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La nouvelle exécution par l'Arabie saoudite d'une employée expatriée révolte les Indonésiens et tend les relations diplomatiques

samedi 17 novembre 2018 à 20:57

Des militantes tiennent des pancartes, dont l'une avec la photo de Tuty Tursilawati, exécutée en Arabie saoudite le 29 octobre 29 2018. Photo communiquée par Migrant Care, utilisation autorisée.

Le 29 octobre 2018, l'Arabie saoudite a exécuté Tuty Tursilawati, une employée expatriée indonésienne, sans avoir envoyé de notification consulaire informant les autorités indonésiennes de son intention.

Selon le Syndicat des travailleurs expatriés indonésiens, qui enquête sur son cas depuis 2010, Tursilawati a été mise en prison après avoir tué le père de sa patronne, qui selon ses dires aurait abusé sexuellement d'elle. A l'époque, elle travaillait pour la famille depuis huit mois, mais n'avait reçu de salaire que pour ses deux premiers mois dans son emploi.

Après avoir commis le meurtre, Tursilawati s'enfuit à la Mecque avec un peu d'argent et quelques bijoux volés. En cours de route, a-t-elle raconté à l'ONG qui l'a assistée, elle fut violée en bande et détroussée par neuf hommes.

L'association Migrant Care a annoncé la nouvelle sur les médias sociaux :

A nouveau une triste nouvelle en provenance d'Arabie saoudite. Tuty Tursilawati, une travailleuse migrante indonésienne de Majalengka, a été exécutée le 29 octobre 2018. L'exécution a eu lieu sans notification préalable au gouvernement indonésien. #ReposeEnPaixTuty #stophukumanmati [arrêter la peine de mort]

Des manifestants indonésiens ont barricadé l'ambassade d'Arabie saoudite à Jakarta, la capitale de l'Indonésie, pour protester contre l'exécution de Tuty. Les internautes indonésiens ont également exprimé leur indignation sur les médias sociaux.

Je condamne l'exécution de Tuty Tursilawati. Non seulement le gouvernement saoudien n'a pas pris la peine de notifier [notre consulat], mais aussi parce qu'il est douteux que la peine de mort empêche la criminalité. Mon autre question c'est : a-t-elle eu un procès équitable ?

Sur Facebook, Musliha Rofik a écrit :

Tidak ada seorangpun yg niat bekerja diluar negeri bertujuan mencelakakan majikan. Apalagi melakukan kekerasan, kalau tidak mempertahankan diri, demi kehormatan dan kehidupannya. Tuty Tursilawati, bagiku pahlawan yang memperjuangkan nasib diri dan keluarganya. Sama dengan almarhumah Siti Zaenab yg juga bermimpi agar anak-anak dan keluarganya hidup berkecukupan tak kekurangan biaya hidup.Arab Saudi kapan belajar menghormati kemanusiaan…. membunuh itu adalah pelanggaran hak hidup seseorang. Sedih dan marah campur aduk, karena di negeriku sendiri hukuman mati masih ada. #stophukumanmati

Quiconque veut travailler à l'étranger n'a aucune volonté de faire du mal à son maître. [Personne ne veut] agir violemment, si ce n'est pour la légitime défense, pour défendre son honneur, sa vie. Pour moi, Tuty est une héroïne qui a lutté pour sa destinée et celle de sa famille. Tout comme la regrettée Siti Zaenab [une autre travailleuse migrante indonésienne exécutée en 2015] qui rêvait de joindre les deux bouts pour ses enfants et sa famille. Quand l'Arabie saoudite apprendra-t-elle à respecter l'humanité … tuer, c'est violer le droit de quelqu'un à vivre. [Je suis] triste et en colère, parce que la peine de mort est encore appliquée dans mon pays. #arrêter la peine de mort

Et Lexy Rambadeta a écrit :

Selamat jalan Tuti. Apa yang bisa dilakukan secara efektif agar hal ini tak terulang lagi? Dan apakah pemerintah Indonesia atau siapa saja bisa melakukan apa pun (mungkin semacam gugatan) yang bener-bener serius, agar kematian Tuti tidak sia-sia?

Adieu, Tuti. Quel serait le moyen le plus efficace d'empêcher que cela se répète ? Et est-ce que le gouvernement indonésien ou quiconque pourrait faire quelque chose de sérieux [une ferme exigence], afin qu'elle ne soit pas morte en vain ?

Fêlures diplomatiques

Depuis quelques années l'Arabie saoudite a exécuté à répétition des travailleurs expatriés indonésiens. Selon le ministère indonésien des Affaires étrangères, au moins 103 Indonésien.ne.s se sont vu infliger des condamnations à mort en Arabie saoudite entre 2011 et 2018.

