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Bilan partiel de la répression à Paris pendant le mouvement contre la réforme des retraites

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Entre fin janvier et avril, préfecture et parquet de Paris ont multiplié nasses, gazages, jets de grenades meurtrières, arrestations de masse et traitements extra-judiciaires en espérant étouffer le mouvement. Objectif manqué ! Voici un bilan partiel [2] de la Légale team de Paris.

Incontestablement, le ministre Dupont Moretti peut se féliciter d'avoir un parquet bien ciré et aux ordres. Entrée en vigueur en janvier 2023, sa loi instaurant l'Avertissement pénal probatoire (APP), qui remplace le Rappel à la loi (RAL), a mis en vedette la curieuse profession de "Délégué.e.s du procureur de la République" (DPR), grâce à qui le parquet use et abuse des APP, des punitions sans procès, qui ont touché la grande majorité des personnes déférées (voir notre article ici). Le plus souvent, les personnes emmenées au palais de justice ont subi 48 heures de Garde à vue (GAV), comme si 24 heures pour instruire des dossiers vides n'était pas assez punitif. Il faut savoir qu'au tribunal, les services du procureur ont le pouvoir de détenir les personnes encore 20 heures avant d'être entendues par un.e magistrat.e. Finalement, ce sont la plupart du temps 3 jours de privation de liberté qui ont touché les victimes des arrestations de masse opérées par la préfecture de police depuis le début du mouvement.

Mais ces APP ne sont pas assez humiliants aux yeux du pouvoir. Trop de gens n'obtempèrent pas assez vite aux mesures de réparation, sans jugement, qui leur sont imposées. Des DPR iront jusqu'à menacer des manifestant.es, en leur tendant la notification d'APP : « vous serez broyé.e.s par la machine judiciaire si vous ne signez pas ce document ! ».

Si la personne n'a pas reconnu les faits, le procureur peut dégainer un autre joujou : le Classement sous condition (CSC), qui fait planer la menace d'une réouverture des dossiers si les conditions du classement ne sont pas respectées, le pouvoir espérant inculquer un peu plus de soumission aux récalcitrant.e.s.

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On dénombre environ trente personnes qui ont fini leur parcours judiciaire en comparution immédiate (procès renvoyés, avec ou sans contrôle judiciaire). Rapportées aux centaines d'interpellations intervenues depuis fin janvier, et aux GAV systématiques qui s'en sont suivies, c'est finalement très peu. Le recours massif à l'avertissement pénal y est pour beaucoup. Illustration criante que les services du procureur n'ont qu'une seule mission, couvrir l'arbitraire et la terreur policières et légaliser les rafles massives qui ne visent qu'à dépeupler les rues et les cortèges.

Pour les CI renvoyées qui ont déjà eu lieu, nous avons assisté à au moins 5 relaxes. Aucune faveur de la justice, juste des dossiers vides. Et à chaque fois, le parquet a fait appel. Acharnement et fuite en avant d'un parquet qui s'obstine...

La préfecture a aussi joué de sa partition favorite : le PV de 135€ pour « manif interdite », en multipliant les arrêtés d'interdiction, qui ont été publiés parfois... après le début du rassemblement ! Le tribunal administratif a mouché les ardeurs de Nunez début avril, en annulant des arrêtés tout en exigeant que la préfecture publie les textes sur son site au lieu de les planquer dans un obscur « recueil des actes administratifs ». Ces PV, on peut toujours les contester.

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Les téléphones sont devenus une pièce majeure dans la mécanique de la répression judiciaire. L'immense majorité des personnes déférées sont quasi systématiquement poursuivies pour refus de donner son code de déverrouillage. La fouille de nos vies via nos téléphones est devenue une priorité pour nous surveiller et nous punir. Une personne a même été poursuivie pour refus de code alors qu'il n'y avait aucun téléphone dans sa fouille ! Des dizaines d'appareils ont fait l'objet d'une mise sous scellés dans les commissariats et il est très difficile (voire impossible) d'en obtenir la restitution. On peut aussi se faire taxer son smartphone si on a pris un APP, donc sans avoir été poursuivi ! Dans ce cas, une note précise dans le document que l'on accepte « de s'en dessaisir au profit de l'État ». Un racket organisé… Ne plus aller en manif avec nos téléphones devient un conseil de plus en plus partagé, et pour cause.

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Il y a aussi de très nombreuses reconvocations au commissariat. Il faut savoir qu'une GAV qui n'a pas duré 24 heures peut s'interrompre et être reprise à tout moment. C'est arrivé plusieurs fois ces dernières semaines, comme si les flics étaient submergés par les interpellations massives. Plusieurs GAV ont ainsi été interrompues et reprises quelques jours plus tard, avec en fin de course un déferrement avec comparutions immédiates et avertissements devant DPR ou des remises en liberté sans poursuites.

A notre connaissance, de rares personnes ont pu récupérer leur téléphone sur la vingtaine que l'on sait avoir été reconvoquées. Parfois, elles sont ressorties au bout d'une ou deux heures, sans poursuites.

Sur la prise d'empreintes et le fichage à grande échelle, on peut dire que les interpellations massives ont continué, dans le sillage du mouvement des gilets jaunes et des mouvements précédents, à alimenter les fichiers de la police et du renseignement. On dénombre plusieurs détentions préventives pour refus de signalétique dont une sera relaxée lors de sa CI. La prise d'empreintes reste un enjeu majeur pour le pouvoir judiciaire et la police.

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Du côté des mineur.es, les GAV de 48h sont devenues courantes. Elles étaient encore rarissimes il y a quelques années lorsqu'elles faisaient suite à des manifs, blocages ou autres actions revendicatives.

Autre mesure scélérate que le pouvoir inflige dans les manifs : la double peine pour les ressortissants de pays de l'UE. Nous avons soutenu une personne qui a fini son parcours judiciaire en Centre de rétention administrative, alors qu'elle avait fait l'objet d'un APP. Autant dire que son dossier était vide mais que le pouvoir s'entête à vouloir briser nos solidarités internationales.

La nasse, pratique policière interdite en France par le Conseil d'État depuis 2021, a fait son retour dans la capitale. L'impunité de la flicaille est de fait toujours aussi criante.

Les arrestations qui se terminent sans suites ne trompent plus personne, ce sont des actes délibérés pour entraver le droit de manifester. Tout cela devient trop voyant. Cent personnes, accompagnées par notre collectif d'avocat.es, ont décidé d'engager des poursuites pénales suite à leurs arrestations et leurs gardes à vue "arbitraires". Elles ont porté une plainte collectivement.

Côté autoritarisme et maintien de l'ordre, les matraquages et les poursuites violentes de la BRAV-M sont innombrables. Une pétition exigeant sa dissolution a vu le jour, sitôt enterrée par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Un manifestant s'est fait rouler dessus par une de ces motos, de manière délibérée, et d'autres se sont fait embarquer leurs papiers d'identité après un simple contrôle. La terreur organisée par ces escadrons motorisés et l'immense violence qu'ils incarnent ne font que se renforcer au fil des manifestations.

L'emploi massif de gaz lacrymogène, de grenades de désencerclement et de tirs de LBD sont devenus presque banals. Nous dénombrons des centaines de bléssé.es, deux mutilé.es à l'œil, un cas de surdité et un émasculé à coup de matraque à l'entrejambe. Les violences sexuelles lors de contrôles ou d'interpellations sont aussi une pratique récurrente. De très nombreuses personnes nous ont contacté.es pour des traumatismes liés aux innombrables brutalités dont iels ont été témoins ou victimes.

