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Un blogueur condamné à mort en Mauritanie pour avoir dénoncé la discrimination contre la caste des forgerons

jeudi 25 août 2016 à 14:46
Source site d'ibnkafkasobiterdicta.wordpress.com, Divagations d'un juriste marocain en liberté surveillée, qui affirme

Du site Ibn Kafka où le juriste affirme “si l’histoire mauritanienne est faite de souffrances et d’injustices, elle est aussi faite de résistance et de dignité exemplaire”

Pour avoir écrit un billet sur Internet critiquant l'utilisation de l'Islam pour justifier le phénomène moyenâgeux du système des castes, le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir a été condamné à mort par la Cour Criminelle de Nouadhibou en Mauritanie.

Fils du préfet de cette ville, capitale économique de la région au sud du pays, Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir est de formation comptable et âgé de 29 ans, de la caste des forgerons. Il avait fait appel de cette condamnation. Dans un billet publié par le site chezvlane.com, il avait écrit le 25 décembre 2014:

Ceux qui osent inventer de faux hadiths et les attribuent au prophète (paix et salut d’Allah sur lui), aucune morale ni religion ne peut l’empêcher d’interpréter à leur guise un article écrit par un simple jeune, novice de surcroît. Ils ne ménageront aucun effort afin de mobiliser la passion du musulman commun au service de leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont prétendu que les forgerons ont Blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui)  à travers un article écrit par un des leurs, tout comme ils avaient prétendu que celui qui avait fait tomber les dents du prophète lors de la bataille du mont Ouhoud était un forgeron.

C’est dans ce cadre que je voudrais confirmer ici ce qui suit :

1. Je n’ai pas, consciemment ou inconsciemment, blasphémé à l’encontre du prophète (Paix et Salut d’Allah sur lui) et je ne le ferai jamais. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il y ait dans ce monde plus respectueux envers lui (paix et salut d’Allah sur lui) que moi.

2. Tous les faits et récits que j’ai cité dans mon précédent article revêtent un caractère historique et véridique. Ces récits ont naturellement leurs interprétations littérales et superficielles et leurs sens visés et profonds.

Mohamed Cheikh Ould Mohamed, publié sur ODH Mauritanie

Mohamed Cheikh Ould Mohamed, publié sur ODH Mauritanie

Le 21 avril 2016, la Cour d’appel de Nouadhibou a confirmé la peine capitale, cependant, avec une requalification des faits. En effet, il n’est plus considéré comme apostat, mais uniquement comme mécréant.

Avec cette requalification des accusations contre lui, l'espoir est encore permis  parmi les militants des droits humains en Mauritanie que la Cour suprême, saisie par sa défense, casse la condamnation à la peine capitale et prononce une sentence plus clémente.

Le site sénégalais Setal  rappelle les faits:

Ce jeudi, la cour d'appel n'a pas suivi l'accusation qui demandait la confirmation de la peine. Les avocats s'en félicitent même si évidemment pour eux cela ne suffit pas. Cela fait maintenant deux ans et trois mois que Mohamed Cheikh ould Mkheitir a été arrêté pour un simple article posté sur internet. Cet article a été jugé blasphématoire envers le prophète et l'islam, il a choqué la partie la plus conservatrice de l'opinion mauritanienne qui a salué à l'époque sa condamnation à mort.

Il n'en reste pas moins que le blogueur pourrait subir une peine sévère principalement pour des raisons de plotique intérieure. En effet, dans un billet paru sur le site d’ Amnesty International, le 26 avril 2016, la journaliste et militante des droits humains, Sabine Cessou écrit, citant un collègue sous couvert d'anonymat:

 toute l’affaire relève « de la politique intérieure, avec un tribunal qui veut donner des gages aux salafistes – une tendance en plein essor dans notre pays, comme dans tout le monde arabo-musulman ».

Dans un communiqué sur le sujet, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) cite Me Fatimata Mbaye, présidente de l’Association mauritanienne des droits humains (AMDH), ancienne vice-présidente de la FIDH et avocate des militants anti-esclavagistes:

Cette condamnation, la première pour “apostasie” en Mauritanie depuis l’indépendance, constitue un recul de la tolérance et démontre à quel point les questions de caste, de religion, d’esclavage et donc de démocratie sont tabous en Mauritanie. Nous observons un durcissement du pouvoir et de la société contre toutes les voix contestataires sur ces sujets.

Après la publication du billet, les extrémistes religieux avaient incité l'opinion publique à demander la pendaison du blogueur. Le site sénégalais Leral  décrit l'atmosphère qui s'était créée dans le pays contre l'accusé:

Des milliers de mauritaniens dont certains ont lu, d'autres pas du tout, l'article incriminé avaient battu le pavé, à Nouakchott, Nouadhibou et ailleurs pour exiger sa pendaison pure et simple, il y a un an de cela…. [Le] président de la République, devant la foule de manifestants amassée devant le portail de son palais avait déclaré : ” Je vous remercie de tout cœur pour votre présence massive en ce lieu pour condamner le crime commis par un individu contre l'Islam, la religion de notre peuple, de notre pays, la République Islamique de Mauritanie, comme j'ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd'hui, n'est pas laïque et ne le sera jamais…. je vous assure en conséquence que le Gouvernement et moi-même ne ménagerons aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés… ». Cette déclaration du président, celle des différents partis politiques conjugués avec les manifestations et fatwas ont eu raison de lui.

