PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Une architecte américaine aide le Brésil à garder la mémoire du trafic d'esclaves

samedi 20 février 2016 à 21:57
A slave market in Rio, c. 1824. Credit: Edward Francis Finden/Wikimedia Commons

Un marché d'esclaves à Rio en 1824. Crédits: Edward Francis Finden/Wikimedia Commons

Cet article de Christopher Woolf pour The World a été publié au départ sur PRI.org  le 29 décembre 2015, il est republié ici dans le cadre d'un accord sur un partage de contenu.

Comment préserver la mémoire de l'esclavage et du trafic d'esclaves ?

C'est une question qui a beaucoup tourmenté Sara Zewde depuis que, étudiante en architecture, elle a découvert des excavations qui mettaient à jour ce que l'on pense être le plus grand port des esclaves du continent américain : le quai de Valongo au centre de Rio de Janeiro.

“Le nom de Valongo revêt une grande importance dans l'histoire orale afro-brésilienne”, raconte Sara Zewde, “il a toujours été présent, comme le quartier du même nom, dans les musiques et dans les rites. Il est au centre de la tradition afro-brésilienne. Mais personne ne savait combien ces ruines étaient préservées, que ce n'était pas vraiment des ruines, qu'elles étaient là !”

L'importance du trafic d'esclaves vers le Brésil est impressionnante, elle va jusqu'à dépasser ce même trafic en direction de l'Amérique du Nord. Pendant l'époque de l'esclavage, on estime qu'à Rio seulement sont arrivés plus d'Africains que dans toute l'Amérique du Nord.

Le quai où débarquaient, dans cette ville, les esclaves au XIXe siècle a été récemment mis au jour et il revient à Sara Zewde d'imaginer un mémorial sur ce passé tragique du quartier.

Sara Zewde est une américaine de 29 ans, architecte paysagiste et designer. Elle est née dans une famille d'immigrants éthiopiens. “Ils m'ont toujours rappelé l'histoire ancienne de notre peuple”, dit  Sara Zewde. “Ils m'ont toujours toujours rappelé son passé glorieux et son glorieux futur. C'est de cette manière que depuis toujours je me suis intéressée à l'architecture et au travail, par la diversité des personnes. Toutes ont un “potentiel de gloire””.

Sara Zewde est arrivée pour la première fois à Rio en 2011 comme boursière pour faire des recherches sur les réactions afro-brésiliennes après la découverte archéologique de Valongo. Mais quand les militants de la communauté découvrirent que Sara Zewde était une spécialiste d'architecture paysagiste et de design, ils demandèrent son aide pour bâtir le mémorial. Sara  Zewde à  étudié au MIT et à Harvard et travaille maintenant pour le cabinet Gustafson Guthrie Nichol à Seattle.

Pourtant, tout n'a pas été facile.

“Le mot mémorial et les formes qui lui sont associées sont liés de près à la notion d'événement” dit-elle. “Vous savez bien, une guerre, un héros, une tragédie, quelque chose en dehors du normal. Le problème, c'est que le trafic transatlantique des esclaves n'a pas été un événement”. Il a été une norme pendant 400 ans.

“Ses effets se font encore ressentir aujourd'hui. Pour cela, ce n'est pas quelque chose que nous pouvons préserver comme un moment dans le temps”.

The Valongo was Rio's main slave market during the early 19th century. Credit: Brian Godfrey/CC by 2.0

Valongo a été le plus grand marché d'esclaves de Rio au début du XIXe siècle. Crédit photo : Brian Godfrey/CC by 2.0

C'est pour cette raison qu'au lieu de choisir une forme discrète, Sara Zewde a décidé de créer un espace, un espace vivant, un instrument pour le quartier tout entier.

Parce que ce quartier englobe l'antique quai de pierre par où les esclaves entraient pour la première fois dans le Nouveau Monde, le terrain qui servait de sépulture pour ceux qui n'avaient pas survécu au voyage ou qui mouraient peu après leur arrivée, les entrepôts connu aussi sous le nom de “maisons d'engraissement” où les esclaves récemment arrivés étaient alimentés et lavés avant d'être vendus, ainsi que les emplacements où ces hommes ces femmes et ces enfants étaient achetés et vendus.

Sara Zewde souligne trois points qui relient la mémoire de ces jours à la communauté d'aujourd'hui:

 “Le premier prend la forme d'un ruban blanc. Dans la croyance afro-brésilienne qui vient en grande partie d'Afrique occidentale, celui qui est revêtu d'un tissu blanc se représente le lieu où se réunissent ses ancêtres. On utilise normalement un tissu fait à partir de plantes afro-brésiliennes que l'on pense être chargé de beaucoup d'énergie.

