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Aider à écrire les histoires des travailleuses du sexe en Ouganda

mercredi 31 mai 2017 à 21:09

Comment j'ai découvert des bas-fonds de Kampala dont j'ignorais l'existence

Les pieds d'une travailleuse du sexe à Bwaise, un bidonville du nord de Kampala. Crédit photo: Prudence Nyamishana

Les pieds d'une travailleuse du sexe à Bwaise, un bidonville du nord de Kampala. Crédit photo: Prudence Nyamishana

Si vous me demandez pourquoi je me suis mise à rédiger un journal de travailleuse du sexe sur mon blog, je vous dirai que je l'ai fait par pure curiosité. J'avais appris que dans le quartier de Bwaise, un bidonville au nord de Kampala, les femmes se vendaient pour aussi peu que 500 shillings ougandais (0,14 dollar US). Je voulais avoir une vue d'ensemble de la situation, et peut-être partager l'histoire avec les lectrices et lecteurs de mon blog. J'ai donc appelé mon ami Joseph, un travailleur social actif dans ce domaine depuis des années.

Le bidonville Bwaise est situé à cinq minutes du quartier central des affaires de Kampala. Joseph m'attendait quand j'ai débarqué d'un taxi collectif un après-midi. Après un échange d'amabilités, il m'a conduite dans un couloir étroit. À la fin du couloir, la scène a soudainement changé : ce n'était pas le Kampala auquel j'étais habituée. J'ai vu des débits de boisson aux cloisons de terre pleins d'hommes et de femmes à midi. Il y avait des ordures partout et la musique Lingala jouait en arrière-plan. Pour avancer Joseph et moi avons dû enjamber des ruisseaux d'égout. Nous avons marché dans les ruelles bordées de cahutes de bois et de tôle. Je découvrirais plus tard que ce sont des bordels et que plus de 300 femmes viennent ici quotidiennement pour vendre du sexe, tant de jour que de nuit.

Une femme, la quarantaine avancée, nous a accueillis à notre arrivée. Elle nous a dit son nom et s'est présentée avec fierté en tant que la “Mama” des travailleuses du sexe. Elle nous a invités dans une petite pièce d'environ huit mètres carrés, au sol de terre battue. Dans un coin se trouvait une étagère délabrée avec des bouteilles de gin local. Des lits superposés et un lit simple se trouvaient de l'autre côté de la pièce. Un enfant, qui dormait sur la couchette inférieure, a attiré notre attention.

La Mama nous a dit qu'elle louait ces lits à ceux qui achètent et vendent du sexe, pour 500 shillings ougandais à chaque usage.

J'ai expliqué à Mama que nous étions intéressés à sensibiliser l'opinion sur les terribles conditions de vie des travailleuses du sexe dans les bidonvilles de Kampala afin que les décideurs puissent y prêter leur attention et, espérons-le, faire quelque chose à ce sujet. Comme Joseph avait travaillé avec elle auparavant, et qu'un de ses enfants bénéficiait d'un des programmes de Joseph, elle nous a reçus. Mais elle a dit que nous devrions payer le temps que nous allions passer à parler aux femmes.

La Mama nous a présenté une femme de 28 ans qui travaille dans son établissement. La femme parlait couramment l'anglais et était désireuse de raconter son histoire. Elle m'a dit qu'elle ne voulait pas de l'argent, il lui fallait seulement une personne à qui se confier. Je lui ai promis de ne pas révéler son identité, mais elle a insisté sur le fait que cela importait peu, car elle n'avait rien à perdre. Son histoire m'a émue.

Lorsque j'ai publié mon billet, il a généré de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Certains commentaires m'ont remerciée d'avoir raconté ces histoires, disant croire que ces femmes allaient en tirer bénéfice. D'autres, cependant, ont douté de mes motivations.

Un jour! Peut-être un jour! 🙃 Pru, merci d'avoir partagé l'histoires de ces dames.

“J'ai un plan” << Celle-ci m'a fait pleurer>> 😞

Des lecteurs ont pris des engagements, dont beaucoup sont encore à réaliser. Une personne a promis d'acheter un téléphone à une des femmes ; d'autres ont envoyé de l'argent. Certaines personnes m'ont même conseillé de créer une organisation qui pourrait soutenir un centre de réadaptation répondant aux besoins des travailleuses du sexe. J'ai toutefois insisté sur le fait que mon travail était de raconter, et que, en tant que lecteurs, ils avaient la responsabilité d'agir sur la question s'ils s'en souciaient vraiment.

