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Cours ouvert en ligne en espagnol sur la couverture des sujets électoraux

vendredi 1 mars 2013 à 12:30

Le Knight Center for Journalism propose un cours en ligne ouvert en espagnol : Comment améliorer l'information sur les élections. Il sera dispensé par la journaliste colombienne María Teresa Ronderos du 8 mars au 19 avril 2013. Elle explique que ce cours s’adresse aux journalistes, mais également « aux blogueurs, aux utilisateurs de Twitter, aux personnes suivant les processus électoraux via Facebook […] ou simplement aux citoyens intéressés à en savoir plus sur leurs élus et sur l’état de la démocratie dans leurs pays ». [lien en anglais]

 

Le problème de la misogynie au Bangladesh

vendredi 1 mars 2013 à 12:28

Dibarah, de retour au Bangladesh après avoir étudié 3 ans à l’étranger, partage son expérience. Elle critique la misogynie et le harcèlement sexuel public auxquels les femmes font face au quotidien. Elle ne veut tomber dans le pessimisme et décide donc d’essayer d’améliorer la situation « en tentant de résister à la misogynie ». [lien en anglais]

Chine: Quand la police convoque les blogueurs “pour une tasse de thé”

vendredi 1 mars 2013 à 12:26

La civilisation du thé est une grande tradition en Chine. C'est une forme d'art, un composant essentiel des réunions sociales. Et pourtant depuis environ cinq ans, les internautes chinois utilisent la formule : “Prendre une tasse de thé pour bavarder” ou bien : “Prendre un thé obligatoire” pour se référer aux interrogatoires des services de sécurité intérieure de la police. Ces “collations” sont devenues tellement  fréquentes que les internautes les considèrent comme leur quotidien habituel.

Green tea by mckaysavage (CC BY 2.0)

Thé vert , par mckaysavage (CC BY 2.0)

On peut inviter une personne à prendre le thé pour bien des raisons : les leaders d'opinion sur Internet, les gens qui écrivent ou qui hébergent une plate-forme sur le net pour les dissidents politiques, ceux qui partagent des informations sensibles provenant de sources non officielles, ceux qui signent des pétitions en ligne: tous sont fréquemment obligés de venir prendre le thé avec la police. La police convoque fréquemment les leaders d'opinion pour s'assurer du fait qu'ils se sont comportés de manière responsable dans le rôle de référent sur Internet.

Habituellement la police provoque ces “thés” par appels téléphoniques ou en passant directement sur le lieu de travail appelé en Chine “danwei” (單位 (abrégé de 工作单位 : gong zuo danwei : unité de travail). Ainsi, pour un étudiant ce sera la cellule du Parti Communiste Chinois de son université.

La police peut exploiter ces rencontres pour identifier des sources d'information, intimider les internautes, ou s'en servir dans le cadre d'une investigation sur un crime réel ou potentiel.

Identification de sources d'information.

Pendant cette séance de thé on peut demander aux internautes qu'il identifient précisément les sources des informations politiques et idéologiques qu'ils ont diffusées. En cas de refus de collaborer avec la police et donc de révéler leurs sources, ils peuvent se voir accuser de diffamation ou d'incitation au désordre public. Dans certains cas la police propose des incitations matérielles ou économiques aux internautes qui acceptent de devenir des indicateurs.

Intimidation des internautes

Ces conversations autour d'un thé peuvent aussi être un avertissement aux internautes, le signe qu'ils sont sur une liste de surveillance et qu'ils ont intérêt à faire attention à ce qu'il publient sur le net.

Début 2013, une polémique [en anglais] entre les éditeurs de presse et les censeurs du gouvernement à propos du quotidien très influent Southern Weekly [chinois] (L'hebdomadaire du Sud) a conduit beaucoup de leaders d'opinions d'internet, incluant l'ancien directeur de Google Kai-fu Lee [en anglais], la célèbre actrice taiwanaise Annie Yi Nengjing et le promoteur immobilier Ren Zhiqiang, à déclarer publiquement leur soutien à la liberté éditoriale de ce journal.

On leur a demandé, à tous les trois, de venir prendre un thé avec la police. Kai-fu Lee raconte [chinois] sur son microblog : “le thé a été très amer” et “à partir de maintenant je ne peux parler que du Nord, de l'Est ou de l'Ouest et seulement au sujet des jours de la semaine.” Une référence tacite au dominical Southern Weekly (Hebdomadaire du sud paraissant le dimanche).

