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Exaspérés par les féminicides en série, les Ougandais descendent pacifiquement dans la rue

mercredi 4 juillet 2018 à 11:22

Des Ougandais protestant contre les fréquents  meurtres et enlèvements visant les femmes. Photographie : Katumba Badru, utilisée avec autorisation.

Depuis 2015, au moins 42 femmes ont été enlevées, mutilées et assassinées aux alentours de la capitale ougandaise, Kampala, et la moitié d'entre elles en seulement trois mois en 2017. Certains de leurs corps ont été retrouvés avec des signes brutaux de violence sexuelle.

La série de meurtres, tous portant d'horribles détails similaires, a horrifié le pays. Leur mobile reste flou, mais la sorcellerie est une théorie populaire [fr]. Les autorités n'ont pas encore inculpé un seul suspect.

Fatiguées de vivre dans la peur, les Ougandaises ont voulu faire quelque chose.

Le 30 juin 2018, le Groupe de travail sur les manifestations féminines (WPWG), avec le soutien de féministes d'autres pays, a organisé une manifestation pacifique dans la capitale Kampala pour protester contre ces enlèvements et meurtres endémiques.

Et ainsi je marche aussi. Pour me souvenir d'elles, elles n'ont eu aucune justice et personne n'a été tenu responsable de leurs morts horribles. Mais je les reconnais. Je pense à elles, aux familles et aux amis qu'elles ont laissés derrière elles sans pouvoir tourner la page, mais dans la peur et la colère.

Lors de la manifestation, à laquelle Global Voices a participé, la responsable du WPWG Dr. Stella Nyanzi, a déclaré que les femmes réclamaient des interventions clés telles que la justice pour les familles des personnes assassinées et une action contre la violence à l'égard des femmes. La militante Patricia Twasiima a ensuite lu les noms des 42 femmes assassinées.

Plus tôt, la police avait tenté de bloquer la manifestation en affirmant que les problèmes pour lesquelles les femmes manifestaient avaient déjà été résolus après que le président Museveni eut parlé à la nation de son plan en 10 points pour restaurer la sécurité en Ouganda.

Dans une lettre, le Commissaire national de police a déclaré :

This serves to inform you that the intended demonstration to raise awareness, express displeasure about the spate of killings and kidnap of women/girls cannot be allowed to go on as scheduled.

La présente vous informe que la manifestation prévue pour sensibiliser, exprimer le mécontentement au sujet de la série de meurtres et d'enlèvements de femmes / filles ne peut être autorisée à se dérouler comme prévu.

Peu importe, les femmes étaient déterminées à manifester :

Nous ne nous contenterons plus de discours, de pensées et de prières de la part de la police et du gouvernement, financés avec l'argent des contribuables. Il est temps d'agir alors rejoignez-nous demain à Centenary Park où nous exigerons des réponses à ces questions sans réponse.

La tentative d'interdiction a suscité un soutien encore plus important de la part des Ougandais, y compris des journalistes qui ont promis de se joindre à elles, hommes et femmes confondus.

L'écrivain Daniel Kalinaki a écrit un éditorial dans le Daily Monitor qui a fait le tour de Twitter pour expliquer pourquoi il se joindrait à la manifestation :

So I will be at the march. With my daughter. We will hold hands and walk, unarmed and peacefully, along with others. I want her to love her country and learn, as a young African woman, to stand up and speak up. When she grows up she, and others like her, will be the saviours of the broken, the beaten, and the damned. Welcome to the Black Parade – and I hope the police are smart enough not to stain it blood-red.

Donc je serai à la marche. Avec ma fille. Nous nous tiendrons par la main et marcherons, sans armes et paisiblement, avec les autres. Je veux qu'elle aime son pays et apprenne, en tant que jeune femme africaine, à résister et à s'exprimer. Quand elle grandira, elle et d'autres comme elle, seront les sauveurs des opprimés, des battus et des damnés. Bienvenue à la Black Parade – et j'espère que la police [sera] assez intelligente pour ne pas la tacher de sang.

Le journaliste de la télévision Mujuni Raymond a déclaré qu'il participerait également à la manifestation :

Je me suis rendu sur les scènes des crimes d'au moins 13 femmes, j'ai vu la nature horrible dont leur vie a été terminée. C'est inhumain d'offrir seulement de l'espoir et des prières. Des mesures doivent être prises.