Alors que mon motif initial était une simple curiosité, passer du temps avec les femmes de Bwaise m'a permis de découvrir des problèmes profonds que l'Ouganda n'a pas vraiment résolus, comme la traite des enfants, l'esclavage sexuel, la négligence parentale, l'extrême pauvreté, la violence à l'égard des femmes et la criminalité. Plus je parlais aux femmes, plus je me rendais compte que les problèmes auxquels elles étaient confrontées étaient plus grands que je ne le pensais. Et que c'était une histoire bouleversante : j'ai failli abandonner après avoir écouté la deuxième histoire.

C'est l'encouragement que j'ai reçu des organisations qui travaillent sur ces questions qui m'a poussée à continuer. Not for Sale Uganda (L'Ouganda qui n'est pas à vendre), une organisation qui développe conjointement des entreprises, des projets sociaux et des initiatives pour mettre fin à la traite des êtres humains, a déclaré ceci en réponse à mon histoire sur une travailleuse du sexe appelée Kemirembe :

“Nous devons travailler ensemble pour donner de l'espoir aux plus vulnérables. L’histoire de Kemirembe est très touchante. Not For Sale est maintenant enregistrée en Ouganda et notre travail ciblera principalement les personnes dans la situation de Kemirembe ou similaire, en offrant une intervention sociale ainsi que d'autres actions pour un développement durable qui puissent leur fournir un travail alternatif digne”.

Une lectrice qui a partagé une des histoires sur sa page Facebook a reçu un courriel d'une amie aux États-Unis, disant :

“Je viens en Ouganda en août. Je cherche à aider les femmes impliquées dans la prostitution “, a-t-il écrit. “Si vous connaissez quelqu'un ou êtes prête à m'aider à trouver des gens ou des ministères qui veulent aider les femmes, faites-le moi savoir”.

Benjamin Musaasizi, cofondateur de Divine Hearts, une organisation chrétienne, a commenté :

Nous, à la Divine Hearts Foundation, apprécions vos efforts pour révéler de telles réalités au reste du monde et nous nous sommes engagés à travailler avec vous afin de trouver des moyens d'aider ces soeurs.

J'ai rencontré Benjamin en personne et il a promis, au nom de son organisation, de payer les frais de scolarité pour deux enfants des travailleuses du sexe. Un engagement comme celui-ci, s'il est rempli, pourrait faire une grande différence dans la vie de ces enfants.

Taïwan, le premier pays en Asie à reconnaître le mariage gay

mardi 30 mai 2017 à 22:06

Des militants pour le mariage LGBT célèbrent la décision du tribunal le 24 mai 2017. Photographie du groupe Facebook soutenant la coalition pour le mariage LGBT.

Cet article a été écrit par Elson Tong et fut originalement publié sur Hong Kong Free Press le 24 Mai 2017. La version ci-dessous est republiée sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat avec Hong Kong Free Press.

Le 24 mai 2017, la plus haute instance de Taïwan a jugé que la réglementation actuelle interdisant le mariage entre deux personnes du même sexe est inconstitutionnelle.

La décision du tribunal constitutionnel signifie donc que l'île va devenir le premier pays d'Asie à reconnaître le mariage homosexuel.

Le panel de quatorze juges a annoncé le résultat mercredi 24 après-midi à l'issue d'une analyse de la constitution de deux mois. Il ordonné à l'organe législatif de réformer le Code civil ou d'introduire de nouvelles dispositions afin de reconnaître le mariage homosexuel d'ici deux ans.

Le tribunal a déclaré que la réglementation existante est une violation des droits constitutionnels concernant la liberté de se marier et l'égalité entre citoyens.

Taïwan déclare que la liberté de se marier pour deux personnes inclut « le choix de se marier ou non » et « le choix de la personne que l'on épouse ». Texte en entier ici https://t.co/i6f0Ob9IQA

Deux des quatorze juges ont contesté cette décision, et un s'est abstenu de donner son avis.

Des centaines de défenseurs du mariage homosexuel ont célébré cette victoire à Taïpei devant le Parlement, dans une manifestation organisée par le groupe de défense des droits des homosexuels Marriage Equality Coalition [Coalition pour l'égalité au mariage].

« Nous pouvons enfin nous marier ! » se sont écriés des manifestants devant le Parlement.

