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Romaine Lubrique : Durée du droit d'auteur en Europe ? Ce qu'en pensent le gouvernement et la Quadrature

mercredi 12 mars 2014 à 01:04

La consultation publique sur « la révision des règles de l'Union européenne en matière de droit d'auteur » vient de s'achever, le 5 mars dernier. Plus de 11 000 personnes ou organisations ont participé, record historique pour une procédure de ce type (dont il serait opportun de publier les réponses sans délais dans un souci de transparence)

Pas moins de 80 questions étaient posées ! La n° 20, concernant directement le domaine public, était ainsi libellée : Are the current terms of copyright protection still appropriate in the digital environment ?

Autrement dit, la durée actuelle de protection du droit d'auteur est-elle toujours appropriée à notre environnement numérique ? La formulation n'était pas neutre, mais on ne s'en plaindra pas. Voici successivement la (courte) réponse des autorités française [1] et la (longue) réponse de La Quadrature du Net. Positions irréconciliables ?

Réponse du ministère de la Culture

Pour ce qui concerne la durée des droits protégés sur le territoire de l'Union, les autorités françaises souhaitent indiquer que la durée de 70 ans est fondée sur un modèle d'affaire concret et réel puisqu'elle constitue la durée retenue pour assurer la rémunération des auteurs et de leurs héritiers qui ont pour charge la diffusion de l'œuvre de l'auteur défunt. Cette réalité économique n'a pas été modifiée par l'Internet. Par ailleurs, la durée de protection des droits d'auteur et des droits voisins n'est pas la plus longue qui existe au regard de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle.

Cette réalité, mise en œuvre dans la directive « durée »,a récemment été modifiée pour prévoir également l'allongement de la durée des droits voisins dans le domaine de la musique.

Réponse de La Quadrature du Net

Les animateurs de La Quadrature du Net ont participé aux travaux du réseau
Communia, ainsi qu'à l'élaboration du Manifeste pour le domaine public, dont nous
approuvons les principes et recommandations.

Ce texte indique notamment que « La durée de protection par le droit d'auteur doit être réduite. La durée excessive du droit d'auteur, combinée à l'absence de formalités réduit fortement l'accessibilité de notre savoir et notre culture partagés. De plus, cette durée excessive accroît le nombre des œuvres orphelines, œuvres qui ne sont ni sous le contrôle de leurs auteurs ni dans le domaine public, et ne peuvent être utilisées. Donc, la durée de protection par le droit d'auteur des nouvelles œuvres doit être réduite à un niveau plus raisonnable. »

Par ailleurs, le Manifeste de Communia affirme que « La durée de protection par le droit d'auteur ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre un compromis raisonnable entre la protection et la rémunération des auteurs pour leur travail intellectuel et la sauvegarde de l'intérêt public en matière de diffusion de la culture et des connaissances. Que ce soit du point de vue de l'auteur ou de celui du public, aucun argument (qu'il soit historique, économique, social ou autre) ne peut être présenté pour défendre une durée excessive de protection. Certes, l'auteur doit pouvoir tirer les bénéfices de son travail intellectuel, mais le public le plus large ne doit pas être privé pendant une période trop longue des bénéfices de la liberté d'usage de ces œuvres. »

À ce titre, il apparaît que la durée actuelle de protection du droit d'auteur est excessive dans l'Union européenne. Le passage de 50 ans à 70 ans après la mort de l'auteur a pour conséquence de continuer à bloquer l'utilisation d'un très grand nombre d'œuvres, sans justification économique et sans que l'allongement profite à l'immense majorité des créateurs. Un retour à une durée des droits d'auteur 50 ans post mortem au sein de l'Union européenne devrait sérieusement être envisagé, tout comme l'ouverture de travaux au niveau de l'OMPI pour une réduction de la durée plancher fixée par la Convention de Berne [2]. Il est également infiniment regrettable que l'Union européenne ait étendu les droits voisins des artistes interprètes et des producteurs d'enregistrements musicaux de 50 à 70 ans, alors que le réseau Communia s'était prononcé en défaveur d'un allongement. Ici encore, seule une très faible proportion d'artistes profitera réellement de cette augmentation de la durée de protection, tandis que les désavantages pour la société seront très forts (notamment en termes de multiplication des cas d'œuvres orphelines). Il serait dès lors inopportun de reproduire cette erreur à propos des droits voisins sur les œuvres audiovisuelles.

