PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Cartographier les odeurs de Kiev

vendredi 27 janvier 2017 à 16:39
Image: Kate McLean

Image: Kate McLean

En Grande Bretagne, le jour de Noël, on dîne en famille et entre amis, on ouvre des cadeaux et on assemble un peu d'ambiance de fête. L'artiste et créatrice Kate McLean a mis à profit la semaine de congé pour aller à Kiev, et y prévoir un peu de tourisme innocent dans la pittoresque capitale ukrainienne. Elle ne savait pas encore que Kiev l'attendait.

Connue pour avoir “cartographié les odeurs” ces cinq dernières années dans le monde entier, de Milan à Glasgow et Rhode Island, McLean a acquis une certaine notoriété. Quand son vol vers l'Ukraine a subi un gros retard de 24 heures, elle s'est tournée vers Twitter pour évacuer sa frustration.

“Ukrainian International Airlines a eu un problème de volets, je suis devenue dingue et ai tweeté quelque chose en ce sens, et un data-journaliste de Kiev m'a envoyé un texto”, raconte McClean.

Son tweet avait accroché l'oeil d'Andriy Gazin, qui se décrit comme un “branché de la data” et “procrastiworker” habitant Kiev. Il contacta McLean, lui demandant si elle venait en Ukraine. “Est-ce une visite de travail, et seriez-vous disposée à nous faire un exposé ou une présentation quelle qu'elle soit ?” était la question de Gazin, selon McLean.

“Quand Kate a posté sur Twitter qu'elle venait à Kiev, j'ai réalisé que c'était une excellente occasion de faire sa connaissance et de parler de promenade d'odeurs et de cartes d'odeurs”, explique Gazin dans un e-mail. “C'était une décision largement spontanée, mais j'ai interrogé les abonnés de ma page Facebook sur la dataviz [visualisation de data] … et une dizaine de personnes ont accepté de participer”.

C'est ainsi que le 25 décembre, le petit groupe “avec des bloc-notes pris de diverses conférences et des bouts de papier pliés, et un groupe de personnes venus de toutes sortes de milieux”, se mit en marche pour enregistrer les senteurs hivernales de Kiev. Les résultats s'avèrent splendides.

Image: Kate McLean

L'itinéraire des promeneurs d'odeur à travers Kiev. Image: Kate McLean

McLean est à présent au stade de la création d'une carte détaillée des lieux où flottent les effluves de l'hiver kiévien.

Les “promeneurs d'odeurs” ont noté les les senteurs de la ville, avec des odeurs comme “îles de l'été” “fourrure animale mouillée”, “métal rouillé”. McLean, nouvelle venue à Kiev, s'est trouvée intensément consciente d'odeurs qui ont pu échapper aux autochtones accoutumés. “Le charbon de bois utilisé par les stands de restauration tout en haut de l'église Saint Michel … [était] vraiment, vraiment caractérisé”, dit McLean.

“La plupart des gens grillaient ou cuisaient au barbecue de la viande — de fortes odeurs en émanaient donc — mais le combustible utilisé était très different … il y avait ces gros tonneaux à brasero crasseux contenant du vrai charbon de bois”, décrit-elle. Tout en notant la difficulté de “saisir” un flux olfactif, certaines odeurs sont selon elle très particulières à Kiev.

“L'une était beaucoup l'odeur de bois, qui prenait de nombreuses formes. Elle venait du charbon de bois et c'était presque une odeur d'arrière-plan. L'autre était très particulière, celle de lard fumé — quelque chose je n'ai jamais connu nulle part ailleurs dans le monde, jamais” dit-elle.

Les lieux sacrés de Kiev présentent aussi des senteurs sans pareil, que, dit McLean, les gens du cru peinent à discerner. “C'est le labdanum (résine de ciste) qui sert d'encens dans les églises, on l'appelle ici laddanik. Je l'ai remarqué, mais il n'est pas mentionné dans la promenade d'odeurs — personne ne l'a inscrit en fait … il y avait juste ce qu'il faut de cette odeur comme d'encens, de cierge flottant depuis les boiseries de porte pour que je la remarque”, raconte-t-elle.

Image: Kate McLean

C'est une odeur de verdure en hiver comme des vieux raisins secs de vignes sauvages, les décorations de sapin de Noël, le fangus dans la rue.. Je dirais que c'est une odeur d'îles de l'été en hiver. Image: Kate McLean

Pendant que le parcours à travers Kiev était une découverte de la ville pour McLean, les habitants dans son groupe l'ont vécu comme une approche neuve et intrigante sur quelque chose de familier. “J'ai travaillé dix ans dans l'industrie pharmaceutique”, raconte Anastasia Fessenko. “La promenade des odeurs a été pour moi comme une nouvelle fenêtre sur un pays … que j'adore”, dit-elle. “L'inspiration est partout — les herbes, les fleurs, le grand air, et les arbres … Ce qui m'a le plus frappée, c'est Ia quantité d'odeurs qui m'entourent”.

Gazin en a retenu que cartographier les odeurs de la ville pouvait ouvrir des possibilités neuves de conceptualiser Kiev. “Je suppose que la première chose que l'on comprend pendant la promenade d'odeurs, c'est que vous n'avez jamais vraiment vécu la ville par les odeurs. Bon, évidemment, vous remarquez différentes odeurs au quotidien, le café, le gaz, une boulangerie, des parfums, etc. Mais vous n'avez jamais essayé de les combiner toutes … de décrire un lieu particulier ou la ville en général”, explique-t-il, en relevant la diversité croissante des façons dont les scientifiques des datas cartographient les espaces, sans oublier le travail de start-ups comme what3words, qui décompose les espaces en blocs de trois mètres de côté, en “codes postaux” de trois mots.

