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Après le meurtre de son fils, une mère franco-marocaine enseigne aux jeunes l'importance de l'unité

mardi 5 janvier 2016 à 13:36
Latifa bin Ziaten (r) speaks with students about her son, Imad, who was murdered by Islamic extremist Mohamed Merah. At the end of her talk, students hug her. One girl says Latifah reminds her of her own mother. Credit: Marine Olivesi. Used with PRI's permission.

Latifa bin Ziaten (à droie) parle avec des lycéens de son fils Imad, tué par l'extrémiste islamique Mohamed Merah. A la fin de son exposé, des jeunes sont venus l'embrasser. Une fille raconte que Latifah lui rappelle sa propre mère. Crédit: Marine Olivesi. Utilisé avec la permission de PRI.

Cet article de Marine Olivesi  pour The World est paru sous sa forme originale sur PRI.org le 23 Décembre 2015, et est republié ici en vertu d'un accord de partage de contenu.

Latifa Ibn Ziaten se présente aux collégiens et lycéens par la seule phrase suivante :  “Je suis la maman d'Imad.” (Ci-dessous, l'émission de PRI [en anglais]

Listen to this story on PRI.org »

Les quelques centaines d'adolescents français n'ont pour la plupart jamais entendu ce nom, mais tous connaissent celui de l'homme qui l'a tué.

En mars 2012, Mohamed Merah, un Français d'origine algérienne, a tué sept personnes, dont trois enfants d'une école juive, dans une série de fusillades à travers la France. La folie meurtrière de Merah, et la traque qui a suivi, a marqué le début d'une tendance : des jeunes Français de naissance radicalisés qui en veulent à leur propre pays.

La première victime de Merah était Imad Ibn Ziaten, un parachutiste alors en permission, âgé de 30 ans,  le fils de Latifa.

Depuis, elle parcourt les écoles et prisons de tout le pays. Elle fait le récit de son histoire debout, en hommage à son fils qui a refusé de s'abaisser avant que Merah ne l'abatte. Elle remonte au jour où elle est arrivée en France.

“Je suis arrivée du Maroc quand j'avais 17 ans” dit-elle d'une voix douce “. Je ne savais pas lire. La France m'a accueillie, et mes voisins m'ont aidée. Ils m'ont appris à parler et écrire en français. Puis mon mari et moi avons fondé une famille, on a eu cinq enfants. C'était mon rêve, mais aussi une responsabilité.”

“Je travaillais tout le temps, huit heures par jour. Pendant le week-end, je cuisinais pour gagner un peu d'argent pour payer les habits, les cours particuliers, les vacances pour les enfants. Ils ont grandi avec beaucoup de dignité, de respect et d'amour. Ils étaient ma fierté. Mohamed Merah m'a volé cette réussite.”

Latifa raconte que la vie était dure mais qu'il était alors plus facile de s'intégrer. Ses voisins étaient français. Maintenant, dit-elle, la plupart des immigrés vivent isolés dans des ghettos, ce qui leur donne peu de chance d'apprendre les codes de leur nouveau pays. Nés en France, leurs enfants ont grandi avec le sentiment récurrent d'être des citoyens de seconde classe.

Mais ce n'est pas seulement la société qui rejette des enfants comme Mohamed Merah. “Son père l'a rejeté quand il a abandonné sa famille,” explique Latifa. “Sa mère aussi – elle s'est remariée et l'a fait placer en famille d'accueil.”

Latifa résume ce qui s'est passé ensuite : Merah a décroché à l'école, a commis plusieurs infractions mineures et a atterri en prison. C'est là qu'il a rencontré des musulmans radicaux et, comme le dit Latifa, “qu'il s'est transformé en monstre.”

Après les fusillades, des jeunes dans les banlieues en ont fait un emblème d'une génération perdue.

Latifa raconte sa visite dans le quartier où Merah a grandi, quelque jours seulement après la mort de son fils et de celle du djihadiste auto-proclamé, tué après 30 heures d'assaut par la police.

“J'ai vu un groupe de jeunes qui traînaient dans la rue,” raconte Latifa. “Je les ai abordés en leur demandant : ‘Vous savez où vivait Merah?’ L'un d'eux a souri et a dit , ‘M'dame, Mohamed Merah est un martyr ! C'est un héros de l'Islam ! Il a mis la France à genoux.’ ‘Mon Dieu,’ j'ai pensé. Quand j'ai entendu ça, c'était comme si mon fils avait été tué une deuxième fois.

“Je les ai regardés et leur ai demandé : ‘Est-ce que vous savez à qui vous parlez ? Je suis la mère d'Imad. Merah n'est pas un martyr. Il n'est pas un héros. Il est un assassin.’”

Latifa raconte que les garçons étaient sidérés et honteux. Ils se sont levés, l'on entourée en répétant qu'ils étaient désolés.

