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Qui est Sergio Moro, le juge qui a condamné Lula et futur super-ministre de Jaïr Bolsonaro ?

samedi 10 novembre 2018 à 21:49

Sergio Moro en conférence de presse en 2015 | Photo : Marcos Oliveira/Agência Senado/CC

Sérgio Moro, le juge fédéral responsable de l’Opération Lava-Jato [fr] vient d'être confirmé au poste de Ministre de la Justice [fr] dans le futur gouvernement du président élu Jaïr Bolsonaro.

Moro est un personnage pour le moins polémique aux yeux de la population brésilienne, puisqu'il est, pour certains, perçu comme le symbole de la lutte contre la corruption et exécré par d'autres qui voient dans ses décisions de juge fédéral, des signes de persécution partisane.

Un disciple des “Mains Propres”

L’Opération Lava-Jato [fr], en cours depuis 2014, renvoie à un ensemble d'investigations visant à combattre la corruption. Elle avait initialement pour objet d'enquêter sur des indices de blanchiment d'argent dans une station d'essence de la ville de Curitiba, capitale de l'Etat du Paraná, dans le sud du Brésil — d'où le nom de “lava-jato”, “lavage express” — et a fini par mettre au jour toute une organisation de versements de dessous de table des grandes entreprises brésiliennes à des politiciens de divers partis.

En tant que titulaire de la 13ª Chambre du Tribunal fédéral de Curitiba, Sergio Moro s'est retrouvé sur le devant de la scène de quelques-uns des procès les plus médiatiques de l'opération. Admirateur déclaré de l’Opération Mains Propres [fr], qui enquêtait sur les organisations de corruption entre membres de la politique italienne dans les années 1990, Moro a appliqué dans l'opération Lava-Jato, des stratégies inspirées par le procureur Antonio Di Pietro [fr], coordinateur de l'enquête italienne.

Afin de mobiliser l'opinion publique et pour soutenir l'opération, l'équipe d'investigation de Lava-Jato a travaillé en contact étroit avec la presse, comme l'a révélé un récent article de The Intercept Brasil, à coup de conférences de presse et de révélations de documents issus des enquêtes, ainsi que grâce à des fuites stratégiques d'informations confidentielles.

Manifestation en faveur de l'opération Lava Jato , sur la plage de Copacabana, Rio de Janeiro, le 4 décembre 2016 | Poto: Tomaz Silva – Agência Brasil/CC

Les polémiques de l'opération Lava-Jato

La stratégie de médiatisation du processus judiciaire de Lava-Jato, valut à l'équipe d'investigation le soutien d'une part significative de la population brésilienne. Cependant, certains évènements suscitèrent les soupçons et entraînèrent des accusations basées sur le fait que les investigations étaient dirigées par des intérêts politiques dans le seul but de poursuivre le gouvernement (NdT: celui de l'époque, dirigé par Dilma Rousseff) et les politiciens du Parti des Travailleurs (PT).

L'une des polémiques entourant Sergio Moro prend sa source dans la divulgation des enregistrements d'une écoute téléphonique réalisée sur la ligne de la présidente de la République de l'époque Dilma Roussef lors d'une conversation avec l'ex-président Luiz Inácio Lula da Silva. L'écoute aurait dû être jugée illégale d'abord parce qu'elle impliquait la Présidente de la République et ensuite parce qu'elle aurait dû être diligentée par le STF (Tribunal suprême fédéral) qui aurait pu ensuite décider de la divulgation, ou pas, des informations recueillies. Deuxièmement, l'enregistrement de la conversation se serait déroulé dans des conditions irrégulières, puisqu'il aurait été réalisé par la Police fédérale, après que l'ordre d'interrompre les écoutes eut été donné par le Juge Sergio Moro lui-même.

Autre situation controversée, celle où le juge, Rogério Favreto du TRF-4 (le tribunal de seconde instance où se déroule le procès qui a mené Lula en Prison), a rendu son verdict en faveur de la libération de l'ex-Président [fr]. À cette occasion, Moro, qui n'était alors plus le juge en charge du cas Lula, et était en vacances, est revenu précipitamment pour délivrer une ordonnance incitant la Police fédérale à ne pas respecter cette décision.

Et plus récemment, à moins d'une semaine du premier tour des élections, Moro a autorisé la divulgation d'extraits de la délation récompensée d'Antônio Palocci, ayant eu lieu en avril, et impliquant Lula dans le dispositif de corruption de la Petrobrás. Les informations données par l'ex-ministre de Lula n'apportaient aucun élément nouveau dans l'enquête et n'étaient accompagnées d'aucune preuve. C'est pour cette raison que la première tentative d'accord de délation récompensée de l'ex-ministre avait été rejetée par la task-force des procureurs de l'opération Lava-Jato du Paraná.

Le superministère de Moro

Depuis l'élection de Jaïr Bolsonaro, plusieurs soutiens du président élu pensaient que Sérgio Moro devait avoir une place dans le nouveau gouvernement. Au lendemain du second tour des élections, Gustavo Bebianno, président du Parti social libéral (PSL), le parti de Bolsonaro, a révélé à la presse, l'intention du président élu de nommer Moro ministre de la Justice ou à un futur poste de magistrat STF. L'information a été confirmée par le président lui-même lors d'une interview sur une chaîne nationale.

