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A propos du « nouveau philosémitisme européen »

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Ce texte permet de prendre du recul par rapport à la confusion présente, en ce qui concerne l'invocation de l'antisémitisme et de la Shoah par le discours hégémonique. Extrait d'un livre intitulé Le nouveau philosémitisme européen, paru en 2007 aux éditions La Fabrique, il montre les logiques par lesquelles l'Occident a opéré une sorte de capture et d'inversion quant à son rapport aux Juifs et à l'histoire du génocide. Les intuitions de ce livre se sont malheureusement trouvées confirmées dans les années qui ont suivi et plus encore depuis le 7 octobre 2023. Publié par l'UJFP

Au-delà de l'horreur qui se déchaîne à Gaza, il est important de méditer les développements qui suivent pour comprendre ce qui se joue aujourd'hui, y compris en France, dans le détournement et l'instrumentalisation de la mémoire de la Shoah par un projet colonial, islamophobe, raciste – et, pourrait-on ajouter, sournoisement antisémite. Car si les musulmans sont victimes d'une vaste chasse aux sorcières, explicitement traités en ennemis de l'intérieur, toujours suspects de terrorisme ou d'antisémitisme, les Juifs se voient pris dans une série d'amalgames encore plus pervers qui les assimile à un État raciste et colonial, et prétend les défendre en confondant l'antisionisme et l'antisémitisme.

En France, le discours gouvernemental rattache également les Juifs, de façon pernicieuse et forcée, à la République, à ses symboles et à son idéologie détestable. Il y a quelques semaines, Gérald Darmanin, gardien zélé de l'unanimité pro-israélienne et champion de la répression du soutien à la Palestine (ou finaliste avec l'Allemagne), ne craignait pas d'affirmer que "la haine du flic et la haine du juif se rejoignent". Il y eut quelque timide indignation à gauche, mais pas beaucoup de défenseurs d'Israël, ni de ces hypocrites qui ne traquent l'antisémitisme et le négationnisme (réels ou supposés) qu'à condition de pouvoir les imputer à des Arabes, des musulmans ou des pro-palestiniens, pour rappeler que la déportation et l'extermination des Juifs d'Europe relevaient d'une opération essentiellement policière. Il y a plusieurs autres exemples tout aussi édifiants, qui donnent la mesure de ce que l'assimilation systématique des Juifs au sionisme, à l'État d'Israël et à l'idéologie républicaine autorise désormais. La dernière partie de cet extrait, sur Finkielkraut et ses propos concernant le soulèvement des banlieues de l'automne 2005, permet également de percevoir des continuités avec les politiques et la gouvernementalité françaises, sur des questions apparemment éloignées du contexte israélo-palestinien.

L'auteur Yitzhak Laor est un écrivain, poète et critique littéraire israélien. Il a souvent publié dans le journal israélien de gauche Haaretz. Ces extraits, tous issus du début du livre, sont presque d'un seul tenant - il n'y a pas beaucoup de coupures, toutes signalées par [...]. Nous n'avons rien ajouté à part ce chapô, les notes qui comportent la mention « Note ajoutée » pour des précisions, ainsi que les deux premiers sous-titres ("Un Autre rassurant" et "Précisions biographiques sur l'auteur"). Nous avons aussi mis en gras quelques passages.

Un Autre rassurant

Malgré ses récriminations sur l'hostilité des médias, Israël a la côte en Europe. Non seulement les Israéliens sont très présents dans l'imaginaire occidental, mais les Occidentaux ont pris l'habitude de nous considérer comme une partie d'eux-mêmes, du moins tant que nous sommes ici, au Moyen-Orient, une sorte de dernière version des pieds-noirs.

Cette identification avec « nous » fonctionne mieux encore avec la culture de l'Holocauste, en offrant au nouvel Européen, dans un contexte de « fin de l'Histoire », une meilleure version de sa propre identité face au passé colonial et au présent « post-colonial ». Inquiet devant la masse des musulmans légaux et illégaux, cet Européen a adopté le nouveau Juif comme un Autre rassurant, moderne, ami du progrès, sans barbe, sans papillotes, avec une femme qui ne porte pas de vêtements traditionnels et ne dissimule pas ses cheveux – heureusement, ces nouveaux Juifs n'ont rien à voir avec leurs grands-parents. Bref, cet Autre sympathique est assez similaire au Moi européen, toujours hostile à ceux qui ne lui ressemblent pas, qui ne s'habillent pas comme lui ou qui ne se conforment pas à ses valeurs. [...]
Israël est comme ces périphéries de l'Europe, qui, selon l'idéologie nationale, confèrent à leurs sujets le rôle de « dernier avant-poste » contre « la barbarie non européenne ». Dans l'imaginaire européen, le critère qui permet d'identifier les membres de la communauté occidentale est fondé depuis toujours sur le mur de séparation qui délimite la chrétienté occidentale blanche.

Aujourd'hui, le cas le plus connu (et le moins imaginaire d'ailleurs) est celui de l'opposition de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Même les arguments des « libéraux » pour accepter la Turquie s'appuient sur cette démarcation : « il faut encourager l'islam modéré », « là-bas, le hidjab est interdit par la loi », etc. Dans cette géographie rêvée, où se situe Israël, où se situent les Juifs, après l'extermination des Juifs d'Europe ? (Auparavant, comme chacun sait, les Juifs ne faisaient pas partie de l'Occident, en dépit de la nostalgie à la mode pour les Juifs morts.) Israël partie de l'Occident : c'est une position éminemment politique. Mais c'est une illusion que de tracer un trait là où finit Israël et où commence le monde arabe. [...]

En Israël, quelque 60% des Juifs ne sont pas ashkénazes (Juifs d'origine européenne, occidentale). Faut-il en conclure que la majorité des Juifs en Israël ne sont pas des Occidentaux, que la frontière imaginaire doit être tracée entre les ashkénazes et les Juifs orientaux ? Ce serait une erreur, car il s'agirait alors d'une affaire de couleur, ou de lieu de naissance, d'accent, de cuisine, de traditions religieuses [1], selon un mode de pensée racial ou même raciste. Ce que je pense, c'est que la ligne entre Occident et non-Occident, entre Ouest et Est ne passe pas entre les Juifs et les Palestiniens, ni entre les Juifs ashkénazes et les Juifs orientaux, mais qu'elle traverse d'une façon très particulière le peuple juif – peuple ou nation. Nous autres, peuple ou groupe religieux, et même ceux d'entre nous qui venons d'Europe occidentale, n'avons jamais fait partie de l'Occident (chrétien), pas même après la nationalisation qu'a subie le peuple juif. Cette nationalisation n'a pas fait de nous des Occidentaux [2].

Pour faire une analyse de cette ambiguïté des Juifs, il faudrait que des historiens et des philosophes s'emploient à décrire en profondeur l'histoire de la vie des Juifs au cours des deux cents dernières années, depuis l'émancipation. Car même les critères utilisés par les Lumières occidentales pour faire la distinction entre le laïque et le religieux, principe de base des sociétés modernes, sont des critères étrangers à l'histoire des Juifs et ne lui sont pas applicables. Sans parler des lois sur le mariage édictées par l'État, lois non démocratiques qui nous sont imposées à tous (les principales victimes étant les femmes), en faisant cyniquement porter la responsabilité sur les partis religieux, alors qu'elles ne font que servir les intérêts racistes de l'État pour éviter les « mariages mixtes » entre Juifs et non-Juifs (c'est-à-dire Arabes [3]).

Plutôt qu'un exemple aussi évident, prenons celui des lois traditionnelles concernant la nourriture : en Israël, 60% des Juifs observent les règles de la cacherout, non seulement en ne mangeant pas de porc mais en respectant tous les autres interdits. Ils le font par choix et non sous une quelconque coercition religieuse. Autre exemple éloquent : 99,9% des gens font circoncire leurs fils et le font comme le prescrit la loi juive, huit jours après la naissance. Pourtant, beaucoup d'entre eux se considèrent comme « laïques », ce qui ne tient pas si l'on se fie aux critères européens de la distinction entre laïques et religieux.
Même la séparation qui semble aller de soi et que les Juifs ont acceptée comme mode de vie en se soumettant à l'impératif (chrétien) d'être « un Juif à la maison, un être humain à l'extérieur [4] » ne correspond pas à la diversité des histoires vécues par les Juifs. Toutes les tentatives de réunir l'ensemble de ces expériences dans le cadre de l'histoire de l'Occident se sont soldées par des échecs.

