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Treize sujets interdits (ou fortement découragés) au Tadjikistan

lundi 11 décembre 2017 à 22:01

Le Tadjikistan en rouge. Carte adaptée de Asia laea location map.svg (par Uwe Dedering). CC 3.0.

Ancien membre de l'ex-Union soviétique, le Tadjikistan a récemment développé une réputation de pays qui aime les interdictions. Bien que certaines semblent liées aux craintes du gouvernement envers l'extrémisme religieux, d'autres sont plus difficiles à interpréter.

1. Plus de Nouvel An, s'il vous plaît. Ce n'est pas (enfin, plus) l'URSS.

Les personnages de l'hiver Ded Moroz et Snégourotchka sur la Place Lénine à Voronej, en Russie. Photographie de Shallin. CC 3.0.

La première interdiction de cette liste date de fin 2015. Le Tadjikistan a alors interdit Noël, la plus importante fête de l’ère communiste, dans les écoles et les universités. Bien entendu, les familles tadjikes ont toujours le droit de célébrer Noël chez elles, bien qu'il existe également des restrictions sur les fêtes privées (voir plus bas). On leur conseille donc de le faire modestement.

2. Plus de fête pour Halloween ou Holi. Ce n'est ni l'Amérique, ni l'Inde, ici.

Des Indiens profitent du festival de Holi. Photographie de pashminu. CC0.

D’après Eurasianet.org :

On May 15 [2016] police aggressively dispersed a gathering of young people celebrating the Hindi fesitival of Holi in Dushanbe on the grounds that the event was haram — not in compliance with Muslim customs. What particularly aggrieved the public was the level of physical violence used against the underage children.

Still, as the saying goes, when God closes a door, he opens a window.

Tajiks now have other days on which they can freely celebrate. There is the newly created President’s Day, on November 16, Flag Day on November 24 and then National Language Day on October 5, which happens to fall on President Emomali Rahmon’s birthday.

Le 15 mai [2016], la police a agressivement dispersé un rassemblement de jeunes gens qui célébraient le festival hindou de Holi à Douchanbé, sous prétexte que cet événement est haram (non conforme aux coutumes musulmanes). Le public a été particulièrement mécontent du niveau de violence physique exercé à l'encontre de jeunes enfants.

Cependant, comme le dit le proverbe, quand Dieu ferme une porte, il ouvre une fenêtre.

Les Tadjiks peuvent maintenant librement faire la fête à d'autres occasions. Il y a le nouveau Jour du Président, le 16 novembre, le Jour du Drapeau le 24 novembre et la Journée de la Langue Nationale le 5 octobre, qui tombe également le jour de l'anniversaire du Président Emomali Rahmon.

En fait, très peu de Tadjiks fêtent Holi. Mais la répression sur le festival en 2016 a fait suite à des détentions, en 2013 et 2014, de gens déguisés en goules ou en vampires pour Halloween. De façon ironique, les autorités ont invoqué l'islam pour réprimer les célébrations, alors qu'elles ne l'apprécient pas forcément non plus (voir plus bas).

Quelle occasion les autorités acceptent-elles vraiment ? La réponse est simple : Norouz. Norouz marque l'équinoxe du printemps mais est suffisamment païen pour ne pas contribuer à la religiosité croissante de ce pays laïque à la population majoritairement musulmane. Norouz sert également à mettre en valeur l'héritage perse du Tadjikistan.

3. Plus de fête d'anniversaire hors de chez vous. De toute façon, vous savez bien que vous n'en avez pas les moyens.

Gâteau d'anniversaire par Will Clayton. Téléchargé sur Flickr, CC 2.0.

Si vous êtes assez courageux pour fêter votre anniversaire dans un café ou un restaurant, gardez un peu de liquide pour l'amende que vous allez recevoir.

Amirbek Isayev a retenu la leçon à ses dépens quand il a reçu une amende équivalente à 500 euros (une somme très importante au Tadjikistan) pour avoir apporté un gâteau d'anniversaire dans un bar de Douchanbé. Le parquet a ouvert un litige contre Isayev quand une photo le montrant dans le bar avec son gâteau a été publiée sur Facebook. S'il avait célébré son anniversaire avec un steak, il y aurait probablement échappé.

4. Interdiction de fêter la fin de votre scolarité. La vraie vie va maintenant commencer et croyez-nous, c'est bien pire.

Photographie de fin d'études par Sean McGrath, CC 2.0.

Rabats-joie ? C'est sûr. Les célébrations de fin d'études, une autre grande tradition soviétique, ont été bannies en 2016. Les autorités ne se sont jamais vraiment expliquées, mais il est possible qu'elles aient eu deux cibles en tête : la tradition, entre professeurs et étudiants, de s'offrir des cadeaux, ainsi que le désordre causé par les fêtards ivres dans la capitale Douchanbé. La remise des diplômes est désormais bien plus morne.

5. Plus de mariages somptueux…

Les mariages sont eux aussi bien plus modestes grâce à la loi sur les célébrations, toujours plus restrictive (celle-là même sous le coup de laquelle Amirbek Isayev est tombé). Les derniers amendements, passés en 2007, sont les plus restrictifs à ce jour et le gouvernement continue à inciter le public à moins dépenser pour les grands événements de la vie.

Un extrait d'un article de RFE/RL publié en septembre 2017 donne une idée de ce qui arrive aux familles en infraction :

Final preparations were in full swing at Zaidullo Khudoyorov's home in southern Tajikistan as the family got ready to celebrate the marriage of his eldest daughter.

Just hours before the party, however, a group of local officials raided the house and confiscated most of the food the family had prepared for the banquet.