Lors d'une déclaration faite à la presse [fr], Sérgio Moro a confirmé et accepté l'invitation. Le juge fédéral devra alors abandonner la magistrature et l'opération Lava-Jato pour prendre son poste à partir de janvier 2019.

Fui convidado pelo Sr. Presidente eleito para ser nomeado Ministro da Justiça e da Segurança Pública na próxima gestão. Após reunião pessoal na qual foram discutidas políticas para a pasta, aceitei o honrado convite. Fiz com certo pesar pois terei que abandonar 22 anos de magistratura. No entanto, a perspectiva de implementar uma forte agenda anticorrupção e anticrime organizado, com respeito a Constituição, a lei e aos direitos, levaram-me a tomar esta decisão. Na prática, significa consolidar os avanços contra o crime e a corrupção dos últimos anos e afastar riscos de retrocessos por um bem maior. A Operação Lava Jato seguira em Curitiba com os valorosos juízes locais. De todo modo, para evitar controvérsias desnecessárias, devo desde logo afastar-me de novas audiências. Na próxima semana, concederei entrevista coletiva com maiores detalhes.

Curitiba, 01 de novembro de 2018.
Sergio Fernando Moro

J'ai été invité par M. le Président élu à occuper la charge de ministre de la Justice et de la Sécurité publique dans le prochain gouvernement. Suite à une réunion informelle au cours de laquelle ont été discutées les politiques prévues pour ce portefeuille, j'ai accepté l'honorable invitation. Je l'ai fait avec certains regrets, car il me faudra abandonner 22 ans de magistrature. Cependant, la perspective de mettre en place un important programme anticorruption et anti-crime organisé, dans le respect de la Constitution, de la loi et des droits, m'a amené à prendre cette décision. Dans la pratique, cela signifie consolider les victoires contre le crime et la corruption de ces dernières années et éliminer les risques de retour en arrière pour le plus grand bien de tous. L'Opération Lava-Jato continuera à Curitiba avec les valeureux juges locaux. De toute façon, et afin d'éviter toute controverse inutile, je dois dès à présent me retirer des nouvelles audiences. Je donnerai, la semaine prochaine, une conférence de presse avec de plus amples détails.                                                                                                                                                                                                        Curitiba, 1° novembre 2018.
Sergio Fernando Moro

Selon Jair Bolsonaro, le portefeuille de la Justice devrait rassembler les attributions d'autres organismes, comme le Conseil de contrôle des activités financières, actuellement rattaché au ministère de l'Économie, et toute la structure du ministère de la Sécurité publique, créé par l'actuel Président Michel Temer. Sérgio Moro aura sans doute l'autonomie suffisante pour indiquer des noms au ministère de la Justice, y compris celui du Directeur général de la Police fédérale. On s'attend aussi à ce que le ministère de la Transparence, du Contrôle des activités financières et de la Cour des comptes de la République soient incorporé à son portefeuille, formant ainsi ce que l'on appelle déjà un “superministère”.

Le juge Sérgio Moro lors de l'installation de la commission de réforme du Code de procédure pénal| Photo: Lula Marques/Agência PT/CC

Polémiques autour de la nomination

Tout comme son rôle dans la direction de l'opération Lava-Jato, la nomination de Moro a divisé les opinions. Les soutiens du Président élu pensent que cette nomination est un signe de renforcement et d’institutionnalisation du combat contre la corruption dans le pays. D'un autre côté, les critiques la dénoncent comme étant la confirmation du parti-pris partisan de l’œuvre de Sérgio Moro à la tête de l'opération Lava-Jato.

Le juge a été le responsable direct de la condamnation et de l'incarcération de l'ex-Président Lula, favori dans la course à la présidentielle, dans un processus judiciaire marqué par les controverses. De plus, les fuites d'informations confidentielles à certains moments critiques ont fait beaucoup de mal politiquement parlant, au Parti des Travailleurs, torts qui ont favorisé la campagne de Bolsonaro.

Commentant la nomination, Ciro Gomes, ex-gouverneur du Ceará et candidat malheureux à la présidence, a critiqué le juge:

Acho Moro um juiz político, politiqueiro. Então, é muito melhor que ele fique no Ministério do que no Supremo. Ele deveria assumir logo a política. A aptidão dele para a política é completa. Só que com a toga vira uma aberração.

Je trouve que Moro est un juge politique, politicard. Alors, c'est vraiment mieux qu'il soit au ministère plutôt qu'au Tribunal Suprême. Il devrait assumer très vite son côté politique. Son aptitude à la politique est totale. Mais avec la toge, ça devient une aberration.

Suite à la nomination, Hamilton Mourão, vice-président élu, a déclaré à la presse qu'un premier contact avec Moro avait déjà eu lieu en pleine campagne électorale. L'information suggère que lorsqu'il a laissé fuiter des informations qui ont porté tort à la candidature du PT, pendant la dernière semaine des élections, il avait déjà connaissance de son éventuelle participation au gouvernement de Bolsonaro.

Portraits de Sri-Lankais qui “prennent position” pour la démocratie

samedi 10 novembre 2018 à 12:44

Image via Groundviews

Cet article est originellement paru sur Groundviews, un site web primé de journalisme citoyen au Sri Lanka. Une version adaptée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenus avec Global Voices.

