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La Jordanie reprend possession de terres ‘louées aux Israéliens’ par le traité de paix de 1994

dimanche 4 novembre 2018 à 14:01

Un mémorial actuel à in Baqoura/Naharayim. Photo: Yoavd via Domaine public. Source: Wikipedia.

La décision du roi de Jordanie Abdullah II de ne pas reconduire une section du traité de paix de Wadi Araba de 1994, pour récupérer plusieurs zones de terres agricoles louées à Israël, a été bien accueillie par les Jordaniens, qui parlent de “gain historique”.

Les Jordaniens ont longtemps parlé des terres de Baqoura (Naharayim en hébreu) et de Ghumar comme de “terres jordaniennes louées aux Israéliens” selon le traité de paix israélio-jordanien de 1994. Dans un entretien télévisé de mars, le premier ministre et négociateur principal de la paix Abdel Salam Majali a révélé qu'il s'agissait de “propriétés privées israéliennes sous souveraineté jordanienne”, ce qui a laissé sous le choc autant les Israéliens que les Jordaniens.

Du côté de la Jordanie, personnalités parlementaires, partis politiques et simples citoyens se sont penchés à nouveau sur les termes du traité et ont confirmé que les annexes concernant les deux zones ne mentionnaient en aucune façon le mot “bail” malgré la perception publique dominante.

Le traité de paix place en fait les terres de Baqoura et Ghumar sous un “régime spécial” entre les deux pays pour une période de 25 ans, prenant fin en octobre 2019. L'accord consistait en ce que ces zones n'étaient pas assujetties à la réglementation des douanes et de la police des frontières. Il accordait aussi des droits israéliens illimités d'entrée et de propriété.

Dans le cas où un des deux pays ne souhaiterait pas renouveler les termes de l'accord, il s'oblige à donner un préavis d'un an à l'autre de son intention, sinon la reconduction est automatique.

La révélation faite en mars a courroucé l'opinion, persuadée que l'usage permanent du terme “location” au sujet de la question dans les années passées était “une tentative délibérée de tromper le public”, réitérée dans une conférence de presse par Ibraheem Tarawneh, le président du Conseil des associations professionnelles.

Tarawneh a déclaré :

We were fooled into thinking it was a lease to be terminated after 25 years, but now we know that there is no lease, and that we were actually under what qualifies as Israeli occupation and exploitation all this time.

On nous a dupés pour nous faire croire qu'il s'agissait d'un bail expirant au bout de 25 ans, mais maintenant nous savons qu'il n'y a pas de bail, et que nous étions en réalité pendant tout ce temps dans ce qui était une occupation et une exploitation israéliennes.

Pendant les sept mois qui ont suivi, l'opinion jordanienne a réclamé une déclaration officielle claire concernant la date-limite qui approche pour l'annonce que doit faire la Jordanie si elle souhaite mettre fin aux annexes.

Devant le refus du gouvernement de s'exprimer sur la question, et à quatre jours seulement de la date-limite de la reconduction, les activistes jordaniens sont descendus dans la rue le 19 octobre 2018, pour exprimer leur ferme opposition au renouvellement, qu'ils ont appelé “une tache honteuse qui a longtemps poursuivi les Jordaniens”.

Deux jours après la manifestation, l'annonce par le Roi du souhait de la Jordanie de mettre fin aux annexes du traité sur Baquoura et Ghumar est passée par Twitter, envoyant le signal de réactions positives de Jordaniens de tout le royaume, qui s'inquiétaient du silence du gouvernement à ce sujet.

Baqoura et Ghumar étaient en tête de nos priorités. Notre décision est de mettre fin aux annexes Baquoura et Ghamar du traité de paix (israélo-jordanien de 1994) par notre volonté de prendre toutes décisions servant la Jordanie et les Jordaniens.

Le gouvernement n'a pas encore fait connaître les prochaines étapes de la récupération des terres, mais les analystes politiques prédisent que celles de Baqoura, propriétés privées d'Israéliens, devront être rachetées à leurs propriétaires légitimes.

Quant à Ghumar, le “régime spécial” sera annulé avec la disposition correspondante du traité, avec le simple rétablissement des terres sous la souveraineté jordanienne, et la réinstauration des réglementations notamment douanières et de police des frontières jadis absentes sous l'effet du traité.

