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Un militant malaisien interrogé par la police après avoir témoigné sur les LGBT devant l'ONU

jeudi 25 avril 2019 à 20:56

Le militant malaisien Numan Afifi témoigne sur la situation des droits humains en Malaisie lors de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Source: Facebook

Le défenseur des LGBT Numan Afifi a été convoqué par la police malaisienne un mois après qu'il a témoigné devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Numan était membre d'une délégation qui a participé à l'examen périodique universel sur la situation des droits humains en Malaisie, centré sur les questions relatives à l'orientation sexuelle, à l'identité de genre et à l'expression et caractère sexuels.

Numan a fait l'éloge du programme anti-harcèlement du gouvernement, tout en relevant l'existence permanente de discriminations ‘institutionnalisées’ contre les LGBT en Malaisie. Il a cité les ‘pratiques de rééducation et de conversion’ ciblant la communauté LGBT. Il a aussi mentionné l’enquête pour sédition ouverte par les autorités contre les organisatrices de la Journée des Femmes après que des banderoles LGBT ont été vues dans le rassemblement.

Numan s'est engagé à continuer le combat pour les droits humains. Il a écrit sur Facebook :

I will not bow down to these acts to harass or intimidate me as a human rights defender in Malaysia. I fight for all human rights and will continue doing so. Stand in solidarity with us as we enlarge civic space in Malaysia and condemn those who attempt to shrink it.

Je ne m'inclinerai pas devant ces actes pour me harceler ou m'intimider en tant que défenseur des droits humains en Malaisie. Je me bats pour tous les droits humains et continuerai à le faire. Soyez solidaires avec nous pour élargir l'espace civique en Malaisie et condamner ceux qui tentent de le rétrécir.

La constitution de la Malaisie garantit la protection des minorités, y compris de celles qui s'identifient comme membres de la communauté LGBT. Mais ces dernières années, les mouvements radicaux sont devenus plus agressifs dans leur exigence d'une application rigoureuse des enseignements islamiques dans la gouvernance. La population de la Malaisie est majoritairement musulmane.

L'Alliance malaisienne des organisations de la société civile dans le processus d'examen périodique universel (MACSA) a indiqué que Numan “ne s'est appuyé sur aucune preuve crédible pour étayer l'affirmation incrédule” contre le programme Mukhayyam (camp) de ‘rééducation’. Le MACSA a expliqué que le programme Mukhayyam auquel s'est référé Numan cherche à “répondre à la multiplication de nouveaux cas de VIH/SIDA parmi les personnes transgenre et les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes”. Ajoutant que :

Participation in the Mukhayyam programme is also completely voluntary with no elements of coercion involved and is far indeed from conversion therapy practised by other countries which involve an element of forced participation.

La participation au programme Mukhayyam est aussi totalement volontaire sans  aucun élément de coercition, et n'a rien à voir avec la thérapie de conversion pratiquée par d'autres pays qui comportent un élément de participation forcée.

Le MACSA demande à Numan de présenter des excuses aux membres LGBT participant au programme.

En revanche la déclaration de Numan sur la ‘violence institutionnalisée’ contre la communauté LGBT a reçu l'appui de 41 organisations de la société civile :

These state-sponsored activities are harmful by design as they employ rehabilitation and conversion practices which aim to curb and suppress the actual or perceived sexual orientation, gender identity and gender expression of LGBT persons. They also encourage others to intervene in the private and public lives of LGBT persons.

Ces activités institutionnalisées sont nocives par nature, puisqu'elles emploient les pratiques de rééducation et de conversion visant à contenir et juguler, qu'elles soient réelles ou perçues, l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression de genre des personnes LGBT. Elles encouragent également les gens extérieurs à intervenir dans la vie privée et publique des personnes LGBT.

Un autre ensemble d'organisations de la société civile a déploré l'enquête de police contre Numan :

The police investigation into Numan’s statement merely serves to highlight the harassment, bullying and discrimination faced by LGBT persons in Malaysia. There is absolutely nothing in Numan’s statement that could warrant any investigation by the authorities.

