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DJ Dolores, artiste brésilien de Mangue-beat : “La joie dérange peut-être le conservatisme”

vendredi 16 novembre 2018 à 14:38
DJ Dolores por Marcelo Lyra | djdoloresmusic.com

Le musicien DJ Dolores. Photographie : Marcelo Lyra/Diffusion.

L’une des attractions de l’édition 2018 du Festival de cinéma brésilien de Brasília fut l'atelier spécialisé de DJ Dolores (Hélder Aragão). Musicien, compositeur, créateur, il est aussi l’une des figures historiques de la scène culturelle brésilienne et un membre du mouvement Mangue-beat [fr] (ou Mangue-bit) de Recife – genre musical et collectif innovant réputé pour son alliance unique de sons agrémentés de musiques et de rythmes traditionnels de la culture du Pernambouc, dans le Nordeste brésilien, comme le maracatu [fr].

Au sein de ce mouvement, DJ Dolores a créé des jaquettes de disques et a réalisé des vidéoclips d’artistes comme Chico Science [fr] & Nação Zumbi [fr], Mundo Livre S/A et Eddie.

L'atelier de DJ Dolores portait sur la bande originale de « Lama dos Dias », série dont il est le coréalisateur. C’est une fiction qui traite de la trajectoire de Psicopasso, un groupe dont les sonorités mêlent l’agressivité du rock aux rythmes du maracatu, mais aussi une bande de copains de fac insatisfaits du système et qui fréquentent la scène musicale locale de la capitale du Pernambouc, Recife. Tout en racontant cette histoire, la série aborde aussi l'explosion culturelle qui a mis la ville en ébullition à la fin du XXe siècle.

Dans cet entretien aevc Global Voices, Dolores parle de la Lama (comme il aime appeler la série), de la musique du Brésil des années 90 et des émotions que le numérique ne permet plus de susciter. Une curiosité : Dolores a participé à la compilation du magazine Wired « Rip. Sample. Mash. Share. »

Global Voices (GV) : Une des choses qui a attiré mon attention dans le premier épisode de la série, c’est la scène où on voit que les nouveautés musicales se transmettaient par cassette audio. Comment se faisait l'accès aux sons que tu avais en tête dans les années 90 ?

DJ Dolores: Só tinha disco e cassete naqueles tempos. Se alguém gostava da mesma música que você gostava, automaticamente surgia uma amizade. A música era rara e o comportamento de compartilhá-la era uma das coisas boas que lembro. A gente copiava fitas, percorria grandes distâncias atrás da discos, de um VHS com shows ou videoclipes, etc. Acho que aquelas pessoas sentiam-se parte de uma espécie de confraria secreta em torno das canções.

DJ Dolores (DD) : Je n’avais que des disques et des cassettes à cette époque. Si quelqu’un aimait la même musique que toi, alors, automatiquement une amitié se nouait. La musique était rare et la partager reste l’un des bons souvenirs que j’en garde. Les gens gravaient les bandes, ils parcouraient des kilomètres pour trouver des disques, des VHS de concerts ou de vidéo-clips, etc. Je crois que les gens avaient le sentiment de faire partie d’une sorte de confrérie secrète autour des chansons.

GV : Tu as mentionné que tu ne voyageais que pour trouver de nouveaux disques. Comment perçois-tu le partage de la musique aujourd’hui ?

DD: É fácil, todo mundo tem acesso e o consumo é bem mais superficial. Eu lembro de entrar em estado febril quando achava um disco que queria muito. Hoje, você tem tudo à altura da ponta dos dedos. É ótimo mas não gera esse envolvimento emocional tão forte.

DD : C’est facile, tout le monde y a accès et la consommation est bien plus superficielle. Je me souviens que j’entrais dans un état fébrile quand je parvenais à trouver un disque que je désirais beaucoup. Aujourd’hui, tout est à portée de main. C’est super mais ça n’engendre pas un rapport émotionnel aussi fort.

Une scène de Lama dos Dias. Photographie : Canal Brasil/Diffusion.

GV : Tu as remixé une musique de Gilberto Gil [fr] pour l’édition classique de la revue Wired sur les licences Creative Commons (2004). Comment se sont déroulés les débats sur les licences à cette époque ?

DD: Havia uma resistência muito grande entre os mais velhos. A compreensão deles é que seriam atingidos no bolso. Na verdade, o CC é apenas uma forma de licença que faz quem quer. No Lama, por exemplo, usei uma música que estava sob CC. Como fizemos uso comercial, pagamos por isso. É uma forma alternativa de comercializar/distribuir/promover seu trabalho. Só isso.

DD : Il y avait une résistance très forte des plus anciens car ils pensaient que cela nuirait à leur rémunération. En vérité, les Creative Commons ne sont rien d’autre qu’une forme de licence que n’importe qui peut utiliser. Dans la Lama, par exemple, je me suis servi d’une musique sous licence CC. Comme nous en avons fait une utilisation commerciale, nous avons dû payer pour cela. C’est une façon alternative de commercialiser/distribuer/promouvoir son travail. Seulement ça.

GV : Revenons à Lama dos Dias, pourrais-tu nous en dire plus sur la bande originale et aussi sur tes choix concernant l’univers musical de la série ?

DD: Há várias camadas de trilhas: a primeira é a música da Psicopasso, que deveria soar tola no começo e ir gradualmente se sofisticando. A segunda é a trilha que toca nas rádios, nos discos, festas, etc… essa parte é uma espécie de paródia do que ouvíamos, é uma camada cheia de referências e foi muito divertido de fazer. Por fim, a terceira camada é a música feita para acentuar ambientes, climas, ações… É a parte que mais gosto e a que mais passa desapercebida pelo espectador.

DD : Il y a plusieurs niveaux : le premier est la musique de Psicopasso qui devait d’abord sonner bête puis de plus en plus sophistiquée. Le second est constitué de la musique diffusée par les radios, les disques, les fêtes, etc… cette partie est une espèce de parodie de ce que nous écoutions alors, c’est un niveau plein de références et c’était amusant à faire. Enfin, le dernier niveau de musique vient mettre l’accent sur les environnements, les climats, les actions… C’est la partie que je préfère mais c’est aussi celle qui passe la plus inaperçue auprès des spectateurs.

GV : Pendant l'atelier, tu as parlé du personnage de Negrita MC – une rappeuse, noire et chanteuse dans un groupe punk. Ce personnage a-t-il existé ou est-il une création résultant du mélange des souvenirs des auteurs ?