Son soutien au blogueur avait attiré les ires des extrémistes sur Mme Aminetou Mint Moctar, lauréate du prix 2006 des droits de l’homme de la République française et en 2010, de la médaille de Chevalier de la Légion d’honneur française. Une fatwa avait été émise contre cette personnalité, qui, comme le révélait le site Africa News, a été la première femme mauritanienne à être nominée pour le Prix Nobel pour la paix à cause de ses engagements pour la cause des droits humains.

M. Yehdhih Ould Dahi, chef du courant islamiste radical “Ahbab Errassoul” (les amis du Prophète) avait proclamé selon le site w41k.com:

«Cette méchante qui défend Mkheitir et disant qu’il s’agit d’un prisonnier d’opinion, et qui a demandé sa libération pour qu’il soit rendu à sa femme, cette femme qui décrit les amis du Prophète comme des Boko Haram et des Takfiris seulement parce qu’ils demandent le respect de l’honneur du Prophète, qu’elle soit damnée par Allah, les anges et tous les gens. Aujourd’hui, je vous annonce avec la bénédiction d’Allah, son apostasie pour avoir minimisé l’outrage à l’honneur du Prophète. C’est une infidèle, dont il est légitime de s’emparer de son sang et de ses biens. Celui qui la tuera ou lui crèvera les yeux sera récompensé par Allah».

L'atmosphère qui entoure cette affaire semble se rasséréner, mais ce qui est certain, c'est que la condamnation à mort du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir est toujours en vigeur et que le blogueur croupit toujours en prison.

En Inde, les victimes de violences sexuelles prennent la parole et gardent l'anonymat grâce aux filtres de Snapchat

mercredi 24 août 2016 à 21:26
Screenshot of victims of sexual abuse using snapchat to tell their stories.

Capture d'écran d'une victime d'abus sexuel utilisant Snapchat pour raconter son épreuve.

Un journaliste indien s'est mis à utiliser Snapchat d'une façon innovante pour permettre aux victimes de violences sexuelles de raconter leurs récits sans révéler leur identité.

Comme dans beaucoup d'autres pays, la violence envers les femmes est un sérieux problème en Inde. Les autorités ont été amenées à passer des lois très strictes contre les auteurs de tels actes. Malgré cela, peu de victimes portent plainte ou dénoncent les attaques à la police à cause des questions indélicates de cette dernière, ainsi que du stigmate attaché au statut de victime de violence sexuelle dans la société patriarcale indienne.

Pour tenter de changer cette situation, le journaliste et “conteur Snapchat” autoproclamé Yusuf Omar fournit à ses sujets une large gamme de filtres : ceux-ci déguisent les visages des victimes de façon qu'elles parlent de leur épreuve face à la caméra tout en gardant l'anonymat. C'est une méthode créative et puissante qui permet aux survivantes de modifier le scénario et de faire entendre leurs voix.

L'utilisation de Snapchat d'Omar a attiré l'attention des médias nationaux et internationaux. Dans une interview avec Global Voices, Omar, qui est également le rédacteur en chef de la version mobile du journal Hindustan Times, explique :

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Yusuf Omar's Snapcode

The filters were the only reason they shared their story. In India it’s both illegal to show the identity of rape survivors in the media, but there’s also the question of stigma- a society where they risked being alienated from friends of family and banished from their communities for making their stories public.

Les filtres sont la seule raison pour laquelle elles racontent leur histoire. En Inde, il est illégal de publier l'identité de survivantes de viols dans les médias, mais il y a aussi la question du stigmate. C'est une société dans laquelle elles risquent l'aliénation de leurs amis et de leur famille et le bannissement de leurs communautés pour avoir rendu leurs histoires publiques.

Comment le public a-t-il réagi ?

My biggest fear was people thinking Snapchat was making a serious topic trivial. Quite the opposite happened. The story got people taking about rape culture, sexual abuse in India and women’s issues in a broader way. But that conversation started with the innovative use of tech. The global Climb Against Sexual Abuse organisation have borrowed the idea and are calling on survivors around the world to Snapchat their stories. I’m really happy about that.

Ma plus grande peur était que les gens pensent que Snapchat rendait trivial un sujet sérieux. C'est le contraire qui s'est produit. Cette histoire a fait parler les gens de la culture du viol, des abus sexuels en Inde et des problèmes des femmes de façon plus générale. Mais cette conversation a commencé avec un usage innovant des technologies. L'organisation mondiale Climb Against Sexual Abuse a emprunté l'idée et appellent les survivant(e)s du monde entier sur Snapchat pour raconter leurs épreuves. J'en suis vraiment heureux.

Pendant ce temps, Omar a utilisé des méthodes de journalisme traditionelles pour mettre les victimes à l'aise avec les outils eux-mêmes avant de procéder aux enregistrements.

Snapchat, à l'origine une application de messagerie, compte plus de 150 millions d'utilisateurs quotidiens et gagne en popularité en Inde. Sur Youtube, une vidéo de Yellowbulbs.com partage les résultats d'une étude réalisée en 2016 auprès de cent étudiants de New Delhi, décrivant l'utilisation de Snapchat parmi les millenials indiens :

Omar exploite cette popularité pour s'attaquer à un énorme problème : rien qu'en 2014, 36 735 viols ont été rapportés en Inde, et beaucoup d'autres n'ont pas été enregistrés. Selon les bulletins d'information, l'incidence des viols a augmenté de neuf pour cents depuis 2010.