Elle cherchait des indices sur le tueur, et à la place, elle a trouvé une nouvelle quête. Latifa a réalisé qu'elle devait témoigner d'une autre face de cette histoire – la sienne et celle d'une large majorité d'immigrés et de musulmans français natifs, qui réussissent en France, vivent en paix et servent leur pays, comme l'a fait son fils. C'est là qu'est l'avenir.

Elle voudrait qu'ils soient un exemple pour les adolescents qui l'écoutent, dont une bonne partie est française de première génération.

Elle parle de l'école, de la religion, de la famille, et parvient ainsi à les interpeller. À la fin, des jeunes garçons viennent l'embrasser. Une fille fond en larmes, en disant que Latifa lui rappelle sa propre mère.

C'est la deuxième fois cette année que Latifa leur rend visite. L'établissement scolaire se trouve dans la zone la plus défavorisée de la région, avec 70 pour cent des élèves qui bénéficient des aides sociales.  Fabien Maerten, le directeur du collège Pierre et Marie Curie, dit que la première fois qu'elle est venue, l'hiver dernier, Latifa était un peu le pompier venue à la rescousse.

“Il y avait des tensions ici après les attentats de Charlie Hebdo,” dit-il. “Une cinquantaine d'élèves ont refusé d'observer la minute de silence le lendemain. Certains étaient furieux et ont eu des propos que l'on ne pouvait tolérer. Sa visite a aidé à combler le fossé et à rétablir un dialogue.”

“L'établissement a fait long chemin depuis cela,” dit-il.

Les jeunes sont en paix avec ce qu'ils sont : pluriels et pourtant incontestablement français.

Avant de partir, Latifa demande s'ils peuvent chanter l'hymne national. Tous les adolescent l'ont repris en cœur – un peu faux, mais sans rechigner.

Pour le Népal enclavé, une année de catastrophes naturelles et de calamités engendrées par les humains

lundi 4 janvier 2016 à 14:13
Earthquake hits Kathmandu, Nepal. April 2015, © Jean Paul Delain/MSF An year in Picture. Used with permission

Katmandou, Népal, après le séisme d'avril 2015.© Jean-Paul Delain / MSF. De “Une Année en photos “. Utilisée avec autorisation.

[Article d'origine publié le 26 décembre 2015]  L'année a été difficile pour le Népal, pays enclavé de 27 millions d'habitants, qui a des frontières avec des géants puissants : la Chine et l'Inde.
Des glissements de terrain causés par un séisme dévastateur en avril ont détruit ses voies d'approvisionnement avec la Chine, laissant le Népal complètement dépendant de sa frontière ouverte sur 1751 km avec l'Inde.

Mais les relations avec son voisin indien ont commencé a se gâter quand le Népal a finalement adopté une nouvelle constitution fédérale en septembre. Les camions amenant des approvisionnements vitaux et du carburant, pour une valeur de 302,5 millions de dollars US, dans un pays se remettant des séquelles du séisme, ont commencé à stationner en des files d'attente de 14 km du côté indien de la frontière du Sunauli.

Le gouvernement indien assure qu'il n'a pas imposé un blocus à l'encontre du Népal et affirme qu'il essayait juste de réglementer avec prudence les mouvements de camions, en raison des manifestations provoquées par la nouvelle constitution, qui ont eu lieu tout près de cette frontière. Des habitants de la région rapportent cependant que même quand il n'y a aucune manifestation dans cette zone, seul un nombre déterminé de camions est autorisé à passer tous les deux à trois jours.

La nouvelle constitution

La nouvelle constitution du Népal tant attendue est entrée en vigueur en septembre. L'Inde a exigé sept amendements pour garantir aux communautés Madhesi et Tharu – qui constituent environ 40 à 50 % de la population du Népal – une bonne représentation. La constitution était censée guérir les blessures du différend entre le peuple des montagnes, qui détient la plus grande part du pouvoir politique du Népal, et le peuple des plaines, les Madhesis, qui ont en commun des liens ethniques et culturels avec les populations vivant de l'autre côté de la frontière, en Inde. Les Madhesi luttent pour la dignité et l'inclusion, et veulent être des citoyens népalais comme les autres.

Pendant des années, l'establishment ‘montagnard’ politiquement fort du Népal s'est méfié des Madhesis comme d'une cinquième colonne, aux côtés de l'Inde contre les intérêts du Népal.

Les inquiétudes de l'Inde

La nouvelle constitution définit la nation majoritairement hindoue comme une république laïque, fédération de sept provinces. Elle est restée en chantier plus de dix ans. Les minorités ethniques Madhesis et Tharu se sont mises à protester parce que les frontières proposées des nouvelles provinces pourraient causer leur marginalisation politique. L'Inde est préoccupée par la possibilité que ces protestations pourraient générer des violences, susceptibles de faire tache d'huile sur son propre territoire.