À travers nous, l'Europe aurait pu se laver de son passé colonial. Elle aurait pu apprendre à tolérer l'islam, objet du plus massif des refus de la laïcité occidentale comme mode de vie. La tragédie, c'est qu'il en est allé tout autrement. Pour des raisons que je détaillerai tout au long du livre, c'est à travers nous que l'Europe a renforcé sa haine de l'islam et des Arabes : notre État, présenté comme héritier des victimes de l'Holocauste (et dont la plupart étaient « très différentes des Européens modernes » et dont on se moquait avec les mêmes mots que ceux que l'on emploie aujourd'hui pour dénigrer les musulmans traditionnalistes), a ouvert la voie au retour du colonial.

Si l'on met de côté la croyance en une « éternité » de Sion, éternité que n'importe quel nationaliste confère à sa nation, si l'on fait abstraction de l'antique aspiration vers Sion, qui n'avait jamais disparu mais ne s'était jamais traduit en acte avant la victoire du sionisme et la nationalisation de la religion juive, si l'on oublie les prières pour la rédemption de Sion, récitées chaque jour par les Juifs religieux, en Israël comme à Brooklyn, à Paris ou au Yémen, on accède alors à la pure logique de la tragédie : le sionisme pensait qu'il allait être possible de résoudre politiquement la question de l'exil des Juifs à l'intérieur de l'Europe – les Juifs comme « Orientaux au sein de l'Occident » - non pas simplement par un exode, ni en partant pour un ailleurs quelconque, mais en allant au plus profond du territoire colonial de l'Europe, en Orient, pas pour en faire partie mais pour devenir « là-bas » les représentants de l'Occident. C'est ce qu'a exposé Herzl, de façon très directe, dans son livre programme, L'État juif. Après avoir décrit sans concession la haine de l'Europe envers les Juifs après l'affaire Dreyfus – haine qu'il tient pour incurable – , il écrit : « Pour l'Europe, nous serons comme un rempart contre l'Asie, nous serons les défenseurs de la culture contre les sauvages. Nos relations avec les nations d'Europe garantiront notre existence en tant qu'État indépendant. [5] » C'est là une prophétie éclairante, même si la violence qu'elle annonce ne s'est pas exercée contre les seuls Palestiniens mais aussi contre les Juifs des pays arabes et musulmans amenés en Israël et contre les Juifs religieux « modernisés » de force pour en faire des « Juifs nouveaux ». Bref, sur le front colonial, les opérations ont porté à l'intérieur comme à l'extérieur.

Pour la plupart des sionistes, surtout au sein de la gauche mais aussi parmi les sionistes religieux, la haine des Juifs était à mettre à la charge des victimes : les Juifs étaient des « parasites », « improductifs », « obscurantistes », « arriérés », en d'autres termes ils n'étaient pas vraiment des êtres humains. Dans la vie traditionnelle des Juifs européens, il y avait quelque chose qui manquait – ce qui voulait dire qu'être normal c'était ressembler aux Occidentaux. Les sionistes ne sont d'ailleurs pas les premiers à avoir capitulé devant l'injonction : « Modernisez-vous. » Celle-ci a commencé à opérer dès le dix-huitième siècle en Europe, chez les savants fondateurs des Lumières juives. Mais la contribution sioniste à la « normalisation » des Juifs (selon les critères occidentaux) a consisté à partir pour l'Orient. Les Juifs colonisés ont cherché à se libérer en devenant colonisateurs. Et ce qui ajoute encore au tragique, c'est que la distance prise avec l'Europe n'a pas résolu le « problème ». Il n'est pas un seul des schismes qui divisent la société israélienne qui ne puisse se lire comme un retour de ce refoulé.

La très grave tension entre ashkénazes et séfarades qu'on observe au quotidien – dans les quartiers, les supermarchés, les cours d'école, les autobus, les hôpitaux – et dans beaucoup de scandales politiques reflète cette tension coloniale non-résolue. Nous étions censés vous moderniser, vous qui, pour votre rédemption, veniez (aviez été amenés) d'Afrique du Nord, du Yémen ou d'Irak. Vous n'étiez pas censés nous rappeler où nous vivons, c'est-à-dire au Moyen-Orient. « Vous avez brisé notre rêve » : telle pourrait être l'expression de la haine envers les Juifs orientaux en Israël (celle des Juifs orientaux vis-à-vis des ashkénazes est bien connue). Mais cette tension ethnique n'est pas la seule : il y a aussi celle qui oppose les ultraorthodoxes au camp « laïque », parfois si violente qu'elle en arrive à employer le ton de l'antisémitisme traditionnel, pour des raisons qui sont presque les mêmes : « Vous [les haredim, les Juifs ultraorthodoxes], vous êtes des parasites arriérés, vous êtes ce que les antisémites disaient de nos pères » [6].

Tout ceci peut s'expliquer par une forme d'identification à un Occident imaginaire, qu'il s'agisse de l'Europe de l'Ouest ou de l'Amérique ou des deux. La culture juive moderne (laïque) est entièrement construite sur cet imaginaire. Même l'Holocauste, si l'on met de côté le rôle politique que l'État d'Israël lui assigne et la part qu'il a prise dans notre idéologie nationale depuis les années 1970, est présenté comme un « accident historique ». En d'autres termes, l'Holocauste – de même que sa métonymie, Auschwitz, lointaine bourgade dans la terre des Slaves – n'appartient pas à l'Europe moderne, n'en est pas le point culminant. Dès lors, on voit comme il est facile de fondre le passé unheimliche de l'Europe avec le mode israélien de voir ou ne pas voir l'Holocauste […]. À l'évidence, le déplacement de Hitler, l'évocation de « nouveaux Hitler » à Bagdad (fréquente en Israël dès avant la première attaque américaine en Irak en 1991), ou à Téhéran de nos jours, ou même parmi les pauvres du ghetto de Gaza, sont d'autres symptômes de notre propre tragédie, de notre incapacité à historiciser notre vie, la condition juive.
[...]

Précisions biographiques sur (et de) l'auteur

J'ai horreur de faire de ma biographie un argument politique. Cet artifice a été utilisé dans trop d'ouvrages peu sincères, avec le présupposé que la vie d'un homme peut servir d'exemple pour celle d'une nation (croyance naïve héritée du dix-neuvième siècle). Je dirai néanmoins que je suis né en Palestine, un mois avant que le pays devienne l'État d'Israël. Ma famille était sioniste : mon père et ma mère voyaient dans le sionisme leur rédemption et leur sécurité. Ils avaient quitté l'Europe à temps. Mon père était un Juif allemand, militant du SPD (parti socialiste allemand), qui travaillait dans une usine de sa ville. Au début de 1933, un membre de sa cellule lui a demandé de ne plus participer aux réunions, parce que ce n'était « pas convenable ». J'ai été élevé dans le mépris du chauvinisme et de toute forme de racisme, toujours comparé au racisme de l'Allemagne nazie. Ma mère, qui venait de Riga, avait fait partie du Bétar, mouvement sioniste de droite. Elle l'avait quitté avant ma naissance, mais son amour profondément sentimental pour « tous les Juifs, d'où qu'ils viennent » (ce qui, dans le jeune État d'Israël, signifait « même les Orientaux ») et son ouverture aux sentiments antireligieux (que nous avions bien intégrés dans les mouvements de jeunesse sioniste au début des années 1960) ont fait partie de mon héritage personnel, si tant est que cela ait quelque importance. Mon grand-père maternel, né en Belgique, avait été caché pendant la guerre dans une ferme flamande. Son père était mort à Auschwitz. La mère de ma femme est une Juive marocaine. Notre langue, celle que nous employons pour crier des slogans dans les manifestations et pour lire les horreurs quotidiennes du colonialisme, est l'hébreu. Le sionisme a fait de nous des membres d'une nation. Mais il se trouve que je ne suis pas seulement le fils de mes parents, je suis aussi le père de mon fils. Que lui dirai-je le jour où il me posera des questions sur le désastre du Moyen-Orient ? Que lui dirai-je quand il me demandera par quelle folie nous nous sommes retrouvés avec du sang sur les mains ? Il faudra bien que je lui explique que les pieds et les poings sont ceux de l'Occident mais que nous, nous sommes les bottes et les coups-de-poing en acier. Et quand il me demandera à qui est tout ce sang répandu, je lui répondrai : je ne peux pas dire, non seulement parce qu'on ne peut pas le savoir par l'odeur, la densité ou la couleur, mais aussi parce qu'il y en a du nôtre et du leur, et pas qu'un peu.

