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La militante espagnole de l'aide aux migrants Helena Maleno jugée au Maroc : “Un moyen d'intimider les défenseurs des droits humains”

jeudi 1 février 2018 à 13:54

Capture d'écran d'un entretien avec Helena Maleno mené par Javier Sánchez Salcedo pour le site d'information Mundo Negro. Visible sur YouTube et sur le site web.

Le 31 janvier, la militante des droits humains et chercheuse espagnole Helena Maleno devait comparaître en justice au Maroc pour la deuxième fois, accusée de participation à un réseau de  traite des êtres humains du fait de son activité d'aide aux migrants qui se retrouvent à la dérive en Méditerranée.

Helena Maleno fait partie de l'organisation non gouvernementale Caminando Fronteras (Marcher les Frontières), qui défend les groupes de migrants surtout en provenance d'Afrique sub-saharienne. L'accusation portée contre elle est basée sur ses appels téléphoniques aux services de sauvetage maritime pour les alerter sur la présence de canots en perdition.

Les multiples organes de médias qui l'ont interviewée ces derniers jours soulignent souvent que Maleno a toujours son téléphone à la main, et reçoit constamment des appels de personnes en danger en mer. “Mon téléphone leur est accessible. Je ne sais pas qui sont la plupart des gens qui m'appellent. Ils se donnent mon numéro les uns aux autres et m'appellent quand il y a une urgence”, a dit Maleno au quotidien espagnol El País.

Les ennuis judiciaires de Maleno ont commencé en Espagne, où un tribunal a conclu en 2017 qu’ il n'y avait aucun caractère délictuel dans le travail de Maleno. En revanche, les autorités du Maroc, pays où elle a travaillé pendant 16 ans, a rouvert l'affaire en réponse à la plainte d'un service de la police espagnole appelé Unité centrale contre les réseaux d'immigration et de faux papiers (UCRIF, en espagnol), le même qui avait saisi la justice espagnole.

Dans un entretien avec El País, Maleno s'est dite confiante en la justice marocaine, mais aussi inquiète de la criminalisation du travail humanitaire et surprise par la stratégie des autorités espagnoles :

Lo que no entiendo es por qué la policía española envió a Marruecos un expediente donde se me acusa de tráfico de seres humanos cuando un fiscal en España ya ha dicho que el caso está cerrado. No podemos abrir un precedente donde se persiga a quienes hacen un trabajo humanitario.

Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi la police espagnole a envoyé au Maroc un dossier où on m'accuse de trafic d'êtres humains, alors qu'un procureur en Espagne a déjà déclaré l'affaire close. Nous ne pouvons pas établir un précédent où l'on poursuit ceux qui font un travail humanitaire.

Criminaliser la migration et le travail humanitaire

La même inquiétude est partagée par les divers militants et organisations qui soutiennent le travail de Maleno, comme l'équipe de direction de la Fondation porCausa, un collectif de journalistes et de chercheurs dédié à représentation du phénomène migratoire dans les médias.

Dans une tribune collective de porCausa dans El País, les membres mettent en garde que si Maleno est reconnue coupable, les préjudices pourraient être graves, pas seulement pour elle et Caminando Fronteras, mais aussi pour les défenseurs des droits humains qui œuvrent à protéger ceux qui traversent la mer Méditerranée :

…la personificación de una ofensiva política como la que realiza Marruecos contra Helena Maleno es un modo de amedrentar a todos aquellos que quieran hacer algo parecido. Esto debilitará aún más las escasas redes de protección de los migrantes que utilizan esta ruta […] La posibilidad de que el Ministerio del Interior español –o algunos de sus miembros- haya trasladado a Marruecos la ofensiva que no tuvo éxito aquí [en España] reviste una gravedad tan extraordinaria que debe ser aclarada cuanto antes.

[…] la personnalisation d'une offensive politique comme celle qu'exécute le Maroc contre Helena Maleno est une façon d'intimider ceux qui veulent faire quelque chose de semblable. Cela affaiblira encore plus les déjà rares réseaux de protection des migrants utilisant cette route […] La possibilité que le Ministère de l'Intérieur espagnol — ou certains de ses agents — transfère au Maroc l'attaque qui n'a pas abouti ici [en Espagne] revêt une gravité si extraordinaire qu'elle doit être clarifiée au plus tôt.