Prashant Jha dans Hindustan Times explique pourquoi l'enjeu est grand pour l'Inde :

 Un processus de paix a été conçu et signé à New Delhi il y a exactement dix ans, à la fin de 2005. L'Inde a été un acteur important durant une bonne partie du processus au Népal – depuis l'encouragement des élections de l'Assemblée constituante, la médiation entre le gouvernement et les protestataires Madhesi dans le passé pour conclure des pactes, la participation aux manœuvres de formation du gouvernement, et plus encore. De ceci, certains faits étaient légitimes et certains étaient excessifs. Mais étant donné la profondeur de l'engagement de l'Inde dans le processus, elle ne peut pas s'en laver les mains à ce point culminant, alors que le processus lui-même est au bord de l'écroulement.

Est-ce que le Népal est en train d'être puni ? 

Mais les Népalais ont réagi fermement contre l'immixtion de l'Inde dans leur constitution, et certains d'entre eux théorisent que l'Inde est en train de punir l'Etat enclavé pour cela. Le blogueur Shiromani Dhungana écrit:

Dans ce pays enclavé, sans ouverture à la mer, la plupart des importations du Népal arrivent par l'Inde. Bien que les lois internationales donnent aux pays enclavés le droit de libre passage vers la mer, l'Inde n'a jamais été critiquée par la communauté internationale pour le fait qu'elle est en train de mettre un pays entier, un pays de 28 millions de personnes, sous “respiration artificielle”.

En bloquant le Népal, l'Inde soutient un groupe de protestataires au Ferai, au centre du pays. Le blocus a causé des souffrances massives dans tout le pays. L'économie est détruite et pourrait prendre des années à se relever. Des emplois ont été perdus, les investisseurs se sont retirés, les grands projets d'infrastructure et de développement ont été durement touchés et déprogrammés, et l'éducation de millions d'enfants a été perturbée. Les industries ont fermé à cause du manque de sécurité et d'approvisionnement en matières premières. Les programmes de vaccination ont aussi été perturbés. Cela montre le degré de la souffrance qui touche le Népal à cause du blocus inhumain par l'Inde.

In BhatBatheni, Kathmandu, people queue for Kerasine. Two months after the gas, petrol and medicine shortages started people are still queuing for Kerasine and other fuels necessary for daily life in Kathmandu. Image by Samuel Duggan. Copyright Demotix (29/11/2015)

À BhatBatheni, à Kathmandu, des gens font la queue pour du kérosène. Image par Samuel Duggan. Copyright Demotix (29/11/2015)

Le séisme

Le pays est encore en train de récupérer du séisme dévastateur d'avril qui a tué 9 000 personnes et fait plus de 23 000 blessés. Dans de nombreuses localités, des millions de personnes sont sans abri, avec des villages entiers rasés. Le tremblement de terre a eu des effets d'entraînement sur un très grand nombre d'éléments apparemment sans rapport : traite d'humains, coûts et disponibilité de la main-d'œuvre, fardeau des loyers et de la propriété, urbanisation, fardeau de la dette privée et publique, santé mentale, politique, tourisme, en plus des maladies et des infrastructures de santé publique. Les glissements de terrain causés par le séisme ont détruit les seules autres voies d'approvisionnement par la Chine, laissant le Népal dépendant des importations venant de l'Inde.

Dés le 1er mai 2015, les agences d'aide internationales comme Médecins Sans Frontières et la Croix Rouge ont été capables de commencer à évacuer médicalement les blessés graves par hélicoptère hors des régions reculées qui étaient coupées de la capitale Kathmandu, et à traiter les autres dans des installations mobiles de fortune.

A pregnant woman in labour is evacuated by MSF teams conducting medical clinics in the districts of Sindhupalchowk, Dhading, Rasuwa and Dolaka in Nepal.  Image by © Emma Pedley/MSF . Used with permission

Une femme enceinte en travail est évacuée par les équipes de MSF qui font des consultations médicales dans les localités de Sindhupalchowk, Dhawding, Rasuwa et Dolaka au Népal. Image par © Rmma Pedley/MSF. Utilisée avec permission

Sept mois après le séisme qui a causé de lourds dégâts au Népal, les équipes de MSF et de la Croix Rouge sont encore en train de travailler dans le pays pour gérer la situation après la catastrophe. Iris Leung de MSF Hong-Kong raconte sa visite au Centre de réhabilitation des blessures du rachis à Sanga, à une heure de voiture de Khatmandu :

Quand j'ai vu Biraj, il était dans son fauteuil roulant, luttant pour monter la pente puis s'élancer vers le bas comme si c'était un manège. Il a recommencé plusieurs fois – c'était un fauteuil roulant manuel à trois roues, ce qui veut dire qu'il était en train d'utiliser ses puissants biceps pour se pousser dans la montée.