Tuty n'est pas la première employée expatriée indonésienne exécutée par les autorités saoudiennes en 2018. En mars, le Royaume a aussi exécuté Muhammad Zaini Masrin, un Indonésien qui a dit avoir signé sous la contrainte une une confession selon laquelle il avait tué son employeur. Condamné en 2004, il passa 14 ans en prison avant d'être mis à mort. Le consulat d'Indonésie à Djeddah n'a appris le sort de Masrin qu'après l'annonce de son verdict.

Le président indonésien Joko Widodo a dit regretter la mort de Tuty Tursilawati. Le ministre des Affaires étrangères, Retno Marsudi, a exprimé son mécontentement en convoquant l'ambassadeur saoudien, Osama bin Mohammed Abdullah Al Shuaibi.

Lors d'une conférence de presse, Al Shuaibi a avancé une explication unilatérale, disant que l'exécution de Tuty était destinée à l'absoudre du péché qu'elle avait commis. L'ambassadeur a aussi écarté les affirmations selon lesquelles Tuty avait agi en légitime défense, en disant qu'elle avait tué un vieillard. Il a aussi souligné que le crime de Tuty était un “had ghilah”, soit prémédité, aussi l'acquitter était impossible même si la famille de l'homme tué avait accepté de lui pardonner.

En 2015, l'Indonésie cessa d'envoyer des travailleurs expatriés en Arabie saoudite en raison des signalements d'abus contre les employées domestiques, mais le moratoire officiel n'a pas empêché les réseaux de trafiquants d'envoyer des travailleurs sans papiers ou munis de documents d'identité falsifiés. Le ministre indonésien du Travail Hanif Dhakiri a déclaré récemment que le moratoire était toujours en vigueur et que Jakarta n'avait aucune intention de lever l'interdiction.

Adel al-Jubeir, le ministre saoudien des Affaires étrangères, était allé à Jakarta pour rencontrer son homologue, le ministre Retno Marsudi, une semaine avant l'exécution. On ignore toutefois si l'exécution de Tuty et les cas des autres travailleurs expatriés indonésiens furent abordés lors de la rencontre.

A la suite de la réprobation suscitée par l'exécution de Tuty, l'Indonésie veut faire signer à l'Arabie saoudite un accord de notification consulaire obligatoire. Ceci permettrait à l'Indonésie d'être informée sur ses ressortissants ayant besoin d'assistance juridique en Arabie saoudite. Actuellement, seuls trois pays ont signé de tels accords avec l'Indonésie : l'Australie, les Philippines et Brunei.

Le système de la Kafala

Les défenseurs internationaux des droits humains dénoncent le système de la Kafala (parrainage) comme étant un “esclavage qui ne dit pas son nom”. La kafala est pratiquée dans les pays du Golfe tout comme au Liban et en Jordanie.

Selon la journaliste Mona Eltawahy, la Kafala est un système qui piège les employées expatriées :

J'évoque souvent la répression saoudienne des droits des femmes que j'appelle apartheid de genre, mis en œuvre par le système de la tutelle. C'est encore pire pour les employées domestiques qui sont doublement marginalisées, comme femmes et comme migrantes prises efficacement au piège dans le système d'emploi de kafala/parrainage.

Sous l'empire de la Kafala, les employeurs et les agences de recrutement peuvent confisquer les passeports des travailleurs, et prendre des décisions qui affectent profondément le sort et le bien-être de leurs employés.

Comment le site d'actualités le plus progressiste de Russie se retrouve du mauvais côté de #MeToo

samedi 17 novembre 2018 à 17:48

Ivan Kolpakov, ex-rédacteur en chef de Meduza, a démissionné à la suite d'accusations de harcèlement // Photo de profil d'Ivan Kolpakov sur Facebook

“Ici, il n'y a que toi que je puisse harceler et m'en tirer sans souci.”

Ivan Kolpakov, rédacteur en chef du site de journalisme d'investigation russe Meduza, a prononcé cette phrase tout en mettant la main aux fesses de la femme d'un collègue lors d'une fête du personnel.

Fin octobre 2018, Galina Timchenko, fondatrice et propriétaire de Meduza, a mis en ligne un message sur sa page Facebook expliquant que Kolpakov avait été accusé de s'être comporté de manière déplacée lors d'une fête du personnel et qu'il avait démissionné en attendant les conclusions de l'enquête du comité de direction de Meduza.

Il n'a pas fallu longtemps pour que cette histoire se répande dans l'actualité grâce à des fuites de la rédaction et aux enquêtes menées par d'autres médias, ainsi qu'aux propres communiqués de Meduza sur les réseaux sociaux. L'onde de choc a traversé l'ensemble du secteur du journalisme en Russie.