L'enquête de la police sur la déclaration de Numan ne sert qu'à mettre en lumière le harcèlement, les brimades et la discrimination que subissent les personnes LGBT en Malaisie. Il n'y a absolument rien dans la déclaration de Nurman qui justifie une quelconque enquête des autorités.

La Coalition des ONG malaisiennes dans le processus d'examen périodique universel ou COMANGO a qualifié l’ ‘enquête sans fondement’ contre Numan de ‘nouveau point bas en termes de représailles étatiques contre les défenseurs des droits humains en Malaisie’.

La convocation en précise pas ce qui est reproché à Numan ni de quelle infraction il est accusé. Numan a reçu de la police ordre de comparaître et de faire sa déposition le 26 avril 2019.

Attaques au Sri Lanka : les médias sociaux sont-ils un bien ou un mal ?

mercredi 24 avril 2019 à 22:25

Les violences communautaires se jouent aussi sur les médias sociaux

L’hôtel Kingsbury de Colombo, au Sri Lanka, a été l'un des sites des attaques coordonnées du 21 avril 2019. Photographie par AKS.9955 via Wikimedia Commons.

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Pendant que la tragédie de Pâques 2019 autour des attaques des églises et des hôtels se déroule au Sri Lanka, le gouvernement srilankais a pris l'initiative inhabituelle de bloquer plusieurs médias sociaux à titre préventif.

Le bureau du président a annoncé le blocage de Facebook et Instagram, affirmant qu'ils pourraient autrement être utilisés pour répandre l'infox. En outre, le groupe de recherche sur la censure numérique NetBlocks a apporté des preuves de la suspension de WhatsApp, YouTube, Viber, Snapchat et Messenger.

Des blocages de cette sorte sont une violation manifeste des droits internationaux à la liberté d'expression et à l’accès à l'information. La protection de ces droits est tout particulièrement importante dans des situations d'urgence, pendant lesquelles les gens peuvent avoir besoin d'appeler à l'aide ou de communiquer avec leurs famille et amis. Bien que les coupures d'Internet soient une tactique de plus en plus utilisée par les gouvernements pour contrôler l'expression en ligne, les coupures préventives sont plutôt rares. Par exemple en 2016, le Bangladesh avait justifié un blocage de Facebook, Viber et WhatsApp en la qualifiant de mesure de sécurité publique.

Malheureusement, il n'est pas vraiment surprenant que le gouvernement srilankais ait pris ce chemin, si l'on considère la longue histoire de violences communautaires du pays et la façon dont elle s'est jouée, à maintes reprises, sur les espaces offerts par les médias sociaux. En mars 2018, le gouvernement avait bloqué [fr] Facebook, WhatsApp et Viber pour tenter de calmer la violence sectaire à la suite des affrontements entre musulmans et bouddhistes dans la ville de Kandy, et dont avaient résulté l'incendie d'une mosquée et des attaques d'entreprises appartenant à des musulmans.

À l'époque, Nalaka Gunawaredene argumentait sur le site de média citoyen Groundviews que ces suspensions étaient contre-productives et inefficaces, et isolaient beaucoup d'internautes de sources d'informations importantes, pendant que d'autres, plus aisés et technophiles, installaient simplement un réseau privé virtuel (RPV) pour contourner les blocages. D'autres enquêtes menées par le chercheur et romancier Yudhanjaya Wijeratne et l'analyste Ray Serrato ont conclu que de nombreux particuliers installaient des RPV et que les coupures nuisaient aux entreprises qui s'appuient sur les plates-formes de médias sociaux.

Ces analyses n'ont pas empêché le gouvernement srilankais de répéter et d'étendre son exercice de blocage, cette fois-ci dans l'intention apparente d'anticiper la propagation de l'infox, de la désinformation et des rumeurs, et de prévenir l'organisation de représailles.

Y. Wijeratne a ainsi rapporté sur Twitter qu'il constate que de plus en plus de gens se préparent à contourner les blocages.

Juste une observation d'ordre général : cette fois, les gens semblent être bien mieux préparés à contourner le blocage. Les citoyens ont clairement appris depuis mars, même si ce n'est pas le cas du gouvernement.

D'autres se tournent vers les plates-formes de médias sociaux pour se tenir informés et rester en contact avec leur communautés.