Et de poursuivre :

…la frontera Sur de España es el escenario de muchas ilegalidades, ninguna de ellas relacionada con la actividad de Maleno: devoluciones en caliente (sancionadas por el Tribunal de Estrasburgo), vulneración de otras garantías de protección internacional, detenciones arbitrariasmalos tratos e ignorancia de los derechos de los menores, por citar solo los delitos más gruesos. Pero la involucración en un hostigamiento tan feroz a los defensores de derechos humanos sería cruzar un punto de no retorno.

[…] La frontière sud de l'Espagne est le théâtre de nombreuses illégalités, dont aucune n'est en relation avec l'activité de Maleno : renvois immédiats (sanctionnés par la Cour de Strasbourg), violation d'autres garanties de protection internationale, détentions arbitraires, maltraitance et mépris des droits des enfants, pour ne citer que les violations les plus criantes. S'embarquer dans un harcèlement aussi féroce des défenseurs des droits humains serait franchir un point de non-retour.

Les expulsions collectives, ou renvois imméediats, mentionnés ci-dessus font référence à l'expulsion sous la contrainte de migrants arrivés sur le sol espagnol, une pratique au mépris des protections établies par le droit international.

Le cas de Maleno n'a rien d'exceptionnel. Selon des signalements d’Amnesty International, José Palazón, le président de l'ONG Pro Derechos de la Infancia (Pour les droits de l'enfance), a été attaqué injustement par plusieurs organes de médias dans la ville de Melilla, une enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, ainsi que par le Conseiller au Bien-être social. Les attaques verbales prétendaient disqualifier le travail de Palazón en prétendant qu'il ne s'agissait que d'une “bataille personnelle” ne bénéficiant à personne.

Ceci coïncide avec l'attitude générale de rejet des migrants arrivant en Europe qui se banalise à travers l'Union européenne, tandis que les périls demeurent pour ceux qui y cherchent refuge en traversant la Méditerranée : depuis le début de 2014, 14.000 personnes sont mortes en mer.

#DéfendreCeuxQuiDéfendent

Maleno a reçu un soutien résolu du monde entier, et les témoignages de solidarité sont visibles sur les médias sociaux.

Une pétition, créé sur la plate-forme Intermón d'Oxfam et diffusée sous le mot-clé #DefenderAQuienDefiende (#DéfendreCeuxQuiDéfendent), exige que le gouvernement espagnol intervienne pour aider Maleno.

Dans le même temps, en Espagne, les membres de plus de 20 organisations ont manifesté leur soutien dans les rues de Grenade :

Hier, par accionenred Granada [Action sur le net Grenade], avec plus de 20 organisations sociales et partis politiques, nous avons voulu montrer notre solidarité et soutien à Helena Maleno et au travail solidaire qu'elle effectue.

Avec leur système d'alerte, Maleno and Caminando Fronteras ont contribué au sauvetage de centaines de personnes qui se sont embarquées dans des conditions précaires pour des traversées incroyablement périlleuses. Maleno aide aussi à donner aux migrants une meilleure qualité de vie et se bat pour la reconnaissance de leurs droits humains de base.

Son activité de militante et sa dénonciation des injustices sociales ont valu à Maleno d'être distinguée par le Conseil général des avocats espagnols en 2015.

Le fondement du travail de Maleno et de Caminando Fronteras est aussi d'humaniser ceux qui s'embarquent pour l'Europe. Une partie de cet effort se voit dans leur travail de sensibilisation pour essayer de faire comprendre aux citoyens européens les circonstances et la résilience des populations qui arrivent à leurs frontières. Elle l'explique dans la vidéo ci-dessous :

No quiero que haya una devoluciones en caliente […] No porque tú seas de Guinea Bissau, no es porque seas negro, es porque no quiero que el mundo haya devoluciones en caliente […] porque hoy eres tú y mañana seremos nosotros […] Esto puede cambiar puede dar la vuelta en cualquier momento […] Todos estamos en la misma patera […] si esto se hunde nos hundimos todos.

Je ne veux pas qu'il y ait des renvois immédiats. […] Ce n'est pas parce que tu es de Guinée-Bissau, pas parce que tu es noir, mais parce que je veux un monde sans renvois immédiats. […] c'est parce que aujourd'hui c'est toi et demain ça sera nous […] Ça peut changer à tout moment. […] Nous sommes tous dans le même bateau […] s'il coule nous coulerons tous.

