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Le Sri Lanka condamne l'attaque en bande de réfugiés Rohingya par des moines bouddhistes

vendredi 29 septembre 2017 à 20:05

Des réfugiés Rohingya arrivés au Bangladesh après les récentes opérations militaires en Birmanie. Photo Syed Rajowan (এস রেজওয়ান). Utilisée avec autorisation.

Mardi 26 septembre, des émeutiers menés par un groupe de moines bouddhistes extrémistes ont forcé le portail et pénétré la maison d'accueil enclose de plusieurs étages du Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) pour les réfugiés Rohingyas dans la capitale sri-lankaise Colombo, provoquant une large réprobation au Sri Lanka.

Les moines auraient menacé un groupe de 31 réfugiés Rohingyas dont 16 enfants et 7 femmes, qu'ils ont appelés terroristes. Les autorités ont rapidement escorté les réfugiés sous garde protégée et les ont réinstallés dans un lieu plus sûr.

Journaliste à la BBC, Azzam Ameen a tweeté :

31 réfugiés Rohingya à Mt. Lavinia vont être emmenés par la police au camp de détention de Boossa pour leur sécurité après que des émeutiers ont assailli leur refuge de l'ONU.

Le Sri Lanka est resté essentiellement silencieux au sujet de la récente crise des Rohingya au Myanmar (Birmanie). Il y a à peine quelques jours que le premier ministre sri-lankais Ranil Wickremesinghe a annoncé que le pays n'acceptera pas de Rohingyas en qualité de réfugiés et que les réfugiés déjà présents seront finalement réinstallés dans un autre pays.

Quelques centaines seulement de réfugiés Rohingya se trouvent en ce moment au Sri Lanka, dont une majorité arrivée par mer et par air après les violences inter-ethniques au Myanmar en 2012. D'autres ont été secourus par la marine sri-lankaise en mai dernier sur les côtes nord du pays, et gardés dans un refuge de l'ONU à Mount Lavinia en attendant leur réinstallation.

Selon des récits d'agences de presse internationales, le groupe nationaliste radical Sinhale Jathika Balamuluwa a montré l’attaque en direct sur sa page Facebook, suivie par plus de 30.000 abonnés. La vidéo montrait les moines et quelques civils entrant dans le refuge en scandant “Pas de terroristes dans ce pays”.

Un certain nombre d'autres images de l'attaque menée par les Bouddhistes contre les réfugiés Rohingya ont été postées sur YouTube par des utilisateurs comme sonakar.com :

Tous les réfugiés s'en sont tirés indemnes, mais deux policiers ont été blessés et hospitalisés.

Le gouvernement de la Birmanie, pays majoritairement bouddhiste, ne reconnaît pas les Rohingya au nombre des groupes ethniques du pays, et leur dénie la citoyenneté. On les décrit souvent comme la “minorité la plus persécutée d'Asie”. Les autorités et les nationalistes bouddhistes considèrent les Rohingya comme des immigrants illégaux du Bangladesh, même si leurs racines dans l’État Rakhine (ou Arakan) remontent à plusieurs siècles.

Depuis août 2017, 400.000 Rohingyas environ ont fui au Bangladesh à la suite des opérations militaires de l'armée birmane contre des insurgés appartenant à l'Armée du Salut des Rohingya de l'Arakan (ARSA). L'ARSA était accusée des attaques de plusieurs postes de la police et de l'armée, qui ont entrainé l'incendie de villages Rohingya et les attaques des civils.

Certains moines bouddhistes sri-lankais partagent les positions extrémistes de leurs homologues ultra-nationalistes birmans au sujet des musulmans minoritaires, et ont créé une page Facebook pour les diffuser. Des Sri-Lankais ont aussi offert leur sympathie à la Birmanie sur la question particulière des Rohingya :

Le Sri Lanka [est] avec le Myanmar [Birmanie] dans la crise des Rohingya au Rakhine

Par contre, les attaques ont été fermement condamnées par le gouvernement sri-lankais. Son porte-parole Rajitha Senaratne a déclaré :

“This is not what the Buddha taught. We have to show compassion to these refugees. These monks who carried out the attacks are actually not monks, but animals.”