DD: Os personagens são frutos da mistura de várias pessoas que, de fato, existiram. Negrita é um ponto inventado: seria impossível ter uma mulher preta e periférica liderando uma banda de rap nos anos 90. Era um tempo muito mais machista que hoje…

DD : Les personnages sont le fruit d'un mélange de plusieurs personnes qui, de fait, ont vraiment existé. Negrita a été inventée : il aurait été impossible de trouver une femme noire, de la périphérie, à la tête d’un groupe de rap dans les années 90. C’était une époque bien plus machiste qu’aujourd’hui…

Boyzinha, personagem de Negrita MC (centro). Foto: Canal Brasil | Divulgação.

Boyzinha, personnage de Negrita MC (au centre). Photographie : Canal Brasil/Diffusion.

GV : La toile de fond de ces filles et de ces garçons comprenait les débuts du Mangue-beat et aussi une espèce de sentiment de décalage par rapport à un Brésil en crise. Comment conçois-tu le rôle des arts, et particulièrement de la musique, à cette époque ?

DD: Rapaz, éramos todos jovens, então não tinha tempo ruim. O país poderia afundar que a gente continuaria focado no que estava fazendo. Talvez seja exatamente a alegria que incomode tanto o conservadorismo. Nesse sentido, a música é um troço realmente revolucionário por criar mundos alternativos ao senso comum.

DD : Mec, nous étions tous jeunes, alors il n’y avait pas de mauvais moments. Le pays aurait bien pu sombrer que nous aurions continué à être focalisés sur ce que nous faisions. C’est peut-être précisément la joie qui dérange autant le conservatisme. En ce sens, la musique est une étape réellement révolutionnaire pour créer des mondes alternatifs au sens commun.

GV : Et aujourd’hui ? Quelle est la nouveauté de Recife ? Qu’est-ce qui t’a interpellé là-bas ?

DD: O Recife está em processo de se redescobrir. É um momento em que há bons destaques mas não uma coisa coletiva e poderosa.

DD : Recife est en train de se redécouvrir. C’est une période où on voit quelques bonnes choses se détacher mais il n’y a pas de mouvement de fond collectif et puissant.

GV : Pour terminer, cela fait quelques temps que tu fais la promotion de Lama dos Dias. Dans ce contexte, quelle est la question que l’on ne t’a jamais posée et à laquelle tu aurais aimé répondre.

DD: Nunca me perguntaram quem sou eu na série. Nem adiantaria porque eu não responderia. (Risos).

DD : On ne m’a jamais demandé qui j’étais dans la série. Ça n’avancerait rien parce que je ne répondrai pas (rires).

A propos de la série

Global Voices a pris contact avec Canal Brasil, qui a confirmé qu’au début, la série ne sera disponible que pour le public brésilien. En plus de DJ Dolores, la série « Lama dos Dias » a aussi pour co-créateur Hilton Lacerda, l’un des représentants « d’un millésime très fertile de cinéastes du Pernambouc » de la fin des années 80, à qui l’on doit les films Le Bal parfumé (1997) [fr] et Amarelo Manga (2002).

Au Mozambique, la boutique de vêtements “Hitler” change le nom et retire la croix gammée après des critiques sur les réseaux sociaux

jeudi 15 novembre 2018 à 00:53

La boutique Hitler au moment de la dénonciation | Photo utilisée avec autorisation de l’auteur

Une boutique de vêtements à Maputo, la capitale du Mozambique, a décidé de retirer le nom « Hitler » et la croix gammée nazie (svastika) [fr], de sa devanture à la suite de la vive polémique suscitée sur les réseaux sociaux dénonçant les propriétaires pour leur comportement commercial. Les nombreux signalements des internautes avaient entraîné le blocage de leur page sur Facebook.

La boutique se trouve dans l’un des plus grands centres commerciaux du pays, le Maputo Shopping Centre, situé dans une zone animée du centre-ville de la capitale mozambicaine, près du cabinet du Premier ministre et d’autres bâtiments publics, comme le Ministère des Affaires Étrangères.

L’établissement en question appartient à l’entrepreneur mozambicain Mohamed Bachir Suleman (MBS), mis en examen pour trafic de drogues en 2011 par le Département de la Sécurité des États-Unis.

Le nom Hitler figurait en lettres majuscules sur la vitrine principale de l’une des boutiques de MBS, tandis que le svastika nazi était collé sur la vitre de l’une des portes.

L’activiste sociale Fernanda Lobato, qui a qualifié cette situation de scandaleuse, a publié sur son mur Facebook :

Loja com o nome HITLER e com a suástica estampada no vidro da loja. Maputo Shopping. Como permitem este ultraje?

Boutique nommée HITLER et avec un svastika collé sur la vitrine. Maputo Shopping. Comment peut-on autoriser un tel outrage ?

La boutique Hitler au moment du dépôt de la plainte | Photo utilisée avec autorisation de l’auteur

La publication n’a pas tardé à recevoir de nombreux commentaires et partages, en majeure partie indignés. Sara Lopes, internaute et habitante de la ville de Maputo, par exemple, a écrit :

Eu nem entrava nessa [censurado] de loja! Mas quem é o imbecil que abre uma loja dessas com uma conotação tão racista e de um homem que defende a supremacia da raça ariana quando nem ele mesmo o era?

Moi, je n’entrerais même pas dans cette [censuré] de boutique ! Mais qui est l’imbécile qui peut ouvrir une boutique avec une telle connotation raciste et une référence à un homme qui défendait la suprématie de la race aryenne alors qu'il n'en faisait même pas partie ?

Pour sa part, Louisa Sousa, estime que c’est inacceptable et elle se demande comment cela est possible :

My God… my god… onde isto vai parar?? inaceitável… será que [os proprietarios] nao tem noçao do que esse tipo de ser “humano” fez a humanidade???… Quando o dinheiro fala mais que a dignidade humana… Quando o dinheiro vale tudo… Quando chega se a esse ponto daí ao abismo será o passo… infelizmente

Mon Dieu… mon dieu… où cela va-t-il s’arrêter ?? inacceptable… Se peut-il que les propriétaires n’aient aucune notion de ce que ce type d’être « humain » a fait à l’humanité ???… Quand l’argent parle plus que la dignité humaine… Quand l’argent est supérieur à tout… Quand on en arrive à ce stade-là, on est au bord de l’abîme… malheureusement.