L'Ouzbékistan et ses émigrants : Le Conte des deux présidents

mercredi 31 janvier 2018 à 17:07
Carte de l'Asie centrale. Plus de cinquante migrants de l'Ouzbékistan (rouge) sont morts dans l'incendie d'un bus au Kazakhstan (vert) en route vers la Russie le 18 janvier. Auteur: Cacahuate. Travail personnel basé sur la carte muette du monde. CC 2.0.

Carte de l'Asie centrale. Plus de cinquante migrants de l'Ouzbékistan (rouge) sont morts dans l'incendie d'un bus au Kazakhstan (vert) en route vers la Russie le 18 janvier. Auteur: Cacahuate. Travail personnel basé sur la carte muette du monde. CC 2.0.

Les citoyens de l'Ouzbékistan représentent l'une des plus grandes communautés d'immigrés en Russie et jouent un rôle majeur pour soulager la pauvreté de leurs familles restées au pays. Jusqu'à récemment, cependant, le gouvernement de ce pays d'Asie centrale a tardé à les reconnaître, l'ancien Président Islam Karimov les qualifiant même de “paresseux” lors d'un discours incendiaire en 2013.

Shavkat Mirziyoyev, son successeur, a pris un autre cours. Lorsqu'il a commenté l'horrible mort de 52 migrants ouzbeks dans un bus en route vers la Russie au début de janvier 2018, il a accusé son gouvernement et ses responsables d'avoir créé un environnement économique qui a forcé plus de deux millions de personnes à chercher un emploi mal payé ailleurs.

Lors d'une visite à un mausolée local, il a prié en mémoire des victimes du bus et a exprimé ses condoléances aux familles:

Кечаги бўлган палакатлар кўп нарсадан далолат беради. Халқимизни олдида ҳали қарзимиз кўп. Одамларизга шароит яратмаганимиз учун, улар бегона юртларга бориб иш қидириб юришибди. Бу албатта давлатчилик, давлат раҳбарияти, ҳамма тизимдаги раҳбарларнинг хато ва камчиликлари ўз вақтида бартараф этилмаганидан далолат беради.

Улар бегона юртларда сарсон-саргардон бўлиб юрибди деган гап, бу бекор гап эмас. Бечора уларнинг ҳам умидлари, орзулари бўлган албатта. Худодан не ниятлар қилиб, боламни боқаман, отамга бир сўм олиб келаман, деб йўлга чиққан. Қандай ёш-ёш йигитлар, мўмин мусулмонлар, ҳаммаси ўзбекистонликлар”

La tragédie qui s'est produite est la preuve de beaucoup de choses, y compris le fait que nous devons encore beaucoup de choses à la population. Des citoyens sont contraints d'aller chercher un emploi dans d'autres pays parce que nous n'avons pas créé les conditions pour eux. Cela montre que l'État, le gouvernement et tous les dirigeants de ce système étaient incapables d'éliminer les lacunes à temps.

Les malheureux errent dans d'autres pays à la recherche de travail. Ils ont aussi des rêves, bien sûr. Ils vont gagner un morceau de pain pour leurs enfants ou un peu d'argent pour leurs parents. De très jeunes hommes, tous des musulmans, tous des Ouzbeks.

Mirziyoev a pris la tête de l'Ouzbékistan en septembre 2017, après 13 ans en tant que Premier ministre de son prédécesseur Karimov, décédé d'un accident vasculaire cérébral. Les trois décennies de règne de Karimov ont commencé longtemps avant l'indépendance post-soviétique du pays. Il était bien connu pour sa brutalité et son autoritarisme [fr].

Mirziyoyev n'a donné que peu de signes d'ouverture vers la démocratie et les droits de l'homme depuis son arrivée au pouvoir, il a en revanche adopté le populisme comme stratégie de gouvernance. Ce sexagénaire a marqué des points auprès d'une population opprimée en évitant certaines des pires politiques de son prédécesseur, et en disant les bonnes choses au bon moment.

Karimov, en revanche, ne semblait jamais se soucier de comment il était vu par ses concitoyens. Sa harangue anti-migrants il y a près de cinq ans était symptomatique d'un homme qui avait perdu le contact avec les réalités quotidiennes de son peuple :

Дангасалар деб кимни ҳисоблайман? Ҳўв Москвани бориб кўчаларини, майдонларини супурадиганларни. Ўтта нима йўқ… Одам жирканади, ки ўзбек миллатидан шунақа бориб, ўзига бир бурда нон топиш учун шу ёққа бориши керак экан. Ҳа, Ўзбекистоннинг ўзида ҳеч ким очликдан ўлаётгани йўқ

Qui est-ce que je considère comme paresseux ? Ceux qui vont à Moscou pour balayer les rues, les places. Qu'ont-ils pour eux ? C'est dégoûtant. La nation ouzbek a si honte [à cause d'eux] – il s'avère que pour un morceau de pain, il faut aller si loin. Mais en Ouzbékistan personne ne meurt de faim, Dieu merci !