“Ce n'est pas l'enseignement du Bouddha. Nous devons montrer de la compassion à ces réfugiés. Les moines qui ont mené ces attaques ne sont en réalité pas des moines, mais des animaux.”

Et de déplorer à travers ce tweet d'Azzam Ameen :

2 millions de Sri-Lankais partis comme réfugiés dans d'autres pays, j'ai honte que nous ne puissions même pas prendre soin temporairement de 30 personnes” Le ministre Rajitha

Le ministre s'est engagé à prendre des mesures disciplinaires contre les policiers qui ont échoué à maîtriser l'émeute. D'autres hauts responsables ont fait connaître leur condamnation, mais les déclarations du Président et du Premier Ministre se font encore attendre :

La déclaration en anglais du ministre des Finances et des Média Mangala Samaraweera sur les réfugiés Rohingya au Sri Lanka

Les simples citoyens ont eux aussi dénoncé les attaques sur les médias sociaux :

“Je condamne ces actions en tant que bouddhiste très fier de ce que le bouddhisme est une religion de non-violence et de Compassion”. Ma déclaration sur les réfugiés Rohingya au Sri Lanka.

Attaque et expulsion d'enfants et adultes Rohingya par des casseurs menés par des moines bouddhistes au Sri Lanka : HONTE au Sri Lanka, surtout aux bouddhistes, policiers et gouvernement cingalais

QUI est chargé du respect de la loi et de l'ordre au Sri Lanka ? Le ministre ou les voyous en robe safran qui attaquent les réfugiés Rohingya dans l'impunité ?

Le journaliste sri-lankais chevronné Latheef Farook a condamné le silence du Sri Lanka sur la persécution actuelle des musulmans Rohingya en Birmanie :

Le Sri Lanka et son ministère des Affaires étrangères n'ont jamais manqué de condamner promptement les explosions et attentats dans les lointaines capitales occidentales, mais imposer par la terreur à un demi-million d'hommes, femmes et enfants de fuir leurs lieux de naissance depuis des générations plus près de chez nous dans notre voisinage asiatique, voilà qui ne heurte pas les consciences de la bonne gouvernance, des professionnels, des universitaires, de la société civile et des organisations féministes du Sri Lanka.

Sam Kosai, de Yangon, au Myanmar (Birmanie) a exprimé sa colère face au paradoxe de violences bouddhistes contre les réfugiés Rohingya au Sri Lanka :

Nos frères du Sri Lanka se joignent à la Birmanie pour donner au bouddhisme honte et mauvais renom. Bravo ! Bien joué ! Être fasciste tout seul n'est pas drôle. Plus on est, meilleur c'est.

Deux blogueuses décodent le pouvoir du langage dans la politique : l'exemple de la campagne anti-migrants de la Hongrie

jeudi 28 septembre 2017 à 12:27

(De gauche à droite : ‘Nombre de migrants ↑, viols ↑” ‘Migrants ! Viols !’ ‘Migrants! = Violeurs !’ ‘Qu'on les renvoie !’ Illustration de Joy Lau, extraite de Talk Decoded. Utilisé avec autorisation.

Comment la façon dont nous cadrons l'information recoupe-t-elle la sphère politique ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé le tandem de Talk Decoded, un blog qui s'intéresse au pouvoir du langage dans la politique : la spécialiste des média, politique et communication Anna Szilagyi et la bédéiste Joy Lau.

Avec La grande campagne anti-migrants de la Hongrie, par exemple, Szilagyi et Lau explorent le référendum hongrois de 2016 sur la relocalisation des migrants, à la recherche de langage de cadrage comme “bureaucrates de Bruxelles” et “immigrants illégaux”. Nous sommes partis de cet exemple pour avoir leur point de vue sur la puissance et les défis du cadrage.

Global Voices: Comment définissez-vous “cadre” ou “cadrage” ?

Anna: Je m'intéresse au pouvoir des mots en politique. Je m'appuie sur le concept linguistique de cadre développé par George Lakoff. Pour lui, les cadres sont des structures mentales qui peuvent être activées par des mots. Un mot que nous entendons va évoquer un cadre dans notre esprit. Comme le processus est largement automatique, les politiciens et les média peuvent nous influencer efficacement par le cadrage sans que nous en soyons conscients.

