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Le gouvernement australien projette une exclusion de visa à vie pour les demandeurs d'asile arrivés par mer

mercredi 2 novembre 2016 à 11:08
Asylum Seekers intercepted near Australia

Des demandeurs d'asile sont interceptés à proximité de l'Australie – Capture d'écran de la vidéo “No Way” de 2014 des gardes-côtes australiens

La fracture interne de l'Australie à propos du traitement des demandeurs d'asile arrivant par bateaux a été élargie par la toute dernière idée du gouvernement : le cabinet conservateur de Malcolm Turnbull veut leur infliger une interdiction à vie d'obtenir un visa.

Actuellement, la politique australienne vis-à-vis des demandeurs d'asile arrivés par voie de mer comporte deux branches essentielles : le parcage dans des centres de détention offshore soit à Nauru soit sur l'île de Manus en Papouasie Nouvelle-Guinée, et le refoulement pur et simple. Ceux qui sont détenus et voient leur demande d'asile acceptée ne sont supposés rester dans les centres que jusqu'à l'aboutissement de leur relocalisation dans un pays de la région. Mais le manque de pays convenables pour les y réinstaller a pour effet que de nombreux demandeurs d'asile croupissent pour un temps indéfini dans les centres de détention.

John Lord de The AIM Network (Le Réseau de médias indépendants d'Australie) est de ceux que scandalise l'interdiction de visa à vie :

C'est se moquer du droit international que d'interdire à perpétuité aux réfugiés véritables d'entrer en Australie. C'est ce que j'ai entendu de plus draconien dans toute ma vie. Cela vaut pour tout adulte expédié à Manus ou Nauru depuis juillet 2013.

Cela confirme le fait que notre gouvernement, s'il n'arrive pas à trouver un troisième pays de placement condamnera les gens sur Nauru et Manus à l'incarcération à vie, une peine de mort bien qu'ils n'aient commis aucun crime de toute leur vie. Honte sur mon pays.

De nombreux autres internautes n'ont pas mâché leurs mots non plus. L'avocat Andrew Laird fait sans aucun doute partie des opposants à ce projet :

L'opinion se divise (entre tarés et honnêtes gens) alors que le gouvernement veut l'interdiction à vie de visa [même pour tourisme ou affaires] aux demandeurs d'asile pénétrant en Australie

Les partisans de l'interdiction proposée sont restés plutôt cois sur Twitter. @redpill1811 est une des exceptions :

Content de la nouvelle politique des demandeurs d'asile, qui découragera les migrants illégaux de rechercher les services des trafiquants d'êtres humains

Le parti One Nation de Pauline Hanson s'est attribué le mérite et a récolté une partie du blâme. Il compte quatre membres au Sénat où le gouvernement a besoin des votes de neuf non-inscrits pour faire adopter la loi. PHON est un parti anti-immigration et anti-musulmans.

C'est bien, le gouvernement a l'air de s'inspirer de One Nation. Exactement comme la dernière fois. #politiqueaustralienne #PHON #Nauru #Manus

@Ann1912 compte bien que l'histoire se répète. Hanson a fait un mandat de trois ans à la Chambre des Représentants de 1996 à 1998.

@PaulineHansonOz je souris quand je me rappelle que, exactement comme la dernière fois, vous serez enfin partie !

Mais c'est aux grands partis que d'autres adressent leurs reproches :

Il ne faut pas accuser Pauline Hanson des dernières attaques contre les demandeurs d'asile. Les grands partis descendent ce chemin depuis longtemps.

Il est pourtant douteux que l'opposition travailliste vote la loi nécessaire à l'application de l'interdiction de visa :

[“Bill Shorten rompt le silence, fustige Malcolm Turnbull… “il s'est gagné les louanges de Pauline Hanson, j'espère qu'il en est fier”]

Malcolm Turnbull est dans la poche de Pauline Hanson et HEAR HEAR [oui, oui] à Bill Shorten [leader du parti travailliste] d'interpeller.

Les ex-poids lourds travaillistes Kristina Keneally et Craig Emerson sont manifestement contre l'interdiction :

Alors maintenant nous allons interdire aux réfugiés qui ont trouvé asile dans d'autres pays de même visiter l'Australie ? C'est grotesque. Honteux. Effrayant.

Du même avis, K[ristina] K[eneally]. Demander l'asile n'est pas un crime. Pauline Hanson s'est attribué le mérite. Quelle honte ! Le Parti Libéral approuvé par One Nation.

D'aucuns croient savoir qu'un accord international est dans les tuyaux pour relocaliser les réfugiés parqués sur Nauru et Manus dans un pays tiers, peut-être la Nouvelle-Zélande voire les USA :

La nouvelle législation sur les demandeurs d'asile est-elle un effet d'une transaction imminente avec la NZ ? Je n'imagine pas d'autre raison à ça.

Aux yeux de Gilmore (@JaneTribune) le projet n'est rien d'autre qu'un subterfuge du gouvernement pour détourner l'attention de sa propre faillite :

[Il ne reste qu'une façon de combattre la cruauté illogique de l'Australie… La politique australienne est une cuve de médiocrité crasse, elle ne réagit qu'au pouvoir.]

Moi à @junkeedotcom “La dernière tentative en date de nous distraire de leur impuissance à gouverner est d'un cynisme à chier”

La proposition a reçu l'attention de la presse et des médias sociaux outre-mer :

L'Australie va vers une interdiction d'entrée à vie pour les réfugiés offshore

Nul doute que cette attention s'intensifiera lorsque cette législation fera très prochainement son entrée au parlement.

Adieu à l'Israélien Renen Raz, militant anti-colonies et pro-queer

mardi 1 novembre 2016 à 11:36
Renen Raz devant le "Mur de l'Apartheid." Téléchargé depuis sur Facebook par Ronnie Barkan.

Renen Raz devant le “Mur de l'Apartheid.” Source: Photo téléchargée depuis Facebook par Ronnie Barkan.