Annie Yi Nengjing [anglais] a refusé de coopérer. Depuis, son contrat avec la chaine de télévision Dragon TV où elle animait le programme ”China's Got Talent” [La Chine a du talent] a été résillé.

Investigation pour un délit “potentiel”

La police peut interroger un internaute en tant que témoin d'un crime ou comme suspect et tout ce qu'il dit sera enregistré. La police a convoqué pour une tasse de thé [chinois] @borderline_citizen_weibo (@邊民微博) en septembre 2012 après un article qui commentait le massacre du Mékong [en anglais] en 2011, au cours duquel des assaillants non identifiés ont assassiné l'équipage de deux cargos qui navigaient sur le fleuve. En se basant sur les premiers témoignages des principaux suspects et sur ses sources d'information personnelles, cet internaute avait écrit qu'il était persuadé que dans le passé le principal suspect, le parrain birman de la drogue Naw Kham [anglais] avait  conclu des accords secrets avec les militaires chinois et le personnel de la sécurité publique. Pendant l'interrogatoire, la police a évidemment exigé  de @borderline_citizen_weibo qu'il révèle ses sources sous peine de se voir mis en accusation pour incitation au désordre public.

 Stratégies à adopter pour “aller prendre un thé”.

Pour aider d'autres internautes à se préparer avant un rendez-vous avec la police pour prendre le thé ensemble, le leader d'opinion Wu Gan(@超級低俗屠夫)propose [chinois] quelques conseils :

1. Ne pas s'énerver, ne pas avoir peur.

2. Parler seulement de soi. Faire tout son possible pour ne pas donner d'informations concernant d'autres personnes.

3. Dire à la police que l'on croit en ce qu'on a fait et qu'on est prêt à en subir les conséquences.

4. Ne pas répondre de manière personnelle.

5. Ne pas les critiquer ou les humilier pendant ou après le thé.

6. Ne pas leur faire confiance, ne pas s'imaginer que l'on sera capable de les persuader de passer de son côté.

7. Si on ne veut pas coopérer avec eux, envisager de signer l’attestation de garantie. Ce document témoigne de la promesse d'un citoyen de suivre les instruction policières, ceci peut aller jusqu'à s'engager à ne plus écrire sur certains thèmes ou à ne plus aborder des sujets politiques sur internet. En théorie ce document n'est pas contraignant, on n'est pas obligé de faire tout ce qu'on a signé, mais…

8. Si on veut minimiser les risques il faut éviter de s'impliquer dans les problèmes locaux. Il faut s'intéresser à ce qui se passe dans d'autres provinces car elles sont hors de leur juridiction. La police de sécurité interne a une compétence strictement provinciale. Les procédures habituelles pour mener à bien des opérations dépassant les frontières de la province doivent passer par l'unité de la police locale (échelon hiérarchique supérieur) ce qui demande beaucoup de travail administratif….

9. On pourra essayer de faire pression sur les amis, la famille ou les supérieurs hiérarchiques. Il est donc important d'avoir une bonne communication avec son cercle social pour qu'il adhère à sa cause.

Entretien avec Maxime Kononenko, blogueur russe « non opposant »

vendredi 1 mars 2013 à 11:24

(Billet d'origine publié en russe le 10 décembre 2012)

Note de l'auteur : Dans le cadre d'une enquête pour un article approfondi, j'ai eu récemment un entretien par mails avec Maxime Kononenko (@kononenkome), pour en savoir plus sur ce qu'il pense de ses activités de blogueur «non opposant» et des mouvements sociaux sur la Toile. Maxime Kononenko est connu comme l'un des «pionniers» du Net russophone, comme journaliste, éditorialiste, programmateur et animateur télé, entre autres. Il se dit «libéral», bien que ses positions politiques le placent loin de l'opposition.

Un grand merci à Maxime Vitalievitch pour le temps qu'il m'a consacré et ses réponses ! (Merci aussi à Andreï Tselikov, qui a relu l'ébauche en russe de mes questions.) J'espère que le lecteur prendra autant de plaisir que moi à cette interview.

Maxime Kononenko. Photo issue de son fonds personnel, reproduite avec son autorisation.

Kevin Rotrok : Bonjour Maxime Vitalievitch, je voudrais savoir si l'on peut prouver que les blogueurs russes non issus de l'opposition représentent un mouvement social. Les spécialistes et les journalistes partent habituellement du postulat que les blogueurs n'appartenant pas à l'opposition russe en sont un, même s'ils forment en fait un groupe disparate et peu puissant. Je cherche à savoir quelles conclusions on peut tirer de la partie opposée : ces blogueurs qui ne sont pas dans l'opposition.