Le second élément sont les plantes que les afro-brésiliens apportèrent d'Afrique. Ces arbres et ces plantes offrent leur ombre mais servent également de lien avec l'histoire.

Le troisième élément : ce sont les terres tropicales rouges qui unissent l'Afrique occidentale et Rio de Janeiro”. Ainsi, ce troisième élément est symbolisée par un revêtement de tuiles de terre rouge qui réunissent les différentes périodes de l'histoire à ce quartier, permettant aux habitants et aux visiteurs de prendre la mesure de l'importance de ce commerce au plan local”.

De par la construction de plusieurs ensembles immobiliers, la mer est aujourd'hui à quelques rues de distances du quai de Valongo.

Sara Zewde a reçu quelques appuis du cabinet du maire et d'autres instances publiques. Mais ce quartier est soumis à des pressions foncières constantes, celles des intérêts immobiliers privés cherchant plus d'espace pour construire des bureaux et des commerces. On a inauguré récemment une Trump Tower. La zone est également réservée dans le cadre des Jeux olympiques de 2016 à Rio. Le projet de mémorial est actuellement en suspens, dans les limbes politiques.

Sara a dû également faire face personnellement à une certaine réticence du Brésil par rapport à son passé. Depuis l'abolition de l'esclavage en 1888, tous les registres officiels de l'esclavage et du trafic d'esclaves ont été volontairement détruits, pour essayer d'effacer cette mémoire. Il existe peu de traces historiques et de musées préservant la mémoire de l'esclavage. On a littéralement recouvert de pavés, comme à Valongo, les reliques de l'esclavage.

Les activistes afro-brésiliens craignent que ceci se reproduise de nouveau.

Taïwan : pays véritable, île autonome, territoire perdu ou province chinoise ?

vendredi 19 février 2016 à 17:21
ar

L’ ile de Formose et des Pescadores dessinée par Johannes Vingboons autour de 1640. Formose est le nom donné à Taïwan par les explorateurs portugais qui la découvrirent au XVI° siècle. Photo de Taïwan chinese Wikipedia.

A un ami allemand qui m'interrogeait sur le statut souverain de Taiwan, j'ai répondu que c'était un pays à part entière car il avait un président et des députés élus au suffrage universel, son passeport et sa monnaie propre.

Mon ami m'a cru mais pas sa femme, en politologue et compte tenu de ce qu'elle connnaissait des relations entre la Chine et Taïwan, pensait que c'était quelque chose de similaire à à l'Allemagne de l'est et de l'ouest. Autrement dit, elle pensait que dès lors que les Chinois et les Taïwanais pouvaient communiquer en mandarin, que la culture des deux pays était similaire et que la guerre froide était finie, il aurait été sensé d'évoluer vers une réunification.

J'objectai qu'une meilleure comparaison pouvait se faire avec le Royaume Uni et les USA, Anglais et Américains partageant le même langage et un certain nombre d'Américains ayant été Anglais avant leur guerre d'indépendance. Les Américains ont néanmoins revendiqués leur indépendance parce qu'ils (ou au moins leurs “pères fondateurs” ) adhéraient à une idéologie politique différente.

De la même façon, Taïwan adhère à un système politique démocratique alors que l'organisation politique de la Chine est celle d'une république socialiste gérée par le parti communiste chinois (CPC). La Chine est un grand pays, comme beaucoup d'autres pays dans le monde, Taïwan veux être ami de la Chine. Pourtant un bon nombre des 23,4 millions de Taïwanais ne souhaitent pas une unification avec la Chine a cause de la différence des systèmes politiques. Ce qui s'est passé entre Hong Kong et la Chine montre que ça ne fonctionne pas.

Pour  en savoir plus sur TAIWAN

Voici une sélection de livres, de films et d'oeuvres musicales:

 Taïwan la verte, une symphonie de Tyzen : beaucoup de Taïwanais considèrent cette œuvre comme un hymne national non officiel.

Formose : un livre illustré écrit en français par Li-Chin Lin qui raconte l'enfance et l'adolescence de l'auteur pendant la période de ‘la terreur blanche’ à Taïwan.

Formose trahie par George H. Kerr's, un récit de l'abandon de Taïwan par la communauté internationale après la seconde guerre mondiale.

A City of Sadness’ (Une ville de tristesse) : un film de Hsiao-Hsien Hou qui raconte les incidents qui ont déchainé une répression militaire par le gouvernement de la République de Chine à Taïwan, après la reddition du Japon.

Warriors of the Rainbow (Les guerriers de l'arc en ciel) de Seediq Bale : un film de Te-Sheng Wei sur une révolte des aborigènes taïwanais pendant la période d'occupation japonaise.