Meduza est un site d'actualités russophone originaire de la Lettonie voisine où il a été créé par l'ex-équipe de rédaction de Lenta.ru, site d'actualités autrefois indépendant victime de l'OPA hostile d'un éditeur pro-Kremlin en 2014. Une fois installé à proximité de son public cible en Russie mais suffisamment hors de portée de la censure gouvernementale, Meduza est rapidement devenu l'un des organes de presse russes les plus consultés.

Il fait également figure de rare héraut des valeurs progressistes avec ses éditoriaux engagés condamnant le harcèlement sexuel et appelant au boycott médiatique d'un puissant politicien accusé d'attouchements par des femmes journalistes dans les couloirs du parlement russe.

Leonid Sloutski doit démissionner de la Douma.
Un éditorial de Meduza
Il existe bien suffisamment de preuves que Leonid Sloutski, député à la Douma et président du Comité des affaires internationales, a harcelé sexuellement des journalistes parlementaires.
—-
Disponible en anglais : l'éditorial de Meduza appelant à la démission du député Leonid Sloutski. Il est accusé de harcèlement sexuel par plusieurs journalistes.

La réputation progressiste de Meduza a cependant été sérieusement écornée à mesure qu'émergeaient les détails du scandale de harcèlement sexuel et que se répandait la nouvelle de l'incident lors de la fête du personnel. Lorsque le mari de la femme en question, qui travaille lui-même à Meduza en tant que développeur logiciel, s'est plaint à la direction, Kolpakov a présenté ses excuses au couple et quitté ses fonctions de rédacteur en chef… pour deux semaines.

Il reçu un blâme du comité, puis il a été réintégré. Si la direction a jugé son acte déplacé, elle a estimé qu'il ne reflétait pas son comportement habituel et qu'il n'était pas suffisamment grave pour motiver un licenciement définitif.

Les détails sordides ont continué à s'accumuler. L'identité de la femme et de l'homme en question a été révélée en dépit de leur claire réticence à se retrouver au centre d'un scandale public. Lorsque la direction de Meduza a réintégré Kolpakov, le mari de la victime a démissionné de son poste de développeur logiciel en signe de protestation.

Peu après, il a été découvert que Meduza, malgré une ligne éditoriale ouvertement progressiste, n'avait même pas mis en place de politique anti-harcèlement.

Meduza n'a pas sanctionné son rédacteur en chef pour avoir harcelé la femme d'un employé et déclaré qu'il s'en tirerait sans problème. Cet employé a depuis démissionné. Si Meduza veut continuer à se présenter comme le média le plus progressiste de Russie, il y a du travail.

Hallucinant : Meduza publie un questions-réponses intitulé “Mon chef me drague, que faire ?” l'an dernier *sans avoir de politique anti-harcèlement sexuel* dédiée.

Ils ont été quelques-uns à prendre la défense de Meduza et de Kolpakov, arguant que le premier avait fait ses preuves et que le second était un véritable ami et un rédacteur en chef exceptionnel, en dépit de la violence dont il fait preuve envers les femmes.

Certains ont minimisé la gravité de l'incident quand d'autres ont critiqué le mari de la victime pour ne pas avoir su gérer la situation “comme un homme” au lieu de rendre l'affaire publique et causer du tort à son employeur. Le clanisme de ces déclarations a renforcé le sentiment d'indignation général :

La stratégie de communication de l'opposition russe : ignorer le harcèlement parce qu'il est ‘un véritable ami et le meilleur rédacteur en chef du pays’

Les communiqués de Meduza et sa kyrielle de défenseurs ont embrasé les réseaux sociaux, les médias et commentateurs pro-Kremlin se faisant une joie de dénoncer l'hypocrisie de la ligne éditoriale faussement progressiste de Meduza et son incapacité à joindre le geste à la parole.

De nombreuses féministes russes ont rejoint la fronde. L'une d'elles, Nika Vodwood, a déclaré sur Facebook :

Что-ж, Иван Колпаков сказал, что ему «за это ничего не будет» — так и случилось. Мир все то же говно, мудаки все так же без каких-либо последствий домогаются до женщин, и их жалеют, поздравляют и покрывают. Медуза — лицемерное говно, и никакие «прогрессивные» материалы не помогут это отмыть. Очень сочувствую сотрудницам издания и всем женщинам, которые лишний раз увидели, что что-то говорить бесполезно. В общем-то, я испытала это на практике сама, когда до меня домогался начальник (он все ещё начальник, а я уволилась в большой степени из-за этого). Ничего не меняется. Спасибо, Медуза.