Nous recommandons donc une réduction de la durée de protection du droit d'auteur à une durée maximale de 30 ans après la première publication. Cette réduction pourrait s'effectuer de manière progressive (réduction d'un an par an écoulé) de façon à éviter toute expropriation de droits exclusifs. Rappelons que le terme de protection de 14 ans à l'origine dans le Queen Anne Act de 1709 était justifié par le fait que cette durée était suffisante pour assurer qu'un livre ait atteint son public dans cette durée. Que penser d'une durée plus de dix fois supérieure à l'ère numérique ?

Au-delà de la seule question de la durée excessive des droits, La Quadrature du Net considère que le domaine public devrait faire l'objet d'une protection explicite dans le droit communautaire, par le biais de l'introduction d'un statut positif dans la directive européenne sur le droit d'auteur. Face à l'extension continue depuis les trente dernières années de l'emprise des droits de propriété intellectuelle, des chercheurs et des juristes ont formulé le projet d'une reconnaissance par un statut positif du domaine public, des communs volontaires et des prérogatives essentielles des usagers (y compris les créateurs) à l'égard des œuvres [3].

Il s'agit de renverser ou tout au moins de rééquilibrer le rapport inégal qui fait que le domaine public est considéré au mieux comme un résidu ou un échec du marché, les communs comme un territoire qu'on n'a pas encore réussi à privatiser et les prérogatives des usagers comme une tolérance consentie parce qu'on n'avait pas encore trouvé les moyens de l'anéantir. Au contraire, il faudra, dès qu'un statut positif sera attribué à ces entités communes, envisager l'impact qu'aurait toute nouvelle disposition juridique ou politique sur leur périmètre, leur enrichissement, leur entretien et leur accessibilité effective.

Le « Manifeste pour le domaine public », produit par le réseau Communia, contient de nombreux principes qui pourraient servir de socle solide pour une consécration positive du domaine public. Une amorce de statut positif du domaine public existe déjà dans le cadre de la loi chilienne. Par ailleurs, un rapport dit « Lescure » remis au Ministère de la Culture en France en 2013 a suggéré d'introduire une telle définition positive dans la loi française pour « renforcer la protection dans l'environnement numérique », « indiquer que les reproductions fidèles d'œuvres du domaine public appartiennent aussi au domaine public, et affirmer la prééminence du domaine public sur les droits connexes » [4]

Dans le même ordre d'idées, il est absolument anormal que les États membres au sein de l'Union conservent la faculté de créer librement de nouveaux droits voisins (droit voisin sur l'indexation des contenus de presse créé en 2013 en Allemagne, nouveau droit voisin au profit des producteurs de spectacles vivants envisagé actuellement en France, etc). Non seulement ces nouvelles exclusivités nuisent à l'harmonisation des droits, mais elles fragilisent d'autant le domaine public.


[1] Pour une analyse critique de la réponse du ministère de la Culture on pourra lire PC Inpact : Aurélie Filippetti, VRP des ayants droit à Bruxelles.

[2] L'association Communia promeut d'ailleurs un agenda positif pour le domaine public au niveau de l'OMPI qui a ouvert des travaux sur cette question.

[3] Voir le Manifeste pour le domaine public et les travaux plus détaillés de Sévérine Dusollier et de Philippe Aigrain.

[4] April Fiche C-16 du rapport Lescure sur le domaine public numérique.

