PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

L'artiste de jazz cubaine Yissy García découvre le crowdfunding pour la production de son disque

dimanche 18 janvier 2015 à 13:47
YISSY & BANDANCHA (1)

Photo publiée avec l'accord de Yissy Garcia

La célèbre musicienne de jazz Yissy Garcia a récemment lancé une campagne de financement [anglais] sur la plateforme en ligne Verkami, avec comme perspective la production du premier disque du projet qu’elle dirige : Banda Ancha. Yissy Garcia a accueilli avec joie et émotion cet énorme défi qu’est le crowdfunding numérique dans un pays analogique, malgré quelques nuits blanches empreintes d’anxiété.

Nous avons rencontré la jeune musicienne pour parler avec elle des particularités du micro-mécénat dans un pays comme Cuba. 

Global Voices (GV) : Pourquoi faire un disque physique alors qu’Internet permet de soumettre et vendre sa musique ?                                                                 

Yissy Garcia (YG) : Quand le disque sera terminé, le premier objectif sera de le mettre en ligne, sur des plateformes de streaming et de vente en ligne, mais également d’établir des contrats de licence avec les maisons de disques cubaines qui seraient intéressées. Et je ne parle ici que des copies physiques. Bien sûr, les disques ne sont pas vendus à une grande échelle, mais je ne pense pas qu’ils disparaitront complètement. Par exemple, le public adore acheter des disques en concerts, et ils demandent aux artistes de les dédicacer. D’autres veulent lire les informations qu’ils contiennent. A Cuba, le disque physique prévaut encore, avec en parallèle des copies qui passent de « main en main ». 

GV : Dites-nous en plus sur le contenu du disque, les collaborations etc.

Pour ce disque, nous voulons laisser s’exprimer presque tout le répertoire que nous avons joué depuis le début du groupe. Il s’agira principalement de chansons que j’ai composées, ainsi que deux de Julio Rigal, le trompettiste, et une de Jorge Aragon, le pianiste. Bien sûr, plus que de savoir qui est l’auteur de ces chansons, le travail en équipe constitue notre dynamique, tous les musiciens apportent leurs idées qui se reflètent dans le résultat final.

Je suis aussi entourée d’amis et de grands talents. J’aurai le privilège de pouvoir compter sur les voix de Yusa, Danay Suarez et Kelvis Ochoa, sur mon père Bernardo Garcia et José Angel « El Negro » aux percussions, sur Hector Quintana à la guitare et sur Emir Santa Cruz au saxophone. 

GV : Dans la proposition de micro-mécénat (crowdfunding), on peut lire « Nous ressentons les transformations de l’industrie musicale d’une autre façon, en particulier en ce qui concerne la convergence technologique et la connexion à Internet ». Que veux-tu dire ?

Je fais référence à l’absence de connectivité et donc au peu de connaissance et d’utilisation des espaces numériques, là où la musique se développe et se partage à un niveau international. Nous vivons sur une île où l’accès à Internet est très limité. Nous devons alors faire face à une gestion des médias et des modes de consommation obsolètes dans le reste du monde. Un grand défi que nous avons, nous les jeunes musiciens de Cuba, est de continuer à nous approprier, de quelque façon que ce soit, les outils que la technologie offre pour gérer notre musique. Le nom de notre groupe est un clin d’œil subtil à ce phénomène – BANDANCHA – et toute notre campagne joue sur ces mots. Ce n’est pas l’objectif initial, mais nous avons tout de même profité de cette idée.   

GV : Comment te sens-tu à l’idée d’être la première artiste de jazz à proposer un disque qui pourrait être financé par le mécénat ? Si tu pouvais imaginer un accès total à Internet, comment pourrais-tu entrevoir la production musicale à Cuba ?