La rappeuse, activiste sociale et avocate mozambicaine Iveth Marlene, estime que le gérant de la boutique a insulté l’humanité et que l’état du Mozambique, à travers le ministère des Affaires publiques, devrait engager des poursuites contre lui :

Um Estado com uma Constituição como a nossa não deveria nunca permitir isto! O que o fascismo fez com os negros? Quais eram os ideais do Hitler para Africa? Acima de tudo, o que Hitler fez a raça humana? As respostas a estas perguntas deveriam ser fundamento bastante para repudiar essa ideia comercial… Na verdade, essa loja é um insulto a nossa liberdade, moçambicanidade e nossa história por representar discriminação e genocídio a todas as raças em benefício e supremacia da raça ariana… A PGR [Procuradoria Geral da República] tem espaço para actuar aqui…não podemos aderir a Declaração Universal de Direitos Humanos por via da constituição e permitir isto de glorificar o maior genocida do mundo…

Un État doté d’une Constitution comme la nôtre ne devrait jamais permettre cela ! Qu’a fait le fascisme aux noirs ? Quels étaient les projets d’Hitler pour l’Afrique ? Et par-dessus tout, qu’a fait Hitler à la race humaine ? Les réponses à ces questions devraient suffire à rejeter cette idée commerciale… En vérité, cette boutique est une insulte à notre liberté, à la mozambicanité et à notre histoire parce qu’elle représente la discrimination et le génocide de toutes les races au bénéfice de la suprématie de la race aryenne. La PGR [Procureure générale de la République] dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour agir… nous ne pouvons pas adhérer à la Déclaration universelle des Droits de l’homme à travers la constitution et permettre la glorification du plus grand génocide du monde…

Certains ont bien tenté d'intervenir en faveur des propriétaires de la boutique arguant qu’il n’y avait probablement aucun lien avec le personnage d’Adolf Hitler, une hypothèse écartée par de nombreux internautes, comme l’activiste Benilde Mourana :

Algumas pessoas dizem que não vê problema em a loja assim se apresentar, até porque a suástica é um símbolo antigo, usado mesmo antes da entrada do regime fascista do Hitler . Pode até ser, mas, o nome associado ao símbolo para quem percebe um pouco da história há-de saber o que de facto representam, há coisas que não devem ser expostas pois põem em causa os alicerces de um Estado de direito democrático e de justiça social

Certaines personnes disent qu’elles ne voient pas où est le problème avec la boutique, notamment parce que le svastika est un symbole antique[fr], utilisé bien avant son introduction par le régime fasciste d’Hitler. Admettons, mais, toute personne qui connait un minimum l’histoire sait ce que représente ce nom associé à ce symbole. Certaines choses ne devraient pas être exposées parce qu’elles remettent directement en question les fondements d’un État de droit démocratique et de justice sociale.

Regina Carvalheira s’est montrée indignée par le fait qu’au cours du processus même de production du nom et du symbole, tout comme dans leur apposition sur la vitrine, personne apparemment n’a interpellé le propriétaire :

Realmente, neste País pode-se tudo! A quantidade de pessoas envolvidas no processo, desde a ideia do nome, o registo, quem aprovou; quem permitiu dentro do shopping, montes de pessoas e será que ninguém foi capaz de chamar à razão ao dono “disto”? And guess what? Nada vai mudar! O dono provavelmente ainda agradece esta exposição mediática

Vraiment, dans ce Pays, on peut faire n’importe quoi ! Le nombre de personnes impliquées dans ce processus, depuis l’idée du nom, son enregistrement, qui l’a approuvé, qui l’a autorisé à l’intérieur du centre commercial… un tas de gens, et personne n’a été capable d’attirer l’attention du propriétaire sur « ce truc » ? Et devinez quoi ? Rien ne va changer ! Le propriétaire doit même profiter du battage médiatique.

Pourtant, ce battage s'est avéré efficace, puisque deux jours après la publication sur Facebook, les propriétaires ont retiré le nom et le svastika de la devanture, comme en témoigne une autre publication de Nanda Lobato :

Amigos, estou sem palavras (….) O nome da loja com o nome Hitler foi apagado. O símbolo da suástica foi apagado. Viva o Estado de Direito Democrático. Viva os Direitos Humanos. Parabéns a todos nós que nos indignamos com esta situação. Fico feliz por o meu país não admitir que símbolos que dignifiquem atrocidades efectuadas à Humanidade se perpectuem aqui. E viva as Redes Sociais, que usadas para o bem, conseguem chamar a atenção contra atos contra os Direitos Humanos

Amis, je reste sans voix (…) Le nom de la boutique Hitler a été effacé. Le symbole du svastika aussi. Vive l’État de droit démocratique. Vive les Droits de l’homme. Félicitations à nous tous pour nous être indignés de cette situation. Je suis heureux de voir que mon pays n’admet pas que les symboles qui glorifient des atrocités commises contre l’humanité se perpétuent ici. Et vive les réseaux sociaux qui, utilisés à des fins utiles, parviennent à attirer l’attention sur des actes qui desservent la cause des Droits de l’homme.

Le sociologue Edgar Cubaliwa, propose que même après le retrait du nom et du symbole, personne n'aille faire d'achats dans la boutique, pour témoigner leur réprobation sans appel :

O nome e os símbolos foram apagados. Celebremos. Contudo, podemos continuar a mandar o recado para os donos: näo esquecemos…. O Nazismo saiu dos vidros mas não saiu da mente, do coração, da alma dos proprietários. E pessoas, não alimentem os discursos de desconhecimento de história por parte destes neonazistas. Esses fascistas conhecem muito bem a história, sabem o que fazem. Esse é o lado que escolheram. Agora cabe a nós sermos ou não aliados deles. Boicote.

Le nom et le symbole ont été effacés. Nous crions victoire. Cependant, nous pouvons continuer à envoyer le message aux propriétaires que nous n’oublions pas… Le nazisme a peut-être été effacé de la vitrine, mais il n’a pas quitté l’esprit, le cœur, l’âme des propriétaires. Et les gens n’alimentent pas les discours négationnistes de l’histoire provenant de ces néonazis. Ces fascistes connaissent très bien l’histoire, ils savent ce qu’ils font. C’est le camp qu’ils ont choisi. Maintenant, il nous appartient d’être leurs alliés ou non. Boycott.

L’internaute Dinho Lima a tenté, sans succès, d’entrer en contact avec les gérants de la boutique pour comprendre les raisons de ce choix de nom et de symbole. Il n’est pas clair non plus si le retrait a été influencé par les autorités mozambicaines après l’indignation des internautes.

“Tout art est politique” : Conversation avec Patricia Kaersenhout

mercredi 14 novembre 2018 à 19:28

“Guess Who is Coming to Dinner Too” [Devine qui vient également dîner], par Patricia Kaersenhout. Photographie de Aat Jan Renders, fournie par l'artiste et reproduite avec autorisation.