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Philippe Scoffoni : Pas de monétisation autour de Firefox, mauvaise idée ?

mardi 11 mars 2014 à 21:10

Cela fait déjà quelques jours que le ton semble monter entre la fondation Mozilla et le constructeur de matériel Dell. Au cœur du litige, la vente d’une prestation d’installation au prix de 20€ de Firefox. Je passe sur le prix qui me semble exagéré. Si l’on part du principe que l’opération est totalement manuelle, c’est quand même bien payé pour déballer le portable, l’allumer, lancer l’installation et le remballer. Disons 15 minutes au total ce qui nous fait du 80€ de l’heure. Je doute que l’opération soit manuelle, car cela reviendrait à activer les licences Windows des machines. Je pense qu’il s’agit juste de l’installation d’une image particulière sur la machine.

Mais le prix n’est pas le fond du problème. La fondation Mozilla conteste au nom de sa politique de marque le droit de vendre Firefox. Ce à quoi Dell répond qu’il vend une prestation d’installation et pas le logiciel : il est clairement indiqué : “Mozilla Firefox Web Browser Installation Service”

firefox achat

A première vu, l’approche de Mozilla semble en contradiction avec les principes du logiciel libre : pas de barrières à l’entrée pour les prestataires. Firefox couplé à  sa marque serait donc un logiciel sous une sorte de licence Creative Common By-Sa-Nc (clause non commerciale) donc pas vraiment libre. Le code source de Firefox est lui par contre bien libre. Je découvre certainement ce qui a toujours été et cette affaire ne fait que mettre en lumière des restrictions que la fondation Mozilla a toujours souhaitée. Si on lit les fameuses conditions :

If you are using the Mozilla Mark(s) for the unaltered binaries you are distributing, you may not charge for that product. By not charging, we mean the Mozilla product must be without cost and its distribution (whether by download or other media) may not be subject to a fee, or tied to subscribing to or purchasing a service, or the collection of personal information. If you want to sell the product, you may do so, but you must call that product by another name—one unrelated to Mozilla or any of the Mozilla Marks

Ce qui semble également exclure la vente de service. En gros il semble qu’il soit interdit de monétiser quoi que ce soit ou presque autour de Firefox et sa marque. Mozilla a toujours été chatouilleux avec les marques et logos de ses logiciels. Le projet Debian ne s’y est pas trompé en changeant le logo et le nom des logiciels de Mozilla. Du coup, si Dell avait compilé Firefox en changeant le logo et le nom, je suppose que Mozilla n’y aurait rien trouvé à redire. Mais qui aurait acheté l’installation d’un navigateur “inconnu” ?

D’un certain côté, c’est positif, cela rappelle que l’on ne peut pas faire ce que l’on veut avec un logiciel libre. De l’autre, ce genre d’affaires peut décourager d’autres constructeurs de proposer des logiciels libres et des prestations de services autour. La crainte classique de la clause juridique cachée sera à nouveau mise en avant par les détracteurs du libre : “vous voyez, on vous le dit que c’est dangereux d’utiliser des logiciels libres” .

Ce n’est pas sans me rappeler l’affaire Bouygues et son offre de support pour LibreOffice qui est d’ailleurs toujours en ligne avec les mêmes âneries dans la présentation de l’offre. Si The Document Foundation a bien entrepris les démarches annoncées, il ne doit pas être aussi facile d’obtenir gain de cause dans ce genre de duel.

N’oublions pas non plus le contrat entre Google et Mozilla qui prévoit que le moteur de recherche par défaut de Firefox doit être Google. Et si Dell ou un autre constructeur en installant Firefox positionné Bing en moteur par défaut ? N’y aurait-il pas pour Mozilla un risque de se voir reprocher de ne pas tenir ses engagements ?