L'une des contributions les plus connues sur cette question nous vient du politologue américain Charles Tilly. Il écrit que les mouvements sociaux doivent réunir les facteurs suivants :

  1. une campagne : un effort public collectif soutenu et organisé pour construire des revendications dirigées vers les autorités ;
  2. une forme : le recours à plusieurs des formes suivantes de l'activité politique : création d'associations et organismes spécialisés, de rencontres, d'actions solennelles, de manifestations, meetings, création et diffusion de pétitions et de déclarations vers et à travers les mass medias et les débats ;
  3. une “démonstration de WUNC” : présenter les caractères suivants, de “notabilité” (worthiness), unité (unity), nombre (numbers) et engagement (commitments) de la part des participants eux-mêmes et/ou de ceux qu'ils représentent.

Kevin Rotrok A votre avis, la définition de Charle Tilly convient-elle pour caractériser votre travail de blogueur ? A moins qu'elle ne corresponde qu'en partie à vos activités ? Ou même que les facteurs de Tilly n'aient aucun rapport avec votre façon de bloguer ?

(Je souligne que je pars du principe que l'idée de Tilly ne coïncide pas tout à fait à la réalité de ce que font de nombreux blogueurs. Le WUNC et autres paramètres traditionnels datent un peu, d'avant le phénomène du blogging, qui de toute façon n'investit pas la rue avec banderoles et slogans, mais la sphère virtuelle.)

Deuxième question
Même si vous pensez que les termes de cette définition dans leur ensemble ne caractérisent pas votre façon de bloguer, j'aimerais savoir si certaines parties de sa théorie peuvent s'appliquer dans votre cas.

Troisième question
Enfin, indépendamment des réponses précédentes, je voudrais savoir comment vous percevez globalement le sujet principal de mon travail. Peut-on classifier des groupements de blogueurs comme mouvements sociaux ? Est-ce possible d'un point de vue scientifique, ou bien toute cette initiative se réduit-elle inévitablement à un petit jeu politisé ?

Maxime Kononenko : J'espère que vous comprenez bien une chose de base et d'importance sur la Russie : il y a vingt ans, nous vivions en Union soviétique. C'était une société plutôt particulière, totalement indigente sur le plan de la vie quotidienne, mais malgré tout relativement égalitaire. C'est-à-dire que tout le monde vivait mal mais, pour autant qu'elle concernait tout le monde, cette vie quotidienne indigente ne dérangeait personne en particulier.

Ensuite, de la manière la plus subite (en quelques semaines de l'hiver 1992) tout a changé de façon radicale. Et la société s'est brusquement divisée entre ceux qui ont su s'adapter à de nouvelles conditions antisociales (une minorité) et ceux qui ont continué à vivre comme avant (une écrasante majorité) ; ceux qui ont continué à vivre comme avant enviant beaucoup ceux qui se sont adaptés. Ils enviaient leurs voitures, la métamorphose de leur mode de vie, leurs voyages à l'étranger. Cette envie engendra la colossale tension sociale des années 90, époque où presque tous les revenus se sont trouvés répartis exclusivement au profit de ceux qui s'étaient adaptés (en particulier ces individus que l'on a appelés les «oligarques»).

C'est là que Poutine entre en scène. Et que les prix du pétrole augmentent. Poutine nationalise les entreprises des oligarques. Et dans les entreprises d'Etat, bien sûr, l'Etat prend des parts plus importantes. De plusieurs fois plus importantes que pour ceux entre qui sont répartis les profits. L'appareil bureaucratique est lui aussi multiplié. Tout cela, ajouté à une corruption totale, augmente encore le nombre de gens qui ne retirent qu'une minuscule parcelle du gâteau pétrolier. Et c'est alors que la situation sociale, paradoxalement, a commencé à s'égaliser. L'argent s'est mis peu à peu à arriver dans les régions. Les gens se sont mis à croire aux lendemains (ce qui était impossible sous Eltsine), se sont mis à faire des projets, à élever des enfants, à prendre des crédits, à acheter des voitures, des appartements et à faire construire des maisons. Et depuis lors c'est encore à cela que reste occupée l'écrasante majorité de la population russe : combler le besoin d'obtenir ce dont les gens étaient privés sous le pouvoir soviétique et Eltsine.