Les conversations sur la race et le racisme peuvent être particulièrement tendues aux Pays-Bas, où la tolérance est une valeur fondamentale. Pourtant, le grimage en noir d'une personne blanche (blackface) est toujours une particularité de la fête de Sinterklaas [équivalent du Père Noël, NdT], et le rôle des Pays-Bas dans le commerce transatlantique des esclaves est encore largement ignoré. Ces dernières décennies cependant, des intellectuels, des artistes, des militants et des écrivains ont exploré les limites de la tolérance néerlandaise. Une de ces artistes est la Néerlandaise d'origine surinamaise Patricia Kaersenhout.

La première œuvre de Patricia Kaersenhout que j'ai vue est son Guess Who's Coming to Dinner Too [Devine qui vient également dîner, NdT], sa réponse au Dinner Party [Le dîner] de Judy Chicago. Le Dinner Party est considéré comme “la première œuvre d'art féministe héroïque”, mais a été critiqué pour l'absence de femmes de couleur. Plus de quarante ans après Judy Chicago, Patricia Kaersenhout réagit avec une installation qui amène les femmes noires à cette table.

Dans cet entretien avec Global Voices, l'artiste parle de la diaspora africaine, de son art et du militantisme culturel.

Le racisme au Pays-Bas

Tori Egherman (TE) : Mes amis néerlandais non-blancs me disent que les Américains gèrent mieux le racisme. Ça m'a rendue perplexe, car l'impact du racisme est clairement pire aux États-Unis.

Patricia Kaersenhout (PK): It’s out in the open in the United States. Americans “do” race. Even though I find it difficult when I go to the States and encounter this blunt open racism, and I think oh my, here we go again, at least it’s out in the open. What happens here [The Netherlands] is under the skin. It’s less visible. You feel it. You know it. But it’s always that you are questioning whether or not what you are experiencing is racism. You ask yourself, is this really what I am experiencing?

The Dutch don’t do race. But now there is a black voice, a voice of color, that speaks back. Black people and people of color are no longer in a state of confusion about race. We know we are experiencing racism.

Of course, the scholars Gloria Wekker and Philomena Essed have been very important when it comes to this discussion. Now there is a narrative about the Netherlands and race, and many Dutch don’t like that narrative. They see themselves as kind and liberal and open to everybody. But this liberal attitude is really a way of earning money. It brings in a lot of tourists and a lot of expats who want to be here — it’s a money thing. They earn money with this so-called liberal and open society. But the question is: how liberal and open are you when you only tolerate the other when they behave the way you want them to behave? That’s not tolerant. That’s why I hate the word tolerance.

Patrica Kaersenhout (PK) : C'est que c'est public aux États-Unis. Les Américains “traitent” le sujet. Même si je trouve ça difficile, quand je me rends aux États-Unis et suis confrontée à ce racisme franc et ouvert, et que je me dis Et voilà, c'est reparti, au moins c'est public. Ce qui se passe ici [aux Pays-Bas] est intériorisé. C'est moins visible. Vous le ressentez. Vous le savez. Mais vous vous demandez toujours si ce dont vous êtes en train de faire l'expérience est du racisme ou pas. Vous vous demandez, Est-ce que c'est vraiment ce qui m'arrive ?

Les Néerlandais ne traitent pas le sujet de la race. Mais maintenant il y a une voix noire, une voix de couleur, qui parle noir. Les Noirs et les gens de couleur ne sont plus dans un état de confusion sur la race. Nous savons que nous en faisons vraiment l'expérience.

Bien entendu, des intellectuelles comme Gloria Wekker et Philomena Essed ont joué un rôle très important dans cette discussion. Il existe maintenant un commentaire sur les Pays-Bas et la race, et peu de Néerlandais l'apprécient. Ils se voient bons, libéraux et ouverts à tous. Mais cette attitude libérale n'est en fait qu'une façon de gagner de l'argent. Elle amène beaucoup de touristes et d'expatriés qui veulent être ici : c'est une question d'argent. Ils gagnent de l'argent avec cette société soi-disant libérale et ouverte. Mais la question, c'est : à quel point êtes-vous libéral et ouvert, quand vous ne tolérez l'autre que quand il se comporte comme vous voulez qu'il se comporte ? Ce n'est pas de la tolérance. C'est pour ça que je déteste ce mot.

TE : J'adorais ce mot jusqu'à ce que je m'installe ici…

PK: Power structures for privilege are passed down from generation to generation, sometimes without even understanding how they work. Let me give you an example. A teacher asks the children in her class to crumple a piece of paper and throw it into the trash can. The first row of students has no problem. For each successive row, it is more difficult. The teacher asks the children if this was a difficult task. Of course, those in front say no. Then she asks, “Did you ever think to look behind to see how the others were doing?” That’s privilege.

PK : Les structures du pouvoir sont transmises de génération en génération, parfois même sans comprendre comment elles fonctionnent. Permettez-moi de vous donner un exemple. Une institutrice demande aux enfants de sa classe de froisser une feuille de papier et de la lancer dans la poubelle. La premiere rangée d'élèves n'a aucun probleme. C'est de plus en plus difficile pour chaque rangée successive. L'institutrice leur demande ensuite si ça l'était, difficile. Bien entendu, les élèves du premier rang répondent non. Elle leur demande alors : “Avez-vous pensé à vous retourner pour voir comment les autres s'en sortaient ?” C'est ça, le privilege.

Défigurer l'histoire

Issu de la série “The Dream of 1000 Shipwrecks” [le Rêve de 1 000 naufrages, NdT], par Patricia Kaersenhout. Pendant sa scolarité aux Pays-Bas, elle n'a pas appris le rôle du pays dans le commerce transatlantique des esclaves. “Parlons plutot du commerce des esclaves par les Américains,” lui ont dit ses professeurs. L'un de ses premiers projets artistiques a inclus la défiguration de livres d'histoire. Image fournie par l'artiste et reproduite avec autorisation.

TE : Que pouvez-vous me dire sur votre défiguration des livres d'histoire ?

PK: That’s my meditation. It helps me relieve my anger. It reminds me of when we got to the Dutch slave trade in school and the teacher said, let’s skip it. We’ll talk about the American slave trade instead. It made me angry, this erasing of my history. But when I talked to my mother, she also said let’s not talk about it. It’s too painful. At a certain point, I felt a need to do something about these books. Maybe it was a way to take revenge on them. If it’s not about me, that my history as a black woman is not included in this history, why not do with it what I want to?

This is also a project which evolved. I started to do this at the Decolonial Summer School where I teach. Most of the students are privileged. Books are sacred to them. Books with white history are sacred. I needed to de-sanctify this knowledge. I needed to create a feeling of discomfort and pain because this creates a different awareness. So I had them mutilate the books. I told them they had to do it meticulously and consciously, being aware of what they’re doing. It was so difficult for them. They felt so many emotions. They were crying. And while they were doing it, I walked around them in circles reading a poem I wrote, “The Daughter of Diaspora.” While they were cutting holes in history, I was filling the holes with my words. It was a way of reclaiming my place in history. Afterward, I asked what happened? Some of them were crying. Students of color were angry. They felt that they could finally do something with all this knowledge that had been forced upon them. I did this a couple of times with different groups of young people and every time it evokes so many emotions.

