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Un projet thaïlandais de protection des requins

mardi 22 octobre 2013 à 21:23

Le projet thaïlandais eShark [en anglais] a été lancé suite à l'annonce de la baisse de 95% des observations de requins en Thaïlande.

Les résultats du projet thaïlandais eShark vont être utilisés pour sensibiliser au déclin des populations de requins en Thaïlande. Ils vont également aider à améliorer la mise en oeuvre du parc marin et à renforcer l'importance des zones interdites de pêche. 

#FreeBoussa : Indignation au Maroc contre le procès du baiser d'adolescents en public

mardi 22 octobre 2013 à 21:22
Moroccan Adolescents On Trial for Kissing in Public Photocredit: Facebook

Des adolescents marocains devant la justice pour un baiser en public
Crédit photo : Facebook

Trois jeunes Marocains ont été arrêtés le 3 octobre à Nador dans la région du Rif, au nord-est du Maroc. Les adolescents sont des amoureux de 15 et 14 ans et leur photographe de 15 ans. Leur crime : avoir mis en ligne sur Facebook une photo du couple en train de s'embrasser à l'extérieur de leur lycée. Dans la loi marocaine, cela peut se traduire par attenter à la “décence publique.”

La région montagneuse du Rif dépasse notoirement en conservatisme musulman un Maroc déjà conservateur. De telles photos publiques osées choquent. Un autre baiser en public a provoqué cette réaction violente d'un badaud :

L'homme furieux de la vidéo crie une insulte au jeune couple et traite d'irrespectueux de tels actes dans un pays musulman.

L'arrestation a immédiatement déclenché un tollé chez les compatriotes internautes et les utilisateurs de réseaux sociaux à travers le monde. #Freeboussa, liberté d'embrasser en arabe, est depuis l'arrestation le nouveau buzz des médias sociaux.

L'affaire a fait le tour des médias de l'Amérique du Nord à la Nouvelle Zélande, mais en contournant le Moyen-Orient.

Le scandale de cette incrimination ne s'est pas limité aux médias sociaux. Des Marocains ont créé des événements sociaux contestataires pour défier les autorités en s'embrassant publiquement, comme cette manifestation de baisers samedi 12 octobre devant le parlement national à Rabat.

L'événement Facebook originel a disparu sans explication le lendemain, dimanche 13 octobre.

Manifestation de “kiss-in” public à Rabat – 12 octobre
Crédit photo : @BelkouchHicham

Les Marocains de Paris ont tenu leur manifestation publique devant l'ambassade du Maroc vendredi dernier, jour prévu du procès à Nador.

Crédit photo : page Facebook “nous la signons”

Génération Active“, un mouvement de développement local créé par de jeunes Marocains, a lancé une pétition qui se fixe de rassembler 10.000 signatures. Si le mouvement ne précise pas ses objectifs une fois ce but atteint, une telle pétition ne manquera pas de susciter plus de réactions et de discussions en ligne. La pétition n'a encore recueilli que 2.813 signatures (29%).

Photo du site de la pétition
Crédit photo freeboussa.wesign.it/fr

Amnesty International a qualifié les charges contre les jeunes gens arrêtés pour ce baiser d’ “absurde“. Son directeur Moyen-Orient Philip Luther a exhorté la justice marocaine à abandonner les charges contre les adolescents :

Ces jeunes gens n’auraient jamais dû être placés en détention. Il n’existe pas la moindre raison imaginable pour que ce type d’expression donne lieu à des poursuites. Ouvrir une enquête judiciaire à partir d’une plainte pour quelque chose d’aussi inoffensif que deux adolescents qui s’embrassent est ridicule. Cette idée devrait être rejetée d’emblée.

De nombreux internautes se sont précipités pour mettre en ligne d'autres photos symbolisant leur refus que soient jugés des jeunes qui se sont embrassés.

Anas Oulmidi, qui vit à Marrakech, a twitté une photo de deux jeunes enfants qui s'embrassent également en public, au milieu de visages amicaux et souriants pour contraster avec le procès et le risque d'emprisonnement.