J'ai commencé à me demander où Biraj pourra aller quand il sera sorti du centre. Le Népal n'est pas un pays où l'on peut circuler en fauteuil roulant, donc il ne sera plus possible pour lui de se déplacer aussi facilement qu'il en avait l'habitude, sans parler de trouver un emploi pour gagner sa vie. En réfléchissant au nombre des obstacles qu'il aurait à surmonter, j'étais submergée par un sentiment de désespoir.

[…] Puis il m'a dit: “J'ai des pensées négatives. Mais si tout le monde devient positif, je trouverais de l'énergie pour rester positif.”

Pénurie de médicaments et de nourriture

MSF va remettre en décembre ses activités aux mains des hôpitaux locaux, mais il y a une sévère crise de médicaments et de nourriture à cause du blocus ; l'ONU a lancé un avertissement : des millions de personnes sont en danger au Népal, où les gens dépensent en moyenne 60% de leurs revenus disponibles pour l'alimentation. Les prix de la nourriture ont terriblement augmenté suite à la diminution de l'approvisionnement. On ignore comment des patients comme Biraj pourront retrouver une vie normale avec le blocus en cours.

Après 6 heures à chercher dans les pharmacies à #Khatmandu, finalement trouvé médicaments pour parent. #IndeBlocusNepal

Tactique de la pression : Yubhan Tamang cuisine quotidiennement sur feu de bois pour 300 patients à l'hôpital de Bir @gopenR #IndeBlocusNepal

Le blogueur expatrié Daniel and Becky a décrit les pénuries dans la vie de tout les jours :

Beaucoup de gens manquent à présent de gaz de cuisine, alors ils sont en train de cuisiner sur des feux de bois – l'air est notoirement plus suffocant.
L'essence est désormais vendue en quantités très limitées. Le peu qu'on en trouve est distribué prioritairement aux écoles, hôpitaux, bus, et administrations.
Les rayons des commerces semblent clairsemés, puisque toutes les marchandises importées commencent à s'épuiser. L'électricité est erratique parce que ceux qui peuvent se la payer ont acheté des appareils à induction électrique et autres choses semblables pour la cuisson et surchargeant plus encore le système. À partir de demain [27/12/2015] nos coupures électriques régulièrement programmées vont augmenter à 8 et 9 heures par jour suite à l'augmentation de la consommation d'énergie. Ceci bien que la pénurie de carburant ait amené un certain nombre d'entreprises à fermer, réduisant un peu la consommation d'énergie électrique ; donc cela pourrait être pire.

Le blogueur Shiromani Dhungana écrit aussi que les déplacés du séisme vivent des moments très difficiles en conséquence du blocus :

De nombreuses victimes du séisme sont mortes à cause du froid. A cause du blocus, les victimes du séisme ne peuvent pas acheter nourriture, carburant, et matériaux de construction pour construire des abris. Ils sont obligés de dormir à l'extérieur. Un hiver rigoureux dans les montages est en train de dégrader leur condition. […]  Les organisations humanitaires ne peuvent opérer sous les conditions d'un tel manque de l'essentiel.

Le peuple du Népal ne peut  pas supporter davantage, c'est l'avertissement lancé par des utilisateurs de Twitter :

Les queues pour le carburant à #Kathmandu sont absolument épouvantables. Les Derniers Jours #IndeBlocusNepal #Nepal

#IndeBlocusNepal crée #crise au #Nepal @MaryamNSharif @sheikhhasina @ashrafghani @18thsaarc @PM_Nepal

Kunda Dixit dans un blog du Nepali Times a mis en cause l'incompétence du gouvernement, dont il a affirmé qu'il est en train d'ignorer la souffrance de plus de 2 millions de survivants du séisme cet hiver :

Tout le pays est en train de souffrir du blocus, mais la situation critique des survivants du séisme sans-abris est doublement périlleuse. Cependant un État insouciant est béatement oublieux de leur situation.

Connaissez-vous l'histoire de la première députée noire du Brésil ?

lundi 4 janvier 2016 à 07:33
Extrait du documentaire "Antonieta" (2015). Publié avec l'autorisation, Magnolia Produções

Extrait du documentaire “Antonieta” (2015). Publié avec l'autorisation, Magnolia Produções

Petite fille, Antonieta de Barros gambadait dans la pension de sa mère en essayant d'apprendre les lettres de l'alphabet. En se faufilant parmi les élèves, tout comme sa soeur Leonor, elle a appris à lire et à écrire. Antonieta ne pouvait imaginer que l'étude de l'alphabet la mettait sur le chemin pour devenir la première femme noire législatrice dans l'histoire du Brésil. On était en 1934 et l'esclavage avait été aboli moins de 50 ans auparavant [fr].