La Shoah nous appartient (à nous, les non-musulmans)
[…]

Le génocide juif fait désormais figure d'événement universel dans la culture occidentale, comme si le récit en avait existé dès l'origine. Pourtant même Hollywood, grand conteur d'histoires devant l'Éternel, n'a rien dit du génocide juif pendant longtemps. Le cinéma hollywoodien a traité de la Seconde Guerre mondiale sous l'angle de la bravoure. Selon les vagues successives de la mode, cela a donné des films de combat, des films d'amour et d'héroïsme, des histoire de prisonniers et d'évasions, des épisodes de la guerre du Pacifique (sans un mot sur Hiroshima et Nagazaki qui viennent en tête dans la logique du déni), et bien sûr des séries télévisées comiques (à partir des années 1970). Seule la série hollywoodienne Holocaust (1979) a largement hérité du style des films de guerre et des séries télévisées sur la Seconde Guerre mondiale. C'est presque en parallèle qu'on a décidé de construire un musée de l'Holocauste à Washington. Mais où donc se cachait le génocide juif depuis la fin de la guerre, quand la mémoire était l'apanage des Juifs rescapés, des antinazis et des autres victimes ? Pendant les décennies de l'après-guerre, le génocide des Juifs est resté là où les vainqueurs de la guerre voulaient qu'il soit : en marge. Raul Hilberg l'explique en ces termes :

« Pour l'Union soviétique, la Grande-Bretagne et les États-Unis, le sauvetage des Juifs n'était pas une priorité. De 1941 à 1945, ces trois pays tournaient toute leur attention vers la guerre, comptabilisant leurs pertes et leurs acquis aux combats, et songeant déjà à leurs sphères d'influence respectives une fois que l'Allemagne aurait capitulé. […] Tout territoire situé derrière les lignes ennemies était analysé avant tout en tant que complexe de production, de mobilisation et d'approvisionnements. Très peu d'autres éléments éveillaient la curiosité des Alliés. La décimation très réelle des populations asservies par l'Allemagne et ses associés était au mieux une source de préoccupation annexe. La même disparité caractérisait la propagande alliée. L'union soviétique donnait plus de publicité aux exploits limités de partisans armés qui harcelaient les Allemands à l'arrière du front qu'aux prisonniers de guerre qui mouraient massivement dans les camps de l'ennemi. Les Alliés occidentaux déversaient plus volontiers leur sympathie sur la clandestinité polonaise qui tentait vainement de libérer Varsovie en 1944 que sur les nombreux jeunes Polonais que l'on fusilla en représailles ou qui dépérissaient dans les camps de concentration [7] ».

L'anéantissement des Juifs « était une réalité [que les Alliés] rejetaient fondamentalement. Ils refusaient de devoir y faire face ».

« Au début de 1944, un rapport détaillé en provenance d'Auschwitz, transmis par la clandestinité polonaise, fut distribué à l'Office des services stratégiques, au département de la Guerre et à la Commission des crimes de guerre des Nations. Dans ces trois cas, on l'enterra. »

Pourquoi ?

« Les Alliés occidentaux ne voulaient pas que leur population croit qu'on faisait la guerre pour délivrer le judaïsme. Rien ne devait suggérer ni sous-entendre que les soldats alliés étaient des mercenaires qui se battaient pour la cause des Juifs. On avait déjà assez de mal à expliquer à un Britannique ou un Américain pourquoi on faisait la guerre, à faire clairement comprendre à un Américain pourquoi on la faisait en Europe. Malgré l'accent mis sur « un seul monde », ou le fait qu'aucun homme n'était une île, le Britannique de la rue avait fortement conscience de vivre sur une île, même si celle-ci avait été très menacée pendant une courte période, en 1940. Les Américains, sur leur île nettement plus grande, se trouvaient séparés du conflit par un océan. C'est pourquoi la Grande-Bretagne et les États-Unis menaient une guerre soigneusement contrôlée, minimisant leurs pertes et simplifiant leurs déclarations verbales. Du fait de cette attitude, la libération des Juifs ne serait qu'un sous-produit de la victoire. »

Ces faits sont connus. Ils ont été abondamment commentés dans les milieux juifs, y compris dans le débat public en Israël. Sur ce point, le discours public israélien et juif en général ne recouvre pas exactement le discours occidental qui a évité et évite encore aujourd'hui les questions brûlantes sur le traitement des réfugiés juifs avant et pendant la guerre, sur la marginalisation de l'extermination et sur la grande indifférence vis-à-vis des réfugiés après la guerre (surtout aux États-Unis). Ce qui me gêne dans la façon dont la version israélienne s'est diluée, au cours des dernières décennies, dans le discours de l'Occident sur la Shoah, ce n'est pas tant sa problématique au regard des intérêts de l'État d'Israël, mais plutôt la perte de la dimension concrète de cette tragédie et sa fusion avec une version qui nous est étrangère.

Dans la culture occidentale, le génocide des Juifs fait désormais figure d'histoire qui se raconte depuis toujours. Il semble sortir du néant, mais son récit produit une impression de continuité, comme si on le racontait depuis l'événement lui-même. On ignore les ruptures, on néglige les changements, on ne dit pas pourquoi, « tout à coup nous », avons été victimes d'un génocide. C'est dans la nature de toute idéologie de gommer les ruptures pour insister sur la continuité, mais ce qui gêne ici, c'est la disparition de toute tension, c'est le fait que la continuité de l'histoire juive est étrangère à la façon dont l'histoire se raconte aujourd'hui. Celle-ci est devenue le récit d'une continuité nationale qui commence avec la montée du nazisme, se poursuit avec la guerre contre le nazisme et se termine avec la construction de la mémoire des victimes (juives).

En Europe, la Shoah est devenue l'image de tout ce que l'Europe n'est pas aujourd'hui : le génocide participe de la dictature, de l'intolérance et de la haine d'Israël. Il n'est pas ce que les Européens savent d'eux-mêmes, mais, grâce à lui, ils savent ce qui est le contraire d'eux-mêmes.

Pourquoi justement maintenant ? Pourquoi pas à l'époque, après la défaite des nazis et la création des Nations Unies ? Comment se fait-il qu'au début, le génocide n'était qu'une référence sur laquelle des vainqueurs pouvaient s'accorder, alors qu'aujourd'hui il est devenu le symbole de la Seconde Guerre mondiale tout entière – que ce soit au cinéma, à la télévision, dans les clichés politiques, les programmes scolaires et même dans les célébrations officielles des États ?
Je vais essayer de répondre en partie à cette question : pendant les années de l'unification de l'Europe, le génocide et les Juifs ont servi à la construction d'une identité européenne. Les Européens, qui s'étaient autrefois si bien distanciés du Juif considéré comme un étranger – il n'était pas comme eux, il ne se comportait pas comme eux, il n'était pas des leurs – peuvent aujourd'hui s'empresser de l'aimer, d'abord parce que désormais il leur ressemble, et ensuite parce qu'il n'est plus parmi eux.

[...]

Le pacte faustien

Dans l'imaginaire collectif du monde, Israël est la patrie des rescapés du génocide des Juifs et tous ceux qui critiquent Israël collaborent avec les auteurs de l'extermination du peuple juif. S'il est vrai qu'en Israël, ce langage est celui des gens de droite et que la majorité des Israéliens auraient honte de faire ce genre de comparaison [8], c'est en réalité la rhétorique même de la propagande israélienne. Quand après le massacre de Qibbiyya [9], Ben Gourion a évoqué la Shoah, personne n'a pris cet argument au sérieux. C'est pourtant le raisonnement dont procède l'attitude pro-israélienne des Européens. C'est aussi une façon de présenter les choses qui permet d'éluder certains problèmes politiques actuels de l'Allemagne et de l'Europe occidentale. Reprenons l'exemple allemand. Non seulement l'Allemagne est un bon sujet d'étude pour ce qu'on appelle le « sentiment de culpabilité collectif », mais ce pays a aussi joué un rôle très important dans l'élaboration du statut du Juif comme victime absolue. C'est une démarche qui permet d'annuler la distinction entre le bien et le mal dans le passé génocidaire, et qui autorise ainsi une certaine exploitation politique du passé allemand.