La co-éditrice de Jadaliyya Samia Errzouki, qui vit à Washington DC explique :

Ces ados étaient de Nador. La marginalisation socio-économique et politique y a une histoire enracinée et est un énorme facteur.

Le kiss-in est certainement perturbateur. Mais ne sous-estimons pas les raisons politiques et socio-économiques de l'arrestation de ces ados.

La schizophrénie arabe, vous connaissez ? c'est la fréquente dualité des normes dans les pays majoritairement musulmans.

Moroccan Sheriff parle de la question sur sa chaîne YouTube. Il fait la remarque pertinente que les Marocains acceptent souvent les normes non-islamiques comme une réalité, mais rechignent à défendre ces libertés publiquement. Ils peuvent même se retourner soudainement contre ces normes. Les Marocains sont sous la pression du conformisme. Sheriff avance aussi dans sa vidéo que les Marocains consomment 13 millions de litres d'alcool par an. Le Maroc est l'un des plus gros exportateurs de haschich au monde, pour un montant d'échanges deux fois plus élevé que le chiffre d'affaires du tourisme dans le royaume.

Ces contradictions ne sont pas propres au Maroc. Les mêmes ont été relevées en Tunisie.

L'auteur laïciste Kacem El Ghazali (@emkacel), un célèbre militant et blogueur marocain actuellement installé à Zurich, a aussi partagé sa pensée sur la question sur sa page Facebook [arabe] :

مايفهم من خلال وقفة البارحة للقبل بالمغرب هو أننا بحاجة إلى ثقافة تطبع بين الحريات الفردية والفضاء العام. أغلب المغاربة يمارسون الجنس دون زواج ويشربون الخمر لكن مادام فعلهم محاطا بسرية تامة فكل شيء جيد و مقبول. مجتمع سكيزوفريني منافق ومريض.

Ce que j'ai compris de l'opération Kiss-in au Maroc et des réactions sur les médias sociaux est qu'il nous faut une culture de normalisation entre les libertés individuelles et l'opinion. Beaucoup de Marocains ont effectivement des relations sexuelles hors mariage et boivent de l'alcool… tant que tout reste dans l'ombre, tout va bien. Quelle société schizophrène et malade !

Le gouvernement marocain et le Roi ont quant à eux affirmé l'importance que la justice soit et reste indépendante de l'exécutif.

Sous la pression sociale, le procureur régional de Nador a ordonné la mise en liberté sous caution des adolescents. Après l'audience de vendredi dernier, le verdict est attendu le 22 novembre après “une enquête sur le contexte social des adolescents,” a indiqué leur avocat, selon la chaîne d'information internationale France 24 [anglais].

“Parents orphelins”: L'émigration vénézuelienne vue par ceux qui restent

mardi 22 octobre 2013 à 16:08

Tous les liens de cet article, sauf mention contraire renvoient sur des pages en espagnol.

Foto de Only J. bajo licencia Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)

Terminal International de l'aéroport international de Maiquetía, Venezuela. Photo de Only J. sous licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 2.0)

Pour la première fois dans l'histoire du Venezuela, on peut affirmer qu'une diaspora vénézuelienne importante est en train de se créer. Bien qu'on ne dispose pas de chiffres précis ou actualisés, on estime pour l'année 2010 que plus d'un million de ressortissants ont quitté le pays.

Les adieux entre parents et amis sont des scènes de plus en plus fréquentes mais ce thème avait suscité peu de débats sur la toile avant la vidéo controversée ”Caracas, ciudad de despedidas” [Caracas, ville des adieux], à l'origine de discussions enflammées sur les réseaux sociaux à propos du mouvement migratoire qui touche le pays depuis l'an 2000.

La majorité des textes qui ont été écrits sur le sujet, tant dans les médias que sur Internet, s'intéressent aux raisons qui poussent les Vénézuéliens à choisir d'abandonner leur quotidien et leur famille. Le médecin vénézuélien Samir Kabbabe a ainsi écrit dans son article “Que dire à ceux qui s'en vont ?”, publié sur Prodavinci :

Que l'on parte à cause d'une expulsion, de la persécution, de l'échec, de l'insécurité, de l'impossibilité d'avoir un niveau de vie satisfaisant ou afin de concrétiser un projet de vie, tout exil est politique. Et l'exil est de plus en plus fréquent.