Global Voices: Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Anna: Certainement. Depuis 2015, en réponse aux conséquences de la crise migratoire mondiale pour l'Europe et au plan de l'Union Européenne de relocalisation des réfugiés dans les États membres, le gouvernement populiste de droite de ma Hongrie natale mène des campagnes de propagande à grande échelle contre divers individus et groupes.

Le gouvernement hongrois s'est par exemple donné pour but de dresser la population du pays contre les réfugiés. Divers outils de discours ont été utilisés à cette fin, dont le cadrage. Le vocabulaire de la propagande hongroise (“danger”, “danger terroriste”, “zones interdites”, “viols”, “épidémies”) amalgame des faits pris hors contexte avec des mensonges, et a brouillé la différence entre “migrants” et “terroristes”.

Des mots pouvant évoquer le cadre d'un “état d'urgence” dans la tête des gens, créant l'impression fausse que la crise des réfugiés a apporté une rupture de l'ordre public, le chaos, voire l'anarchie à l'Europe.

Au même moment, les mots pouvant activer le cadre de l'humanitaire (“abri”, “nourriture”, “protection”, “regroupement familial”, “enfants”) étaient totalement absents du langage de la propagande hongroise. L'absence du vocabulaire susceptible d'activer le cadre de l'humanitaire a aussi marqué la diffusion du programme gouvernemental.

Joy: Notre premier article pour Talk Decoded traitait de la campagne de 2016 du gouvernement hongrois pour influencer le vote du plan de l'UE pour relocaliser les réfugiés [avec des quotas par pays, NdT]. En particulier, nous avons utilisé et analysé le matériau de la brochure de campagne du gouvernement. Grâce à la traduction et aux explications d'Anna, j'ai découvert la multitude de manières dont certains termes étaient utilisés pour instiller les préjugés contre les réfugiés.

Pour cette série de dessins, j'ai fait ressortir que ce sont de vraies gens qui sont influencés, en dessinant des silhouettes aux corps d'aspect réaliste, mais aux “têtes en bulles” pour montrer leur réaction en pensée aux mots de la propagande.

Vous pouvez voir dans le dessin ci-dessus comment le gouvernement hongrois lie les deux mots “migrants” et “viols” en traitant des réfugiés. Tout d'abord, en parlant des réfugiés comme de “migrants”, ce que l'on peut interpréter comme un terme restrictif, avec les connotations de séjour temporaire et de non-appartenance à la société. Puis on met en rapport une augmentation des “migrants” avec une augmentation des viols, laissant entendre que les  migrants sont des violeurs. Le cadrage, dans cet exemple, est utilisé pour instiller dans l'opinion une peur des réfugiés.

Global Voices: Nous déduisons de votre travail dans le domaine que vous trouvez important que le cadrage soit compris. Mais pourquoi est-ce important, et/ou quels sont les défis en ce moment-même ?

Anna: Le cadrage peut influencer notre pensée d'une manière subtile qui peut nous égarer et même être dangereuse. Je crois que le cadrage est tellement important qu'il devrait être enseigné dès l'école primaire. Nous utilisons le langage tout le temps, et pourtant, la plupart d'entre nous avons une compréhension très limitée de son fonctionnement. Et bien des fois, les journalistes ne font pas exception.

C'est ce manque de savoir qui me paraît le plus grand défi. Le cadrage n'est pas une nouveauté, mais aujourd'hui nous sommes simplement bombardés de cadres par les médias traditionnels et sociaux. Notre manque de savoir nous rend ainsi extrêmement vulnérables aux manipulations.

Global Voices: Que peuvent faire, selon vous, les lecteurs moyens et auteurs d'informations s'agissant du cadrage ?

Anna: Je pense que la première question à se poser, c'est comment ceux qui comprennent du fait de leur travail la signification du cadrage peuvent partager leur savoir. NewsFrames de Global Voices est une initiative précieuse pour éduquer le public sur le cadrage. Avec Words Break Bones [voir plus bas], nous visons à enseigner le cadrage à la fois aux profanes et aux professionnels, y compris les journalistes et spécialistes.