Mais il y a pire. Le samedi 11 septembre 2004, un tabloïd berlinois, le Berliner Zeitung, titerait en une « Jésus est à Berlin ! Encore des places pour le week-end ! » Au centre du journal, un grand titre en lettres rouges courait sur deux pages « Aujourd'hui, Jésus est à Berlin ! » L'intertitre, évidemment rédigé à l'avance, rapportait l'événement au présent : « Plus de 50000 chrétiens prient aujourd'hui à la porte de Brandebourg. » Sous ce titre sur neuf colonnes, figurait une grande photo d'archives en couleurs (sur quatre colonnes) montrant une foule en liesse qui manifestait son enthousiasme en agitant les bras. Mais le comble était un montage grossier : au centre de la photo flottaient deux drapeaux bien visibles, le drapeau allemand portant l'inscription « Jésus est là », et à côté, plus grand et bien déployé, le drapeau israélien bleu et blanc. La photo était légendée : « Les chrétiens se rassemblent pour prier. Aujourd'hui à Berlin, 50000 croyants participent à la Journée de Jésus et prient pour la paix dans le monde. » Dans ce montage, le drapeau israélien était totalement déplacé, non seulement parce qu'en septembre 2004 il ne symbolisait pas vraiment l'aspiration à la paix, mais surtout parce qu'il était révélateur d'autre chose : les médias allemands ne se seraient pas permis d'imaginer l'Allemagne sans y adjoindre la garantie humaniste de la présence de « l'Autre ». Pour les acteurs de la culture allemande parés des atours du bon chrétien, ou pour les libéraux, les verts et les sociaux-démocrates dans une ville où vivent plus de musulmans que dans n'importe quelle autre ville d'Europe, dans une ville qui voit fleurir la propagande néonazie antimusulmane, quoi de plus commode que « l'altérité juive », autrement dit israélienne, précisément à l'occasion d'un rassemblement chrétien ? Le drapeau israélien, comme les rues Yitzhak Rabin et Ben Gourion, comme n'importe quel film israélien, deviennent des symboles où se pense l'identité allemande. Voilà pourquoi il est important que les Français méditent l'exemple allemand. Les débats autour de « l'alliance judéo-chrétienne » s'appuient presque tous sur un passé biaisé. La prétendue tradition judéo-chrétienne ne correspond à rien de concret, c'est une vue de l'esprit que l'on invoque contre l'islam. Dans cette économie de l'imaginaire, le Juif joue le rôle de l'alter ego.

Le « nouvel Israélien » n'est qu'un aspect de ce besoin d'un alter ego. L'Allemagne propose tout un assortiment de folklore juif (ashkénaze). Des expositions sont consacrées aux juifs orthodoxes. Berlin offre en permanence une multitude de spectacles de klezmer ou de musiques et danses hassidiques. En cela, les Allemands diffèrent des autres Européens : ils baignent dans une sorte de philosémitisme inquiétant. Mais ce qui est commun à toute l'Europe occidentale, c'est cet intérêt frénétique pour tout ce qui touche à l'identité. La violence envers l'Autre se cache derrière ce besoin d'un « Autre qui nous ressemble ». C'est ce qui explique l'inflation de la mémoire dans la littérature, à la télévision, au cinéma – une mémoire très éloignée du concret, très loin des victimes encore en vie et de leurs descendants qui vivent cet éloignement comme une rupture. Que représente le passé en Europe ? Depuis l'accord avec le gouvernement de l'Allemagne de l'Ouest sur les réparations, les Israéliens sont devenus les représentants du peuple juif, même si aucun pays n'a encore osé leur reconnaître officiellement cette fonction [10].

L'Allemagne est réunifiée et s'est dotée de son propre passé, le génocide des Juifs qu'elle avait laissé dans l'ombre pendant des années. Désormais, « notre » rôle est de fournir une image de ce que le langage et les concepts de la culture allemande officielle sont toujours incapables de penser : le passé nazi. Pire, ce désir du Juif et de son passé, ce besoin de lui en tant que victime ou de représentant du passé tout entier sont un symptôme de la haine de l'islam qui marque le débat actuel sur la modernité : les musulmans doivent entrer dans la modernité (comme les Juifs autrefois). À eux de faire en sorte d'être des « gens comme tout le monde », c'est-à-dire des Européens. Le non-dit de cette attitude renvoie à celle que l'Occident avait jadis envers les Juifs : vous auriez dû nous ressembler. Il n'y a qu'à voir l'empressement avec lequel les intellectuels libéraux et de gauche invitent les musulmans à s'assimiler. Ils le font sans ciller, sans penser aux papillotes que l'on a tondues sur la tête de nos grands-parents juifs, sans penser à la xénophobie dont ont souffert nos parents. Cette incitation à entrer dans la modernité est inséparable de « notre » rôle de nouveaux Juifs. Je reviendrai sur ce contexte tordu avec Finkielkraut.
[…]

Finkielkraut fait son entrée

Voici ce qu'a déclaré Alain Finkielkraut à propos des émeutes de l'automne 2005 à Dror Mishani et Aurélia Smotriez, journalistes à Haaretz : « Elles sont dirigées contre la France en tant qu'ancienne puissance coloniale, contre la France en tant que pays européen, contre la France et sa tradition judéo-chrétienne. »

Remarquez l'importance de l'alliance judéo-chrétienne dans l'accusation du colonialisme. Sur la tradition judéo-chrétienne, le philosophe poursuit :

« C'est tentant de dire qu'en France, tu es laissé pour compte : « Donnez-moi ceci, donnez-moi cela ! » Mais ça ne marche jamais comme ça pour personne. Ça ne peut pas marcher […] En France, au lieu de s'opposer à son discours [de l'Africain], on accède au contraire à sa demande : on modifie la façon d'enseigner l'histoire coloniale et l'histoire de l'esclavage. Aujourd'hui dans les écoles, on enseigne uniquement les aspects négatifs de cette histoire. On ne dit plus que le projet colonial se proposait aussi d'apporter l'éducation et la culture aux sauvages. On ne parle que de la volonté d'exploiter, de dominer, d'opprimer. […] On ne peut pas mettre la Shoah et l'esclavage sur le même plan sans mentir car [l'esclavage] n'était pas un holocauste. Et [l'esclavage] n'était pas un crime contre l'humanité parce que ce n'était pas seulement un crime. Il s'agissait de quelque chose d'ambivalent. […] En fait, ce qui place l'Occident à part lorsqu'on parle d'esclavage c'est que c'est lui qui l'a éliminé. L'élimination de l'esclavage est le fait des Européens et des Américains. »

C'est précisément ici, chez lui comme chez d'autres, philosophes, politiciens ou journalistes, que le génocide des Juifs joue son rôle. Que Finkielkraut soit juif est presque accessoire au regard de ce qu'il dit. Pour donner du mordant à ses propos, parce qu'il s'adresse à nous, Juifs, il peut ajouter la biographie de ses parents, mais le point essentiel de ce texte néoconservateur est qu'il met en évidence le fait que les maîtres occidentaux ont besoin du génocide des Juifs pour définir le mal. Le génocide a eu lieu et il est terminé. Mais les autres maux sont toujours là. C'est ici qu'intervient la dimension universelle du génocide des Juifs : il englobe les victimes du colonialisme et de l'esclavage, qui non seulement n'ont jamais reçu de dédommagements, mais n'ont même pas eu l'heur d'être reconnues, précisément parce qu'elles vivent toujours dans des pays pillés, dans des quartiers misérables, sous l'occupation ou l'oppression, des situations qui, elles, n'ont jamais cessé. L'avantage de la Shoah, indépendamment de notre passé, du passé de notre peuple, son grand avantage, c'est qu'elle est terminée. On peut s'en réjouir comme d'un cauchemar qui est derrière nous, et on peut aussi faire la morale à ceux pour qui le drame dure encore, en se demandant d'ailleurs si quelque chose de terrible ne risque pas de leur arriver. Finkielkraut le dit à sa façon :

"Je pense que l'idée généreuse de lutte contre le racisme se transforme monstrueusement en idéologie mensongère. L'antiracisme sera au XXIe siècle ce que le communisme a été au XXe siècle, une source de violence. Aujourd'hui c'est au nom de la lutte contre le racisme que des Juifs sont attaqués : le mur de séparation, le sionisme sont assimilés à du racisme. C'est ce qui se passe en France. Il faut se méfier de l'idéologie de l'antiracisme."

Ces paroles en ont effrayé plus d'un, surtout en Israël. Mais ceux qui ont lu l'essai de Finkielkraut, Au nom de l'Autre, ne doivent pas s'étonner des propos de cet homme. Le sous-titre de l'essai est Réflexions sur l'antisémitisme qui vient. Finkielkraut y pose, entre autres, la même question que celle que je pose au début de ce livre : pourquoi Auschwitz ?

« Avec le temps, le souvenir d'Auschwitz n'a subi aucune érosion ; il s'est, au contraire, incrusté. L'événement qui porte ce nom, écrit justement François Furet « a pris toujours plus de relief comme accompagnement négatif de la conscience démocratique et incarnation du Mal où conduit cette négation ».

C'est ainsi que Finkielkraut, tout en se lamentant sur lui-même comme il sait le faire, distingue d'un côté la démocratie occidentale et son passé unique, Auschwitz, et de l'autre, les continuateurs d'Auschwitz, c'est-à-dire tous les régimes « non-démocratiques ».