Image: Kate McLean

Couleur de branche de pin Image: Kate McLean

“Ce dont je ne me rendais pas compte, c'est qu'on peut réellement décrire différentes parties de Kiev avec un certain nombre d'odeurs”, dit Gazin.

La fusion d'odeurs la plus puissante semble être celle du Jytniy Rinok. Selon Gazin, ce marché ressemble à “un musée d'odeurs variées : viande et poisson crus, lait et miel, épices et fruits, mais aussi objets de la maison comme les papiers peints, et vêtements”.

Image: Kate McLean

Puits de lumière sur un bâtiment abandonné. Renfermé et métal rouillé. Image: Kate McLean

Citant une découverte d'un co-équipier, McLean écrit : “C'est en réalité toutes les saisons qu'on y trouve : vous avez l'hiver, l'été, le printemps, l'automne, tous prédominants dans cette seule place de marché. L'été avec les fraises, l'automne avec les grenades … En entrant sur la place du marché il y avait du vin chaud (hiver), ensuite le printemps c'était un vendeur de fines herbes dans le coin, à la fois (a) très vertes et (b) très très fraîches — un parfum feuillu volatil en émanait. Ces mecs ont donc tous fini par faire des visualisations”.

Image: Kate McLean

Odeur de vieux marché : pas agréable, pas aéré, comme de la fourrure animale mouillée, et un parfum si bon et clair de fraise, comme une île de joie ! Image: Kate McLean

Naturellement, les saisons de l'année affecent tant la réception que la transmission des odeurs, “immensément” concède McLean. “C'est une des choses dont nous avons parlé au départ. Les odeurs nécessitent en fait de la chaleur pour pouvoir se volatiliser. Par conséquent, plus il fait chaud, plus il y a de molécules odorantes dans l'air … l'odorat humain cesse de fonctionner par temps froid. Double malchance : moins d'odeurs et moindre capacité à les détecter”.

La carte pourrait s'avérer précieuse, et pas seulement pour ceux qui ne peuvent pas venir respirer l'air de Kiev. Une femme du groupe de McLean est presque dépourvue d'odorat, raconte Gazin. “Elle est venue à cette promenade uniquement pour ressentir la ville à travers ce que les autres peuvent humer”.

‘Lava-Jato’ au Brésil : La mort d'un juge-clé dans un accident d'avion ravive les théories complotistes

jeudi 26 janvier 2017 à 12:33
Justice Teori Zavascki died on a plane crash in Brazil on January 19. Photo: José Cruz/Agência Brasil CC BY 3.0

Le Juge Teori Zavascki est mort dans un accident d'avion le 19 janvier au Brésil. Photo: José Cruz/Agência Brasil CC BY 3.0

Le juge de la Cour Suprême brésilienne qui présidait “l’Opération Lava-Jato,” ou “Opération Mains-Propres”, la grande enquête anti-corruption en cours qui a déjà abouti à l'incarcération de nombreux hommes d'affaires et politiciens, est mort mercredi dans un accident d'avion laissant les Brésiliens inquiets quant aux suites de l'opération et perplexes sur les causes du crash.

En dépit de l'absence de preuve de tout coup tordu, beaucoup de Brésiliens se sont lancés dans l'élaboration de théories largement infondées sur les causes de la mort prématurée du juge Teori Zavascki, 68 ans.

L'avion qui le transportait s'est abîmé en mer à 1h45 du matin alors qu'il avait entamé son approche de l'aéroport de Paraty, une destination touristique très populaire, à 250 km de Rio de Janeiro. Quatre autres passagers ont aussi trouvé la mort:  un homme d'affaire ami de Zavascki dont l'entreprise était propriétaire de l'appareil, le pilote et une physiothérapeute accompagnée de sa mère.

Nombreux sont les Brésiliens qui craignent pour les suites de l'opération Lava-Jato. M. Zavascki était le magistrat responsable du calendrier dans les mises en accusation de personnalités politique en postes, qui ne peuvent, selon la loi brésilienne, être jugés que devant la Cour Suprême.

Zavascki avait récemment interrompu ses vacances pour réexaminer les négociations de plaidoyer de 77 dirigeants d'Odebrecht, le géant brésilien du B.T.P. et l'un des acteurs principaux du scandale de corruption qui a grassement payé des millions de dollars de pot-de-vin à des cadres de l'entreprise nationale pétrolière Petrobrás en échange de juteux contrats.

Les négociations de plaidoyer, ces accords de collaborations en vue de réductions de peines, sont une vraie bombe à retardement, puisqu'elles sont susceptibles d'impliquer un grand nombre de politiciens de haut niveau, jusqu'au président en exercice, Michel Temer.

Dans un possible conflit d'intérêt, les statuts de la Cour Suprême donne le droit au président Temer de nommer lui-même le successeur de Zavascki, qui prendrait alors en charge tous ses dossiers en cours. Cependant, le Président Temer a déclaré hier, qu'il attendrait que le Tribunal suprême fédéral lui désigne un successeur.

Le juge était sur le point de valider les négociations de plaidoyer en février, mais sa mort devrait largement retarder l'issue de ces dossiers.

Les funérailles deTeori seront la plus grande réunion de politiciens soulagés et silencieusement heureux de toute l'histoire du Brésil.