En revanche, des opposants campent toujours devant le palais de justice à la suite de leur manifestation de mardi. Le militant contre les droits des homosexuels Abdulluh Musad a organisé une grève de la faim pendant quatre jours au Liberty Square de Taïpei.

« L'histoire s'écrit sous mes yeux »

La révision de mercredi fut introduite par deux parties dont Chi Chia-wei, un militant pour les droits des homosexuels de cinquante-neuf ans qui avait essayé d'enregistrer son mariage avec son partenaire de sexe masculin en 1986.

La loi martiale étant alors instaurée à Taïwan, il fut emprisonné pendant cinq mois. Le corps législatif avait répondu à sa pétition en qualifiant l'homosexualité de « perversion d'une minorité. »

Cette fois, Chi fut rejoint par le Département des Affaires civiles du gouvernement de Taïpei, qui avait auparavant indiqué qu'il respecterait la décision du tribunal, quelle qu'elle soit.

Chi Chia-wei. Photographie de Tsai Yi sur Facebook.

L'utilisateur de Facebook Tsai Yi a remarqué le vieil homme devant le Yuan législatif [le Parlement] et a capturé ce moment historique :

畫面中的這個人叫祁家威,1986年28歲的他在台北一家麥當勞前召開國際記者會公開出櫃,成為台灣第一位公開出櫃的同性戀,此後的三十年間,祁家威的人生幾乎全部投注在同志運動當中,爭取同志平權,為了結婚而戰。

今天,台灣司法院公佈了祁家威提出的釋憲申請,判定民法不保障同性伴侶結婚違憲。

爭取台灣婚姻平權這條路祁家威從一個人走到百萬人走了三十年,而他也從少年走到了白頭。

今天在釋憲現場看到他,匆匆擦肩而過,卻有滄海桑田之感。有生之年可以見證,人生足已。

Lorsqu'il fit son coming-out il y a trente ans, devenant ainsi le premier homme ouvertement gay à Taïwan, il n'était encore qu'un jeune homme.

L'homme sur cette photo est Chi Chia-wei. En 1986, Chi alors âgé de vingt-huit ans, organisa une conférence de presse devant un McDonald's à Taïpei, devenant ainsi le premier homme ouvertement gay à Taïwan. Les trente années suivantes, Chi passa la plus grande partie de sa vie d'adulte à se battre pour les droits des personnes LGBT et pour l'égalité d'accès au mariage.

Aujourd'hui, le Yuan judiciaire de Taïwan a donné une interprétation judiciaire à la pétition de Chi : l'interdiction du mariage homosexuel par le Code civil de Taïwan est inconstitutionnelle.

Il a commencé ce combat il y a trente ans en tant que jeune homme, tout seul, mais aujourd'hui des millions de personnes le soutiennent.

Je suis passé devant lui aujourd'hui à un rassemblement devant le Yuan législatif. Cela n'a duré que quelques secondes, mais j'ai vu l'histoire s'écrire sous mes yeux.

Les réglementations existantes établissant le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme ont également été contestées dans un projet de loi proposé par le législateur Yu Mei-nu du Parti démocrate progressiste au pouvoir. Le projet de loi était à l'étape de la première lecture (sur trois) par le Yuan législatif en décembre 2016, mais la révision finale n'est prévue que plus tard cette année.

La voiture de ma tokol est une Toyota : Perdus dans la traduction en Asie Centrale

mardi 30 mai 2017 à 17:53

“Tu sais que ta fille aura aussi des enfants et Dieu veuille que ses filles ne finissent pas comme moi.” Kamila fait une scène à son amant Kairat dans le film kazakh Tokal.

L'article ci-après fait partie d'un projet spécial de Global Voices, ‘Lost in Translation in Central Asia’, qui explore les particularités des langues de cette région. 

La première fois que je suis tombé sur le mot tokol, c'est quand une amie discutait de la voiture qu'elle voulait s'acheter. Sa préférence allait à une Toyota RAV4, mais le parent éloigné qui lui avait promis de l'aider à trouver un vendeur la lui a déconseillée. Son explication : la Toyota RAV4 a une réputation de voiture achetée par les hommes à leur tokol.

L'anecdote montre à quel point l'institution de la tokol est profondément enracinée dans le paysage socio-culturel du Kirghizstan. La traduction la plus approchante de ce mot de la langue kirghize, “épouse plus jeune”, ne rend pourtant pas complètement justice à ce vocable socialement chargé, qui a un équivalent tout aussi chargé socialement dans le Kazakhstan voisin : tokal.