Voilà, Ivan Kolpakov a dit qu'il s'en tirerait, et il s'en est tiré. Quel monde de merde : les connards peuvent continuer à harceler les femmes sans conséquence : ils seront confortés, félicités et leurs actes passés sous silence. Meduza n'est qu'une merde hypocrite et aucune ligne éditoriale “progressiste” ne pourra compenser ça. Je suis de tout cœur avec leurs employées et toutes les femmes qui ont compris encore autre chose : dénoncer, ça ne sert à rien. J'ai moi-même subi la même chose au travail quand mon supérieur m'a harcelée (il est toujours en poste et j'ai dû démissionner en grande partie à cause de ça). C'est toujours pareil. Merci Meduza.

La polémique a encore enflé avec l'apparition sur YouTube d'une brève vidéo promotionnelle pour Sol’ (Sel), un magazine de Perm, ville natale de Kolpakov. Elle montre pendant 23 secondes Kolpakov poursuivant des femmes dans la rue en leur levant la jupe. La vidéo a été immédiatement retirée de YouTube en raison de son contenu à caractère sexuel, mais elle a rapidement été remise en ligne sur d'autres réseaux sociaux. Ce qui était sans doute considéré à l'époque comme une bonne idée de publicité virale a ruiné encore un peu plus la réputation de Kolpakov.

Le 8 novembre, le version anglophone de Meduza a mis en ligne un récapitulatif neutre et nuancé des événements, agrémenté de quelques commentaires critiques, suscitant au passage une énième vague de consternation, le célèbre site russe s'étant jusque là muré dans le mutisme quant au scandale de harcèlement en son sein. Le 9 novembre, ce bilan n'avait toujours pas été traduit en russe.

Le fait que Meduza prenne la décision de publier en premier la version anglaise du communiqué, explicitement destinée au nombre relativement réduit de lecteurs étrangers, a largement été considéré comme un manque de respect envers les lecteurs russes. L'absence d'éléments critiques (et de reconnaissance de culpabilité) a également été pointée du doigt.

Meduza a malheureusement oublié de citer sa PDG Galina Timchenko : “Ivan est également le meilleur rédacteur en chef de notre pays. Ceux qui disent n'avoir jamais commis d'erreur ou s'être comportés de manière odieuse ou déplacée ne sont que des menteurs ou des salauds.”

Hey @meduza_en, quelques commentaires via Twitter si ça vous va :
1. Si @kolpakov avait démissionné hier, tout le monde l'aurait félicité pour avoir courageusement pris ses responsabilités.
2. Si Meduza l'avait écarté hier, tout le monde aurait félicité l'entreprise pour son intégrité.
3. Meduza fait fausse route.

Kolpakov a finalement annoncé sa démission vendredi 9 novembre par un article sur le site russe de Meduza, mais le mal était fait. Le communiqué comprenait une déclaration de Kolpakov selon laquelle “il s'agit de la seule manière de neutraliser la tempête qui s'est abattue sur la rédaction et minimiser les dommages à sa réputation.”

L'article n'évoquait pas la nature des accusations à l'encontre de Kolpakov. Peu après, sur Facebook, ce dernier a fait montre d'encore moins de remords et a adopté un ton plus belliqueux :

С этой минуты я не главный редактор «Медузы».

Я ухожу, потому что не вижу иного выхода. Потому что так будет лучше для «Медузы».

Все же позволю себе сказать, как я это чувствую. Я ухожу, потому что мне больно видеть, как вы уничтожаете то, что я строил. Потому что мне противна несправедливость. Потому что не все, что сломалось, нужно обязательно чинить.

По поводу так называемого инцидента. Я категорически отказываюсь признавать обвинения в харассменте и сексуальных домогательствах. Но я оказался в ситуации, когда невозможно и бессмысленно себя защищать. Впрочем, об этом как-нибудь в другой раз.

À compter de ce jour, je ne suis plus le rédacteur en chef de Meduza.

Je démissionne parce que je ne vois pas d'autre solution. Parce que c'est la meilleure décision pour Meduza.

Je finirai en évoquant mon sentiment sur tout ceci. Je démissionne parce que c'est trop dur de vous voir détruire tout ce que j'ai contruit. Parce que j'ai horreur de l'injustice. Parce que certaines choses ne peuvent être réparées.

Et concernant le prétendu incident : je refuse catégoriquement d'accepter les accusations de harcèlement et d'inconduite à caractère sexuel. Mais la situation fait qu'il est impossible et inutile pour moi de me défendre. Mais j'y arriverai un jour.

