PROJET AUTOBLOG


Global Voices (fr)

Archivé

source: Global Voices (fr)

⇐ retour index

Le Mythe du ‘Canadien sympa’

vendredi 2 juin 2017 à 15:02
canadian ned flanders

Le Canadien Ned Flanders. Capture d'écran de YouTube.

La question qu'on me pose le plus souvent au Japon est : “Vous êtes Américain ?”

“Oh, désolé” est ma réponse, “En fait je suis originaire du Canada.” Je vis au Japon, par intermittence, depuis 1994. En fonction des circonstances, on y trouve poli de marquer un intérêt pour son interlocuteur en lui posant des questions personnelles.

“Ah, les Montagnes Rocheuses, le hockey sur glace, la nature” est la réponse standard à ma clarification. Un tas de Canadiens vont bouillir intérieurement de se faire prendre pour des Américains, mais moi ça ne me dérange pas. Pour un œil non exercé, il n'y a presque rien qui distingue les Canadiens des Américains. C'est une des raisons pour lesquelles tant de Canadiens en voyage placent ostensiblement un emblème canadien sur leur sac à dos. Tout le monde adore les Canadiens. Les Américains, par contre…

Il en est ainsi depuis que j'ai commencé à voyager il y a vingt ans, avant Donald Trump, avant l'invasion de l'Irak, et avant le 11 septembre. Les Canadiens collent des petites feuilles d'érable sur leurs bagages pour se différencier de leurs cousins américains.

Nous avons la gratuité des soins ! Il n'y a pas d’armes ici ! Le mariage des personnes de même sexe est légal au Canada depuis 2005 !

A croire que tout le monde pense que le Canada est génial. Nous sommes bien élevés. Nous disons apparemment beaucoup “pardon“. Le Canada serait perçu comme étant le pays le plus tolérant envers les groupes ethniques. Nous ne sommes pas comme ces autres mecs au sud de la frontière. Les Canadiens sont sympas.

Ça m'énerve.

D'abord, j'ai beaucoup d'amis américains que j'admire énormément. Ça ne me dérangerait pas, par exemple, d'être confondu avec Johnny de Dallas. Marc d'Austin. Adam de San Francisco. Ou Michael de Honolulu.

Ensuite, être étiqueté “sympa” ne va pas sans quelques inconvénients. En premier lieu, quand on vous dit “sympa” c'est qu'on vous voit essentiellement comme ringard, à l'instar du gentil, doux mais tragiquement inefficace personnage de Ned Flanders dans les “Simpsons” (où il a son homologue canadien).

Si le Canada pouvait en réalité être une nation de Ned Flanders, ce serait un progrès, mais l'ennui est que sympa est dépourvu de personnalité. Pas d'aspérités, rien de résistant. Être inoffensif, c'est être banal et inintéressant, pas digne d'attention. Une bonne chose si on désire se fondre dans le paysage, et rester à l'écart de ce qui se passe autour de soi.

Je dirais que le désir de rester non-engagé et seul est en réalité un caractère essentiel du Canadien. Nous avons tendance à nous occuper de nos oignons. Ce qui du dehors est vu comme “sympa” pourrait n'être en réalité que de la froide politesse. Les Canadiens ne se lancent guère dans des conversations de jardin avec leurs voisins. Il nous manque la cordialité chaleureuse et ouverte à laquelle j'en suis venu à associer mes amis américains.

Heureusement pour nous (et pour le reste du monde), Justin Trudeau est apparu pour faire en sorte qu'être Canadien soit plus que seulement sympa : notre premier ministre a rendu notre pays positivement sexy.

Ce mème. [Hep la fille, je vais couvrir ta maladie préexistente]

Grand, beau garçon, athlétique et homme féministe, JT a transformé le Canada, de pays connu pour à peu près seulement le hockey sur glace et la vente du lait en sacs plastiques, en bastion de tolérance et refuge des difficultés du monde.

Et certes, au lendemain de son élection en octobre 2015, Trudeau a fait basculer de 180 degrés le ton du discours au Canada. Après une campagne électorale qui avait vu son adversaire conservateur proposer l’interdiction du niqab, Trudeau a immédiatement posé pour des selfies avec des Canadiennes musulmanes dans le métro de Montréal.

Puis le gouvernement Trudeau a pris l'engagement d'accueillir 25.000 réfugiés au Canada en quelques mois, après les tergiversations de son prédécesseur sur le principe même de contribuer à alléger la crise des réfugiés. Le plan réfugiés du gouvernement Trudeau fonctionne plutôt bien jusqu'à présent.

Ainsi, en 2017, grâce à un paquet de pâmoison internationale et à un sex-appeal tout neuf, les Canadiens découvrent que nous sommes mieux que sympas. Nous sommes branchés, cools, et tolérants. Est-ce si sûr ?