“Je suis un peu mal à l'aise avec l'idée que ce sont mes dernières heures sur cette planète, qu'on va me coucher pour dormir, et certains d'entre vous, mes amis, allez me dire adieu, pour la dernière fois.” Ce sont les mots que le militant israélien Renen Raz a écrit à son ami et compagnon de lutte Ronnie Barkan il y a moins d'un an, le 20 décembre 2015. Il était sur le point de subir une opération vitale, et il a décidé de tendre la main aux amis et aux proches, au cas où les choses ne se dérouleraient pas comme prévu. Moins d'un an plus tard, le 24 octobre, Raz est décédé à l'âge de 28 ans.

Raz avait encore plus de choses à dire à ses amis l'année dernière:

Je sais que je n'ai pas réalisé beaucoup de choses au cours de mes 27 ans de vie, mais c'était le mieux que je pouvais faire, en regardant en arrière, je suis fier de moi-même. Si mon dernier souffle est arrivé, je voudrais qu'il puisse apporter plus aux personnes vivant dans une peur constante et qui luttent pour une vie meilleure. Pour elles ainsi que pour leur communauté. Tout comme les animaux et les humains.

Je suis fasciné par la pensée de l'écriture quand je sais que j'accepte un risque […] ce qui pourrait ne pas être la meilleure décision mais [c'est] quelque chose [qui] doit être fait, et je ne peux pas attendre. Assis sur un lit qui n'est pas le mien. En pensant quitter ce monde au-delà du fait que ce n'est pas un endroit où il fait bon vivre. Je suis encore jeune et je peux offrir beaucoup plus à mes quelques amis, et à toutes les activités auxquelles je participe. Que ce soit la la lutte en Palestine, pour l'égalité, la justice, le BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions]. Pour ma vie en tant que LGBT …

Je n'ai jamais été amoureux, ou peut-être seulement dans les derniers temps. Je sentais que je faisais partie de quelque chose, d'une communauté, d'un groupe d'amis, que l'amour me faisait du bien, et nous nous respectons les uns les autres. […]. Mais je me sens fort à l'intérieur de moi, tout comme beaucoup d'autres fois dans ma vie, je suis fort parce que je m'efforce d'être un homme meilleur.

L'histoire de Raz a commencé comme celle d'un garçon qui grandit dans le kibboutz Dorot près de la frontière avec Gaza. Il est devenu plus tard anti-colonies et ouvertement militant gay. Dans une interview [fr] en 2014, Raz a rappelé comment son éducation à Dorot a affecté son combat politique :

Le kibboutz était entouré de cactus, et il y avait des ruines aussi. Des ruines de l’ancien village palestinien qui était là avant qu’Israël ne soit créé et qu’on expulse les Palestiniens. On ne parlait jamais de ça, des Palestiniens qui étaient là avant. Lorsque j’ai découvert pour la première fois ces ruines, on n’a pas répondu à mes questions. J’ai donc cherché par mes propres moyens et j’ai compris que nous occupions un pays, que l’endroit où je vivais se situe sur des terres volées !

Raz était un refuznik, terme historiquement associé aux Juifs soviétiques qui se sont vu refuser la permission d'émigrer en Israël, mais qui l'est maintenant aux Juifs israéliens qui refusent de s'enrôler dans les Forces de défense israéliennes (FDI) pour protester contre son rôle dans l'occupation israélienne. Par exemple, en 2014, un groupe de 43 soldats de Tsahal a écrit une lettre ouverte au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, en disant qu'ils refusaient de “servir” dans les territoires occupés. En 2002, 27 pilotes de réserve ont publié une lettre [fr] déclarant leur refus d'effectuer des sorties aériennes meurtrières à Gaza après que 14 civils, dont des enfants, ont été tués [fr]. Bien que la pratique ne soit pas nouvelle en Israël, elle est rare.

En tant que membre de l'association israélienne “Boycott From Within“, soutenant l'appel palestinien [fr] pour le Boycott, le désinvestissement et des sanctions contre Israël, ainsi que du collectif Anarchistes contre le mur [fr], Raz organisait des “tours de l'apartheid” de sensibilisation à l'occupation. Une fois, il a écrit une lettre ouverte à une compagnie de théâtre qui envisageait de faire une tournée en Israël, en leur disant :

Je vous écris parce que je suis obligé d'agir en solidarité avec mes amis palestiniens, qui vivent sous l'occupation israélienne et l'apartheid. […]

Rappelez-vous que mes amis palestiniens qui vivent sous occupation militaire israélienne ne pourront pas assister à votre spectacle parce qu'ils ne sont pas autorisés à entrer en Israël!

S'il vous plaît ne collaborez pas avec l'oppression et le racisme.

S'il vous plaît ne jouez pas pour l'apartheid.

S'il vous plaît choisissez la justice pour nous tous.

Renen Raz lors d'une manifestation en Israël-Palestine. Photo téléchargée de Facebook par Ronnie Barkan.

Renen Raz lors d'une manifestation en Israël-Palestine. Photo téléchargée de Facebook par Ronnie Barkan.

Raz défendait également les droits des LGBTQ et était au courant des pratiques de pinkwashing (“homo-blanchiment“) [fr]  du gouvernement israélien. Comme l'explique le collectif Queers Undermining Israeli Terrorism (Homosexuels contre le terrorisme israélien) explique [fr]: le “pinkwashing fait partie de la campagne de relations publiques de la marque Israël qui tente de détourner le mouvement gay pour promouvoir le nettoyage ethnique du peuple palestinien.” Ce discours, comme l'explique l'universitaire juive Ashley Bohrer, lesbienne et co-fondatrice du mouvement “Juifs pour la Justice en Palestine” cherche à convaincre les Américains blancs et les Européens que le soutien à Israël est un impératif pour les femmes, les personnes identifiées comme LGBTQ, et leurs alliés.