Après l'annonce par le Roi, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a tweeté le même jour :

Nous entrerons en négociations avec la Jordanie sur la possibilité de prolonger l'accord existant. Mais il ne fait pas de doute que le traité constitue un atout important et précieux pour nos deux pays.

Il n'y a plus eu de commentaires de part et d'autre après le tweet de Netanyahou, mais des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles Israël allait interrompre ses fournitures d'eau à la Jordanie. Ce qu'a immédiatement démenti le gouvernement jordanien.

Netizen Report: Comment WhatsApp (et 3 millions de dollars) ont contribué, au Brésil, à la victoire de Jair Bolsonaro

dimanche 4 novembre 2018 à 12:24

“Nos rêves ne rentrent pas dans leurs urnes” Pochoir au Wisconsin, États-Unis. Photo de David Drexel via Wikimedia Commons (CC BY 2.0)

Le Netizen Report de Global Voices Advox offre un aperçu des défis à relever, des victoires obtenues et des tendances émergentes en matière de libertés numériques dans le monde. Le présent numéro rapport revient sur les événements suivis en octobre 2018.

Le 28 octobre, la plus grande démocratie de l'Amérique Latine a élu un président dont la campagne a été mue par une poussée de violence, de rumeurs de fraudes, et une succession de nouvelles et informations en ligne qui se sont avérées fausses.

Le Président élu Jair Bolsonaro, un ancien capitaine de l'armée ayant siégé à l'Assemblée Nationale brésilienne depuis 1991, qui a ouvertement exprimé son point de vue misogyne et homophobe s'est engagé récemment “à mettre fin à tout militantisme au Brésil.’’

Tout juste 19 jours avant le vote final, il fut révélé que la campagne électorale de Bolsonaro avait dépensé 3 millions de dollars US pour diffuser des informations sur WhatsApp. La Folha de São Paulo, un des organes de presse les plus importants au Brésil, a mis au jour les stratagèmes qui ont dévoilé les possibles origines des nombreux messages virulents ayant semé la discorde et des fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux au Brésil pendant les mois précédant l'élection. Malgré les efforts de multiples entités de vérification des faits, et quelques interventions de Facebook, la désinformation semble avoir joué un rôle majeur dans la campagne de Bolsonaro.

Ceux qui ont essayé de dénoncer les tentatives de désinformation en ont aussi payé le prix. Peu après que la journaliste de la Folha de São Paulo Patricia Campos Mello eut écrit sur l'affaire des 3 millions USD à WhatsApp, elle commença à recevoir des menaces et a vu son compte personnel WhatsApp piraté. Les agresseurs ont effacé quelques-unes de ses conversations et envoyé des messages pro-Bolsonaro à ses contacts. Un journaliste de l'Estado de São Paulo, un autre journal, a été doxé après avoir écrit une suite à l'article de Mello. Selon l'Association brésilienne du journalisme d'investigation (ABRAJI) 141 cas de menaces et violences contre les journalistes ont été enregistrés pendant la couverture des élections de 2018.

Bolsonaro pourrait avoir à répondre à des questions embarrassantes sur sa campagne devant la justice du Brésil, car la combine sur WhatsApp a peut-être violé les lois brésiliennes sur les élections et la protection des données. Mais en attendant, le candidat d’extrême droite, imperturbable, prépare son investiture et communique activement avec ses partisans sur WhatsApp.

Le reste de l'actualité…

Deux Indonésiens ont été arrêtés pour “transmission et diffusion d'informations électroniques au contenu immoral”, un crime en vertu de la loi indonésienne sur les transactions électroniques et l'information. Les deux dirigeaient un groupe de rencontre gay sur Facebook. Le 18 octobre, la police a fait irruption dans leur appartement et leur a confisqué cinq téléphones cellulaires et 25 préservatifs.

Trois journalistes du Myanmar ont été arrêtés le 11 octobre et accusés d'avoir semé “la peur et l'inquiétude dans l'opinion publique” après la publication dans Eleven News Media de leur enquête sur les dépenses affectées au système de transport public de la ville de Yangon. Le groupe birman de défense de la liberté d'expression Athan a recensé 43 plaintes contre des journalistes au Myanmar depuis avril 2016.