Les enjeux considérables et la fermeté de l'attitude du juge Zavascki, jointe au timing de sa mort, ont déclenché des alarmes dans les réseaux sociaux, de l'aile droite comme de l'aile gauche puisque les personnalités politiques mises en examen dans cette opération qui a débuté en 2014, sont issues de toutes les facettes de l'échiquier politique brésilien. En marge de la presse professionnelle mainstream, on a alors assisté à une explosion de théories conspirationnistes.

Comme l'affirme Vera Rodrigues, une prolifique commentatrice de la vie politique sur le médias sociaux :

Num país dominado por gângsters, não tem essa de “teoria conspiratória” quando o tema é assassinato de políticos e juízes que atrapalham o caminho.

Dans un pays dominé par des gangsters, il n'y a pas de “théorie du complot” dès lors qu'on parle d'assassinats d'hommes politiques et de juges qui se trouvent en travers du chemin.

Dans un message posté sur Facebook en mai 2016, le fils aîné du juge disparu, Francisco Zavascki, soutenait que sa famille était menacée. Ce message a rapidement refait surface durant le week-end, suite au crash de l'avion. Lors d'une déclaration à la presse, le fils a confirmé que sa famille avait reçu de nombreuses menaces, même s'il soutient que toute suspicion de sabotage dans le crash de l'avion demeurait “peu probable.”

Sur WhatsApp, toutes sortes de rumeurs circulent. L'une d'entre elles stipule que  Zavascki transportait des documents sensibles qui sont désormais perdus pour toujours. D'autres accusent un général de l'armée, ami de l'ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, d'être à l'origine du sabotage. Toutes ces théories ainsi que d'autres sont rassemblées sur le groupe Facebook E-farsas, dédié en crowdsourcing, à la vérification des informations sur internet et des rumeurs sur les médias sociaux.

La rumeur sans doute la plus étrange est apparue sur le site JetPhotos.net, fréquenté par des fans d'aviation, et qui possède une base de données conséquente sur les appareils du monde entier.

Curieusement, la photo de l'avion qui s'est crashé la semaine dernière — un Beechcraft C90GT King Air, préfixe PR-SOM — a connu un pic de fréquentation le 3 janvier, avec 1.885 clics. Ce qui diffère nettement des 30 jours précédents, au cours desquels la photo n'a été vue qu'une poignée de fois. Le premier à avoir observé cela fut Claudio Tognolli, un journaliste du service brésilien de Yahoo.

Screen Shot edit

Un pic étrange dans le nombre de vues sur le tableau comparatif de jetphotos.net a lancé la théorie selon laquelle l'avion avait été surveillé au moins deux semaines avant le crash.  Photo: Screenshot / jetphotos.net

À propos de cette rumeur, le YouTubeur brésilien Lito, qui dirige un canal très populaire dédié à l'aviation, émet l'hypothèse d'un bug dans le registre de Jetphotos, et avance les preuves que le compteur de vues ne marque rien du tout le jour de l'accident, le 19 janvier, alors qu'il en compte respectivement 21.340 et 5.274 pendant les deux jours suivants.

Ces étranges signalements se sont rapidement propagés sur des sites obscurs — plus spécialement ceux qui s'adressent aux médias alternatifs de la droite brésilienne. Le site Monitor of Political Debate (‘Contrôle du Débat Politique’), un projet qui suit de près les informations politiques les plus partagées sur Facebook, a ainsi démontré que quatre des six articles les plus partagés pendant les deux jours suivant le début des accusations venaient de blogs alternatifs de droite connus pour répandre des information discutables et non-vérifiées.

En parallèle, la presse généraliste a minimisé la véracité d'une telle théorie du complot, se refusant à relayer ne serait-ce que la rumeur la plus répandue, celle de JetPhotos. Sur Facebook, le professeur Pablo Ortellado juge malencontreuse cette faute d'engagement des médias traditionnels.

A grande imprensa, por “responsabilidade”, não menciona a hipótese de que o avião possa ter sido sabotado enquanto não surgem evidências concretas. Ela trata do assunto como se a possibilidade não pudesse ser discutida a sério, desprezando a preocupação do país inteiro. Enquanto isso, o acesso à má imprensa dispara, já que só ela está discutindo diretamente aquilo com que todo mundo está preocupado. Essa postura é pura arrogância. A imprensa supõe que (ainda) é a detentora da verdade social e que se ela não deu, a coisa não existe. Mas se isso algum dia já foi verdade, seguramente não é mais. (…) A culpa não é só do algoritmo do Facebook e da polarização. A imprensa precisa atender, sem petulância, a preocupação das pessoas comuns. Está na hora da boa imprensa discutir a possibilidade de sabotagem no avião, mesmo que seja para dizer que é uma hipótese improvável e sem grande apoio em evidências.

Les médias de masse, exerçant leur rôle de “responsabilité”, ne font pas mention du fait que l'avion puisse avoir été saboté tant que des preuves concrètes ne sont pas avancées. Ils traitent le sujet comme si une telle possibilité ne pouvait pas être discutée sérieusement, ignorant ainsi les préoccupations du pays entier. Cette attitude est extrêmement arrogante. Pendant ce temps-là, l'accès à une presse de mauvaise qualité est en augmentation, puisqu'elle est la seule à traiter du sujet qui intéresse tout le monde. Les médias de masse supposent (encore) qu'ils sont détenteurs de la vérité sociale et que s'ils n'en parlent pas cela n'existe pas. Mais si une telle situation a, un jour, été vraie, elle ne l'est certainement plus aujourd'hui. […] La faute n'en revient pas qu'à l'algorithme de Facebook et à la polarisation. Les médias de masse doivent répondre sans arrogance aux attentes des gens ordinaires. L'heure est venue pour une presse de qualité de parler de l'éventualité d'un sabotage de l'avion, même si c'est pour dire qu'il ne s'agit que d'hypothèses improbables complètement infondées.