Les matraquages, les insultes, les humiliations sont systématiques. Quelques cas récurrents :

  • Interpellé.es, traîné.es au sol ou maintenu.es de force à plat ventre, clés de bras, vêtements déchirés, serflex serrés jusqu'à l'os, le déchaînement policier a pu se poursuivre dans les véhicules : coups, injures, propos sexistes, homophobes, racistes.
  • Plusieurs gardé.es à vue ont témoigné des conditions d'arrivée dans les commissariats : mises à nue, lacets des chaussures arrachés, semelles parfois défoncées, vêtements brûlés pour leur couleur noire ; cellules surchargées ou attentes plusieurs heures sur un banc dans un couloir…
  • Exemples de mensonges et menaces proférés par les OPJ ou agents ont été nombreuses : « Un avocat, ça ne sert à rien. Cela va retarder ta sortie. ». « Signe le PV, tu sortiras plus vite ». « Toi, avec ce que tu as fait, t'es pas prêt de sortir » (La personne visée par ce dernier mensonge sera déferrée en comparution immédiate, puis relaxée.)
  • Cellules dégueulasses, nourriture immangeable ou périmée, l'attente pour demander à aller aux toilettes, moqueries, humiliations, atteintes à la dignité des personnes, et même actes de torture : la possibilité de recourir à la force pour prendre photos et empreintes y est pour beaucoup. Le commissariat, c'est pire qu'un espace de non droit ; c'est le droit à sens unique .

Cette violence systémique de la police n'est hélas pas une nouveauté. Elle entérine une fois de plus qu'elle relève de la violence d'État.

Afin d'essayer d'aider à surmonter ces traumatismes, une initiative pour organiser un ou des groupes de parole auto-gérés a vu le jour au sein des réunions de la Coordination contre la répression et les violences policières.

Parce que la solidarité reste notre première arme, beaucoup de personnes sont allées au Tribunal judiciaire de la porte de Clichy pour accueillir celles et ceux qui sortaient après 48h de GAV et une nuit en cellule. Avec dans la main un papier froissé, la notification de leur classement-punition (APP ou CSC).

Beaucoup sont allées soutenir les réprimé-es dans les salles d'audience en assistant aux CI.

Plusieurs rassemblements de soutien ont eu lieu sur le parvis du TJ.

D'autres rendez-vous de soutien ont été organisés spontanément devant les commissariats. Pour les gens à l'intérieur ça fait toujours chaud au cœur d'entendre une clameur chanter quand on est derrière les barreaux.

Beaucoup aussi sont allé.e.s soutenir les lycéen.ne.s devant leurs établissements les jours de blocage, parents et profs mobilisé.es avec les élèves et il va sans doute falloir continuer les jours et semaines qui viennent car les violences policières en lien avec les administrations des lycées sont coutumières ...

Nous continuons de réfléchir collectivement à la manière dont nous pourrions mieux nous protéger de la police et de la justice. Ces réflexions que nous auto-construisons sur les manifestations et la répression nous aident à mieux surmonter collectivement les violences d'État qui veulent marquer nos corps et nos esprits et briser nos solidarités. Nous pouvons témoigner de l'importance qu'elles revêtent dans nos vies pour continuer la lutte.

Légale Team Paris

NB : Plein de renvois de CI auront lieu dans les prochains mois, entre septembre 2023 et février 2024. Nous relaierons des appels à soutien au tribunal pour les personnes qui le souhaiteront.


[1] Ce bilan partiel aide à comprendre la réalité que nous vivons mais ne la restitue pas dans toutes ses dimensions. Les éléments factuels et chiffrés proviennent de personnes qui nous ont contacté.es ou qui sont venues partager leurs vécus lors des réunions de la Coordination antirepression les mardis soirs à la bourse du travail.

[2] Ce bilan partiel aide à comprendre la réalité que nous vivons mais ne la restitue pas dans toutes ses dimensions. Les éléments factuels et chiffrés proviennent de personnes qui nous ont contacté.es ou qui sont venues partager leurs vécus lors des réunions de la Coordination antirepression les mardis soirs à la bourse du travail.

Nous ne voulons pas d'un autre premier mai 2021 : sur la nécessité d'une solidarité concrète entre la base syndicale et le cortège de tête contre la police

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Texte écrit avant le 16 mars 2023.

Le service d'ordre syndical, dans l'état actuel des choses, nuit à notre capacité collective à nous défendre de la police, ce qui nuit à notre capacité collective à faire peur au pouvoir. Macron l'a dit : il faut que Paris brûle, et il retirera sa réforme. Nous ne relèverons le défi qu'à une seule condition : que le cordon qui nous sépare tombe.

Texte écrit avant le 16 mars 2023, jour du rassemblement à la Concorde

Ne passons pas par quatre chemins : depuis le début du mouvement contre la seconde réforme des retraites, les altercations verbales voir les confrontations physiques se multiplient entre des composantes du cortège de tête et le SO CGT. Le 7 mars 2023, sur la place d'Italie, une de ses confrontations failli virer au drame, lorsqu'un homme visiblement âgé a été mis K.O.à proximité du camion qu'il protégeait, manquant de passer sous ses roues. D'un autre côté, le 11 mars, la police n'a eu de cesse d'agresser gratuitement le cortège de tête, se déchaînant à plusieurs reprises sur des manifestant.es au sol, provoquant de très nombreuses blessures et interpellant à tout-va.
Soyons très clair.es : ces situations ne sont possibles que parce que la police sait qu'elle peut compter sur la passivité du Service d'Ordre Syndical, voire sur sa collaboration directe lorsque des personnes tombant aux pieds du SOS ne sont pas relevées, ou lorsque le cordon du SOS ne s'ouvre pas pour arracher des manifestant.es esseulé.es à la sauvagerie policière. Dans ces conditions, il n'est pas possible de nous désolidariser des composantes du cortège de tête qui confrontent physiquement le SOS, qui plus est à arme inégale puisque le SOS fait régulièrement usage de gazeuse et porte des protections importantes.

Le service d'ordre syndical, dans l'état actuel des choses, nuit à notre capacité collective à nous défendre de la police, ce qui nuit à notre capacité collective à faire peur au pouvoir. Macron l'a dit : il faut que Paris brûle, et il retirera sa réforme. Nous ne relèverons le défi qu'à une seule condition : que le cordon qui nous sépare tombe. Autrement dit, que le SOS respecte le principe de diversité des tactiques en nous protégeant autant qu'ils vous protègent, et qu'il soit force d'initiative contre la police lorsqu'elle se pointe sur le boulevard, au même titre que le Black Block est force d'initiative lorsque la police n'est pas là ou qu'elle se tient à distance.

Face à Macron,
Face à Darmanin,
Face à la police :
DES SOLIDARITÉS CONCRÈTES !

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À propos du service d'ordre et de ses syndicats : Lettre aux uns et aux autres

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Dans ce texte, ce dont nous voulons traiter, c'est de l'expérience toujours renouvelée du service d'ordre, des syndicats, ces entités mastodontesques à la démarche boiteuse. Après le récit de la manifestation, nous rappellerons les mots qu'Émile Pouget adjoignit à l'acronyme CGT ainsi que les frasques syndicales d'antan — majoritairement portées par les bases militantes. Nous terminerons par une analyse générale en suggérant ce qui, à nos oreilles, pourrait faire souffler un vent doucement révolutionnaire, ou seulement progressistes, connaissant les forces aujourd'hui en mouvement.

Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s'habiller, travailler.

