepticement des captures d'écran des activités de Marques et tentait de les envoyer à un autre ordinateur.

Dans la vidéo ci-dessous, Appelbaum montre comment Marques, bien qu'utilisant le logiciel TOR pour protéger son ordinateur, celui-ci avait été compromis par une forme très rudimentaire de logiciels espions:

Marques, qui dirige le site indépendant Maka Angola a été arrêté et battu quelques mois après la découverte que son ordinateur portable avait été compromis. Il risque actuellement des poursuites judiciaires en Angola et au Portugal pour ses recherches dont la découverte d'un système international de blanchiment d'argent pour les diamants extraits dans la région instable de Lunda en Angola.

Appelbaum pense que même les régimes les moins férus de technologie peuvent trouver de nouvelles façons d'exercer une surveillance en utilisant des produits et techniques de surveillance numérique simples. Pourtant, il y a peu de débat public sur la sécurité des données, la surveillance et la législation en Angola.

Une explication pour cela peut être que dans le monde réel, la surveillance physique et l'infiltration – avec certains agents de renseignement formés dans l'ex-bloc soviétique – est si omniprésente que les militants et les journalistes ne ressentent pas une nécessité particulière de protection de leurs activités en ligne.

Marques suit maintenant activement la question de la surveillance digitale en Angola. En octobre, il a dénoncé une proposition de loi qui offrirait à l'état d'amples pouvoirs pour la perquisition sans mandat et interdirait certaines formes de communication en ligne. Ces dispositions, a t-il noté, ont été ajoutées à un projet de loi sur la gouvernance d'Internet de 2010 publié peu de temps après les soulèvements populaires en Tunisie et en Egypte.

Bien que ces formes de surveillance soient relativement nouvelles, les menaces à la liberté de presse ne le sont pas en Angola. Les journaux et organes de presse locaux indépendants ont été criminalisés ou ont vu leur possibilité à se développer réduite par les exigences de licences onéreuses, apparemment à caractère politique. Marques lui-même vit et travaille souvent dans d'autres pays. Il est actuellement confronté à un procès en diffamation [pt] au Portugal, sur plainte déposée par des membres du régime angolais

Tout comme en Ethiopie, de nombreux militants et professionnels angolais des médias indépendants sont étroitement liés à sa diaspora. Un journaliste éthiopien résidant à Washington, DC, a récemment déposé une action légale contre le gouvernement éthiopien pour surveillance par des logiciels malveillants de ses ordinateurs. Cette évolution, à tout le moins, devrait contribuer à sensibiliser les exilés et les militants éthiopiens. La plainte, qui a été déposée aux États-Unis, reposera sur des recherches approfondies et le suivi des programmes malveillants.

Pour des personnes comme Marques, dans différents pays du monde entier, le cas éthiopien peut suggérer une manière internationale intéressante pour inverser le déséquilibre des forces – une façon de riposter contre les menaces pour ouvrir une enquête et s'exprimer. Ce qui reste à voir dans les pays “moins importants” comme l'Angola est de savoir si les activistes de la société civile, les chercheurs et les avocats peuvent trouver les ressources pour se mobiliser à l'international pour identifier et dénoncer le danger croissant de la surveillance numérique.

Angola : courageuses et dignes, les vendeuses ambulantes des rues de Luamba

samedi 1 mars 2014 à 23:51

“Elle doit emmener son bébé avec elle lorsqu'elle part vendre ses produits dans les rues de la ville. À Luanda, on les appelle « zungueiras ». Photo « Lady and her baby » de Jose Carlos Costa, publiée avec la permission du photographe.