Mozilla comme bien d’autres acteurs du domaine cherche à maintenir une forme de rareté autour de leur logiciel libre pour se réserver la possibilité de le monétiser et donc se garantir les sources de revenus correspondantes. Mais peut-il en être autrement avec les règles économiques dans lesquelles nous vivons ? Ne faudrait-il pas envisager d’autres formes de licences plus équitables permettant une monétisation plus large ? La Fondation Mozilla fait-elle fausse route  ?

A vous les réponses dans les commentaires et le sondage.

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Article original écrit par Philippe Scoffoni le 11/03/2014. | Lien direct vers cet article

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alterlibriste : Surveillance et liberté : interview de Fabrice Epelboin

mardi 11 mars 2014 à 12:07

Un court billet pour relayer une interview très intéressante de Fabrice Epelboin de Reflets.info

Tous les sujets que j’abordais dans mon billet sur la vie privée y sont traités de façon très informée.

Au regard des dernières révélations sur la surveillance généralisée, le journaliste tire les conséquences sur ce que l’état est en mesure de savoir sur nous et en quoi nous ne sommes plus en démocratie (aucun homme politique ne la revendique d’ailleurs plus).

Il connaît très bien la communauté hacker avec qui il travaille et considère que seuls les logiciels libres peuvent permettre une moindre surveillance sachant que tous nos comportements peuvent être prédits à partir des données récoltées actuellement.

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La vache libre : Ncdu (NCurses) – Connaître rapidement le taux d’occupation de vos disques et de vos répertoires sous GNU/Linux

mardi 11 mars 2014 à 12:00

ncdu

Les outils permettant de vérifier l’espace disponible sur votre disque dur sont légions sous GNU/Linux, à l’image de Gparted ou encore de Disques que vous connaissez si vous tournez sous Gnome. Si vous avez envie d’un truc plus fun et un brin plus geek, Ncdu est l’outil qu’il vous faut. Au lancement de l’application celle-ci va commencer par scanner vos répertoires et sous-répertoires, avant de les afficher afin de vous permettre de naviguer rapidement dans leur arborescence à l’aide des flèches directionnelles.

Vous pourrez entrer dans le répertoire de votre choix à l’aide de la touche « Enter » et vous verrez alors son poids dans la partie basse (en blanc) de la fenêtre. Pour ressortir il suffit de d’utiliser la flèche gauche et si vous le souhaitez, vous pourrez prendre connaissance des quelques options avancées en pressant la touche « ? ».

ncdu-help

Vous serez ainsi en mesure de changer le type de classement (par nom, taille etc), de supprimer un répertoire ou des fichiers et de changer le mode d’affichage afin d’utiliser des pourcentages ou un graphique.

Vue normale :

ncdu-classique

Vue en pourcentages :

ncdu-pourcentages

Vue en mode graphique :

ncdu-graph

Alors certes et comme je l’ai dit plus haut, les outils de ce genre sont très nombreux sous GNU/Linux, mais je ne connaissais pas encore Ncdu et je l’ai trouvé vraiment sympa. C’est léger, rapide et super pratique.

Ncdu est disponible sur la plupart des distributions GNU/linux et peut être installé sur Debian, Ubuntu et dérivés à l’aide d’un petit :

sudo apt-get install ncdu

Sur Archlinux et Manjaro entrez ceci :

sudo pacman -S ncdu

Pour le autres distributions ou pour en savoir plus sur ce projet bien sympa, vous pouvez de ce pas vous rendre sur la page du projet, où vous trouverez tout ce dont vous avez besoin.

Amusez-vous bien.

via lffl.org

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Framablog : Le journalisme open source, selon OpenWatch

mardi 11 mars 2014 à 11:34

Le site OpenWatch nous propose de faire du journalisme autrement en s’inspirant des principes et techniques du logiciel libre.

Ils appellent cela le « journalisme open source » et y voient, non sans emphase, l’avenir de la profession.

Pure rhétorique ou réelles pistes à explorer pour un secteur en grave difficulté actuellement ?