Le journaliste vietnamien Do Cong Duong a été reconnu coupable “d'abus des libertés démocratiques ” et condamné à cinq ans de prison le 12 octobre, pour ses efforts sur Facebook et Youtube, visant à dénoncer la corruption, la spoliation des terres et les évictions forcées. Il a été condamné dans une autre affaire en septembre 2018 pour “trouble à l'ordre public.”

L'Agence fédérale d'enquête du Pakistan a procédé à 209 arrestations à ce jour en 2018 en vertu de la loi sur la prévention de la criminalité électronique. Adoptée en 2016, la loi criminalise certaines formes de harcèlement en ligne (définies comme des “communications indécentes”) mais accorde également à l'Autorité pakistanaise des télécommunications des pouvoirs importants de censurer, si elle l'estime nécessaire, certains discours d'internet “ préjudiciables aux intérêts de la gloire de l'islam, ou de l'intégrité, de la sécurité ou de la défense du Pakistan.”

Le journaliste nigérian Jaafar Jaafar se cache suite aux nombreuses menaces de mort qu'il a reçues à la mi-octobre pour avoir publié une vidéo mettant à nu l'acceptation par un gouverneur local de 5 millions de dollars US de pots-de vin par des entrepreneurs privés.

Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi a disparu le 2 octobre. Khashoggi, qui s'était rendu à l'ambassade d'Arabie saoudite à Istanbul pour récupérer des documents en vue de son mariage n'en est jamais ressorti. Le 31 octobre, le procureur général d'Istanbul a publié une déclaration officielle disant que Khashoggi avait été étranglé à son entrée à l'ambassade, et qu'ensuite des agents saoudiens avaient démembré son corps. Chroniqueur d'opinion pour le Washington Post, Jamal Khashoggi avait auparavant travaillé comme rédacteur en chef pour Al Watan, l'un des médias les plus pro-réformistes du royaume.

Il y a un an, la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia. était assassinée. Mieux connue pour son blog d'information indépendant, Running Commentary, Caruana Galizia fut la première à annoncer l'implication des politiciens maltais dans les Panama Papers en avril 2016. Caruana Galizia a été tuée par une voiture piégée le 16 octobre, 2017. Ses sympathisants que l'enquête sur son meurtre “n'a pas été menée de manière impartiale et indépendante” et continuent de réclamer justice dans son cas.

A la veille des élections, les FAI du Cameroun ont ralenti les médias sociaux et les services de communications mobiles. Ce n'est pas une première pour le pays, où la partie anglophone a subi plus de 230 jours d'interruption d'internet depuis 2016.

L'accès à Internet est trop cher. Le dernier rapport sur l'accessibilité financière de la World Wide Web Foundation Affordability Report révèle qu'internet est inabordable dans 60% des pays. En novembre, la Web Foundation va publier un nouveau rapport montrant que les taux globaux d'adoption d'internet (c'est à dire le nombre de personnes qui se connectent pour la première fois) baissent fortement — de 19% en 2007 à juste 6% en 2017.

 

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Lynchages en Inde, infox au Brésil : quand la désinformation devient virale, Facebook doit-il agir ?

samedi 3 novembre 2018 à 21:57

“In WhatsApp we trust.” Arrêt sur image d'une vidéo sur YouTube de Estudio Fluxo.

La série de lynchages nés de rumeurs propagées sur WhatsApp [la messagerie propriété de Facebook] qui a tué une vingtaine de personnes en Inde pendant les mois de juin et juillet 2018 a contraint la firme à agir.

Dans la foulée d'une réprimande du ministère de l'électronique et des technologies de l'information de l'Inde, WhatsApp a procédé à deux modifications techniques. Au niveau mondial, l'entreprise a restreint le transfert groupé des messages de 256 à 20 groupes ou contacts à travers le monde. En Inde, elle a réduit ce nombre à seulement cinq. L'entreprise a également créé une page d'aide, disponible uniquement en Inde, avec les coordonnées d'un agent recevant les plaintes.

Bien sûr, d'autres facteurs ont contribué à paver la voie à la survenue de ces lynchages :  maintien de l'ordre dysfonctionnel et corrompu, faiblesse de l’État de droit, discours et politiques nationalistes hindoues ont tous eu leur part. Néanmoins, en paraissant reconnaître son rôle de catalyseur dans ces crimes, Facebook a réagi.