Ecoutez ce locuteur de langue maternelle kirghize prononcer : “J'ai deux fils avec ma tokol” :

Si la polygamie a une longue histoire dans les ceux pays, la tokol contemporaine est moins une deuxième épouse qu'une maîtresse, qui peut remplir tout à la fois les rôles d'épouse, d'amante et de conseillère, tout en restant discrète pour ne pas briser le “premier” ménage de l'homme.

Les conjointes tokol encourent la réprobation publique, surtout parmi les femmes, aux yeux de qui elles cherchent le bonheur au détriment des familles légitimes des hommes.

La chanson russe populaire sur YouTube Je suis une Tokal, et n'ai pas d'âme traite de ce cliché et dépeint la tokal comme ‘l'enfant prématurée de notre pays”.

Une pratique particulière

Alors que la tokol, ou tokal, n'a rien à voir avec la deuxième épouse comme l'envisage la tradition islamique, les hommes utilisent pourtant le rituel islamique du nikah pour légitimer leurs relations extra-conjugales dans ces deux pays où la polygamie reste interdite.

Ce fait est venu à la lumière en 2012, quand un projet de loi visant à protéger les victimes des enlèvements de mariées a été repoussé par le parlement kirghize. Le texte prétendait infliger des amendes aux religieux bénissant des mariages non enregistrés par l’État. Le vote dramatique a divisé les législateurs hommes et femmes.

Les députés hommes, a expliqué une collègue femme, n'étaient pas nécessairement en faveur du crime d'enlèvement des mariées, ils ont plutôt “voté pour défendre leurs intérêts”, c'est-à-dire leur droit à une tokol ou deux avec la bénédiction d'un mollah.

La Toyota RAV 4, apparemment un élément de l'institution de la tokol au Kirghizstan. Creative commons.

Seconde épouse, second choix

Les femmes tokol ne jouissent pas des mêmes droits civils ni statut social que l'épouse légitime. Leurs enfants sont au dernier rang en matière de succession et d'héritage, bien que des exceptions existent, comme lorsque des hommes prennent une tokol dans le but explicite de prolonger leur lignée par une descendance mâle.

Des spéculations invérifiables laisse entendre que l'autocrate indéboulonnable du Kazakhstan Nursultan Nazarbaïev, qui a eu trois filles de son épouse officielle Sara Nazarbaïeva, aurait emprunté cette voie.

Mais y aurait-il du vrai dans ces rumeurs que Nazarbaïev a engendré des héritiers mâles au moyen d'autres femmes, c'est tout de même Sara, et non une tokal présidentielle, qui a accompagné l'homme fort du pays dans sa visite au Royaume Uni pour rencontrer le Premier Ministre d'alors David Cameron et la Reine en 2015.

I est donc tout à fait approprié que les Kirghizes et Kazakhs utilisent aussi le mot tokol, ou tokal comme adjectif pour désigner le bétail dépourvu de cornes. Comme le bétail sans cornes, les femmes tokol se trouvent désavantagées : elles remplissent tous les rôles féminins traditionnels, mais il leur manque la capacité à se garantir, à elles-mêmes et à leurs enfants, un traitement équitable.

Ce manque n'est nulle part aussi flagrant que lors de la séparation d'avec leur partenaire masculin, ou de son décès : les droits légitimes aux femmes légitimes.

La Tokal arrive sur le grand écran

Moins d'un quart des femmes disent qu'elles accepteraient d'être une tokol, selon un sondage publié par le site web kirghize limon.kg, pourtant, pour les les hommes riches qui entrent tardivement dans l'âge adulte, tant au Kirghizstan qu'au Kazakhstan, la tokol fait partie des attentes.

Le sujet est exploré par le scénario d'un film qui vient de sortir. Tokal, réalisé par le metteur en scène kazakh Gaukhar Nurtas, est centré autour d'une riche et heureuse famille kazakhe, qui se trouve au bord de la décomposition lorsque le patriarche familial, Kairat, s'embarque dans une liaison avec une femme plus jeune, Kamila.

La situation se corse lorsque Kamila donne naissance au fils que Kairat n'a pu avoir avec sa femme légitime, Bota. La question au cœur du film est celle de savoir si l'institution de la tokal peut être considérée comme une tradition kazakhe, ou bien n'est autre qu'un luxe que s'autorise un homme fortuné.