LE RECRUTEUR : Adjudant, je flaire un esprit d'insubordination qui se dégage de cette personne. Alors qu'au camp on a besoin de discipline.

Nietzsche dit quelque-part, d'après la vulgate, que « le diable se cache dans les détails. » Les détails, où se cachent-ils, eux, quand apparaît en gros, si gros, encore et toujours, la persistance dont accouche la répétition ? Moments qui pénètrent le crâne à forts coups de bidules et de palets, à forts coups de gazeuses et de gourdins. La manifestation s'arrête — la rage, pleine de sang et de peurs, de corps et de cris, ne désenfle pas. Les contusions, les ecchymoses, les meurtrissures et autres macules catarrheuses non plus. Ce qu'il s'est passé ce samedi 11 mars, ce mardi 7 mars, cette année 2022, 2021 … 2016 n'ajoute pas qu'à la liste des malheureux moments que nous vécûmes, mais, constitués par ceux-ci, dessine les grands traits d'un détail qui n'en est plus un. On ne s'éveille pas un matin, au sortir de rêves agités, métamorphosé en misérable vermine.

Dans ce texte (que nous voudrions plus concis, mieux organisé, plus frappant, mais tant pis, le temps presse), ce dont nous voulons traiter, c'est de l'expérience toujours renouvelée du service d'ordre, des syndicats, ces entités mastodontesques à la démarche boiteuse. Ce que nous traitons ici fut déjà traité ailleurs, bien mieux, bien plus longuement, bien plus concisément, bien autrement. Au travers du récit de cette ténébreuse journée de manifestation du 11 mars, nous voulons asséner la critique, toute négative, que nous pensons absente de vos esprits, vous service d'ordre, vous centrales. Critique ne visant qu'à faire choir les formes encroûtées de luttes qui enferment et reconstituent ce que, tous — nous semble-t-il —, nous abolirons [Aufhebung] ; critique s'inscrivant in praxis dans le mouvement réel abolissant l'état de chose : abolissant le capitalisme.

Que la dureté du propos ne masque pas la camaraderie, ne masque pas les chants : « car c'est tous ensemble qu'il faut lutter / c'est tous ensemble qu'on va gagner ! »

Après le récit de la manifestation, nous rappellerons les mots qu'Émile Pouget et ses camarades adjoignirent un jour à l'acronyme CGT ainsi que les frasques syndicales d'antan — majoritairement portées par les bases militantes. Nous terminerons par une analyse générale en suggérant ce qui, à nos oreilles, pourrait faire souffler un vent doucement révolutionnaire, ou seulement progressistes, connaissant les forces aujourd'hui en mouvement.

Récit de manifestation — un espace qui se creuse

Dès que possible nous appuierons notre propos par les images prises par CLPress [1] : à chacun de juger des éventuelles déformations des faits passés à la moulinette des gazs.

Le cortège de tête est éparpillé, divers mais nombreux ; ce n'est que le début. Au côté des gilets jaunes « piliers de manif' », des jeunes « sans étiquettes » et autres badauds, se retrouvent des syndicalistes et des retraités. Ambiance festive, humeur printanière. À noter toutefois : les cortèges étudiants, ou dits tels, se retrouvent encastrés dans le cortège syndical. Le syndicalisme étudiant n'est-il plus un syndicalisme de combat ? Passons. De longues minutes. Le tout démarre, et les premiers bourgeons encapuchonnés « de noir » commencent à débourrer. Humeur printanière.

La tête plus dense, les premiers frimas d'insurrectionnalisme se font jour ; les premières vitrines se brisent ; les premiers feux de la journée s'allument. La cégéte n'est pas loin ; la tête toujours très hétérogène. La troupe arrive, pour ne plus jamais partir.
Une première charge, une deuxième, la tête reflue et s'arc-boute contre le service d'ordre de la manifestation. Se fait entendre ce qui, à intervalle régulier, heurtera — et hantera — nos tympans avec insistance : « Contournez-nous ! Contournez le cordon syndical ! Contournez le service d'ordre ! » Nous nous exécutons, non sans peine, pris entre un cordon de flics et un de syndicalistes — ou l'inverse. Bien qu'évènement fréquent, bien que directive usuelle, ce qui ressort de ces paroles, ce qui traduit ces paroles en actes, en pratique militante, est ce qui est questionné ici.

Car le SO doit empêcher, ou du moins contenir, ou plutôt contrôler le « reflux ». Lorsque les manifestants du cortège de tête, avec leurs pratiques militantes propres — que nous discuterons par la suite —, ne sont plus à même de tenir (la) tête aux forces de l'ordre ; ou encore lorsque ces jeunes « sans étiquettes » cités plus haut n'arrivent plus à respirer dans un dense nuage de gaz lacrymogène ; ou que les gendarmes mobiles sur nos talons, tonfa au bout du bras gauche, bouclier du droit, jouent des manches à nous en casser les genoux ; alors, lorsque cela advient, un reflux se produit en direction du cortège syndical, du service d'ordre, compact et équipé. Comme nous le verrons, le SO n'empêche pas stricto sensu le reflux. Le plus souvent il le dévie aux abords de la manifestation syndicale pour « ne pas […] rompre le cordon formé par les collectifs » présents au sein du SO. Cela, d'après les dires de ces « collectifs », s'inscrit dans le cadre du « respect de la diversité des tactiques ».

Règle syndicale : « Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n'ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d'assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical. »

Le problème dans tout cela est, qu'une fois le reflux advenu, des masses importantes de militants du cortège de tête se rangent non pas derrière le camion de la cégéte — comme cela leur serait sûrement interdit — mais aux abords directs du carré de tête, formant parfois des chaînes humaines compactes entourant le service d'ordre. Dans cette configuration, une myopie — sélective — s'immisce dans la règle syndicale. Que faire de ces camarades ? Que faire de ces camarades lorsque les gendarmes et autres flicaillons chargent, violemment, sur les côtés ? Que faire de ces camarades lorsque les gendarmes et autres flicaillons chargent, violemment, sur les côtés, et en embarquent plusieurs ?

« La théorie sans la pratique est inutile, la pratique sans la théorie est aveugle. » Réponse, syndicale : on laisse, devant nous, sans rien tenter, les camarades se faire interpeller. Le « service d'ordre », une dénomination à ne pas prendre à la légère ; prend « le parti de l'Ordre. »

« Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. » Ces phrases résonnent alors amèrement. Assumer sa propre protection n'exclut pas de faire face collectivement à la répression au-delà des stratégies de luttes employées par chacun. Que fait la CGT lorsque ses syndiqués, sa base, décide de prendre part à des actions (voir après) qui ne sont pas approuvées, voire rejetées, par la direction confédérale ? Elle leur ôte toute possibilité d'avoir accès à l'aide juridique syndicale ? Ou appelle-t-elle la soldatesque … ? Ce manque d'acuité, ou cette myopie, relevée précédemment, pourrait se synthétiser en deux questions : Existe-t-il des bons et des mauvais manifestants pour le SO ? Existe-t-il de bon et de mauvais syndiqués pour les centrales syndicales ?

Laissons la deuxième question aux syndiqués eux-mêmes. Quant à la première, un doute s'est installé — depuis 2016 « au mieux ». S'est fait jour le signal fort, du côté du SO, et donc de la CGT (et des autres organisations syndicales), d'une conception de la lutte comme désarticulée et désarticulable ; dans lesquelles les moyens d'action ne s'ajoutent pas synergiquement, mais se retranchent : à la recherche de la portion congrue. Il est important de noter que le SO n'agit pas en « électron libre ». Pour reprendre les propos de ce même SO : « Les dérapages violents et les fonctionnements en « électron libre » ne sont pas tolérés, et il est entendu que leurs auteurs doivent être évincés ; il suffit en effet d'un dérapage individuel pour ternir l'image d'un collectif. » Derrière les actions du SO, réside une position politique. Le SO met en branle, en pratique, dans la rue, les positions politiques, les soubassements théoriques, constituant et constitués par les centrales syndicales.