Si vous avez conscience du cadrage, vous pouvez toujours être attentif au vocabulaire utilisé par vous-même ou les autres. Vous pouvez vous arrêter une seconde et vous poser quelques questions. Quel genre d'idées ce mot peut-il activer dans les esprits ? Ce mot ou ce cadre sont-ils suffisants pour décrire des réalités complexes ? En utilisant ce mot, est-ce que moi ou quelqu'un d'autre contribuerons à plus ou moins de savoir ?

Global Voices: Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous-mêmes ?

Anna Szilagyi, photo avec autorisation.

Anna: Je suis une journaliste devenue universitaire, qui examine comment les politiciens et les média façonnent et manipulent les idées et actes des individus à travers le langage sur la planète. Mon programme de formation, Words Break Bones [Les mots brisent les os] vise à donner aux enfants, adolescents et adultes les compétences linguistiques indispensables pour identifier et contrer les pratiques de communication diffamatoires, discriminatoires et mensongères dans la vie privée et publique. Je suis aussi professeur de communication au Savannah College of Art and Design à Hong Kong. Dans un grand nombre de mes projets récents, je collabore avec une fantastique artiste, Joy Lau.

Joy Lau, photo avec autorisation.

Joy: Je m'appelle Joy Lau, je suis une dessinatrice de bandes dessinées et une ancienne architecte. Sur Talk Decoded, mes illustrations veulent apporter des synthèses visuelles des sujets complexes abordés par chaque article. Je suis consciente depuis toujours du pouvoir du langage, mais travailler avec Anna m'a rendu évidentes les méthodes avec lesquelles le langage est utilisé pour influencer les autres – et il existe de multiples exemples de l'utilisation abusive de ce pouvoir.

J'ai aussi une série de bandes dessinées en ligne, Lonesome Cowgirl Comics, qui touche à divers thèmes, tels que les querelles inter-générationnelles américano-mexicaines à la frontière sud des États-Unis, et le sentiment de déracinement dans une grande ville comme  Hong Kong. Par ailleurs, je joue de l'accordéon, du sifflet à coulisse, de la boîte à musique, et, de mon préféré de toujours, un sifflet de train.

Global Voices: A propos, où vivez-vous, et quelles langues parlez-vous ? Nous sommes une communauté internationale et aimons connaître les contextes d'où parlent les personnes.

Anna: Je partage mon temps entre les deux villes que j'aime et que j'admire, Budapest et Hong Kong. Pour les langues, je suis bilingue hongrois – russe. Je parle aussi l'anglais et un peu d'allemand et de mandarin.

Joy: Je vis à New York. C'est l'anglais et le cantonais que je parle le plus couramment.

Irma : une réflexion sur les ouragans depuis les Bahamas

jeudi 28 septembre 2017 à 11:16

Par Nicolette Bethel

Cet article a été publié dans sa version originale sur Blogworld. Il a été reproduit sur Global Voices en version originale anglaise le 10 septembre 2017 avec l'accord de son auteur. Compte tenu des ravages qu'Irma et les ouragans qui l'ont suivi ont causés dans les Bahamas et les Antilles, nous estimons que cette réflexion reste d'actualité.

Toute personne qui a grandi à mes côtés sait que je ne suis pas du genre à prendre les ouragans à la légère. A 17 ans, j'ai écrit une longue rédaction sur le sujet. Ce travail m'a demandé de me plonger dans la science qui se cache derrière les ouragans, et m'a aussi menée aux archives, afin de faire des recherches sur leur impact aux Bahamas.

Je connaissais bien sûr l'ouragan de 1929 : la génération de mes grands-mères y a survécu, et celles-ci nous ont raconté des histoires sur ces mauvais jours d'autrefois, du temps où les ouragans survenaient chaque année, et frappaient directement Nassau [la capitale des Bahamas]. Les livres d'histoire dont je disposais (l'édition de 1968 du livre de Michael Craton, A History of The Bahamas, et celui de Paul Albury, The Story of The Bahamas de 1975) parlaient d'un ouragan encore plus ancien, datant de 1866, qui avait aussi dévasté Nassau. J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver sur les deux ouragans. Pendant la décennie suivante, je suis devenue la prophétesse des ouragans et chaque année je prévenais ma famille (en réalité, quiconque qui voulait bien m'écouter) qu'elle devait s'y préparer. Parce que, même si Nassau n'avait pas été touchée pendant une bonne vingtaine d'années, je savais que ce n'était qu'une question de temps.