Comme @kalinaki je vais rejoindre le #WomensMarchUG pas en tant que journaliste mais en tant que citoyen.

Finalement, la police a cédé à la pression. La marche des femmes a respecté les directives strictes établies par la police.

C'est la première manifestation pacifique menée par des militants depuis l'adoption de la loi controversée de 2013 sur la gestion de l'ordre public, qui accorde à l'inspecteur général de la police une large discrétion pour autoriser ou interdire les rassemblements publics. Les manifestations passées depuis la publication de la loi sont devenues violentes.

Les femmes ougandaises ont prouvé que les manifestations ne sont pas nécessairement violentes.

La Marche exerce plus de pression sur les autorités non seulement pour fournir une société plus sûre aux femmes, mais aussi pour faire respecter la constitution de l'Ouganda et respecter le droit des citoyens à la liberté de réunion.

VIDEO : les femmes derrière la “révolution de velours” en Arménie

mercredi 4 juillet 2018 à 09:58

Cet article est un billet du partenaire de Global Voices Chai-Khana.org. Le texte et la vidéo sont d’Aren Melikyan.

Les femmes font partie de la raison pour laquelle l'Arménie a maintenant ce Premier ministre. Pourtant, pour beaucoup de gens, la “révolution” qui a amené le leader de la protestation réformiste Nikol Pashinyan [fr] au pouvoir en mai dernier ne fait que commencer.

Les milliers de femmes qui ont envahi les rues de l'Arménie pendant une quarantaine de jours au printemps ne réclamaient pas seulement un changement de gouvernement, mais aussi leurs droits, dans une société traditionnellement patriarcale.

Pour trois de ces manifestantes, Maria Karapetyan, 30 ans, responsable du développement du Imagine Center for Conflict Transformation (Centre Imagine pour la transformation des conflits), Avnik Melikyan, 22 ans, coordinatrice du projet sans but lucratif Society without Violence (Société sans violence) et Lilith Baghdasaryan, militante politique de 23 ans, cela exige plus qu'un simple siège au parlement ou dans le gouvernement

Cela exige de changer les attitudes et de donner à plus de femmes arméniennes les compétences dont elles ont besoin pour détenir le pouvoir.

À cet égard, ces manifestantes sont en effet des “révolutionnaires”.

Face sombre de la Coupe du monde en Russie, le harcèlement en ligne des femmes ‘trop amicales’ avec les étrangers

mardi 3 juillet 2018 à 18:35

Des supporters étrangers prennent des selfies avec des jeunes femmes russes près de la Place Rouge // Arrêt sur image de CBC News par Runet Echo

Déjouant les sombres prédictions, la Coupe du monde en Russie a abasourdi les plus sceptiques des observateurs. Billets de médias sociaux et éditoriaux de la presse vantent non seulement l'excellente organisation de l'événement, mais aussi son ambiance authentiquement festive, qui unit des milliers de Russes ordinaires dans la célébration avec des hôtes de tous les coins du globe, oubliées les tensions géopolitiques.

Les festivités ne sont pas strictement platoniques. Dans les faits, les langues se délient sur le degré d'intimité que peuvent atteindre les Russes en présence de foules de supporteurs étrangers carburant à l'adrénaline et à l'alcool.

Mais les échanges sur ce thème en Russie vont beaucoup plus loin que les simples observations ou les généralisations scandalisées. Ils se sont plutôt centrés avec insistance sur la condamnation de la conduite des femmes russes, à tel point que des pages sur Vkontakte, le plus grand réseau social russe, ont fleuri avec l'objectif spécifique de nommer et couvrir de honte les “Natacha”, terme insultant pour les jeunes femmes russes qui sortent avec des étrangers.

Il y a une [page] publique Vkontakte sur laquelle les mecs publient des photos et vidéos de filles qui s'amusent avec des étrangers (et aussi qui ont des relations sexuelles, oui) et les harcèlent et les humilient pour cela. La mission de la [députée russe] Pletneva est bien vivante. On fêtera gaiement la Nouvelle Année. Notre Patrie ne déçoit jamais.

Ce tweet fait allusion à un propos fortement polémique émis à la veille de l'ouverture de la Coupe du monde par Tamara Pletneva, une députée au parlement russe. Présidente de la commission de la femme, de l'enfant et de la famille, elle a déconseillé en termes immondes aux femmes russes de s'engager dans des relations sexuelles inter-raciales avec les visiteurs étrangers.