YG : Pour être honnête, je n’ai pas eu vraiment le temps d’y penser. L’aventure, la nouveauté que cela apporteraient à ma carrière pourrait me combler ; c’est, d’une certaine façon, une porte ouverte vers quelque chose de plus grand. Avec un accès total à Internet, ce n’est pas seulement la production de disques mais aussi toute la scène musicale cubaine qui se revitaliserait, se mettrait à jour, que ce soit dans sa gestion mais aussi dans sa distribution nationale et internationale. Un exemple simple : pour travailler sur n’importe quel projet, il n’est pas indispensable de se trouver dans le même pays, Internet gomme les frontières : tu peux contacter un musicien ou un producteur via Skype, vous mettre d’accord sur un ou deux détails, te rendre en studio puis envoyer tes pistes. Voilà comment cela se passe à Cuba.

GV : Vous vous êtes adjointe les services de Nelson Ponce pour le design des t-shirts ; il est certainement aujourd’hui le meilleur jeune créateur cubain. Y aura-t-il des designs variés ou personnalisés ? Peut-on avoir un aperçu ? 

YG : En réalité, c’est un luxe énorme d’avoir Nelson dans l’équipe, son soutien est fondamental dans le déroulement de la campagne. En ce qui concerne les t-shirts, si je vous dis que nous préparons des designs personnalisés il va me tuer (rires). Nous travaillons actuellement sur un produit que les gens ont envie de porter ; je suis très confiante, car cela vient des mains de Nelson. Ce sera quelque chose de spectaculaire !

GV : Racontez-nous cette expérience qu’est le crowdfunding. L’adrénaline, l’anxiété ou l’incertitude court dans vos veines ? Qui vous aide à poster, diffuser et divulguer ?

Il est très difficile de mettre en place un projet de crowdfunding à Cuba, notre environnement est analogique et le crowdfunding est une expérience digitale. Que dire de plus ? Tout est lié : l’adrénaline, l’incertitude, l’anxiété, les insomnies, mais aussi la joie et la confiance. J’ai grandi en tant qu’artiste, et la communauté qui suit ma musique également. Ca vaut tous les efforts fournis pour faire avancer la campagne.

Pour BANDANCHA, cela a été excellent en termes de visibilité, d’impact. Nous avons figuré dans plusieurs journaux, blogs, communautés… Comme stratégie de communication, c’est très efficace. Bien sûr, je suis la tête d’affiche, mais il y a une grande équipe de professionnels tout terrain très impliquée dans le projet, sans mentionner le grand nombre d’amis qui nous ont rejoints avec une formidable énergie, nous aidant de toutes les façons possibles. Ils ont même inventé un « crowdfunding en direct » pour les contributions de La Havane ; ils disent qu’ils ne disposent pas de la technologie nécessaire (compte Paypal etc.) mais que ce n’est pas un obstacle. Ainsi j’ai demandé à l’artiste Lazaro Salsita qu’il nous prépare un « cochon-tirelire » pour «ouvrir » la semaine prochaine dans un café de Vedado. Cette initiative me semble spectaculaire. C’est une création collective, mon disque ne naît pas uniquement pendant les séances d’enregistrement au studio, il commence bien avant, puisque la musique se nourrit de tous ces processus.

En vérité, j’ai beaucoup de chance et je suis reconnaissante d’avoir tant de gens à mes côtés. La liste est longue, mais je ne peux pas ne pas mentionner les acteurs principaux : Yoana Grass (fondatrice de Zona Jazz Cuba, la plateforme qui nous a lancés), Kerstin Hernández, Laura Gutiérrez, José Ernesto González Mosquera, Marta María Ramírez, Nelson Ponce, Raupa, Alejandro Suárez, Alejandro Azcuy, Majel Reyes, Darsi Fernández, Leire Fernández, Liliana Ariosa, Idania del Río, Yanet Fernández de Suena Cubano, Rosa Marquetti, Gabriela Gutiérrez… ils sont nombreux !

GV : Ce type de processus s’accompagne de deux cases, une pour perdre et une autre pour gagner. Selon toi, dans laquelle ira ton projet ?

Dans celle qui va gagner,  bien sûr ! 

Publié à l’origine sur Cuba contemporánea [espagnol].