The officials deemed the quantities of food “wasteful” and in violation of a newly amended Tajik law that regulates and limits how much families spend on weddings, funerals, and all other private functions.

“We managed to prevent a lawbreaking in the village,” said Kholmurod Ibrohimov, an official who took part in the August 26 raid, in Dahana, on the outskirts of the city of Kulob.

“During the raid, we established that the family prepared a wasteful amount of food, such as special flatbreads and halva for the banquet at the bridegroom's house,” Ibrohimov said on September 18, after reports of the seizure emerged. “We seized the food and handed it over to the Kulob psychiatric hospital.”

Ibrohimov also pointed out that the cost of the food was incompatible with the “impoverished” family's income.

Chez Zaidullo Khudoyorov, dans le sud du Tadjikistan, les préparations battaient leur plein alors que la famille s’apprêtait à célébrer le mariage de leur fille aînée.

Cependant, quelques heures avant la cérémonie, un groupe de fonctionnaires locaux a fait une descente chez eux et a confisqué presque toute la nourriture préparée pour le banquet.

Ces fonctionnaires ont estimé que la quantité de nourriture était “du gaspillage” et violait la loi tadjike tout juste amendée qui régule et limite le montant que les familles peuvent dépenser pour leurs mariages, funérailles et autres occasions privées.

“Nous avons réussi à empêcher une infraction à la loi dans le village”, a expliqué Kholmurod Ibrohimov, l'un des fonctionnaires qui a pris part à la descente du 26 août à Dahana, dans la banlieue de Kulob.

“Lors de cette descente, nous avons établi que la famille avait préparé bien trop de nourriture, comme des galettes spéciales et du halva pour le banquet chez le futur marié”, a-t-il affirmé le 18 septembre, après que la nouvelle de la saisie a été diffusée. “Nous avons saisi la nourriture et l'avons remise à l’hôpital psychiatrique de Kulob.”

Ibrohimov a également remarqué que le coût de la nourriture en question était incompatible avec les revenus de cette “pauvre” famille.

6. … Ni de funérailles aux pleurs bruyants.

Les funérailles de l'Inca Atahualpa par Luis Montero, 1867.

Incroyable mais vrai : cette interdiction est entrée en vigueur en septembre 2017. Lisez-en un compte-rendu… et pleurez.

7. Pas de vêtements “étrangers”. Faites dans le national.

Pour décourager les femmes de porter le hidjab musulman, le Tadjikistan a passé une loi qui encourage les citoyens à porter des vêtements traditionnels.

En septembre, plusieurs médias occidentaux ont parlé de l'interdiction du voile par le Tadjikistan, bien que la loi ne le fasse pas nommément. À la place, elle appelle à la protection des vêtements traditionnels, ou “nationaux”, contre leurs concurrents “étrangers”. Dans tous les cas, maintenant que le gouvernement sévit contre les tenues courantes au Moyen-Orient et dans l'Afghanistan voisin, la vie est devenue plus difficile pour les femmes voilées.

En plus d'une interdiction de porter le voile dans les institutions de l'éducation nationale, certaines villes se voient interdites d'en vendre, et des cas de femmes voilées refusées dans des hôpitaux nationaux ont été rapportés. Les femmes tadjikes peuvent toujours couvrir leur tête, et sont souvent encouragées à le faire, mais pas leur menton. Le style de la photographie ci-dessous est convenable :

Original image from Atlas of Beauty. Viral image shared by rise.gr.

Photographie originale d'Atlas of Beauty. Image virale partagée par rise.gr.

8. Cachez cette jambe…

Meme shared on Vk.com

Mème partagé sur Vk.com

Comme nous l'avons signalé plus haut, il est impossible de cerner la culture des interdictions gouvernementales au Tadjikistan. Bien que les tenues du Moyen-Orient traversent une période difficile, celles qui dévoilent trop de peau ne sont pas en meilleure posture.

En fait, en 2016, il était aussi difficile de porter un short dans un bâtiment du gouvernement au Tadjikistan qu'en Arabie Saoudite. Les jupes courtes sont interdites à l'école depuis longtemps et sont officiellement découragées en public.

Puisque nous venons de voir ce à quoi ressemble une femme tadjike correctement habillée, voici ci-dessus un exemple d'un homme convenablement vêtu.

9. Non aux barbes

Ce T-shirt de Topatcoo serait probablement banni au Tadjikistan.

Les barbes longues sont sur le départ. Encore une fois, aucune loi ne les bannit spécifiquement mais les religieux, qui donnent le ton en termes de pilosité dans le pays, ont reçu pour instruction de ne pas laisser pousser leur barbe au-delà de trois centimètres. De plus, la police a apparemment reçu carte blanche pour raser de force des milliers d'hommes barbus. Dans un article populaire d'un blog cité par Global Voices en 2015, le blogueur Rustam Gulov s'était plaint d'avoir été rasé de force :

They came for me too… Today, three policemen took me to Khujand police station and shaved my beard forcedly. This country does not have a future!

Ils sont venus me chercher aussi… Aujourd'hui, trois policiers m'ont emmené au poste de police de Khujand et m'ont rasé la barbe de force. Ce pays n'a pas d'avenir !

10. Pas de noms étrangers ni drôles pour les enfants

L'ancien président des États-Unis Barack Obama et l'ancienne première dame Michelle Obama posent avec Emomali Rahmon de la République de Tadjikistan pendant une réception au Metropolitan Museum de New York, le 23 septembre 2009. (Photographie officielle de la Maison Blanche par Lawrence Jackson). CC 2.0. Bien que “Emomali” figure sans aucun doute sur le registre des noms tadjiks, Michelle et Barack n'y sont probablement pas.