Une de ces pages Vkontakte les plus connues et populaires, avec près de 5.000 abonnés, porte le nom de Buceta Rosa — référence à un incident lors duquel une troupe de supporteurs brésiliens a entouré une présentatrice russe de télévision, et a entraîné la femme peu méfiante à chanter avec eux une chanson paillarde. Ce qui a provoqué un énorme scandale au Brésil même, où de nombreux commentateurs ont dit avoir honte de leurs compatriotes et ont dénoncé la blague comme sexiste et raciste à la fois.

L'administration de Vkontakte a déjà admonesté les propriétaires de la page Buceta Rosa, les contraignant à modérer les commentaires, qui se bornent souvent à de simples insultes et menaces contre les femmes sur les photos reprises des médias sociaux. Mais, même avec des commentaires policés de plus près, Buceta Rosa est toujours en ligne et multiplie les nouveaux utilisateurs, surtout après les articles que lui consacrent des médias locaux.

Des opérations en ligne du même acabit ont aussi germé. Des vidéos sont apparues de justiciers autoproclamés qui harcèlent et même agressent physiquement les jeunes femmes russes qui se promènent dans les rues de Moscou en compagnie d'hommes étrangers. La BBC Russe a interviewé quelques victimes, et l'une d'elles a vu son selfie avec un supporter brésilien republié par une page Vkontakte néo-nazie, après quoi elle dit avoir commencé à recevoir des menaces de viol et de meurtre. Elle serait traumatisée par l'incident au point d'envisager de se faire aider psychologiquement pour en surmonter les effets.

Le débat fait désormais rage au niveau national. Moskovski Komsomolets, un tabloïd de l'ère soviétique et l'un des quotidiens les plus populaires de Russie, a publié un éditorial titré “Le temps des putes : pourquoi les femmes russes sont une honte pour elles-mêmes et pour le pays”.

L'auteur faisait valoir que la promiscuité qui s'étale en présence de milliers d'hôtes étrangers était le symbole de la déchéance morale générale en Russie :

Можно сказать, что тут за них стыдно. Но, боюсь, слово «стыд» тут будет выглядеть атавизмом. Это чувство многим российским девицам неведомо в принципе. Говорить о нем — все равно что цитировать исламскому радикалу Нагорную проповедь. У российских девиц, окучивающих иностранцев, понятия стыда, морали, нравственности напрочь вычеркнуты из сознания.

On peut dire que nous avons honte pour elles. Mais je crains que le mot ‘honte’ paraisse ici un archaïsme. Ce sentiment est pour de nombreuses filles russes inimaginable par nature. Leur en parler, c'est comme citer le Sermon sur la montagne à des islamistes radicaux. Chez ces jeunes filles russes qui fréquentent les étrangers, toute notion de honte, de morale, des bonnes mœurs a été complètement rayée de la conscience.

L'article — déjà lu par près d'un demi-million de personnes au moment d'écrire ces lignes — a provoqué un énorme tollé en ligne, à l'origine d'une pétition sur Change.org exigeant que le journal retire l'éditorial et s'excuse. Wonderzine, un site web féministe, a dénoncé une tendance sexiste plus vaste des médias :

Мы привыкли слышать, что русские женщины — «самые красивые», а их внешность представляет отдельный предмет «национальной гордости». К сожалению, за комплиментарными словами прячется убеждение, что тело россиянки принадлежит не ей, а её стране. Незадачливые женщины просто забыли об этом на время мундиаля и решили, что могут проводить время с иностранцами где и когда пожелают, не отчитываясь перед родиной. Но медиа, даже либеральные, распорядились иначе: «Радио „Свобода“» выпустило документальный фильм о том, как россиянки разыскивают иностранных болельщиков, а «Чемпионат» пошёл «клеить иностранцев с русскими красавицами». Успехи российских мужчин среди иностранок остались незамеченными.