Le ‘big data’ peut-il sauver les derniers tigres en liberté de l'Inde ?

dimanche 18 janvier 2015 à 13:19
Analyzing 25,000 individual observations, wildlife managers in India find clues to help stop tiger poachers in their tracks. Photo by The Belurs (Flickr | Creative Commons)

En analysant les résultats de 25 000 observations individuelles, les gestionnaires de la faune en Inde trouvent des indices pour les aider à arrêter les braconniers de tigres en pleine action. Photo par le contributeur Flickr Le Belurs CC-BY-NC-SA 2.0

Cet article de Roger Drouin a été initialement publié sur Ensia.com, un magazine qui met en lumière des solutions environnementales internationales concrètes, et est republié ici selon un accord de partage de contenu.

Voyageant en petits groupes nomades, transportant des couteaux, des haches et des pièges en acier, les braconniers qui s’attaquent aux tigres en Inde ont longtemps eu l’avantage par rapport aux protecteurs des grands fauves. Les braconniers, motivés principalement par la demande en os de tigres utilisés dans la médecine traditionnelle en Chine, reviennent tous les deux à trois ans aux endroits dont ils connaissent « tous les cours d'eau et les éperons rocheux » et posent des pièges le long des chemins empruntés par les tigres ou près des points d'eau, explique Belinda Wright, directrice exécutive de la Société indienne de protection de la faune (WPSI). Ils sont rarement arrêtés.

« Ils ont une connaissance et une maîtrise incroyable de la jungle », indique Belinda Wright. « Ils utiliseront tous les stratagèmes possibles ».

Mais une étude publiée en août dernier par Belinda Wright, l’écologiste Koustubh Sharma et leurs collègues pourrait contribuer à renverser la vapeur contre le braconnage du tigre en Inde, qui abrite plus de la moitié de la population mondiale de tigres en liberté.

L'étude, publiée dans la revue Biological Conservation, a appliqué une nouvelle méthode pour estimer la probabilité d'occurrence et la détection de la criminalité envers les tigres dans diverses régions de l'Inde, puis a utilisé cette méthode pour identifier 73 « points chauds » clés avec une forte probabilité de braconnage envers les tigres et de trafic des parties de tigre. Selon les auteurs, cela pourrait déboucher sur des mesures anti-braconnage plus efficaces en fournissant aux écologistes, aux responsables de l'application des lois et aux gardes forestiers s’efforçant de sauver les tigres, la capacité s’installer là où l’application de la loi est le plus nécessaire et d'améliorer ainsi les chances de sauver l’animal national Indien en péril.

Au cours des dernières années, Koustubh Sharma, un écologiste chevronné local et son équipe, en collaboration avec le Snow Leopard Trust et Nature Conservation Foundation, ont écrit un code informatique et analysé 25 000 points de données – collectées depuis 1972 dans 605 districts – sur les délits de braconnage envers la faune, y compris les lieux où des cas de braconnage envers les tigres ont été confirmés et des sites où des parties de tigre ont été saisies. « Le nombre de données est tellement énorme que chaque fois que je démarrais le cycle d'analyse, il fallait 20 à 25 minutes pour chaque modèle », explique Koustubh Sharma.

« Un réseau de renseignement est l'étape la plus cruciale dans la lutte contre la criminalité contre les tigres et la faune » dit Belinda Wright. Plus de renseignements, ça signifie pouvoir mieux positionner les informateurs sur le terrain et utiliser les interceptions de téléphones mobiles. Cela signifie également savoir où cibler les patrouilles sur le terrain et les activités des rangers forestiers. Le plus important, d’après Koustubh Sharma, c’est de savoir où les tendances de la criminalité ont changé parce que les tactiques des braconniers changent. C’est pourquoi les chercheurs ont travaillé pour élaborer un modèle qui pourrait être mis à jour régulièrement.

« À la fin de la journée, nous devons essayer d'avoir un temps d'avance sur les criminels », dit Koustubh Sharma. « C’est ce que font les compagnies d'assurance et les banques. Ils élaborent des modèles et créent des projections, et investissent. Nous avons quelque chose de similaire. Nous avons ces modèles et ces projections, et nous devons investir en conséquence ».