En avril de cette année, le magazine 972mag a rapporté [fr] l'exemple suivant de pinkwashing:

La communauté LGTBQ en Israël menace d'organiser, cette année, une grande manifestation à la place de la Tel Aviv Pride Parade de renommée internationale. La grave menace est le résultat d'une annonce que le Ministère du Tourisme programmait de budgéter 11 millions de nouveaux shekels (2,9 millions de dollars) pour promouvoir l'événement à l'étranger – 10 fois le budget annuel combiné de toutes les organisations de LGTBQ en Israël.

En janvier de cette année, Raz a tweeté:

Pourquoi la plupart des militants #bds ne sont pas conscients du #pinkwashing de l'#apartheid? Les droits des #lgbt sont des #droitshumains

Le voici parlant de pinkwashing devant BDS Autriche le 11 septembre 2015.

Et ici, il parle de militarisme, d'ultra-nationalisme et d'homophobie :

Dès que la nouvelle de sa mort s'est répandue sur les médias sociaux, les militants israéliens et palestiniens ont exprimé leurs condoléances à ses amis ainsi qu'à sa famille, et célébré son militantisme.

Le collectif israélien, palestinien et international de photographes ActiveStills a publié une déclaration observant que “Renen était engagé dans la lutte contre l'occupation israélienne, assumant un rôle de premier plan dans la campagne Boycott From Within.” Ils ont partagé deux photos de Raz, une de son arrestation par l'armée israélienne lors d'une manifestation contre l'occupation du village cisjordanien de Nabi Saleh en 2011, et l'autre alors qu'il prenait part à la Pride Parade à Jérusalem-Ouest en 2010.

We are deeply saddened by the loss of activist Renen Raz, who passed away today of illness. Our deepest condolences to his family #AATApic.twitter.com/2JOnDEK38L

Nous sommes profondément attristés par la perte du militant Renen Raz, qui est décédé aujourd'hui suite à une maladie. Nos plus sincères condoléances à sa famille

Taoufiq Tahani, Président de l’Association France Palestine Solidarité, le définit comme un :

Militant infatigable, il est rapidement devenu un contact important pour nos missions en Palestine, particulièrement pour le groupe jeunes de l’AFPS.

Mohammed Matter, le fondateur de la Gaza Youth Breaks Out, se souvient affectueusement de Raz :

Renen était un merveilleux anti-colonialiste, anti-fasciste, féministe, végétalien et activiste anti-apartheid, en dépit de la maladie, il ne restait pas en silence et ne cessait de dénoncer les atrocités de l'occupation sioniste. Parmi ses nombreuses autres activités de solidarité, Renen se joignait aussi à plusieurs des nôtres aussi.

Le mouvement “One Democratic State” (un seul État démocratique), qui plaide pour une solution du conflit israélo-palestinien par la création d'un Etat unique, a écrit:

Notre camarade Renen Raz est décédé aujourd'hui après une longue lutte contre une maladie difficile. Son bon cœur se révoltait contre toutes les formes d'injustice et de violence.

Younes Arar, de Hébron, a dit à ses plus de 40.000 fans sur Facebook :

RIP Renen Raz, tu étais un vrai combattant pour la liberté, la paix et la justice, engagé avec amour pour notre juste cause, tu nous manqueras et nous nous souviendrons de toi … Mes sincères condoléances à la famille, 24 octobre 2016.

Haitham Khatib, un photographe indépendant de Ramallah, a fait de même pour ses fans :

René était avant tout un homme gentil et un ami ainsi qu'un militant extraordinaire qui a visité Bil'in plusieurs fois pour soutenir notre lutte pour la liberté palestinienne ! Nous avons eu la chance qu'il nous ait rejoints et nous le gardons dans notre mémoire ainsi que dans nos cœurs ! Sois béni Renen ! Que la paix, l'amour et la joie soient avec toi dans l'au-delà !

Hamde Abu Rahma, un autre photographe de Ramallah, a écrit :

Reposez en paix yaa habibi, comme il avait l'habitude de m'appeler quand nous nous rencontrions avant les manifestations contre l'occupation israélienne.

Yoav Beirach, un militant israélien et membre de Boycott From Within, a écrit :

נשמה יקרה עדינה ומתוקה כל כך
עזב אותנו הבוקר אחרי מאבק ארוך במחלה קשה

Une âme douce et délicate nous a quittés ce matin après une longue bataille avec la maladie

Enfin, la militante des droits humains Dalia VK a écrit une lettre d'adieu pleine d'émotion sur son blog dont voici un extrait :

Rappelle-toi lorsqu'en marchant le long de la plage de Tel-Aviv, tu as sentis mon cœur lourd en regardant la mer et tu m'as dit que cette mer appartenait à tous les Palestiniens et un jour nous serions tous capables de le voir à nouveau ensemble?

Rappelle-toi quand tu m'as dit que ton combat ne cesserait pas tant que la Palestine ne serait pas libre ?
Pour toi, je ne m'arrêterai pas.

A Standing Rock, les manifestants se dressent contre le Dakota Access Pipeline

mardi 1 novembre 2016 à 07:54
rivas-nodapl

Cette image a été prise par Josué Rivas, photographe basé en ce moment à Standing Rock.

Depuis des mois, les Sioux Lakotas se rassemblent pour bloquer une incursion du Dakota Access Pipeline sur leurs terres. Ils se disent les Protecteurs de l'eau, car la construction de l'oléoduc compromettrait la qualité de l'eau potable dans la Réserve sioux de Standing Rock, dans le Dakota du Nord.

Les Lakotas ont été rejoints par plus de deux cents autres tribus ainsi que par des militants du monde entier. En septembre 2016, suite à la destruction de sites sacrés sioux, l'administration Obama a temporairement arrêté les travaux.

Cependant, le 27 octobre, la police anti-émeutes a marché sur les manifestants, utilisant le campement de ceux-ci sur un terrain privé pour justifier leur mouvement.