Nous avons l'habitude d'entendre que les femmes russes sont “les plus belles” et que leur apparence est un ‘trésor national’. Hélas, derrière ces compliments se cache la conviction que le corps de la femme russe n'appartient pas à elle-même, mais à son pays. Quelques malheureuses ont simplement oublié cela pendant la durée de la Coupe du monde et ont cru pouvoir passer du temps avec les étrangers où et quand elles en avaient envie, sans consulter la patrie. Mais les médias, même libéraux, en ont disposé autrement. Radio Svoboda [Radio Liberté] a publié un web-documentaire sur les femmes qui recherchent les supporteurs étrangers, tandis que Championat.ru est allé ‘à la chasse aux étrangers avec des beautés russes’. Les bonnes fortunes d'hommes russes auprès d'étrangères sont restés inaperçus.

Zalina Marchenkulova, une éminente journaliste et militante féministe, a également signalé le décalage de traitement entre hommes et femmes :

Je ne comprends pas bien pourquoi ce niveau élevé d'agressivité contre les jeunes filles qui sortent avec les étrangers. Les mecs, personne ne vous empêche de flirter avec des étrangers et des étrangères, non ? Personne n'écrit que vous êtes des monstres et tout ça

D'autres ont réagi contre le fait de montrer les femmes du doigt. Iouri Doud, un journaliste et blogueur sportif, et présentateur de son talk-show très populaire du même nom, a écrit un éditorial sur sports.ru, l'un des plus anciens sites d'informations sportives de Russie, dont il est le rédacteur en chef. Il a dit son dégoût du débordement de haine dans les commentaires sous sa photo Instagram de deux supporteurs — une Russe en robe traditionnelle et un Mexicain en sombrero — se tenant par la main.

Le site de Cosmopolitan Russie a aussi écrit une réfutation acérée de l'article de Moskovski Komsomolets, critiquant le “deux poids, deux mesures” du traitement des femmes en Russie :

Но вернемся к сексу: мы уже много раз писали о «двойных стандартах» в нашем обществе. Мужчина, часто меняющий партнерш, — «жеребец», женщина в такой же ситуации — «шлюха». Для мужчин открывают курсы пикаперов, где учат «снимать давалок на один раз», — для женщин открывают секс-тренинги, где учат глубокому минету и объясняют, что анальный секс можно и потерпеть, раз мужчине это нужно (то, что это ему прямо жизненно необходимо, даже не подвергается сомнению). Женщина, ставшая жертвой изнасилования, — шлюха и сама виновата. Мужчина в той же ситуации — практически национальная святыня: после трагической истории с изнасилованием задержанного бутылкой из-под шампанского прошло уже семь лет, но ее до сих пор вспоминают как страшное, нечеловечески жестокое преступление против личности. И это совершенно правильно. Вот только изнасилованным и даже убитым женщинам такого отношения не полагается. Вспомним хотя бы жуткую историю смерти Тани Страховой и реакцию общества на нее.

Mais revenons-en au sexe : nous avons déjà souvent écrit sur le ‘deux poids, deux mesures’ dans notre société. Un homme qui change souvent de partenaires est un ‘étalon’ tandis qu'une femme dans la même situation est une ‘pute’. On ouvre pour les hommes des cours de séduction, où ils apprennent comment “lever des gonzesses pour un seul coup”, pour les femmes des formations au sexe où elles apprennent à sucer profond et où on leur explique qu'on peut endurer le sexe anal quand il en faut à son mari (que ce soit pour lui une nécessité vitale ne mérite même pas un doute). Une femme victime de viol est une pute et ne peut s'en prendre qu'à elle-même. Un homme dans la même situation est quasiment un saint national : après l'histoire tragique, il y a presque sept ans, du viol d'un détenu sodomisé avec une bouteille de champagne, on s'en souvient encore comme d'un épouvantable et violent crime contre l'humanité, et c'en était vraiment un. Mais les femmes seulement violées et même tuées n'ont pas droit à une telle considération. Rappelons-nous l'histoire effroyable de la mort de Tania Strakhova [une jeune femme étranglée et violée après être morte par un ex-petit ami qui s'est ensuite suicidé, avec les sympathies de milliers d'internautes russes pour le défendre] et la réaction de la société à son à égard à elle.

L'euphorie de la Coupe du monde se dissipera dans quelques semaines, mais les questions sérieuses sur les droits des femmes en Russie apparemment demeurent.

Pas de papier, pas d'électricité, pas d'infos : le contrôle de l'information se resserre encore au Venezuela

mardi 3 juillet 2018 à 08:53

Détail de l'image de l'illustrateur Eduardo Sanabria faisant allusion à la censure des médias et à l'autocensure au Venezuela. Utilisée avec permission.