Et, comme on a pu le constater, j'avais raison. En 2001, l'île de New Providence a été directement frappée par l'ouragan Michelle, dont l’œil est passé juste au-dessus de Nassau, puis en 2016, presque directement par l'ouragan Matthew, dont l’œil s'est tout juste dévié vers l'est de l'île quelques heures avant de se déchaîner. Mais aucun n'a affecté la capitale comme les ouragans de 1929 et 1866.

J'ai deux choses à dire à ce sujet. La première a à voir avec le passé et ce qu'il nous enseigne. La seconde, avec l'avenir, et la façon de mettre à profit ce que l'on a appris.

Ce que nous enseigne le passé

Les Bahamas, comme les États-Unis, sont historiquement en dehors de la trajectoire habituelle des ouragans. La majeure partie de notre archipel se situe au-dessus du tropique du Cancer, dans la zone subtropicale, et, au moins jusqu'à la fin du XXe siècle, la plupart des ouragans tendaient à se former et à rester entre les tropiques, à traverser l'Atlantique jusqu'à la Mer des Caraïbes et à balayer sur leur passage les Petites Antilles. C'était catastrophique pour les Caraïbes, mais providentiel pour les Bahamas, car les îles caribéennes sont assez montagneuses, et les montagnes aident à briser la structure des ouragans. C'est pourquoi la plupart du temps, lorsqu'ils arrivaient aux Bahamas, même les ouragans les plus puissants comme Inez, David et Georges s'étaient dissipés et étaient reclassés au rang d'ouragan de catégorie 1 ou 2, ou même de tempête tropicale.

Cependant, tous les trente ans environ, une évolution régulière du système climatique mondial favorisait la formation d'ouragans plus au nord, augmentant la probabilité qu'ils touchent les Bahamas ou la côte est des États-Unis. Ces ouragans se déplaçaient dans l'Atlantique sans être freinés par la terre ou par les montagnes jusqu'à gagner l'intérieur des terres des États-Unis. Ce fut le cas de l'ouragan de 1866 aux Bahamas, l'un des premiers doté d'un schéma systémique de localisation et d'intensité (on pense que c'était un fort ouragan de catégorie 4). Notre principale source d'information sur son intensité est la pression barométrique enregistrée lors du passage de la tempête (pour plus de détails, voir le livre de Wayne Neely). Il a été suivi d'un autre ouragan meurtrier en 1899, d'une série d'ouragans de catégorie 4 et 5 entre 1926 et 1932, puis de Betsy en 1965, et enfin d'Andrew en 1992.

Pour tout savoir sur les ouragans aux Bahamas, je vous renvoie vers Wayne Neely. C'est le spécialiste du sujet. Si vous voulez savoir qui écouter dans les médias, fiez-vous à ce qu'il dit. C'est son hobby, mais c'est aussi sa formation et sa profession.

Cela voulait dire qu'il était de l'ordre du possible, du moins au XXe siècle, qu'un adulte bahamien vive et meure sans voir plus d'un ou deux ouragans dévastateurs. Mon père fut dans ce cas. Il est né en 1938, et jusqu'à sa mort en 1987, il n'a vécu qu'un seul gros cyclone : Betsy, en 1965. Dans les années 70, il a passé sa vie à poser des volets anti-cyclone quand il y avait des alertes, pour découvrir que l'ouragan s'était dévié en direction de la mer, ou que ce n'était rien de plus qu'un peu de vent et de pluie. Et il se plaignait. Nos volets anti-cyclone étaient de lourds objets de bois qui s'ajustaient à l'encadrement des fenêtres et étaient renforcés par des tasseaux. Ils étaient difficiles à poser et difficiles à enlever, et quand il ne les mettait que pour vivre la déception d'une autre tempête, il refusait de les enlever jusqu'à la fin de la saison. Il les retirait dans les espaces communs de la maison, mais nous passions la nuit dans l'obscurité des chambres barricadées.