Toutefois, la journaliste Elizabeth Fuentes (@fuenteseliz) est l'auteure d'un texte partagé à de multiples reprises sur les réseaux sociaux et à l'origine d'un nouveau débat sur l'émigration au Vénézuela. Mais cette fois, en adoptant le point de vue de la famille qui ne part pas.

Dans ce texte publié sur le blog Jokeslab sous le titre “Padres huérfanos” [parents orphelins], la journaliste raconte, d'après sa propre expérience, ce que signifie le moment de la séparation après chaque bref moment de retrouvailles pour les parents de jeunes Vénézuéliens qui ont quitté le pays.

“Une mère morte qui marche”, voilà comment je décris cela, en une mauvaise traduction du “dead men walking”, du nom que l'on donne aux condamnés à mort alors qu'ils suivent le couloir qui les mènera à la chaise électrique. Comparaison exagérée, bien sûr, mais c'est pourtant ce que je me répète mentalement chaque fois que je dis au revoir à ma fille et que je commence à parcourir ce bout d'aéroport duquel il n'y a déjà plus de retour possible.

Elizabeth Fuentes propose d'inventer le Jour des Parents Orphelins, lors duquel on occuperait les places en silence et les balcons, les voitures, les motos, les fermes afficheraient un drapeau de deuil. “Que pensez-vous du 6 décembre, quand notre précieux Hugo a gagné ?” propose-t-elle.

Elizabeth Fuentes raconte que dans les réunions de famille on ne voit plus de jeunes, seulement des parents qui parlent de leurs enfants absents et des difficultés pour préparer leur prochain voyage. Mais le texte de la journaliste ne raconte pas seulement l'histoire des classes moyenne et favorisée du Vénézuela. Il évoque également ce qui se passe dans les milieux plus modestes :

Mais ce n'est pas seulement pour des raisons “mercantilistes” qu'ils s'en vont, comme l'avait si habilement dit une de nos nombreuses ministres de la santé, qui ne servait pas à grand chose : notre femme de ménage m'a dit qu'elle veut renvoyer son fils en Colombie, un jeune homme bien – parce que dans son quartier tout n'est que drogues, assassinats et règlements de compte.
Chaque jour apporte avec lui un récit plus effrayant que le précédent. Si la classe moyenne voit ses enfants partir, les plus humbles voient les leur assassinés, une douleur sans comparaison avec notre rituel de l'aéroport. Ces adieux ne sont rien face à une attente aux portes de la morgue.

Suite à ce texte, les commentaires ont fusé sur le web et le débat s'est échauffé pendant quelques jours.

Maritza González raconte qu'elle n'aurait jamais imaginé se trouver un jour dans la même situation qu'une amie arrivée au Vénézuéla pour fuir le régime de Francisco Franco en Espagne :

Une fois, une amie arrivée au Vénézuéla parce qu'elle avait fui le franquisme m'a dit : “Quand tu décides de t'en aller, les peines sont nombreuses, les familles se divisent et tu ne sais pas quand elles pourront être réunies à nouveau”… Elle m'a dit : “je suis orpheline de famille, mon frère est mort en Argentine et je ne sais même pas où déposer des fleurs”… Jamais je n'aurais cru que cela m'arriverait à moi ; à cette époque, mon pays était un refuge pour beaucoup mais aujourd'hui deux enfants sont partis… même si je me bats avec toutes les administrations de l'État pour leur rendre visite, il n'y a rien pour me consoler quand je rentre, le moment le plus difficile ce n'est pas pour aller les voir, c'est surtout le même couloir mais à Barajas [NDT: nom de l'aéroport de Madrid]…

Quant à Alejandra López elle raconte dans son intervention les raisons qui l'ont poussée à quitter le Vénézuéla et elle considère que c'est la société qui est responsable de la situation du pays :