Parce que le mythe du “Canadien sympa” empêche aussi les Canadiens d'affronter réellement quelques-uns de nos problèmes fondamentaux qui ne vont pas disparaître rapidement. Près de 20 % des enfants vivent dans la pauvreté au Canada, et près de la moitié des enfants des Premières Nations. Il y a une crise du logement au Canada, accompagnée d'un problème de sans-abris. Les Canadiens ont le plus fort taux par tête d'émissions de gaz à effet de serre.

Chaque pays a évidemment ses problèmes, et il y a plein de bonnes choses au Canada. (Personnellement, pour commencer, j'aime Ie fantastique assortiment de brasseries artisanales de la Colombie Britannique et la “scène musicale DIY” de Montréal).

Mais assez de ce marquage “sympa”. C'est une façon de se défiler pour le Canada, qui nous empêche de réellement atteindre à une grandeur véritable en tant que pays.

Entretien avec Anna Veduta : militante, experte et féministe russe

vendredi 2 juin 2017 à 11:43

Photographie : Anna Veduta. Editée par RuNet Echo.

RuNet Echo s'est récemment entretenu avec Anna Veduta, directrice de la communication mondiale pour Meduza et ancienne attachée de presse d'Alexeï Navalny, aujourd'hui le principal leader du mouvement anti-Kremlin. Veduta s'est exprimée sur son travail pour libérer la Russie de la corruption, son déménagement aux États-Unis, et son expérience en tant qu'experte régionale et féministe.

Merci de prendre le temps de vous entretenir avec RuNet Echo. Nos lecteurs vous connaissent comme l'ancienne attachée de presse d'Alexeï Navalny, qui pourrait bien être le politicien russe le plus important de nos jours après Vladimir Poutine. Qu'avez-vous fait depuis, et comment est-ce que l'internet russe a joué un rôle dans votre vie depuis votre déménagement aux États-Unis ?

J'ai déménagé aux États-Unis le 6 août 2014. C'était le jour même où le Président Poutine a signé un arrêté sur les soi-disant « anti-sanctions » : une loi interdisant l'importation en Russie de produits agricoles provenant d'Europe ou des États-Unis. Et le premier effet que cela a eu sur moi, et c'est toujours le cas aujourd'hui, c'est que les gens en Russie se demandent les uns aux autres de ramener du fromage et de la volaille lorsqu'ils reviennent d'un séjour à l'étranger. Ils ne veulent pas de souvenirs, ils veulent de la nourriture.

Quand j'ai déménagé aux États-Unis pour suivre un master en Affaires Internationales à l'université Columbia, je m'attendais à ce que mon mode de vie et mes intérêts changent. Mais le RuNet n'a jamais quitté ma vie. Une fois que vous en faites partie, cela ne vous quitte plus.

Je suis toujours l'actualité russe de près, et on me demande souvent de parler de la Russie aux États-Unis, où l'on me considère comme une experte de cette région du monde. Aujourd'hui, je travaille comme directrice de la communication mondiale pour Meduza, l'un des organes de presse les plus importants du monde couvrant la Russie. J'y suis responsable de la version anglaise.

Donc, naturellement, c'est impossible pour moi d'ignorer ce qui se passe en Russie ou sur l'internet russe.

Quels sont, d'après vous, les avantages à s'occuper de la Russie depuis l'étranger ? Et quels sont les inconvénients ?

Les avantages sont plutôt flagrants. Comme les pays de l'Ouest sont obsédés par la Russie en ce moment, ils ont bien besoin d'expertise supplémentaire. Et c'est donc pour cela, je pense, que les gens m'invitent à parler et me consultent sur la Russie et les relations entre la Russie et les États-Unis. Et je suis ravie de pouvoir aider ! C'est toujours bon de savoir que l'on a besoin de vos services.

L'ampleur de la désinformation qui y existe est l'un des inconvénients. C'est un terme qui nous ennuie tous maintenant, et qui nous agace, mais les « fausses informations » sont malheureusement omniprésentes. Et cela rend difficile d'expliquer que, en tant que personne travaillant pour la presse russe, vous ne faites pas la propagande du Kremlin ou bien que vous n'êtes pas l'un de ces pirates informatiques essayant de voler les élections [étrangères] depuis Moscou. 

Le mot « russe » lui-même est considéré comme malsain aux États-Unis à présent. Communiquer avec les gens prend beaucoup de temps et d'énergie.

Lorsque les occidentaux parlent de politique russe, ils font généralement une division entre l'establishment et l'opposition Anti-Kremlin. À votre avis, est-ce que ces termes veulent dire quelque chose ? Ou bien y a-t-il un meilleur moyen de parler de politique et problèmes sociaux russes, afin de s'en faire la même idée que la plupart des Russes eux-mêmes ?