Decar66 - CC by


Les nouveaux principes du journalisme open source

The New Principles of Open Source Journalism

(Traduction : Peekmo, goofy, lamessen, Slamino, Omegax„ Asta, Paul, Kayjin, aKa + anonymes)

OpenWatch souhaite être le cœur du journalisme open source de la prochaine décennie. Quelles valeurs émergeront pour définir les actualités de demain ?

Partout dans le monde, les agences de presse traditionnelles vacillent. Leurs revenus publicitaires se tarissent car les gens suivent de plus en plus l’actualité à partir de sources d’information en ligne ou ne s’y intéressent tout simplement pas parce qu’ils préfèrent consacrer leur temps à d’autres types de contenus numériques. L’information qui reste est plus édulcorée que jamais, le journalisme d’investigation a laissé la place à des opérations de relations publiques travesties en information, les correspondants à l’étranger sont remplacés par des vidéos virales et des ragots people.

Pourtant, le journalisme joue un rôle terriblement important dans la société, en permettant aux gens d’être informés sur le monde qui les entoure et en obligeant les élites au pouvoir à rendre compte de leurs actes. Nous ne pouvons laisser ce rôle simplement passer à la trappe. Au lieu de vivre cette situation comme une catastrophe, nous pouvons y voir une opportunité de réévaluer la nature et l’objet du journalisme. Partant de là, je crois pouvoir dire que nous assistons à l’émergence du phénomène peut-être le plus réussi et étrangement merveilleux de l’ère numérique : le mouvement du logiciel et de la culture « libres et open source ». Dans ce mouvement, les individus sont libres de consommer l’information et d’y contribuer au sein d’un espace commun et, ensemble, ils sont parvenus à créer un tout qui est plus que la somme de ses parties.

OpenWatch est une entreprise du secteur des technologies qui produit et soutient le journalisme open source. OpenWatch vise à être au New York Times ce que RedHat est à IBM. Notre produit de base est une suite gratuite d’applications mobiles qui permet à n’importe qui de diffuser du contenu, de visionner des vidéos sur téléphone mobile et de recevoir des alertes avec des possibilités de contribuer à nos reportages et enquêtes.

Du point de vue éditorial, nous sommes intéressés par la couverture des sujets sous-médiatisés tels ceux tirés d’histoires et d’enregistrements de gens ordinaires, mais aussi par les événements où les médias traditionnels échouent à remettre en cause les pouvoirs établis. Nous souhaitons présenter nos articles dans un contexte où l’homme de la rue peut prendre part à la mise au jour et à l’exposition de faits vérifiés.

Histoire

Au fil des ans, il y a eu bon nombre de tentatives de qualifier le genre de travail que nous évoquons ici : journalisme citoyen, journalisme civique, journalisme participatif, journalisme scientifique, journalisme (ouvert au) public, journalisme collaboratif, journalisme communautaire, wiki-journalisme et une foultitude d’autres appellations qui, j’en suis sûr, doivent exister.

Chez nous, nous appelons cela simplement du « journalisme open source ». En tant que contributeurs au mouvement du logiciel libre et open source, nous sommes bien conscients que le terme « open » peut être à la fois chargé et vide de sens. Nous souhaitons donc esquisser quelques principes de base qui, selon nous, définiront le journalisme open source de la décennie à venir.

Il ne s’agit ni d’un manifeste, ni d’une liste de revendications, ni même d’une promesse. C’est simplement une liste de valeurs journalistiques que nous entendons respecter et promouvoir. Nous ne voulons pas être crédités pour ces principes : d’autres, nombreux, nous ont précédés, existent à nos côtés ou viendront après nous. Notre seule ambition est d’exposer ces principes et d’inviter d’autres à les partager.

Avec le temps, nous espérons que l’importance de ces valeurs deviendra si évidente qu’elles feront apparaître le journalisme traditionnel comme dépassé et influenceront les grands organes de la presse traditionnelle.