Peu de gens connaissent l'histoire d'Antonieta ou même savent qui elle était. À Florianopolis, la capitale de l'Etat de Santa Catarina au sud du Brésil, des rues, des écoles et des tunnels portent son nom. Il y a même un monument qui lui est dédié. Cependant, comme beaucoup d'autres noms sur les plaques des rues, pour de nombreux citoyens, c'est juste une adresse – quelque chose que la cinéaste Flávia Person a décidé de changer.

Née à São Paulo, Flávia a vécu à Florianópolis pendant sept ans. Elle a découvert Antonieta lors d'une recherche sur l'histoire du peuple noir de Santa Catarina, l'Etat brésilien avec la plus faible proportion de cette population: seulement 15% des catarinenses se déclarent noirs ou partiellement noirs. Lors des élections de 2014, il a été le seul Etat à ne pas avoir élu une seule personne noire. Pourtant, c'est là que 82 ans auparavant, une femme noire a pris ses fonctions après avoir été élue par un vote populaire.

La cinéaste Flavia Person a été fascinée, comme elle l'a dit à Global Voices :

Fazer um filme sobre a Antonieta me pareceu urgente. Depois que descobri que ela foi professora, diretora do instituto de educação, cronista dos jornais mais importantes do estado, a primeira mulher a ser eleita deputada em SC e primeira negra no Brasil, e mesmo assim, nem os nativos de Florianópolis conhecem bem a história dela, pensei que era o momento de fazer um filme e propagar a história dela para o máximo de pessoas possível.

Faire un film sur Antonieta me semblait urgent. Après avoir découvert qu'elle a été enseignante, directrice d'un institut de formation, chroniqueuse pour l'un des journaux les plus importants de l'Etat, la première femme à être élue à Santa Catarina et la première femme noire à être élue dans tout le Brésil, et malgré cela, personne parmi les natifs de Florianópolis ne savait grand-chose sur elle, j'ai pensé que c'était le moment de faire un film sur son histoire pour la révéler à autant de personnes que possible.

Son court métrage documentaire est sorti en octobre, après une année de recherches. Pour réaliser le documentaire “Antonieta”, Flávia a fouillé dans les thèses académiques et les archives publiques, mais elle a été sauvée par les documents personnels, sans aucune image, d'un parent d'Antonieta.

Signé, Maria ‘de l'île “

Florianópolis, capitale de l'Etat de Santa Catarina, au moment de l'enfance de Antonieta. Publiée avec l'autorisation de Magnolia Produções / Traitement par Yannet Briggiler

Florianópolis, capitale de l'Etat de Santa Catarina, lors de l'enfance d'Antonieta. Photo publiée avec l'autorisation de Magnolia Produções / Traitement par Yannet Briggiler

La mère d'Antonieta, une esclave affranchie, devenue veuve très tôt, a dû élever ses filles toute seule en travaillant comme blanchisseuse. Mme Catarina a toujours considéré l'éducation comme l'héritage le plus précieux qu'elle pouvait laisser à ses filles. Elle a fini par élever deux enseignantes. A 21 ans, Antonieta avait déjà fondé sa propre école, l'”Antonieta de Barros Tutorat Cours”, dédié à les adultes analphabètes et pauvres. Pour elle, “l'analphabétisme est ce qui empêche les gens d'être des personnes“. Flávia ajoute :

Antonieta fez da educação sua luta de vida. Ela acreditava na educação como único caminho possível para a emancipação feminina e dos pobres. Ela sempre defendeu a educação para todos, independente de raça, credo ou sexo.

Antonieta a fait de l'éducation le combat de sa vie. Elle croyait en l'éducation comme la seule voie possible pour l'émancipation des pauvres et des femmes. Elle a toujours préconisé l'éducation pour tous, sans distinction de race, de croyance ou de sexe.

L'écriture était un autre moyen à travers lequel Antonieta s'est taillé une place dans la société. Comme l'a noté la journaliste Ângela Bastos dans un portrait d'Antonieta publié en 2013, elle tenait une rubrique sous le pseudonyme de Maria da Ilha (Maria “de l'île”), pour la défense des droits civils des femmes – à un moment où presque personne ne le faisait au Brésil, surtout hors de Rio de Janeiro et de São Paulo :

A sensibilidade de Maria da Ilha derramava-se em textos variados sobre educação, civilidade, religiosidade, virtudes morais, éticas e cívicas. Abordava também questões relacionadas às relações de gênero e à vida política e social dos anos 30, no Brasil e no mundo.