A Moscou ces dernières années s'est formée une couche sociale pour laquelle, en gros, le problème de la consommation est résolu. Ce sont, premièrement des gens de l'époque soviétique qui s'en sont sortis dans ces nouvelles conditions. Et deuxièmement, des gens qui n'ont pas souvenir du pouvoir soviétique, mais ont grandi dans le Moscou capitaliste et savent traiter avec. Ce sont ces deux catégories qui forment la base du mouvement actuel qui manifeste dans la rue. Et c'est justement cela qui explique que ce mouvement existe à Moscou et pas en province – la province en est encore à consommer. Une fois rassasiée, la province pourra se laisser gagner par le mouvement de contestation. Mais c'est bien le diable s'il dépasse un pour cent de la population (c'est mon estimation).

Il découle de tout cela que la formule de Charles Tilly ne s'applique pas trop à notre réalité russe. Les revendications collectives envers le pouvoir sont portées chez nous par des collectifs plutôt réduits. Et ces revendications sont presque toujours très utilitaires. La Russie a toujours eu du mal avec le concept d'unité ; après l'effondrement d'une société soviétique relativement unitaire, il n'y a pas eu formation d'une nouvelle société, les gens vivent isolément.

Toutes les études de «la blogosphère opposante» risquent donc de tourner à l'étude d'une communauté assez étroite de gens qui sont liés les uns aux autres par des intérêts communs. Du genre «blogosphère des pêcheurs à la ligne» ou «blogosphère des étudiants de telle ou telle université».

Même chose pour la «blogosphère pro-Kremlin». Pour généraliser, c'est une communauté de gens qui se connaissent du fait qu'ils habitent la même ville (Moscou a beau être une mégalopole, le public des cafés et clubs plus ou moins intellectuels du centre-ville représente tout au plus un gros millier de personnes). De plus, il va de soi que «blogueurs opposants» et «blogueurs pro-Kremlin» se connaissent entre eux et ont bien souvent fait leurs études ou travaillé ensemble. Et que leur façon de «s'opposer» entre eux sur Internet tient en grande partie du jeu.

D'ailleurs, autour de ce noyau de gens qui se connaissent entre eux en gravitent naturellement d'autres, qui font de l'idéologie. Des adeptes, pour ainsi dire. Il y en a d'un côté comme de l'autre, et le noyau de la blogosphère (du côté de l'opposition comme du côté pro-Kremlin) traite ces satellites d'humeur idéologique de façon assez condescendante. Comme des enfants.

Mais il n'y a pas de conflit de supersystèmes.

De sorte que votre hypothèse d'un «jeu politisé» est assez vraie. Pour l'instant, la blogosphère russe n'a pas donné naissance à des mouvements politiques. A des organisations carititatives, oui. A des associations de bénévoles, aussi. Et dans une moindre mesure à des mouvements écologiques. Depuis 2005, un immense chemin a été accompli dans cette direction. Mais pour ce qui est des mouvements politiques, ça ne marche pas. Ils ne sortent pas du cadre des “toussovkas” (groupes de discussion informels typiquement russes) à l'ancienne telles qu'elles se sont formées dans la première décennie du pouvoir de Poutine. De plus, notez bien qu'à la tête de cette «opposition», on trouve surtout des gens qui soutenaient le pouvoir dans ces mêmes années 2000. Et qui ont par la suite, par déception ou lassitude, basculé de l'autre côté. Ceux qui (comme moi) sont restés, loin de constituer une force unie, sont au contraire isolés. pas. C'est une sorte d'exercice intellectuel, si on peut dire, de trouver des arguments pour justifier l'action du Poutine actuel, dans le sens où c'est considérablement plus compliqué qu'il y a ne serait-ce que cinq ou six ans.

Mais globalement, la société russe et la blogosphère qui en dérive sont totalement apolitiques.

Kevin Rotrok : En 2008, Floriana Fossato, John Lloyd et Alexandre Verkhovski ont publié un ouvrage intitulé « Une Toile qui ne tient pas ses promesses » [en anglais]. Leur conclusion est que le gouvernement russe fait ingérence de façon significative dans l'Internet russe et entraîne dans sa lutte contre l'opposition blogueurs pro-Kremlin et «trolls» pour «produire des mécanismes minutieusement éprouvés à des fins de propagande et de manipulation».

Qu'en pensez-vous ? Flossato et les autres disent-ils vrai ? Leur idée (et pas seulement la leur), c'est qu'il existe sur la Toile russe un mouvement populaire naturellement prédisposé à l'opposition. Un mouvement attaqué par quelques «trolls» télécommandés par le Kremlin. Cette interprétation correspond-elle à une réalité ?