PK : C'est ma méditation. Ca m'aide à me soulager de ma colère. Ca me rappelle que quand, à l'école, on en est arrivé au commerce des esclaves par les Néerlandais, le professeur nous a dit : On va sauter ça. Parlons plutot du commerce des esclaves par les Américains. Ça m'a mis en colère, cet effacement de mon histoire. Mais quand j'en ai parlé à ma mere, elle m'a aussi répondu de ne pas en parler. C'est trop douloureux. À un moment, j'ai ressenti un besoin de faire quelque chose à propos de ces livres. Peut-être que c'était une facon de me venger d'eux. S'ils ne portent pas sur moi, si mon histoire de femme noire n'est pas incluse dans cette histoire, alors pourquoi ne pas en faire ce que je veux ?

C'est aussi un projet qui a évolué. J'ai commencé à l'Université d'été de la décolonisation où j'enseigne. La plupart des étudiants sont issus d'un milieu priviliégié. Pour eux, les livres sont sacrés. Les livres de l'histoire blanche sont sacrés. J'avais besoin de dé-sanctifier ce savoir. J'avais besoin de créer un sentiment d'inconfort et de douleur parce que ceci génère une conscience différente. Alors je les ai fait mutiler les livres. Je leur ai dit qu'ils devaient le faire méticuleusement, conscients de ce qu'ils étaient en train de faire. Ça leur était tellement difficile. Ils ont ressenti tant d'émotions. Ils pleuraient. Pendant qu'ils étaient occupés, je marchais parmi eux en lisant un poème que j'avais écrit, “The Daughter of Diaspora” [la Fille de la diaspora, NdT]. Pendant qu'ils découpaient des trous dans l'histoire, je les remplissais avec mes mots. C'était une facon de reconquérir ma place dans l'histoire. Après coup, je leur ai demandé ce qui s'était passé. Certains pleuraient. Les étudiants de couleur étaient en colère. Ils ont eu le sentiment qu'ils pouvaient enfin faire quelque chose de tout ce savoir qui leur avait été imposé. J'ai fait ça une ou deux fois avec des groupes de jeunes gens différents et à chaque fois, ça évoque tellement d'émotions.

Se modérer

TE : Depuis que je suis aux Pays-Bas, on m'a souvent dit que je parle trop fort, que je suis trop émotive, et que ma voix porte trop. Je ne serai jamais capable de parler d'un ton égal. Ma voix est conflictuelle pour de nombreux Néerlandais. J'ai remarqué qu'aux Pays-Bas, de nombreuses femmes prospères non-blanches chuchotent. Vous aussi. En êtes-vous consciente ?

PK: Yes I am. I’ve heard that before. I think it has to do with having children. When they were little I was really good at soothing them by making my voice lower and calmer, and it sort of stayed that way.

But this is a good question. I am thinking of the generation of my mother. I am thinking about how voice changes depending on who is in front of you. Because if you are with a group of Black women, it’s loud. It’s really loud.

It really depends. Amongst each other it gets loud.

PK : Oui, je le suis. J'ai déja entendu ça. Je pense que ça a quelque chose à voir avec le fait d'avoir des enfants. Quand ils étaient petits j'étais vraiment douée pour les calmer en adoucissant et en baissant ma voix, et c'est un peu resté.

Mais c'est une bonne question. Je pense à la génération de ma mère. Je pense à la facon dont la voix change selon la personne qui est en face de vous. Parce que si vous êtes dans un groupe de femmes noires, c'est bruyant. C'est vraiment bruyant.

Ca dépend vraiment. Entre nous, ça devient bruyant.

“Handle with Care” : Manipuler avec précaution

“The Mantle of Love” [le Manteau de l'amour, NdT], du projet “Handle With Care” [Manipuler avec précaution, NdT] par Patricia Kaersenhout et Jimini Hignett. Il réagit au trafic de femmes vulnérables aux Pays-Bas, dans l'Afrique sub-saharienne et dans les Balkans. Les artistes ont rassemblé des témoignages et réagi par le théatre et l'art. Photographie de Gert Jan van Rooij d'une exposition de 2013 au Musée Tropen d'Amsterdam, fournie par l'artiste et reproduite avec autorisation.

PK: I just returned from Albania where I was preparing a project started with my dear friend Jimini Hignett in 2013. The project is on forced prostitution and female trafficking. It’s really under my skin what’s happening there.

Jimini is doing interviews with survivors of human trafficking. It’s too painful for me. I get too emotional. With local women, I am making a carpet with red female clothing. It’s called the Mantle of Love. The carpet is about covering up the things which are painful in society.

Even though I am thinking of handing the project to Jimini, I want to keep on supporting her. The project will travel from Albania to Macedonia to Kosovo and in the region. There will be media attention and we hope to provoke public discussion on the issue. We hope that politicians will make a decision to address human trafficking.

PK : Je rentre tout juste d'Albanie, où je préparais un projet commencé avec ma chère amie Jimini Hignett en 2013. Il porte sur la prostitution forcée et la traite des femmes. Ce qui se passe là-bas m'atteint vraiment.

C'est Jimini qui interviewe des survivantes de la traite humaine. C'est trop douloureux pour moi. Je deviens trop émotive. Je fabrique avec des femmes locales un tapis fait de vêtements féminins rouges. Il s'appelle le Manteau de l'amour, et il traite de la dissimulation des choses qui sont trop pénibles en société.

Bien que je songe à passer ce projet à Jimini, je veux continuer à la soutenir. Il va voyager de l'Albanie à la Macédoine, au Kosovo et dans la région. Il recevra une couverture médiatique et nous espérons provoquer une discussion publique sur ce probleme. Nous espérons que les politiciens s'attaqueront au trafic d'êtres humains.

“Soul of Salt” : l'Âme du sel

TE : Dans un musée, j'ai vu une sculpture de Duane Hanson d'un policier en train de frapper un homme noir. Elle m'a touchée, mais je ne l'ai partagée, exprès, parce que j'ai pensé à ce que vous avez dit, comme quoi il ne fallait pas toujours montrer de la violence envers les corps noirs. Je me suis dit que c'était suffisant d'avoir vu et ressenti cette sculpture et que je n'avais pas besoin de la partager. Peut-être est-ce particulièrement vrai parce que je suis blanche. J'ai ensuite pensé à votre projet “l'Âme du sel”, à la façon dont ce travail porte sur la guérison d'une douleur générationnelle.