Le récit de cette manifestation du 11 mars éclaire le problème soulevé dans notre première question. Dès le début de la manifestation, et comme constante aussi universelle que celle de la gravitation, le SO s'est efforcé de maintenir un espace entre le cortège de tête et le cortège syndical. Certes, le SO a mandat de visibilité du carré de tête et des banderoles en son lieu. Cependant, la raison instrumentale de cet espace semble — empiriquement — être la matérialisation du no man's land permettant à l'Ordre, de tous les « services », de séparer le bon grain, militant, de l'ivraie. L'avancée hachée du cortège syndical n'est que le résultat de ce positionnement politique de la part des centrales. Et c'est dans ces « interstices » que les pandores déboulent.

Et ça ne manque pas : à plusieurs reprises un cordon de mobiles ou autres CRS s'insère dans cet espace, entre le SO et le cortège de tête [21 :55 et 28 :45 par exemple]. Alors, il n'y a plus d'espace entre le SO et les forces de l'ordre. Est-ce cela que de « sécuriser les manifestantes et manifestants qui marchent avec la CGT » ? Cela rentre-t-il dans la stratégie consistant à « s'interposer […] pour empêcher l'attaque des cortèges syndicaux par la police » ? Rien n'est moins sûr.

Les CRS sont casqués, les militantes et militants du SO non : rien à craindre pour eux — de quoi chantonner un refrain : « Nos salaires sont trop faibles / Silence … » [21:55]. De l'autre côté du mur on s'échauffe, criant des timides « Libérez la CGT ! » « Libérez nos camarades ! » Le SO ne fait rien : situation enviable ? souhaitable !? Qui souhaiterait une telle proximité avec la maison poulaga ? Du « mauvais côté » les esprits s'échauffent, la troupe n'est guère appréciée dans les cortèges et on comprend guère pourquoi la cégéte ne tranche pas le cordon gordien. Après le dégagement des forces de polices on entend des « Allez ! venez ! » [24:34], « Vous faites quoi les syndicats ? » [24:40] « Ça c'est de votre faute ! » [24:46] à l'adresse du SO immobile. SO qui finit donc par se faire gazer « salement » sous un téméraire « Et la rue elle est à qui ? À nous, à nous, à nous ! » [25:00] émanant du camion cégéte. Un passant lance même un ironique « merci la CGT, c'était vraiment super […] » [25:22]. « Fallait avancer merde ! » etc.

Après Bastille, de nombreuses charges sur les flancs du SO auront lieu, sans que celui-ci ne réagisse à la pénétration de flicaillons dans le cortège ayant « reflué » [28:45]. À quelques mètres du cortège syndical, une autre tentative d'arrestation [29:09]. Ces mêmes forces de l'ordre constituent ensuite un cordon assez proche du cortège syndical, le cortège de tête dissout, l'empêchant d'avancer. La réponse du SO, et des centrales, est encore de rester immobile alors que quelqu'un scande dans le micro du camion « On avance ! On avance ! » [31:05]. Encore faut-il le faire ! Des militantes et militants du cortège de tête amorcent le mouvement, enjoignant le SO à les suivre pour enfoncer les lignes bleues. Réponse, en substance : tant que vous serez devant, nous n'avancerons pas. La désarticulation des luttes et de leurs moyens se présente à nouveau. Ceux-là, de manière paradigmatique le SO, confondent le « moi » et le « mien ». Oui, ceux-là qui sont dans la manifestation, en tant que « moi », ne devraient chercher à s'approprier « la démonstration de force », pour en faire « la leur », celle de la « CGT », etc., sinon devraient chercher à former un « nous » qui, seul, pourra atteindre les buts visés par la manifestation.

Non pas « moi » mais « nous », tel est le commencement de l'affranchissement de la personne ! Tant qu'existera le « mien », le « moi » ne saurait s'arracher de la formidable étreinte de ce monstre.

Enfin, écourtons le récit, qui entretemps se serait fait rocambolesque, pour directement arriver à la place de la Nation. Arrivée confuse du cortège syndical, visiblement empêché d'avancer par … le cortège de tête [35:00] ? Qui sait, l'ambiance est confuse. Le SO sort les matraques, les gazeuses et les macho-virilistes [37:00] : on retrouve la vieille garde du SO, la vieille « garde prétorienne ». Mais devant, sous les gourdins, il y a des camarades, des « vrais » : « Tu devrais avoir archi honte. Je suis un syndicaliste comme toi. T'es une grosse merde avec ta matraque. » [37:20]. Réponse bafouillée de l'arrière-garde « [inaudible] spectacle ! […] ». Un homme du SO, trépignant dans son accoutrement de nervi, de supplétif de l'Ordre, foulard rouge, lunettes de piscine bleues et noires nabaiji, casque noir oxelo, badge et brassard CGT, gaze avidement la foule [37:42]. Ce doit être le fameux « militant sous pression ». Une militante du SO lui demande, effarée : « Qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce que tu fais ? Mais qu'est-ce que tu fais ? Casse-toi ! Dégage ! » L'apothéose, que nous ne commenterons même plus si fort est l'embarras : les pandores séparent le SO du reste de la foule en passent à travers le SO. On répète en chœur : le SO « [doit] également s'interposer régulièrement pour empêcher l'attaque des cortèges syndicaux par la police. » Sic !

À la sombre lueur de ce récit nous ne pouvons que paraphraser le « Vieux Maure » : ce que nous avons vu et vécu est d'une médiocrité sans phrase. À vous d'en répondre.

Répétons, nous ne le ferons jamais assez, que les syndicats, les syndicats de luttes étaient, sont et seront des alliés des luttes révolutionnaires, anticapitalistes et antifascistes. Toute posture pratiquement agressive face aux syndicats ne pourrait être qu'un égarement politique grave, faisant fi de l'histoire centrale du syndicalisme de lutte en France depuis près de deux siècles.

La radicalité chez la cégété — brève histoire d'une fracture.

Illégalisme, Action directe et extra-parlementarisme : le syndicat chez Émile Pouget

Y'a pas à tortiller, la faillite révolutionnaire est un rude fiasco. Faut qu'ça change, foutre !

Émile Pouget, en père Peinard, vociférait dans ses Almanachs, mais pas seulement. On en peut lire deux petits bouquins, concisément intitulés « l'Action Directe » et « le Sabotage », mais aussi, en vrac « Comment nous ferons la révolution » (co-écrit avec son camarade Pataud (sic)), « Patron assassin » ou encore « Châtrons les frocailles, en attendant mieux ! » [2]. Argoteux gouailleur et vociférateur déter donc, mais surtout théoricien d'un syndicalisme révolutionnaire, d'un « syndicalisme agissant » qui prend les armes du Sabotage et de l'Action Directe pour « livrer bataille à l'Exploitation et à l'Oppression », théoricien d'une classe ouvrière qui, sans trêve, livre assaut au Capitalisme.

La Confédération Générale du Travail est fille de la première Internationale. Fondée en 1895, elle vient au monde dégoulinant des bouillantes ébullitions révolutionnaires, par tous ses pores, de la tête aux pieds. Pouget, l'anarcho-syndicaliste, en est dès le début. Dieu vomit les tièdes, la cégété vire les réformistes et les guesdistes : à Bourges en 1904, la conception révolutionnaire du syndicalisme du « Gniaff » et de ses camarades s'impose largement.