J'imagine que pour les Bahaméens les plus jeunes, il est difficile d'envisager la possibilité de passer toute une vie sans vivre plus d'une tempête meurtrière. Ces 25 dernières années ont vu surgir et s'allonger les saisons cycloniques qui touchent notre archipel, depuis Andrew, qui était de catégorie 5 quand il a frappé Eleuthera par l'est, puis Floyd, Michelle, Frances, Jeanne,  Wilma, Irene, Ike, Sandy, Joaquin, Matthew, Irma, et peut-être José. Les schémas climatiques historiques des ouragans ont changé : les cycles de 30 ans qui ont prédominé entre 1780 et les années 90 ont été remplacés par des cycles que l'on n'a pas encore réussi à modéliser.

Ce qu'il y a de plus surprenant, à mon sens, ce n'est pas l'argument incontournable du changement climatique. Ce qui me surprend dans ce relevé historique des ouragans aux Bahamas, c'est quelque chose de flagrant que l'on a coutume d'oublier quand on prie pour être épargné ou lorsqu'on s'implique dans des opérations de sauvetage et de nettoyage : qu’en matière d'ouragans, les Bahamas d'aujourd'hui s'en sortent mieux que presque tous les autres territoires de la planète.

La première raison est tout simplement liée à notre géographie. Nous n'avons pas de fleuves qui débordent ou font sauter les écluses, et nous n'avons pas de montagnes qui provoquent des glissements de terrain. Ce sont les deux dégâts collatéraux les plus meurtriers des ouragans, et cela n'arrive pas chez nous. Mais il y a d'autres manières courantes de mourir pendant un ouragan, que l'on peut apprendre en se plongeant dans nos archives historiques. Certains se noient dans une onde de tempête (comme c'est arrivé sur Andros en 1866 et en 1929), d'autres sont tués par des débris de maisons quand les toits s'envolent. Et il apparaît que depuis les années 30, le nombre de maisons effondrées aux Bahamas a considérablement diminué.

Nous avons appris comment construire en prévision des tempêtes. J'ai grandi dans une maison qui date des années 30, à l'époque où l'on reconstruisait la ville après l'ouragan de 1929, et l'entrepreneur qui l'a construite prétendait qu'elle résisterait à n'importe quelle tempête. Elle est en béton coulé renforcé avec de l'acier, et le toit est solidement fixé aux murs. Elle comporte des espaces couverts au-dessus de chaque porte pour permettre la ventilation traversante, et elle a résisté aux ouragans sans dommage structurel depuis sa construction.

Je vis dans une autre maison, construite dans les années 50, elle aussi en béton coulé renforcé, mais qui est en plus surélevée de 1,20 m à 1,50 m au-dessus du sol (elle a été érigée sur un sol inégal). Mes parents sont nés dans des maisons en bois : l'une d'elles est toujours debout, et l'autre le serait si un bulldozer ne l'avait pas rasée. Ce que nous avons découvert après que la maison de notre grand-mère a été détruite, c'est qu'elle avait été construite par des ouvriers des chantiers navals, et qu'il n'y avait pas le moindre clou dans sa structure; elle se tenait par des chevilles de bois qui se sont renforcées en gonflant avec le temps. Les maisons de Harbour Island, une île des Bahamas frappée par Andrew, un ouragan de catégorie 5, sont toujours debout, alors qu'une grande partie de Miami, touchée alors qu'Andrew avait un peu perdu de sa puissance, a été démolie.

Voilà ce que l'on apprend du passé. Les Bahamiens savent comment construire pour affronter les tempêtes. Cela fait partie de notre processus d'adaptation à ces îles, où l'évacuation est un luxe dans les territoires les moins peuplés, mais en réalité se révèle généralement impossible pour la plupart d'entre nous. Nous avons développé des techniques pour construire des maisons qui résistent aux ouragans, et nous avons inscrit plusieurs de ces techniques dans nos codes de construction. Il est vrai qu'on pourrait en faire davantage aujourd'hui et qu'on ne le fait pas, probablement à cause du coût. Nos grands-parents savaient qu'on ne devait pas seulement construire solide et intelligent, mais aussi construire en hauteur ; la plupart de nos maisons traditionnelles sont surélevées sur des blocs et se trouvent à 1,20 m ou 1,50 m au-dessus du sol, et sont beaucoup moins exposées aux inondations que celles que l'on construit de nos jours.