La Chine ou plutôt la République Populaire de Chine  (PRC), déclare que Taiwan a toujours fait partie de la Chine mais ce n'est pas vrai au regard de l'histoire. Taïwan a été intégrée à la Chine pendant la dynastie Qing en 1683 ,et la gouvernance des Qing s'est surtout limitée à collecter de lourdes taxes sur le dos des Taïwanais et utiliser des forces militaires pour réprimer les rébellions.Taïwan n'est devenue une province chinoise que 204 années plus tard en 1887.

En fait, il est probable que si Taïwan n'avait pas été attaquée par les Français pendant la guerre franco-chinoise (dite de l'opium) de 1883 à 1885, les Qing n'auraient jamais accordé à Taïwan le statut de province. Cette guerre franco -chinoise a révélé la fragilité du gouvernement Qing ainsi que la valeur stratégique de l'île de Taïwan comme rempart dans le Pacifique ouest contre  les forces militaires d'autres pays. Huit années plus tard en 1895 après la première guerre sino-japonaise, le gouvernement Qing a été obligé de céder ce pays au Japon.

A la fin de la deuxième guerre mondiale, la république de Chine (ROC) a repris le contrôle de Taïwan après la défaite du Japon. Taïwan avait eu le statut de colonie du Japon pendant le mouvement Kominka (destiné à transformer les Taïwanais en sujets de l'empereur), une époque de japanisation forcée des sujets de l'Empire. Étant donné que le Japon était un ennemi de la Chine pendant la deuxième guerre mondiale, le gouvernement de la république de Chine a eu quelques difficultés à reconnaître les Taïwanais comme des compatriotes. Il faut savoir qu'à cette époque les Taïwanais ne parlaient même pas le mandarin.

Pendant la guerre civile chinoise (1946-1950), le Kuomintang (KMT), dirigé par Chiang Kai-Shek, a décidé de consolider à Taïwan le pouvoir de son gouvernement en exil, après sa défaite par l'armée populaire de libération de la Chine en 1949. Pendant la période de la terreur blanche (1949-1987) et même ensuite, le mouvement démocratique taiwanais à mis des décennies à construire une société libre et démocratique. Il y a finalement réussi et dans sa quête d'une nouvelle société, forgé une nouvelle identité taïwanaise assez différente de celle de la Chine.

A historical photo of the Tsou people in Taiwan playing their music instruments. This photo is originally posted at taipics.com.

image du peuple Tsou à Taïwan jouant des instruments de musique traditionnelle. Photo: taipics.com.

Avant 1683,Taïwan était peuplée par les aborigènes taïwanais, qui sont aujourd'hui très fiers de leur contribution à l'histoire de la Polynésie. De nombreuses études génétiques, de styles de poteries, linguistiques, et l'existence dans cette ile de plantes comme le “Papier mulberry” des iles du pacifique, suggère que les ‘Lapita”, les ancêtres de ceux qui peupleront la Polynésie et la Micronésie, vivaient probablement à Taïwan avant de voyager vers ces iles. Pour les Taïwanais d’ aujourd'hui, la trace d'un sang aborigène dans notre généalogie est au centre de toutes les discussions sur l'indépendance. Elle est la preuve que bien peu des Chinois Han qui sont venus dans ce pays pendant la période de la dynastie Qing étaient des femmes.

Le débat sous-jacent à cette histoire cette lignée sanguine porte en fait sur une approche historique de leur rôle dans la formation d'une identité nationale. L'histoire de Taïwan est habituellement vue sous deux perspectives différentes : Celle de la Chine continentale et celle de Taiwan. Selon la version de la Chine continentale, celle-ci aurait été assez aimable pour réintégrer Taïwan dans la famille après la seconde guerre mondiale. Selon les Taïwanais, l'empire Chinois comme l'Empire Japonais sont des colonisateurs.

Taiwanese and their supporters' outreach events at Harvard Square in Boston. They explained Taiwan's situation to the interested pedestrians. Photo by Chia-Chun Chung. Republished by Global Voices with permission.

Une action de sensibilisation menée par des taiwanais et ceux qui les soutiennent sur Harvard Square à Boston expliquant la situation de Taiwan aux badauds intéressés. Photo de Chia-Chun Chung. Rediffusée par Global Voices avec autorisation.

Revenons à la question de savoir si Taïwan est un pays, une île autonome, un territoire perdu ou une province chinoise. C'est une question difficile pour les diplomates, les journalistes et même pour les Tawanais.

Tout d'abord,s'il est vrai que Taïwan a été pendant une brève période de huit ans avant la première guerre mondiale une province chinoise, ce n'en est plus une actuellement. La Chine n'a aucun contrôle sur Taïwan, c'est une réalité politique. Pour expliquer cette situation, prenons l'exemple de la Mongolie : ce pays a fait partie de l'Empire chinois sous la dynastie Qing, il a revendiqué son indépendance dès 1911 pour l'obtenir bien longtemps après…et pourtant personne n'ira dire que la Mongolie est aujourd'hui un territoire chinois  uniquement parce qu'elle faisait partie de la chine il y a plus de cent ans !