A l'origine, l'oléoduc devait passer près de Bismarck, dans le Dakota du Nord, mais fut détourné pour traverser les terres des Lakotas. Cet extrait d'un documentaire sur les femmes de Standing Rock résume les enjeux. “Nous luttons encore dans le même conflit depuis le XVIIIe siècle”, affirme l'une des personnes interrogées.

Avant les médias sociaux, nous n'avions pas cette influence

Cet article examine quelques uns des billets publiés et partagés par les gens présents à Standing Rock et ceux qui y sont connectés d'une façon ou d'une autre.

Les médias sociaux ont donné la parole à ceux qu'on aurait autrement fait taire. Parmi ceux qui défendent les droits relatifs à l'eau et à la protection des terres indigènes, beaucoup sont pauvres. Dans ce court film publié sur la BBC, Juliana Brown Eyes explique :

We live in a rural area. We live in an impoverished area. Before social media, we didn't have this kind of pull — you know — in the world.

Nous vivons à la campagne. Nous vivons dans une région pauvre. Avant les médias sociaux, nous n'avions cette influence, vous savez, dans le monde.

Elle a diffusé l'image ci-dessous sur Instagram. Elle s'est rendue à Standing Rock pour protester contre le Dakota Access Pipeline. Elle avait peint ses mains en bleu pour symboliser l'eau.

Oglala Lakota Tribal members Scotti Clifford & Juliana Brown Eyes-Clifford from the band Scatter Their Own have been arrested for protesting against the Dakota Access Pipeline. They have been standing in solidarity with their relatives in Standing Rock SD to protect the sacred water! You can contribute to the Legal Defense Fund for Sacred Stone Spirit Camp. https://fundrazr.com/d19fAf

A photo posted by Juliana Brown Eyes (@julianabrowneyes) on

Les membres de la tribu Oglala Lakota Scotti Clifford et Juliana Brown Eyes-Clifford du groupe Scatter Their Own ont été arrêtés pour avoir manifesté contre le Dakota Access Pipeline. Ils faisaient acte de solidarité avec leurs familles de Standing Rock pour protéger l'eau sacrée ! Vous pouvez participer au Fonds pour la défense légale du camp de Sacred Stone Spirit sur https://fundrazr.com/d19fAf.

 

Enterre mon coeur…

Sur Instagram, schwifty.squanch a publié une image comparant la bataille de Wounded Knee en 1890 et la situation a Standing Rock en 2016. En 1890, au moins 150 Sioux Lakotas ont été massacrés par la cavalerie américaine.

Elle écrit :

The pipeline was supposed to be built north of #Bismarck #NorthDakota but was called off due to the ‘potential danger’ it held for the community. So what'd they decide? ‘Let's put it north of the #Natives. But this is the crazy part it threatens a city but not a small community? Because why? We're expendable?

L’oléoduc devait être construit au nord de Bismarck, mais ça a été annulé à cause du “danger potentiel” qu'il représentait pour la ville. Alors qu'est-ce qu'ils ont décidé ? De le mettre plus au nord, chez les Indiens. Mais c'est de la folie, ça menace une ville mais pas une petite communauté ? Et pourquoi ? On n'est pas importants ?

#nodapl this is not a native Issue it's a human issue this is going on literally less than an hour from where I am it's scary it's heart breaking and unnecessary. What's going on is there is a pipeline attempting to be built that is right north not even a mile north of the #StandingRockSiouxTribe and less than a half mile west of the #MissouriRiver and a mile north or the #CannonballRiver there is the community of #Cannonball directly south of this pipeline. When the pipeline bursts it'll take less than 2 minutes for the people water to be contaminated it'll take an hour and the capital of #SouthDakota and so on and so fourth. The pipeline was supposed to be built north of #Bismarck #NorthDakota but was called off due to the ‘potential danger’ it held for the community. So what'd they decide? ‘Let's put it north of the #Natives. But this is the crazy part it threatens a city but not a small community? Because why? We're expendable? The pipeline shouldn't even be built because if it is moved south of this reservation it's directly above another if it's moved south of there it's directly above a major city if it's moved south of there it's over another rez and so on and so fourth. This is not just #NativeLands we are protecting it's ALL of ours. Anyone who lives in the #greatplains region this is your battle too. #nodapl #WakeUp

A photo posted by B.M.W. (@schwifty.squanch) on

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Sur Facebook, l'auteur Anthony Roberts résume la lutte en de simples termes : “le Pouvoir de l'amour contre l'Amour du pouvoir”.

Peut-on trouver une solution ?

Les dirigeants cheyennes et sioux ont dénoncé le traitement qui leur est réservé auprès du bureau du shérif du comté de Morton, la police de la région.

tribal-chiefs-speak-out-nodapl

Dave Archambault II, chef tribal des Sioux de Standing Rock, a déclaré :

We are being arrested for trespassing on our own land […] All we have is support. All we have is unity. All we have are our prayers. And it's strong. We still have a chance.

On nous arrête pour intrusion sur notre propre terre […] Nous n'avons que du soutien. Nous n'avons que de l'unité. Nous n'avons que nos prières. Et c'est fort. Nous avons encore une chance.

Le rédacteur en chef de Mother Jones Wes Enzinna a communiqué sur ce qu'il appelle un “signe encourageant” : une réunion du shérif du comté de Morton avec les chefs tribaux.

Signe encourageant : le shérif du comté de Morton et les chefs tribaux se rencontrent sur le pont de la route 1806.

Le grand éveil

Après la destruction du camp par les unités anti-émeutes, la musicienne Kelli Love a publié sur Facebook un poème qu'elle a écrit :

I speak to your warrior heart,
Sometimes it is not easy to find compassion and love in the face of violence.
To pray for the men in uniform waging war on my brothers and my sisters…
so I will pray for the great awakening
To fall on every man in all the lands.