Jusqu'à présent, la seule “preuve évidente” est le rapport du témoin oculaire du crash: un plaisancier de Paraty, qui dit avoir vu de la fumée sortir des ailes de l'avion alors qu'il était en train de chuter.

Mais dans une interview au journal espagnol El País, un expert en accidents d'avions au Brésil dit que des témoins peu habitués confondent souvent, par erreur, la fumée avec l'écoulement d'air provoqué par un avion qui traverse un nuage de pluie. Il souligne aussi le manque d'infrastructures de l'aéroport de Paraty, pratiquement limitées à une piste, ainsi qu'aux mauvaises conditions météo au moment de l'atterrissage concluant que la possibilité d'un sabotage est très faible, même si elle ne peut être totalement rejetée.

La police fédérale brésilienne annonce qu'elle va mener une enquête approfondie sur les causes de l'accident, ainsi qu'à l'analyse de la boîte noire de l'avion, extraite de l'océan par l'armée de l'air brésilienne.

La longue route vers l’isolement diplomatique du Burundi

jeudi 26 janvier 2017 à 11:46
Burundian troops board AMISOM plane. 28 June 2016. By AMISOM Photo / Ramadan Mohamed.

Des militaires burundais embarquent dans un avion de l'AMISOM. 28 Juin 2016. Par AMISOM Photo / Ramadan Mohamed.

Depuis plusieurs mois, la longue crise politico-sécuritaire au Burundi exacerbe les tensions diplomatiques et la détérioration économique.

Mi-2015, la répression des manifestations contre le troisième mandat controversé du président a provoqué un coup d’Etat raté et des rébellions armées, ce qui a déclenché une répression des rebelles armés et également des militants des droits humains, des opposants pacifiques, et les médias. Des centaines ont été tués, beaucoup plus détenus ou torturés, et 328.000 déplacés dans les camps de réfugiés. Pierre-Claver Mbonimpa, un militant des droits humains qui vit en Belgique depuis une tentative d’assassinat en 2015, a décrit comment la violence autoritaire est devenue moins publique au cours de 2016, par exemple avec les disparitions.

Isolement international

En octobre, après l'ouverture d'une enquête préliminaire sur les atteintes aux droits humains, Bujumbura a fait l’annonce sans précédent de son retrait de la Cour Pénale Internationale, suivie par l’Afrique du Sud et la Gambie. L’ambassadeur burundais auprès de la Haye a dit que c’était « le peuple » qui l’avait exigé, mais des membres de la diaspora ont protesté contre cette décision, et plusieurs Burundais ont porté plainte pour crime contre l’humanité.

Des manifestations pro-gouvernementales ont fortement dénoncé les critiques. Pourtant, selon SOS Médias Burundi – une initiative « clandestine » fondée après la fermeture forcée des radios indépendantes en 2015 – certaines personnes avaient été contraintes à y participer. Dans le contexte actuel, il est difficile de mesurer le soutien populaire pour le gouvernement ou ses opposants à cause du déplacement en masse et des restrictions sur les médias et l’expression politique.

des terroristes ont réussi et ils ont essayé de tuer Willy Nyamitwe [Ministre des Communications]. Bruxelles et l’UE les ont soutenus…

Le gouvernement a mis fin à sa collaboration avec le HCDH, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, à la suite d’un rapport accablant, rejeté comme biaisé par les ministres. L’ONU avait de plus passé une résolution pour établir  une commission d’enquête, nommée le 22 novembre. Le gouvernement a aussi demandé le remplacement d’encore un envoyé spécial, Jamal Benomar.

Des officiels ont dit que les critiques occidentales révèlent le néocolonialisme et une intention cachée de contrôler les réserves de nickel du pays. En novembre, le journal Iwacu a publié une traduction en français, du kirundi original, du discours du secrétaire-général du parti au pouvoir, où la Belgique est identifiée comme « l’ennemie » pour avoir généré des divisions ethniques et des tensions entre l’UE et le Burundi. Il a également accusé la Belgique d’avoir soutenu le coup d’Etat raté.

Le conseiller communication du président Willy Nyamitwe a dénoncé une « guerre de médisance et de déstabilisation » par l’UE, et le président a prévenu que toute coopération avec le Rwanda et la Belgique pourrait cesser. En décembre, l’absence des ambassadeurs européens à une réunion a fait monter encore plus la tension diplomatique.

Le dialogue facilité par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), dirigé par l’ex-président tanzanien Benjamin Mkapa, a été improductif : l’activité n’a pas été dynamique et les officiels ont refusé de parler avec la coalition d’opposition, le CNARED.

En décembre, Mkapa a fait la déclaration inattendue que les opposants ne devraient plus contester la légitimité du troisième mandat présidentiel, et que ceux qui sont accusés de violence ne pourraient pas participer au dialogue.

Ceci a sapé les pourparlers de l’EAC, et des leaders du CNARED ont par la suite rejeté la médiation de Mkapa. Pourtant, certains membres ont néanmoins accepté d’assister à une réunion, ce qui pourrait indiquer des divisions profondes dans l’opposition. Si le dialogue se poursuit avec seulement l’opposition « coopérative », les problèmes fondamentaux risquent de ne pas être traités.

