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“Les langues ne meurent pas, on les tue” : ce que recouvre l'extinction des langues autochtones au Mexique

dimanche 7 avril 2019 à 19:41

Capture d'écran de la vidéo où l'on peut retrouver le discours de Yásnaya Elena Aguilar Gil.

L'article qui suit est une réédition de la traduction du discours prononcé par Yásnaya Elena Aguilar Gil devant la Chambre mexicaine des députés. Le discours a été initialement écrit en langue mixe (ayüük) et a été prononcé dans le cadre de l'Année internationale des langues indigènes. Le texte, dont l'on peut retrouver ici l'original en mixe, comprend une réflexion sur la disparition des langues indigènes, leur relation avec la perte du territoire et le rôle de l’État dans ces événements.

Mexico. L'eau et la parole. Mexico et ses nombreux noms cachés. Nëwemp : “sur le lieu de l'eau”, en mixe. Giajmïï : “sur l'eau”, en chinantèque. Nangi ndá : “la terre au milieu de l'eau”, en mazatèque. Kuríhi : “dans l'eau”, en chichimèque. Nu koyo : “peuple humide”, en mixtèque. Mexico est le nom qui a été donné à cette ville puis à cet État, l’État mexicain, le Mexique.

Qu'est-ce qui se dissimule dans les eaux de Nëwemp ?

J'entends évoquer certaines idées et je m'efforcerai de répondre à une question : Pourquoi les langues se meurent-elles ? Actuellement, 6.000 langues environ sont parlées dans le monde. Le catalogue des langues en danger de l'université de Hawaï indique qu'en moyenne, une langue meurt tous les trois mois dans le monde. L'UNESCO signale également que, dans cent ans, c'est quasiment la moitié des langues actuellement parlées dans le monde qui auront disparu.

Jamais dans l'histoire cela ne s'était produit, jamais autant de langues n'étaient mortes. Pourquoi les langues se meurent-elles maintenant ? Il y a environ trois cents ans, le monde a commencé à se diviser et des frontières intérieures ont été érigées. Le monde a été divisé. Il n'était plus possible de voyager vers d'autres lieux sans papiers. Le monde a été divisé en quelque deux cent États ou pays, dont chacun possédait un gouvernement, un drapeau à qui l'on rendait les honneurs, un mode de pensée privilégié et une culture autorisée ; et, pour construire cette homogénéité interne, une seule langue s'est vue attribuer le titre de langue d’État.

Les langues différentes de la celle de l’État et du gouvernement ont été discriminées et combattues.

Il y a deux cent ans a été instauré l’État qui se nomme à présent Mexique. Trois cent ans après la conquête espagnole, en 1820, 65% de la population parlait une langue indigène. L'espagnol était une langue minoritaire quand l’État mexicain a été créé. Aujourd'hui, nous les locuteurs de langues indigènes ne sommes plus que 6,5%. L'espagnol est maintenant la langue qui est devenue dominante. Il y a deux cents ans, ce sont nos langues qui étaient majoritaires : le náhuatl, le maya, le mayo, le tepehua, le tepehuano, le mixe et toutes les langues indigènes.

En l'espace de deux cent ans, nos langues ont été mises en minorité.

Comment cela a-t-il pu se faire ? Avons-nous soudain décidé d'abandonner nos langues ? Pas du tout. C'est un processus qui a été encouragé par les politiques étatiques. Nos langues ont été vidées de leur valeur au profit d'une langue unique, l'espagnol. Dans le but de faire disparaître nos langues, on a frappé nos ancêtres, on les a morigénés et discriminés parce qu'ils les parlaient.

On n'a pas cessé de leur dire : “Ta langue ne vaut rien. Pour être citoyen mexicain tu dois parler la langue nationale, l'espagnol. Arrête d'utiliser ta langue”, leur a-t-on répété. L’État s'est efforcé à grand-peine d'instituer une castillanisation forcée afin d'éradiquer nos langues, en particulier dans le système scolaire.

C'est le Mexique qui nous a dépouillés de nos langues, l'eau de son nom nous fait disparaître et nous réduit au silence. Même si la loi a récemment évolué, nos langues sont encore aujourd'hui discriminées dans les systèmes éducatif, judiciaire et de santé.

Nos langues ne meurent pas seules, on les tue.

On tue aussi nos langues quand on ne respecte pas nos territoires, que l'on vend et que l'on octroie des concessions sur nos terres ; quand les consultations sur l'adhésion ou non aux projets entrepris sur nos territoires ne sont pas menées comme elles le devraient.

On tue nos langues lorsqu'on assassine ceux qui défendent nos terres, comme cela s'est toujours produit. Comment pouvons-nous consolider nos langues lorsqu'on tue ceux qui les parlent, qu'on les réduit au silence et qu'on les fait disparaître ? Comment notre parole peut-elle fleurir sur un territoire dont on nous spolie ?

C'est cela qui est en train de se passer dans ma communauté, Ayutla Mixe, à Oaxaca. Nous n'avons pas d'eau. Il y a presque deux ans, des groupes armés nous ont dépossédés de la source à laquelle historiquement nous prenions de l'eau et, pour le moment, justice n'a pas été rendue, bien que nous ayons porté plainte et fait valoir notre cause.

C'est par les armes et les balles que l'on nous a dépossédés de la source, par les armes que l'on a pris la source et qu'elle a cessé de couler pour nous. En dépit du fait que les lois disent que l'eau est un droit humain, cela fait déjà deux ans que l'eau n'arrive plus jusqu'à nos maisons et cela touche surtout les personnes âgées et les enfants.

Ce sont la terre, l'eau, les arbres qui nourrissent l'existence de nos langues. En proie à une attaque constante de notre territoire, comment notre langue peut-elle être revitalisée ?