Le gouverneur régional ne suit pas les instructions

Peu de temps après le tragique incendie de bus qui s'est produit au Kazakhstan voisin le 18 janvier, Mirziyoyev a également publié un décret assouplissant les restrictions qui empêchaient effectivement de nombreux migrants internes de chercher du travail dans la capitale ouzbek Tachkent.

Les mesures en place avant le 22 janvier avaient réduit la pression démographique sur la capitale tout en alimentant davantage le départ des citoyens vers la Russie.

Le système d'enregistrement strict, la “propiska”, reste en place, mais les documents d'enregistrement ne sont plus des pré-requis pour trouver du travail dans cette ville de 2,5 millions d'habitants.

Néanmoins, il semble que tous les fonctionnaires de l'État ne sont pas prêts à s'adoucir en faveur des migrants.

Le gouverneur de l'une des régions les plus densément peuplées du pays a récemment été pris sur le fait par un enregistrement caché, en train d'injurier les 16 migrants originaires de sa région sur les 52 morts dans l'incendie du bus du 18 janvier, qu'il a traités d’ “enfoirés”.

Le gouverneur Shukrat Ganiev les a accusés de faire “honte” à sa région en essayant d'aller chercher du travail à l'étranger, dans des commentaires qui ont relayés par les médias le 24 janvier.

Il a également semblé regretter publiquement l'indemnisation accordée aux familles des victimes par l'État et a menacé de réduire le quota de la région pour le pèlerinage du hadj.

Dans l'un des nombreux commentaires furieux sous un article de RFE / RL sur l'enregistrement fuité, un lecteur a déclaré :

Обвиняя всех людей района и называя их ублюдками Шухрат Ганиев позорит честь Узбекистана, честь правительства страны. Таких крыс, как этот хоким, нужно гнать пинками. Президент признал проблемы, выразил соболезнование, а какой то каримовский манкурт говорит обратное. Да кто он такой, чтобы перечить нашему президен.

En accusant tout le monde dans la région et en les traitant d'enfoirés, Shukhrat Ganiev déshonore l'Ouzbékistan et son gouvernement. Des rats comme ce gouverneur doivent être démis de leurs fonctions. Le président a reconnu les problèmes [économiques], a exprimé ses condoléances, et ce traître à la Karimov [est pris] disant le contraire. Qui est-il pour contredire notre président ?

Ganiev était toujours à son poste au moment de l'écriture de cet article.

Une alpiniste française sauvée sur le Nanga Parbat (Pakistan) grâce au crowdfunding, mais son partenaire d'escalade n'a pu être atteint

mercredi 31 janvier 2018 à 16:20

Le Nanga Parbat (‘Montagne Nue’) est le neuvième plus haut sommet mondial, et le deuxième plus haut du Pakistan (après le K2). Photo sur Flickr par Ahmed Sajjad Zaidi. CC BY-SA 2.0.

La communauté mondiale de l'alpinisme a réussi à collecter la somme nécessaire au financement d'une mission de secours pour la grimpeuse française Elisabeth Revol, qui escaladait le Nanga Parbat au Pakistan, le neuvième plus haut sommet mondial, [et le seul sommet himalayen entièrement en territoire pakistanais, NdT]. Mais son compagnon d'escalade, Tomek Mackiewicz, n'a pu être secouru du fait des mauvaises conditions météo, et est à présent déclaré mort.

Revol et Mackiewicz faisaient l'ascension hivernale de ce sommet de 8.126 mètres, considéré comme l'un des plus difficiles du monde, responsable d'au moins 60 morts. C'était pour elle sa cinquième tentative de parvenir au sommet, et pour lui la septième, selon Pakistan Explorer.

Nanga Parbat : la Française Elisabeth Revol et le Polonais Tomek Mackiewicz sont au camp 3 (7.300). Demain ils commencent à attaquer le sommet (8.126). Croisez les doigts, envoyez de bonnes vibrations et vos meilleurs souhaits vers le Karakorum au Pakistan ! Températures glaciales au sommet, autour de -60°C.