Cette loi concerne les citoyens appartenant au groupe ethnique tadjik. Depuis 2016, les citoyens tadjiks sont obligés de choisir les prénoms de leurs enfants dans un registre officiel. Celui-ci exclut en particulier des prénoms arabes populaires, bien que les officiels aient affirmé que cette loi vise aussi à empêcher que les enfants portent des noms d'objets de la vie courante, comme “serpillière”. D'après Open Asia, qui, en 2017, a créé son propre questionnaire sur les sujets interdits ou non au Tadjikistan, le prénom “John” serait également hors limite pour les locuteurs de tadjik.

11. C'est aussi valable pour les restaurants, même s'ils sont étrangers

Comment appelle-t-on Prêt A Manger en tadjik ? Image de Zhangyang. CC 2.0

Pensez-vous ouvrir un restaurant italien à Douchanbé ? Ne le nommez pas Bella Italia ou quelque chose de similaire, car la loi sur la langue stipule que les restaurants doivent porter des noms tadjiks. En pratique, ce n'est pas toujours le cas. Mais Open Asia note qu'un restaurant indien appelé Salaam Namaste est tombé sous le coup de cette loi et a dû payer une amende de presque 85 euros.

12. Plus de boxe, combats en cage ou autres sports violents à cause de l'EI

Floyd Mayweather et Connor McGregor en train d'en découdre. Arrêt sur image de Vimeo.com.

Douchanbé ne va probablement pas accueillir Connor McGregor de sitôt. En 2017, le Ministère des sports et de la culture du Tadjikistan a interdit la boxe professionnelle ainsi que plusieurs courants d'arts martiaux. Dans un reportage sur l'interdiction proposée en septembre, l'AFP écrit :

Tajikistan's sports committee said Wednesday it is seeking to ban professional boxing and several types of martial arts in the impoverished ex-Soviet nation over concerns they promote violence and extremism.

The committee said in a statement the ban was being proposed “taking into account the (need to) prevent violence, and prevent the lowering of honour and dignity in sport.”

Le comité des sports du Tadjikistan a déclaré mercredi qu'il cherche un moyen d'interdire la boxe professionnelle et plusieurs sortes d'arts martiaux dans la nation appauvrie de l'ex-URSS, par inquiétude qu'ils fassent la promotion de la violence et de l’extrémisme.

La déclaration du comité explique que l'interdiction a été proposée “en tenant compte du besoin de prévenir la violence et l'abaissement de l'honneur et de la dignité dans le sport.”

Depuis, cette interdiction est entrée en vigueur et les autorités essaient à la place d’introduire le “gushtingiri”, un art martial national. Des recherches ont indiqué que les sports violents sont populaires parmi les recrues du groupe de l'État Islamique. Les autorités tadjikes, elles, affirment que plus d'un millier de citoyens a rejoint les rangs de groupes extrémistes en Irak et en Syrie.

13. Enfin, pas de drones : l'Afghanistan est juste à côté.

Membres de Global Voices venus de 60 pays et photographiés par un drone. Photographie reproduite avec l'aimable autorisation de @ka_bino et PR Works. Au Tadjikistan, prendre cette photo en 2015 aurait été légal, mais interdit un an plus tard.

Après avoir lu tout ce qui précède, vous pensez probablement que le Tadjikistan n'est pas un endroit qui permet aux gens de faire voler des objets contrôlés à distance sans motif valable. Vous auriez raison.

D'après un législateur du parlement tadjik, les amendements au code aérien du pays “ont eu pour but d'empêcher des vols de véhicules aériens sans pilote (contrôlés) par des organisations terroristes et des trafiquants de drogues”.

L'Afrique s'inquiète des récentes décisions controversées de Trump en politique étrangère

lundi 11 décembre 2017 à 15:33

 

La Mosqué de al-Aqsa par Andrew Shiva CC BY-SA 4.0

Le président des Etats-Unis Trump a annoncé que les USA reconnaissent dorénavant Jérusalem comme la capitale de l'Etat d'Israël. Cette décision controversée a fait réagir de nombreux pays inquiets des conséquences de cette proclamation et le continent africain n'est pas en reste. L'Union Africaine a réagit par un communiqué, questionnant la justesse de la décision de Washington et réaffirmant la solidarité des pays africains avec le peuple palestinien. De même, l'Egypte et le Sénégal ont saisi le conseil de sécurité des Nations Unies pour faire part de leurs inquiétudes sur les conséquences de cette décision.

Des manifestations en solidarité avec la Palestine ont été organisé en Egypte, en Tunisie et au Maroc.

Karim Ben Said, auteur pour le quotidien La Presse à Tunis, rapporte ainsi que de nombreuses manifestations se sont produites dans toute la Tunisie:

Trump donne aujourd’hui l’occasion aux peuples arabes et musulmans de reprendre conscience de l’enjeu d’une telle décision. Par ces manœuvres, le président des Etats-Unis prône implicitement l’expulsion des Palestiniens de leurs terres et réveille en conséquence la rage des peuples arabes. En témoigne la mobilisation spontanée, hier, de centaines de jeunes étudiants et lycéens sur la principale avenue de Tunis, l’Avenue Habib-Bourguiba.. Les manifestations hostiles à la décision de Donald Trump et de son Administration ont également eu lieu dans plusieurs autres gouvernorats de la Tunisie. Dans toutes les villes, ce sont les jeunes qui se sont mobilisés plus que les adultes. Les mêmes scènes se sont répétées à Sidi Bouzid, à Tozeur, à Kébili, à Gafsa et dans d’autres régions de la Tunisie. Dans toutes ces manifestations, le drapeau palestinien a été l’invité d’honneur et hissé à bout de bras.

