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Après des mois d'action collective, les mineurs de charbon russes touchent enfin leurs salaires

vendredi 16 septembre 2016 à 11:37
English miner at Wharncliffe Silkstone Colliery, Barnsley, UK. Source: Paul Reckless, Flickr.

Un mineur britannique des houillères de Wharncliffe Silkstone, à Barnsley (Royaume-Uni). Source : Paul Reckless, Flickr.

Le 25 mai, vingt mineurs de Goukovo, une bourgade du sud-ouest de la Russie, manifestaient à Rostov-sur-le-Don pour réclamer à leur employeur, King Coal, le paiement de leurs salaires, dont certains n'étaient plus versés depuis près d'un an. “Donnez-nous notre argent” et “M. le Président, défendez les travailleurs !” disaient leurs pancartes.

Les mineurs publièrent une déclaration détaillant leurs revendications :

Мы, участники митинга, требуем принять срочные меры по погашению миллионных задолженностей по заработной плате шахтеров. Нельзя демонстрировать гражданам России бессилие закона и власти перед собственниками угольных шахт. Это коррупция.

Nous, participants au meeting, exigeons que soient prises des mesures urgentes pour l'apurement des millions d'arriérés de salaires des mineurs. Il ne faut pas exhiber aux citoyens russes la faiblesse de la loi et des autorités devant les propriétaires de houillères. Ça s'appelle de la corruption.

La déclaration des mineurs était une pique contre les présupposés de la “stabilité” professée par le pouvoir Poutine : gouvernance efficace, état de droit, ordre, et assurance que le “peuple” sera protégé des patrons prédateurs.

Pour les mineurs, ce n'était qu'un début. Dans les mois qui ont suivi, leurs revendications se sont faites plus bruyantes, jusqu'à finalement culminer en une grève de la faim dont on parlé les médias nationaux et qui a obligé l'administration locale à agir. Si leur lutte n'est de loin pas terminée, l'insistance des mineurs de Goukovo à défendre leurs droits n'est qu'un exemple de plus de la capacité des “gens ordinaires” de Russie à contraindre, en s'organisant, des responsables publics indolents à prendre un minimum de mesures.

Le problème des arriérés de salaires n'a rien de nouveau en Russie. Selon les derniers chiffres de Rosstat, le total des arriérés de salaires de la Fédération de Russie s'élève à  3,7 milliards de roubles (près de 51 millions d'euros), affectant environ 73.000 personnes. Les ouvriers de l'industrie et de la construction sont les plus durement touchés, et les faillites sont la cause de 25 % des salaires impayés de Russie.

Les arriérés de salaires sont aussi une source majeure de conflits du travail. Un récent rapport du Centre pour la Réforme économique et politique, qui suit la conflictualité sociale et économique en Russie, a compté 171 conflits enregistrés en rapport avec des arriérés de salaires entre avril et juin de cette année.

La région de Rostov est une des poudrières de ces conflits. King Coal doit près de 300 millions de  roubles (4 millions d'euros) à 2.000 salariés. Les mineurs de Goukovo à eux seuls ont une créance de 130 millions de roubles. Les mineurs disent que les retards de salaires ont commencé à s'accumuler peu à peu en 2013. D'abord une semaine, puis un mois ou deux, et dès 2015, une demi-année.

A ce moment King Coal avait fait faillite, laissant ses salariés les mains vides. Quand la société déposa le bilan en 2015, son directeur, Vladimir Pojidaev, fut poursuivi pénalement pour abus de pouvoir, défaut de paiement de ses ouvriers et abus de biens sociaux—le trou laissé par King Coal était d'un milliard de roubles. Les créanciers et fournisseurs de King Coal intentèrent des procès—3.500 au total—devant le tribunal des faillites. Au dernier rang de ce long défilé de prétendants éconduits se trouvaient les mineurs.

Les arriérés de salaires sont un des symptômes de de la désindustrialisation généralisée de la région. A l'époque soviétique, Rostov s'enorgueillissait de 90 mines. Il n'en reste plus que quatre en activité aujourd'hui. Un bon salaire mensuel à Goukovo est 15.000 roubles (207 euros) pour un homme et 7.000 (97 euros) pour les femmes. Le revenu réel a baissé de presque 7 %. La plupart des habitants complètent ces maigres gains par des crédits bancaires, ce qui fait de Rostov la 10ème ville de Russie la plus emprunteuse.