« Pourquoi précisément l'Holocauste ? Pourquoi Auschwitz et non d'autres carnages doctrinaux, d'autres œuvres de haine ? Parce que l'homme démocratique, l'homme des droits de l'homme,c'est l'homme quel qu'il soit, n'importe qui, le premier venu, l'homme abstraction faite de ses origines, de son ancrage social, national ou racial. […] C'est d'ailleurs pour cette raison et pas seulement du fait de son engagement dans la guerre contre le nazisme que l'Amérique indemne s'est crue autorisée, comme l'Europe ravagée, à bâtir au cœur de sa capitale un musée de l'Holocauste et à faire de ce musée un point de repère national. [11] »

Dans ce texte, Finkielkraut pose les bases d'un nouveau récit. Les Juifs et leur passé constituent l'unique test de la liberté humaine. Qu'en est-il des Palestiniens ? Qu'en est-il des millions de victimes de l'Amérique démocratique ? Voici ce qu'il écrit : « L'Amérique démocratique et l'Europe démocratique ressourcent leurs principes communs dans la commémoration de la Shoah. [12] »
Il devient alors possible d'accuser quiconque attaque les États-Unis ou Israël à propos de la destruction du peuple palestinien. Il ne s'agit pas véritablement de perpétuer la mémoire du génocide, mais de consolider une nouvelle idéologie de l'exclusion. Désormais, nous, les Juifs, sommes à l'intérieur. Merci à l'Occident chrétien qui nous a accueillis. Ce qu'on lui demandait, ce n'était pas les droits de l'homme, mais le droit d'appartenir à l'élite. Nous pouvons désormais participer à la violation des droits des autres.

Publié dans : https://ujfp.org/livre-le-nouveau-philosemitisme-europeen-par-yitzhak-laor/


[1] Les rites populaires et la vénérations des « saints rabbins » chez les Juifs marocains est beaucoup plus proche des traditions musulmanes du Maghreb que de celles des Juifs ashkénazes.

[2] La dénonciation juive hystérique des « médias anti-israéliens » du « nouvel antisémitisme » reflète peut-être le sentiment d'insécurité de ceux qui se sentent toujours comme des outsiders. Mais là n'est pas la question.

[3] Les citoyens israéliens ne peuvent se marier que dans le cadre de leurs institutions religieuses. Le mariage civil n'existe pas en Israël.

[4] Célèbre slogan des Lumières juives qui entérine l'équivalence entre « être un être humain » et « avoir l'apparence et le comportement d'un chrétien ».

[5] Theodor Herzl, L'État juif, Paris, L'Herne, 1970.

[6] Note ajoutée. Les tensions évoquées ici ne se limitent pas à la société israélienne contemporaine. La reprise par les sionistes d'un langage et de représentations antisémites (souvent liées à une hostilité spécifique à l'égard des Juifs religieux) s'est exprimée de diverses façons. Elle est loin d'être marginale ou anecdotique. Comme l'explique Dominique Vidal, reprenant une analyse de Michel Warschawski : « Le rejet de la religion et des religieux par le sionisme s'explique aussi par la volonté de créer un « Juif nouveau » ». De Herzl à Ben Gourion s'exprime un mépris déclaré pour le Juif religieux de la diaspora, dans des termes qui, dit Warschawski, « ne seraient pas déplacés dans des journaux franchement antisémites ». Ils dénoncent le « Juif parasite », le Juif « improductif », le Juif « efféminé » - un adjectif qui revient obsessionnellement sous la plume du fondateur du sionisme. Et de conclure : « Le processus d'émancipation sioniste n'est pas simplement une émancipation vis-à-vis des nations, mais aussi face au Juif diasporique qui reste en nous. » » (Dominique Vidal, Antisionisme = antisémitisme ? Une réponse à Emmanuel Macron, éditions Libertalia)

[7] Cette citation et les trois suivantes sont extraites de l'ouvrage de Raul Hiberg, Exécuteurs, victimes, témoins, Paris, Gallimard, 2004.

[8] Note ajoutée. Cela a probablement changé depuis 2007 (date de parution de ce livre) et plus encore depuis l'attaque du 7 octobre 2023. Mais il est possible aussi que la reprise à l'unisson de ce type de récit (dans la société israélienne, mais aussi dans la société française) assimilant la critique d'Israël à l'antisémitisme voire au nazisme soit fortement grossie et exagérée par la propagande et l'information de guerre qui nous sont imposées en ce moment...

[9] Qibbiyya est un village de Cisjordanie entièrement détruit à l'explosif dans la nuit du 14 au 15 octobre 1953. L'attaque fut menée par le commando de l'unité 101 sous les ordres d'un jeune officier dénommé Ariel Sharon. Au moins soixante-neuf personnes périrent sous les décombres, dont deux tiers de femmes et d'enfants. Ben Gourion nia toute responsabilité d'Israël dans ce massacre et accusa des groupes de volontaires survivants de l'Holocauste. Pour la première fois, des atrocités commises au nom d'Israël étaient imputées aux survivants.

[10] Note ajoutée. Là encore, les choses ont malheureusement changé depuis, notamment en France... Cela a commencé avant les actuelles manœuvres de parlementaires, depuis octobre 2023, pour criminaliser l'antisionisme en l'assimilant à l'antisémitisme. Dès 2017, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vel' d'Hiv', Emmanuel Macron déclarait : « Nous ne céderons rien à l'antisionisme, car il est la forme réinventée de l'antisémitisme ». Le 20 février 2019, il annonçait la mise en œuvre de la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste adoptée par le Parlement européen : « L'antisémitisme est une perception particulière des Juifs que l'on peut exprimer comme la haine des Juifs. Les manifestations orales, écrites ou physiques de l'antisémitisme visent des Juifs et des non-Juifs et leurs biens, les institutions et établissements religieux juifs ». (https://www.holocaustremembrance.com/sites/default/files/press_release_document_antisemitism.pdf) Si l'antisionisme n'est pas explicitement mentionné dans cette définition, elle inclut dans ses exemples « Refuser au peuple juif son droit à l'autodétermination par exemple en affirmant que l'existence d'un État d'Israël est une entreprise raciste. » Remarquons que l'usage de l'article indéfini dans l'expression « l'existence d'un État d'Israël » est particulièrement retors, puisqu'il joue sur l'homonymie entre Israël comme État moderne fondé en 1948 et Israël comme nom biblique, désignant les Juifs comme descendants du patriarche Jacob (lui-même nommé Israël).

[11] Alain Finkielkraut, Au nom de l'Autre, Paris, Gallimard, 2003, pp 13-14.

[12] Ibid, p 15.

Le « passé unheimliche » dont il est question dans le texte renvoie à l'usage qu'en ont fait plusieurs auteurs de langue allemande, notamment Freud.

Unheimlich vient de Heim. Ce mot signifie « le foyer », la maison, et introduit une notion de familiarité, mais il est aussi employé comme racine du mot Geheimnis, qu'on peut traduire par « secret », dans le sens de « ce qui est familier » ou « ce qui doit rester caché ».

L'Inquiétante Étrangeté (Das Unheimliche en allemand) est le titre, souvent traduit ainsi (L'inquiétante étrangeté en français), d'un essai de Sigmund Freud paru en 1919. (Wikipedia)

Ils n'assassinent pas seulement les Palestinien.nes, ils tuent aussi le judaïsme !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

En trois mois de guerre, il y a eu plus de 30 000 mort.es ou disparu.es à Gaza, soit 1,5 % de la population. C'est-à-dire en pourcentage autant que le nombre de Français.es tué.es en 5 ans pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

75 % des morts sont des femmes, des enfants, des vieillards. Le prétexte « d'éradiquer » le Hamas est grotesque, il s'agit clairement d'une guerre d'extermination de la population de Gaza.

La quasi-totalité des infrastructures ont été détruites, y compris les hôpitaux et les écoles. La population, massivement déplacée et bombardée, est sans abri et affamée.

En Israël, les barrières morales se sont écroulées.

Les déclarations des dirigeants israéliens sont sans ambiguïté : ce sont des paroles d'assassins qui se vantent de leurs crimes : « les Palestiniens sont des animaux humains », « nous avons renvoyé Gaza à l'âge de pierre », « larguer une bombe atomique sur Gaza, c'est une option », « si nous encourageons l'émigration, s'il y a 200 000 Arabes à Gaza et non plus 2 millions, le discours d'après sera complètement différent », « j'ai tué beaucoup d'Arabes dans ma vie, je ne vois pas où est le problème » … la liste serait longue.