Par exemple, il me semble qu'il existe deux possibilités : ou bien (1) il n'y a pas d'humeur populaire et tous les blogueurs politiques jouent simplement la même musique, que quelqu'un commande d'en haut, ou bien (2) les acteurs « pro-Kremlin »/« non-opposants » s'expriment honnêtement, sans manipulation d'en haut. Quel est votre avis à ce sujet ?

Maxime Kononenko : Le monde est multiforme. Il existe sans aucun doute des leaders de l'opinion publique dont la loyauté s'achète. Mais «l'opposition» aussi est investie de la même manière. De plus, cela concerne uniquement les leaders, et ils sont aussi peu nombreux d'un côté que de l'autre. Et s'il suivent parfois des consignes venues d'en haut, c'est en tout cas plus que rare. En général ils ne vont pas contre leur conscience, qu'ils soient d'un bord ou de l'autre. Et quand ils écrivent quelque chose, c'est qu'ils le pensent.

Mais il existe aussi d'autres catégories d'opposants, d'un côté comme de l'autre.

Première catégorie, les combattants engagés. Ceux que vous appelez les “trolls”. Leur combat est comparable à des bagarres de supporters : aussi insensé que passionné. On trouve de ces fans des deux côtés, aussi bien chez Poutine que chez Navalny. Et ce sont justement eux, ces fans, qui produisent l'écrasante majorité des discussions polémiques sur LiveJournal. Ils n'ont aucun besoin d'être dirigés, ils mettent très bien en scène d'eux-mêmes des sujets passionnants (par exemple l'histoire de la hipster enceinte de la place Bolotnaïa).

Deuxième catégorie, les trolls engagés. A la différence des combattants engagés, les trolls engagés vont “troller” tout le monde et n'importe qui. Sur le LiveJournal de Navalny, ils vont “troller” ses admirateurs les plus enthousiastes. Sur celui de Maxime Sokolov, ils vont “troller” les admirateurs de Maxime Solokov. Mais bon, ça n'est qu'une partie de la culture de la Toile. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a plusieurs sortes d'anonymous. Il y a ceux qui sont contre le gouvernement en général, et puis ceux qui sont contre un autre gouvernement donné (le gouvernement géorgien, par exemple).

Troisième catégorie, ceux qui recherchent des fonds. Là encore, il y en a des deux côtés. Pour autant qu'ils sont financés l'un comme l'autre, on y trouve des enthousiastes qui tentent de vendre aux deux côtés des botnets prêts à l'emploi. Ou même simplement leur blog comme support publicitaire.

Quant au mouvement populaire d'opposition, il existe bel et bien. J'ai parlé de sa nature tout à l'heure. Mais de la même façon qu'existe un mouvement populaire patriotique, et bien plus puissant que ce mouvement d'opposition, même s'il est moins séduisant sur le plan médiatique. Croyez-moi, il y a bien plus sur la Toile de gens en colère contre les voyages des leaders de l'opposition chez les congressistes américains que de gens qui sont certes remontés contre Poutine et son système obsolescent, mais n'iraient pas s'en plaindre à des politiciens étrangers.

Kevin Rotrok :  Ce que vous dites des liens incestueux au sein des « communautés virtuelles » me paraît très intéressant. Si toute la blogosphère joue à la « toussovka », cela signifie-t-il que la majorité des blogueurs voient leur propre activité comme un jeu ? Vous pointez un genre d'«exercice intellectuel» ; ce type d'exercice est-il pour vous de l'ordre du jeu ? Au-delà de son personnage de contradicteur plein d'éloquence, Maxime Kononenko critique-t-il les opposants parce qu'il se sentirait investi d'une sorte de mission ?

Maxime Kononenko : C'est une bonne question. Je ne sais pas pour les autres (les relations avec le contexte actuel sont très complexes, si vous prenez par exemple Marat Helman, Gleb Pavlovski, Marina Litvinovitch, Stas Belkovski), je parle pour moi. Je suis quelqu'un de très libéral. Dans ma jeunesse, mon libéralisme était absolu, mais à mesure que j'ai mûri et suis devenu responsable d'une famille, de mes enfants et parents, mon libéralisme s'est pour ainsi dire coupé du bruyant et vaste monde. Je reste un libéral, mais je ne veux pas d'intersection entre mon monde et celui des idéologues de la révolution qui jettent des pavés sur la police et, d'une façon générale, vont manifester. Mais comme je reste tout de même un libéral, je ne peux pas me permettre de dire : envoyons donc tous ces gens-là en Sibérie. Non. Je me battrai contre ces gens avec les méthodes mêmes qui correspondent à ma structure interne libérale : je les démasquerai et dénoncerai leurs fautes (par exemple l'expérience d'avocat de Navalny). C'est à la fois un jeu et un exercice intellectuel, mais aussi une position politique.