Je m'adresse à ton coeur de guerrier,
La compassion et l'amour sont parfois difficiles à trouver face à la violence.
Prier pour les hommes en uniforme alors qu'ils font la guerre à mes frères et à mes soeurs…
Alors je vais prier pour le grand éveil
Qu'il touche chaque homme sur toutes les terres.

Cette histoire est longue et complexe : la lutte pour la protection de l'eau et des terres indigènes remonte à plusieurs générations. C'est une histoire de dégradation de l'environnement et de vols de propriétés qui remonte à bien avant Standing Rock en 2016. C'est une histoire de guerres, de massacres et de traités honorés et rompus. Elle oppose le droit à la culture contre l'endoctrinement culturel. Elle concerne l'intégrité des familles des peuples autochtones. Ce sont toutes ces problématiques, et bien d'autres encore, qui se jouent en ce moment à Standing Rock.

Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte, consultez les quelques liens ci-dessous [en anglais] :

N'hésitez pas à en ajouter d'autres dans les commentaires de cet article.

Manifestations dans tout le Maroc après la mort atroce d'un vendeur de poisson

lundi 31 octobre 2016 à 23:55
Widely used image of Mouhcine Fikri with the two most popular hashtags used on social media "#طحن ـمو" ('crush his mother') and "#كلناـمحسن ـفكري" ('we are all Mohsin Fikri'). Source: SaphirNews.

Image largement diffusée de Mohsin Fikri avec les deux hashtags les plus utilisés sur les réseaux sociaux : “#طحن ـمو” (‘écrase sa mère’) et “#كلناـمحسن ـفكري” (‘nous sommes tous Mohsin Fikri’). Source: SaphirNews.

Mohsin Fikri n'est plus. Samedi 29 octobre, ce vendeur de poisson d'El Hoceima, dans le Rif, la province du Nord marocain, a été écrasé par un camion à ordures alors qu'il tentait de récupérer un espadon — son unique source de revenus. La police venait de lui confisquer le poisson, en vertu d'une interdiction de vendre de l'espadon cette saison. Les militants affirment que les policiers ont ordonné d'actionner le compacteur pendant que le jeune homme était encore à l'intérieur

A l'annonce de la mort violente de Fikri, des manifestations ont éclaté dans tout le Maroc, depuis El Hoceima jusqu'à Marrakech et Rabat, la capitale. Sous le hashtag “#طحن_مو,” qui veut dire à peu près “écrase sa mère”, les Marocains ont crié leur indignation et mis en ligne des vidéos et photos en direct des manifestation. Le sens de ce hashtag se réfère à la phrase qu'aurait prononcée un des policiers juste avant que le compacteur ne tue Fikri.

Nombreux sont les internautes à avoir mis en ligne sur leurs pages Facebook des vidéos en temps réel des manifestations. Celle-ci a été prise par le photographe, cinéaste et militant marocain Nadir Bouhmouch dans la nuit du dimanche 30 octobre à Marrakech.

Le militant marocain, ancien directeur d'Advox Hisham Almiraat a partagé une vidéo des funérailles de Fikri :

Les funérailles du poissonnier tué vendredi tournent à la manifestation de masse contre les abus de la police au Maroc – #COP22

Samira Kinani a partagé une photo à distance des funérailles :

Sans surprise, beaucoup ont fait le rapprochement avec Bouazizi, le vendeur de rue tunisien qui s'était immolé par le feu le 17 décembre 2010 après la confiscation de sa marchandise, devenant le catalyseur de la Révolution tunisienne et plus largement des printemps arabes.

Ceci est la dernière en date d'une série de manifestations qui ont bousculé le Maroc des dernières années. Plus tôt dans l'année, des milliers d'étudiants-stagiaires sont descendus dans les rues pour protester contre les restrictions budgétaires, qui selon eux les empêchent de trouver des postes dans l'enseignement.

Les manifestations contre la brutalité policière en général et la pratique de la “hogra” (humiliation) en particulier sont devenues banales au Maroc. Depuis 2011, plus d'une douzaine de désespérés marocains se sont immolés par le feu. En avril 2016, c'était une vendeuse de rue à qui la police avait confisqué son pain et sa pâtisserie. Le même mois c'était au tour d'un vendeur de rue dont la moto avait été confisquée.

En 2015, les vendeurs de rue de Casablanca se sont unis pour manifester contre le harcèlement permanent des policiers, une unité provoquée par l'arrestation de plusieurs d'entre eux dans cette ville. Les vendeurs de rue sont systématiquement harcelés, frappés et arrêtés.

En 2013, trois cas d'immolation par le feu ont été rapportés, de femmes se disant victimes de déni de justice. Amina Fillali, forcée à épouser son violeur en 2011, s'est donné la mort en mars 2012. En août 2016, une jeune fille s'est suicidée après que ses huit violeurs ont été relâchés par la police et l'ont menacée de publier en ligne des photos d'elle en train d'être violée.

Le contexte

Le roi Mohammed VI a hérité du Maroc en 1999 à la mort de son père Hassan II. Ce dernier a mené plusieurs répressions dans le Rif, la région à dominante montagneuse du Nord du pays. Lors de l'insurrection du Rif de 1958–59 Rif, Hassan II déploya 80 pour cent des effectifs de l'armée marocaine pour venir à bout des manifestations. En 1984, pendant les émeutes du pain dans tout le Maroc, Hassan II prononça son célèbre discours où il traita les Rifains de “voyous”.

Le roi Mohammed VI a choisi une autre voie. Entre 2011et 2015, le Maroc a connu un processus de privatisation ultra-rapide. En 2014, dans le quartier Guich Oudaya de Rabat, l'Etat a démoli les habitations pour vendre le terrain à un promoteur immobilier. Les habitants ont été chassés de chez eux et contraints à vivre dans des taudis.

En 2015, des milliers de Marocains manifestèrent contre les factures d'électricité exagérées de la société française Amendis.

Avant cela, en 2008, des manifestations éclatèrent dans le port de pêche de Sidi Ifni après la répression par la police de pêcheurs au chômage, qui avait fait dix morts parmi les manifestants.