Respect pour les Srilankais !
Une énorme gentillesse, nous pouvons tous être fiers !
Les donneurs de sang abondent, un grand nombre de gens donnent leur sang dans les hôpitaux à la suite des demandes sur gouvernement.

Bien qu'il soit actuellement bloqué au Sri Lanka, Facebook a lancé son outil de gestion de crise (contrôle d'absence de danger [fr]) pour diffuser des informations, aider ses utilisateurs à rapporter s'ils ont été affectés, ou chercher des amis potentiellement affectés.

Des réactions mitigées à une censure impulsive

La décision du gouvernement de fermer les médias sociaux a frustré, car de tels blocages sont généralement inefficaces et isolent les citoyens de canaux de communication vitaux dans une période difficile.

Cependant, d'autres ont exprimé leur soutien. The Guardian cite ainsi un habitant de Colombo pour qui “ne pas suspendre les médias sociaux pourrait avoir conduit des gens à coordonner des attaques et des émeutes contre les musulmans.”

Les réactions du pays, du gouvernement aux citoyens, suggère une ambivalence collective quant au possible effet positif que ces plates-formes peuvent avoir en situation d'urgence.

C'est une tendance nettement différente de celle qui semblait dominer il y a quelques années, quand les plates-formes des médias sociaux étaient louées pour leur puissante capacité à coordonner l'assistance en période de crise. L'outil de contrôle d'absence de danger de Facebook est même devenu sujet à controverse quand les résidents de villes comme Beyrouth (après les bombardements de 2015) n'y ont pas eu acces.

Aujourd'hui, une profonde incertitude domine l'opinion quant à la capacité des entreprises à sauvegarder les utilisateurs vulnérables en cas de crise. Le discours haineux et la désinformation semblent être des facteurs déterminants de ce changement. Ces derniers années, des experts et défenseurs srilankais des médias numériques ont supplié les entreprises de médias sociaux de trouver des moyens de maîtriser le discours haineux, le harcèlement et la désinformation en ligne, sans grand succès.

Dans un rapport de 2018, Digital Blooms: Social Media and Violence in Sri Lanka [Éclosions numériques : Médias sociaux et violence au Sri Lanka, non traduit en français, NdT], Sanjana Hattotuwa note que Facebook et d'autres plates-formes, tout comme le gouvernement srilankais, n'ont pas réussi à stopper la prolifération de discours haineux et de désinformation autour de la violence de 2018. S. Hattotuwa se concentre sur Facebook en sa qualité de plate-forme préférée des communications en cinghalais. Il remarque que bien que “les médias sociaux ne sont pas la source de conflits violents”, ils fournissent “un canal d'incitation à la haine et à la violence collective”.

La réaction de Facebook aux événements du dimanche de Pâques dans le pays a été remarquablement modérée et s'est concentrée sur l'assistance aux premiers secours et l'application de la loi. L'entreprise a simplement affirmé qu'elle était “au courant de la déclaration du gouvernement concernant le blocage temporaire des plates-formes des médias sociaux” et avait à cœur d'offrir son aide.

De la même façon que nous considérions le blocage des médias sociaux en temps de crise une scandaleuse censure, nous assistons peut-être aujourd'hui à un soutien croissant de la part du public si les entreprises elles-mêmes sont incapables de gérer les menaces et la désinformation sur leurs plates-formes.

En cette période d'horreur et de tristesse au Sri Lanka, le destin de telles plates-formes et de leur usage est peut-être un sujet mineur. Mais la rapide décision de les suspendre suggère qu'aux yeux du gouvernement srilankais, elles peuvent empirer une situation déjà nocive. Dans les jours et les semaines qui viennent, ces entreprises pourraient en profiter pour réfléchir à ce qu'elles ont pu faire de travers.

‘L'armée n'a tué personne,’ dit Bolsonaro après que l'armée a abattu un père de famille en criblant par erreur sa voiture de 80 balles

mercredi 24 avril 2019 à 08:05

Des militaires en patrouille à  Rio de Janeiro en 2018. Photo: Tânia Rêgo/Agência Brasil, republication autorisée sous condition d'indication de l'auteur.

