Avant d’écrire ce billet, j’avoue que j’ai hésité longuement avant de le rédiger. J’avais envie de pondre un truc du genre : « Salut, et encore merci pour le poisson« . Je tiens donc à remercier les personnes qui m’ont contacté par courrier électronique pour exprimer ce qu’elle pensait, même si parfois ce n’était pas en toute cordialité.
Au moins, cela m’a permis de voir un peu plus clair. Une blogosphère linuxienne francophone monocolore ? Ca ne me tente pas vraiment.
Je comptais réouvrir le mardi 29 octobre matin, mais ce lundi soir m’est apparu un peu plus approprié. Revenons au sujet du billet.
J’avoue que je ne pensais pas que mon antépénultième billet apporte autant la merde et des commentaires aussi acerbes. C’était sans compter sur le « sectarisme » d’une partie du monde du logiciel libre qui refuse de voir une partie du problème qui se pose, et que je dénonce, de manière immature et maladroite, depuis des mois, voire des années.
J’ai déjà eu l’occasion de parler plusieurs fois de la politique du fork à tout va qui finit par desservir l’idéal du logiciel libre. Le dernier article en date datant d’avril 2013.
A trop forker, on finit par pondre la distribution en trop, celle qui en voulant révolutionner, réinvente la roue en recopiant pour la énième fois soit l’environnement de Microsoft Windows avant Microsoft Windows 8, soit celui de la firme de Cupertino. Pour un bénéfice proche de zéro.
L’échec de SolusOS est lié à une trop petite équipe portant un projet trop ambitieux. Avoir une trop petite équipe peut rendre l’avenir d’une distribution difficile à envisager. En dessous d’une dizaine de codeurs, à moins d’avoir une communauté forte pour soutenir les dits-codeurs, que ce soit graphiquement ou documentairement, l’avenir n’est pas des plus « roses ».
Il y a bien entendu des exceptions qui confirme la règle. Le premier qui me vient à l’esprit ? Juste une distribution ayant fêté ses 20 ans cette année : la Slackware Linux. Le fondateur Patrick Volkerding a longtemps travaillé seul avant d’intégrer des développeurs pour l’aider.
Je suis d’accord, c’est vraiment l’exception qui confirme la règle. Il y a aussi un autre problème lié à ce foisonnement de distributions qui sont souvent peu inventives les unes par rapport aux autres : Leur apport réel à la cause du libre et sa démocratisation.
On va commencer par une vérité : oui, c’est agréable de pondre une distribution. Oui, ça fait plaisir. Si elle apporte quelque chose de plus à l’utilisateur, pourquoi pas ? Trois exemples parmi les plus célèbres :
Linux Mint apporte quelque chose : un environnement fonctionnel « out-of-the-box », avec une interface graphique mimant l’ancienne génération du bureau de Microsoft Windows.
ElementaryOS apporte autre chose : une interface léchée, inspirée du Finder de MacOS-X sans tomber dans la photocopie bête et méchante. Et certains logiciels de qualité comme Shotwell, qui remplace le vieux gThumb depuis des années sur mes différentes installations.
Ubuntu, qui depuis 9 ans, essaye plus ou moins maladroitement de séduire des utilisateurs de Microsoft Windows.
D’autres distributions GNU/Linux dont Nuclear Snake a interviewé l’auteur me laisse plus pantois quant à leur intérêt général. Ce qui m’a valu une volée de bois vert, aussi bien dans l’article que dans les commentaires. Je vous laisse déguster les dits textes.
Cette politique du fork à tout prix, ou encore du « fork comme on a envie d’uriner » a un coût.
Outre le fait que les ressources ne sont pas extensibles à l’infini, cela se paye cash, par une mortalité qui fait peur.
Prenons distrowatch dont les statistiques de visite sont sources de troll à l’infini, et dont je n’ai pas envie de parler ici. Mais une autre est aisément vérifiable. Le site existe depuis 2002, soit 11 ans.
En 11 ans, le site a indexé quelque chose comme 764 distributions. Oui, vous avez bien lu. Vous pouvez vous pincer si vous en avez envie, ça fait du bien. Et 324 sur liste d’attente.
J’ignore combien sont encore vivantes ou mortes sur cette dernière liste. Donc, un bon gros millier de distributions en tout, dans l’ensemble du spectre des applications possible : bureautiques, ludiques, professionnelles (audio, vidéo, graphisme) ou encore des pare-feux et des serveurs de données.
Même si on attribue soit à Churchill soit à Mark Twain soit à Benjamin Disraeli la citation suivante : « Lies, damned lies, and statistics », ce qu’on traduit par « Mensonges, sacrés mensonges et statistiques », il faut regarder les dégats.
Prenons les statistiques proposées par la gazette du 28 octobre dernier.
- Nombre de distribution répertoriées : 764
- Actives : 297, soit 38,87%
- Endormies : 54, soit 7,06%
- Abandonnées : 413, soit 54,05%
Si on considère – pour se simplifier la vie – que le nombre d’abandon suit un rythme constant, cela donne un moyenne de 34,41 abandons par an.
Soit, une distribution abandonnée tous les 10 à 11 jours. Dans l’économie réelle, cela ferait peur de voir dans un domaine précis disparaître 34 à 35 entreprises par an. Parler de domaine sinistré serait assez réaliste, non ?
Encore, distrowatch ne doit pas avoir connaissance de la totalité des distributions qui sortent annuellement. Sans oublier les distributions nées puis mortes entre 1992 et 2001. Jamais été indexées entre temps. Comme la Kheops Linux par exemple, dont la mort date de l’an 2000 ?