Ces déclarations d'assassins sont suivies d'actes : les images de quartiers pulvérisés, de milliers d'enfants massacrés, de familles entières annihilées, de l'exode sans fin d'une population délibérément affamée, d'hôpitaux détruits … sont visibles partout. Le déni de ce qui est à l'œuvre est impossible. Cette destruction de Gaza s'accompagne d'autres tueries à Jénine ou Huwara et d'une généralisation de la torture des prisonniers.

En Israël, une large partie de l'opinion est sortie de l'humanité comme ça s'est déjà passé dans d'autres sociétés. Ces crimes sont applaudis. Les médias s'amusent de la souffrance palestinienne. La vie de l'autre n'a aucune importance. Le suprémacisme, l'inégalité des droits sont assumés.

Et les Juifs ?

L'État d'Israël se définit comme un État juif. Les colonies qui balafrent la Cisjordanie s'intitulent « colonies juives ». Les sionistes considèrent que tout Juif qui ne soutient pas Israël est un traître.

Ils tuent le judaïsme, qu'il soit laïque ou religieux. Comme minorité souvent opprimée, les Juifs se sont battus pour leur émancipation en la liant à celle de l'humanité. Ils ont souvent été porteurs de valeurs universelles. Pour les religieux, le peuple élu a le devoir de bien se conduire et il est interdit de porter atteinte à l'existence de son prochain.

Ce que l'État d'Israël inflige aux Palestiniens recopie sur bien des aspects ce que l'antisémitisme a infligé aux Juifs. Les dirigeants israéliens n'ont aucun droit de se réclamer de la mémoire des ghettos. Aujourd'hui Gaza est un ghetto. Ces même dirigeants n'ont aucun droit à se réclamer de la mémoire du génocide nazi. Les Juifs exterminés étaient des dominés. Ils étaient considérés comme une population « surnuméraire ». Ils ont été les victimes d'une idéologie d'extrême droite. Aujourd'hui les Palestiniens sont traités comme « surnuméraires »

En 1945, le régime nazi est tombé, mais pas ses idées. L'extrême droite raciste, colonialiste, suprémaciste, foulant aux pieds les droits fondamentaux est au pouvoir en Israël et elle est alliée à toutes les forces d'extrême droite dans le monde, y compris antisémites. Ils assassinent aussi la mémoire du génocide nazi.

Du crime au suicide

L'UJFP s'adresse aux Juifs, en Israël, en France ou ailleurs. Il y a un droit international, il y a des droits humains hors desquels c'est la barbarie généralisée. L'État d'Israël a quitté la route. Soutenir ce que fait cet État, être complice du génocide en cours à Gaza, ce n'est pas seulement immoral. C'est totalement suicidaire. Qui peut penser que les Israéliens pourront éternellement s'imposer par la violence extrême et la négation de l'autre ? Qui peut penser que l'appui inconditionnel aux assassins qui commettent des crimes réitérés ne met pas en danger les Juifs ?

Terminons par ce que deux Juifs illustres ont déclaré :

« l'occupation détruit la moralité de l'occupant » et au moment de Sabra et Chatila (1982), il parlera de mentalité « judéo-nazie ».

Yeshayahou Leibowitz
« être juif, c'est être toujours au côté des opprimés ».

Marek Edelman, commandant en second de l'insurrection du ghetto de Varsovie

La Coordination nationale de l'UJFP, le 6 janvier 2024

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Figures de l'antisémitisme

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Persistance de la haine

En cette saison de fascisme hivernal ne laissons pas le souvenir de la Shoah se dissoudre dans la démagogie des chaînes d'information.
La mise en doute de ce que fut le projet d'extermination porté par Hitler est un risque toujours présent dans nos démocraties troubles et cela en dépit des pseudo-marches unitaires contre l'antisémitisme. Marches de carnaval instrumentalisées par une classe politique neuséabonde qui se contrefout de la misère du monde et fait feu de tout bois pourvu que le pouvoir reste assis. Le délire antisémite se porte à merveille chez les réactionnaires, même s'il ne se dit pas. L'exposition « Le juif et la France » n'a pas eu lieu dans une région reculée du moyen-orient, ni sous le paléolithique, elle s'est déroulée à Paris au palais Berlitz entre le 5 septembre 1941 et le 15 janvier 1942 sous les regards amusés de bourgeois bien nourris. Vichy c'était hier. C'est possiblement demain. La haine se recycle.

Il s'agit dans ce texte de comprendre ce que fut l'entreprise génocidaire menée contre les juifs d'Europe afin de saisir comment se met en place une extermination systématique. Nous disposons des témoignages de Primo Levi, de Charlotte Delbo et de beaucoup d'autres. Ces témoignages constituent une source historique irremplaçable. Ces témoignages doivent être médités afin de se souvenir que le génocide n'est pas une invention « sioniste » comme voudraient nous le faire croire négationnistes et fascistes. Se souvenir que le génocide a bien eu lieu, c'est prendre la mesure de l'angoisse que représente pour beaucoup de civil.es juifs, la résurgence mondiale de l'antisémitisme. Si l'on ne prend pas en compte cette inscription traumatique du passé dans les mémoires, on ne peut pas comprendre certains phénomènes de sidération qui saisissent une partie de la population juive. Charlotte Delbo écrivit à son retour d'Auschwitz :
« Quand on a regardé la mort à prunelle nue c'est difficile de réapprendre à regarder les vivants aux prunelles opaques. »
Nous disons de notre côté que l'effroi n'a pas à être jugé, mais qu'il doit être compris et resitué dans une histoire spécifique. Cette histoire est liée à celle du nazisme et aux torsions sémantiques que ce régime a opéré dans la langue. Victor Klemperer nous a enseigné la vigilance.

Qu'est-ce que la « Solution finale ? ». C'est la mise en place effective du projet d'anéantissement total d'un groupe humain, anéantissement non pas partiel mais total. Anéantir un peuple, un groupe humain, non pas pour ce qu'il fait (attentats, guerre) mais pour ce qu'il « est » culturellement, physiquement, fantasmatiquement. C'est cela l'entreprise génocidaire portée par le Reich : nier à un autre le droit d'exister parce qu'il est ce qu'il est. Les nazis auraient poursuivi durant l'éternité leur besogne meurtrière s'ils en avaient eu la possibilité. Ils auraient traqués jusque dans les profondeurs de la terre et l'infini de l'espace, le « bacille » juif. C'est cela le génocide. Une croisade paranoïaque qui se veut conduite au nom du Bien public, une extermination qui se veut universelle. Il n'y a pas de repos possible pour un nazi tant qu'il existe encore quelque part dans le monde un enfant juif ou un vieillard dont le cœur bat. Nous disons « enfant ou vieillard », car pour le nazisme, vulnérabilité et faiblesse sont précisément des indices de dégénérescence, des vecteurs de la maladie qu'il s'agit d'éliminer prioritairement. Le juif ne transmet pas la « maladie », il est la maladie. Le juif exemplifie pour l'antisémite ce qu'il s'agit d'éliminer sans cesse. C'est cela une volonté génocidaire. Ce n'est pas une vengeance, ce n'est même pas une tactique de guerre, c'est un programme sanglant de « salubrité publique », c'est une psychose de masse. Le nazisme est un eugénisme maximalisé. C'est ce qui explique la forte proportion de médecins dans la Waffen-SS.

Le nazisme c'est aussi un management de tous les instants. La solution finale fut une industrie basée sur des méthodes d'organisation et de logistique portés par une pensée technicienne et managériale. Souvenons-nous qu'Henry Ford vouait une admiration sans bornes à Adolf Hitler (nous pourrions nous interroger ici sur la signification du syntagme « ressources humaines »).
Notons-le : l'antisémitisme est une folie sans cause et sans explication. Il n'y a rien de rationnel. Si l'on pouvait rationaliser un génocide on le justifierait de facto. « Le Mal est sans pourquoi ». Dans la novlangue nazie, le peuple juif doit être rayé de la surface de la terre parce qu'il est ce qu'il est. Il n'y a qu'un nazi pour raisonner de manière aussi tautologique. Le génocide, c'est la froideur opératoire du geste mécanique ouvrant et fermant la porte des chambres à gaz. Comme le pervers sadien, le nazi est un animal à sang froid, sa jouissance est froide.