Il a ajouté qu'il ne quittait pas Meduza pour autant, mais qu'il n'occuperait plus de poste à responsabilités. Non seulement a-t-il refusé d'assumer la responsabilité de ses actes, il a également contredit sa propre déclaration précédente sur Facebook dans laquelle il reconnaissait un “écart de conduite hideux” et avoir “causé du tort à la femme d'un employé” tout en étant extrêmement saoul. Le compte Twitter russe de la chaîne RT a observé, non sans ironie :

Sous la publication [Facebook] de Kolpakov, dans laquelle il nie les accusations de harcèlement sexuel, ses abonnés lui demandent pourquoi donc s'excuse-t-il [dans une publication précédente].
Pourquoi en effet.

Sergueï Elkin, célèbre dessinateur humoristique, a signé une représentation satirique de l'incapacité de Meduza à se montrer à la hauteur de ses idéaux progressistes :

Réseau local, c'est terminé.

La communauté des médias indépendants russes ressort de ce scandale brisée, amère et plus divisée que jamais. Dans une victoire à la Pyrrhus pour le mouvement #metoo en Russie, l'un de ses principaux soutiens est devenu le tout premier homme du pays à devoir démissionner publiquement après avoir été accusé d'agression sexuelle.

Avec l'arrivée de la “caravane de migrants”, le Mexique affronte son côté anti-immigration

samedi 17 novembre 2018 à 10:01

Dessin largement diffusé prônant des échanges en ligne plus tolérants envers l'immigration centre-américaine, partagé en partenariat par plusieurs organismes de recherche sur la migration et la défense des droits de l'homme en Amérique Latine.  Utilisé avec autorisation.

Ces migrants vont augmenter les taux de la délinquance dans le pays.

Chercher à sauver sa vie en fuyant dans un autre pays n'est pas un crime.

Avec les milliers de citoyens centraméricains, plus connus sous le nom de la “caravane de migrants”, qui franchissent leurs frontières, les mexicains touchent du doigt les réalités migratoires de la région, agrémentées d'une forte dose d'intolérance qui rappelle les discours anti-migration des États-Unis.

L’important groupe de personnes en mouvement, très souvent composé de familles entières avec des enfants en bas-âge, avance par vagues successives et avec des objectifs distincts. Même si une bonne partie de ces gens ont comme destination finale les États-Unis, qui les attendent de pied ferme [fr], d'autres cherchent à obtenir l'asile au Mexique.

Jusqu'à présent on a dénombré cinq “caravanes” [fr], certaines d'entre elles organisées sur Facebook. Les premiers jours alors que la caravane se frayait un chemin à travers le Mexique, les réseaux sociaux mexicains, plus particulièrement #CaravanaMigrante et #CaravanaMigranteCDMX ont relayé des opinions variées, mais le plus souvent elles ont renvoyé une image du pays manifestement anti-immigration.

Ce qui ressort de ces publications, c'est la criminalisation et le discrédit qu'elles jettent sur l'image du migrant centraméricain et leur similitude avec le discours anti-immigration des États-Unis. Quelques exemples empruntés à la tendance #CaravanaMigrante illustrent ces propos :

On peut nous traiter de fascistes ou de Donald Trump. En tant que Mexicains nous avons le droit de défendre la souveraineté de notre pays et la sécurité de nos familles. Non à la #CaravanaMigrante et qu'ils retournent construire et travailler dans leur pays qui est l'endroit où ils devraient être

Ils vont avoir beaucoup de mal à passer aux États-Unis, et je doute fort qu'ils retournent dans leur pays d'origine; ils vont rester au Mexique. En attendant quoi ? Que le gouvernement les entretienne ?

Le média mexicain en ligne Plumas Atómicas a recueilli plusieurs réflexions de la même veine et les a remises en cause en évoquant les politiques migratoires tout au long de l’histoire du Mexique:

México tiene una larga y orgullosa tradición de puertas abiertas ante las poblaciones perseguidas, exiliadas y violentadas: desde los judíos españoles durante la Nueva España; los irlandeses que se unieron a la defensa de México durante la invasión estadounidense; los libaneses que huyeron de la hambruna en su país en la década de 1920, los republicanos exiliados durante la Guerra Civil española y tras la victoria de Franco; los brasileños, argentinos, paraguayos, colombianos, peruanos y uruguayos que salieron perseguidos por las dictaduras militares en sus países […] ¿por qué hay exiliados y refugiados de primera y de segunda?

Le Mexique a une longue et fière tradition d'accueil envers les populations persécutées, exilées et violentées : à commencer par les juifs espagnols à l'époque de la Nouvelle Espagne, les irlandais qui avaient participé à la défense du Mexique pendant la guerre contre les États-Unis, les libanais fuyant la famine dans leur pays dans les années 20, les exilés républicains pendant la Guerre civile espagnole après la victoire de Franco, les brésiliens, argentins, paraguayens, colombiens, péruviens et uruguayens persécutés par les dictatures militaires dans leurs pays […] Pourquoi y aurait-il des exilés et des réfugiés de première et de seconde classe ?