Le Sri Lanka est embourbé dans une crise politique depuis que, le 26 octobre, le président Maithripala Sirisena a démis le premier ministre Ranil Wickremesinghe pour le remplacer par le président précédent Mahinda Rajapaksa. Ce qui a conduit à une lutte pour le pouvoir entre le premier ministre nouvellement nommé et celui tout juste renvoyé, qui s'accrochent tous deux à leur légitimité dans le poste. Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale Colombo pour contester la légitimité constitutionnelle de la décision du président et exiger une convocation du parlement pour régler la question. Cédant à la pression, le président Sirisena a promis de réunir le parlement le 7 novembre.

Le 4 novembre 2018, un groupe s'est rassemblé sur le rond-point de la Liberté dans le quartier de Kollupitiya à Colombo.

Pour certains, c'était leur cinquième jour de manifestation. Après la nouvelle que le Président Maithripala Sirisena et l'United People’s Freedom Alliance (Alliance de l'union de la liberté du peuple) s'étaient retirés du gouvernement de coalition, un groupe de citoyens a décidé de se retrouver au rond-point chaque jour, de 16h30 à 18h30, jusqu'à ce que le Parlement soit réuni. Le premier jour, la manifestation a coïncidé avec un rassemblement plus vaste organisé à proximité par le Parti National Uni (UNP selon l'acronyme anglais) de Ranil Wickremesinghe, mais beaucoup de ceux présents au rassemblement ce jour se sont empressés de préciser qu'ils n'étaient pas venus pour soutenir l'UNP.

Le 30 octobre, un tweet de Lisa Fuller montrant une des affiches tenues par une manifestante est devenu viral. Elle affirmait “Je ne suis pas là pour Ranil, mais pour la démocratie”.

“Je ne suis pas là pour Ranil. Je suis là pour la démocratie et pour la bonne gouvernance”. Manifestation de la société civile au rond-point de la liberté en ce moment

L'affirmation résumait bien les sentiments de la plupart des présents sur le rond-point de la Liberté le 30 octobre et les jours suivants.

Ces derniers jours, Groundviews s'est attaché à faire le portrait des présents à la manifestation citoyenne. Il y avait parmi eux des jeunes gens n'ayant jamais assisté à une manifestation auparavant, des personnes âgées, des militants et des membres de la société civile. Le 4 novembre, il y a eu des participants venus de Jaffna, Mannar, Batticaloa et Kandy aussi bien que de Colombo. Certains manifestaient pour la première fois de leur vie. D'autres avaient vu la corruption continuer depuis des décennies (la doyenne des manifestants avait 92 ans). Des membres du secteur des entreprises étaient au coude-à-coude avec des militants de Jaffna et Batticaloa, eux-même flanqués par ceux du monde du théâtre.

La corruption était un thème récurrent, au vu des révélations du député UNP Ruwan Wijewardene sur les sommes d'argent offertes aux parlementaires pour les faire changer d'allégeances.

Le 30 octobre et les jours suivants, nous avons posé aux présents une seule et même question simple : “Qu'est-ce qui vous a décidé à participer ?”

Voici leurs réponses :

Diordre Moraes. Image via Groundviews

“En tant que mère et grand-mère, je veux voir la démocratie rétablie. Je ne suis pas là contre un individu ou un parti, mais comme citoyenne du Sri Lanka. Rien de tel n'est jamais arrivé avant [ça]” – Diordre Moraes

Neluni Tillekeratne. Image via Gorundviews

“Je pense que les jeunes devraient prendre les questions politiques plus au sérieux. Quand les jeunes s'intéressent à la politique ils se bornent à regarder les déclarations du Président ou du Premier Ministre. Nous ne regardons pas les questions plus profondes. J'espère inciter les jeunes à venir.” Neluni Tillekeratne

Nadesan Suresh. Image via Groundviews

Notre communauté tamoule malaiyaha, ceux qui travaillent dans les plantations de thé, a voté pour le Président Sirisena dans l'espoir qu'il réforme la société. Mais ce qu'il a fait nous renvoie 100 ans en arrière.’ Nadesan Suresh, de Badulla.

Sarojini Kadirgamar. Image via Groundviews

“J'ai beau avoir 92 ans, je sens que je dois prendre position pour la démocratie. Au long des années j'ai vu la dégradation régulière de la vie politique. Chaque parti utilise des pratiques de corruption pour des gains à court terme. Ça doit changer.” Sarojini Kadirgamar

Leisha Lawrence, Mihiri de Silva, Sepali de Silva et un anonyme. Image via Groundviews

“Je suis ici pour la démocratie. Si un député décide de changer de parti il doit perdre son siège au parlement. Je ne suis ici pour aucun parti.” Leisha Lawrence (première à partir de la droite)

“Nous votons d'une certaine façon pour ce que nous voulons. Ça ne donne pas au Président le droit de faire ce qu'il veut, parce qu'il ne s'entend pas avec quelqu'un en particulier.” Mihiri de Silva (deuxième à partir de la droite)

“Mon vote n'est pas à vendre. Ça ne va pas !” Sepali de Silva (deuxième à partir de la gauche)

Kalaivani. Image via Groundviews

On dit que c'est un pays démocratique mais ce qui s'est passé est contraire à la voie démocratique. Nous sommes entrés dans l'histoire en ayant la première femme premier ministre, et maintenant nous entrons à nouveau dans l'histoire en ayant deux premiers ministres !’ Kalaivani, de Batticaloa.