En Mauritanie, Dia Cheikh Tidiane, directeur de publication du Rénovateur quotidien, peine à comprendre cette décision:

C'est le comportement très peu diplomatique d’un homme dont la vision et la politique sont faussées par une méconnaissance totale du monde extérieur. Une ignorance qui explique le fait qu’il souffle sur les braises du vieux conflit du Moyen-Orient

En afrique sub-saharienne aussi, l'imcompréhension reigne.  De nombreux observateurs se posent la question du bien fondé de cette décision et de son impact sur la stabilité du moyen-orient.  Hugues Richard Sama, éditorialiste dans le quotidien burkinabè L'Observateur  se demande quel est le rationel derrière cette proclamation: 

Au nom de la paix, Trump doit partir avant de commettre des dégâts plus désastreux. Il y a comme une forme de folie et d'irresponsabilité chez le chef de l'exécutif américain dont on se demande parfois s'il maîtrise les enjeux internationaux. Quand bien même les États-Unis auraient toujours soutenu leur protégé israélien, ils l'ont toujours fait avec une dose d'intelligence, de realpolitik. Et voici que ce septuagénaire aux cheveux peroxydés sorti d'on ne sait quelle planète, parachuté de sa Trump Tower dont il n'aurait jamais dû descendre, vient de briser un tabou et de rompre un consensus qui, même fragile, avait au moins le mérite d'exister 

Le Sénégal est un des pays à avoir réagi officiellement à l'annonce de Trump. Historiquement, le Sénégal a toujours été solidaire de la cause palestinienne. Ainsi,  un collectif Solidarité Sénégal Palestine existe depuis quelques décennies pour affirmer leur préférence à une solution à deux Etats dans la région. Madieye Mbodj est coordinateur de ce collectif et il condamne fermement la décision du président Trump.

Si nous laissons Donald Trump violer des résolutions internationales, qui dénonçaient justement la colonisation israélienne, y compris l’occupation de Jérusalem, nous pensons que ce serait une grave violation des droits du peuple palestinien, mais surtout, une incitation à la guerre.

Enfin, au Kenya, le Dr Monda, professeur de sciences politiques, tente d'évaluer les raisons et les conséquences de ce choix:

The decision only plays into the hands of right-wing elements in the Likud-led coalition in Israel. While Mr Trump could have his eye on strengthening his base and expanding his allies in the American Jewish community in America in the run-up to the 2020 presidential election, this move could backfire because of his proclivity to abruptly shift positions on major topical issues. It also puts US allies like Kenya in a precarious position.

I wish he had read another American president’s thoughts on foreign policy.

Thomas Jefferson’s thinking is epitomised in this quote: “A spirit of justice and friendly accommodation is our duty and our interest to cultivate with all nations”.

Cette décision fait le jeu  des éléments de la coalition conservatrice menée par le Likoud en Israël. M. Trump cherche sans doute à renforcer sa base électorale et à élargir ses alliés dans la communauté juive américaine en Amérique à l'approche de l'élection présidentielle de 2020. Cependant,  cette initiative pourrait se retourner contre lui parce qu'il a tendance à changer brusquement de position sur des questions d'actualité. Cela met également les alliés américains comme le Kenya dans une position précaire. J'aurais aimé que Trump se rappelle les réflexions d'un autre président américain sur la politique étrangère, Thomas Jefferson qui est résumée dans cette citation: “Un esprit de justice et de consensus à l'amiable est de notre devoir et aussi dans notre intérêt et devrait être encouragé avec toutes les nations”.

Le régulateur nucléaire russe tente d'éteindre les soupçons de fuites radioactives avec un mème

dimanche 10 décembre 2017 à 17:07

Image de cartographie satellitaire montrant l'installation nucléaire de Mayak, la ville fermée d'Ozyorsk/Ozersk (Tcheliabinsk-65), divers lacs de barrage, ainsi que la centrale nucléaire du Sud-Oural. D'après une capture d'écran de NASA World Wind (couche visuelle de Landsat Global Mosaic), couleurs corrigées // Crédit: NASA, Jan Rieke

Après des semaines de déni, les autorités russes ont fini par reconnaître que le nuage radioactif détecté au-dessus de l'Europe en septembre provenait du complexe industriel russe de Mayak, qui possède tout un passé de contamination aux déchets radioactifs des zones et populations environnantes.

Elles ne sont pourtant pas allées jusqu'à désigner cette installation comme l'origine du nuage, qui se caractérisait par la présence de ruthénium-106, un isotope inexistant dans la nature. Pour dissiper encore davantage l'idée que le ruthénium-106 provenait de Mayak, tout en insistant sur son innocuité, Rosatom (le régulateur étatique russe de l'industrie nucléaire) a publié un mème sur sa page Facebook, en faisant jouer à l'isotope lui-même le rôle du conciliateur (“Qu'est-ce que je vous ai fait ? Je suis pourtant gentil !” dit le morceau de ruthénium sur l'image).

Voici le texte :

Маленького любой может обидеть!