J'aimerais pouvoir vous dire que vous exagérez la situation et que c'est plus compliqué que cela, mais ce n'est pas le cas. Je ne peux pas m'exprimer à la place de la plupart des Russes (je n'ai pas fait de sondages sociologiques), mais je peux vous dire ce que je vois : l'establishment politique de la Russie n'est pas homogène. 

Prenez les siloviki (membres des services de sécurité) et les kadyrovtsy (les gens du président tchétchène Ramzan Kadyrov). Ces groupes ne sont pas unis, et le plus souvent ils sont des rivaux directs et hostiles. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles on assiste à des fluctuations de la classe soit-disant dirigeante russe, et des divers clans qui contrôlent les « tours du Kremlin ». 

Je ne veux pas tomber dans la théorie du complot, mais il est important de comprendre qu'il y a ici plusieurs couches de « mystique ». 

En ce qui concerne les divisions dont vous parlez, je les décrirais plutôt comme une confrontation entre le vieux et le nouveau monde. Regardez ce qui s'est passé avec les manifestations du 26 mars et ce qui a suivi. On a vu beaucoup de personnes jeunes et dynamiques qui se fichent très clairement de ce que la classe dirigeante leur dit. Il n'y a qu'à regarder le discours récent d'une vloggueuse populaire sur YouTube à la Douma d'État.

Veduta avec Alexey Navalny. Photographie : Anna Veduta. Utilisée avec autorisation.

Alors oui, ils se tournent donc vers la soit-disant opposition anti-Kremlin, connue également sous le nom d’ « opposition anti-système ». Et, oui, nous parlons bien là de mon super ancien patron, Alexeï Navalny, que j'admire profondément.

Pourquoi les jeunes se tournent-ils vers Navalny ? Parce qu'il partage leur ouverture d'esprit, et que lui aussi se rend compte que nous vivons au XXIème siècle, à l'inverse de l'établissement féodal et kleptocratique qui préfère rêver de la gloire passée de l'Union soviétique. Navalny est à l'écoute, et il en tire des leçons constamment. Il a mis cartes sur table, et c'est ce genre de transparence que les gens veulent. C'est aussi simple que cela.

Les jeunes ne tombent pas dans le panneau de la vieille propagande ; ils ne perdent pas leur temps avec ça. Il n'y a qu'à voir le récent coup des représentants des relations publiques du Kremlin, payer une pop star de second ordre pour qu'elle chante en bikini une chanson dans laquelle elle traite les protestataires de « petits garçons » et leur dit de « rester en dehors des affaires politiques ».

La génération X, celle qui précède la jeunesse d'aujourd'hui, est encore et toujours divisée en ce qui concerne l'establishment politique, et beaucoup d'entre eux sont enclins à s'en tenir au régime du Kremlin et son « système. »

La génération du millénaire, en revanche, est plus proche de l'opposition, ce qui signifie pour moi qu'ils sont simplement rationnels et qu'ils en ont assez qu'on leur mente et qu'on les vole. Ils soutiennent les droits de l'homme, la démocratie et la liberté de la presse. Techniquement parlant, il n'est pas question d’ « opposition » ici, c'est un ensemble de valeurs positives. 

La génération Z, par contre, est incroyable. Lorsque ces gens sont arrivés, internet était déjà en place. Ils pensent, ils analysent, et ils tirent des conclusions d'une façon complètement nouvelle, même comparé à la génération du millénaire. L'establishment du Kremlin a perdu ces gens il y a longtemps, sans même s'en apercevoir. Le contrôle de la télévision par le Kremlin n'a aucune importance pour eux, car il n'y a pas de télévision dans leur monde. Mais ils doivent quand même affronter l'économie chancelante du pays, ses mauvaises routes, sa corruption, son mauvais système de santé, et la qualité généralement désastreuse de l'éducation. 

Pourquoi pensez-vous que les jeunes en Russie qui ont grandi avec internet ont réussi à se libérer de l'influence de la télévision ? Aux États-Unis, beaucoup d'Américains ont l'impression que le Kremlin est capable d'endoctriner des corps électoraux entiers grâce à internet et à la désinformation. Comment est-ce qu'internet est devenu un handicap en Russie, avec toute la propagande, les trolls, la désinformation, et la censure ? Pourquoi est-ce que le Kremlin ne gagne pas la bataille en ligne en Russie ?

C'est parce que le Kremlin ne connaît rien à internet, et que tous leurs essais pour se rallier l'opinion sont maladroits et peu naturels.