Adrian Roshan Fernando. Image via Groundviews

“Les décisions prises en ce moment le sont en excluant l'opinion publique. Ils prennent juste leurs décisions de leur côté. Il y a une façon de faire les choses.” Adrian Roshan Fernando.

Piyathilaka Ranaweera. Image via Groundviews

“Ce n'est pas bon pour le pays. Nous faisons cela pour la prochaine génération, pour l'avenir de ce pays.” Piyathilaka Ranaweera

Irfadha Muzammil. Image via Groundviews

“Les votes des gens comptent. On ne peut pas laisser les politiciens corrompre ça et exploiter les électeurs.” Irfadha Muzammil

Abdul Kalam Azad. Image via Groundviews

Au lieu de dire “Je suis le Premier Ministre” allez devant le Parlement maintenant et montrez que vous avez la majorité. Gouvernez le pays. Ne nous faites pas perdre notre temps !” Abdul Kalam Azad.

A la tombée de la nuit, les réverbères au rond-point de la Liberté sont restés éteints. Par la suite, Rosy Senanayake, la maire de Colombo, a tweeté que c'était “un acte de sabotage”.

Cela a été porté à ma connaissance et ce fut un acte de sabotage. Nous allons nous assurer que les lumières soient allumées demain.

Sans se laisser démonter, les protestataires ont continué à scander leurs slogans à la lumière de leurs téléphones portables.

Image via Groundviews

Finalement, à 19h, la manifestation s'est terminée – pour reprendre le lendemain, et le surlendemain, jusqu'à la reprise de la session parlementaire.

Image via Groundviews

Le photo-reportage complet est visible ici. Vous pouvez aussi suivre le mouvement de protestation sur Twitter, et de multiples points de vue, ici.

Les déplacés syriens de la Ghouta orientale pris entre des décisions impossibles

vendredi 9 novembre 2018 à 14:17

Civils et combattants de l'opposition syriens s'apprêtent à monter dans des bus lors de leur évacuation d'Irbeen dans la Ghouta orientale, environs de Damas, le 25 mars 2018, suite à un accord avec le régime syrien. Photo: Abdul Munim Issa, utilisée avec son autorisation.

Le régime syrien a expulsé les habitants de la Ghouta orientale, déplacés de force de leurs bourgades et villages, et les a envoyés dans des bus verts en direction des campagnes d'Alep et d'Idlib dans le nord de la Syrie, après 45 jours d'offensive militaire qui a coûté la vie à 1.650 personnes et en a blessé des milliers.

Les expulsions ont eu lieu à la suite d'un accord entre l'opposition et le régime syrien, qui a permis à ce dernier et à ses alliés de s'emparer de maisons et de villes entières, parfois même en détenant ceux qui demeuraient.

Les foules déplacées sont arrivées dans le nord épuisées, brisées et sous le poids d”années de siège et de souvenirs insoutenables. Elles avaient atteint le bout de la route — ou, plus exactement elles arrivaient au début d'un autre voyage. C'était la fin de la tragédie quotidienne du siège et des bombardements, et le commencement de la tragédie de l'exode et des difficultés du recommencement.

La plupart des populations déplacées se sont installées dans différentes bourgades des campagnes d'Alep et Idlib. Beaucoup ont constaté qu'ils étaient à la croisée des chemins, avec le choix déterminant pour leur avenir entre deux voies principales.

Un choix difficile

Dans le nord, beaucoup de questions tournent dans les têtes des nouveaux arrivés de la Ghouta orientale : “Est-ce que nous allons à nouveau subir un siège et des bombardements ? Est-ce que nous allons vivre dans des conditions pires que celles auxquelles nous venons de survivre ? Devons-nous partir en Turquie, dont nous ne savons rien ?”

Les gens se sentent perdus. Ils peuvent décider soit de rester en Syrie du nord malgré les rudes conditions et un futur incertain, soit de traverser la frontière et de chercher refuge dans les agglomérations turques – pour s'y établir ou pour se lancer dans un voyage vers l'Europe.

Les déplacés syriens ne parlent pas le turc. Ils doivent l'apprendre pour chercher du travail, s'intégrer et mener une vie normale. Mais pour cela il faut du temps et de l'argent et presque tous en manquent. La plupart n'ont même pas de quoi payer les passeurs qui pourraient les emmener de l'autre côté de la frontière — en fait, s'ils négligent les risques d'arnaques et les dangers extrêmes de traverser avec eux.

Rester est dur

Samer, 29 ans, marié et père d'une petite fille, décrit le dilemme de sa famille :

I don't feel comfortable leaving Syria. I'm not comfortable staying either. I hope God avenges us from those who flipped our lives upside down and erased our future.

J'hésite à quitter la Syrie. J'hésite tout autant à rester. J'espère que Dieu nous vengera de ceux qui ont mis nos vies sens dessus dessous et ont détruit notre avenir.

Pas question pour Mohammed, 25 ans, de partir en Turquie car il est le seul soutien de sa famille. Les faire tous passer clandestinement en Turquie lui coûterait des milliers de dollars qu'il n'a pas ; il a donc cessé d'y penser. La vie est chère en Turquie, et étant seul à faire bouillir la marmite, il serait incapable de subvenir à leurs besoins élémentaires.