Quand on constate une forte corrélation entre désinformation sur les médias sociaux et menaces à la sécurité publique ou à la démocratie, à quel moment les enjeux sont-ils assez élevés pour qu'une entreprise comme Facebook intervienne ? Quelles mesures peut-elle prendre qui se montrent réellement efficaces ?

Cette question est douloureusement d'actualité cette semaine pour de nombreux Brésiliens, avec l'élection à la présidence du candidat d'extrême-droite Jair Bolsonaro le 28 octobre.

Ancien capitaine de l'armée et député, Bolsonaro a mené une campagne clivante et émotionnelle, propulsée par des campagnes de “fake news” partagées sur les médias sociaux, et notamment sur WhatsApp. Il a promis de mettre fin à la corruption du pouvoir et à la criminalité de rue, tout en proférant ouvertement des opinions misogynes et homophobes, et en approuvant l'usage de la torture pendant la dictature militaire au Brésil.

La désinformation en faveur de Bolsonaro a fait le tour des médias sociaux au Brésil pendant des mois avant l'élection, et les preuves ne manquent pas de la part des groupes de vérification des faits que ces messages, s'ils n'étaient pas tous en sa faveur, le soutenaient pour la plus grande part.

Mais le moteur de ces campagnes de désinformation n'est apparu au grand jour que lorsque la Folha de S. Paulo, le plus grand journal du Brésil, a établi qu'un groupe de grandes entreprises finançait secrètement la propagation massive via WhatsApp de messages calomnieux sur Fernando Haddad, l'adversaire de Bolsonaro.

Tout juste dix jours avant le vote final, la Folha a rapporté que les associés en affaires de cette campagne ont versé environ 3 millions de dollars aux entreprises qui mettaient en œuvre le système. Outre les implications juridiques de ce système pour la campagne de Bolsonaro (la violation des lois sur le financement des campagnes électorales), ces révélations soulèvent des questions graves sur la façon dont la technologie et la prédominance sur le marché de WhatsApp ont aidé à rendre possible ce système.

La campagne de désinformation de Bolsonaro

Sur la durée du week-end de l'élection, une coalition de vérificateurs a marqué 20 histoires fausses ou prêtant à confusion circulant sur de multiples plateformes — dont 16 penchaient vers les promesses de campagne de Bolsonaro ou son idéologie générale.

D'août à octobre, le respecté organe de vérification Agência Lupa a pu faire une recherche sur la diffusion d'images trompeuses dans 347 différents groupes WhatsApp où se tenaient des discussions politiques. L'agence a trouvé que sur les 50 images les plus transférées, quatre seulement étaient totalement véridiques.

Légende : image largement partagée montrant faussement l'ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff avec Fidel Castro. Voici la photo d'origine, prise en avril 1959 pendant la visite de Castro à New York. Dilma Rousseff avait alors 11 ans.

La photo la plus populaire parmi ces groupes était celle en noir et blanc de Fidel Castro en 1959, trafiquée pour remplacer le visage d'une femme à son côté par celui de l'ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff. C'est un exemple d'une image qui ne mentionne pas explicitement Bolsonaro, mais étaie ses prétentions publiques que le Parti des travailleurs, et Fernando Haddad en particulier, sont associés au communisme.

Facebook aurait-il pu faire plus ?

Quand les vérification de faits brésiliens ont approché la compagnie, au début d'octobre, proposant des changements similaires à ceux opérés par l'entreprise en Inde, WhatsApp a répondu que “le temps manquait” pour les faire. Pourtant, après les révélations de la Folha, WhatsApp a fermé plus de 100.000 comptes au Brésil pour spam.

Après le retrait de ces comptes, le PDG de WhatsApp Chris Daniels a écrit une tribune pour la Folha, dans laquelle il listait les mesures prises par WhatsApp pour combattre la désinformation sur sa plateforme. Mais les ajustements techniques qu'il a cités avaient déjà été mis en œuvre en juillet dans le monde entier. Aucun n'était spécifique au Brésil.

Pour autant que nous sachions, ce n'est qu'en Inde que l'entreprise est intervenue au plan technique, en modifiant effectivement la capacité d'envoi de messages du service. Cette semaine, de nombreux Brésiliens peuvent tourner leurs regards vers l'Inde, et se demander pourquoi Facebook n'a pas pu faire de même pour eux.