Néanmoins, il y en a encore beaucoup qui continuent à considérer Taïwan comme une province chinoise parce que la Chine le demande. Beaucoup d'organismes utilisent encore la formule : “Taiwan, province de Chine”, soit par ignorance soit le plus souvent parce qu'ils entretiennent des relations étroites avec la Chine. Pour s'opposer à cette façon de voir, certains Taïwanais passent beaucoup de temps à écrire à ces organismes pour le persuader d'utiliser simplement le terme Taïwan sans ajouter aucun attribut politique.

Les termes: “ile autonome” ou “territoire détaché” sont plus largement utilisés dans les articles des médias étrangers concernant le statut de la souveraineté de Taïwan. “Ile autonome” a au moins la vertu d'être relativement neutre, mais il est aussi inexact car le territoire de Taïwan comporte plusieurs iles. “Territoire détaché” ou province rebelle est une formulation d'origine anglophone. Selon le point de vue historique de la Chine, il n'est pas incorrect, mais il met sur la touche le point de vue taïwanais, il est susceptible d'offenser les Taïwanais militant pour l'indépendance.

Ce statut de la souveraineté de Taïwan est scabreux de bien des manières. Bien que ce pays possède tous les attributs d'une nation, il a très peu d'alliés diplomatiques.Taïwan n'est reconnu comme état souverain que par 22 pays, et il est expressément demandé aux alliés diplomatiques de la République Populaire de Chine de ne pas reconnaître Taïwan comme un État souverain même lors d'événements internationaux non diplomatiques du type festival de cinéma. En conséquence, Taïwan n'est pas membre de l'Organisation des Nations unies, même pas de l'Organisation Mondiale de la santé, et ce n'est que dans les dossiers des médias internationaux traditionnels que l'on considère Taiwan comme un pays à part entière‘.

Merci à  Sophie Hsu, Brian Hioe, et Oiwan Lam pour leurs commentaires et leur précieuse contribution à cet article.

Comment Lima a perdu ses libraires emblématiques de la rue Quilca

jeudi 18 février 2016 à 21:23
Libros en el Jirón Quilca. Foto: Jorge Gobbi tomadas de su cuenta en Flickr bajo licencia Creative Commons.

Stand de livres dans la rue Quilca. Photo : Jorge Gobbi tirée de son compte Flickr sous licence Creative Commons.

La menace d'expulsion qui pesait, telle une épée de Damoclès, sur les fameux libraires du “Boulevard de la Cultura Quilca”, dans la rue du même nom dans le centre historique de Lima, a finalement été mise à exécution à la mi-janvier.

Le 14 janvier au matin, les policiers sont arrivés sur les lieux pour expulser les quelques 60 libraires. L'opération s'est réalisée sans heurt, avec tout au plus quelques protestations.

Les libraires occupaient cet espace depuis 1997, après que la Municipalité de Lima les aient déplacés sur ce terrain qui n'était jusqu'alors qu'un grand parking et qui appartenait à l'archevêché de lima. En 2008, l'archevêché a décidé de ne pas renouveler leur bail et a entrepris des action légales pour les expulser.

Malgré de nombreuses négociations, aucun accord favorable aux libraires n'a été trouvé.

Les libraires du 265 Jirones Quilca sont explusés. La police surveille les lieux.

Et ainsi s'achève Quilca et ses libraires. L'accès au Boulevard est fermé, on ne peut plus y entrer. Tout est fini.

Sur ordre de l'archevêché, les libraires de Quilca ont été expulsés. C'est une honte. Espérons qu'il n'arrive pas la même chose avec Amazonas.

Bien que le boulevard ne soit pas le seul endroit dédié à la vente de livres dans la rue Quilca et ses alentours (tout près, dans la rue Camaná il y a plusieurs bouquinistes et des galeries marchandes similaires),  l'offre de livres dans le centre de Lima se trouve significativement réduite.

Paulo César Peña expliquait sur le site La Mula qu'au contraire des “librairies traditionnelles […] qui sont plus à la merci des variations du marché éditorial”, des endroits comme le Boulevard de Quilca étaient plus à même de proposer des titres anciens déjà épuisés. Il ajoute que la dynamique y est aussi différente :

Como aficionado a la lectura puedo decir que en Quilca uno podrá encontrar ciertas librerías, ciertos libreros, con los cuales establecer una sólida empatía en materia de temas o gustos compartidos. La constancia lleva a la confianza. El ‘casero’ toma cuerpo y, quién sabe, con algo de tiempo se puede convertir en el amigo. Lo que, por cierto, se condensa en descuentos mucho más generosos o, también, en la opción de guardar un libro por unos días extras, hasta que la liquidez del bolsillo lo permita adquirir sin problemas.