Au milieu des manifestations généralisées en réponse aux crises sociale, politique et économique du Venezuela, le contrôle de l'État sur l'information a atteint de nouveaux sommets.

En juin 2018, les Vénézuéliens ont vu bloquer des journaux en ligne, des sites pornographiques et le réseau Tor, ce qui semble être le dernier acte d'une stratégie en constante évolution visant à limiter l'accès à l'information pour le grand public.

La route a été longue et régulière. Ce qui a commencé avec les limitations de l'accès à des radios et télévisions sous la présidence de Hugo Chávez s'est depuis élargi sous celle de Nicolás Maduro : de nombreux radio-diffuseurs et organes de presse autrefois privés sont passés à un modèle dans lequel l’Etat a un contrôle explicite ou discret sur les activités éditoriales et commerciales.

De plus, en 2017, l'Assemblée nationale constituante du Venezuela (ANC) – qui a assumé [fr] tous les pouvoirs législatifs relevant auparavant de l'Assemblée législative nationale – a adopté une loi controversée de régulation [fr] des médias sociaux qui sanctionne ou retire les autorisations de paraître en cas de “promotion de la haine”. La mesure semblait déjà être en vigueur, compte tenu des cas de personnes placées derrière les barreaux à cause d'un tweet.

Depuis 2014, la crise actuelle engendre des pénuries chroniques des biens et services de base, tels que le papier, l'électricité et l'Internet à haut débit. Ces pénuries combinées aux actions visant à limiter l'accès du public à l'information ont créé un paysage tendu et hautement contrôlé pour la communication et le partage.

Les journaux se transfèrent en ligne … et sont bloqués

Avec le coût du papier journal qui augmente rapidement et le papier lui-même presque inexistant, les journaux locaux (en particulier ceux critiques envers le gouvernement) ont été forcés de fermer ou de se déplacer en ligne, où ils n'avaient aucune garantie de garder leur audience. Au début de 2018, un journaliste a tweeté :

Selon des informations, le journal El Nacional est bloqué en de nombreux lieux du Venezuela

Je vois maintenant que [les quotidiens] El Nacional, La Patilla et d'autres sites “agaçants” pour la dictature sont bloqués dans mon ordinateur. D'autres ont-ils le même problème? Nous devrions signaler ces cas.

Des mois plus tard, au début du mois de juin, El Nacional, l'un des journaux les plus importants du pays, aurait de nouveau été bloqué selon des journalistes sur Twitter et d'autres sources :

Voici à quoi ressemble El Nacional dans les serveurs CANTV (le fournisseur d'accès Internet le plus important) : bloqué

“Il ne s'agit pas de pornographie, mais de blocage”

Espacio Público, une organisation défendant la liberté d'expression et l'accès à l'information, a rapporté via son compte Twitter que le fournisseur Internet public CANTV avait bloqué l'accès à des sites à contenu sexuel comme Pornhub et Youporn.

La mesure a attiré l'attention du public et de la presse, à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Les professionnels des médias ont partagé leurs avis sur la vision autoritaires de la moralité et de la décence:

La pregunta a hacerse aquí es, ¿cómo es que se llegó a este punto? Cualquiera por lógica diría que el chavismo es un régimen que lento pero seguro, se mete con todos los sectores de la sociedad. Así no sean numerosos, los quita del camino para completar su dominación social.

La question à se poser est : comment en sommes-nous arrivés à ce point ? N'importe qui de logique dirait que le chavisme est un système qui, lentement mais sûrement, s'immisce dans tous les aspects de la société. Même s'ils ne sont pas nombreux, ils les mettent de côté pour compléter leur domination sociale.

D'autres utilisateurs ont rapidement analysé la portée réelle de la mesure et son lien étroit avec la censure en ligne, une préoccupation présente pas seulement au Venezuela :

Le problème ici n'est pas le fait qu'ils bloquent des pages pornographiques – ce qui est déjà un désastre -, le problème est que le blocage s’étendra à d'autres pages. Qu'est-ce qu'ils gagnent en bloquant les pages porno? Essayez de bloquer les pages, peut-être que que YouTube sera la prochaine.