Génia Nesrelïaev, 40 ans, 22 ans de mine, gagnait un salaire correct—20.000 roubles (276 euros) mensuels. Aujourd'hui, lui et sa famille vivent à crédit auprès de trois banques. “Je n'ai fait aucun remboursement depuis deux mois. Les encaisseurs téléphonent cinq fois par jour… Ils disent, mets tes affaires en gage. Autrement dit, je dois laisser mes enfants sans rien”. Au total, King Coal doit à Génia 4.213 roubles de salaires impayés.

Valeri Diakonov, un mineur retraité reconverti en organisateur de la contestation, a déclaré au journal Nezavisimaya gazeta :

На мой взгляд, теперь ситуация значительно хуже. И никому нет дела до того, что горняки в поисках куска хлеба бросают свои дома, потому что почти все в долгах и кредитах. А кто посчитает, сколько за последние годы распалось семей и сколько детей стало наркоманами?

Comme je vois la situation, elle a considérablement empiré [depuis les années 1990]. Et personne ne se soucie que les mineurs en quête d'un bout de pain soient expulsés de chez eux parce que tout le monde est endetté. Et qui compte le nombre de familles brisées ces dernières années et d'enfants devenus toxicomanes ?

Tel est le contexte qui a poussé les mineurs à l'action. Le petit piquet de grève de mai est devenu une manifestation quotidienne un mois plus tard. Leurs pancartes disaient “Nous ne sommes pas des esclaves ! Donnez-nous notre argent !” et “le Donbass russe contre les voleurs et menteurs !” Leurs appels à l'intervention de Poutine, du gouverneur de Rostov et du maire de Goukovo ont rapidement pris de l'ampleur : les mineurs ont menacé de bloquer la M-4, la principale autoroute de Rostov. Une réunion avec le maire s'est terminée sur des promesses creuses. Ils ont constitué un collectif pour coordonner leurs actions de protestation, avec Valeri Diakonov à sa tête. Puis, mi-août, la police effectua une descente opportune dans la maison de Diakonov, lui fixa un bracelet électronique à la cheville, et le mit aux arrêts domiciliaires pour de supposées menaces avec un fusil à air comprimé contre un fonctionnaire local en novembre 2015. Une semaine plus tard, les 200 mineurs et leurs familles organisèrent une manifestation, reprenant à nouveau “Nous ne sommes pas des esclaves !” pour principal slogan.

Un mineur a déclaré à Novaya gazeta :

Я и Путину не доверяю. И сына в армию я не думаю отправлять. Я тут родился, но это государство недостойно…

Je ne fais pas confiance à Poutine. Et je n'enverrai pas mon fils à l'armée. J'ai grandi ici, mais cet Etat est indigne…

Quelques jours plus tard, le 23 août, les mineurs lançaient une grève de la faim. Au départ, ils étaient 60 à y participer. Puis 100. Puis 175.

Les médias ont vite été plus attentifs, et plusieurs journaux nationaux ont scruté Goukovo. Ce n'est qu'à ce moment que quelques centaines de mineurs ont commencé à être payés.

A présent, les médias rapportent que 1.500 mineurs ont reçu une partie de leur paye. Mais la victoire est douce-amère. Comme le dit Dmitri Kovalenko, un membre du comité des mineurs,

Все на месте затормозилось, отдали копейки за май и теперь говорят, что денег нет. Мы не видим просвета, надежды у нас тоже нет. Люди очень недовольны.

Tout est figé ici. Ils ont distribué des kopecks pour mai et maintenant ils disent qu'il n'y a plus d'argent. Nous ne voyons aucune lueur, et n'avons pas d'espoir non plus. Les gens sont très remontés.

Les athlètes olympiques du Timor n'ont pas gagné de médailles à Rio, mais continuent d'inspirer leur pays

jeudi 15 septembre 2016 à 10:48
The Timor Leste delegation during the opening ceremonies of the 2016 Olympics in Rio de Janeiro. Photo from Francelina Cabral

La délégation du Timor-oriental pendant la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques 2016, à Rio de Janeiro. Photo de Francelina Cabral

[Tous les liens sont en français, sauf mention contraire]

Le Timor-oriental n’a ramené aucune médaille des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, mais ses athlètes ont réussi à partager leur message plein d’inspiration avec leurs supporters et les Timorais.