En Russie, que voulons-nous dire lorsque nous parlons de désinformation et de trolls ? Les trolls sont des commentateurs payés pour promouvoir les politiques du gouvernement, et la désinformation est une série de mensonges élaborés de façon à ressembler à la vérité en mélangeant mensonges et demi-vérités. Réussir cela, et réussir à rendre tout cela attreyant requiert du talent. Et pourtant, ce n'est pas le cas en Russie. Pourquoi ? Parce que les gens qui sont responsables de cela n'ont pas de talent. Ils n'ont aucune idée de la façon dont internet fonctionne, ou de comment créer un buzz.

Le problème c'est l'état d'esprit du Kremlin. Sur le net, il faut être ouvert d'esprit, mondial, et prêt à constamment apprendre. Il faut être à l'aise avec la pointe de la technologie. Imprimer vos reportages et les classer dans des petits dossiers rouges ne marche pas, tout comme le fait de considérer le net comme une poubelle « inventée par la CIA. »

Tout ça produit du travail bâclé, et les jeunes repèrent rapidement les fausses informations. 

Ils ont récemment essayé d'utiliser des mèmes contre Navalny, et il a eu complètement raison de rire et de leur dire : « Les gars, ces mèmes sont tous dépassés. » C'en était gênant ! 

Ni le discours désuet de la propagande soviétique, ni les tactiques alarmistes des années 1990 ne marcheront avec un public du XXIème siècle. C'est pour cela que je dis aux Américains de ne pas avoir peur : la jeunesse russe est la raison de garder espoir envers la Russie. Ils sont plus proches de vous [aux USA] que de l'establishment russe. 

La censure a vraiment surgi en 2011 et 2012, quand beaucoup de personnes de la soit-disant « classe créative » durent émigrer, avec l'affaire Bolotnaïa et la fin de la presse libre russe. 

Mais nous sommes en 2017, et nous avons des organes de presse libres et indépendants qui font des articles sur la Russie, bien que la plupart d'entre eux n'y soit plus installés. Je suis fière de représenter Meduza aujourd'hui, mais c'est un véritable obstacle d'avoir une rédaction établie à Riga, plutôt que Moscou. Mais nous avons dû être créatifs, et c'est la solution que nous avons trouvée. 

Les utilisateurs d'internet ont appris à contourner les interdictions du gouvernement, et la génération du millénaire et celle d'après ont remplacé la télévision par YouTube et autres sites de diffusion en streaming. Et vous savez pourquoi ? C'est parce qu'il n'y avait rien qui leur parlait à la télévision. Ils l'ont regardée, haussé les épaules, et créé leur propre monde de divertissement. 

Pourquoi avez-vous quitté la Russie ?

Photographie : Anna Veduta. Utilisée avec autorisation.

Je suis partie parce que ma candidature à l'Université Columbia de New York a été acceptée. Au début de l'année 2012, alors que je venais juste de commencer à travailler avec Navalny, je fus admise à l'université d'Oxford au Royaume-Uni, seulement quelques mois après avoir obtenu mon diplôme à l'Université d'État de Moscou. J'avais alors décidé de refuser l'offre et j'ai gardé mon travail. Alexeï n'a pas du tout influencé ma décision, il m'a apporté beaucoup de soutien et il m'a conseillé de prendre mon temps et de bien y réfléchir. 

Lorsque je lui ai annoncé que je restais, il m'a dit qu'il en était heureux, et il a déclaré « Un jour, tu iras à Harvard. »

Mais j'ai toujours préféré la vie à New York, et lorsqu'une opportunité pour Columbia est arrivée, je n'ai pas voulu manquer à nouveau l'occasion d'obtenir une éducation de premier ordre. Navalny était alors assigné à résidence, et il m'a encouragée, via un médiateur, à postuler. 

Et voilà ou j'en suis maintenant, trois ans plus tard. 

Vous considérez-vous toujours comme membre de l'opposition, ou êtes-vous plutôt une observatrice extérieure à présent ?

Et bien, je ne travaille plus pour Navalny, mais bien sûr je le soutiens sans aucune hésitation. Je suis une travailleuse indépendante, mais je ne me considère pas non plus comme une observatrice extérieure. La Russie est ma patrie, et je me soucie beaucoup d'elle et de tout ce qui s'y passe. 

Donc si par « membre de l'opposition », vous vous demandez si j'ai envie d'un futur meilleur et démocratique dans une Russie libre et prospère, au lieu d'un pays pris en otage par un gang de malfrats corrompus, alors oui je suis un membre de l'opposition. 

Quels sont vos projets d'avenir ? Qu'allez-vous faire de toute cette expérience et de toute cette éducation ? 