En tant qu'amateur de lecture, je peux dire qu'à Quilca, on peut trouver certaines librairies, certains libraires, avec lesquels on a des affinités autour de thèmes ou de goûts communs. La constance mène à la confiance. Le petit libraire prend de l'importance et, qui sait, peut devenir un ami. Ce qui, d'ailleurs, se traduit en remises beaucoup plus importantes ou bien, la possibilité de mettre un livre de côté quelques jours de plus, le temps d'avoir les moyens de l'acheter.

Bien que beaucoup aient reproché à l'archevêché et par là même, à l'Église Catholique, son manque d'intérêt pour la culture, il faut rappeler que c'est un thème particulier et que l'archevêché a le droit de disposer de ses biens comme bon lui semble. Dans le cas précis de ce terrain, l'archevêché prévoit d'y construire un parking sous-terrain, des locaux commerciaux et des appartements.

L'église expulse les libraires de Quilca, peut-on croire en Dieu?

Les libraires de la rue Quilca expulsés. L'Église Catholique vs la culture.

Par ailleurs, certains ont fait remarqué que les libraires de Quilca n'étaient pas forcément irréprochables.

Les libraires de Quilca, avec tout le blé qu'ils ont gagné en vendant leurs livres bien plus chers parfois que les grandes librairies, ils n'ont qu'à se chercher un local

“Nous devons combattre l'économie informelle dans notre pays!” » Désolé pour les libraires informels, vendeurs de livres piratés, de Quilca.

D'autres font remarquer que le thème s'est transformé en querelle entre la gauche et l'église catholique et que beaucoup s'indignent juste pour avoir l'air cool et parce qu'ils ne savent pas qu'on peut trouver des livres ailleurs dans la ville.

La gauche caviar s'indigne de l'expulsion des libraires de Quilca, ce qu'elle ne dit pas, c'est que le bail est terminé depuis 97. Tout ça pour attaquer l'Église catholique.

Cela fait des années que les libraires de la Culture de Quilca s'étaient embourgeoisés. Allez chercher vos livres, marchez, ne soyez pas paresseux. Hypocrites.

Cependant, tout n'est pas perdu, il y a eu des propositions de la part des municipalités de deux districts de Lima, Rímac et Los Olivos, pour les reloger dans leurs juridictions respectives. Si l'une d'elles venait à se concrétiser, cela signifierait l'ouverture d'un nouveau pôle culturel dans des zones où les livres sont traditionnellement absents, ce qui serait très bien pour décentraliser l'offre culturelle à Lima.

Lectures additionnelles sur les libraires de Quilca:

Articule initialement publié sur le blog Globalizado de Juan Arellano.

‘Un impénitent penseur indépendant’ : conversation avec le poète Vladimir Lucien, de Sainte-Lucie

jeudi 18 février 2016 à 20:18
Poet Vladimir Lucien au NGC Bocas Lit Fest 2015. Photo utilisée avec l'autorisation du NGC Bocas Lit Fest.

Le poète Vladimir Lucien au NGC Bocas Lit Fest 2015. Photo utilisée avec l'autorisation du NGC Bocas Lit Fest.

Global Voices s'est entretenu avec Vladimir Lucien, dont le recueil de premières oeuvres “Sounding Ground” (Peepal Tree Press) a gagné le prix OCM Bocas de littérature caribéenne. Lucien est le premier non-Jamaïquain à gagner la résidence de l'Université des Indes Orientales (UWI en anglais) sur le campus de Mona. Il fera une lecture à l'occasion du Festival du Livre de Kingston, durant l'événement “Histoire d'Amour avec la littérature” le 6 mars à la Faculté des Humanités, avec l'estimé écrivain jamaïcain Olive Senior. Il nous a parlé de son inspiration et de sa philosophie, ainsi que de la culture et de la littérature caribéennes.

Vladimir Lucien ; photo d'Emma Lewis, utilisée avec son autorisation.

Vladimir Lucien ; photo d'Emma Lewis, utilisée avec son autorisation.

Global Voices (GV): Parlez-nous de votre travail en Jamaïque. Qu'est-ce qui vous occupe, en ce moment ?

Vladimir Lucien (VL): En tant qu'auteur en résidence en 2016, j'enseigne un cours d'écriture créative au Département de Littérature en Anglais. Je viens d'arriver en Jamaïque à la mi-janvier, et c'est ma première visite ici, alors je me familiarise avec l'endroit. Je participe à plusieurs événements, dont le Festival du Livre de Kingston [du 5 au 12 mars], que j'attends avec impatience. Ce mois-ci, il se passe plein de choses sur le campus, dont la Conférence Bob Marley [présentée cette année par le gagnant du Man Booker Prize, Marlon James]. Je vais aussi lire durant le Festival International de Littérature de Calabash [du 3 au 6 juin] à St. Elizabeth. Ca marquera la fin de ma présence ici en temps qu'auteur en résidence. En finissant sur un temps fort !