Shadi, 24 ans, journaliste de terrain de la Ghouta, dit qu'il doit rester en Syrie pour servir sa cause et diffuser les récits des luttes et modestes réalisations de son peuple. Il veut que le monde sache que les peuples ne meurent jamais — même déracinés de leur terre natale.

A leur arrivée dans le nord de la Syrie, des familles ont décidé de rester à l'intérieur des frontières et de vivre dans une des cités du Nord.

Nazir, 26, marié, une fille, a repris son travail avec les Gardiens de l'enfance, une association de la société civile qui l'employait dans sa ville d'origine, Douma, deux semaines seulement après son arrivée. Il a voulu rester en Syrie pour aider les enfants déplacés privés d'accès à l'école, dans l'espoir de les sauver de l'ignorance et de la destruction.

Niveen, 38, mère de deux enfants et militante, refuse elle aussi de partir :

If we all leave Syria who will help the women and children left behind?

Si tout le monde quitte la Syrie, qui aidera les femmes et les enfants laissés en arrière ?

Niveen ne veut pas demander l'asile en Turquie parce qu'elle ne veut pas être étiquetée comme réfugiée. Elle est convaincue qu'elle a une mission à remplir en Syrie, et tant que rester sera une choix possible, elle restera sur le sol syrien, comme elle l'a décidé il y a sept ans lorsque la guerre a commencé. Elle ne veut pas être forcée de partir et perdre des années de sa vie hors de Syrie.

Pour d'autres, la décision de rester en Syrie a été déterminée par leur peur de l'inconnu.

Nuha, 24 ans, dit qu'il lui est très difficile de vivre en Turquie, où personne ne la comprend autrement que par gestes ou applis de traduction. Elle dit qu'elle préfère rester en Syrie parce que cela augmente ses chances de retourner chez elle.

Um Abdul Rahman, 49 ans et mère de sept enfants, a été persuadée par ses enfants de rester parce qu'ils ne veulent pas perdre leur dignité en vivant comme des réfugiés dans un autre pays.

Mahmoud, 34 ans, marié, quatre enfants, s'assure que ses enfants retournent à l'école. Il veut qu'ils reçoivent une éducation parce que cela leur garantit un bon avenir. Il aimerait tirer profit de sa propre qualification, une licence en ingénierie civile, mais cela impliquerait d'aller en Turquie. Il n'a pas pu faire taire sa conscience et laisser son pays derrière lui, il a donc décidé de rester en Syrie, se gardant l'asile en Turquie comme un dernier recours si tout autre espoir disparaît.

Les populations déplacées de la Ghouta se réunissent souvent pour discuter de leurs choix. Elles consultent leurs amis et familles parce qu'elles ne veulent pas que leurs enfants grandissent loin de chez eux, sans vouloir pour autant qu'ils grandissent dans un endroit déchiré par la guerre. Elles veulent oublier la douleur, les souffrances, et reprendre à zéro, mais en même temps, elles ne souhaitent pas quitter leur pays après avoir survécu à sept années d'enfer.

Se réfugier au-delà des frontières

Pour beaucoup, demander l'asile en Turquie ou dans l'UE est un choix contraint, parce qu'ils ont perdu la capacité de supporter la vie dans une zone de guerre. Ils veulent échapper aux sièges qui saignent à blanc et vivre une vie normale.

Moa'yad, 24 ans, veut entendre à nouveau le gazouillis des oiseaux ; il veut entendre de la musique et le bruit fait par ses voisins. Il dit qu'il ne peut plus souffrir le bruit d'une bombe de plus, pas même d'un seul coup de feu.

Rahaf, 21 ans, veut fuir les bombardements, la peur et la vaine anticipation de conférences de paix qui ne mènent nulle part. Elle veut échapper aux seigneurs de guerre qui font commerce de la vie des gens. Elle dit qu'elle ne peut supporter l'idée de vivre sous un autre siège potentiel maintenant qu'elle a réussi à quitter la Ghouta.

Moa'yad a peur de s'installer au nord parce qu'il ne connaît pas le sort qui attend Idlib — son avenir pourrait être pire que le scénario de la Ghouta orientale. Il veut rejoindre son frère en Turquie et travailler avec lui dans un atelier de couture en attendant d'apprendre le turc et de retourner à l'école.

Rester en Syrie n'est pas non plus une option pour Imad, 22 ans.

Il ne veut pas vivre dans un endroit où plane toujours la possibilité d'un bombardement par les Russes ou les Iraniens d'un côté, ou du pouvoir inique de factions diverses de l'autre. Imad se rend aussi compte de l'impossibilité de terminer ses études dans le nord, à cause de l'instabilité et du fait que ses qualifications ne sont pas reconnues en-dehors du nord de la Syrie. Pour lui, la Turquie est le meilleur choix.

Les habitants de la Ghouta orientale contemplent leur avenir flou dans la crainte, au milieu des milliers de questions qui leur trottent dans la tête. Et beaucoup n'arrivent pas à trouver une unique réponse utile, puisque rentrer chez eux dans la Ghouta orientale n'est pas une solution — du moins pas encore.

Apple censure certains mots sensibles de son service de gravure sur ses appareils à Hong Kong et en Chine

vendredi 9 novembre 2018 à 08:19

Image de Georgia Popplewell, utilisée avec sa permission.

L'article qui suit a été écrit par Chris Cheng et a été publié sur le site de Hong Kong Free Press (HKFP) le 2 novembre 2018. Nous le republions en tant que partenaire.