Nous ne pouvons que regretter d'avoir gaspillé notre temps en écoutant Mkapa, un homme qui nous a traités de criminels. Nous retiendrons la leçon. Adieu, médiation de l’EAC

Vu le manque de progrès par médiation, un compromis semble hors de portée, ce qui fait craindre la possibilité d’une recrudescence de la violence politique. Le 1er janvier, le Ministre de l’Environnement Emmanuel Niyonkuru a été assassiné, seulement quelques semaines après la tentative d’assassinat du Ministre des Communications Willy Nyamitwe.

Les officiels en cherche de soutien diplomatique ont été encouragés par le Président de l’Union Africaine (UA), Idriss Déby, qui a déclaré que le troisième mandat présidentiel est légitime, une divergence d'avec la Commission de l’UA. Iwacu a souligné que l’isolement de Bujumbura est relatif, puisque la Russie et la Chine freinent  la pression du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les présidents de l’Afrique du Sud et la RDC, Jacob Zuma et Joseph Kabila, se sont montrés compréhensifs, mais la contestation forte qu'ils connaissant dans leurs pays pourrait rendre ce soutien incertain à long terme.

Un affrontement armé entre militaires congolais et des hommes armé burundais – on ne sait s’il s’agit de militaires ou d'insurgés – pourrait empirer les relations.

Bujumbura reste toujours très dépendant de l’aide internationale, surtout de la Belgique et l’UE. Les sanctions ont fortement frappé le budget gouvernemental, et ont déclenché une confrontation sur les paiements pour la participation du pays à la mission militaire de l'ONU en Somalie, l’AMISOM.

Même les gouvernements qui sont favorables diplomatiquement n’ont pas offert beaucoup d’aide économique. Ceci n’affecte pas beaucoup les officiels de haut niveau, mais pourrait exaspérer les citoyens si les déficits budgétaires de l’austérité augmentent leurs difficultés déjà exacerbées par la crise, comme les pénuries alimentaires, les taux élevés d’inflation et de chômage, les problèmes du financement des écoles et de l’infrastructure, et les nouveaux impôts. Le 29 décembre, par exemple, des fonctionnaires ont manifesté à Bujumbura contre les retards  de paiement des salaires.

L'autre récit

Les officiels et les manifestants pro-gouvernement ont accusé leurs détracteurs d’avoir « semé la division » et la déstabilisation. Le Sénat a approuvé un contre-rapport à celui de l’ONU, et son président a demandé que la Belgique évite de coopérer avec des militants « subversifs ».

En janvier 2016, le gouvernement a traité la force de maintien de la paix proposée par l’UA d’invasion, avant que l’UA ne fasse marche arrière. En août, un communiqué a rejeté une force policière proposée par la résolution 2303 du Conseil de Sécurité de l’ONU, proposée par la France. Le gouvernement a évoqué la souveraineté, ainsi qu’un néo-colonialisme supposé de la Belgique et la France. Le Canada a aussi été accusé d’avoir soutenu des complots d’invasion.

Bujumbura accuse le Rwanda de soutenir les attaques rebelles, souvent avec peu de preuves. Pourtant, un document fuité de l’ONU avait antérieurement impliqué le gouvernement rwandais dans l’entraînement des insurgés. Les relations bilatérales se sont effondrées, des dizaines de milliers de réfugiés burundais ont fui vers le Rwanda, la commerce et les voyages ont été restreints, et un conflit territorial a été rallumé.

La rude réalité: le Rwanda a joué un rôle majeur dans la déstabilisation du Burundi. J’ai fourni des preuves à la conférence d’Oslo

L’analyste Thierry Vircoulon a affirmé que le gouvernement cherche des boucs émissaires externes pour distraire des problèmes économiques et divisions politiques. La répression et la diplomatie intransigeante se font au nom de la souveraineté et du « peuple », ce qui fait des opposants des opposants à la nation.

Le gouvernement a organisé son propre dialogue, comme une alternative à la médiation internationale. Pourtant, International Crisis Group l’a traité d’un « simulacre de débat », surtout, ses conclusions qui avaient recommandé des changements de la constitution renforçant le pouvoir du  CNDD-FDD – Nkurunziza, y compris la suppression de la limite des deux mandats présidentiels et un affaiblissement de l’Accord d’Arusha, (l’accord de paix post-conflit). Le président a aussi évoqué un possible quatrième mandat, critiqué par l’opposant Jean Minani pour vouloir « rester au pouvoir éternellement ».

Réactions

L’attention internationale est largement ailleurs, et les divisions au sein de l’ONU et l’UA ont généré l’inertie. L’EAC, en théorie, a une influence économique, mais plusieurs gouvernements voisins sont réticents et préoccupés par leurs affaires domestiques.

Le statut quo “gelé”, de violence politique plus clandestine et l’adversité économique, pourrait durer indéfiniment. En dépit  des problèmes économiques et budgétaires sérieux, Bujumbura semble prêt à tout simplement attendre la fin de la pression internationale. Davantage de sanctions, ajoutées aux attaques insurgées, pourraient renforcer cette mentalité d’assiégé.

Les efforts internationaux vers le dialogue et le compromis ont été improductifs, mais d’autres options existent. Un soutien aux médias indépendants pourrait aider à améliorer l’accès aux informations fiables, et le déploiement des observateurs des droits et de la police, antérieurement acceptés, pourraient aussi freiner la violence et l’impunité.