Le 7 avril était un dimanche, et le musicien Evaldo dos Santos Rosa, 51 ans, était en route pour une baby shower (une fête prénatale, à l'américaine) à Guadelupe, un quartier pauvre de la ville de Rio. Il était accompagné de son beau-père, de sa femme, de son fils de 7 ans et d'un ami. Le soleil était haut dans le ciel et tout semblait normal en ce week-end dans la plus grande ville côtière du Brésil.

Alors qu'il passait près d'une base de l’armée, des soldats on tiré une pluie de balle sur la voiture. Evaldo a immédiatement été tué sur place et son beau-père ainsi qu'un passant, ont été blessés. Les autres passagers ont, eux, réussi à s'échapper.

La police, après avoir inspecté la scène, a révélé que la voiture avait reçu 80 balles. Leonardo Salgado, le chef de la police, suppose que les agents ont confondu la voiture d'Evaldo avec une autre, utilisée par des criminels qu'ils recherchaient, selon le site web d'information G1. Il a d'ailleurs ajouté que la police n'avait trouvé aucune arme dans la voiture.

Luciana Nogueira, la femme d'Evaldo âgée de 27 ans, survivante de la fusillade, a dit au journal Estado de S. Paulo:

Os vizinhos começaram a socorrer (o meu marido), mas eles continuaram atirando. Eu botei a mão na cabeça, pedi socorro, disse pra eles que era meu marido, mas eles não fizeram nada, ficaram de deboche.

Les voisins ont commencé à secourir (mon mari), mais (les soldats) ont continué à tirer. J'ai mis les mains sur ma tête, appelé à l'aide, dit que c'était mon mari, mais ils n'ont rien fait, ils sont juste restés là, à se moquer de moi.

Alors que le meurtre brutal d'un homme innocent par des fonctionnaires a choqué le Brésil, le président Jair Bolsonaro est resté muet sur cet incident pendant 6 jours.

Quant il s'est enfin décidé à prendre la parole lors d'une conférence de presse le 12 avril, il a dit :”L'armée n'a tué personne, l'armée est le peuple et vous ne pouvez accuser le peuple de meurtre”.

Avant cela, les seuls mots qui étaient sortis du Palais du Planalto, le siège de l’exécutif, par l’intermédiaire du porte-parole du président, étaient pour se référer à l’exécution d'Evaldo comme à un ”incident” sans présenter ses condoléances à sa famille.

Dans la soirée du 8 avril, le gouverneur de l’État de Rio de Janeiro, Wilson Witzel, un allié de Bolsonaro, a déclaré que “ce n'était pas à lui d'en juger”.

Deux jours plus tard, le ministre de la justice et de la sécurité publique Sergio Moro a dit que le meurtre était ”regrettable” lors d'une interview dans une émission télé.

Voici le nombre de mentions sur Twitter faites par le cabinet de Bolsonaro, à propos de la fusillade visant la famille en voiture à Rio de Janeiro.
Oui, le graphique est VIDE car personne ne s'est manifesté, pas même pour regretter ce qui était arrivé.
La voiture a reçu 80 balles tirées par des militaires.

Une enquête militaire

Peu de temps après, des informations sur l'événement ont commencé à circuler dans les médias, l'armée a fait paraître un communiqué disant que ses hommes avaient répondu à une “agression injustifiée d'origine inconnue”. Un peu plus tard, le 7 avril dans la soirée, un nouveau communiqué est sorti, disant cette fois qu'une enquête serait diligentée.

Même si la police civile a inspecté la scène de crime, ce n'est pourtant pas elle qui sera chargée de l'enquête, mais bien l'armée elle même, et une cour militaire jugera les soldats s'il y a lieu. Ceci grâce à une loi de 2017 qui laisse aux forces armées la responsabilité d'enquêter sur les meurtres commis par leur personnel en service.

Human Rights Watch, qui a critiqué cette loi à l'époque de son approbation par le président Michel Temer, a émis un communiqué le 9 avril appelant à une enquête impartiale sur le meurtre d'Evaldo, ainsi qu'à l'abolition de cette loi.