Dans la même veine, des sociologues et des journalistes de renom comme Patricio Solís et Miguel Carbonell ont souligné l'ironie de la vague d'opinions négatives apparues sur internet quand on sait à quel point les citoyens mexicains ont été lourdement stigmatisés par les politiques anti-migrants du gouvernement des États-Unis :

Ce mème sur la caravane des migrants nous renvoie au miroir raciste du nationalisme métis mexicain, et sa formidable aspiration (à être blanc) et qui, pour la première fois de son histoire est menacé par une migration venant du sud. Je crains fort qu'il n'y en ait beaucoup d'autres à l'avenir.

Refuser à ceux qui forment la caravane de migrants un traitement digne et humain nous met au niveau des gouvernements xénophobes et racistes que nous critiquons depuis des années. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la réthorique anti-immigrants qui nous vient des États-Unis.

“Recrachés par leurs propres pays”

L'origine commune de ce mouvement migratoire, cependant, est d'échapper à la pauvreté et à la violence, qui sévissent dans les pays du Triangle du Nord [fr]. C'est le point de vue du journal numérique centraméricain El Faro, qui souligne la part de responsabilités qu'ont les gouvernements des pays voisins sur les milliers de personnes qui sont aujourd'hui “recrachés par leurs propres pays” :

¿De qué se alejan familias enteras expuestas al camino cruel, al poder de los territorios del narco, a la violencia sexual, al secuestro, y hoy incluso a las amenazas del presidente de Estados Unidos de enviar al ejército? […] Huyen de la represión de un tirano en Nicaragua y de los delirios de un corrupto incapaz en Guatemala. Huyen de la incapacidad de los gobiernos salvadoreños, tanto de ultraderecha como de ultraizquierda, para poner fin a los homicidios, a la desigualdad y a la corrupción. Huyen de la violencia ejercida por pandillas deportadas por Estados Unidos, que exige ahora lealtades a cambio de migajas, cuando es corresponsable de la situación en el istmo. Huyen de élites indolentes y de décadas de esperar un futuro que nunca llega.

De quoi s'éloignent ces familles entières exposées à la cruauté du chemin, au pouvoir des territoires des narco-trafiquants, aux violences sexuelles, aux enlèvements, voire maintenant aux menaces du Président des États-Unis qui parle de leur envoyer l'armée ?  […] Ils fuient la répression d'un tyran au Nicaragua et les délires d'un incapable corrompu au Guatemala. Ils fuient l'inaptitude des gouvernements du Salvador, qu'ils soient d'extrême-droite ou d'extrême-gauche, à mettre fin aux homicides, à l'inégalité et à la corruption. Ils fuient la violence exercée par les gangs expulsés des États-Unis, qui exige leur loyauté en échange de miettes alors qu'ils sont coresponsables de la situation dans l'isthme. Ils fuient ces élites indolentes et des décennies à attendre un avenir qui ne vient jamais.

Puis qui conclue:

En esas caravanas están las claves de todos los problemas de la región, incluyendo a México y Estados Unidos. [Su criminalización significa] culpar a los migrantes por las respuestas que los gobernantes de la región, de Managua a Washington, no saben encontrar.

Ces caravanes représentent les clés de tous les problèmes de la région, Mexique et États-Unis inclus. [Leur criminalisation revient à] reprocher aux migrants l'incapacité des dirigeants de la région, de Managua à Washington, à trouver des réponses.

Les professionnels libanais de santé condamnent les “thérapies de conversion” anti-LGBTQ+

vendredi 16 novembre 2018 à 19:35

‘L'homosexualité est un état naturel’ La campagne lancée par LebMASH. Source: site web de LebMASH.

Le 8 novembre 2018, l'Association libanaise pour la santé sexuelle (acronyme en anglais LebMASH), une organisation de professionnels de santé, a tenu un événement de lancement d'une campagne contre la thérapie de conversion, “cette pratique pseudo-scientifique [consistant à] essayer de changer l'orientation sexuelle d'un individu. . .  au moyen d'interventions psychologiques ou spirituelles.” Les pratiques qui en découlent font partie des procédures appelées en anglais Sexual Orientation Conversion Efforts (SOCE).

La campagne, sous le titre de HINAD, abréviation en anglais de “L'homosexualité n'est pas une maladie“, fait suite à de multiples signalements d'individus homosexuels qui ont été soumis à diverses formes de SOCE, ainsi qu'à un symposium de 2017 pendant lequel un urologue a prôné un traitement par électrochocs.