En 1910, Pouget, alors secrétaire adjoint, rédige pour la cégété un texte programmatique [3]. Nous en gardons ici quelques passages, et vous proposons de les lire de façon résolument anachronique — pensez au 11 mars. Il faut apposer au mufle saillissant d'un passé fantasmé la coquille vide de son masque présent.

(N'arrêtez pas sur le vieux Gniaff la positivité béate et béante d'une grenouille de bénitier.
L'homme ici cité est homme — mâle des ruines à abattre.
Qu'il aie pu gargouiller du bonnard, du flambant, d'la dynamite, c'est d'la faute aussi, surtout, à toutexs ses camardes !)
1. La lutte des classes comme axiomatique.

Pouget cite d'abord, et nous citons avec lui, une déclaration qui tient lieu de statuts, rédigée dans les débuts de la cégété, et qui rappelle un peu (et s'y réfère explicitement) les Rules que composèrent le vieux barbu et ses camarades pour la première internationale :

Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire l'exploitation dont il est victime ; ,
Que, d'autre part, ce serait s'illusionner que d'attendre notre émancipation des gouvernants, car — à les supposer animés des meilleures intentions à notre égard — ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l'amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale ;
Considérant que, de par les effets de l'industrie moderne et de l'appui « logique » que procure le pouvoir aux détenteurs de la propriété et des instruments de production, il y a antagonisme permanent entre le Capital et le Travail ;
Que, de ce fait, deux classes bien distinctes et irréconciliables sont en présence : d'un côté, ceux qui détiennent le Capital, de l'autre les Producteurs qui sont les créateurs de toutes les richesses, puisque le Capital ne se constitue que par un prélèvement effectué au détriment du Travail ;
Pour ces raisons, les prolétaires doivent donc se faire un devoir de mettre en application l'axiome de l'Internationale : « L'ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS NE PEUT ÊTRE QUE L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MEMES »

« L'objectif dominant de l'organisation syndicale » est affirmé : c'est la lutte des classes. Un rapport dialectique entre Capital et Travail est posé, deux classes sont opposées, aux intérêts irréconciliables — l'une créatrice, l'autre parasitique et pillarde. La nécessité pour les travailleureuses qui ont acquis le sentiment lucide du rapport de classe dans lequel iels sont prises est double : de s'associer d'abord, de mettre in praxis, ensuite, le principe premier de l'internationale qui est que la lutte pour l'émancipation du prolétariat doit, par une nécessité logique en retour, être de son fait. (Cette doctrine a ses apories, et nous y reviendrons, mais au moins, elle a du chien.)

2. Minorité militante.

Se posent alors la question des moyens de cette lutte. Le syndicat prend son rôle :

De la constitution en bloc autonome des travailleurs — bloc qui manifeste avec une grandissante acuité la lutte de classe — devaient résulter des moyens d'action adéquats à cette forme de groupement et aux tendances qu'il exprime. (…) Les méthodes d'action de l'organisation confédérale ne s'inspirent pas de l'idée démocratique vulgaire ; elles ne sont pas l'expression du consentement d'une majorité dégagée par le procédé du suffrage universel. Il n'en pouvait d'ailleurs pas être ainsi, dans la plupart des cas, car il est rare que le syndicat englobe la totalité des travailleurs ; trop souvent, il ne groupe qu'une minorité. Or, si le mécanisme démocratique était pratiqué par les organisations ouvrières, le non-vouloir de la majorité inconsciente et non syndiquée paralyserait toute action. Mais la minorité n'est pas disposée à abdiquer ses revendications et ses aspirations devant l'inertie d'une masse que l'esprit de révolte n'a pas animée et vivifiée encore. Par conséquent, il y a, pour la minorité consciente, obligation d'agir, sans tenir compte de la masse réfractaire, et ce, sous peine d'être forcée à plier l'échine, tout comme les inconscients.

La constitution d'un collectif reconduit sans cesse l'établissement des conditions objectives de son action spécifique. Ce collectif, c'est la « minorité militante » que rassemble le syndicat, ceux de la classe travailleuse qui ont déjà le sentiment lucide dont nous parlions plus haut et qui, par suite nécessaire, ont « obligation d'agir » — et ce sans attendre que ne soient approuvées leurs actions par la mastodontesque foule à l'intelligence encore morte de sa classe et de ses intérêts.

Au surplus, la masse amorphe, pour nombreuse et compacte qu'elle soit, serait très mal venue à récriminer. Elle est la première à bénéficier de l'action de la minorité, c'est elle qui a tout le profit des victoires remportées sur le patronat. Au contraire, les militants sont souvent les victimes de la bataille ; les patrons les pourchassent, les mettent à l'index, les affament, et ce, avec la complicité du gouvernement.
Donc l'action syndicale, si infime que soit la minorité militante, n'a jamais une visée individuelle et particulariste ; toujours elle est une manifestation de solidarité et l'ensemble des travailleurs intéressés, quoique n'y participant en rien, est appelé à bénéficier des résultats acquis.

Le syndicat agit pour sa classe, prend pour elle les armes et les risques nécessaires. Sans amertume et sans haine, il lutte pour les indolents mêmes.

3. Contre la collaboration de classe.

Doit être montrée aussi, clairement, l'antithèse de l'action syndicale révolutionnaire : les engagements helvétiquement dialogueux qui, au surplus d'être mollasses et complaisants, minent les conditions révolutionnaires.

À l'origine, le corporatisme, en limitant son action à des améliorations de détail, n'ayant ni vues d'ensemble, ni idéal, ni d'autre horizon que la frontière corporative, ne menaçait en rien la société capitaliste. D'autre part, l'espoir en l'intervention de l'État qui, parce que saturé de démocratisme, se ferait bon gendarme en faveur des exploités aboutissait aux mêmes fins conservatrices. De l'une et l'autre conception découlait la collaboration de classes, substituée à la lutte de classe, pierre angulaire du syndicalisme.
Cette orientation déviatrice et pacifiste, qui est en voie d'extinction, les pouvoirs publics cherchent à la revivifier par des mesures législatives qui tendent à subordonner les syndicats à l'État, à restreindre leur champ d'activité et à parlementariser leur action.

4. Illégalisme

La loi, pour qui veut la révolution, n'est ni un cadre, ni un but. L'illégalisme, alors, n'est pas un pragmatisme — il est une affirmation. Et l'assaut contre le Capitalisme ne doit pas se limiter à être assaut contre les « capitalistes », les bouffes-galette ; il doit être assaut contre l'État moderne — contre l'état des choses.

[…] les syndicats ne tiennent pas compte des prescriptions législatives ; ils se développent sans se préoccuper d'elles et, s'ils remplissent les formalités exigées, c'est parce qu'ils n'y attachent aucune importance, se sachant assez fort pour passer outre.

Les moyens d'action que nous venons d'esquisser rapidement, outre qu'ils concernent principalement la lutte immédiate, se rapportent surtout à la bataille contre le patron. Mais le syndicalisme exerce une action sociale qui, sans se manifester par une participation directe à la vie parlementaire, n'en a pas moins pour objet de ruiner l'État moderne, de le briser, de l'absorber. Poursuivant l'émancipation intégrale, il ne peut se borner à vouloir libérer le travailleur du capitalisme et le laisser sous le joug de l'État. Seulement, la lutte contre les pouvoirs publics n'est pas menée sur le terrain parlementaire, et cela parce que le syndicalisme ne vise pas à une simple modification du personnel gouvernemental, mais bien à la réduction de l'État à zéro, en transportant dans les organismes syndicaux les quelques fonctions utiles qui font illusion sur sa valeur, et en supprimant les autres purement et simplement.