GV: Avez-vous le temps d'écrire ?

VL: Oui, j'ai le temps d'écrire, et c'est très important. En fait, à peine arrivé ici, j'ai démarré l'écriture d'un roman. C'est une expérience agréable. A la base, en fait, je raconte des histoires. Et j'ai l'impression – c'est presque effrayant – que si j'arrête d'écrire, c'est un don qui peut m'être enlevé à tout moment. Pendant longtemps, j'ai voulu écrire un récit. Je suis très attiré par le réalisme magique, comme une manière de comprendre le monde dans lequel on vit. Kamau Brathwaite a parlé de ça dans son livre “MR” [2002], qui m'a inspiré. A ce propos, j'écris simultanément des Mémoires et un livre d'Esthétique. Ecrire est un projet pour moi.

GV: On dirait que vous avez du pain sur la planche. Lisez-vous beaucoup, et qu'est-ce qui vous inspire ?

VL: Je voulais écrire de la prose parce que j'ai toujours été un lecteur avide de prose – les écrivains jamaïquains comme Roger Mais et Marlon James, par exemple. J'ai aussi aimé lire le “Huracan” de Diana McCaulay. Deux romans qui me sont spécialement chers sont “Cent ans de solitude” de Gabriel Garcia Marquez et “Dans le château de ma peau” de George Lamming. Après les avoir lus, j'étais contrarié de les avoir finis. Les personnages me manquaient et je voulais savoir ce qu'ils devenaient ! Les philosophes européens comme Nietzsche, Foucault, Henri Bergson ; et un anthropologue nommé Talal Asad ont tous eu une influence sur ma pensée.

GV: Vous êtes un poète ; vous êtes de Sainte-Lucie. On vous questionne invariablement sur l'influence de Derek Walcott. Qu'est-ce que vous en pensez ?

VL: Dans un récent article de blog, j'ai essayé de répondre à cette question – et je comprends totalement pourquoi les gens se la posent. Il y a cette éminente personnalité de Derek Walcott, Prix Nobel de Littérature. Quand j'ai commencé à écrire de la poésie à l'âge de dix-huit ans, j'ai copié son travail. Mais non – ni moi, ni aucun autre poète de Sainte-Lucie, comme Kendel Hippolyte et Jane King ne sommes devenus des copies conformes, pas plus qu'il ne m'influence aujourd'hui. On respecte Walcott comme un patrimoine. On doit reconnaître la grandeur de notre passé, mais je me vois comme quelqu'un qui veut le mettre à terre, un iconoclaste. Il y a un cercle intime de lettrés à Sainte-Lucie ; nous sommes tous différents les uns des autres, et nous sommes tous différents de Walcott. Il est industrieux ; pendant que j'écris mon blog, il a fini son travail. Il m'a aussi fait prendre conscience de l'importance des métaphores et des images ; et il y a aussi du rythme et de l'inventivité visuelle dans son travail, qui imprègne la poésie de Sainte-Lucie. Un autre auteur de Sainte-Lucie, John Robert Lee, a dédié un poème à Walcott (“Lusca”).

Vladimir Lucien à sa résidence au campus d'UWI Mona. Photo Emma Lewis, utilisée avec son autorisation.

Vladimir Lucien à sa résidence au campus d'UWI Mona. Photo Emma Lewis, utilisée avec son autorisation.

GV: Vous êtes un blogeur actif. Quel est votre sentiment sur l'impact des médias sociaux et du blogging sur votre écriture ?

VL: Je pense que le blogging en particulier est une plateforme où je peux écrire avec un certain degré d'abandon. L'écriture académique – ce dans quoi je suis investi actuellement, en même temps que le roman – et même interagir avec des gens et des sujets sur Facebook et Twitter ne permettent pas cette liberté. Avec le blogging, il n'y pas la question de la ‘popularité’, les ‘J'aime’ et tout ce qui pourrait devenir une sorte d'échelle de valeurs. Quand je blogue, je pars du postulat que je n'ai aucune audience, mais il y a une certaine compulsion à bloguer sur des sujets d'actualité, comme si je produisais mes propres petits essais. Alors j'utilise cette compulsion à bloguer (pour faire partie de cette grande activité en-ligne) en conservant cette forme d'intimité propre à l'essai, le sens d'une vision indépendante. L'autre chose que ça te donne c'est que ça influence ta façon d'écrire, ça te fait écrire comme si tu avais une audience. Alors tu écris de manière charmante, tu écris pour défendre un point de vue, mais aussi pour divertir. Ça fait un joli petit produit à l'arrivée.