Sur WhatsApp, le chiffrement de bout en bout rend pratiquement impossible de modérer les contenus. Le seul moyen de modifier la dynamique du flux d'information sur WhatsApp est d'en altérer techniquement les capacités, comme cela a été fait en changeant le nombre de groupes pouvant recevoir un message transféré. Mais même alors, il reste incroyablement difficile de savoir quels genres d'interventions peuvent fonctionner pour atténuer la propagation de la désinformation à cette échelle. Les mesures prises en Inde se sont-elles avérées efficaces ? C'est presque impossible à mesurer, vu la façon dont WhatsApp est construit et la présence de facteurs externes.

Ce qui est clair, c'est que même avec les changements introduits par la compagnie au niveau mondial cet été, les systèmes comme celui de Bolsonaro peuvent rester extrêmement efficaces sur WhatsApp.

Et si on réglementait ?

Les responsables électoraux brésiliens auraient-ils pu pousser Facebook à prendre d'autres mesures ? Peut-être, mais à la différence de l'Inde (un pays qui ne craint pas de couper les services internet), la Constitution de l'Internet du Brésil, appelée là-bas “Marco Civil”, met les entreprises comme Facebook à l'abri des responsabilités pour les effets des contenus publiés sur leurs plateformes, à la manière de la section 230 du Communications Decency Act aux U.S.A..

La justice brésilienne n'hésite pas à sanctionner les entreprises quand elles franchissent les lignes de leurs responsabilités. Mais en l'espèce, bien que le tribunal électoral ait reconnu la profusion de désinformation qui a inondé les sites de médias sociaux au Brésil depuis décembre 2017, elle n'a pas agi. Et même si les juges avaient fait des recommandations ou trouvé un moyen de contraindre Facebook à apporter de plus grands changements, on ne peut pas savoir s'ils auraient servi – et ils auraient aussi pu avoir d'autres inconvénients.

Ce qui est arrivé au Brésil montre que Facebook ne connaît peut-être toujours pas son pouvoir s'agissant de désinformation. Qu'il y ait ou non régulation ou changements techniques, les limites de WhatsApp sont difficiles à décrypter.

Ce qui est sûr, c'est que les 45 millions de personnes qui ont voté pour Fernando Haddad, l'opposant vaincu de Bolsonaro, ont pu voir un candidat qui souhaite ouvertement que ses opposants politiques soient fusillés être porté à la victoire, avec l'aide d'une désinformation diffusée principalement sur des plateformes privées de milliards de dollars.

Bolsonaro quant à lui continue à vouer ouvertement aux gémonies la presse traditionnelle. Et à l'approche rapide de son investiture, à encourager ses partisans à se connecter avec lui sur WhatsApp.

Comment la Cour Suprême du Brésil a interdit à Lula de donner des interviews avant les élections brésiliennes

samedi 3 novembre 2018 à 15:35

Arc en ciel au créouscule, vu depuis la statue de la Justice | Photo: Fellipe Sampaio/Supremo Tribunal Federal/Divulgação

[Tous les liens sont en portugais, sauf mention contraire]

Au cœur d'une des élections les plus polarisées au Brésil, le Tribunal Suprême Fédéral (STF) a connu des journées de batailles de décisions judiciaires entre ses juges pour déterminer si l'ex-Président Luiz Inácio Lula da Silva, détenu depuis le 7 avril dernier, pourrait donner ou non des interviews aux médias brésiliens.

Fin septembre, le journal Folha de São Paulo, l'un des plus importants organes de presse du pays, a demandé au juge responsable de l'exécution des peines de Lula, en prison pour blanchiment d'argent et corruption passive, de pouvoir interviewer l'ancien président. La demande fut rejetée et le journal a porté l'affaire devant le STF au nom de la liberté de la presse.

Affirmant qu'il existe différents précédents garantissant le “droit des personnes emprisonnées, brésiliennes ou étrangères, d'accorder des interviews aux organes de presse, considéré à ce titre comme un exercice du droit à la défense”, le juge du STF Ricardo Lewandowski a autorisé le 28 septembre qu'une interview soit réalisée et diffusée.