Syndicalisme et violence : Différence de moyen, différence de fins ? Faut-il être « violent » pour être révolutionnaire ?

Il s'agit de donner d'abord à la violence une définition commode. Nous reprenons celle de Michelle Perrot [4] : « agression collective et physique contre les personnes ou le choses ». Elle servira.
(Ré)écrire une histoire des rapports des syndicats français à la « violence » de militants : vaste et copieux programme que l'on ne suivra pas ici. Nous ne faisons qu'esquisser, faute de temps et d'espace (en suivant surtout la ref 4).

Avant 1890, le développement des syndicats en France agit comme un étouffoir — la violence des mouvements sociaux est encadrée et retenue. « L 'attitude des syndicats est sans ambiguïté : la violence naît en dehors d'eux et ils la condamnent. En vue de prévenir les désordres, ils mettent en place une "police de la grève". » La violence, au sens donné plus haut, ne survient que dans moins de 4% des grèves (plus de 10% pour les grèves de plus d'un mois). Les manifs sont un peu plus agitées (env 30% d' « agression collective et physique ») Dès les années 1890, les anarchistes et les blanquistes font irruption dans les syndicats (sous l'impulsion, notamment, de Pouget). L'action directe (contre les choses) et le sabotage (de la production) sont alors, pour une période, préconisés comme armes pour les travailleurs syndiqués (peu d'info sur la réalité de terrain). Autour de 1910, la CGT, imitant le PS, constitue un service d'ordre — les désordres sont désormais prévenus.

Succède à la première guerre mondiale une période de flottement dans les encadrements syndicaux qui laisse reparaître les émeutes et la fulminance des agitations. Dès les années 20, et ce jusqu'en 1952 (avec interruption pendant la seconde guerre mondiale), la violence, d'irruption spontanée devient pivot stratégique. Elle est légitimée et encouragée par le PC et la CGTU. « Plus l'action sera violente, plus elle sortira des cadres de la légalité, mieux cela vaut ! » peut-on lire dans le Carnet du militant du PC, « Tout moyen est bon pour cela. Tout moyen, disons-nous, sauf le coup de main individuel, en dehors de la participation et du contrôle des masses. » Tout est bon — par exemple les Groupes de Défense Antifasciste, mis en place par le PC, et qui sont chargés d'entrismer les manifs et de guider les masses ouvrières vers le combat et les actions radicales. Les poulets ramassent : « Lors des grèves des mineurs de charbon de l'automne 1948 (…) une compagnie de CRS est submergée, décimée, dépouillée de ses armes et matériels. » En 1952, c'est la fin d'la récré. La venue à Paris du chef de l'OTAN, le général Ridgway, un yankee dégueulasse, provoque un grand coup CGT-PCF, une manif vener. Ça tourne mal, y a du trépas et des derniers sommeils — deux morts.

Il semble qu'à partir de là, et dans les suites de 68 surtout, la base militante — issue des syndicats ou non — se déchausse un peu de la mâchoire programmatique des directions confédérales — et ces dernières de « commenter », ou de « prendre position » par rapports aux actions des travailleurs radicaux et des nouveaux « gauchistes ». En 68, la CGT et le PC vilipendent les « aventuristes », qui « par goût ou profession (sont) essentiellement préoccupés d'entraîner la classe ouvrière dans des provocations. » Des dirigeants de la CGT critiquent certains militants de la CFDT qui « veulent se donner les allures dures de durs. » Le premier mai 1978, des militants de CFDT Longwy prennent d'assaut un commissariat à coups de béliers et de molotovs — action condamnée par la CGT et assumée par la CFDT (action racontée dans lundi am !). Dans les années 1970, la CGT s'oppose fermement aux séquestrations de patrons « qui divisent les salariés, attirent la répression et permettent ainsi au patronat de détourner les luttes revendicatives de leur objet. » La CFDT, elle, considère que « la séquestration est un moment de révolte face à une situation intenable […] s'il y a quelque chose à condamner, c'est la situation et non pas la révolte. » et que « La violence n'est pas dans le fait de séquestrer cinq personnes ; mais la violence c'est le fait patronal, le refus d'entendre les revendications des travailleurs […]. »
La rupture entre les directions confédérales et les minorités plus radicales a l'air d'être peu à peu consommée : « Lors de la manifestation des sidérurgistes de la CGT le 23 mars 1979 à Paris (…) de sérieux incidents éclatent. Ceux-ci sont provoqués non par les ouvriers de la CGT, mais par des groupes gauchistes dits "autonomes", "rescapés de l'autodissolution de la "gauche prolétarienne" (…) Ces "autonomes" se heurteront aussi bien à la police qu'au service d'ordre de la CGT. (…) La CGT, notamment, accusera la police d'avoir, sinon organisé les incidents, du moins fait preuve d'une négligence collusive à l'égard des autonomes. »

Concluons cette linéeuse historification, sans transition, avec un minucule extrait de « Comment nous ferons la révolution », de Pataud et Pouget. « Les grévistes firent front à l'attaque et, en peu de temps, la bagarre dégénéra en échauffourée quelques tables et chaises, prises aux terrasses des cafés des planches, un tramway renversé, s'esquissèrent en barricade. La résistance ouvrière fut vive on se battit avec acharnement. » Comment ne pas penser à ceux qu'aujourd'hui même l'Huma qualifie de « casseurs » ?

Ainsi, nous avons montré dans quels tubs et par quelles mères — pourpre et noire — la cégété a été mise au monde. Nous avons montré qu'elle et d'autres ont turbulé, frasqué, cassé, parce que c'était nécessaire et senti tel. Qu'elle a honni la collaboration de classe, quelle a vomi les luttes tronquées qui ne visaient pas l'abolition du capitalisme et l'anéantissement de l'État moderne —l'abolition de l'état de choses. Aujourd'hui que le SO condamne et trahit le cortège de tête, il serait trop facile de conclure que « c'est plus c'que c'était », que « c'était mieux avant » et autre dégringolade du cervelle-caillou dans les ravins réactionnaires. Il faut comprendre et, surtout, faire mieux. « Nous allons assister à l'enfantement d'un monde ! »

À Vous, « les uns et les autres »

À chaud : une mansuétude couarde !

Que de mépris, que de haine fracassante à la vue de cet espace dans lequel des camarades se sont vuexs vivre et mourir. Nous devons l'avouer, nous vous avons débectés, honnis, pour votre immobilisme assassin : une médiocrité sans phrase, une mansuétude couarde. Nous vous avons crié dessus, peut-être insulté — vous nous avez frappéexs ; vous nous avez délaisséexs, nous toutexs.

Pluralité des tactiques comme articulation des tactiques — et non désarticulation.

Vous vous épanchez sur le fait « [qu'] une mutation s'est engagée » depuis 2016-2017 dans la formation du SO syndical ; mutation comprenant notamment la prise en compte de la « diversité des tactiques » :

Malgré le contre-exemple que constitue l'agression des cortèges de la CGT le 5 décembre 2020 et le 1er mai 2021, la stratégie des collectifs [du SO] a globalement apaisé les tensions apparues en 2016 entre les syndicalistes et le « cortège de tête ». Cette stratégie implique le respect de la diversité des tactiques, un principe popularisé par le mouvement libertaire lors du cycle altermondialiste des années 2000 : la diversité des tactiques doit permettre la coexistence de tactiques de rue radicalement différentes, violentes et non violentes, en séparant les lieux selon le degré de confrontation voulu, tout en restant solidaires malgré ces divergences tactiques

Termes résonnant drôlement mal avec les suivants, déjà cités :

Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n'ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d'assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical.