Le Timor-oriental a participé aux épreuves masculines et féminines d’athlétisme, ainsi qu’à la course de VTT féminine.

Après avoir obtenu son indépendance de l’Indonésie en 2002, le Timor-oriental, peuplé de moins d’1.5 million de personnes, a pris part aux JO pour la première fois en 2004.

Nelia Martins, une sportive de 18 ans, était la plus jeune représentante de son pays à Rio de Janeiro.

En 2014, elle participa aux Jeux de la Lusophonie [anglais], qui se déroulèrent en Inde, et prit la quatrième place sur 5000m. Elle se présenta ensuite aux Jeux d’Asie du Sud-Est l’année suivante, à Singapour. Cette année à Rio, elle se classa 13ème de la troisième série du 1500m.

Nelia a partagé ses impressions avec Global Voices après la fin des Jeux :

Hau Sente kontente wainhra hau evento boot iha brasil primeira vez tuir olimpiade iha Rio De Janeiro (…) hau nudar atleta hau Sente kontenti wainhra hau representa hw nia Bandeira RDTL representa hau povu TIMOR LESTE no mos hau nia federation hau Sente kontenti wainhra ho idade 18 anos bele represents hau nia Bandeira Timor leste ba mundo tomak. Hau liafuan mk dt. Obrigada Timor!

Je suis heureuse d’être ici, au Brésil, pour participer aux Jeux Olympiques, à Rio de Janeiro, pour la première fois […] je suis honorée, en tant qu’athlète, de représenter le drapeau de la RDTL [la République Démocratique du Timor-oriental], de représenter les Timorais et ma fédération. Je suis vraiment ravie, même si je n’ai que 18 ans, je peux représenter le drapeau de mon pays aux JO. Voilà ce que je peux dire. Merci le Timor !

Augusto Soares at the 2016 Olympics in Rio de Janeiro. Photo from the Facebook page of Francelina Cabral

Augusto Soares aux Jeux Olympiques de Rio de Janeiro. Photo de la page Facebook de Francelina Cabral

Augusto Soares était, quant à lui, l’athlète le plus âgé de la délégation.

En 2007, il participa au 3000m des Jeux Asiatiques Indoor à Macau. En 2009, il prit part au marathon des Jeux Asiatiques du Sud-Est à Vientiane, au Laos. L’année suivante, il concourut au semi-marathon de Dili. Puis au 5000m des Championnats Asiatiques, à Kobé au Japon, en 2011. Cette année, il termina à la 12ème position de la troisième série du 1500m, à Rio.

Voilà ce qu’il déclara à Global Voices après les JO :

Primeiro hw hkrak fo obrigado ba maromk tan buat kmanek tomak mai husi Nia…No Mos ba Familia Treinador nebe uluk hnorin no htudu dalan ida ne mai hau sr Aguida Amaral no mos ba treinador no kolega sra hotu. Ami orgulho tamba ble Lori nasaun no Bandeira RDTL mai participa ih jogos olympico Rio de Janeiro ba dala xxI liu husi evento ne Maske ami la manan buat ruma.
Husu ba maluk joven sira atu hakribi problema husi ita nia an ato fo ita nia an at participa iha mundu Desportivas atu ble desenvolve ita nia an no mos ble fo mos kontribuisaun ba ita nia nasaun hnesan dalan nebe uluk ita asuwain sira htudu nanis ona durante iha sira nia luta…mak ne dt bin Ikus hw la haluhan…VIVA TIMOR LESTE……

Tout d’abord, je souhaiterais remercier Dieu pour toutes les bontés qu’il m’a accordées… Mais aussi ma famille, et mon premier entraîneur qui m’a orienté dans cette direction, Mme Aguida Amaral, ainsi que tous les entraîneurs et collègues. Nous sommes fiers de représenter notre nation et notre drapeau au cours de ces Jeux Olympiques à Rio de Janeiro. Bien que nous n’ayons gagné aucune médaille, nous avons engrangé de l’expérience en concourant contre d’autres athlètes, en-dehors de notre pays. Cette expérience, nous pourrons la transmettre aux jeunes. Nous leur dirons de se concentrer, de mettre leurs problèmes personnels de côté et de ne se consacrer qu’au sport, afin de se développer et de contribuer à notre nation. Leur parcours sera similaire à celui de nos héros lors de leur lutte [pour l’indépendance]. Jamais je n’oublierai… Longue vie au Timor-oriental…