Dans la nuit même du 28 septembre, Luiz Fux, en qualité de vice-président du STF, suspendait cette décision. Cette demande de suspension fut présentée par le Partido Novo (Parti Nouveau), un parti libéral qui prône notamment le libre marché et la liberté individuelle.

Le juge Fux a ainsi interdit à l'ex-président de “réaliser une interview ou une déclaration à la presse ou à n'importe quel autre média destiné à la diffusion au public”. En outre, il stipule que si “une interview ou déclaration a déjà été effectuée par la partie requise, la divulgation de son contenu sera interdite, sous peine de constituer un crime de désobéissance”.

Selon Fux, il y avait “un risque élevé que la diffusion d'une interview avec Luiz Inácio Lula da Silva, dont la demande a été rejetée, soit source de désinformation à la veille de l'élection”. Le ministre affirmait ainsi qu'il s'agissait d'une “relativisation exceptionnelle de la liberté de la presse”.

En guise de réponse, le juge Ricardo Lewandowski a réaffirmé sa décision et ordonné qu'elle soit appliquée. En plus de souligner que Fux n'avait pas la compétence d'interférer dans sa décision, le juge a assuré que le fait de porter la décision en formation plénière rendrait le positionnement du STF caduc.

Trois jours plus tard, c'est au tour du président du STF de prendre les devants. Le juge Dias Toffoli a exprimé son désaccord après l'envoi d'une demande de clarification par le Ministère de la Sécurité Publique. Il déclarait ainsi que la suspension de la décision rendue par le juge Luiz Fux devait être exécutée jusqu'à ce que l'affaire soit réglée par une formation collective de juges.

De fait, l'interdiction faite à l'ancien président Lula de se manifester publiquement, ainsi que la réalisation ou la diffusion d'interviews avec celui-ci est maintenue. Outre l'interview avec la Folha de São Paulo, celles avec le journaliste Florestan Fernandes Jr. et d'autres médias ont également été interdites.

Dans un reportage de la Folha, le rapporteur spécial pour la liberté d'expression de la Commission inter-américaine des Droits de l'Homme de l'Organisation des États Américains (OEA), Edison Lanza, a déclaré :

A decisão de proibir a realização e difusão de uma entrevista por parte da imprensa, a meu ver, constitui censura prévia e afeta o direito de liberdade de expressão do protagonista da entrevista, assim como do meio de comunicação que quer fazer seu trabalho de perguntar e informar o público

A mon avis, la décision d’interdire la réalisation et la diffusion d'une interview par la presse constitue une censure préalable et porte atteinte au droit de liberté d'expression du protagoniste de l'interview, ainsi qu'au moyen de communication qui souhaite faire son travail d'information au public.

Réactions

Le Ministre Dias Toffoli préside une session du STF. Photo: Nelson Jr./Tribunal Suprême Fédéral 

La guerre des décisions au sein du SFT fut ponctuée de manifestations d'entités représentatives de secteurs de la presse. Suite à la première décision du juge Luiz Fux, qui évoquait la “relativisation exceptionnelle de la liberté de la presse”, l'Association brésilienne de journalisme d'investigation (ABRAJI) publia un communiqué dans lequel elle affirmait qu'il “n'est pas possible de concilier ‘la libre expression des idées’ avec la régulation et la censure”, et demandait au tribunal de “rétablir l'accord, signé par la Cour lors de l'abrogation de la Loi sur la presse, en vertu duquel :

não cabe ao Estado, por qualquer dos seus órgãos, definir previamente o que pode ou o que não pode ser dito por indivíduos e jornalistas (…) a censura governamental, emanada de qualquer um dos três Poderes, é a expressão odiosa da face autoritária do poder público

il n'appartient pas à l’État, ni à aucun de ses organes, de définir à l'avance ce qui peut être dit ou non par les individus et les journalistes (…) la censure gouvernementale, qui émane de l'un des trois Pouvoirs, est l'expression odieuse du visage autoritaire du pouvoir.

La Fédération nationale des journalistes (FENAJ) a également publié une note suite à la confirmation de la décision par le juge Toffoli. La Fédération rejette la censure et affirme que “la démocratie brésilienne est menacée car l’état de droit démocratique a été violé par les institutions qui devaient veiller à son maintien”, qualifiant l'attitude du STF “d'inacceptable”.