“Les tyrans amènent les envahisseurs” : La Russie a contribué à la victoire d'Assad, et maintenant ?

mercredi 25 janvier 2017 à 13:23
President of Syria Bashar Assad greets Russian president Vladimir Putin at the Kremlin in October 2015. PHOTO: Web site of President of Russia (CC BY 4.0)

Le président syrien Bachar El Assad salue le président russe Vladimir Poutine au Kremlin en octobre 2015. PHOTO: Site internet de la présidence russe (CC BY 4.0)

“Les tyrans amènent les envahisseurs” – Ibn Khaldoun (1332-1406)

Pendant que tombait Alep libérée, et que les activistes des médias diffusaient l'horreur en temps réel, des milliers de manifestants protestaient dans les rues de la planète contre la catastrophe humanitaire en cours. Si une telle solidarité est vitale, d'aucuns ont pu regretter amèrement qu'elle arrive six mois trop tard. Les dernières enclaves de démocratie de base et de résistance créative sont en voie d'écrasement, et la guerre de Syrie mute vers une phase beaucoup plus sombre et plus terrifiante.

Une victoire assadiste à Alep aurait été impossible sans appui russe. Le régime frôlait l'écroulement en septembre 2015 lorsque Poutine intervint à sa demande. Il avait déjà été sauvé une fois auparavant, par l'Iran, en 2013. Le schéma d'Alep est rejoué contre les communautés dissidentes ailleurs. Des sièges qui paralysent et affament sont imposés sur terre par une brochette de milices principalement étrangères et chiites soutenues par l'Iran, tandis que du ciel les bombes et missiles pleuvent des avions d'Assad et de la Russie. Les accords forcés de capitulation exilent la population de ses foyers, peut-être pour toujours.

La Russie est initialement intervenue en prétextant la lutte contre l'EI. Pourtant plus de 80 % des bombes russes sont tombées loin des territoires contrôlés par le groupe terroriste. En revanche, c'est sur les collectivités qui se sont auto-organisées en conseils locaux démocratiques qu'elles sont tombées, sur les écoles et hôpitaux que médecins et enseignants ont désespérément tenté de maintenir en fonctionnement, sur des secouristes bénévoles risquant leurs vies pour retirer des décombres des enfants ensanglantés et épouvantés.

Dans les 305 premiers jours de son intervention, les frappes aériennes de la Russie ont tué 2.704 civils, dont 746 enfants. Les organisations humanitaires et de droits humains tant syriennes qu'internationales attestent du ciblage systématique et délibéré des hôpitaux par la Russie comme tactique de guerre. L'intervention russe était destinée à empêcher la chute du régime et à aider celui-ci à regagner le territoire perdu, et elle a réussi.

La relation entre la Russie et le régime Assad est historique et remonte à la guerre froide. L'Union Soviétique vendait des armes à la dictature syrienne et les étudiants syriens fréquentaient les universités de la Russie et d'autres pays du bloc de l'Est. Une base navale soviétique a été installée à Tartous, la seule base russe en Méditerranée. La Syrie était un actif russe, et Poutine a redynamisé cette relation. Les bombes russes maintiennent Assad au pouvoir, et la Russie protège son obligé au Conseil de Sécurité de la même façon que les USA protègent Israël.

Avec son intervention en Syrie, la Russie a étendu et mis à niveau sa base navale de Tartous en une installation permanente, et établi en 2015 une base aérienne au sud de Lattaquié. Les accords avec le régime confèrent aux compagnies russes le bénéfice de contrats lucratifs d'exploration pétrolière et gazière. La Russie a une vitrine pour ses matériels de guerre avancés et a accru ses exportations d'armes. Mais surtout, à travers la Syrie c'est l'hégémonie des USA au Moyen-Orient que la Russie a brillamment mise en échec. C'est la Russie qui mène les négociations internationales, après la reculade d'Obama marquée par l'accord sur les armes chimiques. Poutine développe également les relations avec les autres autocraties de la région, comme la Turquie d'Erdogan et l'Egypte de Sissi, avec qui il vient de conduire des manoeuvres militaires communes. Poutine a aussi renforcé les relations avec Israël, avec l'accroissement de la coopération économique, la vente à Israël de drones militaires et le partage de renseignements militaires sur la Syrie.

Par ses bombardements aériens constants qui ont chassé des milliers de gens de chez eux, et son appui aux mouvements populistes fascisants en Occident, la Russie contribue aussi à la déstabilisation de l'Europe, déjà sous le choc du néolibéralisme et de l'austérité en faillite. Par la voix de ses organes de propagande comme Russia Today, elle propage une campagne de désinformation, destinée moins à convaincre qu'à embrouiller les esprits.

D'aucuns prétendent que l’intervention russe n'a rien d'impérialiste si l'armée russe a été invitée par le régime syrien. L'argument revient à dire que l'intervention américaine au Vietnam n'était pas de l'impérialisme non plus puisqu'elle avait été sollicitée par le gouvernement sud-vietnamien. Ces commentateurs pensent que la souveraineté réside dans les Etats et non dans les peuples, et que la légitimité peut continuer à appartenir à ceux qui mènent une campagne d'extermination contre ceux les contestataires pacifiques de leur pouvoir.

D'autres diront que les rebelles sont aussi soutenus par des impérialismes régionaux et internationaux, adossés aux Etats-Unis, à la Turquie et aux pays du Golfe. Mais les aides reçues par les rebelles n'ont jamais eu aucune commune mesure avec le niveau du soutien financier et militaire que le régime a obtenu de ses alliés. L'intervention la plus significative d'Obama a été son veto à la fourniture par des Etats d'armes de défense anti-aérienne aux rebelles. C'est l'incapacité des rebelles à riposter à l'usage écrasant de la force aérienne par Assad qui a maintenu l'équilibre des forces en faveur du régime en anéantissant toute alternative possible à son règne.