J'accrois mon rôle d'informatrice mondiale et d'ambassadrice de bonne volonté pour la Russie, un beau pays que nous aimerions tous voir libéré. C'est extrêmement important pour moi que le travail de mes talentueux collègues parvienne jusqu'à des publics occidentaux, où il y a un manque sérieux d'informations objectives et fiables sur la Russie. Nous vivons à l'ère de la mondialisation et nous nous devons de construire des ponts (bien que celui que Moscou est en train de construire illégalement au dessus du détroit de Kertch jusqu'à la Crimée soit un pont de trop). 

Je veux également promouvoir un mouvement féministe en Russie et travailler sur des projets contre la violence conjugale. En décembre dernier, je me suis exprimée sur ma propre position face aux violences conjugales, attirant presque un demi million de vues sur les réseaux sociaux. C'était juste avant la dépénalisation de la violence conjugale par les législateurs russes, à un moment où ce problème avait plus que jamais besoin de visibilité. 

Mais les réactions que j'ai eues ne furent pas du tout solidaires. Certaines personnes m'ont dit que je n'ai eu que ce que je méritais, ils m'ont insultée, etc. Même beaucoup de gens avec qui je partage les mêmes idées contre la corruption et contre Poutine ne furent pas du tout réceptifs aux enjeux féministes, et cela me brise le cœur. 

Bien sûr, les questions féministes sont négligées partout. Comment expliquer, sinon, l'extrême intérêt porté aux Marches des Femmes aux États-Unis cette année ? Mais la Russie est une société plus patriarcale, où commencer à faire avancer les choses est un énorme défi, même lorsqu'il est question de problèmes basiques. 

Mais cela veut surtout dire que les perspectives d'une potentielle avancée féministe sont bien plus importantes. 

Les autorités macédoniennes laxistes envers les attaques contre les journalistes

vendredi 2 juin 2017 à 10:59

Des journalistes blessés montent à bord d'une ambulance après une attaque survenue lors d'une manifestation pro-gouvernementale. Photographie de @forty_tw0 sur Twitter, utilisée avec permission.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en macédonien.

Les autorités macédoniennes tardent à traiter les dossiers criminels concernant les attaques contre des journalistes, une tendance qui contribue à entretenir un climat d'impunité et d'intimidation.

L'an dernier, des dizaines d'incidents visant des journalistes ont été répertoriés : agressions physiques, voitures ou propriétés incendiées et autres tentatives d'intimidation. Aucun cas n'a été résolu. En fait, l'Association des journalistes de Macédoine a publié un rapport en avril 2017 affirmant que l'argent et la violence [en] sont les principaux moyens utilisés par le gouvernement pour contrôler les médias.

À la fin du mois de janvier 2017, l'ancien premier ministre Nikola Gruevski n'a pas réussi à rallier les partis de la minorité albanaise pour former un gouvernement de coalition. Le chef du VMRO-DPMNE, le parti politique macédonien resté le plus longtemps au pouvoir, a appelé « le peuple » à descendre dans la rue pour empêcher la formation d'un nouveau gouvernement regroupant ses anciens partenaires albanais et l'Union social-démocrate de Macédoine (SDSM).

« Tous ceux qui comptent attendre bien confortablement devant leur téléviseur que d'autres défendent le pays à leur place font une grave erreur », déclara alors Gruevski. Sa rhétorique est intransigeante à l'égard des opposants politiques et des ONG, mais aussi des journalistes indépendants, qu'il considère comme des « traîtres ».

Violences contre des journalistes lors de manifestations pro-gouvernementales 

Peu après l'appel lancé par Gruevski, une série de manifestations a été organisée par ses partisans sous la devise « Pour une Macédoine unie ». Dès les premiers rassemblements, les journalistes envoyés par les médias indépendants ont été la cible d'insultes.

La colère des militants envers les journalistes est montée d'un cran le 28 février. Aleksandar Todeski et Vladimir Zhelcheski, des reporters de la chaîne indépendante A1on, ont été agressés physiquement [en] et leur équipement a été endommagé. L'utilisateur Twitter @forty_tw0 était sur place et a publié des photos prises après l'incident :

Deux journalistes d’ A1on ont été gravement battus à la manif du DPMNE !!! En ce moment, ils sont emmenés à l'urgence.

Les coupables se sont enfuis, et le seul policier à s'être mis à leur poursuite s'est vu intimer l'ordre d'arrêter par son supérieur.

Le Syndicat des journalistes et des travailleurs des médias macédoniens, l'Association des journalistes de Macédoine et le réseau informel des journalistes, qui comprend plus d'une centaine de journalistes des Balkans, ont condamné cette attaque et demandé à ce que les autorités fassent rapidement la lumière sur cet incident.