Nos langues ne meurent pas, on les tue. L’État mexicain les a effacées. La pensée unique, la culture unique, l’État unique, avec l'eau de son nom, les efface.

Vous pouvez voir le discours en mixe dans la vidéo ci-dessous :

‘Rêves opposés : La politique du local’: pour une prise de conscience par l'art des problèmes sociaux au Népal

dimanche 7 avril 2019 à 12:29

Les œuvres défient le récit historique dominant au Népal.

OppositeDreams

Une des oeuvres de l'exposition ‘Rêves opposés : La politique du local’. Photo de l'auteur, utilisée avec autorisation.

Le collectif de six artistes népalais ArTree Nepal s'est donné pour mission de faire percevoir les questions sociales aux communautés, et de promouvoir un dialogue approfondi grâce à leur pratique d'art contemporain. Ils ont ainsi soulevé des sujets pertinents, comme, entre autres, la grève de la faim du Dr. Govinda KC pour une réforme du secteur médical, l’émigration de travail de la jeunesse népalaise, les discriminations fondées sur la caste et l'ethnicité, et la traite des êtres humains.

La performance artistique convaincante de Hitman Gurung et Mekh Limbu en soutien au Dr. KC avec Artree

En mars 2019 ainsi qu'en octobre-novembre 2018, ils ont exposé leur travail sous le titre ‘Rêves opposés : La politique du local’ montrant comment l'histoire du Népal a exclu du récit les populations marginalisées, défavorisées et autochtones.

Le collectif a écrit sur Facebook :

For hundreds of years, the mainstream historical narrative of Nepal has excluded the stories and experiences of numerous marginalized, underprivileged and indigenous communities. Although there have been sporadic instances of vocal demands and protests for an equal representation of diverse identities, cultures, languages, and religions, the state has consistently and strategically oppressed them.

The exhibition, ‘Opposite Dreams: The Politics of Local’, draws attention to these problematic social hierarchies and invasive international influences. It attempts to highlight the misuse of power and state sponsored violence by focusing on acutely localized situations with an empathetic eye. By using an anthropological perspective and inquiring the socio-physical environments, the exhibition seeks to unfold these deeply entrenched unjust laws.

Depuis des siècles, le récit historique dominant du Népal exclut les histoires et le vécu de nombreuses communautés marginalisées, défavorisées et autochtones. Bien qu'il y ait eu des exemples sporadiques de revendications et protestations bruyantes pour une représentation égale des diverses identités, cultures, langues et religions, l’État les a invariablement et stratégiquement opprimées.

L'exposition “Rêves opposés : La politique du local” attire l'attention sur la problématique de ces hiérarchies sociales problématiques et des influences internationales invasives. Elle veut éclairer le mauvais usage du pouvoir et la violence sponsorisée par l’État en se focalisant sur des situations extrêmement localisées avec un regard d'empathie. A partir d'une perspective anthropologique et d'une enquête sur les environnements socio-physiques, l'exposition cherche à déplier ces lois injustes profondément enracinée.

L'exposition “Rêves opposés” met au défi l’ “histoire népalaise dominante” telle que nous la connaissons, telle qu'on nous l'enseigne, celle à laquelle on nous a fait croire. C'est remarquable de voir de tels discours critiques se produire de façon accessible ! Convaincue, l'art peut faire mieux que les mots !

Regardez quelques œuvres :

Mahendra Mala

‘Mahendra Mala’ par Subas Tamang. Photo de l'auteur, utilisée avec autorisation.

L'installation de l'artiste Subas Tamang ‘Mahendra Mala’ plonge dans les chapitres du livre népalais du même nom, qui a promu une religion unique, une langue unique et une culture unique. Il a minutieusement gravé les chapitres sur des ardoises utilisées pour les toitures à la campagne. Les ardoises sont recto-verso, avec des chapitres du livre sur une face, les autres composant le titre du livre.

L'artiste a expliqué à Global Voices que “un jour, un Danphe (l'oiseau national du Népal, le lophophore) a picoré les grains laissés à sécher au soleil par les Lamas, les Tamangs”. Détaillant un des récits du livre, il ajoute : “Les Lamas chassèrent l'oiseau vers le nord. En hiver, les Lamas descendent dans le Terai plus doux, mais le Danphe, craignant les Lamas, ne s'aventura plus jamais dans le Terai, les plaines du sud. L'information donnée dans le livre lui-même est erronée. Le Danphe est un oiseau himalayen qui vit dans les Himalayas, et les Lamas sont présentés comme cruels de nature”.

DeatthOfCivilization

‘Mort de la civilisation’ par Bikash Shrestha. Photo de l'auteur, utilisée avec autorisation.

Dans ‘Mort de la civilisation’, Bikash Shrestha a gravé la place Basantapur Durbar sur des pièces de bois et en a passé des parties au bulldozer laissant d'énormes traces de pneus.

Dans ‘Comment j'ai oublié ma langue maternelle’, Mekh Limbu présente un ensemble de livres lus par son père. L’œuvre met en exergue comment l'enseignement a promu uniquement le népalais, ce qui a fait oublier aux autres leurs langues vernaculaires.

Masinya

‘Masinya’ par Lavkant Chaudhary. Photo de l'auteur, utilisée avec autorisation.

L’œuvre ‘Masinya’ de Lavkant Chaudhary creuse la question de la caste dans laquelle le peuple des Tharus a été regroupé en Masinya Matwali (buveurs d'alcool pouvant être réduits en esclavage). Sur une suite de treize poteries d'argile gravées, l'artiste explique comment la catégorisation, la réforme agraire, la pulvérisation de DDT dans le Terai, et l'afflux de population des collines ont tout pris aux Tharus. Il a expliqué à Global Voices : “Parmi les treize poteries, j'ai gravé le contenu du rapport d'enquête de l’incident deTikapur incident sur ces trois. Les Tharus ont été pris pour cible dans l'incident et le gouvernement n'a toujours pas rendu public le rapport”.