Hong Kong Free Press a découvert que les noms de certains hommes d'État et d'activistes chinois ont été jugés “inappropriés” et censurés par la dernière version du service de gravure proposée par Apple sur ses appareils iPad, iPod, iPod Touch et Apple Pencil.

Quand des clients commandent un de ces appareils sur le site internet d'Apple, l'entreprise leur permet de faire graver leurs appareils gratuitement. Pourtant, les boutiques en ligne d'Apple en langue chinoise de Hong Kong et de Chine continentale ont rejeté la gravure de certains mots.

Par exemple, si un client inscrit “Xi Jinping” (le nom du président chinois) en caractères chinois, l'avertissement suivant apparaît : “Les mots inappropriés sont interdits”. Les clients ne peuvent pas enregistrer le texte à graver ni poursuivre leur achat.

Le terme “Xi Jinping” n'est pas autorisé en caractères chinois traditionnels et simplifiés sur la boutique d'Apple de Chine continentale. Photo: HKFP.

Des tests conduits par HKFP ont montré que ce problème dépend du lieu et du langage utilisé. “Xi Jinping” est ainsi permis en anglais quand il est tapé sur le site hongkongais en langue anglaise.

Cependant, si on essaie “Xi Jinping” en cyrillique sur les boutiques honkongaise qu'elles soient en langue anglaise ou chinoise, on nous renvoie ce message : “Ces caractères ne peuvent pas être gravés”. Pourtant, la boutique de Chine continentale accepte le nom en cyrillique.

“Xi Dada”, un surnom courant pour le nom Xi, est interdit en caractères chinois traditionnels dans les magasins de langue chinoise à Hong Kong et en Chine mais il est autorisé en chinois simplifié.

Des noms “sensibles” et des expressions interdites

Les sites en langue chinoise pour les magasins de Hong Kong et de Chine continentale proscrivent aussi les noms des autres hommes d'État chinois, actuels et anciens,  en caractères chinois. Cela inclut les noms de Li Keqiang, Liu He, Deng Xiaoping, Mao Zedong, et Hu Jintao. Mais les noms de nombreux autres membres du Politburo sont autorisés, tels que Yang Jiechi et Wen Jiabao.

Les noms de certains (mais pas tous) opposants au régime les plus connus sont également interdits. Le nom du récent Prix Nobel de la Paix, Liu Xiaobo, est autorisé mais celui de sa femme, la célèbre poétesse Liu Xia est interdit.  Le terme “Falun Gong [fr]” l'est aussi.

Le nom de “Guo Wengui”, un milliardaire chinois qui a choisi l'exil et qui attaque régulièrement les dirigeants au sommet de l'Etat, n'est pas autorisé en caractères chinois simplifiés. Mais si un client demande que “Guo Wengui” soit gravé en utilisant des caractères chinois traditionnels, ce sera accepté.

Dans la boutique en Chine continentale, la version complète de l'expression “Indépendance de Taïwan” – composée des quatre caractères 台灣獨立 – est interdite que ce soit en caractères chinois simplifiés ou traditionnels. Mais la version abrégée de l'expression – composée des deux caractères 台獨 – est permise dans les deux formes de langage..

“L'indépendance d'Hong Kong” est autorisée sous toutes les formes sur le site web du magasin, mais l'expression “la dictature du parti unique” est interdite sur le site local en langue chinoise

Les grossièretés interdites

Le mot “putain” et ses équivalents chinois tels que 操 et 屌, sont aussi interdits. En conséquence, des mots qui contiennent ces caractères sont interdits aussi, comme le nom de l'ancien chef de guerre “Cao Cao” (曹操) ou le mot “gymnastique” (體操).

Un autre caractère chinois – 幹 – qui signifie aussi “putain” est autorisé. Mais si des clients utilisent ce caractère pour créer des grossièretés, le mot est interdit. D'autres obscénités comme “merde” ou “chier” sont aussi interdits.

Wong Ho-Wa, un ingénieur en logiciels, a déclaré à HKFP que les résultats ont montré que la censure était en place mais “elle semble mal fonctionner”.

“Je soupçonne que ça a été fait par une intelligence artificielle. Je crois que l'intention de départ était d'empêcher que des sentiments négatifs ou des obscénités ne soient gravés mais Apple n'a pas réalisé que certains termes politiques sensibles, qui ne sont pas négatifs, ne seraient plus permis”.

En réfléchissant à l'incohérence de l'interdiction de certains mots et expressions selon les différentes langues et sites, Wong suggère qu'il est fort peu probable que les mots-clés interdits aient été manuellement saisis sous forme de liste : “Sinon, comment expliquer pourquoi “l'indépendance de Taïwan” en abrégé est autorisée mais pas la forme complète.”

HKFP a contacté Apple pour une réaction.

Une actrice de théâtre, une journaliste et une femme politique : En Géorgie, trois femmes de la minorité qui brisent les barrières

jeudi 8 novembre 2018 à 12:46

L'article qui suit est une version d'un article de partenariat de Chai-Khana.org, un partenaire de Global Voices. Texte de Nurana Mammad. Toutes les photos sont de Elene Shengelia et Ian McNaught Davis.  

Dans tout le Caucase, la croyance est répandue que la communauté dans laquelle on est né détermine qui on est et ce qu'on devient. Pourtant, trois femmes de la minorité azerbaïdjanaise en Géorgie ont trouvé des moyens de défier ces barrières et de se forger leur identité par l'indépendance professionnelle.