Столько глупостей и истерики вокруг рутения-106. Узнали, что он сам думает об этой ситуации ;-)

“Я не простой металл, из платиновой группы. В природе не встречаюсь. Я настолько полезный, что меня специально делают очень умные люди по всему миру. Говорят, я появляюсь, если происходят аварии на АЭС или на заводах по переработке ядерного топлива, но это неправда 😥

В чистом виде в России меня производят только в г. Димитровград Ульяновской области в научном центре “ГНЦ НИИАР”. Это очень непростой процесс. Получить меня сложно, потому что я не являюсь побочным продуктом при наработке других изотопов или при любом другом технологическом процессе. После производства меня в виде раствора в безопасной упаковке отправляют в Германию, США или г. Обнинск Калужской области в научный центр “ГНЦ РФ-ФЭИ”. Пока еще никто не жаловался, чтобы меня плохо доставили или что-то произошло с упаковкой 😎

Я не жалуюсь, просто не понимаю, почему обо мне так плохо все говорят. В Обнинске и за границей другие умные люди из меня делают офтальмологические аппликаторы. Я возвращаю людям зрение! Меня очень ждут, например, в Москве в МНТК “Микрохирургия глаза”.

Говорят, недавно я появлялся одновременно в разных местах от Нормандии до Урала… Пока меня в Обнинске делают штучно, под заказ. Меня очень мало, в год не больше 10 штук. Может, это мои близнецы?! 🤔 Их у меня много. Есть и заграничные родственники, есть и очень известные личности – летают в космосе подолгу. Некоторых из них я даже не знаю, они секретные. Но, поверьте, все они очень полезные и никогда не приносили людям вреда”.

Tout le monde peut s'en prendre à plus petit que soi !
Il y a eu tellement de bêtises et d'hystérie autour du ruthénium-106. Nous avons trouvé ce que lui-même en pense ;-)
“Je ne suis pas un vulgaire métal, je suis de la famille du platine. On ne me trouve pas dans la nature. Je suis si utile que des gens intelligents du monde entier me font spécialement. On dit que j'apparais quand il y a un accident dans une centrale nucléaire ou dans les usines de retraitement de combustibles nucléaires usagés, mais ce n'est pas vrai 😥
On ne me produit en Russie sous ma forme pure que dans le centre de recherche GNT NIIAR de Dimitrovgrad dans l'oblast d'Oulianovsk. C'est un processus très complexe. Je suis difficile à obtenir, parce que je ne suis pas un sous-produit de la production d'autres isotopes ou d'un quelconque autre processus technologique. Après fabrication, on m'expédie sous forme de solution en emballage sécurisé vers l'Allemagne, les USA et d'autres pays, ou au Centre de recherche du GNT RF-FEI d'Obninsk dans l'Oblast de Kalouga. Jusqu'à présent personne ne s'est plaint de problèmes de livraison ou d'emballage 😎.
Je ne me plains pas, c'est juste que je ne comprends pas pourquoi on dit tant de mal de moi. A Obinsk et à l'étranger, d'autres gens intelligents m'utilisent pour faire des applicateurs ophtalmologiques. Je redonne la vue aux gens !  Je suis très attendu, par exemple, au complexe scientifique de Micro-chirurgie oculaire de Moscou.
On dit que je suis récemment apparu en même temps à différents endroits de la Normandie à l'Oural…Pour le moment, on me fait en quantité sur commande, à Obninsk. Je suis plutôt rare, peut-être dix pièces par an. Ce sont peut-être mes jumeaux ?! J'en ai plein. J'ai des cousins à l'étranger, et même quelques très célèbres, qui ont volé longtemps dans l'espace. 🤔 Il y en a certains que je ne connais même pas, ils sont secrets. Mais croyez-moi, ils sont tous très utiles et ne font de mal à personne.”

Le mème semble être tombé à plat. Un commentaire populaire sur Facebook constate :

“Personne ne fait de reproches au ruthénium, ni même au ruthénium-106. C'est à Rosatom qu'on reproche des informations contradictoires et des plaisanteries comme celle-ci au lieu d'une enquête sérieuse sur l'accident”.

Après quoi Rosatom redirigeait les lecteurs vers sa réponse “sérieuse” déclarant que toutes les installations nucléaires russes fonctionnaient et continuaient à fonctionner normalement.

Quelques jours plus tôt, Rosatom proposaitt une visite organisée des installations de Mayak, invitant journalistes et blogueurs à s'inscrire pour visiter le site et s'informer sur l'existence de fuites supposées de ruthénium. Le 28 novembre, Rosatom annonçait avoir admis seulement 17 postulants, un mélange de journalistes russes et étrangers, à cause de contraintes d'espace à l'usine.

Un utilisateur de Facebook a fait remarquer que faute de spécialistes invités, la vérification serait impossible. Rosatom a répondu que son objectif était d'expliquer la physique nucléaire à ceux qui n'en avaient pas de notions. Mais beaucoup ont commencé à douter que la visite guidée aurait même lieu.

Et de fait, le 29 novembre, la visite de presse a bien été annulée, mais Rosatom a réfuté les accusations:

L'information de Tchéliabinsk Aujourd'hui est inexacte. La visite annoncée du site aura lieu dans les jours qui viennent. Nous travaillons aussi à une suivante, pour les ressortissants étrangers, car il faut plus de temps pour l'organiser.

La visite de presse promise ne s'est cependant pas encore concrétisée, et les incursions de Rosatom dans l'art du mème n'ont guère réussi à calmer les rumeurs.

Les Afghans rejettent l'interdiction de WhatsApp et font céder le gouvernement

samedi 9 décembre 2017 à 14:46

Photographie issue de Max Pixel. Domaine public CC0.

En Afghanistan, une interdiction avortée de deux applications populaires de messagerie a mis en lumière à la fois les inquiétudes sécuritaires du gouvernement et l'influence croissante des utilisateurs d'Internet parmi les 35 millions d'habitants du pays.

Dans une communication officielle du 1er novembre, le Ministère de l'Information et de la technologie a ordonné aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) de bloquer WhatsApp et Telegram, tous deux bien implantés en Afghanistan grâce à l'augmentation de la connexion à l'Internet mobile.