Cependant, d'autres utilisateurs soupçonnent qu'il ne s'agit ni de pornographie ni de censure. Pour eux, le problème est la bande passante, et l'impossibilité de payer pour cela :

Le blocage par CANTV [le fournisseur national d'Internet et de téléphonie du Venezuela] des pages Web porno n'est pas une question de pudeur ou que le gouvernement veuille protéger les enfants. C'est essentiellement parce que le Venezuela n'a pas d'argent pour payer la bande large qu'il faut pour une connexion Internet, soit 0,30 $.

Quelles alternatives? Tor peut aider … ou pas

Tor, le logiciel libre utilisé pour surfer sur le web de façon anonyme qui a permis à beaucoup d'utilisateurs d'accéder à Internet en toute sécurité a également été bloqué, selon différents témoignages en ligne.

Les blocages des différents nœuds du réseau Tor semblent se produire de manière intermittente et ne sont donc pas complètement efficaces. Néanmoins, des organisations comme Acceso Libre ou VE Sin Filtro ont confirmé que Tor était bloqué et ont proposé des solutions pour réduire les limitations :

Nous pouvons confirmer que Tor est bloqué (en connexion directe). Vous pouvez utiliser @torproject avec le pont (transport enfichable).

On signale des blocages vers le réseau @torproject au Venezuela. Voici comment contourner la censure en configurant Tor pour utiliser les ponts.43kl.

Compte tenu du contexte, le pronostic pour la liberté de parole et l'accès à l'information dans le pays est sombre. Beaucoup de Vénézuéliens se demandent quel espace médiatique ou outil de communication sera censuré ensuite … et ce qu'ils peuvent faire pour déjouer les efforts du gouvernement.

À l'approche des élections, les journalistes et militants pakistanais en danger croissant d'agression et d'enlèvement

dimanche 1 juillet 2018 à 14:37

Une photo de la maison saccagée. Source: le compte Twitter de Raza Rumi (rédacteur en chef du Daily Times)

A moins d'un mois des élections nationales, les journalistes et militants pakistanais voient les attaques et les actes d'intimidation se multiplier contre eux et leurs proches.

Cette élection marquera la deuxième transition démocratique du pouvoir dans l'histoire du pays. La première a eu lieu en 2013, lorsque le Parti du peuple pakistanais [fr] (PPP) d'Asif Ali Zardari a remis les rênes du pouvoir à la Ligue musulmane du Pakistan [fr] (PML-N) de Nawaz Sharif. Avant 2008, aucun gouvernement démocratique n'avait achevé ses cinq années de mandat.

Dans ce contexte, les attaques contre les journalistes et les militants témoignent de la volonté de puissantes forces – nombreuses au Pakistan – de garder le pouvoir entre les mains de certains acteurs et d'empêcher les voix indépendantes d'en tenir le pouvoir responsable.

Marvi Sirmed

Le 21 juin à Islamabad, Marvi Sirmed, correspondante du Daily Times et défenseure des droits de l'homme, a découvert à son retour d'une visite à Lahore que sa maison avait été saccagée. Deux ordinateurs portables, un smartphone, des passeports de membres de la famille et d'autres documents de voyage ont été pris.

Le rédacteur du Times Daily Raza Rumi a tweeté:

Extrêmement troublant ! La correspondante du @dailytimespak & rédactrice @marvisirmed à Islamabad a été saccagée alors qu'elle et son mari @sirmedmanzoor étaient partis pour les vacances d'Eid. Ont été emportés par les “voleurs” des ordinateurs portables, 1 smartphone et des documents de voyage.

La Commission des droits de l'homme du Pakistan (HRCP) a exprimé sa vive inquiétude quant au raid sur la maison de Sirmed. Dans une déclaration publiée le 23 juin, la Commission a déclaré :

Our council member Marvi Sirmed’s long-standing record as a human rights defender speaks for itself in an environment that is increasingly hostile to criticism, much less dissent. That the family’s travel documents were stolen along with their laptops and smartphone, and their home so deliberately ransacked, are not the marks of commonplace burglary

Le fait que Marvi Sirmed, membre du Conseil, soit défenseur des droits humains de longue date parle de soi-même dans un environnement qui est de plus en plus hostile aux critiques, et encore plus à la dissidence. Que les documents de voyage de la famille aient été volés avec leurss ordinateurs portables et smartphone, ainsi que le saccage délibéré de leur maison, ne sont pas les marques d'un cambriolage banal.