1. Des sources primaires complètes

Le principe premier du journalisme open source est qu’il doit être « scientifique ». Cela signifie donner un accès aux sources primaires complètes, sous la forme de matériel documentaire associé, par un lien ou une incorporation, aux affirmations du récit journalistique, y compris tous les entretiens oraux ou par courriel avec des individus ou les documents bruts pour les sources anonymes.

Sans sources primaires complètes, le public est en réalité réduit à l’impuissance, privé de la possibilité de vérifier la véracité des faits qui lui sont livrés et se trouve réduit à devoir faire confiance à une seule version des faits. Avec la confiance vient le pouvoir, et avec le pouvoir viennent les abus. Le public a été gravement abusé sur de nombreuses questions, par exemple dans l’exposition des faits justifiant la guerre contre l’Irak, dans la couverture du programme d’assassinats par des drones, dans les allégations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie et, aujourd’hui, avec le programme de surveillance de la NSA.

Le journalisme scientifique, pour sa part, ne requiert pas autant de confiance dès lors que le lecteur possède autant d’informations que le journaliste qui l’informe.

En fin de compte, cela signifie l’abandon du « scoop » et des sources non attribuées, qui, de par leur nature, voilent le mécanisme qui transforme les faits en analyse. À leur place, nous proposons un sommaire transparent, une contextualisation, un remixage et une analyse complètes des sources primaires.



2. Pratique et Participatif

Dans le journalisme open source, l’action est plus importante que le contenu. L’objectif du journalisme open source n’est pas de divertir, ni même de simplement informer, mais plutôt de tenter de construire un projet de changement. Ce projet doit commencer par les faits déjà connus, mais devrait aussi fournir une feuille de route décrivant les inconnues référencées et ce qui sera nécessaire pour répondre à ces questions. Les lecteurs soucieux des erreurs devraient avoir l’opportunité d’être directement impliqués dans le processus de collecte, de traitement, de synthèse et de publication des actualités. Mais ce n’est pas tout. Le but de notre journalisme est aussi de défier, provoquer et demander des réponses aux pouvoirs établis. Et aussi longtemps que ce sera fait de façon productive et documentée, ce sera quelque chose dans lequel le public devrait être impliqué.

Les projets de logiciels open source utilisent ordinairement un outil de « bugs » et de « tickets » pour suivre et accélérer leur développement ; chez OpenWatch, nous les appelons « missions ». Vous pouvez parcourir la liste de toutes nos missions actuellement actives ici pour pouvoir contribuer à nos investigations en cours.

Au final, nous espérons créer une force globale et répartie de fouineurs et une place centrale d’idées concrètes au sujet des problèmes importants.

3. Garanties

Historiquement, un des plus gros défis pour les médias et reportages citoyens est la question de l’authenticité. Il est souvent difficile de déterminer si les médias et l’information proposés en ligne sont authentiques ou s’ils sont le produit de quelqu’un désireux de promouvoir une cause, d’une partie adverse essayant de saboter une histoire ou simplement d’un « troll » ennuyeux. Les plateformes comme Youtube, Facebook et Twitter ne fournissent aucun outil automatique d’expertise de l’authenticité ; réceptacles par essence d’un flux continu d’informations éphémères, qui se combine à la capacité d’amplifier rapidement certains messages, elles sont souvent exploitées à des fins de diffusion de canulars et de désinformation (comme l’illustre le cas récent de ces images de manifestations en Turquie filmées en réalité plus tôt dans l’année à l’occasion d’un marathon).

Pour lutter contre ce problème, OpenWatch utilise un bouquet de technologies destinées à faciliter la vérification de l’authenticité d’un média dans notre système. Une de ces technologies est un système que nous appelons CitizenMediaNotary. Inspiré par le projet Perspectives, CitizenMediaNotary est un réseau de serveurs de confiance distribué, qui maintient une base de données d’empreintes digitales des médias citoyens. Cela permet de savoir si un contenu est vraiment nouveau ou s’il a déjà été visionné auparavant et, dans ce cas, où, quand et par qui.