Sur un ton moins combatif, l'Association de la presse brésilienne (ABI) soutient de son côté que, bien qu'interdites par la Loi sur les exécutions pénales, les interviews avec des personnes incarcérées sont courantes dans les médias brésiliens, reconnaissant toutefois que celle d'un ex-président incarcéré serait “inédite”. L'Association explique aussi que la solution à cette controverse ne résultera pas de “l'intolérance ou des passions qui imprègnent la campagne politique actuelle”.

L'état de la presse au Brésil

Le président du Tribunal Suprême Fédéral, le Ministre Dias Toffoli, donne une interview aux journalistes | Photo: Rosinei Coutinho/Tribunal Suprême Fédéral

Dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse [fr], établi par l'ONG Reporters Sans frontières (RSF), le Brésil pointe en 102ème position sur 180 pays. Une situation décrite comme “plus incertaine que jamais”. Toujours selon RSF, le Brésil est l'un des pays les plus violents d'Amérique Latine envers les journalistes. La liberté de la presse se heurte tant à la violence qu'à la détention des sites d'informations détenus par quelques groupes liés à des partis ou personnalités politiques.

Les mécanismes légaux et institutionnels visant à protéger les journalistes et leurs sources font également défaut. Outre la menace pesant sur leur intégrité physique et leur vie, les journalistes brésiliens redoutent aussi une sanction de l’État, parfois auteur de procédures judiciaires abusives.

Malgré quelques avancées timides grâce à de récentes décisions visant à protéger la liberté de la presse, le STF est devenu le théâtre d'un conflit dans lequel les intérêts des partis politiques l'emportent sur la liberté de la presse.

Alors que la décision finale concernant une possible interview de Lula reste suspendue jusqu'à la tenue d'une séance plénière du STF, les attaques contre la liberté de la presse ont constitué l'une des faits notables de l'élection présidentielle. Selon l'ABRAJI, en 2018, 137 cas de violence envers les journalistes ont été enregistrés dans un contexte politique, partisan et électoral. Ce nombre tend à augmenter tandis que la polarisation des partis s'intensifie et que les attaques contre la presse ont émaillé les discours des candidats à l'élection présidentielle, des partis et des militants politiques.

Six œillets rouges et une tête de bélier tranchée, les menaces de mort adressées à un journal indépendant russe

samedi 3 novembre 2018 à 11:29

Tête de bélier sur le seuil de la rédaction de la «Novaïa Gazeta» à Moscou. Photo Anna Artemievaïa/«Novaïa Gazeta», reproduction autorisée.

[Article d'origine publié le 18 octobre 2018. Sauf mention, les liens de cet article renvoient vers des pages en russe]

D'abord une couronne mortuaire. Puis une tête de bélier et un bouquet d'œillets rouges.

Ces horribles offrandes ont été déposées sur le seuil de la rédaction de la «Novaïa Gazeta», un média moscovite indépendant, dans le but évident d'effrayer et de réduire au silence des journalistes d'investigation travaillant pour le titre.

Le 17 octobre, la rédaction a découvert une couronne mortuaire accompagnée d'un avertissement adressé à l'un des journalistes, Denis Korotkov. Le billet le désignait comme «traître à la patrie». Plus tard le même jour, un coursier a livré au journaliste un bouquet de quatre œillets noués avec un ruban de deuil, avec un carton «Nous ne t'oublierons pas».

Le lendemain, sur le seuil de la «Novaïa Gazeta» est apparue une tête de bélier tranchée entourée de six œillets rouges. En Russie et dans certains pays de l'ancienne URSS, il est de coutume de déposer sur les tombes récentes un bouquet comprenant un nombre pair de fleurs. La corbeille contenait aussi un message sinistre de «salutations» à Korotkov et au rédacteur en chef de la «Novaïa Gazeta».

Il n'existe aucune preuve décisive de l'identité de l'expéditeur de ces envois, mais Korotkov a reçu une série de messages étrangement similaires de la part d'agences d'information liées au Kremlin et à un proche collaborateur de Vladimir Poutine, Evguéni Prigojine. Ce dernier est l'un des treize Russes qui, dans le cadre de l'enquête en cours aux États-Unis, sont accusés par le procureur spécial Robert Mueller d'avoir pris part à l'ingérence russe dans l’élection américaine de 2016.