L’Éthiopien Yonatan Tesfaye, condamné à 6 ans de prison pour des commentaires publiés sur Facebook

mardi 30 mai 2017 à 11:18
Yonatan Tesfaye. Photo partagée sur Twitter par Eyasped Tesfaye @eyasped

Yonatan Tesfaye. Photo partagée sur Twitter par Eyasped Tesfaye @eyasped

Cette semaine en Éthiopie, deux défenseurs des droits de l'homme et opposants au gouvernement ont écopé de lourdes peines de prison pour “incitation” sur Facebook.

Le 25 mai, Yonatan Tesfaye a été condamné à six ans et trois mois de prison pour avoir “incité” des manifestations anti-gouvernementales dans neuf publications sur Facebook.

Urgent: Le tribunal fédéral éthiopien a condamné l'ancien responsable des relations publiques du Blue party d'opposition YonatanTesfaye à six ans et trois mois de prison pour terrorisme

Le militant, âge de 30 ans, a été un adversaire déclaré de la réaction violente du gouvernement au mouvement de protestation populaire qui critique le parti au pouvoir et le gouvernement éthiopien depuis 2015. Yonatan avait déjà servi comme attaché de presse pour le Blue Parti de l'opposition avant de démissionner en 2015.

Yonatan a été emprisonné pour neuf messages sur Facebook exprimant sa solidarité avec les manifestants, appelant à un dialogue ouvert et plaidant pour la fin de la violence.

La veille de sa condamnation, un ancien collègue de Yonatan Getachew Shiferaw, a été reconnu coupable d'incitation à la violence pour un message privé qu'il a envoyé à ses collègues à travers l'application Messenger sur Facebook. L'ancien rédacteur en chef du journal d'opposition Negere Ethiopia, Getachew a été condamné à un an et six mois de prison :

Urgent: un tribunal éthiopien a condamné GetachewShiferaw, rédacteur en chef de l'Ethiopia Negere NP, à 1 an et demi de prison, peine qu'il a déjà purgée

Le message sur Facebook qui aurait contenu des incitations faisait référence à un incident impliquant le défunt Premier ministre Meles Zenawi lors d'un symposium de 2012 à Washington, DC. Dans le message, Getachew écrivait: “puisque l'espace politique est fermé en Éthiopie, dénoncer les autorités éthiopiennes lors d'événements publics [sic] devrait être une pratique standard. “

Ces cas font partie de nombreux autres concernant des citoyens moins connus qui se sont prononcés contre la répression violente du régime à l'égard des manifestants exigeant des protections pour les droits fonciers et d'autres libertés fondamentales. Selon Human Rights Watch, au moins 800 personnes sont mortes aux mains de la police éthiopienne, et des milliers d'opposants politiques ont été emprisonnés ou torturés pendant les manifestations.

Facebook est un outil clé pour les militants – mais pour la police aussi

Facebook, ainsi que d'autres plateformes de médias sociaux, a joué un rôle central dans les interactions entre les autorités et les manifestants. Les autorités éthiopiennes ont critiqué les médias sociaux lors de la contestation qui a commencé en avril 2014 et continue encore. En octobre 2016, Facebook a été bloqué en Ethiopie dans le cadre de l'état d'urgence déclaré par le gouvernement. Mais les militants – et probablement les forces de l'ordre éthiopiennes – ont continué à utiliser la plate-forme via VPN.

Bien qu'il soit difficile de connaître le nombre précis de détenus, des dizaines d'arrestations semblent avoir été provoquées par le simple fait de publier, aimer ou partager un article sur Facebook. D'autres arrestations ont été provoquées par l'échange de communications avec des militants de la diaspora par le biais de messages sur Facebook.

Ces cas ont été aggravés par une pratique de plus en plus courante dans laquelle les autorités éthiopiennes exigent que les détenus révèlent leurs identifiants et mots de passe de Facebook. Dans certains cas, des personnes ont été arrêtées avant d'être inculpées, contraintes de remettre leurs données d'identification sur Facebook, pour être ensuite condamnées en fonction de ce que les autorités trouvaient dans leurs comptes.

La police arrête des activistes, les obliger à lui remettre les données personnelles d'identification sur Facebook et les accuse en fonction de ce qu'elle trouve dans leurs messageries privées

Getachew a été accusé d’ “incitation à la violence” après avoir été obligé de donner son nom d'utilisateur et le mot de passe de sa page Facebook. Les textes de discussions privées sur sa page Facebook ont ​​été présentés comme preuves à son encontre.