Les actuels points chauds concernant le braconnage envers les tigres identifiés par l'étude comprennent certaines régions qui ont surpris les chercheurs et pourraient vraisemblablement bénéficier d’une application de la loi plus stricte. La région frontalière entre le Népal et l'Inde, par exemple, a vu moins de cas d’application de la loi dans le passé que les autres régions, d’après Koustubh Sharma. L'étude a révélé que la région a été mise sous pression par le braconnage croissant, probablement due à une augmentation de la population locale de tigres et son rôle de plaque tournante pour le trafic des os de tigre en Chine, indique Koustubh Sharma. « C’est une zone que nous mettons en avant comme un point chaud au sujet duquel les décideurs devraient prendre des mesures ».

Les formules utilisées pour calculer les points chauds actuels et évolutifs attirent déjà l'attention des personnes chargées de prévenir le braconnage à travers l'Inde. L’étude a trouvé des preuves que les braconniers préfèrent utiliser les itinéraires ferroviaires, car ils peuvent plus facilement se fondre au milieu des millions de passagers quotidiens. Au moins 17 districts éloignés des forêts de tigres, y compris Delhi et Indore, ont obtenu des résultats élevés concernant les crimes envers les tigres dû à leur statut de centres commerciaux.

En Septembre, Koustubh Sharma a lancé un appel à l'attention de Rajesh Gopal, membre secrétaire de l’Autorité nationale de conservation des tigres de l'Inde, qui a transmis les résultats aux responsables sur le terrain en charge du suivi des tigres sauvages et de la lutte contre les braconniers dans les réserves de tigres et les zones tampons. Koustubh Sharma constate que la méthodologie, combinée avec l'application sur le terrain, peut également être utilisée pour lutter contre le braconnage d'autres espèces, des léopards aux pangolins.

« Nous avons besoin d'une bonne technologie et d’une bonne application sur le terrain », explique Belinda Wright. « Rien ne peut remplacer un humain avec deux jambes, deux mains et un cerveau ».

Robert Drouin est un journaliste indépendant spécialiste des questions environnementales. Il couvre la conservation des espèces, des chauves-souris aux léopards des neiges, et les questions énergétiques. Son travail est publié dans le Scientific American, Yale Environment 360, Mother Jones et Grist.org. Il blogue ici et son compte twitter est @rogerreal.

La fraternité internationale des caricaturistes

dimanche 18 janvier 2015 à 12:56

L'attaque contre Charlie Hebdo a suscité d'innombrable réactions dans la société civile mondiale sur la liberté d'expression et le rôle des médias. Ainsi, le débat intitulé « Le journalisme après Charlie » (#JournalismAfterCharlie), organisé par l'UNESCO, qui s'est tenu à Paris, le 14 janvier 2015.

Le débat n'est pas nouveau et les dessinateurs et caricaturistes de toutes sensibilités échangent eux aussi sur leur pratique, ses enjeux et ses limites.

Une question revient régulièrement : “Peut-on rire de tout ?”

Le caricaturiste algérien Ali Dilem rapporte la position de son ami et mentor, le dessinateur français Cabu, lors de leurs échanges, dans un entretien reproduit par l'hebdomadaire Le Point :

Il expliquait les choses de façon tellement simple. Il disait : “Je ne sacralise rien”, et c’est cela qui était exceptionnel. Il jonglait avec tous les concepts, ne s’interdisait rien. Moi, quand on m’interrogeait sur l’islam par exemple, je répondais en disant : “Oui, je respecte les musulmans, je ne veux pas les heurter, ma limite est de ne pas heurter.” Mais lui disait : “Non, je suis un dessinateur, je fais de l’humour, prends-moi comme je suis. On n’a pas à mettre le curseur au niveau de celui qui est en face, c’est à lui de s’adapter ou alors qu’il ne regarde pas les dessins, c’est simple.”