Hit Man Gurung, dans son œuvre ‘Combien de fois je dois le brûler’, a réuni des articles d'opinion sur différentes manifestations et révolutions contre les dirigeants qui ont eu lieu au Népal, les a brûlés et photographiés. Par les caractères, toujours visibles sur les journaux brûlés, il veut véhiculer le message que tant qu'il y aura des problèmes et des inégalités dans la société, il y aura des rancœurs qui deviendront des manifestations et des révolutions.

‘Colonisation culturelle’, de Sheelasha Rajbhandari, montre les robes traditionnelles portées par les autochtones Tharus, Newars et Gurungs ornées d'étiquettes contrefaites des marques internationales célèbres. L’œuvre interroge la mentalité de la jeune génération qui se sont mortifiée de porter les tenues traditionnelles mais mais revêt sans hésiter les copies des marques authentiques.

Les œuvres de trois membres du groupe, Mekh Limbu, Sheelasha Rajbhandari et Hit Man Gurung, seront exposées au Musée d'ethnologie de Vienne du 11 avril au 6 novembre 2019.

Privés de citoyenneté, les Vietnamiens du Cambodge vivent en marge de la société

dimanche 7 avril 2019 à 10:41

Photo : Loa

Cet article [en anglais comme tous les liens ci-dessous] de Gia Linh Vũ a été publié sur Loa, un site internet d'informations et de podcasts crée par le Viet Tan afin de diffuser des nouvelles sur le Vietnam. Il est republié par Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le lac Tonlé Sap, qui se traduit par le « Grand Lac » est situé au centre du Cambodge. D'une longueur de 250 km, il s'étend sur plusieurs provinces et villes. Relié à la capitale Phnom Penh par son long réseau fluvial, le lac et la rivière Tonlé Sap ont contribué au développement du pays au long de sa riche histoire.

Le Cambodge partage sa frontière orientale et une grande partie de son histoire avec le Vietnam. Les périodes de guerre et de migration entre les deux pays ont fait qu'une importante population d'origine vietnamienne vit actuellement au Cambodge. Aujourd'hui encore, l'histoire tendue entre les deux nations influe sur les perceptions des citoyens ordinaires. De nombreux Khmers continuent en effet à considérer les Vietnamiens avec ressentiment et suspicion.

Selon un rapport de 2014 sur les conditions de vie des Vietnamiens au Cambodge, neuf habitants d'origine vietnamienne sur dix sont sans-papiers. Le gouvernement cambodgien impute ce chiffre à l’immigration illégale. Mais il ne tient pas compte qu'une part importante de la population vietnamienne qui vit aujourd'hui au Cambodge peut être attribuée à l'immigration massive. Une immigration survenue il y a plus d'un siècle sous la domination française en Indochine lorsque des lois différentes régissaient le pays.

Après le retrait des Français de l'Asie du Sud-Est, la discrimination ciblée des Vietnamiens par les Khmers rouges a tenté de purger la population d'origine vietnamienne existante du Cambodge par l’expulsion et les exécutions. Ceux qui n'étaient pas exécutés se sont vus confisquer leurs biens, y compris les certificats de naissance et tout les documents qui prouvaient leur citoyenneté.

La discrimination persiste encore à cause des lois adoptées pour bloquer rétroactivement le parcours de la naturalisation. La loi sur la nationalité de 1996 annule et remplace celle de 1954 et impose des conditions supplémentaires à la naturalisation des enfants non-ressortissants nés au Cambodge. La nouvelle loi exige que les deux parents non-ressortissants de l'enfant soient nés au Cambodge, alors qu'auparavant un seul parent était requis pour que l'enfant puisse obtenir la citoyenneté. De plus, ceux dont leurs documents de citoyenneté ont été confisqués par les Khmers rouges ne pourront pas voir leur demande traitée. Et les requérants n'ont pas la possibilité de faire appel.

En tant qu'apatrides, les personnes d'origine vietnamienne du Tonlé Sap ne bénéficient pas des mêmes protections et avantages que les citoyens du Cambodge. Il n'ont pas le droit d'acheter un terrain et leur accès à l'éducation est limité. Ils sont soumis à des impôts arbitraires et subissent des abus de la part des autorités locales.

Ce déni de droits aboutit au regroupement d'une importante population d'apatrides vietnamiens le long du lac et de la rivière Tonlé Sap dans des villages flottants.

Les maisons possédées par des personnes d'origine vietnamienne se distinguent à la fois par leur conception et leur manque d'attachement permanent à la terre. Texte et photo parus sur Loa.

Bien que les riverains du fleuve soient parmi les plus pauvres du Cambodge, il existe encore une stratification économique au sein de cette population marginalisée. Les Vietnamiens ont tendance à vivre dans des maisons flottantes, alors que les familles khmères ont les moyens de vivre dans des maisons plus robustes construites sur pilotis. Les maisons flottantes et les bateaux vietnamiens présentent souvent des motifs géométriques aux couleurs primaires. Repérer le nón lá, le chapeau conique emblématique, est un autre indice.

Au moment où cette photographie a été prise, la hauteur de l'eau était d'environ 3 mètres, atteignant presque la cime de nombreux arbres et en submergeant complètement d'autres. Dans le village de Kompong Khleang, l'eau peut monter jusqu'à 10 mètres.