4. Prévoir

Si nous ne couvrons que les atrocités passées, nous ne serons jamais en mesure de les prévenir. Le journalisme d’avant a presque exclusivement porté sur des événements qui ont déjà eu lieu, et c’est une occasion majeure manquée pour l’émancipation.

La participation des foules sera un facteur majeur dans le futur du journalisme de prévision, dans la mesure où de grands ensembles de données sont bien meilleurs pour les prévisions que les petits. Par exemple, à l’époque où OpenWatch était un service exclusivement utilisé pour surveiller l’action de la police, nous étions capables d’analyser des modèles d’action trouvés dans nos données pour réaliser des prévisions plus précises sur les régions où des abus policiers avaient plus de chance d’avoir lieu et ce n’est que le début. Dans le futur, nous pourrons collecter des jeux de données multisourcés et publics de manière à prédire quelle communauté à risque est susceptible d’être frappée par une catastrophe naturelle, qui sera le gagnant d’une élection, le résultat probable d’une décision de justice, quelles écoles seront fermées par une nouvelle administration et bien d’autres choses encore.

On assiste ces derniers temps a une augmentation notable de la production de rapports prévisionnels grâce à des agences privées du renseignement comme Stratfor, mais cette activité de prévision est onéreuse et sa commercialisation uniquement orientée vers les pouvoirs établis, qui bénéficient déjà du système actuel. OpenWatch s’efforce de fournir le même genre d’informations spécialisées, mais avec un accès ouvert à tous et avec une position résolument critique et orientée par l’intérêt public.

Bien sûr, nous ne pourrons en rien garantir le degré d’exactitude de nos prévisions, mais du fait que tous nos rapports sont totalement open source, les lecteurs sont les bienvenus pour produire et donner également leur propres prédictions.

5. Transparence éditoriale

La démarche open source et participative appliquée à l’ensemble de nos publications vaut aussi pour notre démarche éditoriale. Le public en général et notre lectorat en particulier jouissent ainsi d’un accès direct à l’ensemble du processus décisionnel au sein d’OpenWatch, qu’ils souhaitent en être témoins ou y prendre part. Cela permet au lectorat en général grand public d’assister directement la totalité du processus décisionnel d’OpenWatch, aussi bien que d’y être impliqué.

Comme il se doit en open source, cette démarche éditoriale repose sur des listes de diffusion publiques. Nous appelons ce système « Radar » car il n’offre pas seulement un aperçu des événements en cours de traitement chez OpenWatch, il est aussi un calendrier dynamique des événements que nous avons l’intention de couvrir.

Si vous souhaitez voir ce qui se trame sous le capot d’OpenWatch ou avoir votre mot à dire sur la manière dont OpenWatch gère ses ressources éditoriales, rejoignez notre liste de discussion publique en envoyant un courriel à openwatch-radar@googlegroups.com, vous serez immédiatement inscrit-e (les hackeurs sont aussi invités à rejoindre la liste openwatch-dev@googlegroups.com pour participer aux discussions autour des développements techniques).



Nous ne prétendons pas qu’un tel niveau de participation est nécessaire pour tous les canaux d’information open source, le degré de participation proposé dans certains groupes pouvant être moindre que le nôtre pour une raison ou une autre, mais il est important dans tous les cas, que les décisions éditoriales émanent d’un noyau privé, d’un noyau public ou d’un consensus public, que le cadre décisionnel soit transparent.

6. Gestion des versions

Git est un outil qui permet aux développeurs et aux utilisateurs de logiciels libres de garder la trace de l’ensemble de leurs changements, de voir qui contribue à quelle partie d’un projet et de revenir à l’état antérieur d’un projet en cas de catastrophe. C’est un logiciel absolument crucial. Les utilisateurs réguliers de Wikipédia sont habitués à des outils de contrôle des versions aux fonctionnalités similaires (via la page Historique d’un article)

Néanmoins, aussi précieux qu’il soit, le contrôle des versions est rarement pratiqué dans d’autres secteurs que celui du développement logiciel. De manière intéressante, dans le domaine du journalisme, le contrôle des versions peut apporter quelque chose que l’inventeur de git n’avait jamais imaginé : la résistance à la censure cachée.