D'après Omar, voici ce qui a rendu l'expérience entière extrêmement personnelle pour les survivantes :

It wasn’t difficult because even though they weren’t too familiar with Snapchat, any millennial around the world knows how to take a selfie, and that’s all this was. First I tried the filters on myself. They laughed. Then they tried a few. We giggled. Finally they hit the red button, shared their story and the world cried.

Ça n'a pas été difficile, car même si elles ne connaissaient pas vraiment Snapchat, n'importe quel millénial partout dans le monde sait comment prendre un selfie. Ce n'était rien de plus que ça. J'ai d'abord essayé les filtres sur moi-même. Elles ont ri. Ensuite, elles en ont essayé quelques uns. On a rigolé un peu. À la fin, elles ont appuyé sur le bouton rouge, partagé leurs histoires, et le monde a pleuré.

Les efforts d'Omar lui ont valu des compliments sur les médias sociaux pour avoir donné une signification plus profonde à ce qui n'était avant qu'une app amusante :

Compliments au rédacteur en chef du HT mobile Yusuf Omar pour transformer une innovation inutile en un outil puissant et édifiant.

D'autres ont également utilisé Snapchat pour leur travail. Les Indiens Avani Parekh, Nida Sheriff et Rajshekar Patil ont créé un service de conseils sur les abus domestiques appelé lovedoctordotin, adressé aux adolescents indiens qui pensent se trouver dans une relation abusive.

Omar offre ses conseils aux journalistes utilisant les outils numériques pour rapporter des histoires très sensibles :

Look beyond the gimmicks. Snapchat at face value is about funny self portraits and emojis, but behind the filters are phenomenal algorithms. Use the technology as a tool to tell better stories. See the potential to hack anything. Right now I’m looking at Pokemon Go and saying, how can we tell news stories like this. Maybe we direct people with smartphone cameras to breaking news events like gamers are flocking to animated creatures.

Regardez au-delà des gadgets. La valeur nominale de Snapchat n'est qu'autoportraits rigolos et émojis, mais derrière les filtres se cachent des algorithmes phénoménaux. Utilisez la technologie pour raconter de meilleures histoires. Voyez le potentiel qu'il y a à pirater, en quelque sorte, quoi que ce soit. En ce moment, je suis en train de regarder Pokemon Go et je me dis, comment peut-on rapporter des informations comme ça ? Peut-être, en dirigeant les gens dont les téléphones sont munis d'appareils photo vers des évènements, comme les joueurs qui affluent vers des créatures d'animation.

Ceci étant, les implications légales de ces innovations narratives restent à régler, comme par exemple la validité des histoires devant un tribunal. Il y a environ deux mois, les partis politiques indiens de droite, armés de plaintes déposées à la police, ont menacé le comédien Tanmay Bhat pour avoir publié une vidéo utilisant des filtres Snapchat et qui caricaturait deux importantes célébrités indiennes.

Briser le siège d'Alep

mardi 23 août 2016 à 21:34
Graphic widely shared on social media.

“Pendant les journées de combats intenses de la semaine dernière, en un geste tragi-comique de défi, les gens d'Alep ont brûlé des centaines de pneus, envoyant dans le ciel des volutes de fumée noire pour créer leur zone d'exclusion aérienne à eux.” IMAGE : Graphisme largement partagé sur les médias sociaux.

Par Leila Al Shami

Les habitants d'Alep Est se sont réjouis le 6 août de ce que les rebelles ont rompu le siège que leur imposent depuis le 17 juillet le régime syrien et ses alliés. Un mois presque que les parties de la ville tenues par les révolutionnaires depuis juillet 2012 avaient été transformées en prison à ciel ouvert où quelque 300.000 personnes stockaient nourriture et autres denrées par peur de la famine.

Il a fallu une union exceptionnelle de la part des rebelles, à l'arsenal largement inférieur, pour briser le siège. Les nationalistes démocrates de l'Armée Syrienne Libre se sont joints aux milices islamistes, et, de manière décisive, au Jabhat Fatah Al Sham, qui il y a peu s'appelait encore le Front Al Nosra, la filiale d'Al Qaïda en Syrie.

“Il a fallu une union exceptionnelle de la part des rebelles, à l'arsenal largement inférieur, pour briser le siège.”

La société civile syrienne est dans l'ensemble restée de marbre face à ce changement d'image. Si Al Nosra s'est abstenu d'imposer une application stricte de la loi islamique dans les zones où il est présent, le mouvement rencontre une opposition populaire à ses tentatives de saper les structures de l'administration locale, et à sa mise en place d'institutions parallèles comme les tribunaux de la charia. Al Nosra a aussi arrêté des militants de la société civile, dont des journalistes et des membres de conseils locaux, et porte la responsabilité d'attaques sectaires. De fait, les révolutionnaires de la province d'Idlib—site de la première offensive révolutionnaire à grande échelle contre les forces d'Assad—manifestent depuis plus de cinq mois contre le refus d'Al Nosra de se soumettre aux tribunaux indépendants et réclament la remise en liberté des prisonniers d'Al Nosra.

Le Front Al Nosra a été expulsé d'Alep par la pression populaire en 2014, mais y a fait récemment son retour. Il a eu des affrontements avec d'autres groupes rebelles, et ses vélléités de s'emparer des institutions et de la fourniture de services comme l'électricité et l'approvisionnement alimentaire ont rendu le mouvement impopulaire chez les habitants civils.