Malheureusement, il y a peu de gens comme moi. Mais il y a d'autres incarnations de la même chose. Prenons Navalny. C'est un homme politique. Son image actuelle : «champion de la lutte anticorruption dans toute la Russie», son quatrième projet politique public. Il y a d'abord eu Yabloko, puis Da-Debaty [Oui ! les Débats], puis le mouvement le Peuple. Trois échecs, même si Da-Debaty a été très populaire et Navalny propulsé à la télé. Et il a pris son rôle d'animateur télé très au sérieux ! Parce qu'il capitalisait dessus et, je le répète, c'est un politicien par nature. Mais les révélations qu'il a faites ont fini par payer. Et lui par acquérir un véritable poids politique.

Maintenant dites-moi : que représentaient Yabloko, Da-Debaty et le mouvement le Peuple pour Navalny ? Un jeu ? Un exercice intellectuel ? Un essai ? Et faut-il prendre au sérieux sa lutte anticorruption alors qu'il a préféré oublier ses trois avatars précédents ? Je ne sais pas.

Et puis n'oubliez pas que tout le monde ou presque se connaît, d'un bord comme de l'autre. Ils ont travaillé ensemble, ont participé à des projets politiques, se sont séparés, ont monté d'autres projets, ont divergé. Rien que sur mes relations avec Marina Litvinovitch, il y aurait de quoi écrire un scénario !

Sans comptez que tous (littéralement, c'est-à-dire chacun) ont des motivations totalement différentes. Nemtsov veut se venger de Poutine parce qu'il n'est pas devenu président. Kasparov travaille ouvertement pour le Département d'Etat [américain]. Kachine hait le régime pour avoir été passé à tabac. Chacun a ses raisons. Et pareil pour ceux qui sont de l'autre bord.

Kevin Rotrok : Une dernière question : pourquoi la blogosphère russe ne donne-t-elle pas naissance à des mouvements politiques, alors qu'elle accouche de mouvements écologiques, d'organisations caritatives ou bénévoles ? Peut-être que vous avez raison et que la société civile russe est encore trop soviétique pour passer à l'activisme, mais pourquoi y a-t-il tout de même des parties de cette société qui se réveillent ? Et pourquoi précisément celles-là ?

Maxime Kononenko : Parce que dans les mouvements bénévoles et les organisations caritatives, en général, il n'y a rien à répartir. Or la question clé pour n'importe quel mouvement politique est la suivante : «Qui est le numéro un ?» Voilà exactement la raison de l'indigence de toutes les coalitions politiques dans la Russie des 10 dernières années. Ils sont incapables de se mettre d'accord sur un numéro un. Mais ces gens-là, qui sont incapables de se mettre d'accord, sont des gens du passé. Ces mêmes Nemtsov, Limonov, Kasparov.

La relève qui se profile est une génération née après l'URSS, celle des jeunes qui ont vingt ans aujourd'hui. Ils voient la vie un peu autrement et peuvent arriver à un accord. De sorte que des mouvements politiques sur la Toile, il y en aura, évidemment. Laissez-leur le temps.

Arrestation de “La Maestra”, la puissante dirigeante syndicale mexicaine

vendredi 1 mars 2013 à 00:40

Elba Esther Gordillo Morales, présidente du Syndicat National des Travailleurs de l'Éducation (“SNTE”) et personnage polémique de la scène politique mexicaine a été arrêtée ce mardi 26 février 2013 pour blanchiment d'argent.

Pendant plus de 20 ans, Elba Gordilla, alias “La Maestra” ["la Professeur"], a dirigé la SNTE, sans doute la plus grande organisation syndicale d'Amérique latine. “La Maestra” a également fondé Nueva Alianza, parti politique minoritaire qui, lors des élections de l'an dernier, a présenté Gabriel Quadri de la Torre comme candidat à la présidence de la République.

Elba Gordillo est accusée du délit fédéral “d'opérations avec des fonds d'origine illicite”, plus connu en français sous le nom de “blanchiment d'argent”, puni d'une amende et de 5 à 15 ans de prison. Son arrestation, ordonnée par l'autorité judiciaire, a eu lieu dans l'État de Mexico alors qu'Elba Gordillo débarquait à l'aéroport dans un avion privé en provenance des États-Unis.