Le 2 novembre, l'une des principales entreprises d'état de télécommunications a bloqué ces deux applications. Les critiques, essentiellement sur Facebook, se sont fait entendre de plus en plus fort. Quelques jours plus tard, les deux plus hauts responsables du pays, le président Ashraf Ghani et le Chef de l'exécutif Abdullah Abdullah, se rencontraient et infirmaient l'interdiction.

Interdire WhatsApp mettrait-il vraiment les Afghans en sécurité ?

La lettre du Ministère appelait à une période de vingt jours pour tester l'interdiction sans délai, mais n'a pas donné de raison à cette action. Le directeur adjoint de l'Autorité de régulation des télécommunications, un département du Ministère de l'Information et de la technologie, a affirmé à la BBC que la suspension était motivée par “des raisons de sécurité”.

Ces dernières années, le gouvernement afghan a été submergé par une insurrection armée qui est devenue encore plus violente quand ses principaux groupes, dont les Talibans, se sont divisés en factions rivales.

Les Talibans utiliseraient WhatsApp et Telegram pour leurs systèmes de cryptage de bout en bout, mais ils ne seraient pas les seuls. En juillet 2017 Facebook (la maison mère de WhatsApp) a compté plus d'un milliard d'utilisateurs quotidiens de l'application.

Le nombre d'utilisateurs de WhatsApp en Afghanistan est inconnu, mais l'application est populaire dans les villes où la connexion à l'Internet mobile est relativement fiable, comme Kaboul, Mazar-e-Sharif, Herat, Kandahar et Jalalabad. Les Talibans maintiennent une présence près de ces cinq villes, et des groupes ayant prêté allégeance au groupe État islamique (EI) sont actifs dans la région de Jalalabad.

Parmi les quelques six millions d'utilisateurs des médias sociaux du pays, l'interdiction fut perçue comme une censure plutôt qu'une précaution sécuritaire, ainsi qu'une menace implicite envers la ressource en ligne encore plus précieuse qu'est Facebook.

Le journaliste Habib Khan a ainsi protesté contre l'interdiction :

‪Say NO to government censorship!
Blocking What's App & Telegram is just the beginning of government's censorship. If it's not resisted, soon the gov't will block Facebook, Twitter and other social media and messaging platforms.
Such bans contradict democratic values and norms and compromise on the citizens’ freedom.

Dites NON à la censure du gouvernement !
Bloquer WhatsApp & Telegram n'est que le début de la censure du gouvernement. Si on ne s'y oppose pas, le gouvernement bloquera bientôt Facebook, Twitter et les autres médias sociaux et les plate-formes de messagerie.
De telles interdictions sont en contradiction avec les valeurs et les normes démocratiques et compromettent la liberté des citoyens.

Le contributeur à Global Voices Maisam Iltaf s'interroge sur la période de vingt jours :

Je me demande, quel est ce 20 magique derrière cette interdiction ridicule ?

Parwiz Kawa, qui publie le quotidien le plus important du pays, Hasht e Subh Daily, explique à la BBC que l'Afghanistan était un pays ouvert :

The public reaction – including our own front page – is to resist. We can’t tolerate any ban on social media or any censorship… If the Taliban or others are using these services, find out who is using them, don’t ban them- that’s very sensitive at this stage of Afghanistan’s development.

La réaction du public, dont notre une, est de résister. Nous ne pouvons tolérer aucune interdiction sur les médias sociaux, ni aucune censure… Si les Talibans ou d'autres utilisent ces services, trouvez de qui il s'agit, ne les [les applications] interdisez pas – c'est très important à ce stade du développement de l'Afghanistan.

Mukhtar Wafayee, un célèbre journaliste d'investigation, a posé un ultimatum au président afghan Ashraf Ghani :

حک می‌کنیم.
صف حاکمان مستبد باید مشخص باشد. اگر فرمان مسدود ساختن تلگرام و واتساپ پس گرفته نشده و از مسدود شدن صفحات مشخص شده‌ی فیسبوک جلوگیری نشود، نام اشرف غنی نیز در کنار دیکتاتورهای سرکوبگری همچون علی خامنه‌یی، رجب طیب اردوغان، رابرت موگابه، پوتین، کیم جونگ اون، بشار اسد، شاه عربستان و ده‌ها تن دیگر از دشمنان آزادی بیان اضافه می‌شود.

… cet ordre doit être immédiatement retiré, ou nous ajouterons le nom de Ghani à la suite de ceux de dictateurs comme Poutine, Bashar Assad, Kim Jong Un et bien d'autres.

Marche arrière

La décision fut annulée peu après ce tollé général. Le bureau du président Ashraf Ghani a publié un communiqué de presse enjouée, soulignant la garantie de liberté d'expression donnée par la constitution.

“Le Gouvernement d'Unité nationale se considère responsable [de la liberté d'expression]… Le gouvernement n'autorisera aucun organe ou institution à imposer une interdiction sur les outils liés à la liberté d'expression.”

Le Président Ashraf Ghani et le Chef de l'exécutif Abdullah se sont rencontrés aujourd'hui et ont décidé qu'il n'y aurait aucune interdiction de WhatsApp et Telegram en Afghanistan.

Ce n'est pas la première fois que le gouvernement afghan fait preuve de nervosité à propos des outils de communication de masse.

En 2014, les FAI avaient apparemment ignoré une requête du gouvernement de bloquer Facebook pendant une dispute électorale prolongée. Le gouvernement avait soutenu que des comptes Facebook ajoutaient aux tensions politiques en publiant du contenu provocateur. Les utilisateurs afghans avaient dénoncé cette tentative de blocage.