En 2014, le Maroc a signé un accord de pêche avec l'Union Européenne. Contre la somme ridiculement basse de 30 millions d'euros annuels, jusqu'à 120 bateaux de 11 pays de l'UE (Espagne, Portugal, Italie, France, Allemagne, Lituanie, Lettonie, Pays-Bas, Irlande, Pologne et Royaume-Uni) acquéraient les droits de pêche à proximité des côtes marocaines.

Les grosses compagnies de pêche ne laissent pas grand chose aux pêcheurs locaux. Il arrive que ceux-ci ne soient même pas autorisés à lancer leurs filets, et des gens comme Mohsin Fikri, sans travail, sont livrés au désespoir.

Le fils d'un tortionnaire argentin témoigne

lundi 31 octobre 2016 à 17:01
Luis Quijano. Photo: Nicolás Bravo

Luis Quijano. Photo de Nicolás Bravo. Utilisée avec autorisation.

Voici une version remaniée d'une interview de Luis Quijano par Alejo Gómez, dont la version originale a été publiée le 23 août 2016 dans Día a Día [Jour après jour, média de Córdoba, en Argentine]. L'article a été traduit et repris ici avec autorisation.

Alors qu'il avait 15 ans, le père de Luis Quijano l'a forcé à assister aux horreurs commises à La Perla, un centre de détention clandestin à Córdoba, en Argentine. Aujourd'hui adulte, Luis a témoigné contre son père dans le grand procès de La Perla-Ribera qui s'est déroulé à Córdoba. Son père fait partie des 43 personnes accusées de crimes contre l'humanité commis pendant la dictature. Le procès s'est terminé le 24 août 2016.

Luis Alberto Quijano n'a pas choisi cette vie. Il a beaucoup souffert : d'abord du fardeau que représente le fait d'avoir le même nom que son père, mais aussi d'avoir été présent au moment des violentes opérations militaires conduites à La Perla quand il avait 15 ans. Il a gardé le secret de famille pendant 34 ans.

En el contexto de esa época yo creía que estaba bien. Me sentía un agente secreto. Pero a los 15 años, un hijo no puede darse cuenta de que es manipulado por su padre. Yo no estaba preparado todavía para darme cuenta de que mi padre era un ladrón, un torturador y un asesino.

A l'époque, je croyais que tout ça, c'était bien. Je me sentais comme un agent secret. Mais à 15 ans, un enfant ne peut pas se rendre compte qu'il est manipulé par son père. Je n'était pas encore prêt à admettre que mon père était un voleur, un tortionnaire et un assassin.

Luis n'avait pas le choix : son père était le commandant de gendarmerie Luis Alberto Quijano, second commandant du détachement 141 des services de renseignement à La Perla de 1976 à 1978, pendant la dictature argentine, un épisode de terrorisme d'État qui dura en gros de 1974 à 1983.

Luis Alberto Quijano. Photo d'archive.

Cet article ne raconte pas l'histoire de Luis Alberto Quijano l'oppresseur, accusé de 158 enlèvements, de torture, de presque 100 homicides et de l'enlèvement d'un enfant de 10 ans. Ceci est l'histoire de son fils, un homme qui a réalisé au fil des années l'ampleur de la terreur dans laquelle il a vécu enfant, et qui, au bout du compte, a témoigné contre son propre père devant une cour fédérale.

C'est une histoire qui montre l'immense pouvoir qu'a un parent sur un enfant, et la manière dont cet enfant peut choisir le chemin de la rédemption.

De la gym aux services de renseignement

A l'époque où mon père a commencé à m'emmener dans les locaux des services de renseignement, j'allais régulièrement à la salle de gym du coin. J'étais devenu ami avec un garçon qui faisait des arts martiaux, que tout le monde appelait “Kent”. J'ai parlé de lui à mon père et quelques jours plus tard, il m'a montré une photo en noir et blanc, et m'a demandé d'identifier mon ami. Et il m'a dit :

Me dijo “sos un pelotudo, ¡te hiciste amigo de un tipo del ERP! Mirá si después te ‘chupan’ a vos y me tengo que entregar para salvarte.

“Tu es un crétin, tu es devenu ami avec un type de l'ERP ! Bientôt ils vont te kidnapper et il faudra que je m'occupe de te sauver.”

ERP est l'acronyme de Ejército Revolucionario del Pueblo, [L'Armée révolutionnaire du peuple], la branche armée du parti révolutionnaire des travailleurs argentin, un parti communiste.

Il m'a donc interdit de retourner à la gym, et quelques jours plus tard, il m'a emmené au détachement pour que j'y travaille. Il m'a dit que j'allais être un agent secret. J'avais 15 ans ; dans ce contexte, je pensais que tout ça était très bien parce que mon père me l'avait appris.

Au détachement, il m'ont fait détruire des documents qui avait appartenus aux prisonniers. C'étaient des documents de tous types : des diplômes d'université, des notes manuscrites, de la littérature, des certificats, des documents de propagande, des livres, tout.

“C'est là qu'ils torturent les prisonniers”

Mon père m'a emmené à La Perla quatre fois, en 1976. La première et la quatrième fois, j'ai attendu dans la voiture, à l'entrée.

La deuxième fois il m'a fait descendre et m'a emmené sous un abri où il y avait des voitures, des meubles, des télévisions, des réfrigérateurs, tout ce que vous pouviez imaginer. Tout avait été volé. Il m'a donné un paquet enroulé dans une couverture et m'a dit de le mettre dans la voiture. Quand je l'ai ouvert, j'ai vu que c'était un énorme morceau d'argent.

Ce jour-là, je suis allé de l'autre côté de l'abri, là où il mettaient les choses volées, et j'ai commencé à discuter avec un gendarme qui gardait l'endroit. À un moment donné, il a fait un geste en direction d'une pièce ouverte et m'a dit :

ahí es donde les dan ‘matraca’ a los secuestrados.