De sorte qu'il apparaît que le « respect de la diversité des tactiques » n'est conçu que comme la désarticulation, la balkanisation des luttes et de leurs modes d'action singuliers. Or ce « respect » implique bien l'inverse : l'articulation de modes divers dans des schémas d'action plus larges tendus vers des buts communs. Non pas la recherche du plus petit dénominateur pratique commun, mais bien la recherche de l'articulation synergique des moyens autour du plus grand dénominateur théorique commun. Les moyens de lutte ne se retranchent pas, ne s'additionnent point, mais se multiplient, s'exponentient !

Les dernières grandes victoires, en France et ailleurs, ont usé et abusé du « respect » réel de la diversité des tactiques ; elle se sont construites dessus. Ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes. Récemment la manifestation de Sainte-Soline, et plus généralement le mouvement climat et sa cristallisation autour du collectif « bassines non merci », sont des exemples contemporains frappants de ce qui peut fleurir en adoptant de telles positions : une convergence des luttes réelle — loin de l'impossibilité logique que fait naître l'abstractification des possibles — regroupant « plus de 200 organisations syndicales, politiques, paysannes et environnementales. »

Repenser collectivement le sujet révolutionnaire — dépasser l'aporie du lumpen

Certain, à la vue du cortège de tête doivent se remémorer les fameusement célèbres passages du 18 Brumaire :

A côté de « roués » ruinés, aux moyens d'existence douteux et d'origine également douteuse, d'aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des vagabonds, des soldats licenciés, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des portefaix, des écrivassiers, des joueurs d'orgue, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la bohême.

et hallucinent des hourras « Vive Macron ! Vivent les saucissons ! » Le lumpen planerait sur le cortège syndical, ce lumpen c'est le cortège de tête. Est-ce cela que vous pensez ? Dans tous les cas c'est bien de ces exhalaisons que vous fleurez. En place d'abandonner les apories du « Vieux maure », vous les propagez, calquant le mouvement incessant de la valeur — vide et putréfiant.

Vous devriez revoir votre catéchisme — à la lettre ! Sans vouloir rentrer dans les tréfonds de la théorique révolutionnaire, sans vouloir se faire taupe, la posture syndicale visant à affirmer, à positiver la classe prolétarienne, l'ontologise et l'anhistoricise — posture apologétique qui fait trépasser toute possibilité réelle de dépassement du capitalisme. Comme l'exprime bien Marx :

Le capital suppose donc le travail salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l'un de l'autre ; ils se créent mutuellement. L'ouvrier d'une fabrique de coton ne produit-il que des étoffes de coton ? Non. Il produit du capital. Il produit des valeurs qui servent à leur tour à commander son travail, afin de créer au moyen de celui-ci de nouvelles valeurs.

Sans capital, hors capitalisme, il n'y a plus de « travail salarié », plus de prolétariat, voire plus de travail du tout, plus de travail sans phrase. Penser que le prolétariat seul peut subsister, dans une robinsonnade eschatologique d'annihilation de la bourgeoisie, serait comme retirer le mot « Critique » au sous-titre « Critique de l'économie politique ».

Dans la même veine, nous pouvons citer un moment préfigurateur de Blanqui :

Ce sont des bourgeois qui ont levé les premiers le drapeau du prolétariat, qui ont formulé les doctrines égalitaires, qui les propagent, qui les maintiennent, les relèvent après leur chute. Partout, ce sont les bourgeois qui conduisent le peuple dans ses batailles contre la bourgeoisie.

Qui est donc le sujet révolutionnaire ? Ou, plus directement, qui sont les « mauvais » et les « bons » manifestants ? Nous vous laisserons répondre à ces questions.

Une ultime interrogation : voulez-vous, dans les annales de la lutte en train de s'écrire, vous accoler le sceau des républicains-révolutionnaires ou démocrates d'antan ? Voilà ce qu'en dît Blanqui en 1852 :

Eh bien ! les soi-disant républicains-révolutionnaires ou démocrates ne veulent rien de cela. Ils l'ont prouvé en Février. Ne croyez pas qu'alors ils n'aient pas su renverser ; ils ne l'ont pas voulu ils ne le veulent pas davantage à présent, ils se moquent de nous, ce sont des égoïstes prêts à se jeter sur une nouvelle curée et à crier encore : ôte-toi de là que je m'y mette ! Les imbéciles ! ils perdraient une dernière fois et pour toujours la révolution. Car, vous le voyez, chaque avortement entraîne une réaction plus terrible.

À Nous — Que faire ?

Nous ne reviendrons pas ici sur les différences idéologiques, les dissensions théoriques profondes qui traversent les différents cortèges. Nous discutons uniquement de divergences tactiques et stratégiques qui devraient être synergiquement acceptées et donc dépassées.

Le SO dit :

Malgré le contre-exemple que constitue l'agression des cortèges de la CGT le 5 décembre 2020 et le 1er mai 2021, la stratégie des collectifs ALS a globalement apaisé les tensions apparues en 2016 entre les syndicalistes et le « cortège de tête ». Cette stratégie implique le respect de la diversité des tactiques, un principe popularisé par le mouvement libertaire lors du cycle altermondialiste des années 2000 : la diversité des tactiques doit permettre la coexistence de tactiques de rue radicalement différentes, violentes et non violentes, en séparant les lieux selon le degré de confrontation voulu, tout en restant solidaires malgré ces divergences tactiques […]. Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n'ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d'assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical.

Eh bien, prenons-les au pied de la lettre. Adoptons et assumons une pratique d'autodéfense ne reposant plus sur quelques-uns mais sur tous ; qui, dans la violence à laquelle elle se confronte, s'épaissit comme un idéal qui prend corps. Ne reculant plus dans la pratique, c'est la théorie qui avance — l'impossible possible aurore qui se lève.

Nous prônons une défense collective à la fois indépendante, autonome, et articulée avec les forces syndicales ; passant par la remobilisation des tactiques syndicales de lutte « fonctionnelles » en manifestation, comme la mise en place de chaînes humaines denses lors des assauts et charges des forces de l'ordre. Chaînes combatives tout autant que défensives. Car il est important de faire bloc : nous ne serons jamais si fort, si fortes face à la répression étatique et policière, qu'unies, compacts, bras dessus bras dessous. De son côté, le cortège syndical doit s'assurer de la cohésion de la manifestation « par l'arrière » et, enfin, dépasser cet espace, théorico-pratique, historico-géographique, qui, évoqué plus haut, nous sépare et nous détruit. La lutte n'est ni « un dîner de gala », ni une querelle de chapelle — le livre de prière comme de chant peuvent être rangés. Face à l'ignominie, l'incurie d'un « système monde » ; face à la dureté mortifère d'un rapport social autophage : unissons-nous autour d'un désir, de joies en puissance, unissons-nous pour « l'abolition du Toujours », contre le rapport-capital. Ensemble, enfin, faisons tomber [Aufhebung] le capitalisme.

Pour cela, l'autonomie ne doit pas s'arrêter où commence la charge policière. Réitérons nos propos précédents : le cortège syndical n'est pas un refuge auquel nous pouvons déléguer notre protection ; Non ! le cortège syndical devrait être considéré comme une base arrière de soutient.