Près de trois mois se sont écoulés avant que les procureurs ne convoquent les journalistes en question, le 19 mai, afin de recueillir leurs dépositions. L'un d'eux, Aleksandar Todeski, explique :

Кажавме се што имавме да кажеме во однос на нападот, односно како се случи нападот. Повеќе од јасно е што се случуваше затоа што имаше фотографи колеги и снимки од камерите не Градски трговски центар. Знаеме дека е фатен и идентификуван еден од напаѓачите, а другиот бил со качулка и наводно бил со очила и затоа не можеле да ги идентификуваат. Биле на распит во полиција, пуштени се на слобода и имам информација дека едниот работи во Град Скопје. Чудно е што рочиштето трае толку долго, затоа што од инспекторот веднаш беа доставени материјали, а нас не викаат по речиси три месеци.

Nous avons fait notre déposition et raconté ce qui s'est passé. Des photos ont été prises par des collègues et la scène a été filmée par les caméras de surveillance du centre commercial, c'est on ne peut plus clair. Nous savons que l'un des assaillants a été arrêté et identifié. Quant à l'autre, la police prétend ne pas pouvoir l'identifier, car il portait une cagoule et des lunettes. Ils ont été interrogés, puis libérés. J'ai appris que l'un d'eux était un employé de la ville de Skopje. C'est étrange que les choses prennent autant de temps, car l'enquêteur a rapidement présenté les preuves, et pourtant nous avons attendu près de trois mois avant d'être convoqués.

Les attaques contre des journalistes culminent le « jeudi sanglant » 

Au cours des semaines suivantes, les journalistes et les activistes des ONG ont été la cible d'insultes et de crachats [en] de la part d'un groupe de jeunes hommes.  Les scènes ont été filmées, puis mises en ligne dans ce qui semble être une stratégie pour attiser la violence. Ces incidents ont néanmoins brusquement cessé lorsqu'une des victimes ciblées n'a pas attendu qu'on lui crache au visage pour gifler l'un des contrevenants. Les médias contrôlés par le VMRO-DPMNE ont publié la vidéo en tentant de dépeindre la victime comme un agresseur.

Entre-temps, plusieurs médias indépendants ont choisi de ne plus couvrir ces rassemblements puisque ni les institutions d'État ni les organisateurs des manifestations ne garantissent la sécurité des journalistes. Quand certains ont recommencé quelques semaines plus tard, les journalistes étaient toujours victimes d'agressions verbales et physiques. Ainsi le 10 mars, le journaliste Hristijan Banevski a été frappé à la tête au moyen d'un porte-drapeau [en].

Les manifestations ont pris une tournure beaucoup plus violente le 27 avril, lorsqu'un groupe de manifestants a attaqué le parlement. Selon les enquêtes menées par certains journalistes locaux, des membres des services de sécurité déguisés auraient fait partie de ce groupe. Les assaillants, qui cherchaient à lyncher les députés de la nouvelle majorité parlementaire [en], s'en sont également pris aux journalistes des médias figurant sur la liste noire, blessant plus de vingt personnes.

Dimitar Tanurov [en] est l'un des journalistes qui a été agressé lors de ce « jeudi sanglant ». Le soir du 27 avril, il s'est rendu au parlement et a commencé à prendre des photos et filmer avec son téléphone mobile. C'est alors qu'il a été approché par au moins cinq individus qui ont commencé à le frapper et ont tenté de lui prendre son téléphone afin qu'il cesse de filmer. Les coups se sont intensifiés lorsqu'un des assaillants a aperçu sa carte de presse de l'agence indépendante Meta.mk. Il a alors été accusé d'être un « traître » à la solde de Soros.

Soros, un milliardaire libéral, est le président d'un réseau de fondations ayant pour objectif de promouvoir la gouvernance démocratique. Il a d'ailleurs été célébré et critiqué [en] pour cette raison. Le VMRO-DPMNE avait précédemment annoncé le début de la « dé-Soros-isation » de la Macédoine [en], un terme digne de la novlangue [fr] désignant une purge destinée à éliminer les ennemis de l'État [en]. [Note de l'éditeur : Global Voices bénéficie d'une subvention des Open Society Foundations, membres du réseau de Soros.]

Dimitar Tanurov après l'attaque. Photo utilisée avec sa permission.

Dimitar Tanurov a réussi à sortir du bâtiment et à se rendre à l'hôpital le plus près, où on lui a diagnostiqué une commotion cérébrale. Il a ensuite porté plainte auprès de la police.

Néanmoins, son cas n'a pas été classé comme une agression violente, mais comme un vol puisqu'on lui a pris son téléphone. Au cours des semaines suivantes, alors qu'il était en congé de maladie pour soigner ses blessures, il a confié à la police de nouvelles preuves démontrant qu'il avait bien été agressé, telles que des images d'attaquants identifiés provenant de vidéos tournées au cours de cette soirée, en vain. Son cas n'a pas été reclassé.