PK:  Walter Mignolo talks about “the de-colonial aesthetic” — aesthesis — from the Greek word feelings, to evoke feelings. Decolonial aesthetics/aesthesis is not just about creating a beautiful piece of art, decolonial work evokes feelings of grief, sadness, and sorrow. It evokes history and the erasing of history and the things that have been done to so many marginalized groups by the dominant culture… So because I had the theory and the ingredients, the pieces of the project fell together.

I first made an installation with fabrics to represent displacement and accompanied by a mountain of salt. I had already heard the legend that Africans brought over as slaves refrained from eating salt with the idea that they would become light enough to fly back to where they came from in Africa. So I had 147 kilos of salt, referring to 147 years of abolition, and I thought it would become a mountain, but it was a really tiny mountain. This has no impact, I thought. I need to do this differently.

So I thought about making something even bigger, with only salt. For the celebration of 150 years of abolition, I was invited to make the mountain of salt. I thought the mountain of salt needs to have more impact. I started working with these undocumented refugee women who had cut themselves off from the men. And I thought, how can I support them, also financially? So I brought them into the project. And then I learned this 19th-century slave song and thought, what if they also learn the song? I found all this through serendipity.

And then I thought, it’s not enough to do a performance. The salt needs to be blessed. So I approached this spiritual woman, Marjan Markelo, and asked her, why not do a ceremony? She agreed to do this because salt is a very important element in the Afro-Caribbean tradition. And then I thought, we also need to do something with the audience. Otherwise, they are just observers. And no one gets to touch the art. So I thought, let’s have them touch the artwork, bring some salt home with them. And now I am talking to another spiritual leader because I am not totally satisfied. I really want to do more with the ritual of bringing the salt home. It should be a ritual. There should be words. There should be song.

I brought some salt home from Palermo's Manifesta 12 where “The Soul of Salt” is on display. The salt is also migrating. Moving from one place to another. Salt from Amsterdam is in Senegal and now I have salt from the Mediterranean in Amsterdam.

Bonaire gave me 8,000 kilos of salt. In Bonaire, there are huge salt planes. But I have to arrange transport and that is too difficult. So a friend said, why don’t you go there? Do the project there? So I am talking to a woman about doing the ceremony in Bonaire and then Aruba and then Curacao.

These things happen when you are working. You cannot plan or invent. It happens because you are working.

PK : Walter Mignolo parle de “l'esthétique décoloniale”, du grec aesthesis pour sentiments, sensations. L'esthétique décoloniale ne consiste pas qu'à créer une belle œuvre d'art, elle évoque des sentiments de chagrin, de tristesse et de peine. Ce travail évoque l'histoire, l'effacement de l'histoire et ce qui a été fait à tant de groupes marginalisés par la culture dominante… J'avais la théorie et les ingrédients, les morceaux du projet se sont emboîtés tous seuls.

J'ai d'abord fabriqué une installation avec des tissus pour représenter le déplacement, et l'ai accompagnée d'une montagne de sel. J'avais entendu parler de la légende selon laquelle les Africains amenés en tant qu'esclaves s'abstenaient de manger du sel pour qu'ils deviennent suffisamment légers pour voler et rentrer chez eux en Afrique. J'ai donc obtenu 147 kg de sel, représentant les 147 années depuis l'abolition [de l'esclavage], et j'ai pensé que ça ferait une montagne. Mais c'était une toute petite montagne. Elle n'avait aucun impact, je devais procéder différemment.

J'ai alors réfléchi à faire quelque chose de plus grand, avec uniquement du sel. Pour la célébration des 150 ans de l'abolition, j'ai été invitée à construire la montagne de sel. Je me suis dit qu'elle devait avoir plus d'impact. J'ai commencé à travailler avec des réfugiées sans papiers qui s'étaient séparées des hommes. Et je me suis demandée, Comment pourrais-je les soutenir, y compris financièrement ? Je les ai donc incluses dans le projet. Et puis j'ai appris cette chanson d'esclaves du XIXe siècle et ai pensé, Et si elles l'apprenaient ? J'ai trouvé tout ça par d'heureux hasards.

Ensuite j'ai pensé, Ce n'est pas assez de faire une représentation. Le sel doit être béni. J'ai donc abordé cette femme spirituelle, Marjan Markelo, et lui ai demandé, Pourquoi ne pas organiser une cérémonie ? Elle a accepté parce que le sel est un élément très important dans la tradition afro-caribéenne. Je voulais aussi faire quelque chose avec le public. Sinon, il ne fait qu'observer, et personne n'a l'occasion de toucher l'art. Alors j'ai décidé de les laisser toucher l'installation et ramener un peu de sel chez eux. Là je discute avec un autre leader spirituel parce que je ne suis pas totalement satisfaite. Je veux vraiment faire quelque chose de plus avec le rituel de ramener du sel avec soi. Ça devrait être un rituel. Il devrait y avoir des paroles. Il devrait y avoir des chants.

J'ai apporté un peu de sel de Manifesta 12, à Palerme, où l'Âme du sel était installée. Le sel aussi migre. Bouge d'un endroit à un autre. Le sel d'Amsterdam est au Sénégal et maintenant j'ai du sel de la Méditerranée à Amsterdam.

Bonaire m'a donné 8 000 kg de sel. À Bonaire, il y a d'énormes avions pour le sel. Mais je dois organiser le transport et c'est difficile. Un ami m'a suggéré, Pourquoi ne vas-tu pas là-bas, faire le projet là-bas ? Du coup, je suis en discussion avec une femme pour organiser la cérémonie à Bonaire, puis Aruba et ensuite Curaçao.

Ces choses se passent pendant que le travail est en court. Vous ne pouvez pas les planifier ni les inventer. Elles arrivent parce que vous travaillez.

TE : C'était intéressant de voir l'ancienne reine des Pays-Bas prendre du sel de votre installation, tout en sachant que ce sel représente les erreurs du passé, de son passé.

PK: Yes, the royal family is the result of colonialization. We are all suffering from the wounds of colonialization. Not just the oppressed, but the oppressor as well. It’s easier to identify yourself as a victim than perpetrator. There is a wound.

PK : Oui, la famille royale est le résultat de la colonisation. Nous souffrons tous des blessures de la colonisation. Les oppressés, mais les oppresseurs aussi. C'est plus facile de s'identifier à une victime qu'à un criminel. Il y a une blessure.

TE : Cela me fait penser à votre projet sur les femmes du Dahomey [aujourd'hui le Bénin]. D'un côté, elles kidnappent et vendent des gens. D'un autre côté, elles sont de courageuses guerrières et résistantes.