Le 8 avril, les militaires ont arrêté 10 des 12 soldats présents sur les lieux ce jour-là, les accusant de meurtre et de tentatives de meurtre, selon le journal local Extra. Une rumeur soutient qu'un juge a relâché l'un des 10 le 10 avril.

Pas la première fois

La police brésilienne est connue pour “tirer d'abord et poser des questions ensuite”, et cela a été prouvé bien des fois.

Un rapport d'Amnesty international, daté de cette année, montre que la police brésilienne est la plus meurtrière du monde. Rien qu'en 2018, 15,6% de tous les homicides commis dans le pays l'ont été par les forces de l'ordre. Uniquement dans l’État de Rio de Janeiro et seulement durant le mois de janvier 2019, la police a tué 160 personnes.

La loi baptisée “package anti-crime” que le gouvernement Bolsonaro est en train de soumettre au Congrès doit potentiellement augmenter ces chiffres alarmants. L'objectif de cette loi est de changer certaines directives afin d'atténuer voire de réduire significativement les peines des policiers ou des militaires qui tueraient quelqu'un lorsqu'ils sont en service.

Les circonstances du meurtre d'Evaldo, un homme noir âgé de 51 ans, ne sont pas une exception mais bien la règle au Brésil, comme Samira Bueno et Renato Sérgio de Lima, directeurs du Forum brésilien de la sécurité publique, l'ont dit dans un article paru dans le journal Folha de São Paulo :

Evaldo teve sua vida ceifada por aqueles que juraram defendê-la. Seu filho jamais se livrará do trauma de ter assistido ao pai ser fuzilado por agentes estatais. Mas que fique claro que a culpa não é apenas daqueles que apertaram o gatilho. Ou começamos a responsabilizar toda a cadeia de comando pelos atos cometidos, ou vamos continuar contando os nossos mortos e desacreditando as nossas instituições.

Ceux qui avaient prêté serment de la protéger ont pris la vie d'Evaldo. Son fils ne pourra jamais oublier le traumatisme de voir son père tué par les agents de l’État. Mais soyons clairs, la faute ne revient pas uniquement à ceux qui ont appuyé sur la gâchette. Soit nous commençons à remonter toute la chaîne de commandement responsable de ces actes, soit nous continuons à compter nos morts tout en discréditant nos institutions.

Dans les montagnes de l'Azerbaïdjan, le football devient un véritable but pour les filles

mardi 23 avril 2019 à 21:28

Deux orphelines jouent aujourd'hui dans l'équipe nationale junior

L'équipe féminine de Shaki bouscule les idées reçues. Photographie de Chai-Khana.org, reproduite avec autorisation.

Cet article de Chai-Khana.org est publié sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat. Le texte et la vidéo sont de Ayten Najaf et Nurlan Babazade.

Avec 56 buts à son actif en 2017, Nahida est, à 15 ans, une championne dans sa ligue de football féminine locale. Ses co-équipières de l'équipe Gənclik (“Jeunesse”, en azéri) et elle-même viennent de la ville de Shaki, une pauvre mais ancienne cité montagnarde du nord de l’Azerbaïdjan [fr].

Shaki est une ville conservatrice, où le football est perçu comme un sport masculin et où les hommes dominent clubs et terrains. Pourtant, but après but, Nahida et d'autres jeunes footballeuses remettent ce stéréotype en question.

L'histoire des jeunes filles de Shaki n'est pas un cas particulier : leur enthousiasme reflète l’intérêt croissant pour le football féminin dans tout le pays. D’après la Fédération des associations de football d’Azerbaïdjan, il existe aujourd'hui 52 clubs de football féminin pour les moins de 16 ans, dont 36 dans des villes de province comme Shaki.

L’entraîneur local, Mammad Dashadov, a joué un rôle essentiel en faisant connaître Shaki et en aidant ces jeunes filles à s'approprier, elles aussi, le terrain de football.

“En général, comme il implique des femmes et que Shaki est un endroit particulier, le football féminin est considéré comme quelque chose d'étrange. Quand nous avons fondé l'équipe féminine de Shaki, cela a généré une certaine confusion : ‘Qu'est-ce que c'est, le football féminin ?’ C'était bizarre pour les gens d'ici”, explique M. Dashadov, qui entraîne trois équipes féminines.