On pense qu'ils ont atteint tous deux le sommet le 20 janvier, ce qui ferait d'eux la deuxième équipe seulement à avoir réussi une ascension hivernale jusqu'au sommet du Nanga Parbat. Ils ont ensuite entamé leur redescente.

Le 26 janvier, Janusz Majer, le coordinateur de l'expédition hivernale polonaise, annonçait sur Facebook que Revol et Mackiewicz se trouvaient bloqués à une altitude de 7.400 mètres, en contrebas du dôme sommital, à cause de l'ophtalmie des neiges due aux rayons ultra-violets du soleil et des gelures.

Revol a continué la descente et a appelé à l'aide avec son téléphone satellitaire.

La compagnie commerciale Askari Aviation, propriété de l'armée pakistanaise, a refusé d'envoyer un hélicoptère avant que soit effectué un dépôt de fonds en garantie du paiement, une pratique qui serait la règle. Pour y répondre, deux opérations de financement participatif furent organisées qui ont rapidement collecté des dizaines de milliers d'euros pour aider. Le gouvernement polonais aurait aussi apporté des fonds.

Surnommé “la montagne tueuse”, le Nanga Parbat est ici photographié par infra-rouge. Photo sur Flickr par Ahmed Sajjad Zaidi. CC BY-SA 2.0.

Les fonds étant assurés, un groupe de quatre alpinistes polonais, interrompant leur ascension du second plus haut sommet mondial, le K2, pour participer au sauvetage, ont été héliportés sur le Nanga Parbat à la recherche de Revol et Mackiewicz. Le 28 janvier, Revol a été secourue et transportée par les airs à Islamabad pour y recevoir des soins médicaux. Elle souffrirait de gelures sévères aux mains et aux pieds. Les conditions météorologiques extrêmes ont contraint l'expédition de secours à abandonner son ascension à la recherche de Mackiewicz.

L'alpiniste pakistanais Karim Shah Nizari a applaudi l'équipe de sauvetage polonaise :

Les alpinistes polonais héros du Nanga Parbat, qui ont interrompu leur ascension du K2 et sauvé une vie dans l'obscurité sur la montagne tueuse. Vous avez montré au monde ce que vaut une vie humaine

Masha Gordon, une femme d'affaire britannique née en Russie, qui a monté la deuxième campagne de crowdfunding postée sur GoFundMe, a réagi au sauvetage de Revol : “Nous pleurons de bonheur.”

Une campagne qui a collecté plus de 50.000 dollars en deux heures, avec une grande majorité de dons venus de Polonais, a écrit la femme de Mackiewicz sur la page Facebook de celui-ci. Les fonds continuent à affluer : au 30 janvier, la page GoFundMe fait apparaître 136.217 euros de promesses de dons sur un objectif de 150.000.

Dans son 10ème message, la campagne a appelé à plus de dons, pour aider la femme de Mackiewicz et leurs trois enfants :

This has been a very long and traumatic day. While Elisabeth is now convalescing in safety in Islamabad hospital with severe frostbites, we mourn Tomek. Please donate generously to help Anna and his beautiful three kids. We will be extremely transparent with expenses with all money ex-rescue costs going to the family.

La journée a été très longue et traumatisante. Tandis qu’Elisabeth est maintenant convalescente en sécurité dans un hôpital d'Islamabad avec de graves gelures, nous pleurons Tomek. Merci de donner généreusement pour aider Anna et ses trois beaux enfants. Nous serons extrêmement transparents sur les dépenses et tout l'argent pour les ex-coûts de sauvetage ira à la famille.

Des Pakistanais ont encensé l'armée pour son rôle dans la mission de sauvetage. Omar Qureshi, un journalist, a tweeté :

Tandis qu'une bonne partie des médias occidentaux est occupée à louer les alpinistes polonais pour le sauvetage d'Elisabeth Revol, un mot de louange pour les pilotes d'hélicoptère de l'armée pakistanaise qui ont acheminé les alpinistes polonais du K2 au Nanga Parbat et les ont déposés dans la montagne à une altitude de 6.400 mètres

Quelques éminents utilisateurs de Twitter ont cependant critiqué l'armée pakistanaise pour avoir retardé l'opération de secours pour des raisons d'argent.

Aucune Procédure opérationnelle permanente les mecs. Les $$$ passent avant la vie au Pak[istan]. Dans les pays civilisés on sauve d'abord la vie, on facture ensuite. S'ils avaient volé (24h) plus tôt, les chances de sauver les deux vies (d'Eli et Tom) auraient été bien plus grandes.