Voici la réalité qui m'a poussée à m'en aller il y a 6 mois : j'en ai eu marre de lutter pour bien faire les chosess et aider à ce que justice soit faite dans un endroit où beaucoup de gens se plaignent et désignent des coupables mais continuent d'agir malhonnêtement et sans respecter les droits des autres. Cela me fait beaucoup de peine car, bien sûr, il existe des Vénézuéliens honnêtes, mais ça rend leur vie 10 fois plus compliquée. Et j'aime mon pays, et j'en suis désolée mais tout ceci est une conséquence historique que nous avons mérité en tant que société pour avoir permis de si grands écarts sociaux, pour avoir laissé la grande majorité de notre population vivre dans le besoin.

Vane explique que bien qu'elle ait l'impression d'avoir beaucoup à donner à son pays, elle souhaite s'en aller car elle ne veut pas continuer à vivre dans la peur.

J'ai toujours pensé que j'enterrerais mes parents avant de m'en aller, mais vivre au Vénézuela, et surtout, à Caracas m'est devenu insupportable. J'ai le travail de mes rêves, mon propre domicile dans un des meilleurs quartiers de Caracas mais à quoi ça sert si à 22 heures je suis réveillée par trois coups de feu qui résonnent tout près parce qu'on était en train d'essayer d'enlever une personne à la sortie d'un restaurant [...]
Le pire, c'est que je sais que professionnellement, je peux encore faire beaucoup ici, mais est-ce que ça vaut la peine de rester ? Ou alors, vais-je répéter l'histoire de mes parents qui ont quitté leurs pays d'origine à la recherche d'un avenir meilleur (qui se trouvait au Vénézuela il y a 50 ans) ?

Aeropuerto de Maiquetía Venezuela- Foto LuisCarlos Díaz bajo licencia Creative Commons

Aéroport de Maiquetía, Venezuela- Photo LuisCarlos Díaz sous licence Creative Commons (CC BY-NC 2.0)

Beatriz Rezzin explique que sa famille se sert de Skype pour se sentir plus proches :

J'aime cette idée de jour de deuil migratoire. Avec mon époux, nous sommes parents et grands-parents orphelins, collés à Skype pour avoir l'impression d'être avec eux.

Même si certains utilisent la technologie pour combler le vide, pour Alberto, il devient de plus en plus dur d'accepter l'idée que quelqu'un d'autre s'en aille. Son unique souhait est de voir les conditions du pays s'améliorer pour que les siens puissent revenir. Il écrit :

Je croyais que j'allais m'habituer à l'idée d'entendre que quelqu'un d'autre s'en va le mois prochain… Mais au contraire, chaque fois qu'une connaissance ou qu'un ami s'en va, je ressens plus de peine… C'est presque ma famille au complet qui est partie, je n'ai plus que 4 proches ici, au Vénézuela, et les autres ont déménagé dans divers pays. Quelle sensation impossible et douloureuse de penser que nous ne serons plus jamais tous ensemble…
Des amis, environ 10 sont partis… Je me demande seulement si moi aussi je vais finir par m'en aller… Je ne sais pas pourquoi tout ça? (enfin, si je sais, mais c'est difficile de s'y résigner, non ?).
La vérité, c'est que je ne veux pas partir… Ce que je voudrais plutôt, c'est que les choses changent et que les miens reviennent… En réalité, c'est ça mon rêve.
Et pendant ce temps, je me trouve comme un étranger dans mon propre pays, parce que je ne me reconnais pas dans autant de violence, autant de saloperies, autant de misère, autant d'ignorance, et surtout dans une telle absence de valeurs.
C'est cela qui doit changer ???”

Cependant Luis Díaz fait remarquer que ce n'est pas toujours à cause de l'absence d'opportunités en dehors du pays que ceux qui restent sont encore au Vénézuela, mais parce que certains se refusent à devenir des étrangers :

Pour certains, si nous restons ici, ce n'est pas parce que nous n'avons pas eu l'occasion de partir. Moi j'ai eu cette possibilité et pourtant je suis toujours ici. Je ne sais pas si c'est une erreur, mais je n'ai pas l'intention de vivre comme un étranger, quoi qu'il advienne.