L'abandon d'Alep laisse clairement apparaître que les priorités de la Turquie sont l'écrasement de l'autonomie kurde dans le nord de la Syrie et la campagne autoritaire d'Erdogan contre toute dissidence. Quant aux pays réactionnaires du Golfe, ils ont tous leurs propres arrières-pensées, appuient leurs factions respectives, contribuant à la désunion et aux querelles internes des rebelles. Motivés d'abord par leur lutte avec l'Iran pour la domination régionale, ils attisent les flammes de l'intolérance religieuse et de l'extrémisme que le régime syrien et ses alliés ont provoqués avec une grande perversité.

Trump semble ne pas vouloir dévier notablement de la position isolationniste d'Obama. Comme Obama, il continuera à voir l'EI comme la principale menace pour les intérêts américains. Ce qui n'aide en rien les Syriens, pour qui le principal obstacle à la paix est le régime, qui en compagnie de ses alliés est responsable de plus de 90 % des morts de civils et est la cause essentielle du déplacement de populations. Cela fait un certain temps qu'Obama et Poutine se coordonnent dans la “guerre contre la terreur”. Trump admire Poutine et va probablement travailler directement avec lui et Assad, et encore moins de soutien de façade à des notions comme les droits humains, la démocratie ou la protection des civils. Tant pis si Assad et Poutine bombardent l'Armée syrienne libre et les milices salafistes qui combattent réellement l'EI, tout en étant les seules défenses des civils.

Reste à savoir si des tensions ne vont pas se développer entre l'Iran et la Russie. Déjà avec l'accord d'évacuation d'Alep négocié entre la Russie et la Turquie, les milices religieuses de l'Iran avaient traîné les pieds. Et si Trump se rapprochera de Poutine, ses proches conseillers sont opposés à l'accord nucléaire d'Obama avec l'Iran. Mais la Russie sait aussi qu'Assad ne peut pas garder le territoire reconquis sans les troupes au sol adossées à l'Iran. Peut-il y avoir plus qu'un marionnettiste qui tire les ficelles ?

La chute d'Alep pourrait bien être le dernier clou dans le cercueil de l'orpheline révolution syrienne. La victoire assadiste signifie la fin de l'expérience de démocratie civile d'Alep, jadis jadis flambeau d'espoir. Elle signifie l'arrestation potentielle de nouvelles centaines d'activistes de la société civile, de travailleurs médicaux et humanitaires qui rejoindront les milliers qui croupissent déjà en prison sans guère d'espoir de remise en liberté. Les réfugiés et déplacés ne pourront jamais revenir chez eux. Les groupes extrémistes croîtront en puissance, à l'abri désormais de la pression populaire. Ce sera le retour à l'empire de la peur.

Les Syriens ont payé au prix fort leur désir de liberté, bombardés par leur propre gouvernement, bombardés par les gouvernements étrangers, et envahis par les djihadistes les plus déments de la planète.Le régime n'a jamais montré de volonté sincère de négocier. Assad n'est pas prêt à renoncer à son pouvoir ou à le partager. Tous les cessez-le-feu ont jusqu'à présent préludé à un redoublement de massacres et de déplacements, exécutés avec rien de plus que les “fermes condamnations” de la communauté internationale. Assad, la Russie et l'Iran ont foi en une solution militaire à ce conflit.

Il appartient maintenant aux individus, mondialement, de construire un mouvement anti-guerre soutenu, qui se tienne aux côtés du peuple syrien contre tous les Etats qui participent à cette guerre et la perpétuent.

Cet article a été initialement publié le 20 décembre 2016 sur le site Open Democracy, sous une licence Creative Commons.

Les services de sécurité kirghizes déclarent la guerre à ceux qui critiquent le président sur Facebook

mercredi 25 janvier 2017 à 11:14
Kyrgyz President Almazbek Atambayev at a meeting in St. Petersburg, Russia, in 2015. Russian government image, licensed to reuse.

Le président kirghize Almazbek Atambaïev lors d'une rencontre à Saint-Pétersbourg, en 2015. Photographie des services gouvernementaux russes, reproduite avec autorisation.

Ci-dessous, un billet publié par un site partenaire,  EurasiaNet.org [en anglais], que nous reproduisons avec son autorisation. 

Les services de sécurité de Kirghizie enfilent les gants de boxe pour un combat (par claviers interposés) contre les utilisateurs de Facebook qui se montrent par trop critiques envers le susceptible président Almazbek Atambaïev. Les usagers des réseaux sociaux ne savent pas s'ils doivent en rire ou en pleurer.

Le 10 janvier, une lettre du vice-président du Comité gouvernemental de sécurité nationale (GKNB), adressée à une députée du Parti social-démocrate du Kirghizistan (SDPK), dirigé par Atambaïev, a commencé à circuler sur la toile. Selon cette lettre, le Comité a placé sous surveillance 45 usagers de Facebook critiquant ouvertement Atambaïev. Plus loin, le texte pointe plusieurs de ces usagers en les désignant nommément.

Officiellement, le terme employé par le directeur adjoint et ancien garde du corps d'Atambaiev, Bolot Souïoumbaïev, dans cette lettre dont l'authenticité a été confirmée par la députée Irina Karamouchkina, est le suivant : « publications à caractère négatif dirigées contre le chef du gouvernement ».

Une recherche rapide parmi les messages publics des internautes dénoncés dans la lettre montre qu'un très petit nombre seulement de ces messages sont ouvertement insultants envers Atambaïev – même s'il reste possible que certains messages vraiment injurieux aient été effacés par les internautes eux-mêmes.