La honte sur les médias pakistanais endormis et le Club alpin du Pakistan mort

Pendant que le monde se réjouit du sauvetage de Revol, il ne reste guère d'espoir pour Mackiewicz. Les opérations de sauvetage ont été arrêtées, et les autorités le présument mort. Mais son père demande une nouvelle opération pour sauver son fils :

Nanga Parbat : Je vous supplie de reprendre les opérations de sauvetage pour mon fils Tomek. Je sais, je sens, qu'il est encore en vie. Tomek est capable de survivre six jours dans une grotte de neige à une telle altitude. C'est un garçon résistant et très obstiné – l'appel de Witold Mackiewicz, le père de l'alpiniste.

La sœur de Mackiewicz a dit aux médias polonais que ce serait un miracle s'il survivait.

Depuis 2016, les tribunaux de Birmanie emprisonnent quiconque enfreint la loi sur les télécommunications

mercredi 31 janvier 2018 à 12:32

Le journaliste Wunna Tun (à gauche) en train de discuter avec le poète et militant Maung Saungkha au Forum 2018 des droits numériques du Myanmar

Sauf mention contraire, les liens renvoient vers des pages en anglais.

Au cours de l'année 2016-2017, toutes les personnes inculpées en vertu de la section 66 (d) de la loi sur les télécommunications du Myanmar (Birmanie) ont été reconnues coupables et condamnées à des peines de prison.

La fameuse section 66 (d) prévoit des peines allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement pour « extortion, contrainte, diffamation, trouble, influence non justifiée ou menace à quiconque par le biais d'un réseau de télécommunication. »

Une étude récente conduite par Free Expression Myanmar (FEM), une organisation non-gouvernementale locale, indique que l'utilisation de la section 66 (d) a engendré un taux de condamnation de cent pour cent, et que les peines ont été excessivement sévères. « Tous les tribunaux ont infligé des peines de prison et aucun n'a infligé d'amendes, » a déclaré le groupe dans un rapport intitulé « 66 D: Aucun changement réel ».

Le FEM a suivi 106 affaires ayant eu lieu entre novembre 2015 et novembre 2017 et a observé une hausse de leur nombre depuis que la Ligue nationale pour la démocratie (LND) a pris le pouvoir en 2016. La LND est dirigée par Aung Sang Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix, qui pendant des années avait accusé le gouvernement militaire de bafouer le droit à la liberté d'expression dans le pays.

Le cas du journaliste au Democratic Voice of Burma Wunna Tun est un exemple frappant de la manière dont les fonctionnaires locaux font usage de la section 66 (d) pour harceler les médias. Alors qu'il enquêtait sur des irrégularités dans des prêts à l'irrigation destinés aux agriculteurs de la région de Bago, les fonctionnaires du village l'ont accusé d'être corrompu et de faire preuve de désinformation.

Le rédacteur en chef du Myanmar Now Swe Win est lui aussi tombé sous le coup de la section 66 (d). Il a été arrêté suite à une plainte déposée par un membre du mouvement ultra-nationaliste Ma Ba Tha pour une publication sur Facebook. Il y suggérait son dirigeant U Wirathu soit défroqué pour avoir loué le meurtre de Ko Ni, conseiller juridique de la LDN. Ko Ni était un des rares responsables politiques musulmans en exercice dans la majorité bouddhiste de la Birmanie.

Le chercheur en chef du FEM Maung Saunghka a été également accusé. Le célèbre poète et militant social a partagé un résumé de son affaire :

The government arrested me and put me in the prison because I wrote a poem about the president on Facebook. Since I have to face my trial from the prison, I was at a great loss. The sentence was six-month imprisonment. Since I have already stayed in prison for seven months, I was released immediately after the sentence.

Le gouvernement m'a arrêté et emprisonné pour avoir écrit un poème [my] sur le président sur Facebook. Puisque je devais assister à mon procès depuis la prison, j'étais désavantagé. J'ai été condamné à six mois d'emprisonnement, mais comme j'avais déjà passé sept mois en prison, j'ai été relâché immédiatement après le jugement.

Dans le poème, le narrateur décrit avoir une image d'un président sans nom tatouée sur ses parties génitales.

Saunghka a été condamné en vertu de la section 66 (d) de la loi sur les télécommunications et en vertu de la section 505 (b) du code pénal. Il continue à défendre ses droits artistiques et se trouve dorénavant en première ligne de la campagne pour faire abroger la section 66 (d).