Tisser à travers la mémoire et l'oubli avec Hayv Kahraman

samedi 9 décembre 2017 à 11:50

L'artiste irakienne Hayv Kahraman. Image fournie par ses soins.

La famille d'Hayv Kahraman a fui l'Irak et la Guerre du Golfe lorsqu'elle avait onze ans, une mince valise pour seul bagage. Sa mère y avait glissé un mahaffa parmi les objets de première nécessité, un éventail à main irakien tissé à l'aide de frondes de palmiers. Il a accompagné Kahraman durant son périple entre le Moyen-Orient et l'Europe, jusqu'à décorer son nouveau cocon familial actuel en Suède. “Le Mahaffa est un objet nomade à mes yeux car c'est quelque chose qui me ramène dans le passé,” m'explique Kahraman lors de sa dernière exposition, Re-weaving Migrant Inscriptions*, à la Jackson Shainman Gallery de Manhattan. “Une vie différente qui n'existe plus désormais.”

Comme pour ses précédentes expositions —How Iraqi Are You** (2015) et Let the Guest be the Master*** (2013)— le récent travail de Kahraman s'apparente à une magistrale exploration des questions d'identité, de luttes personnelles et de la conscience humaine. Pour ‘Re-weaving Migrant Inscriptions’, elle a cependant décidé d'embrasser de nouvelles méthodes pour incorporer des objets transportant des pans entiers d'histoire au sein de ses créations. Cette dernière exposition révèle également l'évolution de l'artiste dans son expression des images et des souvenirs qui hantent les réfugiés vivant en Occident.

“Kachakchi” ( NdT : Un Kachakchi est un passeur pour immigrés clandestins ) – huile sur lin tirée de sa collection How Iraqi Are You?. Image issue de http://www.hayvkahraman.com/ . Utilisation autorisée.

Inspirée par les miniatures japonaises et persanes d'antan, la mise en scène par Kahraman de corps féminins dans des poses variées peut être vue comme une célébration de la féminité, de la libération et de la mémoire. Cette représentation multidimensionnelle et sophistiquée de diverses perspectives complexes, associée à une palette de couleurs vives mais apaisantes, donne une finition lisse à sa méthode de narration. La récente réalisation de Kahraman n'est pas juste touchante, elle provoque également des pensées et des sentiments qui perdurent dans l'esprit de n'importe qui, peu importe leur origine.

A travers des peintures émotionnellement puissantes et toujours esthétiques, la dernière exposition de Hayv Kahraman a transporté son art dans le domaine de l'excellence quant à l'expression de certaines questions cruciales de notre époque.

Omid Memarian (OM) : Pourquoi avez-vous décidé de nommer votre exposition : Re-Weaving Migrant Inscriptions ?

Hayv Kahraman (HK) : Je pense que l'ensemble de ces œuvres est centré autour de l'idée de la mémoire et de sa façon d'influencer les migrants et les membres de la diaspora, comme vous et moi. Quand je suis arrivée avec cette façon de découper le lin, tout paraissait très intuitif. Je ne pensais pas au mahaffa à l'époque. Je perçais juste la surface. Et le processus était très cathartique.

“Mnemonic artifact” (NdT : Artefact Mnémotechnique) est l'une des œuvres de Re-Weaving Migrant Inscriptions. Image fournie par l'artiste.

OM : Le mélange du mahaffa et de votre art s'intègre bien aux corps et aux âmes de vos peintures.

HK : C'était un challenge. J'ai parlé à beaucoup de conservateurs avant de faire cela car j'avais tellement de problèmes avec le projet. Parce que quand vous découpez le lin, il tend à se cambrer alors que je voulais m'assurer qu'il soit parfaitement plat. Comment répéter les coupes, maintenir la surface plate, tout ça afin de maintenir l'intégrité de la structure ? J'ai fait beaucoup de tests. Comme vous pouvez le voir, j'ai deux essais qui sont suspendus. Dans deux des travaux, j'ai tissé des frondes de palmier de Californie. Et j'ai découvert l'autre jour, ou peut-être est-ce un fait notoire que je ne connaissais pas, que la Californie a importé les graines de palmier depuis l'Irak et le Moyen-Orient. C'était un parallèle très intéressant pour moi.

OM : Dans votre exposition actuelle, vous mettez l'accent sur les différents modèles et les diverses formes du mahaffa. C'est l'un des objets que votre famille a mis dans votre bagage lorsque vous avez quitté l'Irak. Il me semble qu'en l'incorporant dans votre travail, vous injectez quelque chose du passé pour le rendre éternel.

HK : Exactement, je pense que c'est le but de tout ce processus. En tant qu'artiste j'ai archivé ces souvenirs que je sens disparaître et d'une certaine façon, ces souvenirs sont censés définir qui je suis. C'est aussi vraiment compliqué car au fond, qui suis-je vraiment ? Je ne suis pas Irakienne. Je le suis, mais je ne le suis pas. Je ne suis pas Américaine, mais je vis ici. Je ne suis pas Suédoise mais j'ai un passeport suédois. Donc c'est vraiment difficile. Le mahaffa symbolise cette idée de déplacement en moi. C'était l'époque où ma biographie, mon identité, fut interrompue : quand j'ai fui. Je ne suis plus cette personne. Je suis quelqu'un d'autre. Donc, si je devais lui appliquer un mot au mahaffa, ce serait “déplacement”.

OM : Comment transmettez-vous la relation nostalgique entre « choses » et « objets » qui attachent les migrants à leur passé et à leurs racines ?