Aïda Tagiyeva, 29 ans, actrice

Née à Tbilissi, l'actrice Aïda Tagiyeva, 29 ans, se prépare pour une répétition au Théâtre dramatique national azerbaïdjanais de Tbilissi. Tagiyeva est diplômée de journalisme, mais le théâtre est sa vraie passion.

Aïda Tagiyeva est l'une des seulement trois actrices de la troupe de onze personnes constituant le Théâtre dramatique national azerbaïdjanais Heydar Aliyev. Dans la communauté azerbaïdjanaise de Géorgie, dit-elle, il y a des gens qui pensent qu'elle n'y est pas à sa place en tant que femme.

“La société n'accepte pas normalement une femme actrice qui se produit dans les théâtres,” dit-elle à propos de ces traditionalistes. “Ils nous accusent d'immoralité à cause de notre travail.”

Un portrait intense de Tagiyeva en costume de scène. La jeune femme dit qu'elle savoure l'opportunité que le métier d'acteur lui donne d'interpréter des rôles variés.

Avec cette mentalité à l'esprit, la troupe auto-censure certaines de ses représentations en excluant souvent les scènes d'amour. Née à Tbilissi, Tagiyeva, qui joue avec le Théâtre dramatique national azerbaïdjanais depuis ses seize ans, déplore “l'absence de culture théâtrale” chez ces Géorgiens azerbaïdjanais qui adhèrent aux normes patriarcales et conservatrices.

“Les gens n'aiment pas les pièces qui vont les faire réfléchir et les éclairer. C'est vraiment difficile de forcer une société qui n'apprécie pas la lecture à aimer le théâtre.”

Tagiyeva dans une scène de “Sous Terre”, un drame psychologique dans lequel elle est Aïcha, une mère qui affronte le fossé générationnel. Bien que n'étant pas mère elle-même, Tagiyeva dit sentir profondément le rôle car les conflits entre générations sont communs dans les familles d'ethnie azerbaïdjanaises en Géorgie.

La présence aux représentations théâtrale est clairsemée, d'après Tagiyeva — entre cinq et quarante personnes.

Le délabrement de son bâtiment oblige la troupe à se produire dans d'autres théâtres de Tbilissi et à fabriquer elle-même ses costumes pour faire des économies.

Le théâtre n'est toutefois pas la seule scène pour Tagiyeva. Avec des amis, cette diplômée de journalisme de télévision a co-fondé en 2015 un site web, Rennesans.ge, pour couvrir la politique et les questions sociales en Géorgie.

Tagiyeva pose sur la plus petite des deux scènes du théâtre azerbaïdjanais. La plupart des acteurs en Géorgie peinent à joindre les deux bouts. Les acteurs du théâtre azerbaïdjanais gagnent, en moyenne, 250 à 300 laris (90 à 107 euros) par mois, dit Tagiyeva, mais cette somme doit couvrir tous leurs frais, y compris de déplacements.

“Ce site web a donné une voix à la société dans laquelle nous vivons. Nous voulions d'une manière ou d'une autre changer cette société”, dit-elle.

Mais un retour de bâton d'un dessin publié par le site et montrant des jeunes avec des livres sortant d'une mosquée encagée a conduit à sa fermeture au bout d'un an seulement.

Menacée par des “musulmans radicaux”, Tagiyeva dit s'être tournée vers la police. Elle a mis une fin précoce au projet mais affirme que le dessin n'était pas la raison.

Des affiches de spectacles passés du Théâtre dramatique national azerbaïdjanais sont punaisées dans le foyer du théâtre, situé au centre de Tbilissi. La troupe est motivée par la pure passion : les acteurs connaissent un dur labeur, de faibles revenus et la suspicion de ceux qui n'apprécient pas les arts du spectacle.

Elle ne compte nullement renoncer au théâtre. Actrice, c'est son identité. Bien que les salaires soient bas (en moyenne entre 250 et 300 laris, soit 90 à 107 euros par mois), les membres de la troupe mettent leur cœur dans leurs spectacles, dit-elle.

“Dans notre théâtre, personne ne travaille pour l'argent. Le théâtre est notre amour. C'est dur, mais nous devons travailler pour changer notre société.”

Kamilla Mammadova, 33 ans, journaliste

Kamilla Mammadova, 33 ans, chez elle à Marneuli, une petite ville dans le sud de la Géorgie.

Ce que beaucoup aimeraient faire, Kamilla Mammadova l'a réalisé : elle a fait d'un loisir, écouter la radio, une carrière dans sa ville natale. Mais, comme fondatrice de Radio Marneuli, la seule radio communautaire à Marneuli, une petite ville de la Géorgie du Sud à prédominance ethnique azerbaïdjanaise, elle doit affirmer chaque jour son droit à pareille carrière.

Mammadova avec son chien Khanna, qu'elle appelle son enfant. Célibataire et doublement diplômée, à 33 ans elle contraste fortement avec les attentes de femmes plus conservatrices du même âge à Marneuli.

Sa radio, créée en 2006 dans le cadre d'un projet de la BBC, couvre l'actualité et les questions locales en géorgien et en azerbaïdjanais. Elle insiste sur son indépendance éditoriale de toute influence politique, et ne se gêne pas pour critiquer le pouvoir. Une politique de micro ouvert permet à tout un chacun de venir à l'antenne pour parler de ses griefs.