Mais les nécessités de la survie font passer les principes politiques au second plan. Beaucoup de démocrates, pourtant terrifiés par la perspective d'un pouvoir djihadiste, se retrouvent à célébrer les avancées des djihadistes. Al Nosra est un composant-clé du Jaïsh Al Fath, l'Armée de la Conquête, qui a libéré la ville d'Idlib du régime syrien l'an dernier. Et le Jaïsh Al Fatah a conduit l'assaut qui a brisé le siège d'Alep.

Les habitants d'Alep libéré ont manifesté en soutien à la contre-offensive. Dans les jours d'intenses combats de la semaine dernière, en un geste tragi-comique de défi, les gens d'Alep ont brûlé des centaines de pneus, envoyant dans le ciel des volutes de fumée noire pour créer leur zone d'exclusion aérienne à eux. D'avoir réussi à briser le siège n'a fait que renforcer Al Nosra aux yeux de la population locale. Voilà où à mené l'abandon.

Une chute d'Alep, qui paraissait imminente dans les jours précédant la rupture du siège, n'aurait pas mis fin à la guerre. Mais elle aurait pu sonner la mort d'une révolution déjà trahie et abandonnée. Alep libre incarne les aspirations de la lutte populaire pour la liberté toujours existante mais de plus en plus marginalisée.

“Une chute d'Alep, qui paraissait imminente dans les jours précédant la rupture du siège, n'aurait pas mis fin à la guerre. Mais elle aurait pu sonner la mort d'une révolution déjà trahie et abandonnée.”

Avec guère plus que le soutien verbal de leurs amis supposés de l'Occident, les gens d'Alep avaient mis à la porte la dictature Assad en juillet 2012 et les extrémistes de Daech (E.I.) en janvier 2014. Les quartiers de l'est s'auto-administraient et ont galéré pour continuer à faire fonctionner les services de base avec leurs conseils locaux élus. Une des plus grandes concentrations de groupes actifs de la société civile du pays s'est constituée, avec des dizaines de médias libres, et des organisations de secours d'urgence et d'aide humanitaire, comme la force de défense civile des ‘Casques Blancs’. Un collectif de femmes a monté la première radio indépendante appartenant à des femmes, Radio Nassim, dont la programmation traite des droits humains, du rôle des femmes dans la révolution et des menaces créées par l'extrémisme. Tel est l'héritage de la révolution, l'incarnation de ses idéaux démocratiques et de sa résilience, et c'est tout cela qui est actuellement aboli à coup de bombes.

Alep a subi des années de tirs d'artillerie, de barils d'explosifs et de missiles, mais le pilonnage actuel est d'une intensité jamais vue auparavant. Hôpitaux et camps de déplacés sont bombardés à répétition par les aviations russe ou syrienne. Les frappes du régime et de ses alliés sur les quartiers résidentiels ont chassé des milliers de personnes de chez elles. N'ayant plus nulle part ou aller, beaucoup dorment maintenant dans les bâtiments publics ou dehors. La distribution d'eau et d'électricité, les établissements de soins sont délibérément ciblés, des crimes de guerre qui ont mis les services essentiels et vitaux au bord de l'effondrement. Les graves pénuries de matériel médical et de médecins permettent difficilement de soigner les blessés quotidiens.

En représailles aux récents succès des rebelles, Idlib est pilonné par les frappes aériennes, et on a signalé que les chasseurs russes larguent des bombes incendiaires à la thermite sur les zones civiles. Hier soir des récits ont fait état d'attaques au chlore contre la partie d'Alep tenue par les rebelles.

Dans un tel contexte, les prétentions du régime et des Russes d'instaurer des ‘corridors humanitaires’ permettant de fuir la ville sont vues pour ce qu'elles sont : une tentative de dépeupler la zone tenue par l'opposition et signaler que ceux qui restent sont une cible légitime du massacre actuellement en cours. Les bombes doivent s'arrêter et l'aide a désespérément besoin d'être autorisée à pénétrer la ville.

“Dans un tel contexte, les prétentions du régime et des Russes d'instaurer des ‘corridors humanitaires’ permettant de fuir la ville sont vues comme ce qu'elles sont : une tentative de dépeupler la zone tenue par l'opposition et signaler que ceux qui restent sont une cible légitime du massacre actuellement en cours.”

L'administration américaine, qui n'a jamais été une franche alliée de la lutte populaire, va en ce moment vers une plus grande coopération militaire avec la Russie dans le ‘combat contre le terrorisme’. Ce qui, selon la définition russe, englobe toute opposition au régime. Cette politique à courte vue laisse croire que les Américains font confiance à la Russie pour faire pression sur le régime afin qu'il cesse son offensive contre les mouvements rebelles modérés et les territoires tenus par l'opposition, malgré le non-respect par la Russie et le régime de tous les accords de cessez-le feu ou d'accès à l'aide humanitaire. La perception sur le terrain est que les Etats-Unis collaborent avec les agresseurs. Si les forces anti-régime démocratiques sont écrasées par les pouvoirs étrangers et les milices religieuses chiites, c'est l'extrémisme violent qui prendra de plus en plus leur place.