Un mois après l'agression, Dimitar Tanurov n'avait toujours pas été convoqué par le procureur pour faire sa déposition. Il a déclaré à Global Voices :

Сè уште не можам да закрепнам од тоа што се случи, и еден месец подоцна. Сè уште ги имам кошмарите и сум под терапија. Случајот се води како „разбојништво“ а од обвинителство се уште немам добиено ниту повик за идентификување на напаѓачите ниту да дадам изјава што конкретно се случи вечерта.

Je n'arrive pas à me remettre des événements, même après un mois. Je fais encore des cauchemars et je suis une thérapie. L'affaire est classée comme un « vol » et je n'ai toujours pas été convoqué par le procureur pour identifier les attaquants ni pour faire une déposition concernant ce qui s'est réellement passé au cours de cette soirée.

L'un des assaillants, identifié sur les images enregistrées par les caméras de vidéo-surveillance du parlement, aurait fui le pays. Un juge a refusé de laisser la police perquisitionner sa maison.

Parmi les autres journalistes agressés, certains ont accepté de parler publiquement de leur horrible expérience au parlement, mais très peu ont porté plainte officiellement, convaincus que les attaques ne seront pas sanctionnées.

PHOTOS : Aux Philippines, les combats entre l'armée et des extrémistes supposés liés à l’État Islamique ont déplacé 70.000 personnes

jeudi 1 juin 2017 à 18:51

Une halle polyvalente convertie en centre provisoire d'évacuation pour les habitants déplacés par l'attaque armée à  Marawi. Photo d'Alleco Roldan Silverio, fonctionnaire au Service du Développement et du Bien-être social. Utilisée avec autorisation.

Les offensives de l'armée des Philippines contre un groupe djihadiste local suspecté de liens avec l'organisation Etat islamique ont déplacé des milliers d'habitants de la ville de Marawi, située dans l'île méridionale de Mindanao.

Le 23 mai, des insurgés appartenant au groupe Maute auraient attaqué et occupé divers bâtiments de Marawi. A cause de l'affiliation supposée de ce groupe à l'EI, le président philippin a déclaré la loi martiale à Mindanao et ordonné à l'armée d'arrêter les membres de Maute et de stopper la propagation de l'extrémisme.

Mindanao compte une importante population musulmane. Certains mouvements y luttent pour leur auto-détermination, objet d'un processus de paix en cours, et ont dénoncé les actes des combattants de Maute.

Si la loi martiale cible a priori le groupe Maute, elle a provoqué l’évacuation en masse des habitants de Marawi vers les agglomérations à proximité. Des milliers de familles ont fui leurs foyers pour ne pas être prises dans les tirs croisés.

Au matin du 30 mai 2017, selon les chiffres officiels 14.313 familles soit 71.115 personnes étaient concernées par les affrontements armés de Marawi. Les autorités ont informé que 20 centres d'évacuation sont ouverts avec 2.261 familles soit 10.809 individus. Du fait du manque d'installations, des milliers sont allés chercher refuge dans d'autres agglomérations. Certains ont été vus fuir à pied en portant leurs rares possessions.

Une semaine après la proclamation de la loi martiale, le gouvernement a affirmé avoir repris le contrôle de Marawi. Mais améliorer la situation des bakwit (évacués) est autrement difficile pour les responsables locaux en train d'évaluer les effets de la loi martiale et des attaques du groupe Maute.

Nous avons pu distribuer hier des rations alimentaires familiales aux civils affectés dans certains barangays [quartiers] difficiles d'accès à Marawi

Ci-dessous, des photos montrant les habitants fuyant Marawi, les conditions dans les centres d'évacuation, et la situation dans une ville contrôlée par l'armée :

Les militaires ont été déployés à Marawi après la déclaration de la loi martiale. Source : page Facebook de Kathy Yamzon. Avec sa permission.

Des paysans n'ont pas voulu abandonner leurs animaux en fuyant la ville de Marawi. Source : page Facebook de Kathy Yamzon. Avec sa permission.

Après l'instauration de l'état d'urgence à Marawi, des milliers de gens se sont rués sur les moyens de transport disponibles pour fuir la ville. Source : page Facebook de Kathy Yamzon. Avec sa permission

Un “sanctuaire” pour les évacués de Marawi dans la petite ville de Saguiaran, Lanao Del Sur. Photo Jerome Succor Aba. Avec sa permission.

Un centre d'évacuation typique dans une installation de l'administration. Photo de la page Facebook d'Ina Alleco Roldan Silverio, fonctionnaire du Service de Développement et de Bien-être social. Avec sa permission.