Pendant la mousson, le niveau du Tonlé Sap atteint son maximum durant les mois de septembre et octobre. Les habitants des maisons flottantes sont à la merci de la montée et de la baisse des niveaux d'eau. Il est alors approprié que les maisons flottantes des Vietnamiens apatrides soient aussi précaires que leur statut de citoyenneté.

Pour me rendre dans les villages flottants, j'ai loué un bateau conduit par deux co-capitaines. L'un dirigeait le bateau et l'autre faisait tourner le moteur. Et ils échangeaient les rôles à mi-chemin du trajet. Le premier des deux villages flottants que j'ai visité était Chong Khneas.

Chong Khneas est facilement accessible depuis la grande ville de Siem Reap et est très prisée par les touristes. Il en résulte les visiteurs se trouvent assaillis de façon agressive par des demandes d'aumônes. Sur un pancarte bien visible affichée devant une école, on pouvait lire : « Centre de charité et d'éducation pour aider les enfants pauvres. »

Fondée en partie par les dons, l'école flottante de Chong Khneas aide plus de 300 enfants de la première à la cinquième année. Texte et photo de Loa.

Cinq professeurs enseignent dans cette école. Ils sont arrivés du Vietnam pour vivre et enseigner à Chong Khneas.

En l'absence de document prouvant leur citoyenneté et une fois qu'ils sont déscolarisés de l'école primaire, les enfants se voient refuser la possibilité de poursuivre leurs études dans le pays. Après quoi ils travaillent pour aider leurs familles. Ceci limite alors la mobilité sociale des personnes d'origine vietnamienne, enfermant les générations dans la vie lacustre.

Le trajet jusqu'au second village de Kompong Khleang s'est révélé plus difficile. Le voyage en tuk-tuk depuis Siem Reap prend plusieurs heures, dont une partie se fait sur des routes de terre rouge non goudronnée. Le tourisme dans ce village endormi est clairement en retard par rapport à son village jumeau de Chong Khneas. Mon chauffeur de tuk-tuk m'a assuré que je « verrais comment vivent les Cambodgiens ordinaires. »

Photo : Loa.

En montant à bord de mon bateau de location, j'ai été frappé par la jeunesse de mon capitaine. Il s'appelait Sela et il n'avait que 14 ans.

En avançant sur les voies navigables de Kompong Khleang, j'ai fait signe à une femme et à son mari pour leur demander si je pouvais débarquer chez eux. Leurs noms sont Mme Trần Thị Lén et M. Quành. À côté, leurs enfants remontaient un filet de pêche pour ramasser leurs prises de la journée.

M. Quành et sa femme ont six enfants âgés de 10 à “20 ans et quelques.” La plus jeune des enfants, la fille unique parmi 5 frères, ressemblait à sa mère. Seule cette petite fille jetait un coup d’œil pour voir qui était cet étranger qui rendait visite à sa famille. Alors que ses frères continuaient à remonter leur prise sans se laisser distraire.

Le riz et des poissons de la longueur d'un doigt constituent la plupart de leurs repas quotidiens. Mme Lén a raconté comment sa famille et les autres Vietnamiens de la région sont souvent jugés par les leurs voisins khmers. Ces derniers considèrent en effet que ce sont les Vietnamiens qui rendent leur vie difficile.

« Ils nous disent de retourner au Vietnam. Ils disent qu'on pêche tout et qu'on ne leur laisse rien. Ils nous disent de rentrer chez nous. Ils ne veulent pas de nous ici. »

Sa famille est arrivée dans ce pays il y a trois générations. Lorsque j'ai demandé les perspectives d'avenir de leurs enfants, Mme Lén n'a pas répondu immédiatement. Elle a seulement dit qu'ils aimeraient retourner au Vietnam. Mais ils n'ont pas les moyens de quitter le Cambodge. Sa famille est endettée, a-t-elle poursuivi, faisant allusion aux impôts arbitraires qui lui sont imposés. D'autres familles vietnamiennes qui ont échappé à cette vie l'ont fait en se faufilant dans la nuit pour retourner au Vietnam, mendiant de la nourriture et du transport en cours de route.

Photo : Loa.

Au Mozambique, le cyclone Idai a presque totalement submergé Beira, une ville de 500 000 habitants

samedi 6 avril 2019 à 09:52

Après le passage du cyclone à Beira. Photo de Juliano Picardo (19 mars 2019). Reproduction autorisée.

Le passage du cyclone Idai sur l'Afrique australe entre le 15 et le 19 mars 2019 a déjàvfait plus de 350 morts et plus de deux millions de sans-abri dans toute la région, particulièrement au Zimbabwe, au Malawi, ainsi qu'au Mozambique, ce dernier étant le plus touché.

Le cyclone de 4ème catégorie s'est formé le 4 mars dans le canal du Mozambique. Il a touché terre par la ville côtière de Beira, seconde plus grande ville au Mozambique avec plus de 500 000 habitants. Des vents de 180 à 220 km/h on tété enregistrés, et plus de 160 mm de pluie ont causé des inondations soudaines.

Selon le gouvernement, le nombre de morts confirmés au Mozambique est supérieur à 200. Toutefois il semble que le nombre soit beaucoup plus élevé. Le gouvernement estime que plus de 350 000 personnes sont en « état de risque permanent ». L'ampleur de la dévastation est immense. La Croix-Rouge a déclaré [en anglais] en effet que 90 % des infrastructures de Beira pourraient être détruites. Les provinces mozambicaines de Manica, Tete, Zambézie et Inhambane sont également touchées.

Les chiffres provisoires révèlent la destruction de 23 000 maisons, 616 salles de classe, 30 dispensaires, ponts et autres infrastructures, ainsi que des coupures d'électricité et des terres agricoles dévastées sur 274 131 hectares. L'effondrement des tours de télécommunications a aussi interrompu le téléphone et les connexions internet dans la région.