C'est là qu'ils torturent les prisonniers.

J'ai jeté un oeil et j'ai vu le lit où ils torturaient les gens. C'était comme un lit de camp militaire avec des ressorts en métal. Plus tard, j'ai appris qu'ils branchaient un câble dénudé au métal et utilisaient un autre câble pour toucher le corps de la personne qui y était attachée. Ils menottaient quelqu'un au lit de camp, l'aspergeaient d'eau et lui mettaient du 220 volts sur les parties génitales.

Il y avait une odeur tellement horrible là-dedans… Comme une couche usagée. Des années après, quand mon père a été assigné à résidence, la même odeur émanait de sa chambre. J'ai fait le lien et j'ai compris que c'était l'odeur d'un corps en détresse. Je n'oublierai jamais cette odeur. Et je me suis demandé, comment est-il possible que quelqu'un puisse faire autant de mal à un autre être humain ?

“Je savais très bien qu'ils tuaient ces gens”

La troisième fois que mon père m'a emmené à son travail, on est allés à l'entrée de La Cuadra (là où ils bandaient les yeux des prisonniers et où ils les menottaient). Il parlait à “Chubi” Lopez (Jose López, un civil poursuivi dans le procès) et j'ai profité de l'occasion pour jeter un oeil à l'intérieur de La Cuadra.

Au fond, j'ai vu une rangée de matelas sur lesquels il y avait des gens nus, allongés face au sol, pieds et mains attachés. Plus près de l'entrée, il y avait d'autres gens, assis silencieusement sur leurs matelas. Mon père a vu que je regardais les prisonniers et m'a dit : “Qu'est-ce que tu regardes, crétin?” et j'ai répondu “Pourquoi m'as-tu emmené ici?”.

Je savais très bien qu'ils tuaient ces gens. Ils les emmenaient dans des fosses et le personnel militaire les tuait et les enterrait. Je le savais parce que mon père me l'avait dit à la maison.

A côté de La Cuadra il y avait des pièces qu'ils appelaient les bureaux. Je savais que “Palito” Romero y avait frappé quelqu'un à mort. (D'après les survivants, le civil Jorge Romero, l'un des inculpés dans le procès La Perla-Ribera, avait battu à mort l'étudiant Raúl Mateo Molina).

Dans la vidéo ci-dessous, Emilio Fessia, directeur de l'Espace pour la mémoire de La Perla, fait une visite commentée de l'ancien centre de torture.

El camino por el cual ustedes vienieron y la ruta, era el camino por el cual entraban las personas secuestradas. Y más o menos, si ven el plano, hacían este recorrido y aquí los bajaban para su primera sesión de tortura. […] Era donde se les cambiaba el nombre a las personas y se les ponía un número en este proceso de deshumanización. […] Y si sobrevivían las sesiones de tortura, venían las personas detenidas desaparecidas y eran tiradas en la cuadra hasta que venía la orden de los superiores para trasladarlas. Que es la mentira, el eufemismo que utilizaban para fusilarlas y desaparecerlas en la gran mayoría de los casos.

Le chemin par lequel vous êtes entrés était celui qu'empruntaient les personnes séquestrées. Si vous regardez le plan, ça se passait plus ou moins comme ça : ils prenaient ce chemin et ils étaient emmenés à leur première séance de torture. […] Ici, c'est l'endroit où leur noms étaient changés, et où un numéro leur était attribué. C'était une première partie du processus de déshumanisation. […] S'ils survivaient aux séances de torture, les détenus disparus étaient jetés dans la salle de La Cuadra jusqu'à ce qu'un ordre venu d'en haut ordonne de les transférer. C'était un mensonge, un euphémisme qu'ils utilisaient pour dire qu'ils allaient, dans la majorité des cas, les fusiller et faire disparaître leur corps.

Le “butin de guerre”

Mon père rapportait toutes sortes de biens volés. À cet âge, je ne comprenais pas ce que signifiait “butin de guerre”, comme ils disaient. Mais plus tard, quand j'ai été militaire (j'étais dans la gendarmerie), j'ai réalisé que ce qu'on pouvait appeler butin de guerre serait plutôt une baïonnette, ou une plaque militaire que vous prendriez à un ennemi que vous auriez vaincu.

Luis Alberto Quijano & son archive photo

Luis Alberto Quijano et son fils. Archive photo

Mais si vous entrez dans une maison et que vous volez le réfrigérateur, le poste de radio, les habits, les tableaux, l'argent… Ce n'est plus un butin de guerre, c'est du vandalisme. C'est du vol.

Je me suis toujours demandé comment mon père, l'officier en chef d'une force de sécurité, pouvait participer à un tel vandalisme. Je ne comprenais pas. J'étais aussi officier de la gendarmerie et je n'aurais jamais eu l'idée d'entrer dans une maison et de tout dérober.

Je ne comprends pas comment mon père a pu faire ça. Une fois, il m'a dit que j'étais un criminel, et je lui ai répondu : Et toi alors, qui voles des voitures dans la rue ? Tu n'es pas un criminel ? Il a explosé et dans un excès de rage, il m'a frappé et m'a hurlé :

¡el día que te cruces de vereda, ese día te voy a buscar y te voy a matar yo. No hará falta que te mate otro!

Le jour où tu franchiras cette ligne, ce jour là je te trouverai et je te tuerai moi-même. Il n'y aura pas besoin que quelqu'un d'autre le fasse !

C'était ça, mon père. Je n'ai aucun bon souvenir de lui.

Quand j'ai témoigné au procès, j'ai montré une photo de l'époque où je portais une veste et un col roulé en laine que mon père avait ramenés de La Perla. Nous n'étions pas pauvres, mais il rapportait quand même des habits à la maison. À l'époque, la défense m'accusait d'avoir participé à ces crimes, et j'ai dit pas de problème, il pouvaient bien m'accuser de ce qu'ils voulaient.