Timor Leste's Olympic athletes pose with an athlete from Portugal (second from right). Photo from Francelina Cabral

Les athlètes du Timor-oriental posent avec un athlète portugais (deuxième à partir de la droite) Photo de Francelina Cabral

Francelina Cabral est la première timoraise à concourir à l’épreuve de VTT olympique. Cycliste professionnelle, elle a participé à plusieurs circuits du pays depuis 2009.

Dans une interview [anglais] accordée à Global Voices, Cabral décrivait la compétition de VTT olympique comme une course plus « extrême » qu’à l’accoutumée :

Ema sira nebe tuir kompetisaun iha evetu ne'e laos ema baibain, maibe ema professional, nebe sira nia serviso mak loroloron ne'e, sira, treinu, han, descansa no treino (…) Hau Mos bele hatene katak afinal Cross Country Agora ne'e, iha Mundo Moderno, ema extreme liu tan.

Les athlètes qui participent aux Jeux sont professionnels, ils s’entraînent, ils mangent, se reposent et s’entraînent de nouveau […] Je me suis rendue compte que le VTT est beaucoup plus extrême.

Cabral conclut la conversation en affirmant avoir été comblée de représenter son pays pour la première fois aux Jeux Olympiques. Bien qu’elle n’ait pas été capable de rapporter une médaille, elle offrit au Timor-oriental une médaille symbolique de l’honneur.

Le Timor-oriental prend également part aux Jeux Paralympiques. Le pays est représenté par des athlètes – masculins et féminins – sur 400m.

olympic games timor leste team

Image montrant le drapeau du Timor-oriental, sur le site officiel des Jeux Olympiques 2016 de Rio

Vladimir Poutine et les fausses mariées de la Place Rouge

mercredi 14 septembre 2016 à 23:25
Image: Pixabay. Edited by Kevin Rothrock.

Image: Pixabay. Montage de Kevin Rothrock.

Le week-end dernier, Moscou a dépensé plus d’un demi milliard de roubles (l'équivalent de 9 millions de dollars) en festivités pour les  869 ans de la ville. Il y a eu d'énormes feux d'artifice, un défilé d'équipements municipaux lourds (avec un nombre extravagant de véhicules de nettoyage des rues), et autres gâteries pour les yeux déployées par milliers par les officiels. Le Président Vladimir Poutine, qui assisté à l'événement principal des célébrations sur la Place Rouge samedi, était autant spectateur que partie du spectacle.

La longévité de Moscou n'était toutefois pas seule à l'honneur : une partie au moins du spectacle semble avoir été organisée pour rappeler aux Russes la virilité et le sang chaud de leur président.

Samedi, le journaliste du service de presse du Kremlin Dmitri Smirnov tweetait une brève vidéo montrant Poutine traversant à pied la Place Rouge, et passant à côté d'un attroupement de jeunes femmes vêtues de blanc comme des mariées. Poutine leur crie au passage “félicitations !” puis s'arrête pour des selfies avec elles. “Vous êtes toutes des beautés !” leur dit-il. “Quand Poutine passe, on oublie les mariés” commente Smirnov au-dessus de la vidéo.

Mais il s'est avéré que de mariés, il n'y en avait point. Des internautes ont par la suite identifié l'une des femmes sur Instagram et rapidement découvert que les “mariées” qui ont entouré le président étaient déguisées.

Evgénia Konovalova, une femme du groupe qui s'était assuré un des emplacements aux côtés de Poutine, a publié le week-end dernier plusieurs photos de la Place Rouge, sur lesquelles elle était habillée en robe blanche de mariée. Elle a aussi publié un de ses selfies avec le président. “Mes noces avec Vladimir Vladimirovitch”, a-t-elle plaisanté sous la photo. Sous une autre image, Konovalova a révélé qu'elle travaillait costumée sur la Place Rouge dans le cadre des festivités de l'anniversaire.