Maria da Ilha avait une sensibilité pour différents sujets comme l'éducation, la civilité, la religiosité, les vertus morales, éthiques et civiques. Elle aimait aussi aborder les questions des relations entre les sexes ainsi que la vie politique et sociale des années 1930 au Brésil et dans le monde.

Les Brésiliennes n'ont officiellement obtenu le droit de vote qu'en 1932 [fr]. Deux ans plus tard, Antonieta, qui avait occupé des postes de haut niveau et débattu à égalité avec des hommes et des intellectuels, allait devenir l'une des premières femmes élues députées, remportant un siège dans l'assemblée de l'État (dans la même année, le médecin Carlota Pereira de Queiroz [fr], qui était blanche, a été élu députée fédérale de l'Etat de São Paulo).

Antonieta savait que la marginalisation des femmes dans le monde politique “n'était pas due à la nature”, mais elle savait que c'était le cas dans d'autres domaines aussi. Comme l'explique Flavia :

A Antonieta sempre teve um viés político. Logo que se formou, ela fez parte da Liga do Magistério, entidade que defendia os direitos das professoras. Eu descobri que, até meados da década de 30, as professoras do ensino público eram proibidas de contratar casamento, havia uma lei que impedia. A justificativa era que as crianças poderiam fazer indagações indevidas sobre a sexualidade das professoras.

Antonieta a toujours été active politiquement. Après avoir obtenu son diplôme, elle a fait partie de la Ligue de l'enseignement, une organisation qui défendait les droits des enseignants de sexe féminin. J'ai découvert que, jusqu'au milieu des années 1930, dans les écoles publiques, il était interdit aux enseignantes de se marier ; il y avait une loi qui leur interdisait de le faire. La justification était que les enfants pouvaient poser des questions inappropriées sur la sexualité de leurs enseignants.

Une députée moderne

Antonieta avec un groupe de politiciens et d'intellectuels de son temps. Publié avec l'autorisation de Magnolia Produções / Traitement par Yannet Briggiler

Antonieta avec un groupe de politiciens et d'intellectuels de son temps. Publié avec l'autorisation de Magnolia Produções / Traitement par Yannet Briggiler

Antonieta a réussi en politique avec l'aide de Nereu Ramos [fr] du Parti libéral de Santa Catarina, qui allait devenir le 20e président du Brésil. La mère d'Antonieta avait travaillé dans la maison de son père, Vidal Ramos, homme politique lui aussi, et entretenait de bonnes relations avec la famille. Flávia explique :

O partido, sentindo a mudança de pensamento da década de 30 e querendo imprimir uma ideia moderna, viu na Antonieta, já muito respeitada pela elite por causa de seu trabalho na educação, uma oportunidade. Com certeza, ela deve ter enfrentado preconceito tanto pela cor quanto pelo gênero. Na década de 30, ainda havia discussões sobre a pré-disposição biológica da mulher que a impediria de assumir cargos públicos. Na época, apenas o trabalho de professora e outros relacionados à vida doméstica eram aceitos socialmente.

Le parti, sentant que la société était en train de changer dans les années 1930, et voulant afficher une image de modernité, a vu une opportunité en Antonieta, déjà très respectée par l'élite en raison de son travail dans l'éducation. Certes, elle a dû affronter les préjugés en raison de sa couleur de peau et à cause de son sexe. Dans les années 1930, il y avait encore des discussions sur les prédispositions biologiques des femmes, qui les prétendaient incapables d'occuper des fonctions publiques. A cette époque, socialement on les acceptait seulement dans les fonctions liées à l'enseignement et à la vie familiale.

L'école créée par Antonieta a continué à fonctionner pendant près de 10 ans après sa mort. Et les débats qu'elle a introduits dans l'assemblée de l'Etat sont toujours pertinents. Pour Flávia Person, cela montre comment l'histoire oublie souvent les femmes, même quand elles en sont des protagonistes.

Le nom de la première députée noire survit d'autres manières encore. Dans l'Etat de Santa Catarina, un groupe d'enseignantes noires débattent de l'éducation, de l'égalité et de la politique publique sur une page Facebook intitulée “Autres Antonietas”. Cette année, le ministère de la promotion des politiques sociales pour l'égalité raciale du gouvernement fédéral a lancé le prix Antonieta de Barros pour distinguer de jeunes communicants noirs.

Quand on lui demande ce que penserait Antonieta du Brésil d'aujourd'hui, où les gouverneurs combattent les étudiants qui demandent plus d'écoles, où les femmes sont encore minoritaires dans la vie politique et voient leurs droits menacés au Congrès, mais aussi où le débat entre les sexes est en plein essor, Flávia répond :

Certamente ela também estaria gritando “Fora Cunha”.

C'est sûr qu'elle aurait elle aussi crié Fora Cunha [“Cunha, dehors”; Eduardo Cunha est le président de la Chambre des députés, la chambre basse du Congrès du Brésil]

Pour plus d'informations sur le documentaire “Antonieta”, consultez la page officielle du film (en portugais).