Depuis l'an 2000 [en anglais], Idai est le cyclone le plus violent à avoir frappé le territoire mozambicain. L'Organisation des Nations Unies a déclaré [en portugais comme tous les liens ci-dessous] que la catastrophe laissée dans son sillage pourrait être la pire jamais connue dans l'hémisphère Sud.

Dans la nuit du mardi 19 mars, le gouvernement mozambicain a déclaré l'état d'urgence et un deuil national de trois jours. Bien que les pluies torrentielles et les vents violents aient été prévus, l'ampleur de la catastrophe était inattendue. Le Président Filipe Nyusi a dû même écourter sa visite officielle au Swaziland.

Après le passage du cyclone à Beira. Photo de Juliano Picardo (19 mars 2019). Reproduction autorisée.

« Il s'agit vraiment d'une catastrophe humanitaire de grande ampleur ». Voilà comment Nyusi a décrit la situation dans une déclaration diffusée en direct sur la chaîne de télévision publique, Televisão de Moçambique.

Après avoir survolé les zones les plus touchées, Nyusi a expliqué que dans le district de Nhamatanda, Sofala, les eaux des rivières débordent en raison du débit élevé des bassins de Búzi et de Púnguè :

As águas dos rios Púngoè e Búzi transbordaram fazendo desaparecer aldeias inteiras e isolando comunidades, vêem-se corpos a flutuar, e estradas totalmente cercadas pelas águas

Les eaux des fleuves Púngoè et Búzi ont débordé faisant disparaître des villages entiers et isolant des communautés, on voit les corps flotter, et les routes totalement entourées par les eaux

« Tout est détruit », a déploré [en anglais] Celso Correia, le Ministre de la terre, de l'environnement et du développement rural.

Après la destruction de la nouvelle route nationale n°6, João Machatine, le ministre des Travaux publics, du logement et des ressources en eau, a fait observer que « la force brutale des eaux était telle qu'elle a réussi à détruire ce qui pour nous paraissait impensable ». La route n'avait été ouverte qu'à la fin 2018 et reliait le port de Beira aux régions intérieures. Machatine a dit que « sa solidité était censée résister à n'importe quel type d'intempéries ».

Le porte-parole du Programme alimentaire mondial de l'ONU, Hervé Verhoosel, a déclaré [en anglais] à l'AFP : « Je ne pense pas que le monde ait encore pris conscience de l'ampleur du problème ».

Le mardi 19 mars, dans une rivière de la province de Manica, dix corps on été retrouvés. Il s'agit très probablement d'habitants qui ont tenté de fuir les pluies intenses en tentant la traversée. À Buzi, ce jour-là, de nombreuses personnes s'accrochaient encore aux bâtiments en appelant à l'aide :

Images prises ce matin dans le district de Buzi par l'équipe de l'Institut national de gestion des catastrophes. Les équipes de secours effectuent des recherches avec le soutien de l'Organisation des Nations Unies

Les équipes de secours ont signalé avoir vu des enfants s'accrocher aux arbres. À bout de forces, ils ont été emportés par le courant.

L'aide humanitaire

Dans les zones touchées, des équipes nationales et internationales variées viennent aider les populations déplacées afin de réduire leurs souffrances. Bien que le cyclone soit passé, les victimes continuent d'être confrontées à de fortes pluies, ce qui rend plus difficile l'arrivée des secours. C'est ce qu'a relaté Paulo Tomás, porte-parole de l'Institut national de gestion des catastrophes, à DW África, dans un article en date du 18 mars :

Os nossos armazéns ficaram destruídos. Há necessidade de fazer a assistência alimentar via ponte aérea para alguns locais onde não há transitabilidade via terrestre. Há dificuldades também na comunicação com alguns pontos. Estas é que são as maiores dificuldades neste momento. E a cidade da Beira está sem energia, logo não há água disponível.

Nos entrepôts ont été détruits. Il faut distribuer l'aide alimentaire par voie aérienne dans certaines zones où il reste impossible de se déplacer par voie terrestre. Et communiquer avec certains endroits reste encore difficile. Telles sont les plus grandes difficultés actuelles. Et la ville de Beira est privée d'électricité, il n'y a donc pas d'eau disponible.

Face à l'inaccessibilité des routes terrestres, l'Inde a décidé de dérouter trois navires militaires vers le port de Beira, afin d'apporter une aide immédiate aux personnes touchées. Les navires apportent de la nourriture, des vêtements et des médicaments. Trois médecins et cinq infirmières sont également à bord pour fournir une assistance médicale immédiate.

L'Afrique du Sud a envoyé plus de 100 plongeurs, aidés par trois hélicoptères, pour secourir les familles qui se sont retrouvées piégées par les eaux débordantes des rivières Búzi et Púnguè. Verhoosel, qui coordonne l'action humanitaire des Nations Unies au Mozambique, a lancé un appel pour la collecte d'environ 40 millions de dollars américains aux côtés d'autres partenaires.

L'Union européenne met à disposition 150 000 euros à la Croix-Rouge du Mozambique. Pendant ce temps la section portugaise de Caritas, une organisation caritative de l’Église catholique, a annoncé un don de 25 000 euros. En outre, la compagnie pétrolière Anadarko s'est engagée à donner 178 100 euros.

Après le passage du cyclone Beira. Photo de Juliano Picardo (19.03.2019). Reproduction autorisée.

La France envoie 60 tonnes d'aide matérielle (3 000 kits de reconstruction et 6 000 tentes). L'ONG française Télécom Sans Frontières a quant à elle réussi à rétablir les communications Internet à l'aéroport de Beira grâce aux téléphones portables par satellite, contribuant ainsi au fonctionnement des opérations de sauvetage.