Puisque l'idée du football féminin était si étrange aux parents de Shaki, Mamma Dashadov a décidé de montrer l'exemple. Il a formé la première équipe féminine de la ville avec ses deux filles, les deux filles de son frère et les deux filles de son beau-frère.

“Je les ai rassemblées et j'ai formé une équipe pour montrer aux gens. Plus tard, quelques parents m'ont abordé et m'ont demandé d'intégrer leur fille dans l'équipe. Ça a donc été difficile au début, mais c'est devenu plus facile à la suite”, analyse-t-il.

Un peu plus tard, il est entré en contact avec l'orphelinat de Shaki et a en invité les jeunes filles à rejoindre l'équipe. C'est ainsi qu'il a découvert Nahida et treize autres jeunes filles passionnées de football, et qu'il a formé l'équipe UGIM de Shaki.

“Devenir footballeuse était mon rêve d'enfance. Quand M. Mammad est venu pour prendre des filles pour l’entraînement, je suis allée avec elles. J'étais une gamine et je ne faisais que courir après le ballon parmi les plus grandes”, se souvient Nahida en souriant.

Nahida a fini par être remarquée par l'Association de football d’Azerbaïdjan et a commencé à jouer dans l'équipe nationale junior (moins de 17 ans).

Bien qu'elle se concentre sur son éducation et s’entraîne régulièrement pour s’améliorer, elle rêve toujours de rencontrer quelques unes des légendes du football, surtout Cristiano Ronaldo.

Découvrez les rêves de football de Nahida dans la vidéo ci-dessous.

Les Russes sidérés et envieux après la victoire écrasante d'un humoriste à la présidentielle ukrainienne

mardi 23 avril 2019 à 20:34

Les Russes préfèrent la politique du voisin à la leur

Olga Skabeïeva et Evguéni Popov, le couple vedette de la télévision d’État russe, ont animé un direct de 6 heures sur le débat présidentiel ukrainien le 19 avril. Photo Rossiya 24, arrêt sur image par Runet Echo.

Le second tour de l'élection présidentielle en Ukraine s'est conclu par la défaite retentissante du sortant Petro Porochenko, battu avec une marge de 50 points par un humoriste de 41 ans dépourvu de toute expérience politique, Volodymyr Zelenskiy.

Zelenskiy semble avoir incarné un mécontentement généralisé contre le gouvernement Porochenko, notamment marqué par la guerre contre le séparatisme, soutenu par la Russie, dans les régions orientales, qui a coûté 13.000 vies de part et d'autre dans les cinq dernières années.

S'il est trop tôt pour prévoir quel chef d’État fera ce novice en politique, l'élection qui lui a offert la victoire a été attentivement suivie par un public se chiffrant en millions de part et d'autre de la frontière contestée avec la Russie.

Les Russes, scotchés à leurs écrans, ont regardé ce spectacle rare : une campagne électorale authentiquement imprévisible dans laquelle un président sortant peut débattre avec un outsider, perdre le scrutin, et concéder pacifiquement sa défaite.

Quand les deux candidats finalistes ont débattu devant un stade à moitié rempli de la capitale Kiev le 19 avril, tant les télévisions d’État que divers médias indépendants de Russie ont diffusé émissions en direct et streamings vidéos en ligne.

Le site web d'information indépendant Meduza a relevé que les débats télévisés de l'élection présidentielle russe de 2018 ont à peine reçu du temps d'antenne—et en l'absence du candidat de tête, Vladimir Poutine—à comparer avec la couverture médiatique intégrale des débats de stade en Ukraine :

Oui, la télé russe s'intéresse plus aux élections ukrainiennes qu'aux [élections] russes.

The Bell, un autre site indépendant d'information, a compté six millions de vues du débat de vendredi sur les plus grandes chaînes YouTubes russes.

Non contents de suivre les débats à la télévision ou sur internet, ou de lire un des nombreux blogs de direct, les Russes se sont aussi rués sur Twitter pour commenter et exprimer toute la gamme des émotions. Certes, la télévision d’État russe, violemment anti-ukrainienne, a tourné en dérision les débats, réduisant l'élection à un cirque, signe d'un écroulement imminent de l'Ukraine.