Le plus audacieux de ces messages a été posté sur la page de Toïtchoubek Akmatala le 24 novembre [en kirghize]. Il s'agit d'un repost d'un message qui tourne en ridicule la façon dont un allié politique du président Atambaïev l'appelle « le père de la nation ». De nombreux utilisateurs de Facebook ont laissé des commentaires moqueurs où ils parlent d'une tentative d'instaurer un culte de la personnalité.

Le post contient aussi un photomontage d'Atambaïev avec deux yeux exorbités et d'un jaune pas très sain collés sur son visage.

Mme Karamouchkina, qui a la réputation d'être le pitbull du SDPK, est la première à avoir appelé [en anglais] le GKNB à poursuivre les internautes critiquant le président, au cours d'une séance parlementaire qui s'est déroulée en octobre. A quoi le second vice-président du GKNB a répondu que c'est exactement ce que faisait son parti – des investigations qu'il a justifiées en faisant valoir qu'Atambaïev est un « symbole du pays » méritant le même respect que l'hymne et le drapeau nationaux.

Peu après cet échange qui a semblé à de nombreux observateurs soigneusement mis en scène, le cerbère des médias locaux, l'Institut politique des médias, a fait une mise au pont pour préciser que, d'après la constitution, le président n'est pas un symbole de l'Etat, contrairement à l'hymne ou au drapeau.

Bien que certaines modifications relativement importantes de la constitution kirghize aient été adoptées par référendum l'an dernier, c'est toujours le cas.

Cependant, dans la politique kirghize, la règle du droit peut céder le pas à la nécessité politique, et les critiques disent que les autorités tentent de mettre Facebook, une plateforme investie par des personnalités très politisées de la société civile, sous contrôle.

Quelques semaines avant que soit rendue publique la lettre du directeur du GKNB à Mme Karamouchkina, un tribunal civil avait créé un précédent, en se prononçant contre un utilisateur de Facebook ayant critiqué son collègue du SDKP Dastan Bekechev. «[Le gouvernement] fait pression sur les utilisateurs pour qu'ils s'autocensurent, avait déclaré Adil Tourdoukoulov, qui dirige le groupe d'avocats du Comité de défense de la liberté de parole, et qui est lui-même poursuivi au civil pour offense à un autre ex-membre du service de sécurité d'Atambaïev.

«Maintenant les gens y réfléchiront à deux fois avant de poster une critique du gouvernement, a-t-il dit à EurasiaNet.org. [Le Kirghizistan] est en train de prendre modèle sur la Russie et le Kazakhstan, où on peut aller en prison pour un repost ou un like.»

Bien que le contenu de la lettre du GKNB ait de quoi inquiéter, les possibilités réelles de faire une rafle systématique chez les ennemis virtuels d'Atambaïev restent douteuses. Par exemple, dans sa lettre à Mme Karamouchkina, M. Souïoumbaïev écrit que, à en juger par les adresses IP, les utilisateurs de Facebook en question résident à l'étranger et ne peuvent donc pas être soumis à un interrogatoire.

L'une des utilisatrices de Facebook mentionnées dans la lettre du GKNB a donné une interview au portail d'information kloop.kg, dans laquelle elle se moque des allégations des services de sécurité et récidive.

« Lequel de mes posts n'a pas plu à Atambaïev ? Si j'écris quelque chose, c'est que c'est la vérité. […] Le GKNB est une honte. Il sont tellement fortiches qu'il ne sont même pas capables de trouver mon adresse IP. Je ne vis pas dans le pays où vous m'avez domiciliée. Je suis au Kirghizistan. Et je le répète: „A bas Atambaïev!“ »

Plusieurs utilisateurs ont été convoqués pour interrogatoire après leurs posts sur Atambaïev, ce qui a fait perdurer une « tendance » apparue à la fin de l'année dernière [en anglais]. Selon un communiqué de Radio Azattyk — le service kirghize de Radio Liberty/Radio Free Europe — dans la région de Jalal-Abad, dans le sud du pays, onze personnes ont déjà été interrogées dans les locaux du GKNB depuis le début de l'année pour avoir critiqué Atambaïev.

Goulnoura Toralieva, ancienne conseillère du gouvernement et fondatrice de l'organisation non commerciale «Ecole de relations publiques de Bichkek», a jugé «absurde» et représentant «un précédent dangereux» l'intérêt soudain de la police pour des posts Facebook critiquant Atambaïev. Cependant, elle n'est pas étonnée que les autorités montrent un intérêt à instaurer un contrôle sur les médias sociaux.

«Depuis ces deux dernières années, les réseaux sociaux montent en puissance car c'est de plus en plus souvent par leur biais que les utilisateurs s'informent, tandis que les journalistes et la société civile s'en servent comme plateforme», — a déclaré Mme Toralieva à Eurasianet.org, commentant ce qui venait de se passer pour Facebook.

«[Les réseaux sociaux] ont vu émerger des commentateurs influents et des gens qui ont du poids dans la société. Les hommes politiques peuvent y publier des déclarations et démentis sans passer par les journalistes. Le gouvernement peut s'en servir pour réagir à l'humeur publique et marquer des points. S'il ignore les réseaux sociaux, il perdra la partie.»

Pour l'instant, plusieurs des utilisateurs kirghizes de Facebook ciblés par le GKNB ont répondu à cette campagne de mauvaise publicité en appelant leurs amis à se joindre à eux pour critiquer Atambaïev.

« Désormais, de nombreux internautes ont un objectif commun: se retrouver sur cette liste :-) », plaisantait le 11 janvier le photographe Ilia Karimdjanov.