Pas besoin d'une intervention militaire de l'Occident contre le régime ou contre Daech. Les révolutionnaires syriens ont réussi à les défaire dans le passé, et peuvent y arriver à nouveau. Mais une pression politique et économique beaucoup plus forte est nécessaire sur les pays qui appuient le régime (principale cause du bain de sang et de l'extrémisme) pour qu'ils cessent leur soutien. Assad est incapable de tenir le terrain seul et est totalement dépendant pour sa survie des forces étrangères (de l'aviation russe dans les airs, et des milices chiites appuyées par l'Iran sur terre). Le régime essaie désespérément de recruter des détenus et des enseignants alors que les loyalistes au régime tentent d'éviter la conscription ou fuient.

Pendant qu'Alep était en feu, puis affamée, les Etats-Unis complaisaient à la Russie et l'Iran, fermaient les yeux sur les djihadistes chiites de l'Iran, mettaient leur veto à la fourniture d'armement anti-aérien aux rebelles et s'abstenaient de donner un soutien adéquat aux actions civiles démocratiques. L'ex-affidée d'Al Qaïda, de son côté, donne son sang pour sauver la ville. Les ramifications seront immenses.

Leila Al Shami est une Syrienne Britannique qui a participé aux luttes pour les droits humains et la justice sociale en Syrie et ailleurs dans le Moyen-Orient depuis 2000. Elle est co-auteur de “Burning Country: Syrians in Revolution and War” [‘Pays en feu: les Syriens dans la révolution et la guerre’] avec Robin Yassin-Kassab, et contribue à “Khiyana-Daesh, the Left and the Unmaking of the Syrian Revolution” [Khiyana-Daech, la gauche et la destruction de la révolution syrienne’]. Une version du présent article a été initialement publiée sur son blog.

Le porno, la prostitution ou la mort : être transgenre au Pakistan

mardi 23 août 2016 à 10:01
Transwomen celebrate Eid in Pakistan. Photo Courtesy Trans Action Pakistan.

Femmes transgenres célébrant l'Aïd au Pakistan. Photo publiée avec l'autorisation de Trans Action Pakistan.

En juin, trois hommes armés se sont introduits par effraction dans une maison à Mansehra et ont tenté de violer la personne qui y vivait, avant de lui tirer dessus à plusieurs reprises. Cette personne est Kashi, l'une des nombreuses femmes transgenres du Pakistan à avoir été la cible d'une attaque ces derniers mois. En mai, Alesha, femme transgenre et activiste au sein du réseau « Trans Action » est décédée des suites de ses blessures à l'hôpital, après avoir reçu 6 balles dans le corps. Avant sa mort, Alesha avait reçu plusieurs propositions pour tourner dans des films pornographiques, qu'elle avait catégoriquement refusées.

« Qu'avons-nous fait ? »

La communauté transgenre du Pakistan a pourtant connu un certain nombre d'avancées ces dernières années. En 2012, la Cour Suprême a autorisé l'ajout d'une catégorie « troisième genre » sur les cartes nationales d'identité, ce qui a significativement amélioré leur statut juridique et leur a accordé le droit de vote. Au moins cinq femmes transgenres ont été candidates à des élections. Pourtant, les attaques contre la communauté transgenre demeurent très répandues, et les actes de violence ont même augmenté ces dernières années. Depuis le début de l'année 2016, près de 45 femmes transgenres ont été victimes d'agressions dans la province de Khyber Pakhtunkhwa seulement.

En Asie du Sud, le terme généralement utilisé par la communauté trans pour désigner ses membres est khwaja sira, et comprend les transsexuel·les, les transgenres (khusra), les travesti·es (zenanans) et les eunuques (narnbans).

Les khwaja sira vivent au sein de communautés dirigées par un gourou (un mentor), qui accueille les jeunes hommes rejetés par leurs familles ou s'étant enfuis. Bien que ces communautés soient généralement autonomes financièrement, beaucoup de leurs membres travaillent en tant que danseurs professionnels ou travailleurs du sexe. Face aux opportunités limitées qui s'offrent à eux, les khwaja sira sont plus susceptibles d'être la cible d'actes de violence, perpétrés notamment lors de leurs performances dans les mariages et les fêtes. Les travailleurs du sexe sont également souvent ciblés.

L'organisation « Trans Action Khyber Pakhtunkhwa » partage régulièrement des informations sur les attaques visant la communauté transgenre :

Une personne lourdement armée a attaqué une femme transgenre nommée Sunny, l'a frappée au visage et giflée. L'agresseur a tenté de la kidnapper et de l'emmener de force mais des amis de Sunny ont riposté et l'ont sauvée. Ça vient tout juste de se passer à Peshawar. Laissez-nous vivre.

La prostitution est illégale au Pakistan, et les membres de la communauté transgenre sont exposés à des risques importants. Même ceux qui ne se prostituent pas sont la cible de harcèlements et d'intimidation, allant parfois jusqu'à être forcés à s'adonner à des actes sexuels. Des femmes transgenres à Peshawar ont récemment publié sur Facebook le récit des mauvais traitements perpétrés par la police locale à l'encontre de la communauté transgenre.