Le Maroc censure le Web au mépris des dégâts collatéraux

mardi 22 octobre 2013 à 00:53

Au matin du 19 octobre, les internautes marocains ont découvert qu'un grand nombre de sites web étaient inaccessibles, dont les plateformes populaires de médias sociaux Instagram et Pinterest. Ostensiblement, un des principaux médias indépendants du Maroc, Lakome, était censuré. Lakome est en fait la véritable cible de cette coupure généralisée, opérée par Maroc Télécom, le principal opérateur téléphonique et fournisseur d'accès internet, et quelques autres sociétés moins influentes.

De fait, le rédacteur en chef de Lakome, Ali Anouzla, a été arrêté le 17 septembre après la publication d'un article contenant un lien vers une vidéo d'Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Plus exactement, l'article portait sur une vidéo de propagande de 40 minutes d'AQMI, qui traitait le Maroc de “royaume de la corruption et du despotisme,” et appelait au djihad (la guerre sainte) dans le pays, écrivait Anouzla. Le lien vers la vidéo était en fait un lien vers le blog d'un journaliste du quotidien espagnol El Pais. Anouzla est poursuivi pour terrorisme le 25 septembre, et se trouve depuis en détention provisoire. Ce traitement abusif lui vaut un soutien international, traduit par des campagnes de médias sociaux sous le mot-dièse #FreeAnouzla [Libérez Anouzla] et de nombreux appels à la remise en liberté du journaliste.

Dans l'intervalle, Lakome.com a été bloqué à la demande supposée explicite d'Anouzla lui-même. L'affaire est obscure, enchevêtrement de divers événements potentiellement imbriqués. Le collègue d'Anouzla et co-fondateur de Lakome, Aboubakr Jamaï, a expliqué que, le 14 octobre, Ali Anouzla a rendu publique par le site web Goud.ma une décision d'arrêter la version en arabe de Lakome. Au même moment Jamaï est informé qu'Anouzla a changé d'avocat. Sa confusion est palpable :

La décision d'Ali me laissait d'autant plus perplexe que la manière dont elle a été exécutée nous était à moi et à Lakome particulièrement hostile. Pourquoi ce nouvel avocat a décidé de communiquer d'abord à travers Goud ?

Et pourquoi ne pas m'informer ? Je suis co-fondateur de Lakome et directeur de publication de son site francophone, et depuis le 26 septembre, directeur de publication de lakome arabophone sans que personne n'y trouve à redire. De plus, Ali avait jusqu'à ce lundi 14 octobre demandé avec insistance que le site continue de fonctionner.

Aboubakr Jamaï a alors décidé de garder le site actif. Mais le 17 octobre, Lakome.com était effectivement bloqué. Très rapidement, l'équipe a monté deux urls de rechange, lako.me et lakome.info, promptement bloquées elles aussi. Une mesure arbitraire qui montre bien que bloquer Lakome est illégal et politique. Mohamed Ezzouak explique que la suspension de Lakome suivant la demande d'Anouzla aurait dû être rejetée par le procureur public de l'Agence Nationale de Régulation des Télécoms parce que sa qualité de rédacteur en chef ne suffit pas à légitimer sa propriété sur le site web. Ezzouak argue en conclusion que “La célérité de cette nouvelle censure [des deux nouveaux noms de domaine] démontre la volonté des autorités de réduire au silence le site coûte que coûte.”

Voilà comment le 19 octobre, Lakome a été bloqué totalement, une mesure décriée par l'internaute et militant des droits Yassir Kazar comme “de style Corée du Nord.” Le blocage s'est élargi, causant d'impressionnants dégâts collatéraux :

Les services d'Amazon (dont  Instagram+Pinterest+Quora+Heroku/et les apps hébergées sur Heroku+quelques millions d'autres sites) ne sont pas accessibles pour (1/2)

ne sont pas accessibles pour les utilisateurs ADSL à Rabat. Combien de temps ça mettra pour les autres villes du Maroc ? :) (2/2)

Les premières informations indiquaient Tumblr également bloqué, mais il s'est avéré que la plateforme de blog connaissait des problèmes techniques propres. L'ironie a fleuri sur Twitter à mesure que les internautes signalaient les sites (non) censurés :

DERNIERE HEURE : getpocket.com / la FANTASTIQUE extension de Poche est sur la liste du blackout.