Cela m'amène à la deuxième partie de cette réflexion.

Ce que l'avenir pourrait nous réserver

J'ai observé et étudié les ouragans pendant la majeure partie de ma vie. Et, bien que je les respecte —profondément—, je ne crois pas que les Bahamiens devraient en avoir si peur. Au contraire. Je crois que nous devons nous observer attentivement pour comprendre pourquoi nous gérons si bien les grandes tempêtes. L'une des raisons est, en effet, notre géographie sans relief, l'absence de montagnes et de fleuves, notre capacité à courber la tête pendant la tempête et à ne pas trop nous inquiéter des conséquences physiques. Mais c'est aussi, en partie, grâce à ce que nous avons nous-mêmes développé.

Je ne crois pas qu'il soit exagéré de dire que les Bahamiens sont des experts mondiaux quand il s'agit de construire pour survivre aux ouragans. C'est une compétence critique que nous pouvons partager avec le monde, et à plus forte raison alors que les ouragans semblent se former de plus en plus fréquemment, et qu'ils sont toujours plus grands et plus forts, et ne suivent pas les schémas du passé.

Pour cette raison, je pense que nous devrions prendre part dans l'industrie mondiale des ouragans.

Je pense que :

Nous avons devant nous de vraies opportunités. Je prie pour que nous ayons la sagesse et le courage d'en tirer parti.

Nicolette Bethel est professeur, écrivain et anthropologue. Elle a été Directrice de la Culture aux Bahamas, et elle enseigne aujourd'hui à plein temps les Sciences Sociales au College of The Bahamas. Elle écrit sur son blog Blogworld et sur son compte Twitter @nicobet.

“Immigrants, We Get The Job Done” : le clip qui montre l'envers du rêve américain

jeudi 28 septembre 2017 à 10:43

Arrêt sur image de la vidéo “Immigrants, We Get the Job Done” (“Immigrants, nous on bosse”).

Cet article fut à l'origine écrit par et publié sur Enclave. Il fut révisé et republié sur Global Voices avec l'autorisation d'Enclave. Sauf mention contraire, les liens renvoient vers des pages en anglais.

Un clip vidéo est sorti à la fin du mois de juin pour accompagner la chanson “Immigrants, We Get The Job Done” [“Immigrants, nous on bosse”, NdT]. Cette chanson fait partie de l'album “The Hamilton Mixtape” qui rassemble des reprises des titres de la comédie musicale “Hamilton” basée sur la vie d’Alexander Hamitlon [fr], qui a joué un rôle important [fr] dans la fondation des États-Unis à la fin du XVIIIe siècle.

Le spectacle, applaudi par la critique, est inspiré de la biographie de Ron Chernow et raconte l'histoire avec des variations musicales de styles différents, du hip-hop au blues et à la pop, et des comédiens de diverses origines pour jouer des personnages qui étaient tous blancs. Dans le spectacle, “Immigrants, We Get The Job Done” est chanté par Hamilton, qui a immigré dans les colonies américaines quand il était jeune, et par le Marquis de La Fayette, qui a combattu aux côtés des Américains dans leur guerre d'indépendance.

La version de l'album “The Hamilton Mixtape” met en vedette le poète somali-canadien K'naan Warsame, le rappeur et écrivain portoricain Residente, l'acteur, rappeur et militant anglo-pakistani Riz Ahmed, l'actrice et artiste de hip-hop mexico-américaine Snow Tha Product, ainsi que l'acteur, rappeur et chanteur américain Daveed Diggs. Tous sont connus aux États-Unis pour leur engagement contre le racisme et la discrimination.