Elba Esther Gordillo, imagen de Wikimedia Commons bajo licencia Creative Commons  (CC-BY-NC-ND)

Elba Esther Gordillo, image de Wikimedia Commons sous licence Creative Commons (CC-BY-NC-ND)

Le délit mentionné ci-dessus est considéré comme grave par la loi pénale mexicaine. Ceci signifie principalement que l'inculpée ne pourra pas obtenir de liberté conditionnelle sous caution pendant toute la durée du procès. Il n'est pas écarté que d'autres délits lui soient imputés par la commission, notamment celui de fraude fiscale, ou qu'elle fasse l'objet d'une enquête et soit jugée comme membre de la délinquance organisée, ce qui impliquerait des peines plus sévères.

Après son arrestation, Elba Gordillo a été internée au Centre de Détention Santa Martha Acatitla [espagnol] du District Fédéral.

L’évènement a suscité de nombreuses réactions au Mexique, que ce soit pour se réjouir ou pour exprimer un certain scepticisme.

Le journaliste Carlos Puig [espagnol] a ainsi décrit le pouvoir possédé par “La Maestra” depuis son arrivée à la tête du SNTE :

En 24 años la señora Gordillo creció, acumuló dinero y poder. Entendió que su fuerza dependía en buena manera de lo que consiguiera para sus agremiados y fue generosa: privilegios, cuidados, salarios, plazas. Allá adentro la adoraban. La hicieron lideresa para siempre y para todo. Se enfrentó a su partido con furia y cuando se hartó formó otro. Se aprovechó de los bisoños panistas y logró posiciones en el gobierno y una intervención directa en la elaboración de la política educativa.

Empezó a lucir sus riquezas, era público que vivía por temporadas en la zona más lujosa de San Diego; presumió sus gustos caros, la afición por los vuelos privados. Desestimó los sondeos que le decían que era un personaje poco querido. Que las encuestas la ponían en los últimos lugares de popularidad asociada con corrupción, cinismo.

Como había visto a Salinas, vio a Zedillo utilizar la fuerza del gobierno y la utilización de la PGR para borrar adversarios políticos pero no aprendió.

Ella se creyó inmune. Creyó que seguía tratando con panistas, tal vez. Y estiró y estiró la liga hasta que la rompió.

En 24 ans, l'importance de Madame Gordillo s'est accru, alors qu'elle amassait argent et pouvoir. Elle a compris que sa force dépendait essentiellement de ce qu'elle pourrait obtenir pour ses affiliés et elle a su être généreuse : privilèges, petites attentions, salaires, postes. Là-bas, ils l'adoraient. Ils en firent leur chef pour tout et pour toujours. Elle a violemment affronté son parti et quand elle s'est lassée, elle en a créé un autre. Elle a profité du peu d'expérience du PAN [Parti d'Action Nationale au pouvoir de 2000 à 2012] pour obtenir des postes au gouvernement et un rôle direct dans l'élaboration de la politique éducative.

Elle a commencé à faire étalage de ses richesses, il était de notoriété publique qu'elle passait une grande partie de l'année dans le quartier le plus luxueux de San Diego ; elle affichait ses goûts de luxe, sa passion pour les avions privés. Elle a ignoré les sondages révélant qu'elle était peu appréciée. Dans les enquêtes de popularité, elle figurait dans les dernières places, associée à la corruption, au cynisme.

Tout comme elle avait été témoin des actions de Salinas, elle a vu Zedillo utiliser la force du gouvernement et la PGR [ministère de la justice] pour éliminer ses adversaires politiques, sans en tirer de leçon.

Elle se croyait à l'abri. Peut-être a-t-elle cru qu'elle avait toujours affaire au PAN. Et elle a tiré sur la corde jusqu'à ce que celle-ci se rompe.

Quant au journaliste Carlos Loret de Mola, un des principaux détracteurs d'Elba Gordillo, il en dresse le portrait suivant :

La persona que más daño le ha hecho a la educación en México, la dirigente sindical que robó dinero de los maestros para enriquecerse, la mujer que quitó dinero de las aulas de los niños para beneficiarse personalmente, está tras las rejas.  Le llamarán “El Quinazo” del presidente Enrique Peña Nieto.

La personne qui a fait le plus de mal à l'éducation au Mexique, la dirigeante syndicale qui a volé l'argent des professeurs pour s'enrichir, la femme qui a privé les salles de classe des enfants d'argent pour son profit personnel est derrière les barreaux. On s'en souviendra comme du “Quinazo” du président Enrique Peña Nieto.