No comments #Putin#Путин#president#presidentPutin#деньгорода#москва#москва869

A photo posted by ЕвгенияКоновалова (@evgenia_alex) on

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Lioudmila Vasilianskaïa était aussi du “commando nuptial”. Ses vidéos sur Instagram laissent entendre que Konovalova et elle faisaient partie d'un grand spectacle de danse pour les festivités.

Сегодня прошла генеральная репетиция на День города. Завтра 10 сентября смотрите нас с 12-00 до 13-00 в прямом эфире.

A video posted by Людмила Василянская (@lysiena) on

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Aujourd'hui s'est déroulée la répétition générale pour la Journée de la ville. Demain 10 septembre regardez-nous de 12 à 13 heures sur la première chaîne.

Après les célébrations à Moscou, Poutine et le premier ministre Dmitri Medvedev se sont rendus à Novgorod pour y rencontrer des pêcheurs, à qui ils ont promis de nouveaux subsides fédéraux. Une rencontre qui elle aussi a provoqué des spéculations en ligne que le président avait en fait reçu des acteurs, lorsque des photos ont fait apparaître un des supposés pêcheurs avec à son poignet une montre trop coûteuse pour un simple pêcheur à la ligne.

La double opération de communication a évidemment alimenté son lot de blagues sur internet, les critiques de Poutine se demandant si le président lui-même était réel :

Pays du faux : de fausses mariées à Moscou, de faux pêcheurs au lac Ilmen [à Novgorod]. Poutine lui-même est-il seulement le vrai ?

De façon moins sympathique, l'ample poitrine de Konovalova a amené certains à conclure qu'elle n'est pas un mannequin, mais une prostituée. Leonid Volkov, une figure de proue de l'opposition démocratique assiégée, et critique féroce de Vladimir Poutine, était du nombre :

Tout le monde s'étonne de la photo de Poutine avec les prostituées, comme si 99 % de ses photos n'étaient pas pareilles.

Devenir bouddhiste au Japon (ou pas)

mercredi 14 septembre 2016 à 22:55
Raikoji Temple, Tsuruga

Temple Raiko-ji, un temple Jodo Shin à Matsushima-cho, Tsuruga (dans la préfecture de Fukui). Photographie de Nevin Thompson.

Peu après la naissance de mon fils aîné en septembre 2002, je me suis retrouvé agenouillé devant une statue de Yakushi Nyorai, le bodhisattva de le guérison. Étais-je en train de faire une offrande, une prière ou une demande ?

Nous vivions dans la préfecture de Fukui, sur la côte de la mer du Japon, juste au nord de Kyoto. Quelques jours après sa naissance, notre nouveau-né a attrapé de la fièvre, puis une septicémie, une grave infection du sang. L’hôpital n’était pas très optimiste. Quand j’ai vu le médecin courir avec notre enfant pour lui donner des soins de secours, j’ai compris qu'il n'y avait plus beaucoup d'espoir (notre fils a guéri, il a maintenant quatorze ans et n’a jamais été malade par la suite).

Alors, assis à l’extérieur de l’hôpital, près des six statues de pierre de Jizô, bodhisattva des enfants et guide des morts vers le monde souterrain, pour la première fois de ma vie adulte, j’ai décidé de prier pour demander de l’aide.

« …assis à l’extérieur de l’hôpital, près des six statues de pierre de Jizô, bodhisattva des enfants et guide des morts vers le monde souterrain, pour la première fois de ma vie adulte, j’ai décidé de prier pour demander de l’aide. »

Je suis allé à Tada-ji, un temple situé sous une colline boisée non loin de l’hôpital, dans le petit village de pêcheurs d’Obama. Le hondo, ou entrée principale, était frais et sombre après avoir marché sous le torride soleil d’été en sortant de ma voiture. Comme tous les temples bouddhistes au Japon, l’intérieur était faiblement éclairé et sentait l’encens. Accompagné par l’abbé, je me suis glissé pieds nus sur le parquet grinçant vers l’espace devant l’autel, qui était recouvert d’un tapis vert délabré.