Ahmad Goraya

Les activistes et les journalistes au Pakistan voient également une augmentation des menaces contre les membres de leur famille. Le blogueur pakistanais Ahmad Goraya, qui réside aux Pays-Bas et est connu sur Facebook pour ses critiques satiriques de l'armée pakistanaise, a affirmé sur Twitter que des hommes de l'agence de renseignement pakistanaise ISI avaient rendu visite à ses parents âgés le 20 juin. Ils leur ont dit avoir des “ordres forts et clairs” d'enlever et torturer son père et attaquer sa famille, tout cela pour donner une leçon à Goraya.

Suite : Des hommes de l'agence de renseignement pakistanaise ISI ont rendu visite à mes parents âgés au Pakistan hier 20 juin. Ils ont dit haut et fort qu'ils avaient l'ordre d'enlever et de torturer mon père et d'attaquer ma famille pour me donner une leçon. Ce n'est pas le premier incident.

Ce n'est pas la première fois que Goraya rencontre de tels problèmes. En janvier 2017, il a disparu pendant près de trois semaines. Après sa libération, il a déclaré à la BBC qu'il croyait que les personnes qui l'avaient kidnappé et torturé étaient liées à une institution gouvernementale.

La HRCP a également condamné cette tactique de menace :

La HRCP condamne sans équivoque la tentative de réduire au silence le défenseur des droits humains AW Goraya. Utiliser des parents âgés vulnérables d'une personne comme levier n'est rien de moins que de la lâcheté

La Commission a fait une déclaration publique suite à l'incident:

The Commission has also expressed its alarm at the growing frequency with which human rights defenders are being targeted. HRCP calls for a public and transparent investigation of the incident to make it clear that such callous attempts to intimidate human rights defenders or their families are unacceptable and unconstitutional. This ugly state of affairs simply cannot be allowed to continue.

La Commission a également exprimé son inquiétude face à la fréquence croissante des attaques contre les défenseurs des droits de l'homme. La HRCP réclame une enquête publique et transparente sur l'incident afin qu'il soit clair que de telles tentatives d'intimider les défenseurs des droits humains ou leurs familles sont inacceptables et inconstitutionnelles. Cet détestable état de choses ne peut tout simplement pas être autorisé à continuer.

Gul Bukhari

Plus tôt ce mois-ci, la journaliste et militante Gul Bukhari a été enlevée à Lahore. Elle était en route pour le studio de télévision Waqt pour un talk-show quand elle a été interceptée par des inconnus.

Le Comité pour la protection des journalistes, une organisation indépendante qui œuvre pour la promotion de la liberté de la presse dans le monde, a exprimé son inquiétude face à la disparition de Bukhari et a appelé la police à assurer son retour rapide et sûr :

Le CPJ est alarmé par les informations selon lesquelles @gulbukhari a été enlevée à Lahore. La police devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour enquêter et assurer son retour rapide et en toute sécurité. Les journalistes pakistanais ont vu assez de tragédies.

Après une brève disparition, Mme Bukhari était de retour chez elle et a exprimé via Twitter sa gratitude pour tous ceux qui ont uni leurs forces pour son bien-être, y compris les amis, la famille, les collègues ainsi que les sympathisants dans la société civile et le journalisme.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude et mon amour à mes amis, ma famille, mes collègues et sympathisants dans la société civile, le journalisme et la politique pour s'être unis dans la solidarité par souci de mon bien-être hier soir.

Les préoccupations au sujet de la liberté d'expression et de la censure de la presse augmentent également à l'approche des élections. Ces derniers mois, Geo TV du groupe Jang a été coupée dans la majeure partie du pays. Un certain nombre d'éditeurs de journaux ont été contraints de ne pas publier les articles dissidents dans les journaux. Certains journalistes, dont Asad Kharal, ont été agressés publiquement pour avoir été critiques dans leurs écrits.

Au Pakistan, de nombreux incidents de ce type ont des motivations politiques et les affaires d'attaques contre les journalistes ne sont souvent pas élucidés. Dans le climat actuel, avec la domination de l'armée, l'absence de réforme électorale, le faible niveau d'alphabétisation et la marginalisation des mouvements de gauche, l'adhésion obstinée du Pakistan à la démocratie témoigne de la résilience du pays et de sa foi dans le pouvoir des élections.