Contrairement aux apparences, certaines formes de censure sont plus aisées à mettre en œuvre dans le royaume numérique que dans le monde physique. Dans le monde physique, le censeur laisse une trace : un trait noir, un nom effacé, des autocollants, des agrafes, de la colle. Sur l’internet, nulles preuves semblables d’une censure post-publication : seulement un article qui disparaît ou un léger changement de contenu, sans que personne n’en sache rien.

Un nouveau projet, Newsdiffs, tente de traquer les changements en tant que service proposé à une poignée d’organes d’information traditionnels. Cet effort mérite nos applaudissements, mais la solution est actuellement limitée et laisse beaucoup de changements passer au travers des mailles du filet. Dans le futur, nous aimerions voir davantage d’organisations prendre elles-mêmes cette responsabilité à travers une combinaison de contrôle interne et tiers de tout le contenu des actualités.

7. Permanence

Les journaux et la télévision sont des formats éphémères. Un journal se jette, une diffusion télévisée n’est pas enregistrée. Internet, par contre, n’oublie jamais. Un article n’existe pas seulement pour un jour, il existera pour le restant de l’histoire enregistrée et sera toujours à la portée d’une simple recherche, accessible en une seconde.

Par conséquent, on doit envisager que les articles seront toujours accessibles dans un lointain futur et doivent être créés en ayant à l’esprit les lecteurs du futur, qui devront à leur tour pouvoir y apporter leur contribution.

8. Logiciel libre, contenu libre

En dernier lieu, nous pouvons incorporer les principes du logiciel libre et de la culture libre dans le journalisme open source. Fondamentalement, cela signifie que nous devons respecter les droits digitaux de nos utilisateurs et utiliser autant de logiciels libres et open source que possible, en nous assurant que le contenu est produit sous une licence permissive ou copyleft, en traquant le moins possible les utilisateurs et en leur permettant de savoir comment et pourquoi nous les traquons.

Les principes de la culture libre sont nécessaires pour n’importe quel projet ouvert et participatif car c’est grâce à eux que les communautés en ligne ont la capacité de réaliser ces choses formidables qui les rendent très différentes des organes de presse traditionnels.

Il devient concevable non seulement de lier, partager et traduire librement l’information (la traduction étant une autre question gérée de manière insatisfaisante dans les médias d’information traditionnels), mais aussi de remixer les contenus et de présenter les médias et analyses sous des formes nouvelles, que leur auteur originel n’aurait éventuellement pas imaginé.

En définitive, le journalisme open source ne doit pas recourir au droit d’accès payant comme source de revenus car c’est en totale contradiction avec la volonté de produire du contenu dans le but d’informer et de donner au public le pouvoir de l’autonomie et de la responsabilité. Faute de proposer à ce dernier un libre accès aux informations d’importance, cela ne serait en fin de compte guère plus qu’une extorsion de fonds. Il existe plein d’autres modèles économiques de soutien du logiciel libre qui peuvent tout aussi bien soutenir le journalisme open source (nous reviendrons dessus plus en détail dans un autre billet).

En avant !

Nous vous avons décrit quelques-unes des valeurs centrales dont OpenWatch entend imprégner sa forme de journalisme open source. Si vous souhaitez contribuer à documenter la vérité et résister aux pouvoirs adeptes du secret, rejoignez-nous ! Nous ne savons pas exactement où cela nous mènera, mais nous sommes certains qu’unis dans la quête de la vérité, nous pouvons construire quelque chose de vraiment étonnant et bien pour tous. Rejoignez-nous !

Crédit photo : Decar66 (Creative Commons By)

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