Etonnamment, l'organe d'information français de hackers indépendants Reflets.info a aussi été bloqué :

Screenshot from blocked within Morocco website Reflets.info. Image from @vxroot

Capture d'écran du site Reflets.info bloqué au Maroc. Image de @vxroot

Deux des co-fondateurs ont réagi, l'un s'est adressé au ministre français de l'Economie numérique, et l'autre a demandé des explications à Maroc Télécom. Le blocage de Reflets.info semble avoir une motivation politique car le site prenait fermement position pour Lakome et dénonçait la décision du gouvernement marocain de censurer ce dernier.

La censure a été largement fustigée sur Twitter :

Il ne se trompait pas, puisque des entrepreneurs locaux ont montré leur mécontentement que des services de l'importance d'Amazon et Heroku soient bloqués au détriment direct de l'économie marocaine.

Sur un ton plus vengeur, l'utilisateur de Twitter @L_badikho a fait une suggestion aux hackers :

D'autres, comme @sniper_ma, ont souligné l'effet négatif sur l'image du pays à l'international :

Des félicitations appropriées auraient été envoyées de Chine au gouvernement marocain :

Selon des sources personnelles au Maroc, au moment de la rédaction de ce billet, le blocage semble être au niveau national pour Lakome et Reflets.info, tandis que celui des autres services est inégal car dépendant apparemment des strictes adresses IP. Certains des miroirs établis pour Lakome sont aussi censurés. Il n'y a encore eu aucune déclaration officielle.

Pourquoi je ne désespère pas (encore) des politiques

lundi 21 octobre 2013 à 20:47
“Sort out this problem because we are suffering”. Students on strike in Madagascar, by Jentilisa (used with permission)

“Réglez ce problème, nous souffrons”. Des étudiants en grève à Madagascar, photo Jentilisa (utilisée avec sa permission)

Le 25 octobre 2013, Madagascar, mon pays, va enfin élire un nouveau président. Ces dernières années, les Malgaches ont vu leur économie toucher le fond, et leurs ressources naturelles livrées au pillage. Selon des estimations, plus de quatre millions de personnes sont tombées dans l'indigence depuis cinq ans. Il n'y a actuellement pas d'état de droit dans le pays, et depuis que le coup d'état de 2009 mené par une poignée de militaires a écarté l'exécutif et le parlement élus, le système politique est dépourvu de légitimité.

Les élections ont été ajournées cinq fois depuis le coup d'état, et la transition qui était supposée prendre au plus un an dure déjà aussi longtemps qu'un mandat électoral normal. Même pour l'histoire complexe de Madagascar, dire que la situation politique est désastreuse relève de l'euphémisme.

Trente-trois candidats à la présidence sont en compétition dans ce scrutin imminent. A quatre jours seulement du vote, un nombre non négligeable de votants potentiels doutent toujours que l'élection aura réellement lieu, car ils n'ont pas reçu leurs cartes d'électeur. Et on se demande encore si une quantité suffisante de bulletins pourra être imprimée à temps.

Quoi qu'il arrive le 25 octobre, Madagascar est à un tournant, c'est pourquoi j'ai gagé que le moment était venu pour moi de sauter pour la première fois dans la bagarre politique, et de soutenir activement l'une des deux seules femmes candidates à la présidence. J'ai contribué comme bénévole à la campagne de Saraha Georget Rabeharisoa, la dirigeante du Parti Vert depuis 2009, en allant en ligne sensibiliser à sa cause et expliquer son programme.