Un avion avec l'aide alimentaire de l'ONU a atterri dimanche 17 mars à Beira avec 22 tonnes de biscuits enrichis pour nourrir 22 000 personnes pendant trois jours :

Réponse au CycloneIdai à Sofala : WFP a expédié tôt aujourd'hui quatre tonnes de biscuits à haute teneur énergétique pour venir en aide aux personnes bloquées dans le district de Nhamatanda après la crue des eaux qui a fait exploser un barrage important samedi. Cela fait partie des 20 tonnes transportées par avion à Beira dimanche de l'UNHRD à Dubai.

Via les médias sociaux, de nombreux appels et collectes de fonds ont déjà été organisés par des Mozambicains pour aider les victimes du cyclone, comme celui de Port Maputo :

Port Maputo annonce un navire pour le transport de l'aide humanitaire aux victimes d'Idai « nous demandons que les marchandises soient livrées le plus tôt possible, entre 7h30 et 16h00 au dépôt de cabotage du port (accès par Av. Mártires de Inhaminga) ».

Dans le Caucase, les personnes queer sont obligées de fuir leur maison

samedi 6 avril 2019 à 09:50

Les populations provinciales du Caucase sont particulièrement hostiles aux queer.

Photo de Anna Nikoghosyan pour OC Media. Utilisation autorisée.

Ce qui suit est une version adaptée d'un article écrit par Armine Avetisyan, Nika Musavi, et Dato Parulava, paru sur le site web OC Media, et republié dans le cadre d'un accord de partenariat.

Confrontées au harcèlement, aux discriminations et à la violence, les personnes queer du sud du Caucase sont régulièrement forcées de fuir leurs domiciles.

Mel d'Arménie

“J'étais encore à l'école maternelle lorsque j'ai pris conscience que j'étais né dans le corps de quelqu'un d'autre.”

“A l'école, on m'obligeait à écrire ‘écolière’ sur mes cahiers. J'effaçais le mot ‘fille’ [NdT ‘écolière’ se dit ‘schoolgirl’ en anglais]  et les professeurs l'ajoutaient de nouveau et ainsi de suite. Mon développement s'est fait de manière très simple, il n'y a pas eu selon moi d'événement à l'origine de la découverte de mon identité car je me suis toujours vu comme un garçon”, confie à OC Media Mel Daluzyan. Le jeune homme a 30 ans et est originaire de Gyumri.

Mel Daluzyan, 30 ans, originaire de Gyumri, dans le nord-ouest de l'Arménie (/archive privée)

En dépit de tous ses efforts, aux yeux de la société, Mel était une fille prénommée Meline. Il pratique l'haltérophilie depuis 2002 et faisait partie de l'équipe nationale de la fédération féminine d'haltérophilie arménienne.

“Mon entraîneur a tenté de me motiver, me disant que Dieu m'avait créé ‘comme ça’ afin d'être doué pour soulever de lourdes charges et, à un moment donné, quand j'étais encore petit, j'ai essayé d'adopter moi aussi cette façon de voir. Mais je me suis rendu compte que, malgré tout, j'avais également droit à une vie privée, le droit d'être heureux, d'autant plus que ma vie et mon mode de vie ne blessent personne,” explique Mel.

Selon lui, lorsqu'il a participé au premier forum LGBT de Pink Armenia en 2015, et qu'une photo de groupe des participants a été publiée en ligne, les médias se sont mis à évoquer sa vie privée, ce qui a menacé sa carrière. Le champion détenteur à deux reprises du record européen et double médaillé de bronze aux championnats du monde a quitté Gyumri il y a deux ans, et s'est installé à l'étranger.

Le premier forum LGBT Pink Armenia en Arménie en 2015 (Pink Armenia)

“J'ai quitté l'Arménie en 2016, après avoir passé un an à chercher sans succès un travail dans mon domaine. Il y a eu tant d'attitudes négatives à mon égard que je n'ai même pas réussi à trouver un travail d'entraîneur dans une salle de sport. A présent, je vis aux Pays-Bas, je n'ai subi aucune discrimination ici, mais un soutien inconditionnel à tous les niveaux. Pour le moment, je n'envisage pas une seconde de retourner en Arménie.”

Mel affirme que la vie est difficile à Gyumri pour ceux qui sont ‘différents’, en particulier s'ils sont célèbres.

“Gyumri est la ville arménienne la plus conservatrice. Le gros problème, c'était les ragots : tout le monde estimait qu'il était de son devoir suprême d'inventer un mythe me concernant pour expliquer ce qu'ils ne comprenaient pas, et les médias ont contribué à répandre ces rumeurs. Bien sûr, tout cela a créé des difficultés pour moi quand je suis arrivé dans mon nouvel environnement, quand j'ai dû reconstruire ma vie à partir de rien, mais en fin de compte, je suis parvenu à me présenter aux autres tel que je suis. J'ai su faire en sorte que mes amis ne laissent personne m'appeler “Meline.”

Selon Mel, cela n'aurait pas posé problème avec ses parents si la société ne s'en était pas mêlée.

“En Arménie, les personnes LGBT n'ont presque aucun droit. Evidemment, si vous avez une vie secrète, que vous étouffez votre propre identité, que vous contractez un mariage selon l'usage, il est possible de vivre ‘tranquillement’ en Arménie. Mais jugez vous-mêmes, comment cela peut-il être considéré comme une ‘vie tranquille’ ? Je n'ai pas d'amis qui ne se cachent pas et peuvent vivre ‘tranquillement’.”