Le prix à payer pour faire rire ou sourire pour ces deux caricaturistes est élevé : pour Cabu, abattu, pour Dilem, en Algérie, qui témoigne :

“Je vais vous faire un aveu : depuis 15 ans, je n’ai pas mis les pieds dans mon journal. Je dessine à partir de chez moi ou de quelque part en dehors pour ne pas donner d’occasion à ceux qui peuvent me faire du mal ou faire du mal à ceux qui font le même travail que moi.”

Les islamistes veulent limiter la liberté d'expression (Dilem)

Dessin de Dilem

Et pourtant, malgré les intimidations et les représailles, ils s'efforcent de garder le sens de l'humour, comme l'exprime le dessinateur israélien Michel Kichka dans ce dessin, en hommage au caricaturiste syrien Ali Ferzat, battu par les services de sécurité syriens :

Le caricaturiste syrien Ali Farzat battu par les hommes de Bachar el Assad

Dessin par Michel Kichka : le caricaturiste syrien Ali Farzat battu par les hommes de Bachar el Assad (Légende : “Ca fait mal quand je ris, mais de penser qu'Assad a peur d'un crayon, c'est irrésistible”).

 Loin d'être divisés, ces dessinateurs trouvent, par la plume, un terrain d'entente et révèlent leur fraternité.

Ils se retrouvent et partagent leur expérience de manière informelle ou à la faveur de projets tels que “Cartooning for peace / Dessins pour la paix“, une initiative créée en 2006 par Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations Unies de l'époque, et le dessinateur Plantu.

Cartooning for peace / Dessins pour la paix

“Cartooning for peace” conçoit et diffuse des supports pédagogiques à destination des élèves du primaire et du secondaire, organise des expositions et contribue ainsi à la formation d'une “internationale de l'humour” auprès des jeunes.

Sur quoi se fondent les accusations de blasphème au Moyen-Orient ? (Ce n'est pas que la religion)

samedi 17 janvier 2015 à 09:56
Cartoon in support of Jabeur Mejri, by Fey

Caricature de soutien à Jabeur Mejri, par Fey

 Le 24 décembre 2014, pour un article en ligne qu'il a publié il y a plus d'un an, Mohamed Cheikh Ould Mohamed, blogueur mauritanien, a été condamné à mort, au peloton d'exécution. Il s'agit de la première condamnation à mort pour apostasie en Mauritanie depuis son indépendance en 1960.

Dans son billet rédigé en arabe et intitulé  ”Religion, religiosité et artisans”, Cheikh critique le système discriminatoire de castes qui prévaut dans son pays. Il associe ces pratiques à d'autres similaires qui auraient existé au temps du prophète Mohammed. Ses propos ont été différement interprétés et il a par conséquent été accusé d'insulter le prophète. 

“[L'affaire de Cheikh] n'est qu'une tentative pour museler quiconque remettrait en question un système fondé ou érigé sur l'oppression et sur l'instrumentalisation de la religion,” tweete Saidou Wane, militant mauritanien contre l'esclavage et le racisme.

Le jeune homme de  28 ans ne serait qu'une victime parmi tant d'autres d'un gouvernement répressif d'un pays à majorité musulmane, qui se positionnerait à tort et à travers derrière l’ “apostasie” et le “blasphème” pour réprimer ceux qui appelleraient aux réformes ou se prononceraient publiquement en matière de politique. En condamnant Mohamed Cheikh à la peinte capitale, les autorités mauritaniennes se disent vouloir protéger l'Islam ou alors le Prophète lui même. Mais il est fort probable que cette sanction ne servirait qu'à protéger le régime et à lui épargner quelconque critique politique. 

Commentant ce qui s'est passé avec Cheikh, le journaliste Brian Whitaker, auteur de Arabs Without God (Arabes sans Dieu), note que la religion s'est transformée en une ”arme politique”  en Mauritanie: 

The strange thing about laws against apostasy and blasphemy is that most of the people who fall foul of them are neither apostates nor intentional blasphemers. In practice these laws have very little to do with theology and are mostly used as a pretext for settling political scores or pursuing personal grudges.