Dans la vidéo ci-dessus, une femme transgenre explique que la police est venu arrêter leur gourou au beau milieu d'une fête :

We were at a party when the police came they took our guru so we went after them. We are already a laughing stock, people mock and chase us, so of course the police did not let us go inside the police station so we decided to protest and chanting “let us in, let us in”, some boys that were standing nearby threw a rock at the gate, so the police came in from behind us (..) they grabbed and beat us up severely. Look at their condition, they tore off their clothes (..) they tore off my clothes as well and beat me up badly. Six policemen were on top of me kicking me and I passed out. Even when I passed out they kept kicking me and said “get up, get up, stop acting” (..). They grabbed and pulled off their hair and beat up others with sticks. What is our fault? We just went after our guru? What could we have done to the police? They even take money from us (extortion) and even take money from our guru, so what is our fault?

Nous étions à une fête lorsque la police a fait irruption et a emmené notre gourou. Nous les avons suivis. Comme nous sommes en permanence ridiculisées, que les gens se moquent de nous et nous poursuivent, la police ne nous a pas laissées rentrer dans le commissariat. Nous avons donc décidé de protester et de scander « Laissez-nous rentrer, laissez-nous rentrer ». Des garçons qui se trouvaient à proximité ont jeté une pierre sur la porte du commissariat, et des policiers ont surgi de derrière nous (…) ils nous ont saisies, nous ont violemment battues et ont déchiré nos vêtements (…) ils ont déchiré les miens également et m'ont frappée. Six policiers étaient au-dessus de moi, à me frapper jusqu'à ce que je m'évanouisse. Même après que j'ai perdu connaissance, ils ont continué à me rouer de coups de pied en me disant : « relève-toi, arrête de jouer la comédie » (…). Ils ont aussi attrapé les autres, leur ont tiré les cheveux et les ont battues avec des bâtons. Quelle faute avons-nous commise ? Nous n'avons fait que suivre notre gourou, qu'aurions-nous pu faire aux policiers ? Ils nous ont même extorqué de l'argent ainsi qu'à notre gourou, mais qu'avons-nous fait de mal ?

Dans une autre vidéo, des femmes transgenres de la ville de Nowshera racontent avoir été détenues durant dix heures par des policiers :

Seven Transgender women were kept in illegal confinement yesterday for 10 hours by Nowshera Cantt Police Station. There shirts were taken off and they were sexualy harrased. Police kept on touching thier diffrent body parts forcefully.

Sept femmes transgenres ont été détenues illégalement hier pendant 10 heures à la station de police de Nowshera Cantt. On leur a enlevé de force leurs tuniques et elles ont été harcelées sexuellement. Les policiers ont commis des attouchements forcés sur différentes parties de leur corps.

Tout ceci n'arrive pas qu'au Khyber Pakhtunkhwa

Des femmes transgenres de la ville de Faisalabad, dans la région du Pendjab, mènent campagne après que trois d'entre elles ont été victimes de viols en réunion perpétrés par au moins deux hommes la semaine dernière. Dans une série de vidéos poignantes, l'une des victimes, prénommée Julie, décrit l'attaque et raconte que beaucoup ont tenté de rejeter la faute sur les victimes et de les réduire au silence avec des menaces de nouvelles violences.


Manifestation suite au viol collectif de Julie et Nomi par un gang

Les personnes transgenres, conscientes que la police ne prendra aucune mesure contre les criminels, s'en remettent de plus en plus aux médias sociaux pour attirer l'attention sur l'augmentation des discriminations et des attaques contre leur communauté. Des vidéos partagées sur Facebook montrent Julie entourée de militantes lors d'une manifestation auprès d'un hôpital local après qu'un médecin de garde censé examiner ses blessures lui a tout simplement dit de « laisser tomber ».

Malgré plusieurs manifestations, une plainte à la police et de multiples conférences de presse, la communauté transgenre souffre de ne pas être prise au sérieux et d'être réduite au silence, tandis que les violences subies par ses membres restent impunies.

« Nous n'abandonnerons pas »

Les personnes trans de tout le pays unissent leurs efforts pour souligner la violence systémique et la marginalisation qui les ciblent. Malgré les menaces, elles continuent de se mobiliser et de réclamer la protection des autorités locales. Dans une publication sur Facebook, l'organisation Trans Action Cyber Pakhtunkhwa promet aux internautes qu'elle continuera à se battre pour les droits des personnes transgenres :

We know our rights and we are standing up to claim them.its just the begining. We are a movemnt, we are pink warriors. There is no going back. We are equal citizens of Pakistan. We refuse to sit back. Despite of all the challenges and obstacles we have managed to stage a protest out side the Bolton Block where Alisha died.
‪#‎EndTransPhobia‬
‪#‎TransAction‬

Nous connaissons nos droits et nous nous levons pour les revendiquer. Ce n'est que le début. Nous représentons un mouvement, nous sommes les guerrières roses. Nous ne ferons pas marche arrière. Nous sommes des citoyen·ne·s du Pakistan au même titre que les autres. Nous refusons de rester les bras croisés. Malgré tous les défis et obstacles, nous avons réussi à organiser une manifestation à proximité de Bolton Block, où Alisha est morte.

De retour d'Alep, le message d'un docteur syrien pour “en appeler au médecin qu'est Assad”

lundi 22 août 2016 à 18:45
Dr Zaher Sahloul (Right) with two fellow colleagues from Chicago in Aleppo, end of June 2016. Photo used with permission.

Le Dr Zaher Sahloul (à droite) avec deux confrères de Chicago àn Alep, fin juin 2016. Photo reproduite avec autorisation.