PK: We all have ways in which we are a victim and a perpetrator. When we talk about the transatlantic slave trade, there is a difference. Yes, small-scale slavery existed in Africa. Even so, enslaved people were seen as human beings, not as a commodity. They could become part of the family. Being brought to the New World as animals were something done by colonizers. That is an important difference. It’s a different kind of slavery. Europeans were also sold as slaves, people say. Yes. Slavery is very old. But we are still feeling the consequences of the transatlantic slave trade.

PK : Nous avons tous en nous une façon d'être une victime et un criminel. Quand on parle du commerce des esclaves, il y a une différence. Oui, l'esclavage à petite échelle existait en Afrique. Mais même ainsi, les gens asservis étaient considérés comme des êtres humains, pas comme des objets. Ils pouvaient faire partie de la famille. Être amené au Nouveau Monde comme des animaux, c'est quelque chose qui a été fait par les colons. C'est une différence importante. C'est un autre genre d'esclavage. Les Européens étaient eux aussi vendus comme esclaves, disent les gens. Oui. L'esclavage date de longtemps. Mais nous ressentons encore les conséquences du commerce transatlantique des esclaves.

“All art is political” : Tout art est politique

Photographie de la représentation de Patricia Kaersenhout, “A History of Grief.” [une Histoire de la douleur, NdT], Die Volksbuhne Berlin 2016. Photographie de Miguel Gomez, fournie par l'artiste et reproduite avec autorisation.

PK: Some of my Dutch students come in and say, my work is about nothing. I say study something else. Do advertising. Art is not about nothing. Art students are supposed to be the new avant-garde. Art is not nothing.

This feeling that art can be about nothing is embedded in the national innocence.

At art school, they said that my work was too narrative. So I said this is a good starting point. I’ll make it more narrative. I tell the critics, my culture is narrative. We share our history through stories because you won’t write about our history.

All art is political.

PK : Parmi mes étudiants néerlandais, certains viennent me voir et me disent : Mon art ne porte sur rien. Je leur réponds d'étudier autre chose. Allez dans la publicité. L'art ne porte pas sur rien. Les étudiants en art sont sensés être la nouvelle avant-garde. L'art n'est pas rien.

Ce sentiment que l'art peut ne porter sur rien est inscrit dans l'innocence nationale.

À l'école d'art, on m'a dit que mon travail était trop narratif. Je leur ai répondu que c'était un bon point de départ. J'allais le rendre encore plus narratif. Je dis aux critiques que ma culture est narrative. Nous partageons notre histoire à travers des récits parce que vous ne voulez pas écrire notre histoire.

Tout art est politique.

Les rhinocéros noirs du Zimbabwe risquent l'extinction alors que la Chine autorise le commerce de leurs cornes

mercredi 14 novembre 2018 à 00:06

Rhinocéros noir [fr]. Photographie de Lucas Alexander, Wikipedia Commons.

Le 31 octobre 2018, le gouvernement chinois a publié une déclaration annulant l'interdiction des vingt-cinq dernières années de commercialiser des os de tigres et des cornes de rhinocéros. Il est désormais légal d'utiliser ces parties “obtenues sur des animaux en captivité, pour des raisons scientifiques, médicales ou culturelles.”

Le Conseil des affaires de l'État affirme que des cornes de rhinocéros et des os de tigres morts pourront être utilisés sous forme de poudre dans “des hôpitaux qualifiés par des médecins qualifiés”. Les produits animaux doivent être obtenus dans des fermes agréées, et les parties animales classifiées comme des “objets d'antiquité” qui peuvent faire partie “d'échanges culturels si approuvés par les autorités culturelles”.

L'annonce inquiète les écologistes qui prédisent une recrudescence de la demande en cornes de rhinocéros, dans un marché noir déjà actif et marqué par le braconnage.

Les écologistes affirment que cette décision est un revers significatif pour les efforts de protection des animaux contre l'extinction, et qu'elle menacera davantage les quelques 30.000 rhinocéros et 3.900 tigres qui vivent encore dans la nature.

Rien qu'en deux mois, jusqu'en octobre 2018, des braconneurs ont abattu quatre rhinocéros noirs. L'Autorité de gestion des parcs et de la nature du Zimbabwe soupçonne le même groupe d'avoir conduit les quatre tueries, mais aucune arrestation n'a eu lieu. Le braconnage a mis les ressources insuffisantes des parcs nationaux du Zimbabwe a rude épreuve et a rendu ces parcs vulnérables aux attaques.

Sur Twitter, la protectrice des animaux Sharon Hoole a publié une photographie sanglante d'un rhinocéros mutilé et se lamente :

So sad! Our wildlife soldiers must remain vigilant. The country is burning. Lawlessness is high. Wildlife crimes with impunity on the rise. Greedy wildlife ranchers and rangers selling out. Who will stand for life?

C'est tellement triste ! Nos soldats de la nature doivent rester vigilants. Le pays est en feu. Le non-droit règne. Les crimes contre les animaux sauvages augmentent en toute impunité. Des éleveurs et des gardes forestiers rapaces trahissent. Qui défendra la vie ?

L'annonce de la Chine a porté un coup dur aux défenseurs de l'environnement au Zimbabwe : ceux-ci doivent déjà faire face à un sévère manque de fonds à cause de la crise économique de la nation, qui s'aggrave.

Alors que le président récemment élu Emmerson Mnangagwa peine à mettre en place des réformes structurelles, le pays se remet tout juste d'une autre nouvelle : l'ancienne première dame Grace Mugabe (l'épouse du président déposé Robert Mugabe) est soupçonnée d'être impliquée dans un réseau de commerce illégal d'ivoire aux plus hauts échelons du gouvernement. Dès ses premiers mois au pouvoir, M. Mnangagwa a publiquement insisté sur les efforts de son gouvernement pour protéger l'environnement, en opposition à la “trafiquante d'ivoire corrompue” Grace Mugabe.

Malgré cela, les écologistes affirment toujours manquer des ressources nécessaires pour améliorer la sécurité et augmenter la capacité de surveiller et de poursuivre les braconneurs dans les parcs nationaux du pays. Ils craignent que l'annulation partielle de l'interdiction chinoise ne fasse qu'empirer la situation.

Le Zimbabwe abrite la quatrième population de rhinocéros du monde en nombre. Des groupes de braconneurs organisés sont connus pour mutiler les rhinocéros en les amputant de leurs cornes et en les laissant mourir d'une mort lente et douloureuse.

Pour certains défenseurs de l'environnement, c'est une guerre qui est menée contre les rhinocéros noirs. Pas seulement au Zimbabwe, mais dans les quatre pays où les rhinocéros noirs vivent, en danger critique d'extinction selon WWF [fr]. Sans intervention urgente, ils pourraient disparaître.