L'homosexualité est légale en Arménie depuis 2003, mais les droits des personnes queer ne sont pas protégés par la loi. Un rapport de 2017 élaboré par l'association de défense des droits des queer Pink Armenia sur la situation des personnes queer en Arménie indique que malgré la tendance positive d'un certain nombre de médias à coopérer avec des associations et des personnes queer pour qu'elles racontent leur histoire, la population arménienne continue d'avoir une attitude en grande partie négative envers les queer.

Une étude menée en 2016 par Pink Armenia et le think tank the Caucasus Research Resource Center a démontré que 89% de la population arménienne pensait que les homosexuels ne devraient pas être autorisés à travailler avec des enfants.

L'étude a établi que les gens qui avaient moins de contact avec les personnes queer avaient des attitudes plus négatives envers elles que ceux qui en connaissaient.

Les membres d'associations de défense des droits des queer insistent sur le fait que, si les chiffres sont fluctuants, de nombreuses personnes queer quittent l'Arménie chaque année en raison de l'homophobie.

Tazo de Géorgie

A vingt-deux ans, Tazo Sozashvili ne peut pas rendre visite à sa famille à Kakheti, région dans l'est de la Géorgie où il est né. Il craint d'être harcelé du fait de sa sexualité. Il redoute ce que sa famille pourrait endurer si cela se produisait.

Tazo Sozashvili, 22 ans, originaire de Kakheti, dans l'est de la Géorgie (Dato Parulava/OC Media)

Tazo, qui travaille pour Equality Movement, une association pour les droits des queer, a fait les gros titres avec son discours émouvant au parlement géorgien en 2018.

“Je ne peux pas aller dans mon village voir mes parents, ma grand-mère et mon grand-père. J'ai subi des brimades à l'école pendant 12 ans. Je déteste me rendre sur place encore aujourd'hui car c'était terrible tous les jours, chaque jour je risquais ma vie. Actuellement, je ne peux pas rendre visite à mes parents à Kakheti car c'est dangereux. C'est la différence entre vous et moi. Jamais vous ne comprendrez combien cela me coûte de me tenir là et de dire cela car je vais avoir des ennuis. Jamais vous ne le comprendrez car vous êtes des blancs hétérosexuels privilégiés. Je vous déteste,” a déclaré Tazo le 1er mai, devant la commission sur les droits humains du parlement après qu'il est revenu sur sa promesse de célébrer la journée internationale contre l'homophobie.

En 2017, le bureau du procureur a examiné 86 crimes de haine présumés, dont 12 étaient fondés sur l'orientation sexuelle et 37 sur l'identité de genre.

Le rapport du défenseur public observe que la violence contre les personnes queer, au sein de la famille comme dans l'espace public, est un grave problème, et que le gouvernement s'est montré impuissant à faire face à ce défi.

Le discours de Tazo n'était pas planifié. Prenant conscience de ce que sa famille avait pu ressentir après l'avoir tout à coup vu à la télé, il a décidé de les mettre au fait et les a appelés. C'est à ce moment-là qu'il a révélé son homosexualité à sa mère.

“Elle a pleuré. Pourquoi as-tu fait quelque chose de pareil ? Que vont dire les gens ? Elle m'a posé la question d'un ton de reproche, mais elle ne s'exprimait pas avec colère mais avec regret”, confie Tazo.

Son téléphone était saturé de messages et d'appels. Beaucoup étaient encourageants mais d'autres venaient de personnes qui n'avaient rien compris.

Tazo n'a pas parlé à son père depuis qu'il a prononcé son discours.

“Tous nos proches et amis l'ont appelé. Il voulait jeter son téléphone. Ils lui ont témoigné de la compassion, ce qui est rare car certaines familles dans la même situation ont été forcées de quitter leur village,” explique Tazo.

Des militants des droits des queer protestent devant le parlement géorgien le 1er mai (Dato Parulava/OC Media)

Après qu'il a annoncé publiquement son homosexualité, plusieurs anciennes connaissances du village ont tenté de reprendre contact avec lui.

“Dix personnes environ que je connaissais du village m'ont envoyé des demandes d'amis sur Facebook. Ils m'ont demandé pourquoi je les pensais homophobes, m'ont dit qu'ils étaient là pour m'aider et que seul mon bien-être comptait,” rapporte Tazo.

Mais d'autres se sont montrés moins bienveillants. Il reçoit des menaces depuis plusieurs années maintenant.

“A présent, je suis quasiment sûr que je ne pourrai pas rentrer avant très très longtemps. On me menace depuis plusieurs années maintenant. Lorsque ces gars sont ensemble, ils sont très agressifs mais, séparément, ils m'ont dit qu'ils me comprenaient,” affirme Tazo.

Dans les jours qui ont suivi la déclaration en public de son homosexualité, Tazo n'a pas pu utiliser les transports publics. Il craignait d'être reconnu. Mais cela va mieux à présent.

“Certaines de mes connaissances m'ont dit qu'elles avaient vu en moi quelqu'un de complètement différent. Elles m'ont demandé si elles pouvaient faire quelque chose parce qu'elles ne veulent pas élever leurs enfants dans un environnement de ce genre,” témoigne le jeune homme.

Cependant, il relève qu'il n'en va pas de même pour les décideurs politiques. Il assure que très peu d'hommes et de femmes politiques considèrent le sujet comme un véritable problème en dehors de quelques-uns, mais ces derniers ne s'y intéressent pas.

Tazo se dit fier d'avoir porté la voix des “gens invisibles”.

“Ce n'est pas seulement mon histoire. C'est la voix et la souffrance de milliers de gens qui sont victimes de violences conjugales, qui sont expulsés de leur propre maison, rejetés par leurs parents, harcelés à l'école, victimes de discriminations au travail en raison de leur orientation sexuelle.”