Japon : “le Café de Monk”, une oreille attentive pour les victimes du tsunami

dimanche 3 janvier 2016 à 21:06
Taio Kaneta with his signature "Cafe de Monk" truck that he uses for his pop-up cafes. As a Buddhist monk, Kaneta wanted to offer something special to those still reeling from the triple disaster of earthquake, tsunami and nuclear meltdown. Credit: Naomi Gingold. Used with PRI's permission

Taio Kaneta près du fameux véhicule de son entreprise”Cafe de Monk”, En tant que moine bouddhiste, Kaneta souhaite offrir un plus à ceux qui ne se sont toujours pas remis de la catastrophe.

Cet article et le reportage radio de Naomi Gingold pour The World ont été publiés à l'origine sur PRI.org le 23 octobre 2015, il est republié ici dans le cadre d'un accord sur un partage de contenu.

La vie de centaines de milliers de personnes a basculé au Japon en mars 2011 lorsque le triple désastre d'un tremblement de terre suivi d'un tsunami puis d'un accident nucléaire a frappé le Japon.

Listen to this story on PRI.org »

Kaneta est un moine bouddhiste : aujourd'hui nous roulons vers une des résidences temporaires installées après le désastre. Au Japon, les moines bouddhistes s'occupent des funérailles et viennent en aide aux affligés. Après le désastre, lui et les autres religieux ont été accablés par la quantité de personnes touchées et la difficulté de prendre soin de tant de gens ayant tout perdu.

Taio Kaneta m'explique que des rescapés sont en état de choc. “Ils ont perdu la capacité de sentir, de ressentir des émotions. C'était comme si leur cœur avait été congelé jusqu'au point de ne même pas pouvoir pleurer”.

Kaneta raconte qu'il a commencé comme volontaire pour la distribution des repas, mais il s'est bientôt dit que n'importe qui pouvait faire ça, que pouvait-il faire de plus en tant que moine bouddhiste ?

La réponse n'était pas simple. Kaneta s'aperçut que les personnes venant des zones touchées par le désastre ne souffraient pas toutes de la même façon. Ils avaient des valeurs et des religions différentes et d'ailleurs beaucoup de Japonais sont laïques, assez méfiants vis à vis de tout ce qui ressemble à une religion.

“Alors je me suis dit, tu vas improviser comme dans le jazz : à la base, la musique est toujours la même, mais tu vas danser en t'adaptant à leur rythme”.

Kaneta, qui  évidemment est aussi musicien, a voulu créer un lieu où les émotions pourraient commencer à se ‘décongeler’. Alors, ce moine charismatique s'est mis à circuler dans cette zone avec une cafétéria roulante improvisée qu'il a baptisé “Café de Monk”.

En réalité ce nom a une triple signification :

- Monk signifie moine en anglais et Kaneta est un moine bouddhiste

- Monku en Japonais signifie “se plaindre” ; ici, c'est le soulagement, l'épanchement auprès des moines qui partageront la peine.

- Enfin, Monk, c'est évidemment le fameux jazzman Thélonius Monk dont Taio Kaneta joue la musique.

At Cafe de Monk, coffee, cake, and a sympathetic ear. Credit: Naomi Gingold. Used with PRI's permission

Au café de Monk, un café, des gateaux et une oreille compatissante.  Photo: Naomi Gingold, utilisée avec autorisation de PRI.

Aujourd'hui, le Café de Monk est installé dans une résidence temporaire de Yokohama dans la préfecture de Miyagi. Trois autres jeunes moines sont arrivés, quelques fois arrivent aussi des fidèles d'autre religions ou croyances. Tout est informel mais il y a quelques règles de base. Tout d'abord, la religion n'est pas sur le tapis. Kaneta déclare qu'il n'est pas ici pour faire une prédication.

“Bien au contraire, notre travail est d'écouter” affirme-t-il.  “Nous faisons sortir la souffrance, la tristesse, la joie, nous écoutons, en vérité”.

“Ce type d'attention et de soin à leurs émotions et à leur histoire est le premier pas nécessaire pour qu'ils soient capables de se remettre sur pied”.

Ceux qui viennent à la cafétéria mangent des biscuits et boivent du café. Il y a aussi des  ateliers de thérapie artistique et des massages. On peut enfiler des perles pour faire des bracelets qui sont en réalité des chapelets boudhistes mais personne n'en parle et ça n'a pas d'importance.

Par bien des aspects, tout cela semble très banal : sortir, boire un café. Mais c'est cela l'idée de base, ce qui manquait, c'est cette sensation de normalité dans leurs vies.