En 1988, le Dr. Zaher Sahloul, fondateur de l’American Relief Coalition for Syria (Coalition américaine de secours à la Syrie) et conseiller principal puis président de la Syrian American Medical Society (SAMS), sortait diplômé de la faculté de médecine. Parmi ses condisciples, un homme qui allait peser plus que quiconque sur le destin de la Syrie : Bachar Al Assad. Dans cet entretien avec Global Voices qui a suivi sa plus récente visite à Alep-Est tenu par les rebelles et assiégé, le Dr. Sahloul en appelle au “médecin chez” Assad.

Le Dr. Sahloul a récemment fait un exposé devant les Nations Unies, où il a rapproché son passage à Alep au récit d'un lieutenant-général de l'Armée Rouge soviétique témoin de la bataille de Stalingrad (1942-1943), qualifié par ce dernier de “10 fois pire que l'enfer“.

Comme chaque fois qu'il se rend dans la ville, le Dr. Sahloul est venu préparé. Le chauffeur, avant d'accélérer, lui a dit de “faire sa dernière prière, car le risque de mourir est très élevé dans les cinq derniers kilomètres”. Cinq kilomètres qui désignent la route de Castello, “l'unique route qui mène à la campagne du nord et de l'ouest d'Alep”, seule voie d'accès au monde extérieur via la Turquie, et par conséquent, à la nourriture, aux médicaments et autres denrées de base en usage à Alep.

La vidéo ci-dessous a été filmée par le Dr. Sahloul :

Il se souvient :

Cette dernière mission était ma cinquième à Alep et tout a vraiment beaucoup empiré depuis la précédente. Quand nous y sommes allés, c'était le 27 juin et la route d'Alep était à moitié fermée. Elle était déjà très dangereuse. Il y avait cinq kilomètres où nous étions exposés à l'artillerie côté régime, aux tireurs embusqués côté kurde, et aussi aux frappes aériennes qui pouvaient venir du régime ou du gouvernement russe.

Ce tronçon, surnommé la ‘Route de la Mort‘ par un militant d'opposition, était bordé de voitures calcinées et de camions et bus renversés où se décomposaient des corps abandonnés.

The Road to Aleppo, taken by Dr. Zaher Sahloul and used here with permission.

La route d'Alep, images prises par le Dr. Zaher Sahloul le 27 juin 2016, utilisées avec autorisation.

Entrés à Alep, le Dr. Sahloul et ses confrères sont arrivés au M10, un hôpital souterrain bombardé 17 fois ces quatre dernières années par le régime Assad. C'est l'un des rares qui restent à Alep-Est.

Les conditions de travail des médecins syriens sont régulièrement citées comme parmi les pires au monde, si ce n'est les pires. On estime qu'il reste 35 médecins dans la partie Est d'Alep, soit, avec une population d'approximativement 300.000 personnes, actuellement un pour 8.570 personnes. 15 des 35 médecins ont récemment rédigé une lettre ouverte au Président Obama, dans laquelle ils écrivent que “un établissement médical est attaqué toutes les 17 heures par l'aviation syrienne appuyée par les Russes”. Tandis que Médecins sans Frontières rapporte dans une infographie qu'au moins 82 des établissements qu'il aide ont été visés depuis janvier 2015. Au total, au moins 738 médecins, personnels infirmiers et aides-soignants syriens sont morts dans plus de 360 bombardements d'établissements médicaux depuis mars 2011, selon Physicians for Human Rights (PHR) (Médecins pour les Droits Humains). 

Le Dr. Sahloul dit qu'on entend jour et nuit les explosions :

Les murs de l'hôpital tremblent mais les gens continuent à travailler parce qu'ils se sont habitués à ces bruits. Le fait que [M10] soit souterrain donne un certain niveau de protection et de sécurité aux praticiens. On a ici le plus grand centre de traumatologie d'Alep-Est.

On peut entendre les explosions dans cette courte vidéo enregistrée par le Dr. Sahloul. D'après une voix d'homme qu'on y discerne, elles ont été causées par un missile Scud. Il commente :

Quand le gouvernement russe ou le régime syrien bombardent les hôpitaux ils le font avec l'intention de les détruire. Ils veulent chasser les médecins pour que les gens puissent les suivre. Parce que les gens ne restent pas dans une ville sans médecins, dans une ville sans hôpitaux.

D'après le Dr. Sahloul, sur les 300.000 personnes vivant à Alep, 85.000 sont des enfants, dont 20.000 de moins de deux ans. Un de ces enfants est Ahmad Hijazi, qui venait d'avoir cinq ans. Atteint par un des barils d'explosifs d'Assad, avec pour conséquence un traumatisme thoracique et des éclats fichés dans la moelle épinière, il n'a hélas pas survécu.

Il était paralysé à partir du cou. Quand je l'ai vu, il respirait très difficilement, nous avons donc dû le mettre sous assistance repiratoire et le perfuser. Il était entre la vie et la mort pendant que j'étais là, et le lendemain de mon départ, il a eu un arrêt cardiaque. Il avait cinq ans.    

Les victimes de barils d'explosifs sont parmi les patients les plus communs de l'hôpital souterrain. Une autre victime, Fatima, 25 ans, était déjà mère de trois enfants et enceinte de trois mois du quatrième lorsque deux barils d'explosifs ont été largués sur sa maison. Deux de ses enfants sont morts. Abdou, neuf ans, et Ilaf, trois ans, ont été retirés sans vie des décombres. Par chance, Fatima, qui avait une hémorragie interne et a été immédiatement mise sous assistance respiratoire, et son troisième enfant, Mahmoud, s'en sont tirés, mais  Fatima a perdu son enfant à naître.