L'étrange dans les lois contre l'apostasie et le blasphème est le fait que la majorité de ceux qui en subissent le joug, ne sont en fait ni des apostats ni des blasphémateurs intentionnels. En pratique, ces lois ont très peu à voir avec la théologie et dans la plupart des cas, ne représentent qu'un prétexte pour des règlements de comptes politiques pour régler des rancunes personnelles.

Utiliser la religion comme “un pretexte pour régler des comptes politiques”

Whitaker décrit ce fait comme une tendance générale dans le monde arabe. Ainsi, l'Arabie Saoudite et la Tunisie, séparées par un vaste fossé tant culturel que politique, ont durant les dernières années connu des situations similaires. 

Dans un système de gouvernement théocratique à l'instar de celui en place en Arabie Saoudite, la ligne qui sépare le religieux du politique est assez floue.Par conséquent, ceux qui remettent en question le status quo ou critiquent les autorités risquent de graves accusations pour des motifs religieux (et non politiques).

Comment un régime se débarasse-t-il de ses détracteurs et de ses adversaires politiques dans des contrées où la religion occupe un rôle centrale dans la vie de la majorité des citoyens? Un moyen pour arriver à ce but serait de le jeter en prison et de dire qu'ils ont insulté l'Islam et son prophète. De la sorte, (presque) personne ne viendra à leur rescousse.

Raif Badawi campaign image by Amnesty International.

L'image circulée par Amnesty International dans le cadre de la campagne de soutien à Raif Badawi .

Au printemps dernier, l'Arabie Saoudite a condamné le blogeur Raif Badawi à 10 ans de prison et à 1000 coup de fouet pour “insultes à l’ Islam”. Dans les faits, Badawi a fondé ”Saudi Liberals” ou ” Progressistes Saoudiens” un site web dont le ton et le contenu s'en prend aux  principaux dignitaires religieux du pays et à sa police religieuse. Le site ne met pas l'accent sur l'Islam proprement dit, mais plutôt sur des hommes politiques et religieux précis, en mettant en lumière leurs actions. Quoi qu'il en soit, Badawi  a été inculpé pour avoir “insulté l’ Islam.”

Avocate et militante des droits des femmes, Souad al-Shammari a tweeté contre le système de tutelle imposé aux femmes dans son pays. En effet, pour pouvoir travailler, voyager ou même se marier, une femme  dans le royaume saoudien doint obtenir la permission d'un tuteur masculin.  Du coup, Souad Al Shammari est accusée de se moquer des textes sacrés et du clergé musulman.

En Tunisie, où aucune loi ne pénalise le blasphème ou l'apostasie, les deux internautes Jabeur Mejri et Ghazi Beji ont été condamnés en 2012 à sept ans et demi de prison pour avoir personnifié le prophète Mahomet sur la Toile. Il convient de souligner que Mejri et Beji ne sont que des internautes ordinaires et non pas pas des activistes politiques.

Ghazi Beji a esquivé la prison en fuyant le pays avant son arrestation. Par contre, Jabeur Mejri a purgé deux années derrière les barreaux avant d'être libéré  en mars dernier, gracié par Moncef Marzouki, ancien président intérimaire de la Tunisie. 

“Le blasphème n'est pas un crime. La liberté de choix est très claire dans le Coran ; il y est dit : ‘Point de contrainte en religion’”. C'est ce qu'à rappelé Rached Ghannouchi, chef du mouvement islamiste Ennahdha Tunisie, lors d'un évènement à Washington D.C., aux Etats-Unis, en juin 2013.

Mais Ghannouchi a prononcé ce discours-là à Washington, et pas en Tunisie. Pourquoi dit-il que “le blasphème n'est pas un crime” alors que Mejri a été jeté en prison, ou alors même que son parti Ennahdha a proposé une loi qui pénaliserait “ l'atteinte au sacré”? Ni Ghannouchi, ni les partis de la mouvance laique ou de gauche n'ont milité pour la remise en liberté de Mejri et ce par crainte des réactions d'un population conservatrice et pour ne pas perdre des électeurs potentiels. 

Quelle est la position du Coran quant au blasphème ?
Ces gouvernements semblent ignorer le fait que alors que l'Islam n'encourage pas le blasphème, cette pratique est tout de même tolérée. En fait, on ne trouve nulle part dans le Coran la mention d'une sanction à l'encontre du blasphème.