Pas sûr que ce soit la leçon retenue par la majorité des Russes. La télévision diffuse le “débat” parce que les directions le voit comme un cirque et un récit édifiant. Les preuves anecdotiques vont dans ces deux sens, sans doute, mais je ne parierais pas encore tout de suite sur la “réussite informationnelle” de l'Ukraine.

Les présentateurs de la télévision d’État ont passé une heure à tenter de convaincre les téléspectateurs que le débat d’aujourd’hui à Kiev était une farce vaine et cynique, naturellement sans mentionner la dernière fois que Poutine avait participé en tant que candidat à un tel débat. Euh, et c'était quand déjà ?

Beaucoup de Russes ont de fait suivi le débat avec un sentiment d'envie :

Les débats ukrainiens ont été suivis par près d'un million de personnes rien que sur la chaîne YouTube Navalny Direct. De nombreux autres l'ont regardé sur Dojd, RBC et beaucoup de médias en ligne avec des audiences favorables à l'Ukraine. Ne croyez pas que c'était pour le cirque.

Le débat ukrainien m'a incroyablement remonté le moral. Le jour viendra où nous Russes ferons les mêmes choses (avec de meilleurs résultats, j'espère). Zelensky a gagné l'élection : l'Ukraine a-t-elle gagné ? A vrai dire je ne pense pas, mais j'ai chanté l'hymne national avec eux. L'espoir meurt en dernier.

Il s'avère qu'on peut changer des présidents avec des élections. Incroyable. Vous le saviez seulement ?

Beaucoup ont souligné l'ironie d'une telle attention à un théâtre politique de la part d'un pays où de réels débats politiques ou élections n'ont pas eu lieu depuis des années :

J'espère que la télé russe va poursuivre sa tradition de copier des émissions ukrainiennes de folie et va montrer de pareils débats enflammés pour les élections présidentielles (non)

Les débats présidentiels en Ukraine omniprésents sur les médias d’État russes. Émissions en direct sur Rossiya 24, avec des commentateurs prêts en continu. Ne pas oublier que Poutine n'a jamais participé à un débat en tant que candidat à la présidence.

Scène révélatrice : Je suis dans un club fermé de discussion à Moscou organisé par une star des affaires. Un invité regarde le débat ukrainien sur son téléphone. L'orateur parle de la politique et des perspectives économiques en Russie en déplorant l'improbabilité de la libéralisation et de la croissance. Et termine par un toast “à la possibilité d'avoir un jour de tels débats ici”

Je ne comprends pas trop comment on peut soutenir sérieusement quelqu'un dans les élections d'un autre pays et pas comme son club favori de NHL, et dans un système comme celui-là il est difficile de ne pas soutenir Zelenski, évidemment. Mais pour moi c'est un show politique dont nous sommes privés depuis 25 ans, et j'ai le droit de m'étonner de ces débats et de tout le reste.

L'éminent journaliste Oleg Kashin a publié un mème dans lequel Poutine dit au célèbre humoriste russe Mikhaïl Galoustyan “N'y songe même pas !” — allusion au fait qu'une personnalité populaire de la télévision ait défié personnellement le président et remporté l'élection.

D'autres ont été emplis d'espoir et d'admiration devant l'exploit démocratique de l'Ukraine :

Ah, le rafraîchissant spectacle. Pas de problème, ça sera bientôt aussi en Russie, vous allez voir.

Brillant discours de Porochenko d'acceptation de sa défaite et de félicitations à Zelensky. Leur révolution a été surnommée la Révolution de la dignité, et ils se comportent avec dignité !

Et si les loyalistes à l’État ont été uniformément dédaigneux—la porte-parole des Affaires étrangères russes Maria Zakharova a qualifié les débats de “cirque sous chapiteau” tandis que Vladimir Poutine s'est abstenu lundi de téléphoner à Zelensky pour le féliciter, comme l'on fait les autres dirigeants de la planète—il ne fait pas de doute que les Russes s'intéressent plus à la vie politique de leur voisin qu'à la leur.