Mahmoud, Seven Years Old. Photo taken by Dr. Sahloul in June 2016 and used with permission.

Mahmoud, sept ans, dans une chambre de l'hôpital M10. Photo prise par le Dr. Sahloul en juin 2016 et utilisée ici avec autorisation.

Le Dr. Sahloul a récemment dit à Hala Gorani sur CNN qu'il souhaite en appeler “au médecin en [Assad]” pour qu'il mette fin aux barils d'explosifs. Il s'en explique :

Qui sait ? On a tout épuisé. Je pense que la communauté internationale a tout épuisé en matière de pressions exercées sur le régime syrien. Je n'en suis pas sûr, mais il sait probablement que des enfants sont tués et mutilés et des hôpitaux pris pour cible. Ce que je veux dire, c'est qu'il a des enfants, il a une femme. Il a étudié la médecine. Il se destinait à être ophtalmologue. Dans une des réunions que nous avons eues avec lui, la première rencontre après qu'il est devenu président, il nous a dit qu'il aurait préféré être médecin que président. Je pense que c'est à ce côté en lui que nous devons en appeler. J'ignore si ça marchera ou non. Beaucoup de Syriens ont complètement renoncé, surtout depuis qu'il a supervisé la destruction de la moitié du pays. Plus de 470.000 personnes ont été tuées en Syrie. Il a causé cette guerre. Il aurait pu agir plus tôt dans la crise, par exemple satisfaire les demandes de réformes de la population, comme cela a été fait dans d'autres pays comme le Maroc et la Jordanie. Il est peut-être trop tard, mais que faire d'autre ? 

Il ajoute qu'il a vu le pouvoir d'Assad à l'oeuvre :

Quand je suis revenu de Chicago après la première réunion avec lui président, on a su que je l'avais rencontré. Alors, l'année suivante, j'ai reçu un courriel me demandant si je pouvais remettre une lettre au président, et j'ai dit qu'il faudrait que je la lise d'abord, mais d'accord. [C’]était un appel d'une personne dont le père était médecin, pédiatre, formé aux USA puis allé en Syrie à la fin des années 80 et emprisonné par le père de Bachar Al Assad, Hafez Al Assad. Il était en prison depuis 21 ans, accusé de soutenir l'opposition. Je lui ai donc dit que j'essayerais, mais que je ne pouvais rien promettre.

Par chance, nous avons été invités à rencontrer à nouveau le président au palais de la présidence. […] En partant, je lui ai parlé de la lettre, et il a accepté de la lire. Une demi-heure après notre départ, quelqu'un m'a téléphoné et m'a dit, ‘Votre ami est libéré’. Il avait donc relâché ce médecin au bout de 21 ans, après avoir lu cette lettre.

Ceci pour dire qu'il est aux commandes et peut prendre ces décisions rapidement, et il est obéi. Ce médecin a été de fait autorisé à se rendre aux Etats-Unis voir sa femme qui avait un cancer en phase terminale. Il est resté avec elle deux ans jusqu'à sa mort. Aujourd'hui, il exerce la médecine à Chicago.

Le régime fait cela parfois pour des gens, surtout pour quelqu'un dont il veut se faire un allié. Ils vous font une faveur et en attendent votre adhésion. Un président vous fait une faveur, et j'imagine que le président Assad a pensé que c'était pour moi une faveur. Ça donne un aperçu de la façon dont les choses fonctionnent en Syrie.

A propos de démocratie en Syrie, voici ce qu'en dit le Dr. Sahloul d'Assad :

Quand je lui ai posé la question de la démocratie, il m'a dit que les Syriens sont tribaux, qu'il y a beaucoup de fanatisme religieux, qu'ils n'ont pas d'éducation civique, qu'ils ne sont pas capables de prendre des décisions par eux-mêmes. Il s'est plaint de ce que le parlement ne rédigeait pas les lois comme il voulait que les députés le fassent, et comment il doit faire les choses lui-même. Et il a dit – je ne me souviens pas exactement en quels termes – que les Syriens ne sont pas prêts pour la démocratie. Il faut un processus très lent et graduel, et c'était la première année après son accès à la présidence. Douze ans plus tard, il ne s'était rien passé.

Quant au Président Obama, le Dr. Sahloul l'a rencontré en juillet 2013, un mois avant le massacre tristement célèbre perpétré par le régime dans la Ghouta, et il lui a dit que la Syrie allait déterminer son legs de président. Voici leur échange :

J'ai remis une lettre de la part de la SAMS. Il y avait un iftar à la Maison Blanche à ce moment puisque c'était le ramadan. Je lui ai dit que nous demandions dans notre lettre une zone d'exclusion aérienne pour protéger les hôpitaux et les civils, ce que nous demandons toujours aujourd'hui. Rien n'a changé. Je lui ai dit, ‘Je pense que votre place dans l'Histoire dépendra de ce que vous faites ou ne faites pas en Syrie’. Il a donc dressé l'oreille. Puis il a ri, et dit que sa place dans l'Histoire sera déterminée par d'autres choses, à quoi j'ai répliqué, ‘Mais je crois que la Syrie sera l'élément principal’. Il a répondu, ‘Je reviendrai vers vous’. Il ne l'a jamais fait. Il n'a jamais répondu à la lettre.