J’avoue que quand j’ai commencé à m’intéresser au monde du logiciel libre, il n’y avait pas grand choix, vers 1997. En gros pour résumer on avait droit à : Slackware, Debian GNU/Linux, Red Hat. Je ne me souviens plus si Gentoo existait déjà ou pas. Mais je pense que cette dernière doit être née vers 1999, merci de me corriger en cas d’erreur.
Le tournant a été en 2004, avec l’arrivée d’Ubuntu qui a donné un nécessaire coup de pied dans la fourmilière avec une simplification et une démocratisation qui a été croissante. Mais le nombre de dérivées qui sont nées a été le début du gaspillage que l’on connait actuellement.
On dit souvent que « L’enfer est pavé de bonnes intentions », c’est le cas ici. Il y a de nombreuses personnes talentueuses dans le domaine de la programmation (tout mon opposé, donc), tout comme il y en a qui le sont dans le domaine du graphisme et de la documentation.
L’idée qu’on peut faire mieux que son voisin, parfois au prix de réinventer complètement la roue au lieu de s’appuyer sur des bases solides et éprouvées est terriblement répandue. C’est un pari risqué qui peut fonctionner comme s’écrouler tel un chateau de cartes.
Il n’y a pas des légions de Linus Torvalds ni encore de Theo de Raadt dans le monde du libre. Des développeurs d’exception, avec des caractères plus ou moins porcins sachant regrouper d’autres développeurs autour d’eux.
Il n’y a aucun mal à tenter sa chance. Loin de moi cette idée. Ce qui est la force du logiciel libre est aussi sa faiblesse.
On s’éparpille, perdant au passage des occasions en or de proposer des solutions clés en main, comme ce fut le cas à l’époque du peu aimé Microsoft Windows Vista. Ou plus récemment avec l’arrivée de Microsoft Windows 8.
J’ai été affreusement maladroit dans mon antépénultième billet, mais il faut dire les choses comme elles sont. Nombres de distributions qui existent de nos jours seront surement morte à l’échelle de deux ans.
C’est la vie du logiciel libre, mais si on veut que celui-ci perce un jour dans le domaine du PC classique, il n’y aura pas 36 000 choix. Cyrille Borne l’a très bien expliqué dans son billet.
On va encore me dire que je me la joue « Madame Irma » (sans la boule de cristal), mais voici les noms de distributions que je vois mal dépasser la fin de l’année 2015 : Linux Mint Debian Edition, Pear OS, OpenMandriva. Ou encore la Foresight Linux, voire l’Antergos.
J’espère me tromper, seul l’avenir me dira si j’ai été un oiseau de mauvaise augure ou si j’ai visé juste. La loi de Laffer dit « Trop d’impôts tue l’impôt ». Pourrait-on dire « trop de distributions tue les distributions » ?
Cela me fait penser un peu au zèle des nouveaux convertis d’une religion qui font du prosélytisme. Et qui considèrent que si on n’est pas laudateur envers leur distribution chérie, on est le pire des mécréants. Tout ce qui nous attend, c’est le bûcher sans autre forme de procès.
Il faut savoir évacuer ses gaz intestinaux de temps à autre. Comme dit le Chat, personnage de Philippe Geluck : « Quand on n’évacue pas les pets, ils finissent par remonter au cerveau. Et c’est ainsi que naissent les idées de merde ».
J’ai eu des mots dur avec NuTyX avant de me réconcilier avec la distribution quelques mois plus tard. Idem avec Ubuntu, même si la fâcherie a duré plus longtemps. Comme quoi, tout évolue. Savoir exprimer les choses, les mettre à plat, c’est largement mieux. Si un jour Archlinux chie dans la colle, je le dirais. Et je l’ai déjà dit par le passé. Je n’ai aucun tabou à dire les choses quand elles partent en cacahuètes.
Je tiens à préciser plusieurs points.
- Bien qu’on dise que je sois devenu un blogueur influent, je me refuse à accepter cette étiquette. Je ne suis qu’un blogueur comme un autre, qui s’exprime avec passion. Je suis très loin d’avoir la puissance de feu de Philippe Scoffoni.
- J’exprime toujours mon point de vue, de manière franche, et parfois un peu trop directe. Cela peut valoir des inimitiés. C’est un risque à prendre.
- Si une distribution n’apporte rien à mon point de vue, je continuerais de le dire. Idem si sa politique de communication et / ou de publication est suicidaire.
- Si vous n’êtes pas d’accord, dites-le en commentaires (ouverts durant la semaine qui suit la publication du billet) ou via un courrier électronique. Je réponds toujours.
- Si vous voulez de la langue de bois, allez voir ailleurs, merci. Certains webzines classiques seront pour vous des sources de réconfort.
- Si vous ne supportez plus ma prose, inutile d’être masochiste. La toile est suffisamment grande.
- Je ne serais jamais un développeur, juste une personne passionnée qui a envie de faire passer une passion, et de conseiller les utilisateurs vers ce que je considère être utile. Si cela déplait, tant pis !
- Je ne prétends pas détenir la vérité. Et je ne le prétendrais jamais ! Je laisse ceci aux experts.
Pour terminer, je citerais Pierre-Augustin Caron resté dans l’histoire sous le nom de Beaumarchais. Spécialement un extrait de la scène 5 de l’acte III de son oeuvre « Le Mariage de Figaro » :
« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »
Comprenne qui aura envie de comprendre ! Je n’ai rien à rajouter de plus.