GV: Où est votre “chez vous” ? Vous vous voyez comme un auteur de Sainte-Lucie ou comme un auteur caribéen avant tout ?

VL: Sainte-Lucie c'est chez moi. Tout comme Trinidad, d'où vient ma femme. Alors je bouge facilement entre les deux. Mais vous savez, il y a un endroit en particulier à Sainte-Lucie auquel je pense, une ville appelée Monchy, et c'est de là que vient la famille de ma mère. J'ai été à l'école là-bas. C'est un endroit spécial – ma réalité. Par dessus tout, cela dit, je me vois comme un auteur caribéen. J'écris pour tous les Caribéens.

GV: Que pensez-vous de l'état actuel de la littérature caribéenne ?

VL: La littérature caribéenne aujourd'hui est extrêmement diverse. Je suis conscient que l'écriture caribéenne est vue comme une catégorie, ou une ‘marque’ – une forme de capital culturel et social dans le monde. C'est une marque qui rend uniques les écrivains. Je pense que ce sont plusieurs Caribéens que nous voyons.

GV: Est-ce que la religion et la spiritualité sont importante pour vous et dans votre travail ?

VL: Eh bien, j'ai élevé dans la foi catholique, la plupart des habitants de Sainte-Lucie sont catholiques. Maintenant, notre fils de cinq ans est le seul chrétien dans cette maison ! Mais je commence à comprendre qu'il y a ‘plusieurs chemins qui mènent au marché’. J'ai aussi compris qu'il y a une sorte de force neutre, amorale que nous ne contrôlons pas. C'est comme un ouragan – nous ne pouvons la prendre au piège. Lorsque j'écris, j'essaie toujours de trouver un moyen de ne pas être complètement ‘responsable’. J'ai envie de toucher les gens spirituellement avec mon écriture – de créer une expérience qui soit difficile à articuler – comme le fait Machel Montano. Il sait émouvoir un public. Donc je dirais que la spiritualité est importante pour moi. Je dirais aussi que je suis un penseur indépendant, et je suis impénitent à ce sujet.

Une victime collatérale de la rupture diplomatique entre Iran et Arabie Saoudite : le blog de Sara Masry

jeudi 18 février 2016 à 19:02
Sara Masry (second from the left) with her classmates at Takht-e Jamshid (Persepolis), outside Shiraz.

Sara Masry, deuxième à partir de la droite, avec ses condisciples à Takht-e Jamshid (Persépolis), à côté de Chiraz. Photo utilisée avec autorisation.

Début janvier 2016, peu après le saccage de l'ambassade saoudienne à Téhéran et du consulat à Mashhad à cause de l'exécution du religieux chiite Sheikh Nimr Al-Nimr, l'Arabie Saoudite a rompu ses relations diplomatiques avec l'Iran et émis une interdiction de voyage.

Cette rupture diplomatique a sonné le glas du blog “Saudi in Iran (‘Une Saoudienne en Iran’)”, lancé en mai 2015 par la Saoudienne Sara Masry, alors installée depuis sept mois en Iran pour y suivre un cursus en études iraniennes à l'Université de Téhéran.

Sara Masry with her friends in 1000-year old mud-brick village of Kharanaq, Yazd.

Sara Masry et ses amis dans le village de briques millénaire de Kharanaq, Yazd. Photo utilisée avec autorisation.

“Je ne peux plus écrire ‘Une Saoudienne en Iran’ si je ne suis plus réellement en Iran”, a dit Sara Masry à Global Voices, ajoutant, “mais je travaille avec acharnement à trouver une dérogation ou un moyen de retourner, car je pense que c'est vraiment important de continuer cela”.

Sur son blog, Masry écrivait intensivement sur ses rencontres avec les Iraniens, qui ont érodé leurs nombreux clichés sur les Arabes. “J'ai compris que, autant mon séjour me plaisait avec tout ce que j'apprenais de neuf, ça se limitait à moi, et que je ne faisais rien pour rendre utiles toutes ces expériences et connaissances. Je voulais porter plus loin le message et mettre à profit ce que je vivais pour essayer de briser les barrières et les stéréotypes culturels, et montrer une autre face du pays aux gens de ma région”, explique-t-elle. Sara Masry a passé un an et quatre mois en Iran.

Malgré tous les clichés sur les Arabes dans l'Iran d'aujourd'hui, Masry dit dans son ultime billet de blog n'avoir jamais connu elle-même de discrimination pendant son séjour à Téhéran. Femme saoudienne, elle dit “avoir été reçue avec une gentillesse et une chaleur débordantes”.