Le prophète Mahomet et ses premiers disciples ont été persécutés et maltraités par leurs contemporains. Ils ont encaissé insultes, railleries et calomnies. Mais le Coran leurs a préconisé la patience et de se tenir à l'écart des conversations blasphématoires plutôt que de les condamner. 

 Certes vous serez éprouvés dans vos biens et vos personnes ; et certes, vous entendrez de la part de ceux à qui le Livre a été donné avant vous, et de la part des Associateurs, beaucoup de propos désagréables. Mais si vous êtes endurants et pieux…voilà bien la meilleure résolution à prendre. [Sourate 3, verset 186]

Quand tu vois ceux qui pataugent dans des discussions à propos de Nos versets, éloigne-toi d'eux jusqu'à ce qu'ils entament une autre discussion. Et si le Diable te fait oublier , alors, dès que tu te rappelles, ne reste pas avec les injustes. [sourate 6, verset 68]

Il en est de même pour l'apostasie. Le Coran ne prescrit aucun châtiment matériel à l'égard de ceux qui décident de se convertir à une religion autre que l'Islam, voire de ne se tourner vers aucune religion. Dans ce contexte, on peut lire dans ce livre saint “Point de contrainte dans la religion” et  ”La vérité émane de votre Seigneur”. Quiconque le veut, qu'il croit, et quiconque le veut, qu'il mécroie”.

Il est donc clair que le Coran ne sanctionne l'apostasie ou le blasphème par la peine de mort ou par la flagellation. Cependant, les autorités dans des pays tels que la Mauritanie, l'Arabie Saoudite et l'Iran persitent à faire le contraire. Le motif est apparement beaucoup plus ancré dans la politique que dans la religion.

“Les dirigeants arabes se comportent comme si l'Islam était en danger…ils craignent peut-être l'effondrement de leurs trônes,” ironise la blogueuse tunisienne Khaoula Frehcichi. “Ils réalisent très bien que critiquer les institutions religieuses constitue le premier pas vers la déstablisation de leurs régimes.”

Deux témoignages sur l'enfance des frères Kouachi sur le site Reporterre

vendredi 16 janvier 2015 à 20:25

Un article exclusif de Eloïse Lebourg sur le site écologiste Reporterre provoque énormément de réactions sur tous les réseaux sociaux francophones, en particulier à cause de son titre ‘L'enfance misérable des frères Kouachi”, qui en a scandalisé beaucoup. Les lecteurs trouvent néanmoins éclairant le témoignage de deux animatrices bénévoles qui se sont occupées des frères Kouachi enfants, et la description du glissement d'un quartier sans mixité sociale, dans le 19e arrondissement de Paris, vers l'islam radical.

Evelyne, chrétienne qui pense qu’il faut savoir rire de tout, savait que doucement l’islam gagnait dans le quartier. « Je voyais de plus en plus de femmes porter le voile, puis avoir des propos de moins en moins laïcs. » Marise acquiesce : « Au début, dans les années 90, un des pratiquants de la mosquée de la rue de Tanger faisait partie du Conseil de Quartier. On l’aimait beaucoup, il était très laïc, très ouvert. Nous faisions nos réunions dans la mosquée. Je trouvais cela formidable. Puis notre ami, un jour nous a dit qu’il quittait la mosquée, qu’il ne se retrouvait plus dans les paroles de l’imam. Dès lors, la porte de la mosquée nous est restée à jamais fermée, et nous voyions le changement dans le comportement. Les salafistes ont petit à petit pris possession des lieux, jusqu’à l’arrestation de la cellule des Buttes Chaumont. »

Marise pense que l’intégrisme ne peut prendre racine que sur ce genre de terreau fertile où la précarité et l’abandon ont pris la place normalement nécessaire de l’intégration. « Mais je suis optimiste, depuis l’avènement de la mixité sociale, les choses vont mieux.”

Lire l'intégralité de l'article sur Reporterre