Se targuant de pratiquer ces thérapies, l'urologue a mentionné le vice-président des USA Mike Pence comme étant un partisan de sa méthode, et affirmé qu'en Chine “80 % des gens subissant cette thérapie étaient guéris.” Il faut noter qu'aucune étude n'a été avancée à l'appui de cette deuxième affirmation.

Après cet incident, LebMASH a fait équipe avec HELEM, un groupe libanais de défense des LGBTQ+, et s'est lancé dans une enquête sur les pratiques de SOCE au Liban en interrogeant des victimes ayant subi ce genre de ‘thérapie’. Les demandeurs de SOCE sont des parents qui envoient leurs enfants ‘se faire soigner’, ou des individus qui se sentent socialement humiliés.

Les individus LGBT+ au Liban se heurtent à l'hostilité pour des raisons culturelles, religieuses et juridiques. Une étude de 2015 a établi que 72 % des Libanais pensent que l'homosexualité est une maladie mentale, et 79 % approuvent que les homosexuels soient soumis à une thérapie de conversion. Les descentes de police dans les lieux fréquentés par les homosexuels sont monnaie courante.

Ceci ne veut pas dire que les groupes de défense des LGBT n'ont pas gagné du terrain ces dernières années. En 2013, la Société des psychologues libanais et la Société des psychiatres libanais ont déclaré que l'homosexualité n'est pas une maladie, et ne requiert aucun traitement. Toutes deux ont condamné l'usage de ‘thérapie de conversion’.

En janvier 2016, LebMASH a publié une vidéo titrée “Shou El Sabab”(Quelle est la cause ?) clarifiant les idées fausses au sujet de l'homosexualité.

Sur le front juridique, un des principaux obstacles aux droits des LGBTQ+ est l'article 534. Cette disposition, existante depuis le mandat français au Liban de 1920 et insérée dans le code pénal quand le Liban a déclaré l'indépendance en 1943, punit “tout rapport sexuel contraire à l'ordre naturel” d'un an de prison.

Si le texte ne mentionne pas explicitement les actes homosexuels, l'appréciation est habituellement laissée à la discrétion des tribunaux de savoir si l'homosexualité est contre-nature ou non, ce qui conduit à la fréquente incarcération d'individus LGBT.

Il existe cependant des affaires dans lesquelles les interprétations ont été plus progressistes.

En 2016, un juge a interprété la loi différemment, arguant que l'homosexualité n'est pas contre-nature, et a conclu sans condamner.

En juillet 2018, il y a même eu une avancée supplémentaire vers la décriminalisation de l'homosexualité. Une cour d'appel a confirmé un verdict contesté de non-condamnation de plusieurs gays et transgenres.

Mais en l'état, la loi est toujours laissée à l'interprétation et à la discrétion des tribunaux, et l'article 534 n'est pas abrogé, une revendication primordiale de tous les groupes de défense des LGBTQ+ au Liban.

En 2018, les groupes LGBTQ+ ont été attaqués à de multiples occasions. Si la Beyrouth Pride 2017 a connu des obstacles, elle a tout de même pu avoir lieu. En 2018, un des organisateurs a été convoqué par les forces de sécurité pour enquête, et par conséquent a été contraint d'annuler les événements.

Un événement de ‘speed dating’ organisé par le club Genre et Sexualité de l'Université Américaine de Beyrouth a aussi été annulé récemment à la suite des menaces adressées au club après la condamnation par un ancien religieux, Mohamad Rashid Qabani.

Le caricaturiste politique Badiucao annule son exposition à Hong Kong avant de disparaître

vendredi 16 novembre 2018 à 14:59

“Gongle”, le titre de l'exposition de Badiucao, est le fruit d'un jeu de mots commentant les efforts déployés par Google pour revenir en Chine avec un moteur de recherche censuré. Image utilisée avec autorisation.

Le dessinateur satirique Badiucao a été forcé d'annuler sa première exposition personnelle à Hong Kong, suite à des menaces provenant du gouvernement central chinois.

L'exposition, événement phare de la semaine de la liberté d'expression de Hong Kong, devait ouvrir ses portes le 3 novembre. La veille, les organisateurs ont annoncé qu'ils annulaient l'événement :

We are sorry to announce that the exhibition “Gongle,” by Chinese artist Badiucao, has been cancelled due to safety concerns.

The decision follows threats made by the Chinese authorities relating to the artist. Whilst the organisers value freedom of expression, the safety of our partners remains a major concern.