Quoi que le tribunal puisse décider, les amis et les membres de la famille de Yonatan et Getachew voulaient que l'affaire se termine. Ainsi connaîtraient-ils leur sort, pour passer à l'étape suivante. Mais leur cas, comme tant d'autres affaires judiciaires, a été renvoyé.

En Éthiopie, il n'est pas rare que les tribunaux examinant des affaires impliquant des blogueurs, journalistes et politiciens prennent plus de temps que pour les autres affaires. Cela entraîne un épuisement pour les défendeurs et fait souffrir leurs proches.

Yonatan et Getachew ont chacun passé 18 mois en prison avant de connaître leur sort. Ils ont été amenés devant la cour au moins une dizaine de fois. Leurs comptes Facebook privés ont été dévoilés par les autorités. Les juges n'ont pas paru aux audiences et la police a omis d'amener les défendeurs devant les tribunaux pendant leurs jours de procès, ce qui a amené leurs affaires à traîner pendant 18 mois.

Facebook a été une plate-forme essentielle pour les militants et les défenseurs des droits éthiopiens qui travaillent à documenter et à communiquer les violations des droits de l'homme dans ce pays. L'épreuve de Yonatan et Getachew n'en est que plus glaçante pour les Éthiopiens.

L'objectification des femmes dans la presse sri-lankaise

lundi 29 mai 2017 à 15:40

Une femme attendant le bus à Anuradhapura, au Sri Lanka. Image publiée sur Flickr par Adam Jones. CC BY 2.0

Cet article de Deepanjalie Abeywardana est initialement paru sur Groundviews, un site web de journalisme citoyen primé au Sri Lanka. Une version adaptée est publiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Il est de plus en plus fréquent que les médias sri-lankais s’éloignent des règles dictées par l’éthique journalistique, souvent mise à mal par l’usage de photos choquantes, d’images et de commentaires trompeurs, de termes raciaux utilisés de façon sélective contre certains groupes ethniques, les erreurs factuelles et le déni du « droit de réponse ». La représentation des femmes au sein des médias sri-lankais viole également un certain nombre de principes éthiques et participe au renforcement de stéréotypes négatifs, qui ont une incidence directe sur la façon dont les femmes sont perçues au sein de la société.

Dans ces circonstances, cet article présente un certain nombre d’observations sur la représentation des femmes dans la presse écrite en langue cingalaise, formées à partir de données récoltées par Ethics Eye – une page Facebook recensant les violations de la déontologie journalistique au sein de sept journaux en cingalais – le Dinamina, le Divaina, le Lankadeepa, le Mawbima, le Sunday Divaina, le Sunday Lankadeepa ainsi que le Sunday Mawbima.

Les femmes en tant qu'objets sexuels

Certains médias, pourtant parmi les plus lus au Sri Lanka, enfreignent la charte d'éthique journalistique en réduisant les femmes à des objets sexuels. Ces dernières sont régulièrement objectifiées dans la presse par des références et des photos sexistes. L'usage de clichés représentant des femmes à demi-nues sans aucun rapport avec le contenu de l’article est courant. Un journal en cingalais a même directement utilisé le mot « baduwa » (objet) pour désigner une femme, la présentant comme un objet sexuel. Ce même journal a également déclaré que les actrices sri-lankaises pratiquaient toutes « le plus vieux métier du monde », insinuant que toutes s’adonnaient à la prostitution.

Plus loin, une série d’articles publiée dans l’un des principaux journaux en cingalais, le Lankadeepa, affiche des photos de femmes étrangères en bikini, sans aucun rapport avec le sujet de l’article. Il n’est d'ailleurs mentionné nulle part que les clichés – pris à l'aide d'un téléobjectif – ont été réalisés sans le consentement des personnes photographiées. Or, il est établi dans le Code de pratique professionnelle publié par la Corporation des Éditeurs du Sri Lanka que l’usage d’un téléobjectif pour photographier des personnes sans leur consentement, dans des lieux privés ou publics où l'on s'attend à ce qu'un minimum d'intimité soit respecté, est inacceptable – à moins que cela ne relève de l’intérêt général.