Selon lui, le rapport du FEM ne fait que confirmer l'inquiétude que les amendements effectués en 2017 ont été insuffisants.

In this research I manage to let the public know that there are still cases being charged under 66D and freedom of expression is still limited in the country.

Dans cette enquête, je fais savoir au public qu'il y a encore des accusations portées en vertu de la section 66 (d), et que la liberté d'expression est encore restreinte dans le pays.

Le rapport note que certaines dispositions de la loi sont rédigées de manière vague et ambigüe, et peuvent faire l'objet d'interprétations différentes. Par exemple, la section 66 (d) ne définit pas précisement quelles actions constituent un « trouble » ou lesquelles sont susceptibles de provoquer une « influence non justifiée. »

L'ONG Burma Campaign UK a expliqué la façon dont la loi sape la liberté d'expression :

It is widely used against journalists and activists. Some media even refuse to publish articles which criticise the military or the government to avoid being sued and jailed. The law puts such control on the media that it leads to self-censorship. It also appears that some NLD leaders find Section 66 (d) useful to suppress criticism towards the government.

Elle est largement utilisée contre des journalistes et des militants. Certains médias refusent même de publier des articles critiques envers l'armée ou le gouvernement pour éviter de faire face à des poursuites judiciaires et des peines d'emprisonnement. La loi exerce un contrôle tel sur les médias qu'elle mène à l'auto-censure. Il semble également que certains dirigeants de la LND trouvent la section 66 (d) utile pour faire taire les critiques à l'encontre du gouvernement.

Human Rights Watch a déclaré que la loi « a ouvert la voie à une vague de poursuites pénales contre des individus communiquant de façon pacifique sur Facebook, et a de plus en plus été utilisée pour étouffer les critiques émises contre les autorités. »

Le FEM a été fondé par un groupe de défenseur(e)s des droits de l'homme dirigeant une nouvelle coalition de la société civile qui d'oppose à la loi sur les télécommunications et milite pour la suppression de la section 66 (d).

Cette coalition s'appelle le Mouvement pour la réforme de la loi sur les télécommunications et l'abolition de la section 66 (d). Afin de faire connaître leur combat, le groupe a lancé un nouveau site internet qui comprend une base de données de toutes les affaires liées à la section 66 (d).

Qui mettra fin à la violence sexuelle en Somalie ?

mercredi 31 janvier 2018 à 10:18
Femmes déplacées internes au camp de Madina. Photo par Faaris Adam

Femmes déplacées internes au camp de Madina. Photo par Faaris Adam

En octobre 2017, Faiza Mohamed Abdi, âgée de 16 ans, a été frappée dans la “région pelvienne” pour avoir refusé les avances sexuelles de son agresseur dans la ville portuaire de Bosasso [fr], en Somalie. Faiza Mohamed Abdi a été grièvement blessée par Abdikadir Warsame, un militaire dans la région somalienne semi-autonome du Puntland [fr]. Depuis décembre 2017, Faiza est en traitement dans un hôpital en Turquie. Radio Dalsan rapporte:

Faiza was reported to have been attacked by a Puntland state navy soldier who wanted to rape her while she was in Bosaso town but she struggled hard to defend herself from her attacker. On realizing that he can’t succeed in his mission, the soldier who was named as Abdikadir Warsame shot her at the private part leading her to sustain serious injury. She was later moved to Mogadishu for treatment but unfortunately, doctors said that she requires a specialized medical attention that is beyond their level.

Faiza aurait été attaquée par un soldat de la marine du Puntland qui voulait la violer alors qu'elle se trouvait dans la ville de Bosasso, mais elle s'est débattue contre son agresseur. En réalisant qu'il n'arriverait pas à ses fins, le soldat qui répondait au nom d'Abdikadir Warsame a fait feu sur ses parties intimes la blessant grièvement. Elle a ensuite été transférée à Mogadiscio pour y être soignée, mais malheureusement, les médecins ont dit qu'elle avait besoin d'une assistance médicale spécialisée qui dépassait leur niveau.

Malheureusement, Faiza n'est pas seule dans son cas. Bien que certaines régions semi-autonomes de la Somalie aient récemment tenté de faire adopter des lois contre le viol, une culture générale de l'impunité permet à de nombreux perpétrateurs de rester impunis – et les récits de viols abondent.