En réponse à ces menaces, la  «Novaïa Gazeta» écrit ceci:

15 октября в ряде СМИ, в том числе на сайте РИА ФАН, которое связывают с Пригожиным, появились статьи о журналисте, в которых он называется «предателем», «изменником родины» и «пособником террористов», а в соцсетях появилось много однотипных сообщений о Короткове, оставленных пользователями, страницы которых напоминают аккаунты ботов.

Le 15 octobre, dans plusieurs médias parmi lesquels le site RIA FAN, lié à Prigojine, sont parus des articles sur le journaliste D. Korotkov dans lesquels il est traité de «renégat», de «traître à la patrie» et de «complice de terroristes», tandis que sur les réseaux sociaux circulaient de nombreux messages similaires. Les profils des utilisateurs qui les ont postés évoquent des comptes de bots.

Avant la «Novaïa Gazeta», Korotkov travaillait pour le site «Fontanka», un journal en ligne indépendant de Saint-Pétersbourg. Il y a signé une série d'articles sur une compagnie privée militaire secrète [en] qui se fait appeler «le groupe Wagner» [fr], et qui a contribué à l'implication de militaires russes dans la guerre civile en Syrie. «Fontanka» ainsi que d'autres médias ont publié des témoignages attestant que Evguéni Prigojine était le principal sponsor du «groupe Wagner».

Après un article détaillé sur les disparus du «groupe Wagner» en Syrie en 2017, des menaces de provenances diverses ont été adressées à Denis Korotkov et ont fini par le contraindre à quitter son domicile. L'auteur de ces menaces n'a pu être identifié à ce jour par la police russe.

En Russie, Prigojine est tristement célèbre pour avoir, semble-t-il, sponsorisé «l'Internet Research Agency [fr]» de Saint-Pétersbourg [plus connue sous le nom d'«usine à trolls»] dont les campagnes d'influence sur les réseaux sociaux avaient attiré l'attention des journalistes russes bien avant qu'elle fasse les gros titres des journaux du monde entier pour son ingérence dans les élections américaines de 2016. En 2017, elle a tenté de se racheter [en] une légitimité en tant qu’empire de médias, en lançant plusieurs sites d'info pourvus de licences de diffusion délivrées par l’État. 

Après la découverte de cette tête de mouton sur le seuil de ses locaux, la rédaction de la «Novaïa Gazeta» s'est adressée via Twitter au ministère de l'Intérieur et au parquet général pour exiger une enquête sur ces menaces :

Des «amis qui nous veulent du bien» ont envoyé des menaces aux journalistes de la @novaya_gazeta pour le deuxième jour consécutif. @mvd_official, @genproc, nous exigeons que ces faits fassent l'objet d'une enquête et que les coupables soient punis.

Plus tard, le site de la «Novaïa Gazeta» a publié une déclaration dans laquelle la rédaction se dit «désolée pour l'animal» sacrifié, et évoque «un climat d'hystérie et de haine» :

Клевета в наши времена — опасное оружие. Клевета и фейки приводят к войнам, убийствам и нападениям на общественных деятелей и журналистов.
Люди, которые развязали в соцсетях кампанию против «Новой газеты» и ее журналистов, прекрасно понимают, к чему приводят все эти буквы в атмосфере истерики и ненависти, которая достигла в России запредельных высот.

La calomnie est de nos jours une arme dangereuse. La diffamation et les fausses informations provoquent des guerres, des assassinats et des attaques contre les membres de la société civile et les journalistes.
Ceux qui ont diffusé sur les réseaux sociaux une campagne contre la «Novaïa Gazeta» et ses journalistes savent parfaitement où mènent ces lettres dans ce climat d'hystérie et de haine qui a atteint en Russie un niveau sans précédent.

La rédaction nie également les accusations de mise en danger de militaires russes et affirme qu'elle n'a jamais rien publié à leur sujet ni sur sa version papier, ni sur son site web.

En 2006, quand sa journaliste Anna Politkovskaïa [fr. a été assassinée, la «Novaïa Gazeta» s'est retrouvée en une de la presse internationale. Le journal fondé en 1993 compte plus de journalistes d'investigation tués en mission que n'importe quel autre média russe.