La chanson et le clip ont été produits par Lin-Manuel Miranda, qui a également écrit la comédie musicale. Elles dépeignent une classe ouvrière ignorée et vivant dans l'ombre, souvent victime de crimes de guerre, de la brutalité de la police, de l'exploitation, de la violence anti-immigrants et de morts absurdes. Le clip est sorti à un moment particulièrement significatif, où le pays débat férocement de la réforme de la loi sur l'immigration et où l'hostilité envers les groupes minoritaires est devenue plus visible. Une partie des paroles raconte :

I been scoping ya dudes, ya’ll ain't been working like I do
I'll outwork you, it hurts you
You claim I’m stealing jobs though
Peter Piper claimed he picked them, he just underpaid Pablo
But there ain't a paper trail when you living in the shadows
We're America's ghost writers, the credit's only borrowed

Je vous ai checké les mecs, vous ne bossez rien comme moi
Je vous surtravaillerai, ca va vous faire mal
Pourtant vous dites que je vole des jobs
Peter Piper dit qu'il les a choisis, c'est juste qu'il sous-paye Pablo
Mais y a pas une trace de papier quand vous vivez dans l'ombre
Nous sommes les écrivains fantomes de l'Amérique, les honneurs ne sont qu'empruntés

En fait, Miranda a apporté son soutien à la coalition Immigrant: We Get The Job Done rassemblée par la Fédération hispanique. Celle-ci comprend douze organisations partenaires qui travaillent sur le terrain dans tous les États-Unis pour offrir des services de représentation juridique, plaidoyer, campagnes de sensibilisation “Quels sont vos droits” et bien plus encore, qui peuvent changer la vie d'immigrants, de réfugiés et de demandeurs d'asiles venus aux États-Unis à la poursuite du rêve américain.

Au Pérou, ciseaux et rasoirs pour combattre la délinquance

mercredi 27 septembre 2017 à 10:58

Photo de Fadi El Benni, partagée sur Flickr par Al Jazeera English, utilisée sous licence Creative Commons CC BY-SA 2.0.

[Billet d'origine en espagnol publié le 25 juillet 2017]

L'apparence physique et la présentation ont rarement été autant valorisées. En l'occurence, c'est ce qui maintient de jeunes Péruviens à l'écart de la délinquance tout en développant le métier licite de barbier.

El Callao est le principal port du Pérou, situé sur l'océan Pacifique non loin du centre historique de Lima, la capitale péruvienne. La criminalité y est élevée, les vols à la tire et la vente des drogues illicites y ont une incidence plus forte qu'ailleurs. Un sondage publié en avril 2017 révélait que 51,5% des habitants ne s'y sentent pas en sécurité.

Par aileurs, le Pérou, à l'instar d'autres pays d'Amérique Centrale et du Sud, connaît un accroissement de la demande de services esthétiques pour hommes. La mode d'imiter l'apparence physique des idoles du sport qui exhibent des coiffures extravagantes, comme Paolo Guerrero (Pérou), Arturo Vidal (Chili), Pedro Gallese (Pérou), ou Neymar soi-même (Brésil), amène des citoyens ordinaires à recourir plus fréquemment aux mains expertes d'un barbier capable d'émuler ces coupes de cheveux sophistiquées.

La demande sans précédent de looks qui repousse les limites de l'imagination et de la créativité a inspiré un événement annuel, “La Bataille des Barbiers”, qui existe depuis 2014. Les experts y sont en compétition pour démontrer qui obtiendra le résultat le plus excentrique, comme on peut l'apprécier sur la vidéo ci-dessous (on en trouvera de plus récentes de ce concours sur le profil Facebook public de Bataille de Barbiers) :

 

C'est là que des institutions éducatives comme le collège Augusto Salazar Bondy, situé à El Callao, vont trouver l'opportunité de convaincre des jeunes de troquer les armes pour les outils de travail, de recevoir une formation au lieu de mauvails conseils, et de travailler, grâce aux portes qui s'ouvriront à eux une fois qu'ils auront appris l'art du coiffeur pour hommes.

Attirés par cette profession et les opportunités qu'elle peut apporter, des dizaines de jeunes gens voient qu'ils peuvent mettre la main à la pâte et débuter dans un métier actuellement très en vogue.

Le collège a annoncé des ateliers de formation technique avant la rentrée de mars, et rendu compte de quelques-uns de ses succès :

Ya en 1995 nos convertimos en el único colegio técnico de la comunidad, así como del mismo distrito del cual nos sentimos orgullosos por el amor hacia sus hijos y tener así una comunidad educativa.

Dès 1995, nous sommes devenus le seul collège technique de la municipalité comme du district, ce dont nous sommes très fiers. Pour l'amour de nos enfants et avoir ainsi une communauté éducative.