Le refus de l'enkystement des pratiques doit aussi imprégner l'ensemble des mouvements du cortège de tête. Ce qui est notamment, et vaguement, proposé ici ne saurait constituer un cadre normatif et prescriptif — bien qu'éventuellement il puisse être moral — aux actions des groupes constituant le cortège de tête. La proposition de ne plus reculer, par le réamorçage de pratiques ayant par le passé prouvé leur efficacité en cela, ne pourrait se résumer à une position jusqu'au-boutiste. La meilleure protection est le rassemblement, possiblement de circonstance. Celle-ci permet réellement, et non abstraitement, le respect de la diversité des pratiques par son insertion in concreto à des formes d'action déjà présentes. Les personnes ne désirant pas, par exemple, se retrouver le nez dans le casque des bleus pouvant réellement se sécuriser par et pour la masse manifestante.

Ainsi, et seulement ainsi, bien que touxtes d'horizons disparates et d'identités différentes, le brûlis sur lequel reposera Paris au retrait de la réforme n'aura été allumé que par une unique braise, la braise du feu commun qui brûle.

Finissons par une maxime tombant à pic :

La vie du monde accélère son mouvement : elle voit ses entrailles de plus en plus pénétrées du trouble violent du réveil printanier ; partout se manifeste un troublant émoi : c'est l'énergie potentielle qui prend connaissance de sa force créatrice et se prépare à l'action.


Voir aussi, en vrac :

Une saison en enfer
Mère courage et ses enfants
https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/300621/au-sujet-de-la-mutation-du-service-d-ordre-de-la-cgt
https://paris-luttes.info/des-flics-devant-des-agresseurs-14663?lang=fr
https://bassinesnonmerci.fr/
https://www.cgt.fr/sites/default/files/2018-08/2017_statue51econgres_v2.pdf
Les Documents du Progrès : Revue Internationale, Mars 1908
Maintenant il faut des armes
Travail salarié et capital
L'idéologie allemande
Le Capital
Grundrisse
Critique de la philosophie du droit de Hegel
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte
Le manifeste contre le travail
L'honneur perdu du travail
La fin du prolétariat comme début de la révolution
Apophtegmes sur le marxisme
Le fétiche de la lutte des classes

contact : perro1871@proton.me

Gustav Noske est revenu

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Retour vers le futur
on prend les mêmes autoritaires et on recommence

La tournure ultra-autoritaire que (re)prend l'État dans l'apathie journalistique officielle, est sidérante. Tout semble indiquer que la pensée opératoire favorise l'installation d'une verticalité de plus en plus coercitive, de plus en plus liberticide. Il y eut des antécédents.
Et cela, sans remonter aux années de collaboration (pas d'erreur possible, nous sommes bien en France).

Plus près de nous et de nos légendes dorées siègent bien des histoires.
Celle du coup d'État « démocratique » des gaullistes en 1958, utilisant la crise algérienne pour reprendre le pouvoir.

Celle aussi d'un comédien sans vergogne, dont beaucoup ont oublié qu'il défendit en Algérie l'usage de la guillotine : je parle bien sûr de « Rastignac » (Mitterand) et de son irrésistible ascension. Mitterrand faisant, par la suite, feu de tout bois pour court-circuiter (au sein de la multitude) toute forme d'auto-réflexivité politique et se maintenir au pouvoir. Avec Pasqua dans son SAC. Avec aussi le tournant néo-libéral de 1983-1984, mais encore avec le sang du Rwanda couleur turquoise sur les mains, en 1994. Ces violences d'État n'ont pas laissé le souvenir critique que l'on aurait pu espérer puisqu'enfin la chronique amnésie est une donnée largement partagée.

Chirac et Sarkozy intensifièrent la fable méritocratique déjà en place. Nous arrivons à Hollande et la Loi travail, à Valls et son utilisation effrayante de la raison d'État pour réprimer la foule. Venons-en maintenant au Monarque de 2023, Narcissique absolu utilisant un fin limier à l'Intérieur. Perdreau tout droit sorti d'un film de Pabst ou de Fritz Lang : le nouveau Gustav Noske.
Il est donc revenu.

Difficile de ne pas se souvenir du 15 janvier 1919, lorsque Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par les Freikorps sur ordre d'un « social démocrate » : Noske lui-même. Noske endossant sans culpabilité le rôle de l'Autorité, c'est-à-dire du principe de « réalité » la plus autoritaire.

Aujourd'hui, maintenant en 2023, la BRAV-M reconstitue la violence des Corps francs de mémoire sinistre. On se souviendra des voltigeurs en 1986 (la plupart recrutés chez des excités du corps-à-corps à l'instar du SAC autrefois, tous des « mâles Alphas » comme il est coutume de le désirer dans les milieux virilistes) mais les voltigeurs nous renvoient ultimement à la violence des Freikorps

Bien peu sont ceux qui arrivent à l'admettre. Et ceux qui le clament haut et fort s'exposent à la vindicte de l'État (les « factieux »)
l'Idée d'une redéfinition (vivante) de la politique comme dissensus et non comme consensus, n'a jamais été si loin.

Le consensus est autoritaire dans son essence. Sa fonction est d'abraser toute conflictualité. C'est cette élision autoritaire de la conflictualité politique qui est profondément inquiétante.
L'élision de la division comme principe activateur de la politique est aujourd'hui le danger le plus grand : impossible de s'affirmer contre la violence d'État sans en prendre plein la gueule par les flics.
Et donc, oui, l'Action directe, l'anarchie continuent d'irriguer notre mélancolie sociale, à moins que ce ne soit l'inverse.
Mais nous, au moins, marchons depuis l'enfance sous un soleil noir.

Que ceux qui s'identifient à l'Ordre et aux seigneurs de guerre tremblent et se préparent à leur tour, à rencontrer les ténèbres en eux-mêmes.

Croquemitaine

Soyons comme l'eau
en toute occasion

Cortège festif pour le 1er mai !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le 1er mai continuons de construire ensemble un espace de solidarité dans le cortège de tête, un espace défensif, de fête et de soin. Rendez-vous à 12h à la Place des Fêtes ou dans le cortège de tête sous le drapeau.

Le 1er mai, prenons la queue de la tête du cortège, avec nos plus belles tenues de couleurs, nos chansons les plus entraînantes et nos meilleurs pas de danse.

Ce cortège, ce mouvement de corps et d'idées, est la manifestation d'une force collective qui dépasse les limites de notre propre individualité. Nous sommes des intensités, des énergies, des puissances qui se combinent et se renforcent mutuellement.

Ensemble, nous sommes capables de renverser les structures oppressives qui limitent nos vies et nos aspirations. Ensemble, nous sommes capables de créer de nouveaux mondes, de nouvelles formes de vie, de nouvelles manières d'être.

La manifestation est une forme de résistance contre les systèmes de pouvoir qui cherchent à nous enfermer, à nous contrôler, à nous réduire à des objets passifs. Ce cortège est une célébration de notre résistance, de notre ténacité, de notre créativité. C'est un lieu qui transcende les barrières de l'individu et de l'isolement. Nous sommes ensemble, unis dans notre désir de liberté, de justice et de solidarité.

Alors, continuons à marcher, à danser, à chanter, à crier. Continuons à manifester notre désir d'un monde meilleur, plus juste, plus libre, plus solidaire. Continuons à construire cette force collective qui est en nous et qui ne demande qu'à s'exprimer.

Nous sommes le cortège festif, nous sommes la manifestation, nous sommes la révolution.

Vive le premier mai, vive la lutte, vive la vie !