“Au-delà d'une certaine limite, ce n'est tout simplement plus possible. Il viendra un moment où de nombreuses personnes s'exprimeront tout haut, comme moi, et où nous irons tous ensemble exiger des dirigeants politiques qu'ils agissent comme ils le doivent, et prennent leurs responsabilités,” déclare Tazo.

Elvira et Amina d’Azerbaïdjan

Elvira et Amina sont un couple originaire de Bakou. Leur vie a beaucoup changé depuis que OC Media s'est entretenu avec elles pour la première fois en septembre 2017.

La relation entre les deux femmes a rapidement évolué ; elles ont emménagé ensemble six mois après s'être rencontrées. Peu après, elles se sont mariées dans un pays européen où les mariages entre personnes du même sexe sont autorisés.

Le couple dit avoir senti que leur famille était vraiment nucléaire et que amis comme proches les percevaient de la même façon. Les parents d'Elvira et d'Amina, bien qu'avec réticence, se sont bientôt fait à l'idée qu'ils n'ont pas de beaux-fils mais des belles-filles. Le couple continuait toutefois de se sentir mal à l'aise en Azerbaïdjan et songea à émigrer.

Le bureau de l'association azérie de défense des droits des queer Gender and Development (Vafa Zeynalova/OC Media)

“En tout premier lieu, nous en avions marre de vivre en secret, confie Amina. Ensuite, le certificat de mariage délivré en Europe n'était pas valide chez nous et, selon la loi, nous demeurions des étrangères l'une pour l'autre. Le jeune fils d'Elvira vit avec nous et c'est dur de lui expliquer qu'il ne doit pas parler ouvertement aux autres personnes. Et si les gens, par exemple à l'école maternelle, apprenaient à quoi ressemble notre famille ?”

Leur fils est malheureusement devenu le participant indirect à un quasi-drame criminel, qui a obligé la famille à quitter l'Azerbaïdjan.

“J'ai perdu de coûteux bijoux en or qui se trouvaient dans ma boîte à bijoux. Ils n'ont pu être volés que par la nounou de mon fils. Personne à part elle n'est restée seule dans notre appartement,” affirme Elvira.

Face à la police, la nounou n'a pas reconnu ou nié être coupable. Au lieu de cela, elle a fourni à l'enquêteur des preuves compromettantes sur ses employeuses – des photos et des vidéos intimes.

“De victimes, nous sommes devenues suspectes. Dans tous les cas, l'enquêteur nous a traitées comme des suspectes,” ajoute Elvira.

Après que l'officier de police s'est vu remettre le matériel compromettant, il a demandé à Elvira d'abandonner les charges, et pas seulement parce que la nounou pouvait publier en ligne leurs photos et vidéos personnelles. D'après lui, au cours de l'enquête, la police en viendrait à vérifier l'”apparence morale” du couple (bien qu'aux termes de la loi, cela ne soit pas justifié en cas de vol) et interrogerait leurs parents et collègues; elle pourrait même leur retirer la garde de leur fils. L'enquêteur a également conseillé à Elvira de surveiller de près Amina en tant que voleuse potentielle.

“C'était ignoble ! J'ai pris conscience que cette femme nous avait espionnées. J'ai éprouvé un sentiment d'insécurité, sous le regard scrutateur de l'enquêteur, et après m'être vue conseiller de faire profil bas, nous avons décidé de quitter le pays dès que possible.”

A la mi-mars 2018, la famille a acheté un aller simple pour les États-Unis.

(Vafa Zeynalova/OC Media)

Jusqu'en 2000, les liaisons entre personnes du même sexe étaient punies pénalement en Azerbaïdjan, avec des peines de plusieurs années de prison. En 2000, les relations entre personnes du même sexe sont devenues légales pour les individus de plus de 16 ans. Mais l'interdiction et la levée qui a suivi ne concernait que les hommes. La loi ne contenait pas la moindre mention des femmes queer.

L'Azerbaïdjan n'interdit pas les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle. Dans des affaires de chantage, de licenciement et autres cas de harcèlement, les victimes peuvent juste déposer une plainte d'ordre général, par exemple pour violation des droits humains.

En 2014, l'alliance LGBT azérie Nefes a mené une étude sur les comportements envers les personnes queer. Les résultats ont montré que 56% des sondés considéraient qu'être queer était une maladie innée, 60% d'entre eux traitaient mal les personnes queer et 64% ne souhaitaient pas travailler avec elles. La plupart des sondés étaient des hommes jeunes ayant fait des études supérieures.

Un certain nombre de queer en Azerbaïdjan ont raconté à OC Media que les hommes queer étaient encore plus mal traités que les femmes queer. Le militant des droits humains Eldar Zeynalov explique que la société patriarcale azérie, au sein de laquelle les normes qui fixent la “masculinité” d'un homme sont élevées, est en grande partie responsable de cet état de fait.

“Pour un homme qui entretient une relation homosexuelle, c'est comme s'il “s'abaissait au niveau d'une femme” et s'humiliait, tout comme cela empiète sur la tradition et sur les fondements de la société,” indique Zeynalov.

Selon lui, il n'existe qu'un moyen d'accepter les personnes queer dans la société azérie : l'argent, le pouvoir ou les deux.

“Pour la majorité des gens en Azerbaïdjan, l'argent et le pouvoir sont un argument plus fort que les préférences sexuelles en faveur de la masculinité. On peut pardonner beaucoup à un homme riche et puissant, y compris le fait d'avoir des relations sexuelles avec quelqu'un du même sexe,” ajoute Zeylanov.

Amina et Elvira habitent maintenant aux États-Unis avec leur fils. Elles s'efforcent de trouver leur place : rechercher un travail, s'installer dans un nouvel appartement et se faire à l'idée de ne plus avoir peur que quelqu'un découvre la vérité sur elles.