Masry a dit à Global Voices que les stéréotypes sur les Arabes en Iran sont faux pour la plupart :

Disons courants parmi certains Iraniens, chez qui les haines et préjugés envers les Arabes ont été intériorisés : à mon avis, leurs racines se trouvent dans des phénomènes autant historiques que contemporains, et les tensions politiques et nationalistes les ont exacerbés.

Sara Masry with her mother at the ancient Elamite 'Chogha Zanbil' complex in Khuzestan Province, Southern Iran.

Sara Masry avec sa mère sur le site élamite antique de Chogha Zanbil, dans la province du Khouzistan, dans le sud de l'Iran. Photo utilisée avec autorisation.

Un grand nombre d'Iraniens extrêmement patriotes et nationalistes se font les chantres d'un aigre discours anti-arabe, c'est malheureux mais on retrouve les mêmes idées et tendances dans le monde entier entre les peuples qui ont partagé une histoire tumultueuse, dans le cas présent, qui comporte une invasion coloniale historique et plus récemment une guerre (Iran-Irak). L'existence d'un tel état d'esprit n'a rien pour étonner, mais si j'en crois le temps que j'ai passé en Iran (tout comme mes relations avec les Iraniens dans l'ensemble), cela m'a montré que ces idées ne représentent nullement la majorité. Je les dirais donc fausses, pardon pour la longue réponse !

Masry a eu beau éviter d'évoquer les tensions politiques entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, elle a tout de même reçu un avertissement “semi-officiel” la mettant en garde contre ses commentaires publics sur Twitter.

Je pense que ça vient de loin, les tensions entre les deux pays ont monté de façon exponentielle au long des années, c'est comme une sorte de bulle qui devait éclater. Pourtant j'espère, comme certains l'ont dit, que ceci est la fin plutôt que le début du conflit, comme il faut de temps en temps toucher le fond avant de remonter.

Ce qui se passe aujourd'hui nuit gravement à la région en général tout comme à ses habitants ; le fanatisme et le nationalisme extrême ont atteint des sommets historiques. Quand les gouvernements s'accusent mutuellement, un large segment de la population leur emboîte inévitablement le pas, ce qui le plus souvent tourne en racisme ou chauvinisme contre la population d'en face toute entière.

Nous avons désespérément besoin d'inverser la vapeur et de faire descendre la température dans ce moment de tension régionale.

Sara Masry at Bazaar-e Bozorg (Grand Bazaar) in South Tehran

Sara Masry auBazaar-e Bozorg (Grand Bazar) dans le sud de Téhéran. Photo utilisée avec autorisation.

Je pense que l'Iran m'a attirée largement pour la même raison qu'il attire de nombreux voyageurs européens et occidentaux : dans le monde arabe nous avons la même ignorance ou incompréhension de l'ambiance socio-culturelle ici, de ce à quoi peut ressembler la vie quotidienne en Iran, et de ce à quoi s'attendre si on y va. Ajoutez à cela le fait qu'il existe effectivement des similitudes avec la culture et la langue arabes, nous avons aussi à un certain degré une histoire commune, mais en même temps l'Iran est hautement singulier dans sa culture, ses traditions, son style de vie et bien d'autres aspects ; j'étais très intriguée d'en découvrir plus sur le pays et ne pouvais me satisfaire de lire et de poser des questions sans fin à des amis iraniens.

C'est très différent de la vie en Arabie Saoudite : Téhéran est plus cosmopolite que la plupart des villes d'Arabie, et les choses de tous les jours, comme circuler dans la ville, s'amuser ou se distraire, sont très différentes, à mon avis il n'y a pas de comparaison. A l'intérieur de la maison par contre, surtout dans les familles traditionnelles, il y a le même sens du cérémonial, de la tradition et de l'hospitalité que l'on peut trouver dans un foyer saoudien. Les points communs abondent aussi entre les générations plus jeunes et plus laïques dans les deux pays, au point que parfois traîner chez une amie à Téhéran me rappelait exactement quand je faisais de même à Djeddah.

Si on lui demande de résumer les Iraniens en trois mots, Masry répond “joviaux, gais, amusants”. Les trois mets qui lui manquent le plus depuis sont départ sont le ghormeh sabzi, le khoreshte fesendjan, et le khoreshte gheimeh (particulièrement celui de sa voisine).

Masry dit ne pas encore savoir ce qu'elle va faire, maintenant qu'elle est de retour en Arabie Saoudite. Elle espère poursuivre ses efforts pour promouvoir la compréhension et la tolérance interculturelles, “sous toutes les formes”. Elle ambitionne de créer une organisation avec un partenaire iranien du nom de Paix par la Compréhension culturelle arabo-iranienne. Le collectif espère avoir un site web bientôt opérationnel.