Est-il besoin de préciser que l'antisémitisme est antérieur à la naissance de l'État d'Israel ? Car à suivre certaines assertions de la pensée décoloniale, l'antisémitisme qui court dans les dictatures du moyen orient est contemporain de 1948 et de la colonisation dans les territoires. Nous refusons cette explication. Le protocole des Sages de Sion, de facture très ancienne (1903), circule aussi bien dans les pays occidentaux qu'en Iran, en Syrie ou au Japon. L'antisémitisme existait au moyen âge, il existe à l'âge classique, il se diffuse au dix-neuvième siècle avant de constituer le ferment tragique que l'on sait durant la Shoah. Comprenons que l'antisémitisme ce n'est pas une « réaction », ce n'est pas une « preuve » ni un « droit » (la libre opinion). L'antisémitisme est un délire au sens le plus clinique et destructeur du mot. C'est un système projectif. L'antisémite projette sur l'autre toute la haine, toute la mort, toute la destruction qu'il ne reconnaît pas en lui. Ce délire d'imputation se retrouve aujourd'hui dans les propos conspirationnistes qui voient derrière l'Ordre du monde, tantôt le juif, tantôt le franc-maçon et bientôt la créature LGBT qui représente (on s'en doute) une menace dévirilisante pour tous les fascistes alphas. Les antisémites, de l'extrême droite blanche maurrassienne ou celle regroupée sous la bannière du Klan jusqu'aux discours suprémacistes et virilistes de l'ex Tribu Ka, tous n'en finissent pas de voir du juif partout (ou du « sioniste »). Le juif serait partout : dans les médias, dans le Covid, dans la finance, dans l'industrie du spectacle et pourquoi pas dans l'air que nous respirons ? Paranoïa groupale. Si l'ennemi est partout, il faut le supprimer. Nous disons que l'antisémitisme est cette pensée malade d'elle-même, cette pensée qui voit dans l'existence du juif une clé d'explication à la violence du monde. Si le juif est partout et contrôle le monde alors le monde n'est plus aussi « dénué de sens », il n'est plus aussi angoissant, le monde a enfin un « ordre ». En fait l'antisémite a vitalement besoin du juif, il en a besoin pour stabiliser son angoisse devant la Mort et ne pas s'effondrer. Ainsi Céline ne s'effondre pas à la différence d'Artaud parce que chez Céline, la nomination symbolique de l'Autre maléfique a une fonction, celle de permettre à Céline de vivre psychiquement compensé. Si le juif n'existait plus, l'antisémite dépérirait, il lui faut donc en réinventer la présence fantasmée au risque sinon de sentir son propre équilibre mental s'effondrer. Mais l'antisémite ignore tout de cette dynamique interne. Aucune auto-réflexivité ne pointe chez lui. Ce délire meurtrier est sans fin, il est structurellement sans fin et prolifère surtout en temps de crises sociales. Nous ne sommes donc pas surpris de voir se reconstituer cette hydre discursive depuis quelques années.

Il y a aussi un antisémitisme « oblique » qui utilise l'argument religieux pour se disculper. Certains autoritaires déclarent : « Nous ne sommes pas contre le judaïsme, nous sommes contre le sionisme »
Est-ce à dire que le seul juif « acceptable » ce serait le juif replié sur sa spiritualité ? Cet argument pervers ne saurait tenir lieu de démonstration convaincante. À moins d'être de mauvaise foi, ce discours fait montre d'une surprenante ignorance sur ce qu'est le judaïsme. La question du sol, de la Terre-protectrice est une donnée intrinsèquement liée au texte biblique. De quel judaïsme alors parle-t-on ? un judaïsme dépouillé (là encore) de toute référence au sol ? Tant qu'on y est pourquoi ne pas carrément distinguer un judaïsme acceptable et un judaïsme « sioniste » attaché à une terre ! On voit combien la question est mal posée. Elle est mal posée parce que l'antisémite essentialise l'identité. Nous opposons à son raisonnement qu'une identité culturelle n'est heureusement pas réductible à un dogme religieux. Une identité se branche sur un champ social-historique, c'est une polyvocité, une « longue durée » où résonne la voix des peuples en résistance. C'est aussi une longue série de traumatismes, de cassures, de secousses effroyables dont on ne peut jamais dire si cette série prendra fin un jour. Un peuple ce sont des langues qui se pénètrent, des récits compactés, des processus de détéritorrialisation et des coutumes liées à la terre, à l'amour comme à la guerre et à la mort. Il n'y a pas de conscience « nue », pas d'identité purement religieuse. Toute conscience, toute identité est immédiatement socialisée. L'argument religieux est donc tout autant fallacieux que dangereux. Il est surtout inconsistant. Un peuple est toujours lié à une histoire et cette histoire n'a pas fini de questionner le Réel et de questionner les « hommes » en retour. Ceci vaut pour n'importe quel peuple. Qui oserait définir le peuple afghan seulement en fonction de l'Islam ou le peuple français seulement en fonction de la chrétienté de St Louis ? Certes, on trouvera encore aujourd'hui de redoutables Chefs de guerre parlant au nom des peuples mais ceux-ci ne fabriquent pas les peuples, ils les commandent et nous ne réduirons pas les êtres à ces figures d'autorité. Notre déprise est dictée par le refus anarchiste de voir les Maitres s'emparer de la question politique.
Disons-le encore : l'essentialisation est le pire ennemi de la pensée anti-autoritaire.

À ce titre il devient pour nous pénible d'entendre le mot « sioniste » revenir, surgir à tout bout de champs comme une entité homogène, une clé explicative univoque. Les antisémites savent utiliser ce terme, car il est commode et qu'il est à la mode. Dire qu'il faut tuer tous les sionistes est une façon de dire qu'il faut tuer tous les juifs. C'est dire « mort aux juifs » à peu de frais. Mais n'en déplaisent aux fascistes maquillés en antisionistes, le sionisme ce n'est pas une entité homogène. Ce n'est pas un prédicat psychologique, ce n'est pas une essence. C'est une construction historique complexe et contradictoire. Le sionisme subsume des acceptions différentes. Quel rapport entre le sionisme mystique de Guershom Sholem, celui de Martin Buber imprégné de socialisme libertaire après sa rencontre avec Gustav Landauer et celui, terrifiant et ultra-autoritaire de Menahem Beguin ? Rien. Israel n'est pas un seul bloc. Aucune réalité humaine n'est d'un seul bloc. Que vinrent chercher en Israël les rescapé.es des camps de la mort ? Un lieu pour n'avoir plus à fuir. Ces juifs rescapé.es qui n'avaient jamais eu le désir de vivre en Palestine avant l'arrivée du Reich. Ces juifs allemands et polonais que l'on est venu traquer. Avaient-ils choisis d'avoir l'étoile jaune cousue sur leur torse ? Juives et juifs d'Europe de l'Est traqués pour ce qu'ils étaient, poursuivi.es où qu'ils soient. Cette donnée historique ne justifie en rien la colonisation des territoires en Palestine. Colonisation que subissent les populations arabes interminablement, mais cette donnée ne peut pas être évacuée. Israël c'est aussi la présence gênante de Yeshayahou Leibowitz (1903 – 1994) fustigeant durant toute sa vie le fascisme anti-arabe de l'État. C'est aussi toute une génération d'historiens juifs devenus très encombrants pour le pouvoir israélien (Tom Seguev, Benny Morris, Avi Schlaïm, Simha Flapan, Ilan Pappé). C'est enfin toutes celles et ceux qui s'opposent quotidiennement et anonymement, aux implantations dans les territoires et à la verticalité du pouvoir. Celles et ceux qui tentent de jeter des ponts avec le peuple palestinien. Mais pour nombre d'anarchistes impliqué.es dans ce conflit, jeter des ponts ne signifie pas pour autant se soumettre à une « autre autorité ». Cela ne signifie pas idéaliser le Hamas et collaborer avec lui. Toutes les luttes n'ont pas le même sens et je refuse personnellement toute alliance avec le fascisme qu'il soit militaire ou religieux.
Je ne reconnais aucune légitimité à l'horrible série d'attentats suicides qui ont touchés majoritairement les civil.es israeliens. En tant que collectif anarchiste nous contestons toute autorité quelle que soit son émanation. Les Chefs israeliens et palestiniens ne représentent qu'eux-mêmes (ce qu'ils ont tendance à oublier). En tant que libertaires nous ne croyons qu'aux peuples. Aucun chef d'un côté ou de l'autre ne sauraient nous convenir.

Parmi les kibboutzniks assassinés par le Hamas, certain.es étaient les descendants d'un sionisme libertaire. Ce sionisme doit -il être confondu avec le sionisme guerrier et fasciste du groupe Stern (Lehi) ? Non. Le raisonnement antisémite sous couvert d'antisionisme simplificateur considère que si tous les juifs sont sionistes, ils sont aussi racistes, et donc tuer tous les juifs devient un acte de résistance. Cette déduction abominable n'est pas loin de circuler actuellement. Voilà ce que sous-tend un certain combat idéologique caricatural regroupé sous la bannière « antisioniste ».