Dans les rues de Luanda on peut voir des zungueiras humbles et déterminées sillonnant la ville par n'importe quel temps. Certaines portent leur bébé sur le dos en plus du poids de leurs marchandises. Elles vendent des fruits sucrés comme des pommes cannelle, des mangues parfumées ou des avocats mûrs qu'elles persistent à préserver ; parfois du jambon ou des sandwiches au fromage. Chaussures, manuels scolaires ou poisson : elles font leur gagne-pain de tous types de marchandise. Jorge Ramos le confirme sur son blog Jorginho em Angola [en portugais comme tous les blogs cités] où il décrit les zungueiras de la belle péninsule de Mussulo  :

“As zungueiras são as milhares de angolanas que saem às ruas vendendo todo o tipo de mercadorias que carregam na cabeça mesmo. Essas zungueiras do Mussulo atendem a um público específico e oferecem produtos como roupas de praia, batas e peças inteiras de panos multicoloridos, ricamente estampados com figuras africanas e linhas geométricas, bem ao gosto do padrão daqui. Elas caminham o dia todo, sob o sol escaldante. É absolutamente incrível a capacidade das zungueiras em equilibrar sobre a cabeça balaios, sacos, cestos, bacias e sacolas onde transportam as mercadorias que vendem. Desafiando as leis da física, o frágil equilíbrio se impõe perante vários obstáculos que se interpõem ante elas nas ruas e calçadas além dos filhos pequenos, que carregam nas costas, atados por panos que amarram na frente à altura do peito. Milhares de zungueiras percorrem a cidade, o dia todo, de um ponto a outro de Luanda, arriscando-se muitas vezes em meio ao tumultuado trânsito.”

« Les zungueiras sont les milliers de femmes angolaises qui parcourent les rues pour vendre les différents produits qu'elles portent sur la tête. Les zungueiras de Mussulo ont une clientèle spécifique et vendent des maillots de bain, des peignoirs, des coupons de tissus bariolés et imprimés de riches motifs africains, comme les gens aiment ici. Elles marchent à longueur de journée, sous un soleil brûlant. La capacité qu'ont les zungueiras à maintenir en équilibre sur leur tête les paniers, sacs, cageots ou les plats dans lesquels elles transportent leurs articles est absolument incroyable. Elles défient les lois de la physique, leur équilibre fragile maîtrisé malgré la multitude d'obstacles qu'elles peuvent rencontrer sur les routes et les trottoirs, tout en portant de jeunes enfants attachés dans leur dos avec des tissus noués en travers de leurs poitrines. Des milliers de zungueiras traversent la ville d'un bout à l'autre, toute la journée, prenant souvent le risque de vendre leurs produits en pleine circulation. »

“Les femmes qui “zunga” [zunga : vendre en kimbundu [fr] ] survivent grâce à la vente ambulante. C'est une alternative à la faim dans un pays où le travail est rare. Mais en Afrique, même ceci est coloré et esthétique”. Zungueiras, photo de wilsonbentos, publiée avec la permission du photographe.

La circulation infernale qui règne sur Luanda n'est pas le plus grand mal qui afflige ces femmes. Les agents de la police économique qui patrouillent la ville à l’affût des infractions sont connus pour la sévérité avec laquelle ils s'adressent aux colporteurs. Les relations entre la police et les zungueiras sont loin d'être amicales. Beaucoup de vendeuses ambulantes se plaignent de la façon d'agir de ces individus, surtout quand on sait que la majorité leur confisque argent et marchandises, avec pour conséquence l'humiliation et la perte du budget d'une famille entière. Les autorités essaient de mettre fin à la vente ambulante et ont l'intention de construire des marchés adaptés à l'accueil des zungueiras. Si cet objectif est rempli, Luanda sera-t-elle la même ? La ville perdra de ses couleurs ainsi que le plaisir de pouvoir observer le flot de ces combattantes chargées de leurs bagages bigarrés dans lesquels elles portent leur kit de survie quotidien. Le réalisateur Marisol Kadiegi dédie une partie de son blog Angola de Todos Nós aux zungueiras :

“Elas saíram do Uíge, Malange, Benguela, enfim! De todas as províncias de Angola para na capital do país, tentarem uma vida melhor e em busca de sonhos, tentar ver seus filhos “doutores”. Castigadas pela guerra, herdaram da mamã quitandeira a arte de vender, da palavra “zunga” originária do kimbundo, ela se tornou andarilha, andante ou vagante. Essa dita senhora é a nossa zungueira, mulher batalhadora que muito antes do sol, se levanta para tratar da vida e conseguir alimento para o seu sustento. Assim como uma leoa, caça comida para seus filhos enquanto o “rei” leão descansa. A nossa vendedora que de porta em porta e nas ruas da cidade sai oferecendo o seu produto, fazendo do lamento um grito. Na maioria das vezes, levando o filho caçula nas costas, dá um kilape (crédito) às freguesas habituais e carrega no rosto um sorriso na esperança de um dia ver-se totalmente liberta da sua condição.