La majorité des résidents de la résidence temporaire installée à Yokoyama viennent de Minami-Sanriku, un village de la côte Est du Japon qui a été en grande partie détruit par le tsunami.

Alentours, le paysage montagneux est très beau, mais la vie dans ces résidences temporaires n'est pas facile. Elles n'ont jamais été  conçues comme des résidences définitives, elles ne retiennent pas bien la chaleur ou la fraicheur, on peut entendre le moindre bruit venant du voisin, les gens s'y sentent comme dans un sas, ils tentent de découvrir comment continuer à aller de l'avant.

En fin de journée, Kaneta se rend dans la maison d'une des habituées de la cafetería, Eiko Oyama, pour parler et prier devant l'autel bouddhiste installé pour sa petite fille de 2 ans, morte d'une fièvre subite peu après son arrivé ici.

Oyama nous dit que parfois ils se réunissent dans la salle commune, mais que le café de Monk est complètement différent.

“ Quand on ouvre le Café de Monk, il y a beaucoup de gens qui viennent, on peut ouvrir notre cœur aux autres, et les moines sont de très bons auditeurs”.

Levi McLaughlin, professeur-assistant à l'université de l'état de Caroline du Nord et qui étudie le bouddhisme au Japon, signale que la visite à la cafétéria ne porte pas la charge de stigmatisation que pourrait porter une thérapie classique ou l'aide gouvernementale.

Et bien que ce ne soit pas dans un cadre religieux, Kaneta ajoute que la cafétéria “propose les compétences professionnelles des moines pour prendre soin des défunts et proposer des commémorations ou autres services qu'un thérapeute officiel ne pourrait mener à bien”.

Levi McLaughlin soutient également que, tout en évoluant avec un profil bas sous un éclairage boudhiste, Kanata et ses acolytes traversent librement les frontières entre croyances et religions, pour faire ce qui est nécessaire pour venir en aide aux personnes.

Sur le chemin du retour vers son temple de Yokoyama, je demande à Kaneta s'il lui arrive parfois d'être fatigué. Il a en effet pris en charge toutes les cafétérias de la région presque chaque semaine ces quatre dernières années. Il se met à rire puis répond : “Evidemment que je me fatigue, mais on ne peut rien faire pour ça”.

Il ajoute tout de même que parfois il est complètement épuisé autant physiquement qu'émotionnellement.

Il y a un an, il n'était pas sûr de pouvoir continuer. Mais il a commencé à fréquenter plus les bains thermaux pour se relaxer et quand il en a le temps il joue sur sa guitare du jazz et des chansons des Beatles.

Il me dit tout d'un coup qu'il a un enregistrement récent à l'arrière de sa voiture et quand nous arrivons au temple, il me donne un CD.

Les Australiens se passionnent pour la floraison d'une fleur étrange

dimanche 3 janvier 2016 à 19:29
Corpse Flower Team

Félicitations à l'équipe du jardin botanique de Monty Lofty pour leur succès ! Photo Tom Chladek, reproduite avec autorisation

Une fleur étrange, surnommée ‘la fleur-cadavre’ a fleuri dans un jardin botanique de l'Etat de l'Australie du sud, le Mount Lofty Botanic Garden. Connue pour sa taille gigantesque, son apparence étrange et…sa puanteur, il s'agit d'un spécimen d'arum Titan (Amorphophallus titanum). La plante est originaire de l'île de Sumatra, où son nom commun est bibunga bangkai, ce qui signifie la plante-charogne ou la fleur-cadavre.

En dépit de son odeur répugnante, des milliers d'Australiens ont patienté en faisant la queue pour voir sa brève floraison. Elle peut ne se reproduire que dans sept ans. La nouvelle s'est rapidement répandue :

Des milliers de personnes font la queue pour voir une fleur qui sent la mort.

Même la police s'en est mêlée :

Avertissement aux automobilistes, beaucoup de  circulation autour de Piccadilly car les visiteurs arrivent en masse pour voir Stinkyflower (la fleur qui pue).

Natalie Whiting a fait une petite vidéo de la foule de curieux:

Les médias anglais, dont le Telegraph et BBC News, se sont emparés de la nouvelle :

Des milliers de visiteurs font la queue pour voir la fleur à l'odeur de cadavre qui fleurit tous les 1000 jours.

Tom Chladek, photographe du jardin botannique (@botgardenssa), était ravi de l'attention. :

Can't believe the attention this is getting. @botanicgardenssa #titanarum

A photo posted by Tom Chladek (@chladey) on

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Je ne parviens pas à croire à l'intérêt que tout ça soulève.

Malheureusement, le deuxième jour de visite a été annulé en raison des feux de brousse, fréquent durant l'été austral :

Le jardin botanique sera fermé le mercredi 30 décembre en raison d'un risque “élevé” de feux de brousse. Plus d'informations sur le site.