Nous sommes désolés d'annoncer que l'exposition “Gongle” de l'artiste chinois Badiucao a été annulée pour des raisons de sécurité.

Cette décision fait suite aux menaces proférées par les autorités chinoises à l'encontre de l'artiste. Bien que les organisateurs aient de l'estime pour la liberté d'expression, la sécurité de nos partenaires demeurent une préoccupation majeure.

Badiucao a construit sa réputation sur Twitter, en dessinant des caricatures politiques qui défient la censure et la dictature en Chine. Le travail de l'artiste sino-australien a été présenté par The New York Times and The Guardian.

L'événement était vu par beaucoup comme une mise à l'épreuve des limites à la liberté d'expression à Hong Kong, qui jouit de plus de libertés que la Chine continentale selon le principe “Un pays, deux systèmes.” Ces dernières années, Pékin a affirmé son influence sur Hong Kong avec plus d'insistance. Celles et ceux qui supportent davantage de droits démocratiques, tels qu'un véritable suffrage universel ou l'indépendance, ont été confrontés à une féroce répression.

Les organisateurs n'ont pas précisé la nature des menaces reçues par l'artiste. Généralement assez transparent sur le net, il n'a cependant pas actualisé son compte Twitter depuis le 1er novembre.

Si Badiucao n'avait pas l'intention de se rendre à Hong Kong, il était toutefois censé participer à une table ronde par visioconférence avec l'activiste pro-démocratie Joshua Wong, les artistes hongkongais Sampson Wong et Oscar Ho et les manifestantes punk-rock russes Olga Kuracheva et Veronika Nikulshina, toutes deux membres du groupe Pussy Riot.

Bien que l'exposition ait été annulée, les intervenants ont décidé de poursuivre et d'organiser une discussion sur l'art et la liberté d'expression dans un petit studio. Ils ont retransmis l'événement en direct sur Facebook.

Cedric Alviani, Olga Kuracheva, Veronika Nikulshina et Joshua Wong. Image de Hong Kong Free Press. Photographie utilisée avec autorisation.

Le journal à but non-lucratif chinois The Stand News a effectué un reportage sur cette table ronde durant laquelle Sampson Wong a exprimé ses inquiétudes quant à la sécurité de Badiucao. Il a expliqué qu'il essaye d'entrer en contact avec l'artiste depuis le 2 novembre, mais que celui-ci n'a communiqué avec personne. Sampson Wong voyait l'exposition comme un test pour la liberté d'expression à Hong Kong. Il était déçu que davantage de personnes ne se soient pas manifestées contre les menaces de Pékin.

Oscar Ho, un professeur et critique artistique local, a été choqué par l'annulation. Il a souligné que les pratiques de censures de Pékin à Hong Kong étaient nébuleuses. On pense généralement que les Hongkongais “doivent savoir” où se situe la ligne rouge, seulement il existe relativement peu d'indications sur ce qui est permis ou non. Il a exprimé la volonté que les gens fassent preuve de plus de créativité dans la lutte contre la censure.

Joshua Wong a déclaré vouloir davantage d'échanges avec la société civile internationale, dans l'espoir que les réseaux internationaux puissent soutenir les groupes locaux à défendre la démocratie et la liberté.

Olga Kuracheva, la membre des Pussy Riot, a souligné l'importance du soutien public et de la solidarité populaire pour des personnes comme Badiucao :

We are very sorry to know that things are getting worse here. I think it is very important to be here now just to express our solidarity… I would advise people not to be afraid, because one voice is not so much…but voices of solidarity should sound loud. (Quote from Hong Kong Free Press’ report)

Nous sommes vraiment navrés de savoir que les choses empirent ici. Je pense qu'il est très important d'être ici aujourd'hui pour exprimer notre solidarité… Je conseillerais aux gens de ne pas avoir peur, car une voix isolée n'est certes pas grand-chose… mais les voix de solidarité devraient retentir puissamment (Citation issue du rapport de Hong Kong Free Press).

Olga Kuracheva et Veronika Nikulshina font partie des quatre membres des Pussy Riot qui ont purgé une peine de 15 jours de prison pour avoir manifesté contre le dirigeant russe Vladimir Poutine lors de la finale de la Coupe du monde de football, en juillet 2018 à Moscou. Elles ont déclaré que les menaces à l'encontre d'expositions ou d'événements artistiques politiques étaient “courantes” en Russie.

Cedric Alviani, de Reporters Sans Frontières, a souligné que Hong Kong était passé de la 18ème place en 2002 à la 70ème en 2018 dans le classement RSF sur l'index de liberté de la presse. Il estime que le meilleur moyen de supporter un artiste sous la menace est de diffuser son travail dans les espaces où il est possible de le faire.