Un projet photographique de lycéens macédoniens superpose des lieux la première guerre mondiale, jadis et aujourd'hui

mercredi 31 mai 2017 à 21:39

Photo d'enfants en 1917, marchant le long du fleuve Dragor, à Bitola, et la même rue en 2017. L'un d'eux porte un casque de l'armée française. Image utilisée avec autorisation.

Des lycéens de Bitola, ville située dans le sud de la Macédoine, ont réalisé des montages de photos afin de raviver les mémoires collectives locales de la Première Guerre Mondiale.

Il y a 100 ans, la Macédoine faisait partie de ce que l'on appelait le Front de Macédoine, également connu comme le Front de Salonique [autre nom de la ville grecque de Thessalonique] ou Front d'Orient, et qui se situe plus ou moins le long de la frontière actuelle avec la Grèce. Entre mars et octobre 1917, la ville de Bitola, alors aux mains des Alliés, fut dévastée par treize bombardements d'artillerie des Empires Centraux, utilisant notamment des gaz toxiques.

En 2017, des élèves qui participaient au projet qui a permis aux enfants de plusieurs villes d'en savoir plus sur cette période de l'histoire, ont préparé une exposition de photos de la ville de Bitola d'alors et d'aujourd'hui. Le projet consiste à superposer des photos de leur ville prises entre 1917 et 1918, et des photos de ces mêmes lieux en 2017.

Les photographies en question montrent comment la ville de Bitola a changé en 100 ans. Elles ont ainsi attiré l'attention de différents réseaux sociaux, après que certaines photos eurent été publiées sur le site Bored Panda.

A côté des photographies, on trouve également d'autres “souvenirs” de cette période historique : des munitions non explosées telles que grenades, boulets de canons et bombes continuent à joncher la zone. Les habitants continuent de déterrer de ces dangereux engins au moins une fois par an.

Projection de superpositions de photos anciennes sur un contexte nouveau. Photo de ALDA – Skopje, utilisée avec autorisation.

Le projet dans sa totalité a regroupé différents groupes d'étudiants des villes de Skopje, Tetovo, Strumica et Bogdanci, qui avec ceux de Bitola, ont participé à des ateliers basés sur la méthodologie de construction de la paix et ont exploré les anciens champs de batailles grâce à des visites organisés de ces lieux. Ensuite chaque groupe a choisi une méthode différente pour montrer ce qu'ils avaient appris, en produisant notamment une brève vidéo, une carte interactive ou encore le journal d'un soldat.

Le fait d'enseigner à des jeunes les horreurs vécues par les gens ordinaires en période de guerre, permet de les convertir en agents actifs de la prévention de nouveaux conflits. C'est d'autant plus important à l'heure où les nationalistes continuent de rouvrir de vieilles blessures des récentes guerres dans les Balkans, notamment celles de l’insurrection albanaise de 2001 en Macédoine, afin de mobiliser des soutiens politiques.

Photographie montrant des soldats alliés marchant le long de la rue principale de Bitola, il y a 100 ans. Utilisée avec autorisation.

Global Voices a obtenu l'autorisation de reproduire les photographies grâce à l'Association des Agences Locales de la Démocratie (ALDA) – à Skopje, et qui a mis en oeuvre le projet avec l'aide de l’ambassade britannique à Skopje. Les participants à ce projet incluent le professeur Iljo Trajkovski et les élèves Viktorija Vodilovska, Eva Kraus, Vesna Trajchevska, Marijan Kotevski, Blagoj Janakievski et Gorazd Dimovski.

Les habitants de Bitola sont fiers de préserver certains bâtiments anciens, construits pendant que leur ville était une capitale provinciale de l'empire ottoman et le siège de différents consulats étrangers. Le bâtiment présent sur la photo sert de conservatoire de musique. Utilisée avec autorisation.

Photos du Club de l'Armée, construit en 1911, en 1917 et en 2017. Utilisée avec autorisation.

Le bout de photo noir et blanc montre l'autre côté de la rue. Utilisée avec autorisation.

Certains bâtiments endommagés par les bombardements de 1917 furent réparés et ont survécu. Utilisée avec autorisation.

Une scène de l'ancien bazar de Bitola. Utilisée avec autorisation.

Officiers en uniformes britanniques et serbes marchant dans Shirok Sokak, la principale rue commerçante de Bitola. Utiliséz avec autorisation.

Maison préservée à Bitola. Utilisée avec autorisation.

Maison probablement utilisée par l'armée, où l'on aperçoit un drapeau britannique, il y a 100 ans. Utilisée avec autorisation.

Photos d'enfants posant devant l'église Saint Dimitri, à Bitola. Utilisée avec autorisation.

Officiers serbes en voiture dans le centre de Bitola le long du fleuve Dragor. Utilisée avec autorisation.