Viol dans les camps pour personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (IDP)

En Somalie, plus de deux décennies de guerre civile et de famine ont forcé de nombreuses personnes à fuir leurs foyers et à vivre dans des camps pour personnes déplacées. Les femmes et les filles qui vivent dans des camps en dehors des principales villes sont les plus exposées à l'agression sexuelle. Elles n'ont aucune protection et la plupart des cas de viol se produisent au milieu de la nuit ou lorsqu'elles ramassent du bois de chauffage dans des zones reculées. En outre, en raison de l'effondrement du système de justice pénale, les victimes n'ont souvent pas accès à l'assistance juridique nécessaire pour obtenir justice.

Fiican, une mère célibataire de 45 ans résidant dans le camp de déplacés de Buulo Ba'alay, a été violée devant ses enfants. Elle a raconté les faits dans une interview avec Global Voices :

It was a midnight when an armed man with Puntland police uniform cracked my home, took me out by force and raped me. Not only did he rape, he tortured me and left me with severe wound on my body that still cause lot of pain up to now.

Il était minuit quand un homme armé endossant un uniforme de police du Puntland a forcé ma porte, m'a prise de force et m'a violée. Non seulement il m'a violée, mais aussi, il m'a torturée me laissant avec une grave blessure qui me cause beaucoup des douleurs jusqu'à maintenant.

La nuit de l'agression de Fiican, des hommes de la police du Puntland sont allés au camp de personnes déplacées de Bula Bacley dans la ville centrale de Gaalkacyo [fr]. Les hommes ont fait irruption dans des tentes, prenant Fiican et une autre mère de force. Les deux femmes ont été violées. Malheureusement, les victimes n'ont toujours pas reçu justice pour les crimes qu'elles ont subis. Les assaillants ont été arrêtés mais n'ont été ni inculpés ni condamnés pour leurs crimes.

Selon les défenseurs des droits de l'homme du Puntland, 80 cas de viol ont été signalés dans la région semi-autonome du Puntland en Somalie en 2017. Le nombre réel de viols est considéré comme beaucoup plus élevé car de nombreuses victimes ne s'expriment pas par peur de la stigmatisation, ou par manque de confiance dans le système de justice pénale et  manque d'établissements de soins adéquats.

Outre l'aspect judiciaire, un autre obstacle pour les victimes d'agression sexuelle est le manque d'infrastructure de santé, de matériel et d'équipements modernes requis dans ce domaine. Le système de santé manque également de personnel qualifié pour traiter les cas de viol.

La culture locale peut également constituer un obstacle à la justice en raison d'une coutume régionale qui oblige les victimes à épouser leurs violeurs ou à accepter des “chameaux ou du bétail” en guise de dédommagement pour leur agression :

Rape is pervasive and often goes unpunished in much of Somalia, where decades of conflict have fueled a culture of violence and weakened institutions meant to uphold the law. Traditionally, rape victims are forced to accept compensation – often in the form of camels or livestock – and marry their assailants in a centuries-old practice designed to end war between rival clans.

Le viol est omniprésent et reste souvent impuni dans une grande partie de la Somalie, où des décennies de guerre ont alimenté une culture de la violence et affaibli les institutions destinées à faire respecter la loi. Traditionnellement, les victimes de viol sont forcées d'accepter une compensation – souvent sous forme de chameaux ou de bétail – et d'épouser leurs assaillants dans une pratique séculaire visant à mettre fin à la guerre entre clans rivaux.

Petits pas dans la bonne direction – mais est-ce suffisant ?

Le 9 septembre 2017, la région semi-autonome du Puntland a fait la une des journaux en ouvrant le premier laboratoire médico-légal pour traiter les affaires de viol dans la ville de Garowe.

L'année précédente, en septembre 2016, le Puntland est également devenu la première région administrative en Somalie à adopter une loi contre le viol. Le Parlement a exprimé un soutien retentissant avec 42 des 45 députés votant en faveur du projet de loi qui a été officiellement promulgué par la suite.

Le 6 janvier 2018, le Parlement de l'État autoproclamé du Somaliland a suivi l'exemple du Puntland et a également proposé un nouveau projet de loi contre le viol. Cependant, celui-ci a encore un long chemin à parcourir avant d'être adopté par la Guurti (Chambre des Anciens) et signé.

Bien que le problème du viol ait attiré l'attention du gouvernement somalien et de la communauté internationale au cours des dernières années, la violence sexuelle contre les femmes et les enfants reste endémique et le nombre de cas d'agressions continue d'augmenter.