En ce moment, une méfiance prépondérante de la politique et des hommes et femmes politiques semble la position de rigueur pour une majorité mondiale d'électeurs. Le Edelman Trust Barometer indique que la majorité des pays ne font plus confiance à leurs gouvernants. Et comment le leur reprocher ? La liste des politiques absurdes dans le monde,  entre “shutdowns” gouvernementaux et dissimulations flagrantes de catastrophes nucléaires, est trop longue pour être reproduite. 

Pourtant, quelles que soient les doutes et craintes, la politique et l'engagement restent la seule voie efficace qui ait apporté à travers l'histoire le changement dans les sociétés.

Je me suis impliqué dans divers projets de la société civile malgache (ici et ici), et je connais la valeur ajoutée qu'ils peuvent apporter aux communautés. Mais j'ai aussi vu comment tout leur travail peut être réduit à néant en un clin d'oeil à cause de magouilles et d'une crise politique injustifiée. J'aime à croire que c'est la colère contre les espoirs brisés de mes collègues militants qui me pousse à sauter dans l'arène. Certaines pratiques corrompues ne peuvent se changer que de l'intérieur. La jeune activiste pakistanaise Malala Yousafzai a trouvé les mots justes quand elle a expliqué pourquoi elle a changé son projet de métier de la médecine à la politique [anglais] : “Je crois que c'est vraiment une bonne chose parce qu'avec la politique je peux servir mon pays en entier, devenir médecin de tout le pays, aider les enfants à obtenir l'éducation.”

A la différence de Malala, je pense que ma motivation principale a été de sortir de la position confortable de l’ “observateur”, parce que la neutralité est le produit de la peur et du manque de courage pour prendre position. Comme l'a dit Dante Alighieri, “Le plus noir de l'enfer est réservé à ceux qui restent neutres en temps de crise morale.” Qu'on ne s'y méprenne pas, la crise à Madagascar a dépassé de loin la phase politique. Elle est devenue depuis longtemps une crise sociétale et morale, dont le plus lourd fardeau est porté par une population déjà écrasée.

Je ne prétends pas que le Parti Vert de Madagascar et sa candidate Saraha Georget Rabeharisoa auront toutes les réponses. Mais Saraha et moi avons les mêmes raisons d'entrer en politique. Elle a dirigé l'organisation non gouvernementale New Mind avant que la crise politique la pousse à faire entendre sa voix, puis à créer son propre parti

Elle possède cette clarté d'objectifs et de principes que l'on souhaite voir à la tête d'un pays. Elle sait qu'il n'existe pas de remède miracle qui tirera Madagascar de la pauvreté, mais elle est convaincue que rien ne se produira sans que nous considérions l'écosystème qu'est notre pays dans sa totalité : notre jeunesse, notre terre et nos ressources naturelles, et la nécessité de les faire se développer de façon équilibrée.

Je soutiens Saraha parce qu'elle est une femme, et parce qu'elle est déjà rompue à la bataille par ses efforts à se construire un espace dans un domaine à lourde domination masculine. Je soutiens Saraha parce qu'elle a remonté ses manches et est prête à travailler dur.

Peut-être suis-je trop optimiste, mais c'est une décision que j'ai pesée avec soin. Vous pouvez lire le raisonnement qui m'a conduit à la soutenir ici.

Au final, je me sentais mal à l'aise de rester sur la ligne de touche et de regarder mon pays continuer à s'enfoncer dans un puits sans fond. Je crois que tout l'équipage doit être sur le pont, dès le 25 octobre, en votant et en participant activement au débat électoral.

Malgache vivant à l'étranger, je ne peux pas mettre mon bulletin dans l'urne. Mais en citoyen engagé, je veux que ma voix soit entendue. Je crois qu'il existe encore là-bas quelques hommes et femmes politiques prêts à lutter pour une guérison viable à Madagascar. Saraha Rabeharisoa en fait partie. Ma patrie ne mérite pas moins.

Lova Rakotomalala est chercheur en ingénierie biomédicale et consultant Global Health. Eduqué à Madagascar, il s'intéresse fortement au développement international et aux médias numériques comme outils pour promouvoir le changement social et la transparence dans le monde en développement.