Via Ethics Eye

Étonnamment, ce même journal qui assimilait les actrices à des prostituées a également qualifié les femmes de « gardiennes des valeurs culturelles et morales » dans un autre article. Un commentaire émis en réaction à une décision du Ministère de l’éducation d’interdire l’imposition de codes vestimentaires pour les femmes à l’intérieur des écoles publiques et privées.

Par ailleurs, les termes réducteurs faisant référence à la « beauté » des femmes sont légion dans la presse sri-lankaise, notamment lorsque l’article traite de victimes ou survivantes de viols. L’apparence physique des femmes victimes de viol, de violences ou d'accidents est évoquée dans de nombreux articles en langue cingalaise. L’ajout de détails inutiles (tels que l’apparence physique) et sans aucun lien avec les faits est fréquent. Par exemple, lorsque deux étudiantes ont trouvé la mort dans un accident de train à Dehiwela l’an dernier, six des sept journaux en cingalais étudiés par Ethics Eye ont fait référence à leur apparence physique dans leur article.

Via Ethics Eye

La prise en compte de ce genre de détails, qui sont à la fois hors sujet et sexistes, soulève de sérieuses questions sur le respect de la déontologie par les médias au Sri Lanka.

L’objectification des femmes dans la presse renforce en outre les stéréotypes de genre. Plus encore, l’objectification sexuelle et les représentations préjudiciables des femmes dans les médias mènent à la trivialisation de la violence contre les femmes. Une étude publiée par The Guardian a prouvé que la sexualisation et l’objectification des femmes et des filles dans les médias entraînaient le développement d’attitudes sexistes au sein de la société et la normalisation des idéologies de domination masculine.

 Le sensationnalisme pour traiter la violence à l’égard des femmes

Lorsque la presse traite de sujets sociétaux sensibles ou émotionnellement douloureux – tels que la violence ou la toxicomanie – le Code de pratique professionnelle établit qu'elle doit accorder une attention particulière à présenter les faits, opinions, photographies et infographies utilisés avec discernement et délicatesse, conformément à son devoir de publier dans le respect de l’intérêt général. Pourtant, certains journaux en cingalais bafouent cette directive en sensationnalisant et en romançant les faits lorsqu’ils rapportent des actes de violence contre les femmes, tels que les viols et les abus sexuels. Certains journaux ont par exemple parlé de « Cupidons » pour évoquer les suspects ou les coupables avérés de crimes sexuels, un terme qui édulcore éhontément leurs actes et les rend romantiques. Dans le même temps, les victimes de viols sont souvent culpabilisées pour les vêtements qu’elles portaient ou pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment.

Lorsque des médias rendent les femmes responsables de leur propre viol, cela affecte non seulement la façon dont la société considère les femmes, mais cela promeut également l’impunité des auteurs de violences à l’égard des femmes.

En essayant de sensationnaliser des faits afin de les rendre plus attractifs aux yeux des lecteurs, les médias négligent le rôle capital qu'ils doivent jouer en terme de sensibilisation et de prévention des crimes sexuels. Le viol, les violences domestiques et les autres formes de violence contre les femmes demeurent des sujets tabous au sein de la société, et ne font que très rarement l’objet de signalements à la police. Sensationnaliser ces actes détourne l’attention des aspects essentiels que sont la prévention et la réduction de ces crimes. Cela comprend la diffusion d'informations sur les lignes d'assistance téléphonique destinées aux victimes d’abus sexuels et sur les organisations ayant vocation à aider les femmes victimes de crimes sexuels.

Quelles solutions ?

La première étape afin de remédier à ces problèmes est de reconnaître et de rendre visibles les violations éthiques dont se rendent coupables les journalistes lorsqu'ils parlent des femmes. A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2017, Ethics Eye a mis en ligne une vidéo soulignant certaines des règles éthiques enfreintes par les médias cingalais. Par ailleurs, entamer un dialogue sur les violations de la charte déontologique dans les médias et sensibiliser sur ce sujet permettrait de fournir au public les informations nécessaires pour réclamer des comptes aux journalistes et éditeurs qui s'en rendent coupables et leur demander de répondre du tort qu'ils causent aux femmes. Enfin, la formation des journalistes à l’éthique des médias – notamment sur une couverture non discriminatoire et non sexiste des sujets liés aux femmes – est plus que jamais indispensable au Sri Lanka.

Deepanjalie Abeywardana est responsable de la Recherche sur les Médias au sein du think tank Verité Research et collabore également à l'observatoire indépendant des médias Ethics Eye.