L’objet de vénération de Tada-ji est une statue de deux mètres de haut représentant « Yakushi Nyorai, le guérisseur », vieille de plus de mille deux cents ans. La statue date d’une époque antérieure à la médecine moderne, au temps où une maladie aboutissait directement à la mort ou à des séquelles à vie.

Quand le temple fut construit et la statue sculptée, il restait encore cinq cents ans avant que Dogen n’importe la méditation zen et le concept d’« effacement de soi » au Japon. À l’époque pré-alphabétique, quand le bouddhisme au Japon était réservé à quelques privilégiés qui savaient lire, tout le monde dépendait de Yakushi Nyorai, Jizo et des autres bodhisattvas pour recevoir de l'aide.

Comme j'étais en train de le faire à ce moment-là.

À première vue, la statue de Yakushi Nyorai à Tada-ji est juste un morceau de bois, sans ornement, et sous la faible lumière du hondo, presque grossièrement sculpté. J’ai donné une somme d’argent symbolique à l’abbé qui a hérité de l’intendance du temple.

Yakushi Nyorai Amulet

L'amulette Yakushi Nyorai (Bhaisajyaguru) du temple Tada-ji, à Obama. Photographie de Nevin Thompson.

Je m’agenouillai devant la statue, et le vif abbé aux cheveux blancs, récita un darani, un mantra associé à Yakushi Nyorai. Cela faisait partie du travail de l’abbé, il faisait visiter l’endroit quand des bus chargés de visiteurs arrivait au temple, organisait des funérailles et récitait des prières pour les visiteurs seuls comme moi. Je n’avais aucune idée de ce qu’il disait, je me concentrais sur les détails grossiers de cette statue taillée dans le bois il y a presque mille deux cents ans.

Ayant grandi dans le Canada laïc des années 1970, je n’étais pas familier avec le concept de prière. Je ne comprenais même pas comment, ni pourquoi quelqu’un voudrait adresser une prière à un bodhisattva. « Il n’y a pas de dieu dans le bouddhisme », avait-je lu. Alors pourquoi demander de l’aide à une statue ?

J’étais déjà allé à Tada-ji et aux autres temples d’Obama de nombreuses fois pendant les dix années précédentes que j’avais passées dans la campagne japonaise. Bien que la guerre et les désastres naturels détruisent parfois les antiquités au Japon, l’héritage culturel isolé d’Obama est resté près de mille cinq cents ans en grande partie intact . Beaucoup de temples et leurs trésors ont volontairement été localisés à Obama, à deux jours à pied de Kyoto, pour leur épargner les guerres qui ont fréquemment touché la vieille capitale impériale. Les temples d’Obama m’ont donné une bonne occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de l’art. Les histoires derrière l’architecture, le sanctuaire et les reliques que j’ai vu m’a amené à vouloir « apprendre sur le bouddhisme. »

Mais même en vivant à côté de centaines de temples à Obama et à Kyoto, j’ai découvert qu’apprendre sur le bouddhisme n’était pas simple. « Comment devient-on bouddhiste ? »,ai-je souvent demandé à des gens qui, pensais-je, sauraient répondre à cette question, comme les professeurs du lycée dans lequel j’enseignais et qui, pendant le week-end et les vacances, géraient le temple familial. Quand je leur ai posé cette question, ils m’ont regardé comme si j’étais fou. « Pourquoi veux-tu devenir bouddhiste ? » me demandèrent-ils la plupart du temps. « Tu n’es même pas japonais ! »

« Quand je leur ai posé cette question, ils m’ont regardé comme si j’étais fou. « Pourquoi veux-tu devenir bouddhiste ? » me demandèrent-ils « Tu n’es même pas japonais ! » »

Et il n’y avait pas vraiment d’autres manières d'apprendre. Généralement, les dénominations bouddhistes courantes n’ont pas de services le dimanche. Il n’y avait pas d’école du dimanche, ni quoi que soit qui ressemble à une bible sur laquelle les Japonais pourraient s’appuyer pour apprendre les textes sacrés.