Que la droite et l'extrême droite instrumentalisent la manifestation contre l'antisémitisme en se faisant passer pour ce qu'ils ne sont pas, ne surprendra personne ! En tant qu'antifascistes nous combattrons les fafs jusqu'au bout.
Mais nous ne laisserons jamais les amalgames idéologiques se produire et produire leurs effets de brouillage sémantique.
La solution finale implique une extermination automatisée, industrialisée. Une entreprise conduite au nom du « bien public » Une entreprise de « désinfection ». Hitler souhaitait désinfecter le peuple allemand de ses microbes, de ses poux, de ses punaises. Au nom de la santé du peuple.

Ce n'est pas l'animalisation du juif qui agit dans la langue, c'est son « insectisation ». Animaliser ce n'est pas insectiser. On ne combat pas un loup ou un lion comme on traite une punaise ou cafard. L'insecte, on le traite, le microbe on le traite. Le traitement de la vermine est ce à partir de quoi une extermination totale devient pensable. Ce fut le cas en 1994 au Rwanda, lorsque le peuple Tutsi fut réduit à l'état de « cancrelats » par le pouvoir Hutu (avec le silence complice de Mitterand). Souvenons-nous également ce que fut en Allemagne le programme d'Aktion T4 (1939) : l'extermination des « malades mentaux et des incapables ». Cette opération sanitaire fut rangée sous la rubrique « euthanasie ».
Le « traitement » de la vermine et de la dégénérescence, c'est cela la langue du génocide. Pour le nazisme, il n'y a pas de bon juif et de mauvais juif. Il y a une race qui est une erreur, il y a un peuple insecte, un peuple poux, un peuple vermine qui doit disparaître intégralement. Et en ce sens, la réduction de l'autre en insecte ne posera comme tel aucun problème de conscience, aucune culpabilité puisque le juif est déshumanisé, insectisé. Raser les têtes, désingulariser les visages, égaliser les corps dans le dénuement absolu, les massifier avant de les gazer puis de les brûler, c'est cela l'entreprise génocidaire née avec l'avènement du nazisme. C'est cela et rien d'autre. Les métaphores qui servent à caractériser l'ennemi, ne sont jamais indifférentes. Animalisation et insectisation de l'autre obeissent à des logiques meurtrières globales mais distinctes.
C'est pourquoi lorsque Yoav Galant, le ministre israélien de la Défense affirme que tous les palestiniens sont des « animaux », nous sommes saisis d'effroi. Nous savons que lorsque le gouvernement qualifiera les palestiniens de microbes, alors il sera trop tard. Et sans doute est-il déjà trop tard. Nous sommes horrifié.es par l'emploi de cette réthorique fasciste, comme nous sommes horrifié.es de voir la République Islamique d'Iran soutenir la lutte palestinienne. Ici comme là-bas les récupérations idéologiques sont vives. Qu'en est-il en France ? Qu'en est-il de la chaîne d'information la plus réactionnaire et propagandiste ? Les chroniqueurs de Cnews alimentent le fascisme en cours. Les laquais de cette chaîne immonde ont tous dans la bouche un cadavre. Cnews entretient la désinformation en effaçant l'horreur vécue par la population civile de Gaza. Cnews contribue à cliver chaque jour un peu plus les communautés juive et arabe. Analyser les tactiques de nos ennemis autoritaires c'est analyser les pièges tendus par leurs mots.

L'usage de la langue est politique. L'analyse des effets de sens produits par la langue est un préalable à l'action directe. Ne nous laissons pas piéger par les mots, ni cliver par les médias occidentaux.
Ce qui nous rassemble est l'universalité du combat antifasciste, où qu'il soit.
Tout.es uni.es contre les Chefs et les États

Lens - Collectif anarchiste

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« Saviez-vous que la souffrance n'a pas de limite
l'horreur pas de frontière
Le saviez-vous
Vous qui savez »
Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra, Auschwitz et après, I (p.26)

« Longue Marche » Internationaliste 2024

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Liberté pour Öcalan : Appel à la Longue Marche Internationaliste du 10 au 17 février 2024

Pourquoi une Longue Marche ?

Les Longues Marches sont une forme de manifestation massive et de résistance populaire que l'on retrouve dans de nombreux mouvements sociaux et révolutionnaires, à travers le monde et les époques : la « marche du sel » en 1930 menée par Gandhi, la longue marche maoïste qui dura un an entre 1934 et 1935, le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis qui réunit 200 000 personnes dans une longue marche à Washington en 1963... même en France, la marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983 s'inspire des longues marches précédentes ; plus récemment, les zapatistes ont marché à travers 12 États du Mexique en 2001 pour revendiquer leurs droits.
Les Kurdes marchent aussi, comme au Rojava depuis des années pour dénoncer les agressions turques qui cherchent à détruire purement et simplement leur existence et leur autonomie démocratique. La première Longue Marche du mouvement kurde a été lancée en 2017 en Europe par les communautés kurdes et les militant/es internationalistes afin de protester pacifiquement, de revendiquer la libération d'Abdullah Öcalan, et d'affirmer l'autodétermination du peuple kurde. Malgré cela en 2022, lors de la Longue Marche dans le kurdistan irakien, les forces de sécurité de la région ont lourdement réprimé la marche et l'ont perturbée pour qu'elle prenne fin dès le premier jour.

Avec la 8e Longue Marche Internationaliste, nous voulons soutenir, en tant qu'internationalistes du monde entier, les revendications de la campagne mondiale « Liberté pour Öcalan - Une solution politique à la question kurde ». Ce sera l'occasion de nous rencontrer, de crier, de chanter, de danser dans la rue ensemble pour faire entendre la voix de la solidarité internationaliste !
Venez à la Longue Marche Internationaliste 2024 !

En bref :

  • Rassemblement et introduction le 10 février à Bâle (Suisse).
  • Longue marche du 10 au 17 février 2024.
  • Conférence à Strasbourg le 15 février.
  • Dernière journée : Manifestation le 17 février à Düsseldorf (Allemagne).

Pour venir, participer et être hébergé, Contactez-nous à l'adresse suivante :
longmarch2024@proton.me

L'appel complet :
https://anfenglishmobile.com/news/freedom-for-Ocalan-call-to-the-internationalist-long-march-2024-70634

Rassemblement contre la manifestation identitaire organisée par Paris Fierté dans le Quartier Latin

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Comme chaque début d'année, le collectif Paris Fierté, fondé en 2005 par des membres de l'organisation dissoute Génération Identitaire, organise dans le Quartier Latin une marche aux flambeaux en l'honneur de Sainte Geneviève dite la sainte patronne de Paris et des gendarmes. Elle aura lieu cette année le samedi 13 janvier à 18h. Appel à un rassemblement pour prendre la rue ensemble contre cette manifestation identitaire le samedi 13 janvier à Paris.

Cette manifestation identitaire rassemble quelques centaines de radicaux d'extrême-droite venus scander des slogans nationalistes et identitaires, islamophobes ou contre l'immigration.
En 2022, des violences avaient eu lieu en marge de la manifestation, contre des passants qui s'étaient opposés à ces expressions racistes. En 2023, la manifestation fut d'abord interdite par la préfecture qui estimait qu'il y avait des risques « d'opérations punitives » menées par les manifestants. Elle fut finalement autorisée par un référé-liberté, permettant aux nationalistes de défiler sous protection policière en toute impunité, en plein cœur de la ville. Dans un contexte où a été votée la loi Immigration, une loi raciste, xénophobe et libérale, illustrant la fascisation accélérée du paysage politique de ces dernières années et où les manifestations en hommage à Thomas sont instrumentalisées par l'extrême droite pour perpétrer des violences et afficher leur racisme, on ne peut douter alors que cette marche de « fierté parisienne » risque de prendre une ampleur inédite, voir même recevoir une couverture médiatique plus importante que les années précédentes. Pour ces raisons, nous appelons à un rassemblement pour prendre la rue ensemble le samedi 13 janvier à Paris. Massivement, mobilisons nous face aux violences nationalistes et identitaires.

Rappelons collectivement notre opposition aux discours racistes et fascistes, et la nécessité de faire face aux éléments qui les rendent non seulement possibles mais également plus imminents.

Pour construire un large front antifasciste face aux nationalismes et aux identitaires de tous pays, manifestons notre force et notre solidarité dans la rue !

Action Antifasciste Paris-Banlieue, MIRA Riposte Antifasciste populaire et autonome, Tsedek !, Solidaires, CNT...