Dans tous les cas, j'étais là pour témoigner.

“Faire disparaître les corps est l'acte ultime, le plus odieux”

Maintenant que je suis plus âgé, je suis torturé par les remords. J'ai des enfants ; une fois que vous avez des enfants, vous réalisez l'importance de la vie. Vous évoluez et vous réalisez que tuer, ce n'est pas bien. Je suis allé très loin, au point de dire :

Incluso llego al extremo de decir ‘bueno, suponé que fusilabas durante la dictadura”, pero ¿por qué desaparecías los cadáveres? ¿Por qué robabas niños?

Admettons que j'arrive à un extrême, au point de dire : “D'accord, acceptons l'idée que tu as tué des gens pendant la dictature”, mais pourquoi faire disparaitre les corps ? Pourquoi enlever les enfants ?

Une fois, mon père a ramené à la maison une petite fille dont ils avaient tué la mère. Elle était traitée comme un animal : presque comme un chien, sauf que c'était une petite fille. Ces pensées n'arrêtaient pas de tourner dans ma tête : ils étaient torturés, mais pourquoi les tuait-on ? Ils pouvaient juste les mettre en prison. Et même en acceptant cette idée de les tuer,  je me demandais encore : Pourquoi faire disparaître les corps ? Les faire disparaitre est l'acte ultime, le plus odieux que l'on puisse faire à un être humain.

Mon père m'a dit que quand la dictature a été terminée et que la démocratie est revenue, ils ont apporté des machines pour faire disparaître les restes. Ils les ont récupérés et jetés, je ne sais pas où. “Ils ne trouveront jamais rien”, a dit mon père. Mais bien sûr, il reste toujours quelque chose.

“Je t'ai vu tuer des gens !”

Juste pour clarifier les choses, je n'ai rien contre les forces armées. En fait, j'ai fait partie de la gendarmerie. Tout ce que j'ai fait, c'est dire la vérité sur une vingtaine de criminels, dont mon père fait partie.

L'idée de porter plainte contre mon père s'est concrétisée quand il était assigné à résidence et que je parlais avec lui. Je lui reprochais de m'avoir fait vivre ces atrocités. À un moment donné, il m'a dit : “Je ne sais pas, je n'ai tué personne”.

Je me suis senti révulsé, je me demandais à quoi servait ce chauvinisme et ce “sentiment Occidental et Chrétien” qu'ils disaient défendre.

Alors j'ai crié :

Entonces le grité “¿cómo me vas a decir eso a mí? ¡Si yo te he visto matar gente! Cometiste delitos muy graves y me hiciste participar en esos delitos siendo yo un niño.

Comment peux tu me dire ça, à moi? Je t'ai vu tuer des gens ! Tu as commis des crimes très graves, tu m'as fait participer à ces crimes alors que j'étais enfant.

Et il m'a répondu, “Va me dénoncer alors.”

Alors je l'ai fait. En 2010 j'ai déposé la première plainte. J'avais enfin admis que c'était un criminel.

Personne ne peut me dire que je ne suis pas objectif, j'ai témoigné contre mon propre père.

Luis Alberto Quijano est mort en mai 2015, alors qu'il était toujours assigné à résidence, dans l'attente que le procès se termine.

Il était accusé de 416 infractions : 158 accusations de privation de liberté illégale aggravée, 154 actes de torture, 98 homicides aggravés, 5 actes de torture se terminant par la mort et le kidnapping d'un enfant de moins de 10 ans.

Photo: Luis Alberto Quijano archive photo

Photo: Luis Alberto Quijano. Archive.

Les verdicts de la “megacausa”

En espagnol, le mot “megacausa” désigne la portée de ce procès. Après 4 ans passés à entendre plus de 581 témoins, le grand procès historique de La Perla-Ribera, qui devait juger des crimes commis contre 716 victimes de mars 1975 à décembre 1978 s'est enfin terminé en août.

43 personnes ont été jugées coupables de crimes contre l'humanité, et le tribunal a prononcé 28 peines de mort, 9 peines de prison allant de 2 à 14 ans, et 6 personnes ont été acquittées. Sur les 54 personnes accusées au départ, 11 sont mortes pendant le procès.

#SentencesdeLaPerla : meurtres, torture, viols commis par des représentants de l'Etat. #terrorismed'etat

Tous étaient membres des forces armées pendant la dictature, qui incluait des ex-militaires, des anciens de la police ou des  personnes de la société civile.

Piero de Monti, enlevé en même temps que sa femme enceinte en juin 1976, avait été emmené avec elle à La Perla. Il a parlé devant une salle silencieuse :

La Perla fue una fábrica de muerte concebida por una mente antihumana

La Perla était une fabrique de cadavres, conçue de manière inhumaine.

Ce procès est une étape historique pour les associations de défense des droits de l'homme, qui ont travaillé pendant des années pour que justice soit faite aux victimes. Claudio Orosz est avocat pour H.I.J.O.S. [“fils”], une association argentine fondée en 1995 pour représenter les enfants des personnes tuées ou disparues pendant la dictature :

Fueron más de tres años de juicio pero 39 años de investigación

Le procès a duré plus de 3 ans, mais l'enquête dure depuis 39 ans.

En mars 2007, le gouvernement a transformé l'endroit où était La Perla en mémorial. Il est désormais géré par des associations de défense des droits de l'homme.

 Les sources et des photos de cet article viennent d'archives et de documents provenant du CADHU – Argentine Commission of Human Rights [Commission argentine pour les droits humains], du document Megacausa “La Perla” report [Rapport sur le grand procès de La Perla] de la Commission Régionale pour la Mémoire, de El Diario del Juicio [Le journal du procès] via H.I.J.O.S. Córdoba et les notes finales viennent du site Cosecha Roja, La Perla: el megajuicio del horror llega a su fin [La Perla : le procès de l'horreur touche à sa fin], écrit par Agostina Parisi.