Le directeur d'une télévision algérienne attaque en diffamation des journalistes indépendants

dimanche 11 novembre 2018 à 17:51

Portrait peint du président algérien Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, qui brigue un cinquième mandat. Photo: Thierry Ehrmann, avec l'aimable autorisation de Organ Museum

Deux journalistes algériens ont été relâchés le 8 novembre, après plus de deux semaines en détention sur des accusations de diffamation.

La police a arrêté Abdou Semmar, rédacteur en chef d’Algérie Part et ancien contributeur de Global Voices, en compagnie de l'un des journalistes du site, Merouane Boudiab, le 23 octobre, après qu'Anis Rahmani, le directeur de la télévision privée Ennahar, a porté plainte contre eux pour diffamation. Une autre plainte a été déposée par le gouverneur d'Alger, Abdelkader Zoukh.

Un tribunal d'Alger a ordonné le 8 novembre la remise en liberté des deux journalistes dans l'attente d'un complément d'enquête. Le procureur a requis un an de prison et une amende de 100.000 dinars algériens (738 euros), tandis que les avocats de Rahmani et Zoukh réclament des dommages et intérêts de respectivement 2 millions (14.760 euros) et 50 millions de dinars (369.000 euros) dans un procès civil contre les journalistes.

Algérie Part a réalisé une couverture extensive des allégations de corruption contre Zoukh. Le site a aussi critiqué Rahmani et son groupe de médias, rapportant que la télévision Ennahar diffuse mensonges et erreurs. Pourtant aucun des plaignants n'a indiqué publiquement ce qu'ils avaient trouvé de diffamatoire dans les articles d'Algérie Part.

Bien qu'Ennahar appartienne au secteur privé, on lui attribue des liens étroits avec le pouvoir. Les diffuseurs privés en Algérie doivent obtenir une autorisation de l'Etat pour opérer. Un rapport par pays de 2016 de Freedom House a écrit que la réglementation “limite étroitement la latitude avec laquelle les chaînes privées peuvent fournir des programmes indépendants d'information, en partie en restreignant le temps d'antenne consacré aux actualités.”

Algérie Part décrit sa ligne éditoriale comme “totalement indépendante” et fondée sur les “valeurs civiques”. Le site web donne la priorité à la couverture des nouvelles et informations en rapport avec le développement, la justice, les droits humains, les protestations socio-économiques, la gouvernance et la corruption. Il soutient aussi explicitement le droit à la libre expression. 

Avant les arrestations, Algérie Part et ses journalistes ont été les cibles d'une campagne de menaces en ligne et de cyberattaques.

Le 17 octobre, L'organisation de défense des droits numériques Internet Sans Frontières, à Paris, dont Semmar est un des correspondants, publiait une déclaration dénonçant la campagne :

Internet Sans Frontières est extrêmement alarmée par la multiplication des campagnes de cyberharcèlement dont sont victimes journalistes, blogueurs et activistes qui enquêtent sur la mauvaise gouvernance, en particulier la corruption, au sein de l’État et des milieux d’affaires, en Algérie. C’est le cas en particulier des journalistes du site internet d’investigations Algérie-Part, régulièrement cibles d’attaques diffamatoires, de menaces, de procédures judiciaires abusives, d’attaque DDoS, de harcèlement incessant sur Internet.

Ce n'est pas la première fois que Semmar subit pareilles menaces. En 2015, une émission télévisée satirique à l'animation duquel il participait a été supprimée sous l'effet de  pressions politiques.

Un troisième journaliste, Adlène Mellah, directeur des sites web d'information Algérie Direct et Dzair Presse, a lui aussi été arrêté le 22 octobre, date coïncidant avec la Journée nationale de la liberté de la presse en Algérie. Son arrestation a également suivi une plainte de Rahmani. Il reste quant à lui en prison et devrait comparaître le 11 novembre. Mellah et son rédacteur en chef Khelaf Benhadda avaient aussi été arrêtés en juin 2018 pour avoir traité une affaire de trafic de cocaïne.

‘Nous ne sommes pas des ennemis’

En décembre 2016, le journaliste et blogueur algérien Mohammad Tamalt est mort de sa grève de la faim pour protester contre son arrestation. A l'époque, Tamalt purgeait une peine de deux ans de prison pour avoir publié sur Facebook un poème et une vidéo contenant des propos jugés offensants pour le président Bouteflika et le premier ministre d'alors, Abdelmalek Sellal.

Deux ans après la mort de Tamalt, la situation en matière de liberté de la presse demeure précaire. Les voix et journalistes indépendants qui traitent de la corruption, des bavures policières et des manifestations sont exposés aux menaces judiciaires des autorités étatiques, de même que ceux qui écrivent sur le président Abdelaziz Bouteflika, qui est en poste depuis 1999.

En mai de cette année, un tribunal de Bejaia a condamné le blogueur Merzoug Touati à dix ans de prison pour avoir mené et publié en ligne un entretien avec un responsable israélien dans le cadre de sa couverture des manifestations anti-austérité de début 2017. 

Said Chitour, un journaliste indépendant et fixeur pour les médias internationaux dont la BBC, France24 et le Washington Post, a passé 17 mois en détention. Les autorités l’accusent de “transmission de renseignements à une puissance étrangère”, crime passible d'emprisonnement à perpétuité sous l'article 65 du code pénal, a indiqué Reporters sans Frontières.

Dans un message adressé aux journalistes algériens pour la Journée nationale de la liberté de la presse, le président Bouteflika a souligné “l'importance de développer une presse professionnelle et indépendante” dans le pays. Pourtant le pouvoir algérien persiste à traiter certains journalistes en adversaires.

“Quand nous dénonçons la corruption et le favoritisme, c'est un acte de patriotisme. Ce n'est pas par haine de notre pays,” déclarait Semmar dans une vidéo la veille de son arrestation. “Nous ne sommes pas les ennemis de l'Algérie. Nous sommes un acteur de stabilité, cherchant à conduire le pays dans la bonne direction”.

Tout en saluant le message de Bouteflika comme “positif”, il a appelé les autorités à respecter les droits des journalistes :

Ce qu'il faut aux journalistes, ce ne sont pas des hommages pendant des cérémonies. C'est le respect de leur dignité et de leur liberté, et la possibilité de travailler dans un cadre judiciaire [favorable].

Des élections auront lieu en avril 2019, et Bouteflika briguera à 82 ans un cinquième mandat présidentiel. Les journalistes sont inquiets que la répression ne fasse que s'intensifier dans une tentative de bâillonner toute information et analyse critique sur les dirigeants cherchant à se faire réélire.