La radio est la passion de Mammadova. Elle passe presque toute sa journée au travail et écoute la radio chaque soir avant de se coucher. “C'était mon loisir préféré. C'est devenu un métier.”

“Il y a beaucoup de problèmes dans notre région. Il fallait porter ces problèmes à l'attention du public.”

Mais pour certains à Marneuli, c'est source d'ennuis.

Mammadova avec une des journalistes de Radio Marneuli. Avant de recevoir sa licence FM en 2016, Radio Marneuli dépendait principalement de son site web pour sortir son contenu. Ils ont aussi distribué des cassettes audio et diffusé des émissions dans les parcs de Marneuli.

Les personnes plus traditionalistes pensent que les femmes non mariées — en particulier celles considérées comme ayant dépassé l'âge normal du mariage — doivent rester discrètes en public et ne pas défier les autorités.

Certains lui ont demandé de respecter ces coutumes, dit Mammadova.

“Ils m'appellent lesbienne, immorale”, décrit Mammadova. “En usant de ces calomnies, ils essaient de m'empêcher de donner des informations exactes. Mais cela n'arrivera pas. Je suis un être humain, et comme journaliste, je continuerai à transmettre la vérité.”

A côté de travail, la famille fait partie des raisons pour lesquelles Mammadova n'a jamais pensé quitter Marneuli, dit-elle.

Mammadova, qui détient un double diplôme en journalisme et en droit, décrit son objectif comme consistant à encourager les Azerbaïdjanais d'origine à parler le géorgien et à se servir de leur connaissance des affaires courantes pour tenir les autorités responsables devant les électeurs.

Mais Mammadova dit que son engagement à l'indépendance éditoriale entre souvent en conflit avec les autorités locales ainsi qu'avec les habitants qui évitent de défier le pouvoir.

Mais pour ce faire il a fallu lutter. Radio Marneuli n'a reçu sa licence FM qu'en 2016.

La Commission nationale géorgienne des communications a attribué le retard à des motifs techniques. Mammadova soutient que ce sont l'indépendance éditoriale de la station et les émissions en azerbaïdjanais qui ont rendu les fonctionnaires circonspects.

Elle pense qu'ils le sont peut-être encore, mais son intention est de persévérer :  “[Nous] sommes libres et nous apportons la vérité aux gens.”

Samira Ismayilova, 27, femme politique

Ismayilova partage son temps entre le siège de l'UNM et son bureau dans la ville de Bolnisi.

Première femme d'ethnie azerbaïdjanaise en Géorgie à présider une section de district d'un grand parti politique, Samira Ismayilova a l'habitude de sortir du lot. Mais dans les collectivités rurales de son district natal de Bolnisi, cela peut devenir un handicap.

Ismayilova, qui est membre du Mouvement national uni, dans l'opposition, affirme que les menaces et la diffamation sur sa vie privée ont compliqué sa campagne de 2016 pour la députation. Cela a fait partie d'une tentative plus large de “barrer la route aux femmes politiques” et “de l'intimider pour l'écarter de la campagne”, croit-elle savoir.

Une attitude qui peut être commune en Géorgie dans “les régions où vivent les minorités ethniques”, affirme-t-elle.  “[Une] Azerbaïdjanaise active en politique dans notre région, c'est du jamais-vu.”

Ismayilova veut changer cela.

Native de la région géorgienne de Bolnisi, Ismayilova, 27 ans, a commencé à faire de la politique quand elle était étudiante à l'université, et a été élue en 2016 au conseil municipal de la ville de Bolnisi.

Née à Darbazi, un village de la minorité azerbaïdjanaise, à Bolnisi, Ismayilova, qui a étudié en partie à l'étranger, a commencé à s'engager en politique quand elle étudiait à l'Université technique géorgienne de Tbilissi. Après un stage au parlement, elle a commencé à travailler comme conseillère sur les minorités ethniques au ministère de l’Éducation, et, plus tard, auprès de l'ancien président Mikheil Saakashvili

Sa prochaine étape a été de devenir elle-même une femme politique. “En tant que citoyenne et que mère, je veux voir une Géorgie plus développée”, dit-elle. Elle n'a pas réussi à se faire élire au parlement en 2016, mais elle siège présentement au conseil municipal de Bolnisi, chef-lieu du district de même nom.

Vue ici au siège de l'UNM, elle est la première femme de la minorité azerbaïdjanaise en Géorgie à présider une section de district d'un grand parti politique géorgien.

Elle décrit son travail comme consistant à se rendre dans les villages de la minorité azerbaïdjanaise et à écouter les doléances des habitants sur les infrastructures, le chômage et l'enseignement. Elle essaie de prévenir les mariages précoces et d'encourager les femmes d'ethnie azerbaïdjanaise à prendre la parole et à militer elles-mêmes pour le changement.

Sans être certaine du succès de son action, Ismayilova regarde vers l'avenir.

“Je crois que je peux changer beaucoup de choses en utilisant mon pouvoir de femme politique.”

“Quand j'étais dans la campagne électorale de 2016, j'ai affronté beaucoup de choses. J'ai rencontré . . . des menaces, des menaces contre des personnes de ma famille et d'autres pressions. Les gens discutaient de ma vie privée. Ils essaient de trouver de quoi me salir.”