Vítima de violência da polícia e muitas vezes por parte dos próprios companheiros, a mulher zungueira é exemplo de dignidade.”

« Elles arrivent de partout en Angola : Uíge, Malange ou Benguela. Elles viennent de toutes les provinces à la capitale pour y chercher une vie meilleure, en suivant leurs rêves, dans l'espoir de voir leurs enfants devenir “docteurs”. Punies par la guerre, elles ont hérité l'art de la vente de leurs mères épicières. Elles sont devenues randonneuses, marcheuses et vagabondes. Ces femmes sont nos zungueiras, les combattantes qui affrontent le jour bien avant l'aube pour partir en quête de revenus. Comme les lionnes, elles chassent pour nourrir leurs enfants pendant que le “roi” lion sommeille. Nos vendeuses de rue, qui vont de porte en porte dans toute la ville pour vendre leurs marchandises, transforment la complainte en cri. Le plus souvent, elles portent leur cadet sur le dos, font crédit à leurs clients réguliers et gardent le sourire dans l'espoir d'être un jour complètement libres de cette condition.

Victimes de violence policière et souvent conjugale, les femmes zungueira sont un exemple de dignité. »

« Femmes au travail », photo de Jose Carlos Costa, publiée avec la permission du photographe.

Courage et dignité sont les mots justes pour décrire ces femmes. Du fait de la pauvreté et un accès difficile à l'éducation, les femmes angolaises se voient souvent forcées à mener une vie ambulante. Jorge Ramos nous décrit un peu le quotidien des zungueiras :

“Quando cansam, param e se sentam nas calçadas onde amamentam seus bebés e tiram alguma fruta dos seus alforjes para se alimentarem. Às vezes é numa esquina movimentada, mas já vi uma zungueira em pleno centro da cidade parar num calçadão, baixar seu balaio de peixe salgado e ressequido e dar meio abacate para o filho pequeno que se lambuzava, bem na porta de uma moderna agência de um banco europeu, num belo contraste cultural. Idiossincrasias da globalização, que não comporta vertentes antropológicas nem aspectos humanistas em sua inexorável marcha, por isso nessa minha breve leitura contento-me em apenas analisar o episódio sob o prisma da plasticidade da cena e seu significado. Com as elevadas taxas de desemprego e o escasso acesso a uma formação escolar ou profissional ser zungueira é a actividade que mais absorve jovens angolanas pobres, geralmente mães solteiras, algumas recém saídas da adolescência.”

« Quand elles sont fatiguées elles s'arrêtent et s'assoient sur le trottoir, c'est là qu'elles nourrissent leurs bébés et mangent quelques fruits de leur panier. Au coin d'une rue encombrée, juste devant la porte d'une banque européenne, j'ai déjà pu voir une zungueira s'arrêter pour tirer de sa corbeille de poisson séché une moitié d'avocat pour que son fils la dévore ; un beau contraste culturel. Ce sont là les idiosyncrasies de la mondialisation. Une mondialisation qui ne s'embarrasse ni de détails d'anthropologie, ni d'humanisme dans son inexorable progression, c'est pourquoi dans ma courte lecture de ce scénario et de son sens, je me contente d'analyser les faits sous un prisme plastique. Face à un fort taux de chômage et aux conditions d'accès difficiles à la scolarisation ou aux formations professionnelles, devenir zungueira est le choix le plus fréquent des jeunes démunies, souvent mères célibataires, qui parfois viennent juste de sortir de l'adolescence. »

Les photos ci-dessus ont été prises par Marcelo Frota et sont publiées ici avec la permission du photographe. Vous les trouverez sur son photostream Flickr  et son album Angola sur Picasa.