HK : Le langage serait l'un des moyens. La calligraphie est un levier par lequel vous pouvez accéder à la langue ou à la perte de cette dernière ; oublier sa langue maternelle, la récupérer et essayer de créer une connexion avec elle. Parce que je ne parle plus l'arabe et que je n'ai pas de famille ici aux États-Unis. J'ai une fille, mais elle est née ici. Je pense que la notion principale est cette idée de perte, le traumatisme de cette perte et que le fait de se manifester à travers une peinture matérialise cette lutte. Pour ma part, dans mon studio et à titre personnel, comment est-ce que je fais pour y parvenir ? Avec cette technique de découper le lin, le tisser et puis le relier à un objet réel comme le mahaffa

Cette réalisation illustre le ‘tissage’ de matériaux qui est introduit par Kahraman dans son œuvre.

OM : La chevelure féminine à une forte présence dans votre travail. Qu'est-ce que cela symbolise pour vous ?

HK : Vous le savez sans doute mieux que quiconque, c'est une chose tellement controversée, surtout au Moyen-Orient. Vous aimez votre pilosité et tous les sentiments qui y sont associés. Les femmes étant sans poils et n'étant pas une arabe poilue, c'était donc naturel pour moi de travailler avec les cheveux. Je n'ai pas nécessairement pensé à ce que cela représentait. C'était très intuitif. Après coup et maintenant que j'y pense, c'est parce que c'est une chose tellement contestée dans ma culture et dans le monde.

OM : Les images de corps et de visages féminins défigurés dans votre travail sont très puissantes pour décrire les expériences des femmes. Comment se structure votre réflexion pour définir et dessiner des corps féminins ?

HK : Tout commence en posant avec mon propre corps ; je pose dans différentes positions dans mon studio. Les positions se transforment alors en esquisses qui deviennent enfin des peintures. Il y a toujours une sorte de performance qui se produit.

Elles [les femmes] font toujours quelque chose sur le lin, elles accomplissent quelque chose. Pour cette exposition, je voulais vraiment laisser le contrôle…C'est l'origine de leur naissance…

OM : Vous avez parlé de la connexion qui lie ces corps à un “voyage douloureux”. Quel est le secret derrière toutes ces différentes positions ?

HK : C'est drôle car j'ai commencé à peindre lorsque j'étais à Florence en Italie. J'étais vraiment dans ce genre de peinture de la Renaissance, j'allais dans les musées et faisais des copies puis je l'ai senti, j'ai su que c'était ce que je poursuivais. C'est là qu’elle est née. C'est à ce moment que j'ai commencé à la peindre. Tout venait de cet espace colonisé. Un lieu où quelqu'un qui était brun, pensait que ces personnages blancs étaient tout ce à quoi je voulais aspirer, peindre, pour réussir. Quand je les regarde aujourd'hui, ça me rappelle cela. C'est pourquoi elles ont cette chair blanche. Et c'est pourquoi je suis en dialogue constant avec elles, ou du moins je me sens comme si c'était le cas.
Étant née pendant la guerre Iran-Irak, j'ai vécu la première Guerre du Golfe comme un douloureux voyage. Ce sont des cicatrices permanentes sur votre corps. Vous portez ces souvenirs. Cela ressort clairement dans mon travail et j'y fais face tous les jours. C'est comme si vous étiez dans ce mode de stress post-traumatique et que vous essayiez de comprendre comment faire pour survivre.

Femmes qui se promènent, portant des écharpes à la texture de mahaffa. Œuvre issue de Re-Weaving Migrant Inscriptions.

OM : Il existe dans votre travail une très étroite relation entre les visages possédant une myriade de détails et les miniatures persanes. Toutefois, les couleurs des visages sont plus distinctes et vivantes. Tout d'abord, comment décrivez-vous ou comprenez-vous la sexualité et la féminité dans les miniatures persanes, et pourquoi utiliser cette forme d'expression ?

HK : C'est une très bonne question car le visage est la partie la plus sympathique à peindre. La miniature persane est définitivement une inspiration en ce qui concerne le jeu de couleur. De mon côté, quand se pose la question du corps et de l'expression du visage, je me sens plus proche du Maqamat Al-Hariri [manuscrit arabe du 13ème siècle]. Dans le Maqamat, vous n'avez pas les beaux arrière-plans élaborés qui se retrouvent dans les miniatures persanes. L'accent est mis sur la figure, le visage et l'expression. C'est de là que je tire mon inspiration en termes de représentation des visages.

OM : Il existe un sentiment de liberté et d'émancipation dans la façon dont les femmes interagissent dans vos peintures, dans la manière de toucher, de se regarder entre elles ou d'observer l'espace. Jusqu'à quel point cela provient-il de votre expérience personnelle ?

HK : Mon précédent travail était ouvertement violent. Il y avait des mutilations génitales féminines, des femmes qui se pendaient, c'était vraiment violent, même si on y était directement confronté de façon didactique. Cela reflète ce que je vivais à ce moment de ma vie et plus particulièrement dans ma relation personnelle. J'étais dans une relation abusive à l'époque. Le travail était un exutoire qui me permettait d'enquêter sur ce que je traversais. Je n'avais pas encore réalisé ce qui se passait alors. C'est la partie insensée. C'était très thérapeutique. Cela a probablement commencé comme une thérapie ou une protestation. Et ce fut bien des années plus tard, quand je suis sortie de cette relation, que j'ai pu regarder derrière moi et dire, c'est pour ça que je faisais ce que je faisais.

OM : Qu'est-ce qui vous connecte à vos racines originelles ?

HK : J'ai du mal avec ça, essayer de trouver ces connexions. Je pense que la seule option soit de retourner au Moyen-Orient, de voyager physiquement là-bas ou d'être avec ma famille. Manger avec mes proches (rires), et bien sûr des activités de recherche.