Pour comprendre cette déclaration, rappelons que le “Quinazo” fait référence à un épisode du début du sextennat du président Carlos Salinas de Gortari, en 1989, lorsque ce dernier fit arrêter un autre dirigeant syndical, Joaquín Hernández Galicia, surnommé “la Quina”.

Celui qui fut par deux fois candidat à la présidence de la République (et opposant véhément du régime actuel), Andrés Manuel López Obrador (@lopezobrador_), a décrit en ces termes l'arrestation de Mme Gordillo :

@lopezobrador: En busca de legitimidad el corrupto de EPN [Enrique Peña Nieto] recurre al quinazo contra su exsocia. Es afianzar el salinismo como política. Son otros tiempos.

Cherchant à asseoir sa légitimité, EPN [Enrique Peña Nieto] le corrompu a recours au quinazo contre son ex-acolyte. Il renforce le salinisme comme politique. Us d'un autre temps.

L'utilisatrice Claudia Flores Glz (@taller2006) abondait dans son sens :

@taller2006: Al final lo de la maestra #Elba es sólo un ajuste de cuentas, como se acostumbra en México.

Au final, cette histoire avec la maestra #Elba, c'est juste un règlement de comptes, comme toujours au Mexique.

L'universitaire Ciro Murayama a profité de l'occasion pour se moquer d'un des principaux journalistes du pays qui se trouvait alors à l'étranger, à la recherche d'un possible scoop à Rome :

@ciromurayama: López Dóriga, con su olfato periodístico, nos informa desde Roma lo que ocurrió en Toluca.

López Dóriga, avec son flair de journaliste, nous informe en direct de Rome des nouvelles de Toluca.

L'utilisateur Esteban Salinas (@probusmex) a rappelé l'objet central de ce type de délits : l'argent.

@probusmex: Bueno al fin detuvieron a Gordillo, espero que no pase lo que pasa siempre y se pierdan mágicamente esos miles de millones. Que los regrese!

Ils ont fini par arrêter Gordillo mais j’espère que, contrairement à ce qui se passe d'habitude, ces milliards ne vont pas disparaître comme par magie. Qu'ils soient restitués !

L'utilisateur surnommé Engaña Bobos (@luigif49) faisait remarquer que d'autres dirigeants syndicaux devraient partager le même destin que “La Maestra” :

@luigif49: Que bueno que Elba Esther Gordillo pague por ser tan RATA, pero ¿cuando caé Romero Deschamps, Martín Esparza y tantos igual de ladrones?.

Qu'Elba Esther Gordillo paie pour être une telle voleuse, voila une bonne nouvelle ! Mais à quand le tour de Romero Deschamps, Martín Esparza et tous ces autres profiteurs ?

Fernando Iglesias (@ELFERKING) en a profité pour exprimer sa joie suite à l'arrestation d'Elba Gordillo :

@ELFERKING: Detenciones como la de Elba Esther Gordillo me dan esperanza y me hace muy feliz, gente abusiva y ratera como ella y Deschamps deben pagar

Des arrestations comme celle d'Elba Esther Gordillo me remplissent d'espoir et de joie. Ces voleurs comme elle et Deschamps doivent payer pour leurs abus.

Le Dr. Miguel Carbonell (@MiguelCarbonell), chercheur et meneur d'opinion dans le domaine juridique au Mexique, notait :

@MiguelCarbonell: Al ser un proceso por delincuencia organizada los plazos se duplican. El juez tiene 6 días para dictar auto de formal prisión.

Comme il s'agit d'un procès pour délinquance organisée, les délais sont deux fois plus longs. Le juge dispose de 6 jours pour délivrer un mandat d'arrêt dans les formes.

Carbonell s'est également exprimé au sujet du centre pénitencier dans lequel Elba Gordillo a été placée :

@MiguelCarbonell: En el penal de Santa Martha Acatitla no se duerme con tanto comodidad como en San Diego, California. Ni modo. #Gordillo

Une chose est sûre : on ne dort pas aussi bien dans la prison de santa Martha Acatitla qu'à San Diego, Californie. #Gordillo

La nouvelle de l'arrestation d'une personne comme Elba Gordillo est un signe fort dans la société mexicaine, qui a subi pendant des décennies les pires outrages de la classe politiques et des pouvoirs de fait tels que le SNTE et autres syndicats. Les réactions vont certainement se poursuivre dans les prochains jours, mais le procès de “La Maestra” ne fait que commencer.