Et pourtant, il semble y avoir une méthodologie au Japon pour « pratiquer le bouddhisme.» Les funérailles et les services commémoratifs annuels se déroulent en suivant des règles formelles et strictes. Les familles visitent les cimetières pour l’higan, l’équinoxe du printemps et de l’automne. J’ai même vu une femme prosternée devant une immense statue de Yakushi Nyorai au Musée national d’art de Tokyo, empruntée par le musée à son Daigo-ji originel. Mais personne n’a pu me dire comment « devenir » bouddhiste.

Et puis, par hasard, je suis tombé sur un livre parlant de méditation zen. Il s’avère que le livre fut écrit par l’abbé de Hosshin-ji, un petit monastère zen à Obama (la préfecture de Fukui accueille aussi Eihei-ji, l’un des grands centres zen au Japon), et traduit par la suite par Daigaku Rumme, un moine bouddhiste américain qui a vécu à Hosshin-ji pendant plus de trente ans. Je lui ai téléphoné et nous sommes devenus amis.

Ma première question à Daigaku a été : « Quels livres devrais-je lire pour en savoir plus sur le bouddhisme ? » Sa réponse : lire pour apprendre sur le bouddhisme peut être dangereux. Sa recommandation a plutôt été d’apprendre à s’asseoir et en fin de compte, j’ai passé une semaine à méditer assis dans une retraite zen à Hosshin-ji  accompagné d’autres pratiquants laïcs.

La tradition zen, « oublier son petit soi et être éveillé ou attesté par toute chose », était grandement attrayante pour moi. L’approche zen écarte tous les enseignements contradictoires des diverses écoles bouddhistes auxquelles les gens appartiennent au Japon. L’éveil ne consistait en rien de plus que de s’asseoir et de respirer attentivement. On pourrait même atteindre l’éveil en faisant la vaisselle.

Et pourtant, juste un an ou deux après avoir rencontre Daigaku, je me suis trouvé à genoux devant la statue de Yakushi Nyorai, cherchant d’une certaine manière à obtenir de l’aide pour mon fils.

Le prêtre du temple finit de réciter son mantra et conclut la cérémonie en secouant un haraegushi, perche de bois décorée de bande de papier, au-dessus de ma tête pour me purifier, puis me remit une petite amulette dorée de Yakushi Nyorai en retournant à ma voiture.

Contre toute attente, notre nouveau-né guérit de la septicémie quelques jours après ma visite au temple. Ma visite à Tada-ji et Yakushi Nyorai a-t-elle aidé ? Difficile à dire, mais nous garderons toujours dans notre cœur les docteurs et le personnel compétents d’Obama. Nous avons aussi gardé l’amulette en sûreté.

Mali, une paix difficile à construire

mercredi 14 septembre 2016 à 19:29
Image symbolisant la paix

Image symbolisant la paix

Rébellion, coup d’Etat, invasion terroriste,  l’année 2012 avait marqué  le début  d’une page sombre de l’histoire du Mali. Tout ce qui constituait l’ordre dans  ce pays d’Afrique de l’Ouest, considéré par bon nombre d’observateurs comme un modèle de démocratie, s’est effrité  en cette date.

La paix qui  y  prévalait à voler en éclat avec le déclenchement d’une rébellion touareg dans la partie septentrionale.  La gestion catastrophique de cette rébellion par le gouvernement de l’époque conduit à un coup d’état militaire avec son lot d’exactions.

Les conséquences de ce Coup d’Etat ne se feront pas attendre. Le chaos créé favorisera  l’envahissement des deux tiers du territoire   par les rebelles touaregs associés aux groupes djihadistes qui finiront par prendre le dessus sur les rebelles touaregs et chasseront ces derniers pour assoir dans les zones sous leur contrôle, la charia.

Le Mali dit alors au revoir à la paix, à la stabilité et bonjour à l’insécurité, à l’injustice. Viole, vol, exécutions sommaire deviennent le quotidien des populations  des zones sous occupations terroristes pendant plusieurs mois  avant qu’une intervention militaire de la communauté internationale ne vienne mettre fin à ce supplice de la population en janvier 2013. A la suite de cette intervention, des élections sont alors organisées, un nouveau  président est élu,  le processus de paix est relancé.

Trois ans après le retour à l’ordre constitutionnel, le Mali a-t-il renoué avec  la paix ? La justice est elle effective ?

L’élection du président Ibrahim Boubacar Keita en Septembre  2013 à la magistrature suprême, a donné beaucoup d’espoirs  aux maliens. Les maliens  y voyaient  alors un signal fort pour le  retour à la stabilité.

ibk_investiture

Investiture du président IBK en 2013

Si depuis, des actions ont été posées  dans ce sens, force est de constater que la paix tant attendue tarde à être une véritable réalité. Un accord de paix à certes été signé avec les différents groupes rebelles entre mai et juin 2015, mais sa mise en œuvre et  les interprétations de certains points  par les différentes parties signataires   posent d’énormes difficultés.

Ainsi plus d’un an après sa signature, on assiste encore à des manifestations contre certaines dispositions de l’accord de paix.

 Ce fut récemment le cas  à Gao où une manifestation de  jeunes  contre la mise en place des ‘’Autorités Intérimaires ‘’, le 12 juillet dernier,  a été violemment réprimée  par l’armée malienne faisant  4 morts et une trentaine de blessés parmi les jeunes.

Par ailleurs les affrontements entre les différents groupes armés  n’a pas pris fin, on assiste de façon récurrente à des affrontements  entre notamment la Coordination des Mouvements de L’Azawad (groupe indépendantiste touareg) et  le Gatia (groupe armé touareg proche du gouvernement) pour  le contrôle de la région de Kidal.

A  cela, il faut ajouter, la résurgence des mouvements islamistes, ils avaient certes été chassés des grandes localités avec l’intervention militaire de 2013, mais ils se sont refugiés dans des  zones isolées, se sont réorganisés et lancent régulièrement des attaques contre les camps militaires, le dernier en date est l’attaque du camp militaire de Nampala le 19 juillet  qui a entrainé la mort de 17 soldats maliens.

Lors de l'hommage rendu par la nation aux soldats tombés à Nampala lors de l'attaque terroriste

Lors de l'hommage rendu par la nation aux soldats tombés à Nampala lors de l'attaque terroriste

Dans un rapport publié par  Malilink Investigate Reporting Group, entre la signature de l’accord de paix  soit le 20 juin 2015 et le 25 juin 2015, le Mali a enregistré 191 attaques terroristes causant 385 morts.

Enfin, on assiste aussi de plus en plus  à l’émergence d’un nouveau phénomène, les affrontements inter communautaires notamment entre les populations Bambara et Peulh dans la région de Mopti avec  morts d’hommes. Par plus tard que ce samedi, 27 aout 2016, un nouvel affrontement faisait 5 morts.

Sur le  plan de la justice, si l’on peut se réjouir de certains signaux forts  donnés par les autorités notamment  l’arrestation du capitaine SANOGO, auteur du coup d’Etat de 2012, et plusieurs  anciens hauts responsables militaires  dans le cadre de l’affaire  de l’assassinat des  militaires ‘’bérets rouges’’  et le transfèrement à la CPI du djihadiste AHMAD AL FAQI AL  MAHDI dont le procès est en cours, de nombreux crimes commis pendant la crise restent jusque là impunis.

Procès de AHMAD AL FAQUI à la CPI

Procès de AHMAD AL FAQUI à la CPI

On a même assisté à la libération  dans le cadre du processus  de paix, de certaines personnes suspectées d’être  des auteurs de violations graves des droits humains.

 Plusieurs voix se sont  levées  pour dénoncer cet état de fait notamment les organisations de défenses des droits humains:

Pour eux, certaines dispositions de l’accord de paix  à savoir l’amnistie accordée à  certains responsables des groupes armés dont  le juge islamique de Tombouctou,   HOUKA HOUKA AG ALFOUSSEINI,  est une prime à l’injustice.

Par ailleurs,  nombreuses sont les personnes victimes de viols, vols, amputations, flagellations qui sont en attentes que justice soit faite.

Retenons pour terminer, après ces différents constats, que le chantier de la paix, de la justice et de la sécurité au Mali est encore vaste. Beaucoup d’efforts restent à fournir car le chemin y menant est assez long.

Pour y parvenir, la justice transitionnelle pourrait être un atout de taille mais il faudra également que les maliens et les maliennes apprennent à pardonner, à dialoguer et que l’Etat joue pleinement son rôle régalien. Mais tout ceci sera difficile sans une véritable implication de la communauté internationale.